La Cour composée de :
Sylvain ORÉ, Président ;
Ben KIOKO, Vice-président ;
Rafaâ BEN ACHOUR, Ângelo V. MATUSSE, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA, Stella I. ANUKAM et Imani D. ABOUD- Juges ;
et de Robert ENO, Greffier.
En application de l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d'une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole ») et de la Règle 9(2)1 du Règlement intérieur de la Cour (ci-après dénommé « le Règlement »), la Juge M-Thérèse MUKAMULISA, de nationalité rwandaise, s’est récusée.
En l'affaire : Léon MUGESERA,
Représenté par :
i.Me Geneviève DUFOUR, Professeur à l’Université de Sherbrooke ;
ii.Dr. David PAVOT, Université de Sherbrooke ;
iii. Me Philippe LAROCHELLE, Cabinet Roy Larochelle Avocats Inc.
Contre RÉPUBLIQUE DU RWANDA Non représentée
Après en avoir délibéré, rend le présent arrêt par défaut:
I. LES PARTIES
1. Le Sieur Léon Mugesera (ci-après dénommé « le Requérant ») est un ressortissant rwandais qui a été extradé par le Gouvernement du Canada vers la République du Rwanda (ci-après dénommée « l’Etat défendeur ») le 24 janvier 2012. A la date du dépôt de la Requête, le Requérant était en garde à vue dans l’attente des procédures judiciaires engagées à son encontre pour crime de génocide perpétré en 1994. Il reproche à l’État défendeur la violation de son droit au procès équitable et des mauvais traitements en détention.
2. L’’Etat défendeur est devenue partie à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 25 mai 2004. L'État défendeur a également déposé, le 22 janvier 2013, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il acceptait la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales. Cependant, le 29 février 2016, l’État défendeur a porté à la connaissance de la Commission de l'Union africaine sa décision de retirer ladite déclaration. La Cour a rendu, le 3 juin 2016, un arrêt indiquant que le retrait de la déclaration prendrait effet le 1er mars 20172.
II. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Le Requérant affirme que durant la procédure judiciaire entreprise à son encontre entre 2012 et 2016 pour crime de génocide, la Chambre de la Haute cour chargée des crimes internationaux et la Cour suprême du Rwanda ont commis plusieurs irrégularités, tant en ce qui concerne la procédure que les conditions dans lesquelles les autorités pénitentiaires l’ont détenu et traité. Le Requérant affirme saisir la Cour de céans après avoir tenté en vain de remédier à ces irrégularités et d’obtenir une amélioration de ses conditions de détention auprès des autorités compétentes de l’Etat défendeur.
B. Violations alléguées
4. Le Requérant allègue :
i. la violation de son droit à un procès équitable, notamment :
a) le droit à la défense ;
b) le droit à l’assistance judiciaire ;
c) le droit d'être entendu par une juridiction indépendante et impartiale ;
ii. la violation de son droit de ne pas être soumis à de traitements cruels, inhumains et dégradants ;
iii. la violation de son droit à l’intégrité physique et mentale ;
iv. la violation de son droit à la famille et à l’information.
III. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
5. La Requête a été reçue au Greffe le 28 février 2017. Elle été notifiée à l’État défendeur ainsi qu’aux entitées prévues par le Protocole
6. Le 12 mai 2017, le Greffe a reçu une lettre émanant de l’État défendeur rappelant à la Cour le retrait de la déclaration prévue à l'article 34(6) du Protocole et informant la Cour qu'il ne participerait à aucune procédure devant elle. Il demandait également à la Cour de s'abstenir de transmettre toute information portant sur des affaires concernant le Rwanda, jusqu'à ce qu'il réexamine la Déclaration et communique sa position à la Cour.
7. Le 22 juin 2017, la Cour a répondu à la lettre de l’État défendeur, rappelant que
La Cour étant une institution judiciaire et qu’en vertu du protocole et du règlement de la Cour, elle est tenue d'échanger tous documents de procédure avec les parties concernées. En conséquence et conformément à ces exigences, tous les actes de procédure relatifs à une affaire à laquelle le Rwanda est partie devant la Cour de céans vous seront transmis jusqu'à la conclusion formelle de celle-ci.
8. Sur demande du Requérant déposée le 28 février 2017, la Cour a rendu le 28 septembre 2017, une Ordonnance de mesures provisoires, dans laquelle elle a ordonné à l’État défendeur de permettre au requérant d’avoir accès à ses avocats ; d’être visité par les membres de sa famille et de communiquer avec eux, sans aucun obstacle ; de permettre au Requérant d’avoir accès à tous les soins médicaux nécessaires et de s’abstenir de toute mesure qui pourrait avoir une incidence sur son intégrité physique et mentale.
9. Le 7 novembre 2017, le Greffe a informé les parties que, suite à la décision de l'État défendeur de ne pas participer à la procédure, la Cour a décidé, en vertu de l’article 55 du Règlement3, et dans l’intérêt de la justice, de rendre un arrêt par défaut, au cas où des conclusions n’auraient pas été déposées dans les quarante-cinq (45) jours.
10. Le 6 août 2018, le Requérant a déposé ses observations préliminaires et le 23 novembre 2018 ses conclusions définitives sur les réparations. Les deux mémoires ont été notifiés à l'État défendeur pour qu'il y réponde dans un délai de trente (30) jours.
11. Après diverses prolongations de délai, la procédure écrite a été clôturée le 30 Octobre 2020, et les Parties en ont été dûment notifiées.
IV. MESURES DEMANDÉES PAR LE REQUÉRANT
12. Le Requérant demande à la Cour de prendre les mesures suivantes :
i. Dire que l'État défendeur a violé les droits garantis par la Charte, notamment en ses articles 4, 5, 6, 7, 9(1), 18(1) et 26 ;
ii. Ordonner sa remise en liberté ;
iii. Désigner un médecin indépendant chargé d'évaluer son état de santé et de déterminer les mesures nécessaires pour lui apporter une assistance ;
iv. Ordonner à l’État défendeur de mettre en place une procédure impartiale et indépendante pour la suivre de près le respect des droits du Requérant ;
v. Ordonner les mesures de réparation appropriées ;
vi. Ordonner toutes autres mesures ou accorder toute autre réparation que la Cour estime appropriée ;
vii. Ordonner l’État défendeur de respecter les droits fondamentaux du Requérant dans les procédures en cours et à venir et soumettre, dans les six (6) mois, un rapport sur respect des dispositions de la Charte ;
viii. Adjuger les frais à la charge de l’État défendeur.
V. SUR LA DEFAILLANCE DE L’ÉTAT DÉFENDEUR
13. La Règle 63 du Règlement dispose :
1. Lorsqu’une partie ne se présente pas ou s’abstient de faire valoir ses moyens dans les délais fixés, la Cour peut, à la demande de l’autre partie ou d'office, rendre un arrêt par défaut après s'être assurée que la partie défaillante a été dûment notifiée de la requête et de toutes les autres pièces pertinentes de la procédure.
2. La Cour peut, sur demande motivée de la partie défaillante, et dans un délai n’excédant pas une année à compter de la notification de l'arrêt, annuler un arrêt rendu par défaut conformément à l'alinéa 1er du présent article.
14. La Cour note que la Règle 63(1) du Règlement ci-dessus cité pose trois conditions pour rendre un arrêt par défaut, à savoir :
i) la défaillance de l’une des parties,
ii) la demande faite par l’autre partie ou d’office et
iii) la notification à la partie défaillante tant de la requête que des pièces du dossier.
15. Sur la défaillance de l’une des parties, la Cour note que l’État défendeur avait, le 12 mai 2017, indiqué son intention de suspendre sa participation à la procédure et demandé la cessation de toute transmission de pièces relatives aux procédures dans les affaires pendantes le concernant. La Cour considère que par ces demandes, l’État défendeur s’est volontairement abstenu de faire valoir ses moyens de défense.
16. Sur la deuxième condition, la Cour note qu’aucune des parties ne lui a demandé de rendre un arrêt par défaut. Cependant, pour les besoins d’une bonne administration de la justice, la Cour décide d’office de rendre un arrêt par défaut dès lors que les autres conditions prévues à la Règle 63(1) du Règlement sont remplies.4
17. S’agissant enfin de la notification à la partie défaillante, la Cour note que la Requête a été servie à l’État défendeur le 3 avril 2017, et toutes les pièces de procédure ont été notifiées à l’État défendeur jusqu’au 30 octobre 2020, date de la clôture des débats. La Cour en conclut que la partie défaillante a été dûment notifiée.
18. Sur la base de ce qui précède, la Cour va s’assurer que les autres conditions requises à la Règle 63 sont remplies, c’est-à-dire qu’elle est compétente, que la requête est recevable et que les prétentions du requérant sont fondées en fait et en droit.5
VI. SUR LA COMPÉTENCE
19. L’article 3(1) du Protocole dispose que :
La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.
20. Par ailleurs, aux termes de la Règle 49(1) de son Règlement6, « [l]a Cour procède à un examen de sa compétence ... conformément à la Charte, au Protocole et au présent Règlement. »
21. Il résulte des dispositions ci-dessus que la Cour doit, pour toute requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer sur les exceptions, le cas échéant.
22. La Cour constate que rien dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas compétente en l’espèce. Elle conclut qu’elle a :
i. La compétence matérielle, étant donné que les violations alléguées concernent les articles 4, 5, 6, 7(1)(a)(c)(d), 9(1),18(1) et 26 de la Charte, instrument ratifié par l'État défendeur, dont la Cour est investie du pouvoir d’interpréter et l’appliquer, en vertu de l'article 3 du Protocole ;
ii. La compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur est partie au Protocole et a déposé la Déclaration prévue à l’article 36(4) du Protocole qui permet au Requérant de saisir directement la Cour. I s’y ajoute que la Requête a été déposée le 28 février 2017, soit avant le 1er mars 2017, date à laquelle le retrait de ladite déclaration prenait effet, tel qu’indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt ;
iii. La compétence temporelle, dans la mesure où les violations alléguées sont continues de par leur nature, le Requérant toujours en détention dans les conditions qu’il considère inadéquates7 ;
iv. La compétence territoriale, les faits de la cause s’étant produits sur le territoire d'un État partie au Protocole, à savoir l'État défendeur.
23. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu'elle est compétente en l’espèce.
VII. SUR LA RECEVABILITÉ
24. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [l]a Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».
25. La Règle 49(1) du Règlement8 prévoit en outre que « [l]a Cour procède à un examen ... de la recevabilité des requêtes conformément à la Charte, au Protocole et au présent Règlement ».
