570 RECUEIL
Bw
DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
c. Ap (fond) (2018) 2 RICA 570
Requête 006/2016 Ah Ac Bw c. République-Unie de
Ap
Arrêt, 7 décembre 2018. Fait en anglais et en français, le texte anglais
faisant foi.
Juges ORÉ, KIOKO, BEN ACHOUR, MATUSSE, MENGUE,
MUKAMULISA, CHIZUMILA, BENSAOULA, TCHIKAYA et ANUKAM
S’est récusée en application de l’article 22 : ABOUD
Le requérant avait été reconnu coupable et condamné pour vol qualifié. Il
a introduit cette requête, alléguant une violation de ses droits par suite de
sa détention et de son jugement. La Cour a conclu que le requérant avait
été empêché de faire appel de son inculpation et de sa condamnation,
n'ayant pas eu accès aux copies certifiées conformes des comptes
rendus des audiences et des décisions rendus dans cette affaire. La
Cour a en outre estimé qu'il existait des circonstances exceptionnelles et
impérieuses justifiant qu’elle ordonne la libération du requérant qui avait
purgé 20 ans de prison sur les 30 ans auxquels il avait été condamné.
Recevabilité (épuisement des recours internes, recours disponibles,
44 ; recours extraordinaires, 46)
Procès équitable (appel, accès aux comptes rendus des audiences et
aux décisions, 58, 65)
Réparations (remise en liberté comme mesure exceptionnelle, 84-86)
Opinion individuelle : TCHIKAYA
Procès équitable (preuves, 6, 13, 14)
I Les parties
1 Le requérant, Ah Ac Bw, ressortissant de la République-Unie de Ap, a été reconnu coupable de vol avec voie de fait et de vol à main armée. Il purge présentement une peine totale de trente (30) ans d'emprisonnement pour les deux crimes.
2 L'État défendeur, la République-Unie de Ap, est devenu partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci- après dénommée «la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après dénommé «le Protocole ») le 10 février 2006. Il a en outre déposé la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, le 29 mars 2010.
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Il. Objet de la requête
A Faits de la cause
3 La requête résulte du refus allégué de l’État défendeur de fournir au requérant les copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements dans les affaires pénales numéros 244 et 278 de 1995 devant le Tribunal de district de Bunda. En l'affaire pénale no 278 de 1995, le requérant a été accusé de vol avec voie de fait ; et été reconnu coupable et condamné à une peine de 15 ans d'emprisonnement. Le jugement en l'affaire pénale 244 de 1995 dans laquelle il a été accusé de vol à main armée, a été prononcé le 18 juin 1996. Il a été déclaré coupable et condamné à 15 ans
4 Le requérant a fait connaître son intention de faire appel des déclarations de culpabilité et des peines prononcées à son encontre en déposant, dans les délais prescrits par la loi, des avis d’appel le 16 avril 1996 relativement à l'affaire pénale no 2788 de 1995 et le 22 juin 1996 en ce qui concerne l'affaire pénale n°244 de 1995.
5 Le requérant affirme que dans sa démarche visant à interjeter appel de ces jugements prononcés par le Tribunal de district de Bunda, il a demandé en vain que lui soient communiquées, les copies certifiées des comptes rendus d'audience et des jugements dans les deux affaires, en adressant plusieurs requêtes aux autorités judiciaires concernées. || fait valoir en outre qu’au moment où il déposait la présente requête devant la Cour de céans, vingt (20) années s’étaient écoulées depuis la déclaration de culpabilité et la peine prononcées contre lui et il n’a pas pu déposer son acte d’appel.
6. Dans la présente requête, il est demandé à la Cour de conclure à la violation par l’État défendeur de certaines dispositions de la Charte. Le requérant a par ailleurs joint une demande de mesures provisoires tendant à ce que l’État défendeur lui communique les copies certifiées conformes des comptes rendus d’audiences et des jugements dans les deux affaires pénales susmentionnées, faute de quoi la Cour devrait ordonner sa remise en liberté.
B Violations alléguées
7 Dans sa requête, il est allégué que pour avoir omis de fournir au requérant les copies certifiées des comptes rendu d'audience et des jugements dans les affaires pénales n° 244 de 1995 et 278 de 1995 devant le Tribunal de district de Bunda, l’État défendeur a violé ses droits prévus par la Constitution. Selon le requérant, « l’omission
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administrative de l’État défendeur a toujours existé et risque même de perdurer si aucune action judiciaire n'est engagée pour la dénoncer, d'autant qu’elle porte atteinte aux droits et à l’égalité devant la loi, tel que prévu par l’article 13(1) de la Constitution de la République-Unie de Ap ».
i.Des dispositions spécifiques de la Constitution de la Ap de 1977 ont été violées et fondent la présente requête :
ii. La requête (violations) se fonde principalement sur les articles 13(1), 34, 6(a) et 26(1) et (2) de la Constitution de 1977 de la République-Unie de Ap ».
8. Dans sa réplique à la réponse de l’État défendeur, le requérant fait valoir que « le fait que l'État défendeur ne lui a pas fourni les copies certifiées conformes des comptes rendus d'audiences et des jugements constitue la preuve qu'il a été victime de discrimination et de violation de son droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi prévu aux articles 2, 3 (1) et 7 de la Charte ».
Il. Résumé de la procédure devant la Cour
9. La requête à laquelle a été jointe la demande de mesures provisoires a été déposée le 29 janvier 2016 et signifiée à l’État défendeur le 23 février 2016.
10. Le 12 avril 2016, la requête ainsi que la demande de mesures provisoires a été transmise aux États parties au Protocole, au Président de la Commission de l’Union africaine, à la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples et au Conseil exécutif de l'Union africaine par le biais de la Présidente de la Commission de l'Union africaine.
11. Le 28 mars 2016, sur instructions de la Cour, le Greffe a demandé à l’Union panafricaine des avocats (UPA) de fournir une assistance judiciaire au requérant. Le 21 avril 2016, l'UPA à informé le Greffe de son accord pour représenter le requérant.
12. Le 1erjuin 2016, la demande du requérant aux fins de mesures provisoires relatives aux copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements devant le Tribunal de district de Bunda que le requérant avait jointe à sa requête, a de nouveau été signifiée à l’État défendeur. L'État défendeur a également été invité à déposer sa réponse à la demande de mesures provisoires dans les trente (30) jours suivant la date de réception de la notification.
13. Le 12 mai 2016, l’État défendeur a déposé une demande aux fins de prorogation de délai pour lui permettre de déposer sa réponse à la présente requête. Le 15 juin 2016, la Cour lui a accordé un délai de quinze (15) jours pour déposer ces documents.
