La Cour composée de :
Sylvain ORÉ, Président ;
Ben KIOKO, Vice-président ;
Rafaâ BEN ACHOUR, Ângelo V. MATUSSE, Suzanne MENGUE, M-Thérèse MUKAMULISA, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA, Stella I. ANUKAM, Imani D. ABOUD - Juges;
et Robert ENO, Greffier
En l’affaire : XYZ Assurant lui-même sa défense
Contre
RÉPUBLIQUE DU BENIN,
Représentée par Monsieur Iréné ACLOMBESSI, Agent Judiciaire du Trésor
Après en avoir délibéré, rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. XYZ (ci-après dénommé « le Requérant ») est un ressortissant béninois. Il a requis l’anonymat qui lui a été accordé par la Cour, en vertu de l’article 56(1) de la Charte et des Règles 41(8) et 50(2)(a) du Règlement de la Cour (ci-après dénommé « le Règlement ». Il conteste l’indépendance et l’impartialité des organes électoraux ainsi que la composition de l’Assemblée nationale.
2. La requête est dirigée contre la République du Bénin (ci-après dénommée « l’État défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21 Octobre 1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désigné « le Protocole »), le 22 Aout 2014. L'État défendeur a également déposé, le 8 février 2016, la Déclaration prévue à l'article 34(6) du Protocole par laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non gouvernementales (ci-après désignée « la Déclaration »). Le 25 mars 2020, l’Etat défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union africaine l’instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a jugé que ce retrait n'a d’une part, aucun effet sur les affaires pendantes et d’autre part, les nouvelles affaires déposées avant l’entrée en vigueur du retrait le 26 mars 2021, soit un an après son dépôt.1II.
OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Le Requérant allègue que l’État défendeur a modifié la loi électorale Nº 2019-43 du 15 novembre 2019 (ci-après désigné « le Code électoral de 2019 ») moins de six (06) mois avant les élections communales et municipales du 17 mai 2020 ; ce qui, selon lui, est contraire au Protocole de la Communauté Economique de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité (ci-après désigné « le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie »).
4. Le Requérant soutient que l’Assemblée nationale qui a modifié la loi électorale est elle-même illégitime parce qu’elle n’est composée que des membres de la mouvance présidentielle, aucun parti politique « sérieux » de l’opposition n’en faisant partie.
5. Le Requérant allègue, en outre, qu’en application des lois électorales révisées, l’Etat défendeur a mis en place le Conseil d’orientation et de supervision de la Liste électorale permanente informatisée (ci-après désigné « le COS-LEPI et la Commission électorale nationale autonome (ci-après désignée « la CENA »), organes qui ont, respectivement, la responsabilité d’organiser le recensement électoral national approfondi et d’établir la liste électorale permanente informatisée et celle de l’organisation des élections.
6. Le Requérant met en doute l’indépendance et l’impartialité de ces deux organes dans la mesure où leurs membres ne représentent que les partis politiques de la mouvance présidentielle. Il en conclut que les élections communales et municipales du 17 mai de 2020 ne pouvaient pas être considérées comme libres, justes et transparentes. Selon lui, elles doivent donc être annulées par la Cour de céans. B. Violations alléguées
7. Le Requérant allègue :
i. l’illégalité de l’Assemblée nationale et son illégitimité pour modifier les lois électorales ;
ii. la violation de l’obligation de créer des organes électoraux indépendants et impartiaux, consacrée par les articles 13(1) de la Charte, 17 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance (ci-après désignées « la CADEG ») et 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie ;
iii. la violation de l’obligation de ne pas modifier unilatéralement et substantiellement les lois électorales moins de six (06) mois avant les élections, prévue par ’l’article 2(1) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie ;
iv. la violation de l’obligation de garantir la paix et la sécurité nationale et internationale, prévue à l’article 23 de la Charte ;
v. la violation du droit à une égale protection de la loi, garanti par l’article 3(2) de la Charte.
III. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
8. La Requête au fond a été reçue au Greffe le 02 septembre 2019. Dans la Requête, la Requérante demande l’anonymat pour des raisons de sécurité personnelle.
9. Au cours de sa 53ème session ordinaire du 10 juin 2019 au 05 juillet 2019, la Cour a fait droit à la demande d’anonymat du Requérant et en a informé les parties.
10. La Requête au fond a été communiquée à l'État défendeur le 12 décembre 2019.
11. Le 26 septembre 2019, le Requérant a soumis une demande de mesures provisoires qui a été rejetée par Ordonnance de la Cour du 2 décembre 2019.
12. Après diverses prolongations de délai à la demande des parties, celles-ci ont déposé leurs conclusions sur le fond et les réparations dans le délai fixé par la Cour.
13. Le 12 novembre 2020, les débats ont été clôturés et les parties en ont reçu notification.
IV. SUR LES MESURES DEMANDÉES
14. La Requérante demande à la Cour de dire ou juger que l’État défendeur a violé ce qui suit :
i. le droit des citoyens de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, garanti par l’article 13(1) de la Charte ;
ii. le droit à une égale protection de la loi, garanti par les articles 10(3) de la CADEG, 3(2) de la Charte et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
iii. l’obligation de créer des organes électoraux indépendants et impartiaux, conformément à l’article 17 de la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance (CADEG) et à l’article 3 du Protocole de la CEDEAO;
iv. l’obligation de garantir la paix, la sécurité nationale et internationale, prévue à l’article 23 de la Charte ;
v. l’obligation de ne pas modifier unilatéralement les lois électorales moins de six (06) mois avant le scrutin sans une « majorité politique » ;
vi. l’obligation d’organiser des élections transparentes, libres et justes ;
vii. le processus électoral du 17 mai 2020 est nul et non avenu ;
viii. condamner l’État défendeur aux dépens.
15. L’État défendeur demande à la Cour de se déclarer incompétente pour les motifs ci-après:
i. la Cour n’a pas le pouvoir d’annuler une élection ;
ii. le Requérant n’invoque aucune violation de droits de l’homme.
16. L’État défendeur demande à la Cour de déclarer la Requête irrecevable pour les motifs suivants:
i. le Requérant abuse du droit d’ester en justice ;
ii. le défaut de lien entre la Requête principale et la Requête additionnelle ;
iii. le défaut d’intérêt à agir et de preuve de qualité de victime par le Requérant.
17. L’État défendeur demande, en outre, à la Cour de déclarer la Requête irrecevable pour les motifs ci-après :
i. l’incompatibilité avec la Charte et l’acte constitutif de l’Union Africaine ;
ii. le non-épuisement des recours internes.
18. L’État défendeur demande à la Cour de constater que les violations suivantes :
i. les membres de la CENA jouissent d’une immunité suffisante, les mettant à l’abri de pressions éventuelles ;
ii. le Code électoral de 2019 est le résultat d’une concertation politique consensuelle ayant conduit à une adoption plus de six (06) mois avant les élections municipales de mai 2020 ;
iii. il n’y a aucun acte du processus électoral relatif aux communales de 2020 qui soit entaché de vices de nature à exposer lesdites élections à l’annulation ;
iv. le COS-LEPI est légalement et légitimement installé et son office est régulier ;
v. il n’y a pas de violation par l’État du Bénin du droit des citoyens de participer librement à la direction des affaires publiques de leurs pays.