26. La règle 50(2) du Règlement9qui reprend en substance l’article 56 de la Charte dispose :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions ci-après :
a) Indiquer l’identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date où la Commission a été saisie de l’affaire ;
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte.
27. En application de la Règle 49(1) du Règlement, la Cour procède à l’examen des conditions de recevabilité de la Requête.
28. La Cour note que le Requérant allègue que la Requête respecte toutes les autres conditions de recevabilité prévues à la Règle 50 du Règlement.
29. La Cour relève également qu’il ressort du dossier que le Requérant est bien identifié, que les termes utilisés dans la Requête ne sont pas outrageants ou insultants, que la Requête n’est pas incompatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte, que le Requérant a produit ou fait référence à des documents de nature diverse comme éléments de preuve et qui ne font pas référence à des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse.
30. S’agissant de l'épuisement des recours internes, le Requérant affirme les avoir tous épuisés, la Cour suprême du Rwanda ayant rendu, le 6 juin 2016, sur le siège, une décision sur l’affaire10. Il allègue que « [l]es décisions de la Cour suprême ne sont susceptibles d'aucun recours en vertu de l'article 144 de la Constitution de la République du Rwanda ». Il allègue en outre que « [d]ans son jugement, la Cour suprême a reconnu qu'il y avait eu violation grave et délibérée des droits fondamentaux et constitutionnels du requérant ».
31. Toujours, selon le Requérant, « [s]ubsidiairement, si la Cour estime que le Requérant n'a pas épuisé tous les recours internes, ceux-ci doivent être considérés comme étant inefficaces, inaccessibles et insuffisants pour quatre raisons : l'absence d'un pouvoir judiciaire indépendant ; lorsqu'il n'y a pas chance de succès, le caractère passif des autorités nationales face aux accusations de violation de leurs droits par des agents de l'État et les difficultés linguistiques du Requérant ». Pour étayer son affirmation, le Requérant cite l’arrêt de la Cour de céans dans l’affaire Tanganyika Law Society & The Legal and Human Rights Centre and Reverend Christopher R. Mtikila c. République-Unite de Tanzanie,et celle de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaireVan Oosterwijck c. Belgique.11***
32. La Cour note que l’article 144 de la Constitution de l’État défendeur du 4 juin 2003, dispose que « [l]a Cour Suprême est la plus haute juridiction du pays. Ses décisions ne sont susceptibles d'aucun recours si ce n'est en matière de grâce ou de révision. ». La question à trancher, dès lors, est relative à la preuve de l’épuisement des recours internes, le Requérant n’ayant pas produit une copie de la décision de la Cour Suprême. Sur cette question, la Cour avait conclu que : [c']est une règle fondamentale de droit que quiconque formule une allégation doit en apporter la preuve. Toutefois, en ce qui concerne les violations des droits de I'homme, cette règle ne peut s'appliquer de manière rigide12.
33. La Cour a estimé qu'en ce qui concerne les faits sous contrôle de l’État défendeur, la charge de la preuve peut être déplacée vers le défendeur, à condition que le Requérant présente toute preuve prima faci eà l’appui de son allégation13. En l’espèce, la Cour note qu’il ressort des allégations du Requérant que le 13 mai 2016 il a transmis un recours contre la décision de la Chambre de la Haute Cour pour les crimes internationaux et transfrontaliers du 15 avril 2016 à la Cour suprême, qui a rendu sa décision le 6 juin 2016, sur le siège.
34. La Cour estime que sur la base des informations mentionnées ci-dessus sur le recours et la décision de la Cour Suprême, la charge de la preuve est déplacée vers l'État défendeur. Et aucun élément de preuve contraire n’étant produit par l’État défendeur, la Cour conclut qu'elle n'a aucune raison de considérer que les recours internes n'ont pas été épuisés.
35. La Cour note en outre que la non-exécution de la décision de la Cour Suprême par la Chambre de la Haute Cour chargée des crimes internationaux démontre qu’en l’espèce, il n’est pas raisonnable de renvoyer le Requérant devant la même juridiction dont la décision s’est révélée inefficace dans son cas.
36. En ce qui concerne la soumission de la Requête dans un délai raisonnable, la Cour note que les recours internes ont été épuisés le 6 juin 2016, date de la décision de la Cour Suprême, et la Requête a été déposée à la Cour le 28 février 2017, soit huit (8) mois et vingt-deux (22) jours. La Cour doit donc décider si, en l’espèce, la Requête a été déposée dans un délai raisonnable au sens de la Règle 50(2)(f) du Règlement.
37. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle « le caractère raisonnable du délai de saisine dépend des circonstances spécifiques de l’affaire et devrait être déterminé au cas par cas. »14
38. La Cour a estimé acceptable qu’un requérant attende la décision définitive d’une procédure engagée au niveau national, s’il attend raisonnablement de ladite procédure qu’elle aboutisse à une décision en sa faveur.15 En l’espèce, la Cour note que le Requérant a eu une décision favorable de la Cour Suprême. Il était donc raisonnable qu’il attendît son exécution par la Chambre de la Haute Cour chargée des crimes internationaux. Ainsi, la Cour considère que le délai de huit (8) mois et vingt-deux (22) jours écoulé entre la décision de la Cour Suprême et sa saisine est raisonnable.
39. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la présente Requête remplit toutes les conditions de recevabilité et la déclare recevable.
VIII. SUR LE FOND
40. La Cour relève que le Requérant allègue un certain nombre de violations du droit à un procès équitable, à savoir :
i) le droit à la défense ;
ii) le droit à une assistance judiciaire ;
iii) le droit d'être jugé devant une juridiction indépendante et impartiale.
Il allègue aussi l'atteinte à son intégrité physique et mentale et la violation de son droit à la famille et à l'information. A. Violation alléguée du droit à un procès équitable
i. Sur le droit à la défense
41. Le Requérant soutient que son droit à la défense inscrit à l'article 7(1)(a) de la Charte a été violé, du fait de divers actes commis par les autorités rwandaises, à savoir :
le refus d’écouter ses arguments, ses experts et ses témoins16, ainsi que le fait que« sa requête en jugement interlocutoire devant la Cour suprême du Rwanda a également été rejetée »;
ii. le défaut de le juger dans une langue de son choix et « [b]ien que le français soit l'une des trois langues officielles du Rwanda, le procès s'est déroulé en Kinyarwanda17», une langue que ses conseils ne parlent pas18;
iii. le refus du Ministère public de lui fournir les informations nécessaires à la préparation de sa défense, alors que la Chambre de la Haute Cour pour les crimes internationaux avait enjoint au Procureur de fournir les ressources nécessaires à sa défense19. Le bureau du Greffier avait alors remis le dossier du Requérant à son avocat sur clé USB (disque flash) en janvier 2017, mais les fichiers étaient illisibles ;
iv. la Haute Cour pour les crimes internationaux a entendu les plaidoiries et les arguments du Procureur général du Rwanda, mais a refusé d’entendre la réponse du Requérant, lui déniant ainsi le droit à l'égalité des armes lors du procès20.
42. La Cour relève que les allégations du Requérant soulèvent trois questions, relatives à : i) l'audition de témoins ; ii) la langue de la procédure ; et iii) l’absence d’informations permettant une préparation adéquate de la défense. Ces questions relèvent de l’article 7(1)(c) de la Charte, qui dispose que « [t]oute personne ...a droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix. Elles relèvent également de l’article 14(3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après dénommé « le PIDCP
»), qui dispose que « [t]oute personne accusée d’un crime a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes: a) à être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle ; b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ».
43. La Cour considère qu’une lecture conjointe des dispositions des deux articles, révèle que le droit à la défense inclut « [...] le droit de l'accusé d'être complètement informé des charges portées à son encontre21... », l'obligation d'entendre les témoins de l'accusé22 et de garantir la présence d’un interprète si l'accusé ne comprend pas la langue de la procédure23.
44. La Cour tient à rappeler que l’absence de l’une des parties ne dispense pas le Requérant de l’obligation d’apporter les éléments de preuve, même prima facie, pour que les allégations soient crédibles. En l'espèce, le Requérant affirme que ses avocats étrangers (Mme Melissa Kanas des États-Unis d'Amérique et M. Gershom Otachi Bw’omanwa du Kenya) ne parlent pas le Kinyarwanda, sans démontrer qu'il avait demandé la présence d’un interprète. Par ailleurs, l’un des membres de son équipe est un ressortissant rwandais. En l'absence d'éléments complémentaires, la Cour rejette cette demande.
45. La Cour note que le Requérant allègue le refus par la Chambre de la Haute cour pour les crimes internationaux d’ « entendre ses arguments, ses experts et ses témoins », ainsi que le fait que « sa requête en jugement interlocutoire devant la Cour suprême rwandaise fut également rejetée» et que le Procureur refusa de lui fournir les informations nécessaires à la préparation de sa défense.
46. La Cour note que ces allégations sont étayées par la lettre du Conseil du requérant datée du 20 avril 2012, adressée au procureur Général, par laquelle il soulève la difficulté à préparer sa défense à cause des obstacles créés par les autorités judiciaires et pénitentiaires.
47. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que les allégations du Requérant sont prouvées et conclut qu'il y a eu violation du droit du Requérant à la défense, prévu à l'article 7(1)(a) de la Charte.
ii. Sur le droit à l’assistance judiciaire
48. Citant la jurisprudence de la Cour24 et celle de la Commission25, le Requérant affirme que, bien que l'État défendeur se soit engagé envers le Gouvernement du Canada à lui fournir une assistance judiciaire, cela n’a pas été le cas, l’État défendeur ayant refusé de le considérer comme indigent, alors qu’il ne disposait pas de ressources suffisantes pour rémunérer les services d'un avocat.
49. Selon le Requérant, son avocat, Me Jean-Félix Rudakemwa, a été condamné à une amende de 400 000 francs CFA (près de 610 €), au motif qu'il avait retardé le procès de manière non raisonnable. Les autorités ont ordonné qu'il ne se présente plus devant le tribunal tant qu'il n'aurait pas payé l'amende. Selon le Requérant, ce montant représente près de 13 (treize) mois de salaire brut moyen au Rwanda.
50. En conclusion, le Requérant soutient que par son inaction et du fait de son refus de lui fournir une assistance judiciaire, l’État défendeur a renié les garanties qu’il s’était engagé à respecter devant le Gouvernement du Canada, violant de ce fait l’article 7(1)(c) de la Charte. D’après le Requérant, la mise à disposition d’une assistance judiciaire et son efficacité constituent « un élément fondamental du droit à un procès équitable ».