14. Le 28 juin 2016, l’État défendeur a sollicité une autre prorogation
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de délai pour déposer sa réponse à la requête. La Cour a fait droit à cette demande en lui accordant un délai supplémentaire de quinze (15) jours à compter de la réception de la notification datée du 4 juillet 2016.
15. Le 25 juillet 2016, l’État défendeur a déposé sa réponse à la demande du requérant aux fins de mesures provisoires. Celle-ci a été transmise le 28 juillet 2016 au requérant qui a été invité à déposer sa réplique dans un délai de trente (30) jours.
16. Le 27 juillet 2016, l’État défendeur a déposé sa réponse à la requête et, dans l'intérêt de la justice, la Cour a valablement décidé de l’accueillir. La réponse a été transmise au requérant le 28 juillet 2016, lui demandant de déposer sa réplique dans un délai de trente (30) jours.
17. Le 1er septembre 2016, le requérant a déposé sa réplique à la réponse de l’État défendeur à la requête, ainsi qu’à sa réplique à la demande de mesures provisoires. Ces répliques ont été transmises à l'État défendeur le 7 septembre 2016, pour information.
18. Les parties ont été informées que la procédure écrite était clôturée à compter du 19 décembre 2016.
19. Le 30 janvier 2017, le requérant a déposé une nouvelle demande de mesures provisoires au motif que les copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements pour lui permettre d’interjeter appel et que son incapacité à les obtenir constitue une violation de ses droits prévues par la Charte.
20. Le 1er novembre 2017, le Greffe a informé les Parties de la réouverture de la procédure écrite afin de demander à l’État défendeur de déposer, dans les quinze (15) jours, à compter de la réception de la notification, les copies certifiées conformes des comptes rendus d’audiences et des jugements rendus dans les affaires pénales n°° 244 de 1995 et 278 de 1995 devant le Tribunal de district de Bunda.
21. L'État défendeur contrairement aux instructions de la Cour, n’a pas déposé les copies desdits comptes rendus d'audience et des jugements.
22. Le 23 mars 2018, la Cour a examiné la demande de mesures provisoires et, ayant constaté qu’elle se rapporte aux demandes sur le fond de la requête et que, se prononcer à cet égard sera préjuger de l'affaire. Elle l’a rejetée.
23. Le 9 avril 2018, les Parties ont été informées de la clôture de la procédure écrite et que la Cour ne tiendrait pas une audience publique en l’affaire.
IV. Mesures demandées par les parties sur le fond
24. Les mesures demandées parle requérant, telles qu’elles figurent
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dans la requête sont les suivantes :
«i, Qu'il plaise à la Cour de céans de déclarer que l’omission administrative de l’État défendeur est anticonstitutionnelle.
ii. Rendre une ordonnance déclaratoire pour que les copies des comptes rendus d’audience et des jugements soient immédiatement (avec prescription de délai) communiquées au requérant et ordonner sa remise en liberté immédiate au cas où l’État défendeur refuserait d’obtempérer.
iii. Accorder les dépens en fonction de la décision finale sur le fond.
iv. Rendre toutes autres ordonnances que la Cour estime appropriées et qui soient de nature à garantir les intérêts de la justice dans les circonstances actuelles et futures de l'affaire.
v. Qu'il plaise à la Cour de céans d'accorder les mesures sollicitées par le requérant en lui fournissant une assistance judiciaire conformément à l’article 31 du Règlement intérieur et à l’article 10 (2) du Protocole de la Cour ».
25. Dans sa réplique à la réponse de l’État défendeur, le requérant prie en outre la Cour de déclarer que :
« Dans la mesure où l’État défendeur, (la République-Unie de Ap), a violé les droits du requérant consacrés aux articles 2, 3(1) et (2) et 7(1) (a) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, qu’il plaise à la Cour de faire droit à ses demandes sur le fond, sur la base des motifs présentés ».
La requête est fondée et qu’il plaise à la Cour d’y faire droit avec dépens.
26. Danssaréponse, l'État défendeur demande à la Cour d’ordonner ce qui suit sur la recevabilité de la requête :
«i, Dire que la requête ne remplit pas les critères de recevabilité prévus aux articles 40(5) du Règlement intérieur de la Cour et 6(2) du Protocole
ii. Déclarer la requête irrecevable et la rejeter en conséquence ». 27. L'État défendeur demande en outre à la Cour africaine de dire
qu’il n’a pas violé les articles 2, 3(1) et (2) et 7(1)(a) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, de déclarer la requête non fondée et de la rejeter en conséquence avec dépens.
V. Sur la compétence
28. Le requérant n’a soulevé aucune exception d’incompétence de la Cour. En application de l’article 39(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence… »
29. En ce qui concerne la compétence matérielle, le requérant a sollicité de la Cour un certain nombre de mesures en se fondant sur des allégations de violation de ses droits prévus aux articles 13(1),
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13(3), 13(6)(a), 26(1) et 26(2) de la Constitution de l’État défendeur.
30. Conformément aux articles 3(1) du Protocole et 26(1) du Règlement, la compétence matérielle de la Cour ne concerne que l'application et l'interprétation des instruments relatifs aux droits de l'homme auxquels un État est partie, et non l'application et l'interprétation de la Constitution de l’État défendeur.
31. La Cour relève toutefois que les droits visés dans les dispositions susmentionnées de la Constitution de l’État défendeur correspondent aux droits prévus aux articles 2, 3(1) et 7(1) (a) de la Charte relatifs à la non-discrimination, à l’égalité totale devant la loi, à une égale protection de la loi et le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant ces droits.
32. S'agissant des autres aspects de sa compétence, la Cour dit donc qu’elle a en l'espèce :
i. la compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur a déposé la déclaration, conformément à l’article 34(6) du Protocole le 29 mars 2010, laquelle autorise le requérant à saisir la Cour en vertu de l’article 5(3) du Protocole ;
ii. la compétence temporelle, dans la mesure où, de par leur nature, les violations alléguées se poursuivent.
iii. la compétence territoriale, étant donné que les faits de la cause se sont produits sur le territoire d’un État partie au Protocole, à savoir l’État défendeur.
33. Sur la base de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour examiner la requête en l'espèce.
VI. Sur la recevabilité
34. Conformément à l’article 39(1) de son Règlement, « La Cour procède à l'examen préliminaire … des conditions de recevabilité de la requête telles que prévues par l’article 56 de la Charte et l’article 40 du Règlement ».
35. L'article 40 du Règlement qui reprend en substance l’article 56 de la Charte, énonce les critères de recevabilité des requêtes comme suit :
« En conformité avec les dispositions de l’article 56 de la Charte auxquelles renvoie l’article 6(2) du Protocole, pour être examinées, les requêtes doivent remplir les conditions ci-après :
1 Requête no013/2011. Arrêt du 28/03/2014, Ba Bk et autres c. Burkina- Faso (ci-après dénommé « Arrêt Ba Bk Z Bv Bt ») $ 50 ; requête no006/2015. Arrêt du 23/03/2018, X Bf AGAe BpY et Bo X AGBb BzY c. République-Unie de Ap (ci-après désigné « Arrêt X Bf c. Ap) op. cit. $ 38.