19. L’État défendeur demande à la Cour de condamner le Requérant à lui payer deux milliards (2 000 000 000) francs CFA, à titre reconventionnel, pour l’ensemble des préjudices subis et encourus.
V. SUR LA COMPÉTENCE
20. Lorsqu’elle est saisie d’une requête, la Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence. L’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application de la Charte, du présent Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.
21. Par ailleurs, aux termes de la Règle 49(1) du Règlement2, « [l]a Cour procède à un examen de sa compétence (...) conformément à la Charte, au Protocole et au présent Règlement. »
22. Il résulte des dispositions ci-dessus que la Cour doit, pour toute requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer sur les exceptions soulevées, le cas échéant.
23. La Cour note qu’en l’espèce, l’État défendeur a soulevé les exceptions relatives à sa compétence matérielle. Il a, en outre, soulevé l’incompétence personnelle de la Cour pour connaitre des allégations de violations de son obligation prescrite par le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
24. La Cour note que l’État défendeur soulève i) le défaut de sa compétence pour annuler une élection et ii) l’absence d’invocation par le Requérant d’un cas de violation des droits de l’homme. La Cour va examiner ensemble ces deux exceptions dans la section relative à la compétence matérielle parce qu’elles sont liées.
25. L’Etat défendeur allègue qu’aux termes de l’article 26 du Règlement3, la Cour n’est pas compétente pour annuler une élection communale et municipale non contestée au niveau interne et qu’une telle décision serait prise en violation de sa souveraineté. Il soutient que « l’office de la Cour est de veiller à la protection des droits de l’homme et non de participer à la remise en cause de l’ordre juridique des États membres ».
26. L’Etat défendeur allègue également que, conformément à l’article 3(1) du Protocole, la Cour est compétente pour connaitre des cas de violation des droits de l’homme et qu’aux termes de l’article 34(4) du Règlement4, la requête doit indiquer la violation alléguée. Il soutient qu’en l’espèce, le Requérant devait « indiquer de manière caractérisée les violations supposées des droits de l’homme. Il ne doit pas se contenter d’invoquer des hypothèses. »
27. Le Requérant, n’a pas répliqué.
***
28. Sur l’exception relative à son incompétence pour annuler une élection non contestée au niveau national, la Cour fait observer qu’une telle mesure relève des formes de réparations de violations des droits de l’homme. À cet égard, l’article 27(1) dispose que « [l]orsqu'elle estime qu'il y a eu violation d'un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d'une juste compensation ou l'octroi d'une réparation ».
29. La Cour estime qu’aux termes de cette disposition, son pouvoir d’ordonner les mesures de réparations n’est conditionné que par la constatation préalable de la violation des droits de l’homme ou des peuples et le caractère approprié de telles mesures. Dans le cas d’espèce, la Cour considère que, contrairement à l’allégation de l’État défendeur, sa compétence matérielle ne peut pas être conditionnée par le fait que les élections n’ont pas été contestées au niveau interne.
30. La Cour en conclut qu’elle peut ordonner l’annulation d’une élection si elle estime que cette mesure est appropriée pour remédier à la violation constatée. Cette exception de l’État défendeur est considéré infondée et rejetée, en conséquence.
31. S’agissant de l’exception relative à l’absence d’invocation par le Requérant d’un cas de violation des droits de l’homme, la Cour note qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole ci-dessus cité, elle est investie du pouvoir de connaitre de toute allégation de violation des droits de l’homme. La Cour a estimé que pour que sa compétence matérielle soit établie, il suffit que les droits dont les violations sont alléguées soient protégés par la Charte ou par tout autre instrument des droits de l’Homme ratifié par l’Etat concerné5.
32. En l’espèce, et contrairement aux exceptions soulevées par l’État défendeur, la Cour note que le Requérant allègue la violation par l’État défendeur des droits de l’homme et des obligations prévues à la Charte, au Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance et à la CADEG6 (voir paragraphe 7 du présent arrêt), instruments qu’elle est habilitée à interpréter et appliquer en vertu de l’article 3(1) du Protocole.7
33. En conséquence, cette exception est rejetée.
B. Sur l’exception d’incompétence personnelle de la Cour
34. L’État défendeur allègue que la Cour n’est pas compétente pour connaitre de l’affaire du fait que, conformément à l’article 10 du Protocole additionnelle A/SP/01/05 sur la Cour de Justice de la CEDEAO, les recours en manquement des obligations par les États membres sont réservés aux entités spécifiques dont les individus ne font pas partie.
35. Le Requérant, n’a pas répliqué.
***
36. La Cour note que cette exception est soulevée par l’État défendeur comme condition de recevabilité. Toutefois, elle relève de la compétence du fait que l’État défendeur du fait qu’il s’agit d’une exception relative à la qualité pour saisir la Cour.
37. La Cour note d’emblée que cette allégation est basée sur les conditions régissant la compétence de la Cour de Justice de la CEDEAO et la recevabilité des requêtes devant celle-ci, alors que ces conditions ne lui sont pas applicables. Par contre, les conditions d’accès à la Cour de céans par les individus sont régies par son Protocole et son Règlement. Cette exception est donc dépourvue de tout fondement et est rejetée.
C. Sur les autres aspects de la compétence
38. La Cour ayant constaté que rien dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas compétente au regard des autres aspects de la compétence, elle conclut qu’elle a :
i. la compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur est partie à la Charte, au Protocole et a déposé la Déclaration qui permet aux individus et aux organisations non gouvernementales de saisir directement la Cour. A cet égard, la Cour rappelle sa position antérieure selon laquelle le retrait par l’État défendeur de sa déclaration le 25 mars 2020 n’a pas d’effet sur la présente requête, car le retrait a été effectué après le dépôt de la requête devant la Cour8.
ii. La compétence temporelle, dans la mesure où les violations alléguées ont été perpétrées, en ce qui concerne l’État défendeur, après l’entrée en vigueur des instruments suscitées ;
iii. la compétence territoriale, les faits de la cause s’étant produits sur le territoire d'un État partie au Protocole, à savoir l'État défendeur.
39. Au vu de ce qui précède, la Cour déclare qu’elle a compétence pour connaître de la présente affaire.
VI. SUR LES EXCEPTIONS PRELIMINAIRES 40. La Cour note que l'État défendeur a soulevé les exceptions préliminaires relatives à la recevabilité de la Requête, à savoir :
A) abus du droit d’ester en justice,
B) le défaut de lien entre la Requête principale et la Requête additionnelle et
C) le défaut d’intérêt à agir et de preuve de qualité de victime du Requérant.
41. La Cour souligne que même si ces exceptions ne sont pas spécifiquement prévues au regard du Protocole et du Règlement, elle est tenue de les examiner.
A. Sur l’exception tirée de l’abus du droit d’ester en justice
42. L’État défendeur allègue que le Requérant « inconnu » fait un usage abusif de « l’actio popularis », en utilisant des facilités d’accès à la Cour pour déposer plusieurs requêtes, notamment les requêtes numéros « 207/2019, 218/2019, 232/2019, 316/2019, 316/2019, 317/2019, 349/2019, 391/2019 et 447/2019. »
43. Le Requérant n’a pas répliqué.
***
44. La Cour note qu'une requête est dite abusive, entre autres, si elle est manifestement frivole ou s'il peut être discerné qu'un requérant l'a déposée de mauvaise foi contrairement aux principes généraux du droit et aux procédures établies de la pratique judiciaire. À cet égard, il convient de noter que le simple fait qu'un requérant dépose plusieurs requêtes contre un État défendeur particulier ne traduit pas nécessairement un manque de bonne foi de la part du requérant.