51. La Cour rappelle qu’en vertu de l'article 7(1)(c) de la Charte, « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : ... c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix. »
52. La Cour relève que même si l’article 7(1)(c) de la Charte ne prévoit pas expressément le droit à une assistance judiciaire gratuite, cette assistance est un droit intrinsèque au droit à un procès équitable, en particulier le droit à la défense garanti à l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP26.
53. La Cour note que le paragraphe 1erde la lettre d’engagement de l’État défendeur vis-à-vis du Gouvernement du Canada dispose que [l’]accusé bénéficiera d’un procès équitable conformément à la législation nationale et aux garanties de procès équitable contenues dans d’autres instruments internationaux ratifiés par la République du Rwanda », notamment la Charte, le PIDC, les Conventions de Genève de 1949 et les Protocoles I et II de 197727.
54. La Cour relève, en outre, qu’aux termes du paragraphe 1 alinéa g) de la même lettre, que l’État défendeur s'était engagé spécifiquement à garantir au Requérant : Le droit de se défendre lui-même ou par le biais d'une assistance judiciaire de son choix ; d’être informé de ce droit s'il ne bénéficie pas de l'assistance juridictionnelle et se voir assurer une assistance judiciaire dans les cas où l'intérêt de la justice l'exige, sans paiement par le / la bénéficiaire s’il n’a pas les moyens suffisants pour le faire.
55. Dans le cas d’espèce, la Cour fait observer que dans sa lettre d’engagement, l’État défendeur s’engage à donner l’assistance judiciaire gratuite en vertu des conditions prévues par la loi rwandaise et le droit international.
56. La Cour en conclut que l’engagement n’a pas créé d'obligation pour l'État défendeur au-delà de ce qui est déjà prévu à l’article 7(1)(c) de la Charte en ce qui concerne l’assistance judiciaire.
57. S’agissant des conditions requises pour bénéficier de l’assistance judiciaire, la Cour a toujours considéré que toute personne accusée d’un crime avait automatiquement droit à une aide juridictionnelle gratuite, même sans en faire la demande, lorsque l'intérêt de la justice l'exige, notamment si cette personne est indigente, si l'infraction est grave et si la peine prévue par la loi est lourde28.
58. En l’espèce, le Requérant était accusé d’un crime international, à savoir le génocide, puni de la peine d’emprisonnement à perpétuité conformément à l’article 115 du Code pénal rwandais adopté par la nº 01 du 02 mai 2012. En conséquence, Il ne fait aucun doute que l’intérêt de la justice justifiait l’octroi d’une assistance judiciaire gratuite, si le Requérant prouve qu’il ne dispose pas des moyens nécessaires pour rémunérer son propre conseil.
59. Toutefois, la Cour relève que, d'une part, le Requérant affirme qu’il est indigent sans fournir d'éléments de preuve à cet effet29et, d'autre part, il ressort du dossier qu’en plus d’un avocat rwandais, le Requérant était assisté de deux avocats étrangers, ce qui démontre qu’il avait au moins pu s’assurer les services d’un avocat de son choix. La Cour en conclut que le Requérant ne remplit pas les conditions justifiant l’octroi de l’assistance judiciaire, telle que prévue à l’article 7(1)(c) de la Charte et à la lettre d’engagement de l’État défendeur devant le Gouvernement du Canada.
60. Pour ce qui est de l'amende infligée au conseil du Requérant, la Cour note que les États peuvent réglementer la pratique du droit et même infliger des sanctions aux avocats qui violent les obligations et les normes professionnelles ou déontologiques30. Ces sanctions sont le résultat du comportement personnel du conseil, qui peut avoir recours aux mécanismes de défense juridiques existants. Pour cette raison, le lien entre l’amende infligée à son conseil et le droit du Requérant à l’assistance judiciaire n’ayant pas été établi, la demande est rejetée sur ce point.
61. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation selon laquelle le droit du Requérant à une assistance judiciaire a été violé.
iii. Sur le droit d'être entendu par une juridiction indépendante et impartiale
62. Le Requérant allègue que le pouvoir judiciaire rwandais n’est ni indépendant ni impartial, du fait que « l[']Honorable juge Athanase Bakuzakundi a été remplacé le 15 septembre 2014 par un nouveau juge, deux ans après le début du procès, soit le 12 septembre 2012, alors que la plupart des témoins à charge et les observations orales avaient été entendus ».
63. Le Requérant, en se référant au rapport du Groupe de travail du Conseil des droits de l’homme en charge de l’examen périodique et Human Rights Watch, allègue également l’intervention du pouvoir exécutif dans la nomination des juges, en violation de la Constitution rwandaise31 et a encore plus amplement dénoncé le manque allégué d'indépendance des magistrats32 en 2015. Selon le Requérant, la situation serait encore plus dramatique pour les personnes de l’ethnie hutue qui sont des opposants au régime de Paul Kagamé33. Le Requérant affirme que les pressions exercées sur le pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif sont encore plus grandes lorsqu'il s'agit d'affaires à caractère politique34.
64. Pour étayer ses affirmations, le Requérant rappelle les déclarations de l'ancien ministre de la Justice, M. Stanislas Mbonampeka35, selon lesquelles « Léon Mugesera ne pourra certainement pas bénéficier d’un procès équitable au Rwanda, étant donné que l’exécutif tient toutes les institutions d’une main de fer, y compris la magistrature ». Il cite, en outre, les rapports de diverses organisations, à savoir Commonwealth Human Rights Initiative (2008); Human Rights Watch, 2015; le Comité des droits de l'homme, 201636. Les rapports de cettes organisations font état de leurs réserves ou préoccupations sur l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire rwandais.
65. Le Requérant cite par ailleurs l'affaire Brown, dans laquelle «la Haute Cour de justice d'Angleterre a refusé d'expulser un citoyen rwandais à la demande de son gouvernement37: ladite Cour a estimé en effet que l'expulsion risquait de provoquer un déni de justice, du fait du manque d'indépendance et d’impartialité des tribunaux rwandais ».
66. Toujours selon le Requérant, « du fait de l'ingérence du gouvernement et des pressions politiques exercées sur le pouvoir judiciaire, des doutes sérieux peuvent être soulevés quant à l’impartialité de la Haute Cour du Rwanda » et il affirme que tout cela équivaut à une violation des articles 7(1)(d) et 26 de la Charte.
67. La Cour fait observer que l’article 7(1)(d) de la Charte dispose que « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : ...
d) le droit d'être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».
68. La Cour note, en outre, que, sur le même sujet, l'article 26 de la Charte dispose que « [l]es États parties à la présente Charte ont le devoir de garantir l'indépendance des Tribunaux... ».
69. La Cour note que la notion d'indépendance judiciaire implique essentiellement la capacité des tribunaux à s'acquitter de leurs fonctions sans ingérence extérieure et sans dépendre d'aucune autre autorité gouvernementale38 ou des parties.
70. La Cour estime que la lecture conjointe des dispositions ci-dessus ne signifie pas que le remplacement ou la substitution de juges soient interdits au cours d'une procédure judiciaire et que la modification de la composition ou la substitution d’un juge constituent, en soi, une violation de l'indépendance ou de l'impartialité d'une juridiction.39
71. La Cour est d’avis que le changement d’un juge peut être une forme d’ingérence s’il a été déterminé ou fait pour satisfaire la volonté d’un autre organe ou l’une des parties, en violation des principes d’une bonne administration de la justice.
72. En l'espèce, le Requérant évoque simplement un changement de juge, sans indiquer dans quelle mesure cela constitue un parti pris ou de quelle manière l'indépendance de la Chambre de la Haute Cour pour les crimes internationaux serait affectée. La Cour estime aussi que les allégations sur le manque d’Independence du pouvoir judiciaire de l’État défendeur, notamment les rapports internationaux, la décision de la Haute Cour d’Angleterre de refuser l’extradition d’un rwandais vers son pays d’origine et la déclaration de l’anciens Ministre rwandais de la Justice, sont des allégations générales qui ne démontrent pas leur lien avec son cas. La Cour de céans a jugé que « [d] es affirmations d'ordre général selon lesquelles un droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des preuves plus concrètes sont requises. »40
73. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que les allégations du Requérant ne sont pas étayées et conclut, en conséquence, que l’État défendeur n’a pas violé son droit d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial prévu aux articles 7(1)(d) et 26 de la Charte. B. Sur l’allégation de traitements cruels, inhumains et dégradants
74. Le Requérant affirme être « victime de traitements cruels, inhumains et dégradants et de menaces constantes, en violation de l'article 5 de la Charte », étant donné que « Juste avant son extradition du Canada en 2012, le gouvernement rwandais avait créé une atmosphère de peur et d'intimidation par la retransmission en boucle du discours prononcé par M. Mugesera en 199241 ».
75. Il affirme également qu'il « vivait dans un climat de terreur, étant donné qu’il figurait sur la liste de personnes qui devaient être exécutées, dressée par le gouvernement rwandais le 14 janvier 199442 ». Depuis son arrivée au Rwanda, le Requérant affirme avoir été soumis à des menaces et à des humiliations constantes43. Il a constamment reçu des menaces de mort de la part de responsables rwandais (agents des services secrets44, officiers de police et gardiens de prison)45 .
76. Le Requérant allègue en outre que « le 24 mars 2016, il a été transféré à la prison de Nyanza, à l'extérieur de Kigali, et que sa famille n'en avait pas été informée pendant plusieurs jours ».
77. Il allègue également que son « régime alimentaire est médiocre. En effet, ses repas sont souvent oubliés et son régime à base de fruits46n’est pas respecté, pas plus que son régime sans cholestérol »47. Il affirme qu’il ne « reçoit pas le pain de blé entier nécessaire à son alimentation et considéré comme un véritable médicament compte tenu de sa maladie48. C'est pour cela qu’il est privé de petit-déjeuner depuis le 24 mars 201649 ».
78. À l’appui de ses affirmations, il cite les rapports de Human Rights Watch et du Haut-Commissaire aux droits de l'homme, ainsi que ceux de la Commission, la jurisprudence de la Commission et de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, qui « donne une large interprétation de cette interdiction, car le fait de créer une situation menaçante peut constituer un traitement inhumain ».
79. L’article 5 de la Charte est libellé comme suit : Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes d'exploitation et d'avilissement de l'homme notamment l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites.