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1. Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat ;
2. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
3. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants ;
4. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
5. Être postérieures à l'épuisement des recours internes, s'ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
6. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa propre saisine ;
7. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément, soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte constitutif de l’Union africaine et soit des dispositions de la Charte ou de tout autre instrument juridique de l’Union africaine
36. Même si certaines conditions de recevabilité énoncées ci- dessus ne sont pas en discussion entre les Parties, l’État défendeur soulève une exception portant sur l'épuisement des voies de recours internes.
A. Condition de recevabilité en discussion entre les
parties
37. L'État défendeur soutient que la requête ne remplit pas les conditions de recevabilité énoncées aux articles 56(5) de la Charte, 6 du Protocole et 40(5) du Règlement portant sur l'épuisement des recours internes.
38. Selon l’État défendeur, le requérant n’a pas exercé les voies de recours internes prévues par la Constitution de la République-Unie de Ap. À cet égard, il fait valoir que sa Loi relative à la mise en œuvre des droits fondamentaux et des obligations, promulguée pour la mise œuvre des droits et des obligations consacrés dans la Partie Ill de sa Constitution, prévoit une procédure d’application des droits constitutionnels tels que ceux dont le requérant allègue la violation. L'État défendeur affirme que le requérant n’a toutefois pas exercé les recours internes avant de saisir la Cour de céans.
39. Lerequérant affirme que les multiples démarches entreprises aux fins d’exercer ses droits fondamentaux consacrés par la Constitution de la République-Unie de Ap, en sa Partie III, articles 12 à 29, ont été vaines, en raison des coûts prohibitifs de la procédure pour
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déposer une requête en inconstitutionnalité devant la Haute Cour de Ap.
40. Le requérant soutient en outre que l’État défendeur ne lui a pas fourni les copies certifiées conformes des comptes rendus d’audience et des jugements du Tribunal de district de Bunda, le privant de ce fait de la possibilité d’épuiser les voies de recours internes, dans la mesure où sans ces documents, il ne pouvait pas faire appel des décisions dans les affaires pénales no 244 de 1995 et no 278 de 1995. Le requérant insiste que l’État défendeur a manqué à l’obligation qui était la sienne de protéger et faire respecter son droit d’interjeter appel dans les délais.
41. La Cour fait observer que la condition de l'épuisement des voies de recours internes doit être remplie avant qu’une requête ne soit introduite devant elle. Cette exigence peut toutefois être levée à titre exceptionnel lorsque ces voies de recours internes ne sont pas disponibles, sont inefficaces ou insuffisantes ou lorsque les procédures de ces recours devant les juridictions internes se prolongent de façon anormale. De plus, les voies de recours dont l'épuisement est exigé doivent être des voies de recours judiciaires ordinaires.”
42. La Cour relève qu’en l'espèce, le requérant a tenté d’exercer les voies de recours disponibles en déposant un avis d'appel daté du 16 avril 1996 relatif à l'affaire pénale no 278 de 1995, ainsi qu’un avis d'appel en date du 22 juin relatif à l’affaire pénale n°244 de 1995. Il a par la suite demandé communication des copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements concernant ces affaires afin de lui permettre de déposer les actes d’appel proprement dits. Le requérant a assuré le suivi de sa démarche auprès du magistrat chargé du Tribunal de district de Bunda, du Greffier de district et du Président de la Haute Cour à Mwanza pour obtenir ces documents, mais ses efforts n’ont pas abouti. || a par ailleurs sollicité l’intervention de la Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance de l’État défendeur, mais tous ses efforts ont été vains.
et des jugements relatifs aux deux affaires pénales susmentionnées, le requérant a saisi la Haute Cour de Mwanza de la requête pénale incidente n° 6 de 2014, se fondant sur le droit à l’égalité devant la loi prévu par la Constitution de l’État défendeur ; requête par laquelle il a demandé l’autorisation de déposer ses dossiers d’appel sans les
2 Arrêt Bj Bn c. Ap, op.cit., para 64; requête 003/2015. Arrêt du 28/09/2017, Af By Ax et Aw Az Bq Aj c. République-Unie de Ap (ci-après dénommé (« Arrêt Af Ax et un autre c. Ap »), para 56 ; Arrêt X Bf c. Ap op. cit, para 52
Ap (ci-après dénommé « Arrêt Av Bs c. Ap »), para 45.
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copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements. Cette requête a été rejetée le 21 septembre 2015, au motif qu’elle était infondée. Dans un obiter dictum, la Haute Cour relève que le Greffier adjoint près la Haute Cour devrait veiller à ce que tous les efforts soient déployés pour fournir au requérant les comptes rendus d'audience et les jugements, afin de lui permettre d’interjeter appel, mais les instructions données dans ledit obiter dictum n'ont pas été respectées.
44. En conséquence, bien qu'il ait déposé les avis d'appel faisant part de son intention d’interjeter appel, il n’a pas pu le faire, n'ayant pas obtenu les copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements. À cet égard, la Cour rappelle sa position selon laquelle pour que les recours soient considérés comme étant disponibles, il ne suffit pas qu’ils soient établis dans le système interne, mais encore faudra-t-il que les individus puissent les exercer sans
45. Ainsi, en l'espèce, la Cour conclut que le requérant a été empêché d'exercer les recours internes du fait de l’État défendeur qui ne lui a pas fourni les copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements.
46. S'agissant de l’affirmation de l’État défendeur selon laquelle le requérant aurait pu déposer une requête en inconstitutionnalité pour violation de ses droits, la Cour a déjà indiqué que dans le système judiciaire tanzanien, il s’agit d’un recours extraordinaire que le requérant n’était pas tenu d’épuiser avant de la saisir.“ Il n’en demeure pas moins que le requérant avait déposé une requête en vertu de la procédure prévue par la Constitution de l’État défendeur relative à la mise en œuvre des droits fondamentaux, dans sa quête d’une autorisation pour déposer son dossier d'appel sans les comptes rendus d’audience et les jugements, mais la requête avait été rejetée au motif qu'elle n’était pas fondée.
47. La Cour en conclut que, bien qu’étant disponibles, le requérant n’a pu épuiser les voies de recours internes en raison de l’omission et du défaut de la part de l’État défendeur de lui fournir les documents nécessaires.
48. En conséquence, la Cour rejette l'exception d’irrecevabilité de
3 Arrêt Ba Bk Z Bv Bt, op. cit, para 68 ; Requête no110/2014. Arrêt du 18/11/2016, Action pour la protection des droits de l'homme c. Côte d'Ivoire, paras 94 à 106.