45. La Cour note en outre que le fait pour une requête d’avoir été inspirée par des motifs de propagande politique, même s’il était établi, n’aurait pas nécessairement pour conséquence de rendre la requête abusive et qu’en tout état de cause ce fait ne peut être établi qu’après un examen au fond.
46. Elle conclut que la question de l’abus de droit d’ester en justice ne peut être tranchée au stade actuel de la procédure.
B. Sur l’exception tirée du défaut de lien entre la Requête principale et la Requête additionnelle
47. L’État défendeur allègue qu’une requête additionnelle n’est recevable que si elle se rattache à la requête principale par un lien suffisant. En l’espèce, il soutient que la Requête principale No. 020/2019 et 021/2019 porte sur le Code pénal et l’annulation de la condamnation de M. Lionel ZINSOU, alors que la Requête additionnelle porte sur l’annulation des élections municipales et communales. Pour soutenir son allégation, l’État défendeur cite la décision de la Cour de céans dans l’affaire Sébastien Ajavon c. République du Bénin rendue le 29 mars 2019, Requête 013/20179.
48. Le Requérant n’a pas répliqué.
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49. La Cour note que la Règle 62 du Règlement10 dispose : 1. À n’importe quelle phase de la procédure, la Cour peut, d’office ou à la demande de l’une des parties, ordonner la jonction ou la disjonction d’instances lorsqu’elle estime qu’une telle mesure est appropriée.2. La Cour, lorsqu’elle le juge nécessaire, peut recueillir l’avis des parties sur la jonction et la disjonction.
50. La Cour relève que cette disposition du Règlement lui confère le pouvoir de joindre et disjoindre des instances. En l’espèce, ne s’agissant pas d’un cas de disjonction, le Cour estime qu’elle est, a fortiori, investie de prérogative de rejeter des soumissions additionnelles et ordonner qu’elles soient utilisées pour ouvrir une nouvelle instance, si l’intérêt d’une bonne administration de la justice l’exige.
51. La Cour, contrairement à sa décision dans l’affaire Sébastian Ajavon c. République du Bénin ci-dessus citée par l’État défendeur, estime que dans le cas d’espèce, les allégations des violations dans les soumissions additionnelles justifient qu’elles soient considérées comme de nouvelle requête et qu’elles soient enregistrées comme telle. En conséquence, cette question préliminaire est rejetée.
C. Sur l’exception tirée du défaut d’intérêt à agir et de la preuve de qualité de victime
52. L’État défendeur allègue que, dans son anonymat, le Requérant a présenté à la Cour une douzaine de requêtes. Il soutient que «[e]n aucune de ces affaires, le demandeur ne motive son intérêt personnel à agir. Il ne se présente pas comme une victime de violations des droits de l’homme. Or, il est de principe que l’action en justice est conditionnée entre autres par la capacité, la qualité et l’intérêt à agir. L’intérêt à agir doit être actuel, légitime et personnel».
53. L’État défendeur fait valoir que le défaut d’intérêt à agir du Requérant fait que la Requête devienne une actio popularis, ce qu’il contexte. À cet égard, il s’appuie sur l’opinion individuelle du Juge Fatsah Ouguergouz dans l’affaire Tanganyika Law Society, the Legal and Human Rights Centre et Reverend Christopher R. Mtikila c. République-Unie de Tanzanie, selon laquelle « une action devant la Cour n’est en effet recevable que si son auteur justifie de son intérêt propre à l’engager. »
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54. La Cour fait observer qu’aux termes de l’article 5(3) du Protocole, « la Cour peut permettre aux individus ainsi qu’aux ONG dotées du statut d’observateur auprès de la Commission africaine d’introduire des requêtes directement devant elle ».
55. La Cour note que ces dispositions n'obligent pas les individus ou les ONG à démontrer un intérêt personnel dans une requête pour accéder à la Cour. La seule condition préalable est que l'Etat défendeur, en plus d'être partie à la Charte et au Protocole, ait déposé la Déclaration permettant aux individus et aux ONG d’introduire des requêtes devant la Cour. Cela tient compte des difficultés pratiques que les victimes de violations des droits de l'homme peuvent rencontrer pour porter leurs plaintes devant la Cour, permettant ainsi à toute personne de porter ses plaintes devant la Cour sans avoir besoin de démontrer un intérêt individuel direct dans l'affaire11.
56. En l'espèce, la Cour observe que le Requérant allègue que les dispositions contestées des lois électorales béninoises ne sont pas conformes à la Charte, à la CADEG et au Protocole de la CEDEAO sur la démocratie.
57. La Cour note que ces allégations relèvent du contentieux objectif en ce que les dispositions légales contestées sont d’intérêt pour tous les citoyens car il a une incidence directe ou indirecte sur leurs droits individuels, la sécurité et le bien-être de leur société et de leur pays. Étant donné que le Requérant lui-même est citoyen de l'Etat défendeur et que les dispositions des lois électorales ont un impact potentiel sur son droit de participer aux affaires politiques de son pays, il est évident qu'il a un intérêt direct dans la matière.
58. La Cour rejette par conséquent cette exception
VII. SUR LA RECEVABILITÉ
59. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [l]a Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la Charte ».
60. Aux termes de la Règle 50(1) du Règlement12, « [l]a Cour procède à un examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle, conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au présent Règlement».
61. La règle 50(2) du Règlement13, qui reprend en substance l’article 56 de la Charte, dispose : Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions ci-après :
a) Indiquer l’identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour de garder l’anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date où la Commission a été saisie de l’affaire ;
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la Charte.
62. L’État défendeur a soulevé deux (02) exceptions d’irrecevabilité de la Requête.
A. Conditions de recevabilité en discussion entre les parties
63. L’État défendeur a soulevé deux exceptions d’irrecevabilité de la Requête, à savoir :
i) exception tirée d’incompatibilité de la Requête avec la Charte et l’acte constitutif de l’Union Africaine et
ii) exception tirée du non-épuisement des recours internes.
i. Sur l’exception tirée d’incompatibilité de la Requête avec la Charte et l’acte constitutif de l’Union Africaine
64. S’appuyant sur la jurisprudence de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Commission ») dans l’affaire Fredrick Korvac c. Libéria14, Hadjali Mohamed c. Algérie15 et Seyoum Ayele c. Togo16, l’État défendeur soutient que les allégations du Requérant sont basées sur des craintes que les élections municipales et communales empêcheront les candidats sérieux de se présenter à l’élection du Président de la République. Il conclut qu’une telle demande est contraire à la Charte et à l’Acte constitutif de l’Union africaine.