80. La Cour fait observer que le respect des droits de l'homme, dans leur ensemble, vise à protéger la dignité de la personne humaine. Toutefois, aux termes de l’article 5 de la Charte, la protection de la dignité humaine revêt une forme spécifique qui consiste à interdire les traitements susceptibles de la restreindre, à savoir l’esclavage, la traite des personnes, la torture et toute autre forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Ainsi, la Cour partage l’opinion de la Commission selon laquelle l'article 5 de la Charte « peut être interprété comme s'étendant à la protection la plus large possible contre les abus, qu'ils soient physiques ou mentaux »50
81. La Cour estime que la cruauté ou l'inhumanité du traitement doit impliquer un certain degré de souffrance physique ou mentale de la personne, ce qui dépend de la durée du traitement, des effets physiques ou psychologiques du traitement, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la personne. Tout cela doit être analysé au cas par cas51.
82. La Cour relève qu’en l'espèce, les questions relatives à l'esclavage, à la traite des esclaves et à la torture ne se posent pas et le Requérant ne soutient pas que ces pratiques ont eu lieu. Il ne reste donc qu’à examiner les allégations du Requérant dans le cadre de l'interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants inscrite à l'article 5 de la Charte.
83. La Cour rappelle que le Requérant allègue : i) la rediffusion à plusieurs reprises du discours qu'il a prononcé en 1992 ; ii) l'inclusion de son nom sur la liste des personnes à exécuter ; iii) les menaces de mort de la part des agents de l'État défendeur ; et (iv) le refus de lui fournir une nourriture adéquate et une privation de communication avec sa famille et ses avocats.
84. La Cour relève que la question qui se pose est celle de la charge de la preuve des allégations, qui incombe en premier lieu au Requérant, mais cette charge de la preuve peut être renversée, si le Requérant rapporte une preuve prima facieà l’appui de ses allégations52.
85. La Cour fait observer que l'allégation relative à la rediffusion à plusieurs reprises du discours que le Requérant a prononcé en 1992 n'est pas étayée, car les références présentées à titre de preuve ne contiennent aucune information à cet effet. Cette demande est donc rejetée.
86. S’agissant de l'allégation relative à l'inclusion de son nom sur la liste des personnes à exécuter, le Requérant n'a pas présenté de preuve prima facie permettant de déplacer la charge de la preuve. La déclaration d'Alexandra Marcel du 3 janvier 2012, citée par le Requérant, ne contient aucune référence à une liste de personnes à exécuter sur laquelle figurerait son nom.
87. En ce qui concerne les allégations de menaces de mort, de privation de nourriture et privation de communication avec la famille et ses avocats, le Requérant a engagé de multiples démarches au sujet du traitement dont il a fait l’objet de la part des autorités, à savoir : la lettre au Procureur général de la République du Rwanda du 20 avril 2012 portant sur la difficulté de communiquer avec sa famille et ses avocats, et sa privation de nourriture ; la lettre du 21 février 2017, adressée au directeur de la prison de Nyanza en demandant l’autorisation pour communiquer avec ses avocats ; la lettre du 14 février 2017, adressée à M. Yves Rusi (son fils) relative aux menaces de mort de la part de responsables rwandais.
88. La Cour note que les lettres auxquelles il est fait référence ci-dessus justifient que la charge de la preuve soit renversée, compte tenu du fait que le Requérant est incarcéré et qu'il lui est difficile de produire une preuve supplémentaire en dehors des démarches qu'il affirme avoir entreprises53. La Cour estime également pertinent, pour le renversement de la charge de la preuve, que le Requérant ait expressément mentionné la date à partir de laquelle il a été privé du petit-déjeuner, soit le 24 mars 2016.
89. La Cour rappelle qu'il incombe à l'État défendeur de prendre toutes les mesures appropriées pour protéger les détenus et de mettre en place des mécanismes de contrôle du comportement des gardiens de prison54. En l'absence d'informations contraires concernant les allégations de menaces de mort et de privation de nourriture adéquate, la Cour estime que ces allégations sont fondées.
90. La Cour estime que la dignité de la personne humaine est incompatible avec les menaces de mort à l’endroit des détenus de la part des agents pénitentiaires. Outre ces menaces, la privation de nourriture adéquate, l'accès limité au médecin et aux médicaments, l'absence d'oreiller orthopédique, les difficultés à établir un contact avec la famille et avec son conseil entraînent la démoralisation et la dégradation de la condition physique et mentale du détenu. La Cour note que le Requérant était déjà malade, âgé et en détention depuis janvier 2012.
91. Compte tenu ce qui précède, la Cour considère que cette situation constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant du Requérant, en violation de l'article 5 de la Charte.55
92. La Cour note en outre que conformément à l’article 11 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants56, lu conjointement avec l’article 16 de ladite Convention, l’État défendeur a l’obligation d’exercer une surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques d'interrogatoire et sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit sur tout territoire sous sa juridiction...
93. La Cour note qu’il résulte des allégations du Requérant que l’État défendeur après avoir été informé à travers le Procureur Général et le Directeur de la prison, sur les conditions de sa détention du Requérant et le traitement dont il a fait l’objet, n’a pas pris des mesures appropriées pour corriger les mauvais traitements dont le Requérant se disait victime. La Cour en conclut que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à ne pas être soumis à de traitements cruels, inhumains et dégradants
C. Sur la violation alléguée du droit à l’intégrité physique et mentale
94. Le Requérant soutient que depuis son retour au Rwanda et son emprisonnement en 2012, l'État défendeur a violé son droit à l'intégrité physique et mentale de sa personne garanti à l'article 4 de la Charte. Selon lui, cette violation est perpétrée « en l'isolant de tout contact avec ses proches parents et sa défense, en refusant de lui administrer la médicamentation adéquate et de lui apporter les soins nécessaires, le requérant se voit exposé à un traitement inhumain pouvant avoir des répercussions graves et irrémédiables sur sa santé physique et mentale ».
95. Le Requérant affirme avoir « subi des traitements inhumains et dégradants portant atteinte à sa santé physique telle [sic] que le non-accès à un médecin, l'annulation de ses rendez-vous médicaux, le refus de lui accorder une lumière adaptée à sa vue dans sa cellule ou encore l'accès à un oreiller orthopédique ». Il fait valoir que « ces conditions portent atteinte, par ricochet, à [son] intégrité mentale... [et] le fait d’isoler le Requérant de sa famille et de sa défense augmente sa détresse psychologique. » Il soutient, en outre, « ... qu’il devrait avoir accès à un psychiatre pour soigner les répercussions mentales provoquées telles que les troubles du sommeil et le traumatisme de perte de vue jour après jours, sans qu’aucune aide ne lui soit accordée ».
96. Il affirme encore qu’il arrive qu’il «... soit soigné par une personne qui se présente comme un infirmier mais qui, dans les faits, est un surveillant reconverti en infirmier et ne disposant d’aucun diplôme ».
97. Le Requérant soutient que « depuis son arrivée au Rwanda, [il] a un régime alimentaire déficient. En effet, il y a parfois des oublis de repas et son régime à base de fruits57, ainsi que son régime sans cholestérol58. Plus exactement, le Requérant ne reçoit pas le pain de blé entier pourtant nécessaire à son régime alimentaire et considéré comme un véritable médicament au regard de sa maladie59. De ce fait, il est privé de petit déjeuner depuis le 24 mars 2016 »60 .
98. Citant la jurisprudence de la Commission61, le Requérant fait valoir que l’article 4 de la Charte est violé lorsque l’État expose un individu « à des souffrances dans sa personne et ... [le] prive de sa dignité ».
99. La Cour note que l’article 4 de la Charte est libellé comme suit : « La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne : Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit ».
100. La Cour rappelle qu’elle a déjà estimé que « [c]ontrairement aux autres instruments relatifs aux droits de l’homme, la Charte établit une connexion entre le droit à la vie et l’inviolabilité et l’intégrité de la personne humaine »62 et que le droit à la vie au sens de l’article 4 doit être compris dans son acception physique, non dans son sens existentiel63, c’est-à-dire, « une existence décente ... ».64
101. La Cour note que la question qui se pose ici est celle de savoir si les faits présentés par le Requérant relèvent du droit à la vie physique ou droit à une existence décente. Elle fait observer que les faits présentés par le Requérant, en théorie, sont susceptibles de mettre en cause la vie physique. En conséquence, elle examinera cette allégation à la lumière de cet aspect du droit à la vie.
102. La Cour réaffirme que le droit à la vie est le fondement de tous les autres droits et libertés et que priver quelqu’un de la vie rend sans objet ses droits et libertés. C’est dans cette logique que l’article 4 de la Charte interdit strictement la privation arbitraire de la vie.65
103. En ce qui concerne la vie des détenus, la Cour partage l’opinion de la Commission selon laquelle États parties à la Charte ont l'obligation « d’assurer les conditions nécessaires à une vie digne, notamment en fournissant de la nourriture, de l’eau, une ventilation adéquate, un environnement exempt de maladies et des soins de santé appropriés ... ».66
104. La Cour relève la situation de privation de nourriture au Requérant, ses mauvaises conditions de sommeil, sa détention en isolement et le non-accès à des soins médicaux adéquats et à l’examen psychiatrique. Elle relève en outre que l’éclairage insuffisant de sa cellule affecte sa vue. Cette situation du Requérant est suffisamment grave et susceptible de causer sa mort, compte tenu son état de santé déjà faible, telle que le démontrent les rapports médicaux disponibles dans le dossier devant la Cour de céans.
105. La Cour relève que les allégations du Requérant sont étayées par plusieurs courriers qu'il a envoyés pour signaler le traitement qu’il a subi de la part des autorités. Ces courriers sont, premièrement, la lettre du 4 avril 2016 adressée par le Conseil du Requérant au Procureur Général du Rwanda pour dénoncer les annulations des rendez-vous médicaux du 10 mars 2016 (médecin ophtalmologue), du 25 avril 2016 (médecin interniste), l’épuisement des médicaments stockés, le refus au médecin d’accéder au Requérant en prison pour lui administrer des soins, la privation pendant 42 jours du petit déjeuner (pain de blé entier) prescrit par le médecin; et deuxièment, la lettre du Conseil du Requérant datée du 28 décembre 2016 dans laquelle il dénonce les mêmes situations en impliquant directement l’infirmière titulaire du dispensaire de la prison de Nyanza (Mpanga) qu’il accuse de violations de l’éthique médicale mettant gravement en danger la vie et la santé du Requérant.