4 Arrêt Bj Bn c. Ap, op.cit, para 60 à 62; Requête 007/2013. Arrêt du 03/6/2016, Bu Bd c. République-Unie de Ap (ci-après dénommé « Arrêt Bu Bd c. Ap ») para 66 à 70 ; Requête no011/2015. Arrêt du 28/09/2017, Bm At c. République-Unie de Ap, para 44.
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l’État défendeur tirée du non épuisement des voies de recours internes.
B. Conditions de recevabilité qui ne sont pas en discussion entre les parties
49. La Cour fait observer qu'après avoir constaté que les voies de recours internes n’étaient pas disponibles pour que le requérant puisse les épuiser, la question du respect des dispositions de l’article 56(6) de la Charte, reprises à l’article 40(6) du Règlement, relative à l'introduction d’une requête dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des recours internes devient sans objet.
50. La Cour relève que les conditions énoncées aux alinéas 1, 2, 3, 4 et 7 de l’article 56 de la Charte, relatives respectivement à l'identité du requérant, au langage utilisé dans la requête, à la compatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine, à la nature des éléments de preuve présentés et aux décisions antérieures rendues ne sont pas contestées.
51. La Cour relève en outre que rien dans le dossier n'indique que ces conditions n’ont pas été remplies et estime par conséquent que la requête remplit les conditions énoncées dans ces dispositions.
52. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la requête remplit toutes les conditions de recevabilité prévues à l’article 56 de la Charte et telles que reprises à l’article 40 du Règlement, et déclare en conséquence qu’elle est recevable.
VII. Sur le fond
53. Le requérant allègue la violation du droit d’interjeter appel, du droit à l’égalité devant la loi, du droit à une égale protection de la loi ainsi que du droit à la non-discrimination, prévus respectivement aux articles 7(1)(a), 3(1) et (2) et 2, de la Charte.
B. Violation alléguée du droit d’interjeter appel
54. Le requérant allègue que son droit à ce que sa cause soit entendue, notamment le droit d’interjeter appel, a été violé par l’État défendeur, faute pour celui-ci de lui avoir fourni les copies des comptes rendus d'audience et des jugements des deux affaires dans lesquelles il avait été reconnu coupable devant le Tribunal de district de Bunda. Le requérant fait valoir que c’est à cause de ce manquement qu'il n’a pas été en mesure, depuis plus de vingt (20) ans, d’interjeter appel des décisions du Tribunal de district de Bunda. Il soutient que ce manquement constitue une violation de ses droits consacrés par l’article 7(1)(a) de la Charte.
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55. L'État défendeur réfute cette allégation, en faisant valoir que le requérant avait la possibilité d’introduire une requête en inconstitutionnalité afin d'assurer le respect de ses droits fondamentaux et que les mesures demandées pouvaient être octroyées par la Haute Cour de Ap.
56. La Cour fait observer que le droit de faire appel est un élément fondamental du droit à un procès équitable protégé par l’article 7(1)(a) de la Charte qui prévoit que:
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend:
a. le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur ».
57. Ce droit requiert que les personnes concernées aient la possibilité de saisir les juridictions compétentes, d’interjeter appel des décisions ou des actes qui violent leurs droits. Il exige que les États mettent en place des mécanismes de recours en appel et prennent les mesures nécessaires qui facilitent l'exercice de ce droit par les individus, notamment en leur communiquant les jugements ou les décisions contre lesquelles ils souhaitent former un recours.
58. Enl’espèce, la Cour note que le requérant a fait de nombreuses tentatives, mais vaines, en vue d'obtenir auprès de l’État défendeur les copies des comptes rendus d'audience et des jugements. En l'absence de ces documents, le requérant n’a pas pu faire appel de la déclaration de culpabilité et de la peine prononcées contre lui dans les affaires pénales n° 244 de 1995 et n° 278 de 1995 respectivement devant la Haute Cour et ensuite devant la Cour d'appel.
59. II ressort clairement du dossier devant la Cour de céans que le 29 novembre 2000, le requérant avait adressé une lettre au Greffe de district près la Haute Cour à Mwanza pour s'informer de la suite réservée à son avis d'appel relatif à l'affaire pénale no 278 de 1995. La Cour relève qu’en réponse à la lettre du requérant datée du 16 janvier 2004, le Greffier de district près la Haute Cour de Mwanza a, dans une correspondance datée du 9 février 2004, informé ce dernier que la Haute Cour n’avait pas encore reçu du Tribunal de district de Bunda les comptes rendus établis dans les affaires le concernant.
60. Le dossier devant la Cour de céans indique par ailleurs que le magistrat en charge du Tribunal de district à Al dont relève le Tribunal de district de Bunda, a adressé une lettre au requérant à la date du 13 octobre 2010 pour l’informer que les dossiers des deux affaires pénales n'avaient pas été renvoyés par la Haute Cour à laquelle ils avaient été envoyés par lettre datée du 7 novembre 2003 et que le requérant devait par conséquent s'adresser à la Haute à
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Mwanza pour les obtenir.
61. || s'avère que le requérant a sollicité l'intervention de la Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance de l’État défendeur à cet égard, en ce qui concerne l'affaire pénale no 244 de 1995, par lettre datée du 28 décembre 2011. Par lettre datée du 3 juillet 2013, la Commission a informé le requérant que par lettre en date du 11 mai 2012, le Greffier de district près la Haute Cour à Mwanza a fait connaître qu’en dépit de longues recherches, les dossiers des affaires concernant le requérant devant le Tribunal de district de Bunda n’avaient pu être retrouvés.
62. Par ailleurs, les pièces devant la Cour de céans confirment que le requérant avait écrit au Président de la Haute Cour de Mwanza pour assurer le suivi de ses tentatives visant à obtenir les procès-verbaux, en particulier par ses lettres datées du 14 octobre 2005, 18 mars 2005, 28 juin 2005, 2 septembre 2005, 4 décembre 2005, 8 janvier 2006, 2 avril 2007, 24 juillet 2007, 10 septembre 2007, 7 décembre 2007, 9 mars 2008, 15 juin 2008, 30 septembre 2008, 29 décembre 2008, 12 avril 2009, 24 août 2009, 6 décembre 2009, 7 avril 2010, 2 septembre 2010, 14 janvier 2011, 15 août 2011, 18 décembre 2011, 12 septembre 2014, 24 janvier 2015 et 9 avril 2015.
63. Dans la lettre adressée au Président de la Haute Cour à Mwanza le 28 mars 2018, le requérant indique que ses appels n'avaient jamais été mentionnés parce que les comptes rendus d'audience étaient toujours recherchés, alors que le magistrat chargé du Tribunal de district de Aq avait fait croire au requérant qu’il attendait que les dossiers lui soient renvoyés par la Haute Cour où ils avaient été envoyés.