65. Le Requérant n’a pas répliqué.
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66. La Cour rappelle que s’agissant de cette condition Le contenu de la requête doit être relatif à des droits garantis par la Charte ou tout autre instrument des droits de l’homme ratifié par l’État concerné, sans exiger que les droits particuliers dont la violation est alléguée soient nécessairement précisés dans la requête.17
67. La Cour note qu’en l’espèce, la demande d’annulation des élections municipales et communales afin de faciliter la participation des « candidats d’opposition » « sérieux » à l’élection du Président de la République » ne saurait être considérée comme incompatible avec la Charte et l’Acte constitutif de l’Union africaine. Au contraire, le Requérant demande à la Cour de constater les violations des droits de l’homme prévus à la Charte, à la CADEG et le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie. Or, l’un des objectifs de l’Union africaine prévu à l’article 3(h) est la promotion et la protection des droits de l’homme et des peuples, conformément à la Charte et aux autres instruments pertinents relatifs aux droits de l’homme18.
68. Cette exception est donc rejetée. ii. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
69. L’État défendeur allègue qu’il existe des recours internes prévus à l’article 110 du Code électoral de 2019 qui donne la compétence à la Cour Suprême pour connaître de « tout le contentieux électoral en ce qui concerne les élections communales. » Il soutient que le même article prévoit « la possibilité de reprendre des élections s’il y a lieu. » Il soutient, en outre, que les « personnes intéressées par ce recours les ont exercés et des décisions ont été rendues par la Cour Suprême ».
70. Le Requérant n’a pas répliqué.
***
71. Il est de jurisprudence constante que l’exigence de l’épuisement des recours internes ne s’applique qu’aux voies de recours judiciaires ordinaires, disponibles et efficaces19. Sur l’existence des recours internes, la Cour note que l’État défendeur allègue que le Requérant n’a pas exercé le recours devant la Cour Suprême prévu à l’article 110 (1)(2)(3) du Code électoral de 2019, qui dispose : Tout le contentieux électoral en ce qui concerne les élections communales relève de la compétence de la Cour suprême. Dans tous les cas, la Cour suprême dispose de six (06) mois maximum à compter de l’introduction de tout recours pour rendre ses décisions et ordonner les reprises d'élections. La reprise partielle des élections législatives ou communales est organisée en deux fois maximum.
72. La Cour note, en outre, que l’article 117 de la Constitution béninoise dispose que « [l]a Cour Constitutionnelle statue obligatoirement sur la constitutionnalité des lois organiques et des lois en général avant leur promulgation ».
73. Il résulte de ces dispositions que l’existence des recours internes n’est pas en discussion. Il reste donc à savoir quels sont les recours internes adéquats pour les violations alléguées par le Requérant.
74. La Cour note que le Requérant fonde les violations alléguées sur l’illégitimité de l’Assemblée nationale, le non-respect du délai minimum de six (06) mois pour modifier unilatéralement et substantiellement les lois électorales avant les élections communales et municipales ainsi que les conséquences desdites violations sur la paix et la sécurité nationale et internationale, et sur son droit à l’égalité devant la loi. Plus spécifiquement, le Requérant fonde sa demande d’annulation des élections communales et municipales essentiellement sur le fait que le Code électoral de 2019 a été modifié par une Assemblée nationale illégitime.
75. La Cour fait observer que les raisons invoquées par le Requérant pour soutenir ses allégations des violations sont plutôt relatives à la conformité des dispositions contestées des Codes électoraux de 2018 et le 2019 avec la Charte, la CADEG et le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et non à la régularité matérielle des élections communales et municipales du 17 mai 2020.
76. La Cour tient à signaler qu’il s’agit des questions déjà tranchées par la Cour constitutionnelle de l’Etat défendeur dans ses Décisions DCC18-199, du 02 octobre 2018 et DCC 19-525 du 14 novembre 2019. Par ces décisions, les deux (02) Codes électoraux contestés par le Requérant ont été déclarés conformes à la Constitution.
77. La Cour fait observer que le contrôle de constitutionnalité dans l’État défendeur concerne aussi bien la procédure suivie pour l’adoption de la loi que son contenu20et que la déclaration de conformité d’une loi avec la constitution implique aussi sa conformité avec la Charte. En l’espèce, la déclaration de conformité à la Constitution du Code électoral, y compris la procédure de son adoption, suppose sa conformité avec la Charte et ses instruments additionnels.
78. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il ne serait pas raisonnable de demander au Requérant de soumettre à la Cour constitutionnelle des questions sur lesquelles celle-ci s’est déjà prononcée.
79. En conséquence, elle rejette l’exception du non-épuisement des voies de recours internes soulevée par l’État défendeur.B. Sur les autres conditions de recevabilité 8
0. La Cour relève que les Parties ne contestent pas le fait que la Requête remplit les conditions énoncées aux alinéas 1, 3, 4, 6 et 7 de l’article 56 de la Charte et à la Règle 50(2)(a)(c)(d)(f) et (g) du Règlement21. Toutefois, la Cour se doit d’examiner si ces conditions sont remplies.
81. La Cour note que la condition énoncée à la règle 50(2)(a) du Règlement22 a été remplie, le Requérant ayant clairement indiqué son identité même s’il a obtenu de la Cour de garder l’anonymat.
82. La Cour observe que la Requête n’est pas rédigée dans des termes outrageants ou insultants de sorte qu’elle satisfait à la règle 50(2) (c) du Règlement.
83. La Cour constate que la présente Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse mais plutôt concerne des dispositions législatives de l’État défendeur, et par conséquent, remplit la condition énoncée à la règle 50(2)(d) du Règlement.
84. La Cour observe que le Code électoral de 2018 contesté par le Requérant a été promulgué le 9 octobre 2018, suite à la décision de conformité de la Cour Constitutionnelle de DCC 18-199 du 02 octobre de 2018. La Requête a été déposée le 2 septembre 2019, soit dix (10) mois et vingt-quatre (24) jours après. Le Code électoral de 2019, invoqué par les parties dans leurs soumissions après le dépôt de la Requête, a été promulgué le 15 novembre 2019. Ainsi, cette date n’est pas relevant à l’effet du calcul du délai raisonnable.
85. Compte tenu du fait que l’adoption du Code électoral de 2018 a été suivie des recours internes par les acteurs politiques visant son annulation, la Cour estime que le délai de dix (10) mois et vingt-quatre (24) jours est raisonnable pour déposer une Requête devant elle, conformément à la règle 50(2)(f) du règlement.
86. La Cour relève enfin que la présente affaire ne concerne pas un cas qui a déjà été réglé par les Parties conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de l'Acte constitutif de l'Union africaine, soit des dispositions de la Charte ou de tout instrument juridique de l'Union africaine. Elle remplit donc la condition énoncée à la règle 50(2) (g) du Règlement.
87. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit toutes les conditions de recevabilité prévues aux articles 56 de la Charte et 50 du Règlement et la déclare recevable en conséquence.
VIII. SUR LE FOND
88. La Cour note que le Requérant allègue
A) l’illégitimité et l’illégalité de l’Assemblée nationale pour modifier les lois électorales ;
B) la violation de l’obligation de créer des organes électoraux indépendants et non impartiaux ;
C) la violation de l’obligation de ne pas modifier unilatéralement et substantiellement la loi portant Code électoral de 2019 moins de six (06) mois avant les élections ;
D) la violation de l’obligation de garantir la paix et la sécurité nationale et internationale ;
E) la violation du droit à une égale protection de la loi.