106. La Cour note que le 20 avril 2012 le Conseil du Requérant avait déjà adressé une lettre au Procureur Général du Rwanda soulevant les mêmes préoccupations, notamment, l’isolement du Requérant du fait qu’il ne pouvait pas contacter sa famille facilement, en particulier, sa femme, et ses avocats, ainsi que le problème de l’inadéquation de la nourriture. Elle note en outre la lettre du Requérant adresse au Directeur de la prison de Nyanza le 21 février 2017, dans laquelle demande à être autorisé à contacter ses avocats devant la Cour ; et l’annexe nº 11 relative aux Observations adressés à son fils Ives Rusi, sur les conditions de détention du Requérant, dans lesquelles il fait état du non-accès au médecin, d'une annulation de rendez-vous, d'un éclairage insuffisant dans la cellule et de l'absence d'oreiller orthopédique.
107. La Cour estime que les éléments de preuve fournis par le Requérant sont suffisants et conclut que le traitement dont il a fait l’objet constitue une violation de son droit à la vie, garanti à l'article 4 de la Charte. D. Sur la violation alléguée du droit du Requérant à la famille et à l’information
108. Le Requérant allègue que sa famille n’a pas eu de ses nouvelles durant plusieurs jours, suite à son transfert à la prison de Nyanza, ce qui constitue, selon lui, une privation du droit à l’information prévu à l’article 9(1) de la Charte. Il soutient en outre « ... que l’absence d’informations sur le sort du Requérant et les difficultés manifestes rencontrées encore récemment pour le contacter constituent des violations des articles 6 et 7 de la Charte africaine ».
109. Le Requérant soutient que son droit inscrit à l’article 18(1) de la Charte a été violé, du fait « qu’à partir du 27 avril 2012, il a obtenu le droit d’appeler sa famille les mercredis et de recevoir des appels de son épouse le dimanche, et ce, pour une durée de dix minutes chaque semaine. Son droit de communiquer avec sa famille a été limité du fait qu’à plusieurs reprises les gardiens de la prison lui ont refusé l’accès à un appareil téléphonique, obligeant ainsi son épouse à appeler plusieurs fois avant de pouvoir parler à son mari ».
110. Le Requérant affirme en outre qu'il a été transféré dans une autre prison à l'insu des membres de sa famille et que ses conversations téléphoniques avec son avocat et sa famille ont été mises sur écoute.
111. La Cour relève que l'allégation relative à la communication du Requérant avec sa famille et son avocat, y compris pendant la période où il a été transféré dans une autre prison, a déjà été examinée à la lumière des dispositions des articles 5 et 7(1)(c) de la Charte, relatives à l’intégrité physique et mentale de sa personne et son droit à la défense, respectivement.
112. En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 6 de la Charte, la Cour est d’avis qu’il s’agit d’une allégation qui n’est pas l’objet de la présente affaire, le Requérant ne contestant pas la légalité de sa détention mais plutôt les conditions de détention.
113. Concernant la l’allégation de violation du droit à l’information, l’article 9(1) de la Charte dispose que « 1. Toute personne a droit à l'information. 2. Toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements. »
114. La Cour fait observer que le Requérant n’apporte aucun élément pour étayer cette allégation de violation. La Cour de céans a jugé que « [d] es affirmations d'ordre général selon lesquelles un droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des preuves plus concrètes sont requises ».67
115. Pour ce qui est de l’allégation de violation du droit à la famille, l’article 18(1) de la Charte dispose que « la famille est l’élément naturel et la base de la société. Elle doit être protégée par l’État qui doit veiller à sa santé physique et morale».
116. La Cour est d’avis que le droit à la famille implique, entre autres, le fait de pouvoir vivre ensemble ou, au moins, que les membres de la famille puissent se contacter. En effet, la question qui se pose ici est de savoir si les restrictions imposées au Requérant constituent une violation de son droit à la famille.
117. La Cour relève que le droit à la famille admet des restrictions. Toutefois, ces restrictions doivent être justifiées conformément à l’article 27(2) de la Charte, notamment le respect des droits d’autrui, de la sécurité collective, de la moralité et de l’intérêt commun.68
118. La Cour note que l’exercice de ce droit est naturellement limité par le simple fait qu’un membre de la famille est en détention comme c’est le cas du Requérant. Cependant, le détenu « doit disposer de facilités raisonnables pour recevoir les visites de sa famille, sous réserve des restrictions visant la bonne administration de la justice, la sécurité de l’institution et des détenus »69.
119. En l’espèce, le Requérant reconnaît que les visites en prison de sa famille sont autorisées et qu’il a obtenu le droit d’appeler sa famille les mercredis et de recevoir des appels de son épouse les dimanches pour une durée de dix (10) minutes. Par contre, le Requérant allègue que la communication avec sa famille a été limitée du fait qu’à plusieurs reprises, les gardes pénitentiaires lui ont refusé l’accès au téléphone, ce qui obligeait son épouse à appeler plusieurs fois avant de pouvoir lui parler.
120. La Cour fait observer que cette allégation du Requérant est étayée par la lettre du 20 avril 2012 adressée par son Conseil au Procureur Général du Rwanda dans laquelle il a soulevé la question de son isolement du fait des difficultés à contacter sa famille, en particulier, sa femme.
121. La Cour note que les raisons pour lesquelles la durée de la communication entre le Requérant et sa famille était fixée à dix (10) minutes ne ressortent pas du dossier. En conséquence, la Cour n’est pas en mesure d’examiner la conformité des restrictions imposées au Requérant avec les conditions prévues à l’article 27(2) de la Charte. Par ailleurs, le Requérant ne conteste pas le temps que lui est réservé pour téléphoner à sa famille. Cependant, la Cour considère que le non-respect par les autorités pénitentiaires des facilités offertes au Requérant pour communiquer avec sa famille constitue une violation de son droit à la famille prévu à l’article 18(1) de la Charte.
IX. SUR LES RÉPARATIONS
122. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner des mesures pour remédier aux violations de ses droits, y compris l’annulation de sa condamnation et sa remise en liberté, et de désigner un médecin indépendant pour évaluer son état de santé. ***
123. L’article 27(1) du Protocole dispose que « [l]orsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
124. La Cour estime que pour que des réparations soient accordées, la responsabilité internationale de l’État défendeur doit être établie au regard du fait illicite. Par ailleurs, le lien de causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. En outre, et lorsqu’elle est accordée, la réparation doit couvrir l’intégralité du préjudice subi. Il est également clair qu’il incombe au requérant de justifier les demandes formulées70. Comme la Cour l’a indiqué précédemment, le but des réparations est de faire en sorte que la victime se retrouve dans la situation qui aurait été la sienne si les violations constatées n’avaient pas été commises71.
125. En ce qui concerne le préjudice matériel, la Cour rappelle qu’il est du devoir du requérant de fournir des preuves à l’appui de ses prétentions pour toute perte matérielle alléguée. Toutefois, eu égard au préjudice moral, la Cour réaffirme sa position selon laquelle un préjudice est présumé en cas de violation des droits de l’homme et l’évaluation du quantum doit être entreprise en toute équité compte tenu des circonstances de l’affaire72. La pratique de la Cour, dans de tels cas, consiste à accorder des sommes forfaitaires en réparation du préjudice moral73.
126. La Cour rappelle qu’elle a déjà constaté que l’État défendeur a violé les droits du Requérant prévus aux articles 7(1)(c), 4, 5 et 18(1) de la Charte. C’est à la lumière de ces constatations que la Cour examinera les demandes de réparation formulées par le Requérant. A. Réparations pécuniaires
127. Le Requérant demande des réparations pécuniaires pour le préjudice matériel et le préjudice moral subis par lui-même et par les victimes indirectes des violations.
i. Sur le préjudice matériel
128. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de lui verser des dommages et intérêts pour le préjudice matériel relatif à ses soins de santé, aux honoraires d’avocat et autres frais encourus.
a. Sur le préjudice matériel relatif aux soins de santé
129. Le Requérant allègue que « les atteintes à [sa] santé morale et physique ... sont telles que de nombreux traitements sur une longue période, voire pour le restant de sa vie, sont requis ».
130. Le Requérant allègue que « [à] défaut de connaitre l’étendue des atteintes à [sa] santé morale et physique ..., l’exercice consistant à déterminer les coûts financier d’une prise en charge médicale exhaustive advenant de [sa] libération, ne peut être qu’approximatif ». En effet, il demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur le paiement des dommages-intérêts évalués à deux-cent quatre-vingt mille (280 000) dollars des États-Unis au total, calculés « sur la base d’une espérance de vie estimée à 80 ans et de besoins de soins de santé évalués à 20 000 USD par année ... ». ***
131. La Cour note qu’il ressort du dossier que le Requérant ne paie pas ses soins de santé pendant sa détention, ceux-ci étant à la charge de l'État défendeur.
132. La Cour note que le Requérant demande les réparations évaluées à la somme totale de deux-cent quatre-vingt mille (280 000) dollars des États-Unis. Selon le Requérant, cette somme est calculée « sur la base d’une espérance de vie estimée à 80 ans et de besoins de soins de santé évalués à 20 000 USD par année ».
133. La Cour note que le Requérant demande des réparations pour des préjudices matériels futurs, sans démontrer dans quelles circonstances ils se produiront. En conséquence, la Cour rejette la demande du Requérant. b. Sur les honoraires d’avocat devant les juridictions nationales
134. Le Requérant réclame quatre-vingt-quatorze mille deux-cent soixante-et-un et soixante-seize centimes (94 261,76) de dollars des États-Unis pour les débours et des honoraires dus à l’avocat Me Jean-Félix Rudakemwa « pour ses six années d’investissement dans l’affaire devant les tribunaux rwandais ».
135. Le Requérant allègue que « ce montant est établi conformément au Modèle A du barème des honoraires du Conseil de défense de personnes jugées au Rwanda suivant le renvoi d’une juridiction étrangère et en vertu des engagements du gouvernement rwandais de consacrer des ressources financières à l’assistance judiciaire de telles personnes... »
136. La Cour rappelle que conformément à sa jurisprudence, la réparation peut inclure le paiement des honoraires d'avocat et autres frais encourus au cours d'une procédure interne74. Il revient au Requérant de fournir la justification des sommes réclamées75.
137. La Cour note que le Requérant n’a produit aucun accord d'assistance judiciaire passé avec son conseil devant les juridictions nationales, Me Jean-Félix Rudakemwa, mais uniquement des reçus des frais de transport et la demande de payement des honoraires adressée par le Conseil au Requérant. La Cour relève cependant qu'il ressort du dossier que Me Jean-Félix Rudakemwa, avocat rwandais, a effectivement représenté le Requérant devant les juridictions nationales.