64. Enfin, le requérant avait introduit une requête devant la Haute Cour, demandant l'autorisation de déposer son acte d’appel sans les comptes rendus d'audience, mais la requête avait été rejetée parce que, selon la Cour, faire droit à une telle requête serait peu pratique puisque cela signifierait que la Cour d'appel aurait examiné l'appel sans avoir reçu les comptes rendus et les jugements du Tribunal de première instance contre lesquels le requérant entendait former recours.
65. La Cour conclut en conséquence que, pour n'avoir pas fourni au requérant les copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements dans les affaires pénales n° 244 de 1995 et n° 278 de 1995 jugées par le Tribunal de district de Bunda, l’État défendeur a violé le droit du requérant d’interjeter appel prévu à l’article 7(1)(a) de la Charte.
582 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
B. Violation alléguée du droit à une totale égalité devant la loi et à une égale protection de la loi
66. Le requérant allègue que le manquement par l’État défendeur de mettre à la disposition du requérant les copies des comptes rendus d'audience et des jugements constitue une omission administrative et une violation de son droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi prévu à l’article 3(1) et (2) de la Charte.
67. L'État défendeur réfute cette allégation et réitère que le requérant avait la possibilité de déposer une requête en inconstitutionnalité, recours qu’il lui était loisible d’exercer comme toute autre personne, et qui garantit l'égalité devant la loi et une égale protection de la loi.
68. La Cour relève que l’article 3 de la Charte garantit le droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi en ces termes: «1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi. »
69. Dans le contexte des procédures judiciaires, le droit à l’égalité devant la loi exige que toutes les personnes doivent être traitées équitablement devant les tribunaux et les cours. Le requérant a fait remarquer de manière générale que le refus de lui donner la possibilité de former un recours soit devant la Haute Cour soit devant la Cour d'appel, faute de l’État défendeur de lui avoir fourni les copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements du Tribunal de district de Bunda, constitue une violation de son droit.
70. La Cour réitère que c’est au requérant qu’incombe la charge de justifier le bien-fondé de cette allégation,S mais il n’a pas réussi à établir de quelle manière son droit à l'égalité devant la loi et à une totale protection de la loi a été violé. La Cour a établi que des affirmations d’ordre général ne sont pas suffisantes pour établir que l’État défendeur a violé un droit.
71. La Cour conclut par conséquent que l’État défendeur n’a pas violé les droits du requérant à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi prescrits par l’article 3(1) et (2) de la Charte.
5 Requête 003/2015, Arrêt du 28/09/2017, Af By Ax et un autre c. République-Unie de Ap para 140 ; requête 005/2015. Arrêt du 11/05/2018, Bn Ag Au et Bl Bc Ag c. République-Unie de Ap, para 104.
6 Arrêt Bj Bn c. Ap, $ 140 ; Arrêt Bu Bd Z Ap,
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C. Violation alléguée du droit à la non-discrimination
72. Le requérant soutient que pour ne lui avoir pas fourni les copies certifiées conformes des comptes rendus d’audience et des jugements, l’État défendeur a violé son droit à la non-discrimination énoncé à l’article 2 de la Charte.
73. L'État défendeur rejette cette allégation et soutient que le Requérant n’en a pas rapporté la preuve.
74. _ L'article 2 de la Charte dispose comme suit :
« Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou toute autre opinion, d’origine nationale et sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ».
75. Dans l'affaire Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya, la Cour a noté que le principe de non-discrimination interdit formellement tout traitement différencié des personnes se trouvant dans des contextes similaires sur la base d’un ou de plusieurs des motifs interdits énoncés à l’article 2 de la Charte.” 76. En l'espèce, le requérant n’a pas établi en quoi son droit de n’être pas l’objet de discrimination sur la base de l’un quelconque des motifs interdits à l’article 2 de la Charte a été violé.
77. La Cour conclut par conséquent que l’État défendeur n’a pas violé le droit du requérant à la non-discrimination prévu à l’article 2 de la Charte.
VIII. Sur les réparations
78. Comme indiqué aux paragraphes 24 et 25 ci-dessus, le requérant demande à la Cour de déclarer que l’omission administrative de l’État défendeur est contraire à la Constitution, de rendre une ordonnance déclaratoire enjoignant à l’État défendeur de lui fournir immédiatement les copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements dans les affaires pénales numéros 244 de 1995 et 278 de 1995, et dans le cas où l’État défendeur ne s’exécuterait pas, d’ordonner sa remise en liberté immédiate et rendre toute autre ordonnance ou lui accorder toute autre mesure que la Cour estime appropriées.
79. Dans sa réponse à la requête, tel qu’indiqué aux paragraphes 26 et 27 ci-dessus, l’État défendeur n’a pas abordé les demandes du requérant relatives aux mesures sollicités ; il a plutôt affirmé que la
7 Requête no002/2012. Arrêt du 26/05/2017, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya, para 138.
584 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
requête était irrecevable et que la Cour devrait dire qu’il n’a pas violé les articles 2, 3 (1) et (2) et 7 (1) (a) de la Charte, et que la requête devrait être rejetée avec dépens parce que dénuée de tout fondement. 80. L'article 27(1) du Protocole dispose que : « lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
81. À cet égard, l’article 63 du Règlement est libellé comme suit : « La Cour statue sur la demande.…… dans l'arrêt par lequel elle constate une violation d’un droit de l'homme ou des peuples, ou, si les circonstances l’exigent, dans un arrêt séparé ».
82. La Cour rappelle sa position sur la responsabilité de l’État dans l’affaire Ad Bm Be As c. République-Unie de Ap, dans laquelle elle a estimé que « toute violation d’une obligation internationale qui a causé un préjudice entraîne l'obligation d’une réparation appropriée ».®
83. S'agissant de la question de fournir au requérant les copies certifiées conformes des comptes rendus des audiences et des jugements, la Cour, en vertu de l’article 41 de son Règlement intérieur, avait ordonné à l'État défendeur de les déposer, mais l'État défendeur ne s'était pas exécuté.