A. Sur l’illégalité et l’illégitimité alléguées de l’Assemblée nationale pour modifier les lois relatives aux élections
89. Le Requérant allègue que « l’article 13 de la Charte consacre l’égalité de suffrage entre les électeurs, candidats et élus ». À cet égard, il soutient que « la Charte exige qu’on s’assure du bon accomplissement des formes, des procédures et des opérations qui l’accompagnent. »
90. Le Requérant considère que « l’Assemblée nationale qui a voté le nouveau Code électoral ayant servi à la tenue du scrutin du mai 2020 est illégale et illégitime», du fait qu’elle «n’est pas représentative du peuple et ne peut donc voter un code électoral permettant la tenue d’élections communales et municipales libres, pluralistes et transparentes. »
91. Il allègue, en outre, « l’absence des partis politiques d’opposition dans le processus des élections communales et municipales est incontestable », du fait que « [l]es partis politiques qui ont participé au scrutin sont tous proches de Monsieur Patrice Talon ».
92. À titre d’illustration, le Requérant relève que le taux de participation dans les bastions de l’opposition, notamment, celui de l’ex-Président Boni YAYI à Tchaourou ou au quartier Cadjèhoun de Cotonou n’a pas dépassé 10%. Il cite aussi la faible participation au quartier Zongo à Cotonou dans le bureau de vote où Monsieur Patrice TALON qui était de 16,14%.
93. En conséquence de ce qui précède et de son exclusion forcée de la participation directe aux affaires politiques de son pays et du fait qu’il n’a pas pu choisir son « statut politique », le Requérant considère que les articles 1, 2, 13(1) et 20(1) de la Charte ont été violés, ainsi que les articles 3 et 4 de la CADEG et 1(i)(2) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et le Chapitre 4.B de la Déclaration de Bamako du 3 novembre 200023.
***
94. L’État défendeur conteste cette allégation de manière générale dans sa réponse à la demande d’annulation des élections communales et municipales, notamment en soutenant que « la proximité entre les acteurs politiques n’enlève rien à la légalité des élections démocratiques, le Requérant n’élevant aucun moyen juridique pour soutenir le non-respect de conditions de fond ou de forme du processus électoral tel que prévu par la loi en vigueur. »
***
95. La Cour note que le Requérant invoque la violation des articles 1, 2, 13(1) et 20(1) de la Charte ainsi que des articles 3 et 4 de la CADEG, 1(i)(2) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et le Chapitre 4.B de la Déclaration de Bamako du 3 novembre 2000. La Cour estime, toutefois, que les allégations de violations ci-dessus relèvent de la violation de l’article 13(1) de la Charte citées ci-dessus.
96. La Cour note que le Requérant allègue que l’Assemblée Nationale qui a voté le Code électoral de 2019 est illégale parce qu’elle était peu représentative des béninois, que peu de partis de l’opposition politique sérieuse ont pu présenter des candidats aux élections communales et municipales; et qu’il a été exclu de la participation directe aux affaires publiques de son pays et de choisir son « statut politique ».
97. La Cour relève que la question qui se pose ici est celle de savoir si ces allégations sont constitutives de violation du droit du Requérant de participer librement à la direction des affaires publiques de son pays.
98. En l’espèce, la Cour note que le Requérant fait des affirmations sans les étayer. En effet, il ne démontre pas dans quelles mesures la non-représentativité de l’Assemblée nationale affecte sa capacité d’exercer son pouvoir législatif et, par conséquent, comment une telle situation influe sur son droit de participer directement aux affaires politiques de son pays et de choisir son statut politique. À cet égard, la Cour de céans rappelle, comme elle l’a affirmé que « [d] es affirmations d'ordre général selon lesquelles un droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des preuves plus concrètes sont requises».24
99. Au vu de ce qui précède, l’allégation de violation du droit du Requérant de participer directement à la direction des affaires publiques de son pays est rejetée.
B. Sur la violation alléguée de l’obligation de créer des organes électoraux indépendants et impartiaux
100. Le Requérant allègue qu’il résulte des articles 13 de la Charte, 17 de la CADEG, des résolutions de la Commission adoptées entre 1996 et 2008 sur les élections et la démocratie, en particulier de la Résolution 164(XLVII) sur les élections en Afrique du Sud et de l’article 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie, « l’obligation de créer et renforcer des organes électoraux indépendants et impartiaux ».
101. En se fondant sur le dictionnaire du droit international public (Bruxelles, 2001), le Requérant définit l’indépendance comme « le fait pour une personne ou entité de ne dépendre d’aucune autorité», et l’impartialité comme « l’absence de parti pris, de préjugé de conflit d’intérêts ». Il estime « qu’un organe électoral indépendant doit jouir d’une autonomie administrative et financière et qu’il offre des garanties suffisantes quant à l’indépendance et l’impartialité de ses membres. »
102. Le Requérant reconnaît que le COS-LEPI « apparaît comme un véritable organe électoral dans le processus d’organisation des élections au Bénin ». Par contre, il conteste sa composition actuelle parce - que la minorité parlementaire qui a désigné les quatre (4) membres de COS-LEPI n’est pas une véritable opposition en ce qu’elle soutient tous des actions politiques du Président de la République Patrice TALON.
103. Le Requérant conteste, en outre, l’indépendance et l’impartialité du Directeur général de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique et le Directeur du service national de l’état civil du fait qu’ils sont nommés par le gouvernement.
104. Le Requérant argue que l’indépendance et l’impartialité exigent que les autres acteurs du processus électoral comme l’exécutif n’aient aucun pouvoir disciplinaire sur l’organe électoral. À cet égard, il reproche à l’État défendeur la garde à vue, pendant 48 heures, le coordinateur budgétaire de la CENA et l’envoi au CENA par le Ministre des finances de l’Inspecteur général des finances à la CENA qui a révélé un manquant de trois cent vingt-cinq milliards (325.000.000.000) milliards de francs CFA.
***
105. L’État défendeur allègue que, conformément à l’article 13 alinéa 1 du Code électoral de 2019, « la CENA est dotée de la personnalité juridique. Elle dispose d’une réelle autonomie par rapport aux institutions de la République...».
106. Il soutient qu’aux termes de l’article 25 du Code électoral de 2018 en vigueur au moment des faits qui lui sont reprochés, « les personnes siégeant à la CENA ne peuvent être poursuivies, arrêtées, détenues ou jugée s pour des opinions émises ou des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. » Pour l’État défendeur, cette disposition donne immunité aux membres de la CENA et qu’en conséquence, la crainte de violation invoquée par le Requérant n’équivaut pas à la violation des instruments applicables.
***
107. La Cour relève que l’article 17(1)(2) de la CADEG dispose :
Les Etats parties réaffirment leur engagement à tenir régulièrement des élections transparentes, libres et justes conformément à la Déclaration de l’Union sur les Principes régissant les Elections démocratiques en Afrique. A ces fins, tout Etat partie doit :
1. Créer et renforcer les organes électoraux nationaux indépendants et impartiaux, chargés de la gestion des élections.
2. Créer et renforcer les mécanismes nationaux pour régler, dans les meilleurs délais, le contentieux électoral.
108. L’article 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie dispose que : Les organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou neutres et avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie politique. En cas de nécessité, une concertation nationale appropriée doit déterminer la nature et la forme desdits Organes.