138. Le Requérant note que le Requérant réclame quatre-vingt-quatorze mille deux-cent soixante-et-un et soixante-seize centimes (94 261,76) de dollars des États-Unis pour les débours et des honoraires dus à l’avocat Me Jean-Félix Rudakemwa « pour ses six années d’investissement dans l’affaire devant les tribunaux rwandais ».
139. La Cour note qu’il est compris dans ce montant
i) l’amende payée par l'avocat – un million six-cent quarante-sept mille (1 647 000 Fr) francs rwandais (mille six-cent quarante-sept et cinq centimes (1 647,05) dollars des États-Unis);
ii) le transport aller-retour, 40 fois, de la prison de Kigali à Nyanza – trois millions six-cent mille (3 600 000,00 Fr) francs rwandais (quatre mille sept-cent cinq et quatre-vingt-huit centimes (4 705,88) dollars des États-Unis) ;
iii) transport aller-retour de Kigali à Nairobi – trois-cent cinquante (350) dollars des États-Unis ; iv) frais de séjour à Nairobi pour quatre jours – quatre-cent (400) dollars des États-Unis;
iv) autres frais (débours) – sept mille deux-cent-deux et quatre-vingt-quatorze centimes (7 202,94) dollars des États-Unis.
140. S'agissant de l'amende infligée à l'avocat rwandais, la Cour rappelle qu'elle a constaté au paragraphe 60 du présent arrêt qu'il s'agissait d'un problème qui concernait le comportement de l'avocat lui-même et non celui du Requérant et qui ne relève donc pas de l’espèce. Cette demande est donc rejetée.
141. Pour ce qui est des frais de transport de l'avocat rwandais qui s'est rendu quarante (40) fois en prison pour rendre visite au Requérant et de son voyage à Nairobi, la Cour estime qu'il s'agit de frais relevant de la préparation de la défense. La Cour note que le Requérant n’a pas présenté la preuve du paiement des montants invoqués. Toutefois, compte tenu du fait que le Requérant a engagé un avocat ce que lui a certainement entrainé des dépenses, et en tenant compte qu’il a eu gain de cause en partie, la Cour estime plus appropriée de statuer en équité et d’accorder au Requérant la somme forfaitaire de dix millions (10 000 000) francs rwandais à titre de débours et frais d’honoraires pour sa représentation devant les juridictions internes76.
ii. Préjudice moral
a. Sur le préjudice moral subi par le Requérant
142. Le Requérant fait valoir que les violations alléguées lui ont provoqué des «souffrances aiguës, le désespoir, le stress, l’inquiétude permanente», «l’anxiété et la détresse», «la perte progressive des inéluctables de sa vie», «l’éloignement de la famille, le sentiment d’impuissance .... une mort lente programmée par l’État défendeur», ce qui lui «accroit les ennuis, inconvénients, troubles, souffrance, peines et stress». En conséquence, il demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de lui verser « 500 USD par jour, soit un total de 1 095 000 USD pour six (6) ans (365 jours x 6) passés dans le système de justice pénale de l’État défendeur ».
143. La Cour rappelle que le préjudice moral englobe la souffrance, l’angoisse et la modification des conditions de vie du requérant et de sa famille77. La Cour rappelle en outre que le lien de causalité entre l’acte illicite et le préjudice moral « peut résulter de la violation d’un droit de l’homme, comme une conséquence automatique, sans qu’il soit besoin de l’établir autrement »78. 144. En outre, la Cour a également jugé que l'évaluation des montants à octroyer au titre du préjudice moral devait être faite en toute équité et en tenant compte des circonstances de l'espèce79. Dans de tels cas, la norme générale applicable est d’attribuer des montants forfaitaires80.
145. La Cour note, en l’espèce, que la demande de réparation du préjudice moral du Requérant résulte de la constatation par la Cour que l’État défendeur a violé des droits du Requérant prévus aux articles 4, 5 et 18(1) de la Charte. Cependant, la Cour estime que le montant demandé par le Requérant à titre de compensation pour le préjudice moral subi, soit un million et quatre-vingt-quinze mille (1 095 000) dollars des États-Unis, est excessif.
146. À la lumière de ces considérations et sur la base de l’équité, la Cour estime que le Requérant a droit à compensation pour le préjudice moral subi et lui accorde dix millions (10 000 000 Fr) francs rwandais81.
b. Sur le préjudice moral subi par les victimes indirectes
147. Le Requérant demande des réparations en faveur de ses proches parents en tant que victimes indirectes, comme suit :
39 i. Soixante-cinq mille (65 000) dollars des États-Unis pour son épouse (Mme Gemma Uwamariya) ; et ii. Quarante-cinq mille (45 000) dollars des États-Unis pour chacun de ses deux enfants (Carmen Nono et Yves Rusi).
40 matrimonial en question est prouvé par la déclaration sous serment de Mme. Gemma Uwamariya.
151. S’agissant d’Yves Rusi, la Cour note que deux documents relèvent pour la détermination de sa relation de filiation avec le Requérant : la procuration délivrée par le Requérant Yves Musi en sa qualité de fils du Requérant et la procuration délivrée par Yves Rusi aux avocats du Requérant invoquant aussi la même qualité.
152. En ce qui concerne Carmen Nono, la Cour relève que le caractère inquisitoire du contentieux international des droits l’homme et la Règle 55 du Règlement85lui permettent de procurer d’office tous les éléments de preuve qu’elle estime apte à l’éclairer sur les faits de la cause86. En l’espèce, il est de domaine public que Carmen Nono est membre de la famille du Requérant, son nom figurant notamment dans les différentes affaires devant les juridictions canadiennes comme tel87.
153. Pour ce qui est de la détermination des montants de la réparation pécuniaire d'un préjudice moral, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu'elle a adopté la pratique d’accorder des montants forfaitaires88, calculés en toute équité, en tenant compte des circonstances particulières de chaque espèce89.
154. La Cour relève qu'en l'espèce, le Requérant a calculé le montant de la compensation sur la base du nombre de jours passés en détention. Au paragraphe 112 du présent arrêt, la Cour a conclu que la Requête ne porte pas sur la légalité de la détention elle-même, mais plutôt sur les conditions de détention. Par conséquent, le montant de la réparation tient compte de la durée de la violation et non du caractère illégal de la détention.
155. La Cour relève également que les violations constatées sont suffisamment pertinentes pour causer des souffrances non seulement au Requérant, mais aussi aux membres de sa famille, en l'occurrence l'épouse, en particulier compte tenu des difficultés d'accès au Requérant, de la dégradation de son état de santé telle que prouvé par les rapports médicaux soumis et du fait qu'il ait signalé le traitement qu’il subit en prison.
156. Au vu ce qui précède et sur la base de l’équité, la Cour accorde cinq millions (5 000 000 Fr) francs rwandais à chacun des membres de la famille du Requérant, à savoir : Mme Gemma Uwamariya, sa femme, Carmen Nono et Yves Rusi.
B. Réparations non pécuniaires
i. Sur l’annulation de la condamnation et remise en liberté du Requérant
157. Le Requérant demande à la Cour d'annuler sa condamnation et d'ordonner sa remise en liberté. ***
158. Relativement à la demande d’annulation de la condamnation et sa remise en liberté, la Cour rappelle qu’elle a toujours jugé que de telles mesures ne peuvent être ordonnées que dans des circonstances exceptionnelles et impérieuses90.
159. En ce qui concerne spécifiquement la remise en liberté, la Cour a établi qu’elle n’ordonnerait une telle mesure que :
Si un requérant démontre suffisamment ou si la Cour elle-même établit à partir de ses conclusions que l’arrestation ou la condamnation du Requérant est entièrement fondée sur des considérations arbitraires et que son maintien en détention entraînerait un déni de justice.91
160. La Cour relève que dans le cas d’espèce, le Requérant n’a pas fait état de telles circonstances. Par ailleurs, dans les violations alléguées, le Requérant ne met en cause que ses conditions de son incarcération, et non la légalité de sa détention. En conséquence, la Cour rejette la demande du Requérant.
ii. Sur les mesures de réhabilitation
161. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner la désignation d’un médecin indépendant chargé d'évaluer son état de santé et de déterminer les mesures nécessaires à son assistance.
162. La Cour fait observer qu'elle a constaté que le Requérant avait été soumis à des traitements cruels, inhumains et dégradants et que sa vie, sa santé physique et mentale étaient mises en danger, en violation des articles 4 et 5 de la Charte, respectivement.
163. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu'une évaluation indépendante de la santé physique et mentale du Requérant par un expert est nécessaire aux fins d'un traitement approprié et, en conséquence, fait droit à la demande du Requérant.
iii. Sur la demande de purger le reliquat de la peine au Canada
164. Le Requérant demande « [d]’enjoindre l’État défendeur d’entamer des discussions avec le Canada afin de [lui] permettre ... de purger le reliquat de sa peine dans ce pays. » ***
165. La Cour note qu’en principe, une personne condamnée par une juridiction nationale, purge la peine dans le territoire de l’État en cause, sauf accord avec d’autre État où le condamné purgera sa peine. En l’espèce, la Cour estime que la demande du Requérant relève du domaine souverain de l’État défendeur et du Canada.
166. En conséquence, la demande du Requérant est donc rejetée. iv. Sur l’application des sanctions contre l’État défendeur
167. Le Requérant demande à la Cour de « [s]aisir la Commission de l’Union Africaine et la Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement en cas d’inexécution par l’État défendeur de l’arrêt rendu dans la présente affaire, afin de leur recommander l’adoption de sanctions contre l’État défendeur, incluant, si nécessaire, une suspension de son statut de membre de l’Union africaine jusqu’à prévue de l’exécution complète de l’arrêt ».***
168. L’article 31 du même texte dispose que « [l]a Cour soumet à chaque session ordinaire de la Conférence un rapport annuel sur ses activités. Ce rapport fait état en particulier des cas où un Etat n’aura pas exécuté les décisions de la Cour. »
169. La Cour note que les dispositions de cet article lui donnent le pouvoir de suivre l’exécution de ses décisions. En cas de constation de la non-exécution, elle en fait rapport au Conseil exécutif de l’Union africaine.
170. La Cour note que dans le cas d’espèce, la demande du Requérant tend à lui faire anticiper les deux phases. Par ailleurs, si la compétence de la Cour de suivre d’exécution de ses décisions est couverte par l’article 30 du Protocole, la proposition à la Commission l’initiative d’application des sanctions à l’État défendeur, relève du mandat du Conseil exécutif de l’Union africaine, conformément à l’article 31 du Protocole.