84. Pour ce qui est de la demande du requérant d’ordonner sa remise en liberté au cas où l’État défendeur ne lui communiquerait pas les copies certifiées conformes des comptes rendus des audiences et des jugements, la Cour a établi qu’une telle mesure ne peut être ordonnée directement que dans des circonstances exceptionnelles et impérieuses®. La Cour a précisé que « tel serait le cas, par exemple, si un requérant démontre à suffisance ou si la Cour elle-même établit, à partir de ses constatations, que l'arrestation ou la condamnation du requérant repose entièrement sur des considérations arbitraires et que son emprisonnement continu résulterait en un déni de justice. Dans de telles circonstances, la Cour, en vertu de l’article 27(1) du Protocole, ordonne à l’État défendeur de prendre ‘toutes les mesures appropriées’, y compris la remise en liberté du requérant »."°
85. En l'espèce, la Cour a conclu aux paragraphes 65 du présent
8 Requête no011/2011. Arrêt sur les réparations du 13/06/2014, Ad Bm Be As c. République-Unie de Ap, $27.
9 Arrêt Bj Bn c. Ap op. cit, $157 ; Arrêt Bu Bd c. Ap op. cit, $234.
10 Requête no016/2016. Arrêt du 21/09/2018, Ao Br c. République-Unie de Ap, para 101 ; voir également Requête no027/2015. Arrêt du 21/09/2018, An Ar c. République-Unie de Ap, para 82.
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arrêt que l’État défendeur a violé le droit du requérant d’interjeter appel prévu à l'article 7(1) de la Charte, pour ne lui avoir pas communiqué les copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements dans les deux affaires pénales le concernant. Elle relève que c’est du fait de ce manquement que le requérant a passé vingt (20) ans en prison, une période qui représente les deux-tiers de la peine totale de 30 ans d'emprisonnement prononcée à son encontre à la suite de la déclaration de culpabilité, sans qu’il ait pu exercer son droit d’interjeter appel.
86. La Cour considère que ces circonstances constituent un déni de justice et sont suffisamment exceptionnelles pour justifier sa décision de faire droit à la demande du requérant d’ordonner sa remise en liberté comme étant la mesure la plus proportionnelle de le rétablir dans ses droits.
IX. Sur les frais de procédure
87. Le requérant a demandé que les frais de la procédure soient accordés en fonction de la décision finale sur le fond. L'État défendeur a, quant à lui, demandé qu’ils soient mis à la charge du requérant.
88. La Cour fait observer à cet égard que l’article 30 de son Règlement dispose « qu’à moins qu’elle n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
89. La Cour statuera sur les frais de procédure lorsqu'elle examinera les demandes en réparation.
90. Par ces motifs :
La Cour,
À l’unanimité ;
Sur la compétence
i. Déclare qu’elle est compétente ;
Sur la recevabilité de la requête
ii. Rejette l'exception d’irrecevabilité de la requête ;
iii. Déclare la requête recevable ;
Sur le fond
iv. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 2 de la Charte en ce qui concerne le droit à la non-discrimination ;
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 3(1) et (2) de la Charte en ce qui concerne le droit à l'égalité totale devant la loi et à une égale protection de la loi ;
586 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
vi. Dit que l’État défendeur a violé l’article 7 (1) (a) de la Charte pour n’avoir pas fourni au requérant les copies certifiées conformes des comptes rendus d'audience et des jugements dans les affaires pénales n° 244 de 1995 et n° 278 de 1995 devant le Tribunal de district de Bunda, ce qui lui aurait permis d’interjeter appel des décisions rendues dans ces affaires, et ordonne par conséquent à l’État défendeur de fournir lesdits documents au requérant ;
Sur les réparations
vi. Ordonne à l’État défendeur de remettre le requérant en liberté dans les trente (30) jours suivant le présent arrêt ;
vi. Réserve sa décision sur la demande du requérant relative aux autres formes de réparation ;
ix. Autorise le requérant à déposer, conformément à l’article 63 du Règlement intérieur, son mémoire sur les autres formes de réparations dans un délai de soixante (60) jours à compter de la date de la notification du présent arrêt; et l’État défendeur à déposer sa réponse dans les trente (30) jours suivant la réception du mémoire du requérant ;
x. Ordonne à l’État défendeur de soumettre à la Cour un rapport sur les mesures prises relativement au paragraphe (vi) et (vii) ci-dessus dans les 60 jours suivant la notification du présent arrêt ;
Sur les frais de la procédure
xi. Réserve sa décision sur les frais de procédure.
Opinion individuelle : TCHIKAYA
1. Il est des ouvrages, bien qu’étant collectifs et de finalité commune, gardent en eux, des lignes de démarcation individuelle. La décision Ah Ac Bw c. République-Unie de Ap rendue par la Cour africaine suscite cette réflexion. Je partage l'opinion de la majorité des juges quant à la recevabilité, à la compétence" et au
1 La compétence et la recevabilité ne souffraient d'aucune objection. Comme elle l’a établi dans les arrêts Bj Bn c. Ap, 20 novembre 2015 et Bi Bg Aa Z Ap, 28 mars 2014 : toutes les fois où les droits l'homme sont violés alors qu’ils sont protégés par la Charte et les autres instruments de droit de l’homme, la Cour a compétence pour connaitre de l'affaire.
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dispositif, mais je pense que la Cour aurait dû examiner plus avant la question de la consistance des éléments de preuve dont-elle disposait en l’espèce. Se posait la question de la réception des affirmations que M. Ah, présentait à l'appui de ses demandes. Question cruciale, s’il en était une, que la Cour aurait dû détailler.
2. J'estime en effet que la Cour aurait dû porter une attention particulière à cette question qu’appelait le point de droit de cet arrêt. M. Ah, avait-il suffisamment fait la preuve de son allégation principale par laquelle il accusait l'Etat tanzanien de ne pas lui avoir produit les documents nécessaires à sa cause en appel ? La Cour africaine aurait dû s'assurer de cette question et l’instruire préalablement à tout autre aspect de ce contentieux. A fortiori, lorsque l’on sait que le droit international des droits de l'homme dispose d’une jurisprudence abondante? protégeant les droits des personnes contre la non- disposition des documents nécessaires à une procédure. La Cour en avait conscience et il était ici de sa compétence de faire valoir ce droit fondamental. Encore fallait-il qu’il fut manifestement prouvé.
3. Il faut considérer d’une part, l'insuffisance des allégations du fait pour le requérant de ne les avoirs pas étayé (I.) et d’autre part, la preuve des affirmations ont toujours fixés les arrêts de la Cour (II).
I Les affirmations présentées ne sont pas étayées
4. Le requérant demandait à la Cour d’Arusha, siégeant à Tunis, réparation du préjudice résultant du refus de l’État tanzanien de fournir des copies des comptes rendus d'audience des jugements en matière pénale rendus par le Tribunal de district de Bunda et les décisions du 18 juin 1996 et du 15 avril 1996, respectivement, reconnaissant le requérant coupable de l'infraction de vol à main armée et le condamnant à une peine de trente cinq ans de réclusion. I! affirmait aussi les avoir demandé à l’État défendeur à plusieurs reprises, en vain. Il en avait besoin, disait-il, pour interjeter appel. Il alléguait, en plus, que vingt ans se sont écoulés entre sa déclaration de culpabilité et sa condamnation d’une part et le dépôt de sa requête devant la Cour de céans, d'autre part. Du fait du temps écoulé, on peut comprendre que la preuve dans l'appréciation de cette allégation allait revêtir une importance capitale dans le déroulement du procès devant la Cour.