109. La Cour fait observer qu’elle a estimé qu’il résulte des dispositions ci-dessus qu’« un organe électoral est indépendant quand il jouit d’une autonomie administrative et financière et qu’il offre des garanties suffisantes quant à l’indépendance et l’impartialité de ses membres. »25
110. En l’espèce, la Cour note que le Requérant ne conteste pas l’autonomie administrative et financière du COS-LEPI et de la CENA. Par contre, le Requérant conteste l’indépendance et l’impartialité des membres du COS-LEPI désignés par la minorité parlementaire et le pouvoir disciplinaire que le gouvernement a sur les membres de la CENA.
111. La Cour note qu’au moment des faits reprochés à l’État défendeur, le Code électoral en vigueur était celui du 2018, dont l’article 137 prévoit que le COS-LEPI était composé de cinq (05) députés de la majorité parlementaire, quatre (04) députés de la minorité parlementaire, du directeur général de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique et du directeur du service national en charge de l’état civil.
112. La Cour note que la question qui se pose est celle de savoir si la désignation des quatre (04) membres du COS-LEPI par la minorité parlementaire ainsi que la désignation du Directeur général de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique et du Directeur du service national de l’état civil par le gouvernement mettent en cause l’indépendance et l’impartialité dudit organe. Pour la CENA, la question est de savoir si l’exercice du pouvoir disciplinaire sur son coordinateur budgétaire par le gouvernement constitue une violation de son indépendance et impartialité. Pour répondre à ces questions, il faut d’abord déterminer si le COS-LEPI et la CENA sont des organes électoraux dans le sens des dispositions ci-dessus citées.
113. Sur cette question, la Cour note que l’affirmation du Requérant selon laquelle le COS-LEPI « apparaît comme un véritable organe électoral dans le processus d’organisation des élections au Bénin» n’est pas contestée par l’État défendeur. La Cour en déduit que les parties s’accordent sur le fait que le COS – LEPI est un véritable organe électoral.
114. En ce qui concerne la CENA, sa nature d’un organe électoral est évidente, sa mission étant, en vertu de l’article 16 alinéa 1 du Code électoral du 2018, la « préparation, l'organisation du déroulement, la supervision des opérations de vote et la centralisation des résultats... ».
115. Cette précision faite, la Cour va examiner l’indépendance et à l’impartialité de la CENA et du COS-LEPI.
i. Sur l’indépendance et l’impartialité de la CENA
116. La Cour note que le Requérant conteste l’Indépendance et l’impartialité de la CENA, du fait que le coordinateur budgétaire de la CENA a été gardé à vue pendant quarante – huit (48) heures et que le Ministre des finances a envoyé, à la CENA, l’Inspecteur général des finances qui a révélé un manquement de caisse de trois cent vingt-cinq milliards (325.000.000.000) milliards de francs CFA. De ce fait, le Requérant estime que l’État défendeur a mis en cause la norme qui exige que l’exécutif n’ait aucun pouvoir disciplinaire sur l’organe électoral.
117. Sur ce point, la Cour relève que, conformément aux alinéas 1 et 2 de l’article 20 du Code électoral de 2018 en vigueur à l’époque des faitsreprochés à l’État défendeur, la CENA était composée de cinq (05) membres, désignés par l’Assemblée nationale, à raison de deux (02) par la majorité parlementaire, deux (02) par la minorité parlementaire et d’un (01) magistrat de siège26.
118. Il résulte de ce qui précède que le coordinateur budgétaire de la CENA n’est pas un membre de celle-ci mais plutôt un agent comptable public qui exerce ses fonctions auprès du CENA sous le contrôle du Ministère des finances. Le pouvoir disciplinaire exercé sur lui ne doit donc pas être confondu avec le contrôle sur les membres de CENA qui, selon l’article 25 du texte ci-dessus cité, « ne peuvent être poursuivis, arrêtés, détenus ou jugés pour des opinions émises ou des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions».
119. En conséquence, la Cour est d’avis que l’allégation du défaut d’indépendance et d’impartialité de la CNA n’est pas établie. En conséquence, cette allégation est rejetée.
ii. Sur l’indépendance et l’impartialité du COS-LEPI
120. Sur le défaut d’indépendance et d’impartialité des quatre (04) membres du COS-LEPI du fait qu’ils sont désignés par la minorité parlementaire qui ne représente pas une véritable opposition, la Cour note qu’il n’est pas contesté qu’ils appartiennent aux partis politiques différents du celui du Président de la République. Elle note, en outre, que le fait qu’ils soient éventuellement proches du Parti au pouvoir ou du Président de République relève de leur liberté de détermination en matière d’alliance politique, ce qui relève d’ailleurs du droit à l’association prévu à l’article 10 de la Charte27.
121. En ce qui concerne les deux (02) directeurs généraux membres du COS-LEPI, la Cour note que l’État défendeur ne conteste pas qu’ils sont nommés par le gouvernement. Par ailleurs, l’article 11 de la loi nº 94-009 du 28 juillet 1994, portant création, organisation et fonctionnement des Offices à caractère social, culturel et scientifique, prévoit qu’un « Directeur Général est nommé par décret pris en Conseil des Ministres sur proposition du Ministre de tutelle, après avis du Ministre chargé des Entreprises Publiques et Semi Publiques. »
122. La Cour fait observer que les deux (02) directeurs généraux ne siègent pas au COS-LEPI à titre personnel, mais en raison de leurs fonctions comme directeurs généraux. Étant donné qu’ils sont nommés et démis de leurs fonctions par le gouvernement, leur dépendance fonctionnelle fait qu’en pratique, ils se présentent comme représentant le gouvernement au COS-LEPI. En conséquence, un observateur externe peut raisonnablement douter qu’un directeur général nommé et démis par un gouvernement ne puisse pas suivre des instructions de celui qui l’a nommé ouqu’il ne cherche pas à le favoriser, le cas échéant.
123. La Cour a, par ailleurs, estimé que la composition d’un organe électoral doit être équilibrée28. En l’espèce, sur les onze (11) membres du COS-LEPI, sept (07) sont sous contrôle du gouvernement, à savoir, les cinq (05) désignés par la 28 majorité parlementaire et les deux (02) directeurs généraux qui sont nommés par le gouvernement.
124. À la lumière de tout ce qui précède, la Cour conclut que le COS-LEPI, de par sa composition, n’offre pas suffisamment des garanties d’indépendance et d’impartialité et qu’il ne peut pas donc être perçu comme offrant de telles garanties29, en vertu des articles 17(2) de la CADEG et 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie.
125. En conséquence, en plus des articles 17(2) de la CADEG et 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie, l’État défendeur a violé l’article 13(1) de la Charte. C. Sur la modification unilatérale et substantielle de la loi électorale moins de six (06) mois avant les élections
126. Le Requérant allègue que l’État défendeur est partie au Protocole de la CEDEAO sur la démocratie, tel que réaffirmé par sa Cour constitutionnelle dans sa décision DCC 15-086 du 14 avril 2015. Il en conclut que l’État défendeur est soumis à l’article 2.1 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie qui dispose qu’« [a]ucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (06) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques ».