171. Au vu de ce qui précède, la demande du Requérant est rejetée.
X. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
172. Le Requérant réclame soixante-quinze mille (75 000) dollars des États-Unis pour les conseils Geneviève Dufour et David Pavot, quinze mille (15 000) dollars des États-Unis pour le bureau d’assistance juridique internationale de l’Université de Sherbrooke et trente mille (30 000) dollars des Etats-Unis pour le Conseil Philippe Larochelle. ***
173. La Cour note que la Règle 32(2) du Règlement92 prévoit que « sauf décision contraire de la Cour, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
174. La Cour rappelle, comme dans ses arrêts précédents, que la réparation peut inclure le paiement des frais de justice et autres frais encourus dans le cadre d'une procédure internationale93. Le Requérant doit, cependant, justifier les montants réclamés94.
175. La Cour relève que le Requérant n'a présenté aucun accord d'assistance judiciaire passé avec les avocats, ni le reçu des paiements qu’ils ont perçus. Il se contente d’énumérer les montants des honoraires des différents avocats. Toutefois, la Cour note que trois (03) avocats (Geneviève Dufour, David Pavot et Philippe Larochelle) ont représenté le Requérant devant elle et, par conséquent, elle présume que le Requérant doit payer ses honoraires. 176. La Cour considère que le Requérant ayant en partie eu gain de cause, elle estime plus approprié de statuer en toute équité et de lui accorder la somme forfaitaire de dix millions (10 000 000) francs rwandais, à titre des honoraires pour ses avocats95. XI. DISPOSITIF
177. Par ces motifs, LA COUR, Par défaut À l’unanimité:
Sur la compétence
i. Déclare qu’elle est compétente.
46 Sur la recevabilité
ii. Déclare la Requête recevable. Sur le fond À l’unanimité :
iii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte en ce qui concerne l’allégation du Requérant relative à la non-comparution de ses témoins à décharge ;
iv. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3) du PIDCP, et la lettre d’engagement de l’État Défendeur devant le Gouvernement du Canada, en ce qui concerne le droit du Requérant à l’assistance judiciaire gratuite ; À la majorité de neuf (9) juges pour et un (1) juge contre, le Juge Rafaâ BEN ACHOUR ayant émis une opinion dissidente :
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à être entendu par une juridiction indépendante et impartiale, prévu aux articles 7(1)(d) et 26 de la Charte ; À l’unanimité :
vi. Dit que l’État défendeur a violé l’article 5 de la Charte pour avoir soumis le Requérant à un traitement cruel, inhumain et dégradant ;
vii. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à la vie prévu à l’article 4 de la Charte, pour atteinte contre sa vie ;
viii. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à la famille prévu à l’article 18(1) de la Charte, en ce qui concerne le contact avec les membres de sa famille.
À l’unanimité :
Sur les réparations Réparations pécuniaires
ix. Rejette la demande du Requérant relative au préjudice matériel subi du fait de son emprisonnement ;
x. Rejette la demande du Requérant relative au remboursement du montant de l’amende imposée à son avocat rwandais, Me Jean-Félix Rudakemwa, en ce qu’il ne relève pas de cette affaire ;
xi. Octroie dix millions (10 000 000 Fr) francs rwandais au Requérant à titre des honoraires avec l’avocat devant les juridictions internes.
xii. Fait droit à la demande de réparation du Requérant pour le préjudice moral subi par lui et par les victimes indirectes, et leur accorde une indemnisation comme suit :
a. Dix millions (10 000 000 Fr) francs rwandais au Requérant ;
b. Cinq millions (5 000 000 Fr) francs rwandais à chacun, à savoir : Mme Gemma Uwamariya, épouse du Requérant, Yves Musi, son fils, et Carmen Nono, sa fille.
Sur les réparations non pécuniaires
xiii. Rejette la demande du Requérant d’annuler la déclaration de sa culpabilité et de la peine prononcée à son encontre ;
xiv. Rejette la demande du Requérant d’ordonner sa remise en liberté ;
xv. Rejette la demande du Requérant visant à ordonner à l’État défendeur d’entamer des négociations avec le Gouvernement du Canada afin que le Requérant purge le reliquat de sa peine au Canada ;
xvi. Rejette la demande relative à l’imposition des sanctions contre l’État défendeur en cas de non-exécution ;
xvii. Ordonne l’État défendeur de désigner un médecin indépendant chargé d'évaluer l’état de santé du Requérant et de déterminer les mesures nécessaires à son assistance.
Sur les frais de procédure
xviii. Fait droit à la demande du Requérant relative aux honoraires de ses avocats devant la Cour de céans et lui accorde la somme de dix millions (10 000 000 Fr) de francs rwandais.
Sur la mise en œuvre et l’établissement de rapports
xix. Ordonne à l’État défendeur de payer les montants indiqués aux points xi), xii) et xviii),en franchise d’impôts, dans un délai de six (6) mois, à partir de la date de notification du présent arrêt, faute de quoi il paiera également des intérêts moratoires calculés sur la base du taux applicable fixé par la Banque Centrale de la République du Rwanda, pendant toute la période de retard de paiement et jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
xx. Ordonne à l’État défendeur de faire rapport dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du présent arrêt sur les mesures prises pour le mettre en œuvre et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que la Cour estime qu’il a été intégralement exécuté.
Ont signé : Sylvain ORÉ, Président ; Ben KIOKO, Vice- président ; Rafaâ BEN ACHOUR, Ângelo V. MATUSSE, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA, Stella I. ANUKAM et Imani D. ABOUD, Juges et Robert Eno, greffier
Conformément à l'article 28 (7) du Protocole et à la règle 70 (2) du Rafaâ BEN ACHOUR Règlement, l’opinion partiellement dissidente du Juge est jointe en annexe au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce vingt-septième jour du mois de novembre de l'an deux mille vingt, en anglais et en français, le texte en français faisant foi
Notes :
1 Auparavant, Article 8(2) du Règlement du 2 juin 2010.
2 Ingabire Victoire Umuhoza c. République du Rwanda, Ordonnance (compétence) (3 juin 2016) 1 RJCA585, § 67.
3 Règle 63 du nouveau Règlement du 25 Septembre 2020.
4 Voir Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (Saif Al-Islam Kadhafi) c. Libye (fond) (3 juin 2016) 1 RJCA 158, §§ 38-42. Voir aussi Fidèle Mulindahabi c. République du Rwanda, CAfDHP, Requête No. 004/2017, Arrêt 26 Juin 2020 (fond et réparations), § 22.
5 Ibid, §§ 42 et 22, respectivement.
6 Article 39(1) de l’ancien Règlement du 2 juin 2010.
7 Ayants droits de feus Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise Ilboudo et Mouvement Burkinabé des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RJCA 204, §§ 71-77.
8 Article 39(1) de l’ancien Règlement du 02 juin 2010.
9 Article 40 de l’ancien Règlement du 02 juin 2010.
10 Lettre de Me Jean-Felix Rudakemwa au Président du Conseil national des infirmières, des infirmiers et des sages-femmes du Rwanda (28 décembre 2016).
11 Van Oosterwijck c. Belgique (1980), 6 novembre 1980, A40 ECHR (vol.A), §§ 36-40 et Sejdovic c. Italie, no. 56581/00, [2006] II CEDH 201, § 55.
12 Kennedy Owino Onyachi et Charles John Mwanini Njoka c. République-Unie de Tanzanie (fond)(28 septembre 2017) 2 RJCA 65, § 142.
13 Ibidem, §§ 143-145. Voir également Cour interaméricaine des droits de l’homme, affaire Velasquez-Rodriguez c. Honduras, Arrêt du 29 juillet 1988, §§ 127-136 ; Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. République démocratique du Congo), Cour internationale de Justice, Arrêt du 30 novembre 2010, §§ 54-58.
14 Zongo et autres (excéptions préliminaires), § 121 ; Alex Thomas c. République Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RJCA 465, § 73.
15 Alfred Agbesi Woyome c. République du Ghana, CAfDHP, Requête No. 001/2017, Arrêt du 28 juin 2019 (fond et réparation), §§ 82-85.
16 Déclaration sous serment de Léon Mugesera, 14 avril 2018, Prison de Nyanza, §§ 8 et 9.
17 La demande était d’autant plus justifiée que deux de ses avocats étrangers, Mme Melissa Kanas des États-Unis d’Amérique et M. Mr Gershom Otachi Bw’omanwa du Kenya ne parlent pas le Kinyarwanda. Ils ne pouvaient donc pas assurer entièrement la défense de leur client.
18 Addendum 11 aux observations de Mugesera, 2016, § 7.
19 Lettre de Me Rudakemwa à M. Yves Rusi, § 11.
20 Élise Grouix, The New International Justice System and the Challenges facing the Legal Profession (2010) Hors-Série, Revue québécoise de droit international, 39.
21 Mohamed Abubakari c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RJCA 624, § 158.
22 Diocles William c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RJCA 439, § 62.
23Armand Guehi c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 decémbre 2018) 2 RJCA 493, 73.
24 Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 123 ; Wilfred Onyango et autres c. République-Unie de Tanzanie(fond) (18 mars 2016)1 RJCA 526, § 182.
25 Médecins Sans Frontières (au nom de Bwampamye) c. Burundi, Communication no 231/99, Décision sur le fond (Commission africaine des droits de l’homme et des peuples), § 30.
26 Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 114. L’État défendeur est devenu partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) le 11 juin 1976.
27 Lettre d’engagement à respecter les droits de l’homme demandée par le Gouvernement du Canada dans l’affaire MUGESERA Léon, 27 mars 2009.
28Ibid., § 123. Voir également Mohamed Abubakari c. Tanzanie (fond), §§ 138 et 139.
29 Alex Thomas c. Tanzaniw (fond), § 140. Voir aussi Kennedy Owino Onyachi and Charles John Mwanini Njoka c. Tanzanie (fond), §§ 150-153.
30 Section I(b) des Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique (2003) dispose que : « Les États veillent à ce que les avocats : 3. ne fassent pas l’objet, ni ne soient menacés de poursuites ou de sanctions économiques ou autres pour toutes les mesures prises conformément à leurs obligations et normes professionnelles reconnues et à leur déontologie ».
31 Groupe de travail du Conseil des droits de l’homme en charge de l’examen périodique, dixième session, A./HRC/WG6/10/RWA/3 (2010), § 11.