5. Il résultait manifestement de sa requête que le requérant ne contestait pas les charges retenues contre lui, en revanche, ses
2 CJUE, Ay et Ca c. Suède, 20 septembre 2005 (droit d'accès aux informations personnelles figurant dans le dossier détenu par les services publics) ; CEDH Ak c. Pays-Bas, 20 mai 2010 ; CEDH, Gulijev c.Lettonie, 16 décembre 2008 ; CEDH, Ai c. Grèce, 15 octobre 2009.
588 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
revendications portaient sur le fait que l'Etat tanzanien aurait manqué à ses obligations de rendre disponible les moyens juridictionnels en faveur de son ressortissant, conformément à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.° Or, il ressort du dossier que M. Ah a déposé un avis d’appel en date du 16 avril 1996 relatif à l'affaire pénale no 278 de 1995 et un autre avis d'appel daté du 22 juin 1996 concernant l'affaire pénale no 244 de 1995. Conformément au droit tanzanien, ces avis ne constituent des recours en appel proprement dit que suivis d’un dossier d’appel. Ce dossier doit être accompagné de comptes rendus d’audiences de jugement. Ces derniers auraient manqué au requérant pour interjeter appel en bonne et due forme. On lui aurait opposé un refus rendant son dossier d'appel incomplet ou irrecevable.
6. En l’espèce, il parait peu convaincant en l’affaire : 1) : que l'essentiel des éléments décisifs résultent des affirmations de M. Ah et 2) que ces affirmations, ne soient pas vérifiées et suffisamment instruits par la Cour, alors même qu’elle y fonde son dispositif, et enfin 3) Que la Cour se départisse d’une approche qu’elle a toujours eu. Le 23 mars 2018, elle eut cette attention dans l'affaire des Sieurs X Bf AGAe BpY et Bo X AGBb BzY c. Ap dont l’arrêt fut rendu le 23 mars 2018. La Cour y mettait en évidence l'intérêt d’un contrôle plus poussé de la valeur probante des allégations. La Cour semblait avoir fixé sa jurisprudence sur les preuves produites par les parties dans le cadre de sa juridiction dans cette affaire. Se posait le contentieux NGuza, un problème d'identification des accusés. La Cour notait que « La Cour est d'avis que la décision sur la forme d'identification des accusés relève du pouvoir discrétionnaire des autorités nationales compétentes étant donné que ce sont elles qui déterminent la valeur probante de ces éléments de preuve et qu’elles jouissent d’un large pouvoir de discrétion à cet égard. La Cour de céans s’en remet généralement à la décision des juridictions nationales tant que cela ne donne pas lieu à un déni de justice »*. La Cour y donnait une approche concrète à son investigation, une audience publique en fut requise.
3 Les atteintes sont au « droit à l’égalité devant la loi et à l'égale protection de la loi (article 13(1) de la Charte; les atteintes au droit à la protection de ses intérêts par les tribunaux et les organismes publics, le droit à la non-discrimination par les personnes exerçant des fonctions étatiques (article 13(3) de Charte); au droit à un procès équitable, d’interjeter appel ou d'exercer tout autre recours contre la décision d’un tribunal ou de tout autre organe compétent (article 13(6)(a)) de la même charte ; et aussi comme cela induisait une absence à l'observation de la loi nationale, il y avait une atteinte au devoir d'observer et de respecter la Constitution et les lois (article 26(1));...enfin, une atteinte au droit d’interjeter appel (article 7(1)
4 V. B, X Bf, 28 mars 2018, para 89.
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7. Un contentieux est une somme de faits matériels litigieux.® En cela que ces faits constituent des éléments essentiels de la décision. L'exactitude matérielle de ces derniers est consubstantielle à la décision. Ce point constitue un lieu de rencontre du droit interne des droits de l'homme et le droit international qui régit ces droits de l'homme. L'administration de la preuve sera toujours une question juridique autant que pratique. M. Ah vient reconnaitre devant la Cour avoir déposé deux Avis d'appel sans en avoir, par la suite, pu déposer des pièces d’audience. Outre le fait qu’il n’établit pas devant la Cour de céans qu’en présentant son appel que celui-ci eut prospéré, mais il est en outre manifeste que le refus de l'Etat qu’il alègue ne résulte pour la Cour que de son affirmation. || prétend simplement qu’à cause de cela il n’a pu défendre ses chances devant la Cour d’appel. A l'hypothèse même où il n’y aurait pas eu d'avocat, il est possible de penser que M. Ah, de même qu'il a pu déposer les Avis appels, n’a plus poursuivi la procédure normalement, déjà condamné qu’il était du fait de ses infractions lourdement sanctionnées. On peut aussi penser que les démarches multiples que mène le requérant, certains par le biais d'organismes de défense, consisteraient à faire renaître un différend déjà réglé. L'arrêt dit « Le Président du tribunal de district de Mwanza dont dépend administrativement le tribunal de district de Bunda, a écrit au requérant le 13 octobre 2010 pour l’informer que les actes de procédure des d’affaires pénales n’étaient toujours pas revenus de la Haute Cour auprès de laquelle ils avaient été transmis par lettre datée du 7 novembre 2003 ».” De même, on est en droit de penser que les évènements qui suivront par lesquels le requérant a «sollicité l'intervention de la Commission des droits de l'homme et de la bonne gouvernance de l’État défendeur dans ses affaires pénales de 1995 ne peuvent intervenir pour prévaloir sur des décisions judiciaires. La lettre du 3 juillet 2013 par laquelle la Commission a informé le requérant le 11 mai 2012 que les actes de procédure de ses affaires devant le Tribunal de district de Bunda n'avaient pas pu être localisés n’est pas concernée par le point de droit en cause ici, à savoir le délai de recours. En tout hypothèse, si l'Etat avait réellement refusé de produire les documents nécessaires à l’appui de l’appel, après un
5 Mougenot (D. R.), La preuve, Larcier, Bruxelles, 2002, no 14-1.
6 Favoreu (L.), Récusation et administration de la preuve devant la Cour internationale de Justice. À propos des affaires du Sud-Ouest Africain, AFDI, 1965. pp. 233- 277 ; v. aussi Les affaires du ClJ, Détroit de Corfou, A c. Albanie, 25 mars 1948, Rec. 1948, p. 15 ; fond, 9 avril 1949, Rec. 1949, p. 4 ; et, CIJ, Temple de Préah-Vihéar, 26 mai 1961 et 15 juin 1962 M. Ab, Quelques remarques sur la preuve devant la Cour permanente et la Cour internationale, Annuaire suisse de droit international, 1950, p. 97, note 72).
7 v. Arrêt, para 60 et s.