127. Le Requérant interprète l’article 2(1) du Protocole de la CEDEAO comme interdisant des réformes substantielles de la loi électorale dans les six (06) mois précédant les élections, sauf consentement d’une large majorité des acteurs politiques. Il allègue qu’en l’espèce, « la réforme du Code électoral a été votée après le dialogue politique non inclusif, donc sans consentement d’une large majorité des acteurs politiques ».
128. Le Requérant allègue, en outre, qu’entre le 15 novembre 2019, date d’adoption du Code électoral de 2019 et le 2 mars de 2020, date fixée par la CENA pour le début du dépôt des dossiers de candidature en vue des élections communales et municipales, il s’est écoulé moins de six (06) mois.
129. Il conclut que l’article 2(1) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie citée ci-dessus a été violé, le Code électoral ayant été adopté à moins de six (06) mois de la tenue des élections communales et municipales, et sans consentement d’une large majorité des acteurs politiques. ***
130. L’État défendeur réfute le mode de computation faite par le Requérant, et soutient que les six (06) mois doivent être comptés entre le 15 novembre 2019 et le 17 mai 2020, date des élections. Ce qui fait, selon lui, plus de six (06) mois.
131. L’État défendeur allègue que le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie a été adopté « dans le cadre de la communauté CEDEAO avec des règles de contrôle strictes qui s’imposent à la Cour du présent siège lorsqu’elle y recourt. »
***
132. La Cour note que l’article 2(1) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie dispose qu’« [a]ucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques.
133. La Cour note que l’État défendeur a ratifié le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie, le 21 décembre 2001, et rien dans le dossier n’indique qu’il n’y est plus partie. À cet égard, le Requérant affirme que la Cour constitutionnelle du l’État défendeur, dans sa décision DCC 15-086 du 14 avril 2015, a réaffirmé que l’État défendeur est toujours lié par ce Protocole.
134. La Cour note que l’article 2(1) ci-dessus prévoit les exigences suivantes : i) la réforme porte sur la loi électorale ; ii) elle doit être substantielle ; et iii) elle doit intervenir durant les six (06) précédant les élections, sauf le consentement d’une large majorité des acteurs politiques.
135. La Cour note que les deux premières conditions ne sont pas discutées et rien dans le dossier n’indique que la loi électorale n’a pas été reformée de manière substantielle.
136. La Cour note, par contre, que les Parties ne s’accordent pas sur la computation du délai de six (6) mois et sur la réforme consensuelle. Il faut donc déterminer la signification du terme « élections » dans le contexte du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la date du départ de la computation du délai de six (06) mois.
137. La Cour est d’avis que dans le contexte de ce Protocole, « élections » veut dire la date du vote, c’est-à-dire, le 17 mai 2020, date des élections communales et municipales. Le point de départ de la computation du délai de six (06) moi est le 15 novembre 2019, qui correspond à la date de la publication du Code électoral de 2019 dans le journal officiel. Ainsi, entre le 15 novembre 2019 et le 17 mai 2020, six (06) et deux (02) jours se sont découlés.
138. En conséquence, la Cour considère que l’Etat défendeur n’a pas violé son obligation de ne pas modifier la loi électorale dans les six (6) mois précédant les élections.
D. Sur l’allégation de violation de l’obligation de garantir la paix et la sécurité nationale et internationale
139. Le Requérant allègue que des multiples violations des droits et obligations en matière des droits de l’homme, notamment la composition déséquilibrée du COS-LEPI affectant l’indépendance et l’impartialité de cet organe électoral, et la discrimination, constituent une menace à la paix. Il considère d’ailleurs que la paix n’estpas seulement l’absence de guerre.
140. Le Requérant soutient que « l’affaiblissement du règne des droits de l’homme, de la justice et des institutions démocratiques fait le lit du terrorisme. » À cet égard, Il fait référence à « la coïncidence des évènements malheureux des 1er et 02 mai 2019 à Cadjèhoun entre l’enlèvement des touristes français dans le parc de la Pendjari par des djihadistes venus du Burkina Faso. » Pour le Requérant, il en résulte une violation potentielle de l’article 23 (1) de la Charte par l’État défendeur.
141. L’État défendeur n’a pas répondu à cette allégation.
***
142. L’article 23 de la Charte dispose
1. Les peuples ont droit à la paix et à la sécurité tant sur le plan national que sur le plan international. Le principe de solidarité et de relations amicales affirmé implicitement par la Charte de l'Organisation des Nations Unies et réaffirmé par celle de l'Organisation de l'Unité Africaine est applicable aux rapports entre les Etats.
2. Dans le but de renforcer la paix, la solidarité et les relations amicales, les Etats, parties à la présente Charte, s'engagent à interdire :
i. qu'une personne jouissant du droit d'asile aux termes de l'article 12 de la présente Charte entreprenne une activité subversive dirigée contre son pays d'origine ou contre tout autre pays, parties à la présente Charte ;
ii. que leurs territoires soient utilisés comme base de départ d'activités subversives ou terroristes dirigées contre le peuple de tout autre Etat, partie à la présente Charte.
143. La Cour relève que les violations graves et massives des droits de l’homme, surtout dans le contexte électoral, peuvent conduire à la dégradation de la paix et de la sécurité nationale et internationale. Elle rappelle qu’ils sont du domaine public les situations où la mauvaise organisation des élections, accompagnées des violations graves et massives des droits de l’homme, ont conduit à des troubles qui ont causés des pertes énormes en vie humaine et des dégâts matérielles.
144. La Cour est convaincue qu’il existe une connexion chaque fois grandissantes entre les droits de l’homme et la paix. Cependant, elle constate que, dans le cas d’espèce, le Requérant fait des allégations sans les étayer. A cet égard, la Cour de céans fait observer que « [d]es affirmations d'ordre général selon lesquelles un droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des preuves plus concrètes sont requises».30
145. En conséquence, cette allégation est rejetée. E. Sur l’allégation de violation du droit à une égale protection de la loi 146. Le Requérant allègue que « la composition du COS-LEPI est totalement déséquilibrée en faveur du pouvoir et que ce déséquilibre affecte l’Independence et l’impartialité de cet organe électoral ».
147. Il allègue qu’« [e]n ne plaçant pas tous les candidats potentiels sur un pied d’égalité, la composition actuelle du COS-LEPI viole le droit à une protection de la loi, consacré par les différents instruments des droits de l’homme ci-dessus mentionnées ratifiés par l’État défendeur, particulièrement l’article 10(3) de la CADEG et l’article 3(2) de la Charte.
***
148. L’État défendeur soutient que la composition du COS-LEPI ne présente aucun élément d’illégalité, l’article 137 du Code électoral de 2018 prévoyant que le COS-LEPI est composé de onze (11) membres désignés comme suit : cinq (05) députés par la majorité parlementaire, quatre (04) par la minorité parlementaire, du directeur général de l’Institut national de la statistique et de l’analyse économique et du directeur du service national en charge de l’état civil.
149. L’État défendeur allègue que, conformément à ce qui a été convenu avec la Commission des lois, de l’administration et des droits de l’homme de l’Assemblée Nationale, cinq (05) membres du COS-LEPI ont été désignés par l’Union Progressiste, qui est la majorité parlementaire. Le Bloc Républicain, qui est la minorité parlementaire, a désigné les quatre (04) membres restants. Selon l’État défendeur, les membres du COS-LEPI ont été nommés, conformément à l’article 137 du Code électoral de 2018 ci-dessus cité. La composition du COS-LEPI est donc légale et légitime.