32 Ibid., § 14.
33 Mme Susan Thomson, du Service des opérations hors-siège, en poste au Rwanda pour le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme entre 1997 et 1998, a fait les observations suivantes : « En collant aux Hutus l’étiquette de génocidaires, le FPR a mis en place une stratégie de protection maximum qui a des effets encore plus négatifs sur la possibilité de bénéficier d’un procès équitable devant les juridictions rwandaises. » Déclaration de Mme Susan Thomson, § 14. De manière plus générale, en 2008, des employés des services judiciaires et de la police ont affirmé que tous les Hutus étaient complices dans le génocide perpétré en 1994. Human Rights Watch, Law and Reality: Progress in Judicial Reform in Rwanda (25 juillet 2008).
34 Groupe de travail du Conseil des droits de l’homme en charge de l’examen périodique, dixième session, A./HRC./WG6/10/RWA/3 (2010), § 11.
35 Déclaration sous serment de Stanislas Mbonampeka, ancien ministre de la Justice au Rwanda (3 janvier 2012) : « Léon Mugesera ne pourra certainement pas bénéficier d’un procès équitable au Rwanda, étant donné que l’exécutif tient toutes les institutions d’une main de fer, y compris la magistrature. »
36 Comité des droits de l’homme : Observations finales concernant le quatrième rapport périodique du Rwanda, document no CCPR/C/ RWA/4, par. 33 : « Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de l’immixtion illégale d’agents de l’État dans le système judiciaire et constate que la procédure de nomination des juges de la Cour suprême et des présidents des principaux tribunaux peut exposer ceux-ci à des pressions politiques ».
37 Vincent Brown, alias Vincent Bajinya et autres c. Gouvernement du Rwanda et le Secrétaire d’État de l’Intérieur [2009] EWHC 770 (Admin), § 121.
38 Action pour la protection des droits de l’homme c. Côte d’Ivoire (fond) (arrêt du 18 novembre 2016) 1 RJCA 697, § 117, Dictionnaire de droit international public, sous la direction de Jean Salmon, Brulyant, Bruxelles, 2001, pages 562 et 570.
39 Voir Thobias Mang’ara Mango et Shukurani Masegenya Mango c. République-Unie de Tanzanie(fond) (11 mai 2018) 2 RJCA 325, §§ 100-104.
40 Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 140.
41 Observations du Canada sur la recevabilité et sur le fond des observations de M. Léon Mugesera, 26 juillet 2012, § 36, citant l’opinion du délégué du ministre (R. Grenier) en date du 24 novembre 2011, p. 29. Human Rights Watch: « World Report 2015: Rwanda Events of 2014 » (janvier 2015), disponible sur le site https://www.hrw.org/fr/world-report/2015/country-chapters/268129.
42 Déclaration sous serment de M. Alexanda Marcil, Conseil de la défense (TPIR), 3 janvier 2012.
43 Lettre de M. Jean-Félix Rudakemwa adressée à Mme Gemma Uwamariya (20 octobre 2012), § 29.
44 Lettre de M. Jean-Félix Rudakemwa adressée à Mme Gemma Uwamariya (20 octobre 2012). § 15.
45 Lettre de M. Jean-Félix Rudakemwa adressée à Mme Gemma Uwamariya (20 octobre 2012). § 28.
46 Lettre de M. Jean-Félix Rudakemwa adressée à Mme Gemma Uwamariya (20 octobre 2012). § 15.
47 Rapport de conseil et de l’infirmière, 28 décembre 2016, §§ 58 et 64 ; Prescription de régime alimentaire spécial, 2 juillet 2015 ; Observations sur la santé du Requérant, § 60. Lettre du conseil du Requérant, février 2017, § 30.
48 Rapport de conseil et de l’infirmière, § 43 et 44
49 Ibid., § 45.
50 Voir Lucien Ikili Rashidi c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête No. 009/2015, arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), § 88. Voir aussi Egyptian Initiative for Personal Rights and Interights v Egypt II (2011) AHRLR 90 (ACHPR 2011) § 196.
51 Voir CEDH, Ireland v. The United Kingdom (Application no. 5310/71) (19 janvier 1978), § 162; Velasquez Rodriguez v. Honduras (1988) IACtHR, § 173; Voir aussi Egyptian Initiative for Personal Rights and Interights v Egypt II (2011) AHRLR 90 (ACHPR 2011), §§ 186-209.
52 Kennedy Owino Onyachi and Charles John Mwanini Njoka c. Tanzanie (fond), §§ 142-146 ; Armand Guéhi c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), §§ 132-136.
53 Kennedy Owino Onyachi and Charles John Mwanini Njoka c. Tanzanie (fond), § 142.
54 Section M(1)(d) des Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique (2003) dispose que : « De même, chaque Etat veille à un contrôle strict, notamment par une chaîne de commandement très claire, de tous les agents des services de sécurité chargés des arrestations, des mises en détention, de la garde à vue, des transferts et des emprisonnements, et des autres personnels autorisés par la loi à utiliser la force ou des armes à feu. »
55 Civil Liberties Organisation v Nigeria (2000) AHRLR 243 (ACHPR 1999), §§ 25-27.
56 L’État défendeur a ratifié cette Convention par adhésion, le 15 décembre 2008.
57 Lettre de M. Donah Mutunzi adressée au Procureur de la République, 20 avril 2012, §§ 18 et 19.
58 Rapport du Conseil/infirmier, 28 décembre 2016, §§ 58 et 64 ; Prescription d’un régime alimentaire spécial, 2 juillet 2015 ; Commentaires sur l’état de santé du Requérant, § 60 ; Lettre du Conseil, février 2017, § 30. 59 Rapport du conseil/infirmier, 28 décembre 2016, §§ 43 et 44.
60 Ibid, § 45.
61 John K. Modise c. Botswana, Communication no 97/93, Décision sur le fond : règlement à l’amiable (6 novembre 2000) (Commission africaine des droits de l’homme et des peuples), § 91.
28
62 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RJCA 9, § 152.
63 Ibidem, § 154.
64 Ibidem, § 154.
65 Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples c. Kenya (fond), § 152 ; Forum of Conscience v Sierra Leone (2000) AHRLR 293 (ACHPR 2000), § 19 ; Voir aussi CEDH, Affaire Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne (Requêtes nos 34044/96, 35532/97 et 44801/98) (2001), §§ 72, 87 et 94.
66 Observation générale n° 3 sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples : droit à la vie (article 4), adoptée lors de la 57esession ordinaire de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, tenue du 4 au 18 novembre 2015 à Banjul (Gambie), § 36.
67 Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 140.
68 Tanganyika Law Society, the Legal and Human Rights Centre et Reverend Christopher R. Mtikila c. République-Unite de Tanzanie (fond) fond) (14 juin 2013 1 RJCA 34, § 100. Voir aussi Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. Kenya (fond), § 188.
69 Section M (2)(g) des Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique (2003) dispose que : « Toute personne arrêtée ou détenue doit disposer de facilités raisonnables pour recevoir les visites de sa famille et de ses amis, sous réserve des restrictions ou du contrôle dont l’application est nécessaire dans l’intérêt de l’administration de la justice et de la sécurité de l’institution. »
70 Voir Armand Guehi c. Tanzanie (fond et réparations), §157. Voir également Ayants droits de feus Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise Ilboudo et Mouvement Burkinabé des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (réparations) (5 juin 2015) 1 RJCA 265, § 20 à 31 ; Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (réparations) (3 juin 2016), 1 RJCA 346, §§ 52 à 59 ; et Révérend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 RJCA 72, §§ 27-29.
71 Voir Lucien Ikili Rashidi c. Tanzanie (fond et réparations), § 118 et Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 60.
72 Armand Guehi c. Tanzanie (fond et réparations), § 55 ; Lucien Ikili Rashidi c. Tanzanie (fond et réparations), § 58 ; Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 61 ; Reverend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (réparations), § 34.
73 Lohé Issa Konaté v Burkina Faso (réparations), § 59 ; Nobert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 62.
74 Voir Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations),§§ 79 à 93 ; Ingabire Victoire Umuhoza c. Rwanda, § 39 ; et Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (réparations), § 39.
75 Voir Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 81 ; et Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (réparations), § 40.
76 Ingabire Victoire Umuhoza c. Rwanda (réparations), §§ 44 et 46.
77 Révérend Christopher Mtikila c. Tanzanie (réparations), §34.
78 Ingabire Victoire c. Rwanda (réparations), § 59 ; Nobert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 55 ; et Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (réparations), § 58.
79 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 61 ; Reverend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (reparations), § 34.
80 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 62 ; Lohé Issa Konaté c. Burkina Faso (réparations), § 59.
81 Ingabire Victoire Umuhoza c. Rwanda (réparations), § 46.
85 Article 45 l’ancien Règlement du 2 juin 2010.
86 CEDH, Rahimi c. Grèce, Arrêt du 05 avril 2011, § 65. 87Suprême Cour, Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, 2005 CSC 40 ; Federal Court Reports, Mugesera v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (T.D.) [2001] 4 F.C. 421
88 Voir Norbert Zongo and others v. Burkina Faso (reparations), § 62; Lohé Issa Konaté v Burkina Faso (reparations), § 59.
89 Voir Armand Guehi c. Tanzanie (fond et réparations), § 55 ; Lucien Ikili Rashidi c. Tanzanie (fond et réparations), § 58 ; Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 61 ; Reverend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (reparations), § 34.
90 Voir JibuAmir et un autre c. Tanzanie, § 96 ; Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 157 ; Diocles William c. Tanzanie (fond), § 101 ; Minani Evarist c. Tanzanie (fond), § 82 ; Mgosi Mwita Makungu c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2018) 2 RJCA 570, § 84 ; KijijiIsiaga c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2018) 2 RJCA 226, § 96 ; and Armand Guéhi c. Tanzanie (fond et réparations), § 164.
91 Voir Jibu Amir Mussa et un autre c. Tanzanie, §§ 96 et 97 ; Minani Evarist c. Tanzanie (fond), § 82 ; et Mgosi Mwita Makungu c. Tanzanie (fond), § 84. Voir aussi Del Rio Prada c. Espagne, Cour européenne des droits de l’homme, Arrêt du 10 juillet 2012, § 139 ; Assanidze c. Géorgie [GC] –71503/01, Arrêt du 8 avril 2004, § 204 ; et Loayza-Tamayo c. Pérou, Cour interaméricaine des droits de l’homme, Arrêt du 17 septembre 1987, § 84.
92 Article 30(2) de l’ancien Règlement du 2 juin 2010.
93 Voir Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 79 ; et Révérend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (Réparations), § 39.
94 Norbert Zongo et autres c. Burkina Faso (réparations), § 81 ; et le Révérend R. Mtikila c. Tanzanie(Réparations), § 40.
95 Ingabire Victoire Umuhoza c. Rwanda (réparations), § 46.