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certain temps, le requérant aurait été fondé à produire son recours, dans un temps qui tient compte du principe général de droit qui veut qu’une cause en procédure soit entendue. M.Mgosi pouvait, de bon droit, faire appel sans ces documents, l’avis d’appel ayant été déposé. 8. Dans cette opinion, comme on pourrait le penser, cette affaire ne donne pas à réfléchir sur l'égalité des armes, principe du système de la Common Law qui prescrit un juste équilibre entre les Parties. Principe auquel on aurait pu avoir recours, si le requérant avait établi le refus de l'Etat. Or, la preuve du refus, ainsi que la Cour l’a souligné la même année « relève du pouvoir discrétionnaire des autorités nationales compétentes étant donné que ce sont elles qui déterminent la valeur probante de ces éléments de preuve et qu’elles jouissent d’un large pouvoir de discrétion à cet égard ». Revenu sur ses demandes en vue d’obtenir les copies des comptes rendus des audiences et des jugements, la requête a été rejetée le 21 septembre 2015, au motif qu’elle était sans fondement.
9. Les éléments ci-dessus montrent l'importance de l’administration de la preuve qui a toujours fixée les arrêts de la Cour.
I. La preuve des affirmations a toujours fixé l’arrêt de la Cour
10. Seules les affirmations prouvées font le contenu des décisions juridictionnelles.® Dans l’affaire CADHP, Bd c. Tanzanie°, la Cour avait souligné qu’il « appartient à la partie qui allègue avoir été victime d’un traitement discriminatoire d’en apporter la preuve ». C’est le caractère décisif reconnu à la preuve des affirmations avancées devant un prétoire. De bon droit, on considère que dans la mesure où les affirmations sont prouvées, le dispositif doit pouvoir s’en ressentir. La Cour, à mon avis, devrait considérer cette requête comme non fondée pour défaut de preuve.
11. Le caractère essentiel des preuves concrètes apportées à l’appui d’une affirmation oriente, comme il est naturel, la décision juridictionnelle. M. Ah n'apporte pas à la Cour des éléments concrets
8 v. CEDH, Affaire Bx c. Allemagne, 1“ juin 2010 : Le requérant saisit la Cour en alléguant une violation de l’article 3 CEDH au motif que le traitement auquel il aurait été soumis lors de l’interrogatoire de la police nationale relatif à l'endroit où se trouvait l'enfant qu’il avait enlevé est constitutif de torture. L'utilisation des éléments de preuve matériels obtenus grâce à ses aveux et qui l’incriminaient auraient dû être exclue par respect le droit le procès équitable. Le tribunal avait émis un basé sa décision sur ces éléments de preuve, l’article 6 CEDH sur le droit à un procès équitable aurait été violé. V. aussi : CEDH, 1er juin 2010, Bx c. Allemagne (requête 22978/05), Recueil des arrêts et décisions 2010-IV, pp. 327- 407.
9 CADHP, Bu Bd c Bh Am C Ap, 03 juin 2016.
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d’une démarche à fin d’appel, il se contente d’affirmer de n’avoir pas pu le faire alors même qu’il avait dépassé, conformément au système tanzanien, le stade de l’Avis d'appel. La Cour ne devrait pas accéder à ses demandes. Elle a indiqué dans l'affaire Bj Bn c. Ap"° que « des affirmations d’ordre général selon lesquelles sont droit a été violé et ne sont pas suffisantes. Des preuves concrètes sont requises ». On comprend le sens de sa décision en l’espèce.
12. M. Ah n'aurait pas bénéficié de la disponibilité des juridictions nationales. La violation de l’article 7 (1°)" de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples a été retenue dans le dispositif de l’arrêt. A mon sens cet aspect — disponibilité de la justice - n’intervient pas pleinement dans les manquements qu’aurait éventuellement commis l'Etat. Tout en restant solidaire la majorité de mes collègues, il convient de relever que la question posée porte sur l’inconséquence et l'absence de rigueur du requérant dans l'usage des moyens d'action mis à leur disposition. De refuser à un justiciable des moyens d'action peut signifier lui refuser de l’action dont il s’agit, mais en l'occurrence, il semble possible de dire que ce ne fut pas le cas. Le premier point du dispositif devrait être précisé.
13. La Cour avait eu à examiner les comportements fautifs des juridictions internes. La requérante en l'espèce relevait l’impartialité des juges pour établir des manquements sanctionnés par la Charte. Dans le cas de Bn Ag et autres c. Ap — décision du 11 mai 2018 - dont la finalité visait l’absence d'équité juridictionnelle. Comme en l'espèce, la Cour africaine a estimé que la requérante n’avait pas prouvé que les magistrats des juridictions nationales étaient partiaux, pour entraîner une violation du droit d’être jugé par un tribunal impartial.” Dans l’espèce, la Cour, tout en citant sa jurisprudence — Abubakari'® — avait noté que les juridictions internes ont déterminé qu'il existait des preuves au-delà de tout doute raisonnable que les requérants avaient commis le crime dont ils étaient accusés. Le rapport avec le cas examiné réside dans le fait que la décision Ah met en retrait la vérification nécessaire et approfondie des affirmations et des allégations du requérant sur son initiative d’interjeter appel. Un doute raisonnable persiste.
10 CADHP, Bj Bn v Bh Am C Ap, 20 novembre 2015.
11 Cet article dit que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend: le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur… ».
12 CADHP, Bn Au Ag and Bl Bc Ag AH Bh Am C Ap, 11 mai 2018, para 104.
13 CADHP, Bu Bd AH Bh Am C Ap, 03 juin 2016.
592 RECUEIL DE JURISPRUDENCE DE LA COUR AFRICAINE VOL 2 (2017-2018)
14. Une particularité mérite d'être soulignée. Elle est liée aux spécificités du contentieux de la Cour. Celle-ci est, au surplus, présente dans l'espèce Ah. Si la charge de la preuve n’incombe pas toujours aux requérants en contentieux des droits de l'homme, il est souhaitable que la Cour fasse du principe un usage raisonnable. Il est de bon droit que la personne qui allègue une pratique ou une initiative fautive génératrice de dommage en fasse la preuve. L'adage est universellement connu : « actori incumbit probatio, reus in excipiendo fit actor » (Celui qui affirme un droit doit le prouver). Les éléments matériels des atteintes aux droits de l'homme conduisant à la Cour, sont souvent, extrêmement dommageables, et viennent, après de longues procédures internes. L'émergence, au niveau international, de la preuve est à la fois nécessaire et complexe. Le juge africain des droits de l'homme, comme ici dans Ah, doit s'y confronter.
15. Partageant avec mes Collègues, la décision au fond, je formule néanmoins cette opinion individuelle afin d’insister sur l'insuffisance devant la Cour des affirmations non étayées ou non prouvées.