***
150. L’article 3 de la Charte africaine est libellé comme suit :
« 1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi ».
151. La Cour note que le principe d’égalité devant la loi résulte de ce texte31. Tel que libellé, il comprend deux volets : la première est relative à l’obligation des entités en charge de l’application de la loi de le faire de manière égale pour tous. Le second volet implique que la loi, elle-même, traite des personnes de façon égale32.
152. La Cour note que, en l’espèce, la disposition contestée par le Requérant donne la même opportunité d’être membre du COS-LEPI à tous les partis politiques, qu’ils soient majoritaires ou minoritaires à l’Assemblée nationale, en fonction de leur niveau de représentation. À cet égard, la Cour a estimé que ce principe « ne requiert pas nécessairement un traitement égal en toutes les circonstances et peut permettre un traitement différencié des individus placés dans des situations différentes.33 » En effet, la différence de traitement entre les partis majoritaires et minoritaires en ce qui concerne la représentation au COS-LEPI résulte de leurs différences de représentation à l’Assemblée nationale.
153. La Cour relève qu’il résulte de ce qui précède que la répartition des sièges au COS-LEPI est conforme à l’article 137 du Code électoral de 2018. Cette conclusion n’est, d’ailleurs, pas contestée par le Requérant. Il conteste plutôt le fait que la minorité parlementaire, étant proche du Président de la République, ne constitue pas une opposition sérieuse. Or, ce type jugement relève de la sphère politique que la Cour n’est pas censée connaître, sauf si elles entraînent des violations des droits de l’homme.
154. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation du Requérant.
IX. SUR LES RÉPARATIONS
155. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner des mesures pour remédier aux violations de ses droits, y compris la modification de la loi électorale et l’annulation des élections communales et municipales du 17 mai 2020.
156. L’État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparations formulée par le Requérant et de le condamner à lui payer deux milliards (2 000 000 000) de francs CFA, à titre reconventionnel, pour l’ensemble des préjudices subis et encourus.
***
157. L’article 27(1) du Protocole dispose «[l]orsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation».
158. La Cour a estimé que les réparations ne sont accordées que quand la responsabilité de l’État défendeur pour fait internationalement illicite est établie et que le lien de causalité est établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. Comme la Cour l’a indiqué précédemment, le but des réparations est de faire en sorte que la victime se retrouve dans la situation qui aurait été la sienne si les violations constatées n’avaient pas été commises34.
159. La Cour rappelle qu’elle a déjà constaté que l’État défendeur a violé les droits du Requérant prévu aux articles 17(2) de la CADEG, 2(1) et 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et, en conséquence, l’article 13(1) de la Charte.
A. Réparations non pécuniaires
160. Le requérant prie la Cour d’ordonner à l’État défendeur de modifier son code électoral de 2019 et d’annuler les élections locales et municipales du 17 mai 2020. i. Modification du Code électoral
161. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner l’État défendeur de modifier le Code électoral. L’État défendeur s’oppose à cette demande pour qui, selon lui, est mal fondée.
***
162. La Cour note que l’interdiction de modifier les lois électorales moins de six (06) mois avant les élections, sauf s’il y a des consensus, est un principe qui tend à éviter des changements visant à favoriser ou défavoriser certaines candidatures ou partis politiques à la veille des élections, et ce indépendamment du contenu de la modification.
163. La Cour note qu’en dehors de la prohibition formelle de modifier les lois électorales moins de six (06) mois avant les élections, la substance de la loi modifiée peut aussi être en cause. Dans le cas d’espèce, le Requérant ne conteste pas une disposition spécifique du Code électoral modifié, plutôt le fait qu’il a été modifié moins de six (06) mois avant les élections.
164. Par ailleurs, la Cour note qu’elle n’a pas constaté la violation par l’État défendeur de son obligation de ne pas modifier unilatéralement et substantiellement la loi électorale moins de six avant les élections sans le consentement d’une large majorité des acteurs politiques.
165. En conséquence, cette demande est rejetée.
ii. Annulation des élections communales et municipales du 17 mai 2020
166. Le Requérant demande à la Cour d’annuler les élections communales et municipales du 17 mai 2020 du fait qu’ils ont été organisé par des organes électoraux non indépendants et impartiaux, notamment le CENA et COS-LEPI parce et que le Code électoral a été modifié moins de six (06) avant les élections par une Assemblée nationale illégitime.
***
167. La Cour note qu’elle n’a pas constaté l’illégitimité de l’Assemblée nationale, ni le défaut indépendance ou l’impartialité du CENA. Par ailleurs, elle a constaté que le Code électoral a été modifié moins de six (06) mois avant les élections du 17 mai 2020 et que le COS-LEPI avait une composition déséquilibrée du fait que sept (07) de ses onze (11) membres sont contrôlés par le gouvernement avait par la majorité de prise des décisions.
168. La Cour fait observer que l’article 27(1) du Protocole lui donne des pouvoirs suffisants pour ordonner à un État défendeur de prendre des mesures visant à annuler une élection si elle l’estime appropriée pour remédier à la situation. Pour cela, elle prendra en compte la gravité des violations constatées, leur implication sur la crédibilité de l’ensemble du processus électoral et l’impact d’une telle mesure sur la sécurité et la stabilité du pays.
169. La Cour note qu’en l’espèce, le Requérant n’a pas démontré l’impact substantiel des violations constatée sur la crédibilité de l’ensemble du processus électoral Rien dans le dossier n’indique que le processus électoral a été impacté par les violations constatées au point que l’annulation soit la mesure la plus appropriée pour remédier à la situation.
170. En conséquence, cette demande est rejetée.
B. Demande reconventionnelle
171. L’État défendeur demande à la Cour de « constater la vacuité des demandes non fondées du demandeur anonyme et de le condamner à payer reconventionnellement à l’État du Bénin la somme de FCFA deux milliards (2 000 000 000) à titre de réparation pour lui avoir fait encourir une condamnation de nature à porter atteinte à l’image de l’État. »
172. Le Requérant, n’a pas répliqué.
***
173. La Cour note qu'il ressort du dossier que la demande reconventionnelle de l’État défendeur est basée sur l’allégation selon laquelle le Requérant a abusé de son droit de saisine de la Cour. Cependant, la Cour rappelle qu’elle a conclu que le Requérant n’avait pas abusé de son droit d’ester en justice ou de la procédure devant la Cour (voir paragraphe 45 du présent arrêt). La Cour n’a pas non plus établi que la Requête manque de fondement comme l’État défendeur l’affirme. La Cour a plutôt constaté la violation par l’État défendeur de son obligation de créer un organe électoral indépendant et impartial. De plus, le fait qu’un jugement à l’encontre de l’État défendeur soit rendu par la Cour, même si cela peut nuire à son image, ne confère pas en soi à l’État défendeur le droit de présenter une demande reconventionnelle.
174. En conséquence, la Cour conclut que cette demande n’est pas fondée et la rejette.
X. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
175. Le Requérant demande que l’État défendeur soit condamné aux dépens.
176. L’État défendeur n’a pas formulé de demande précise concernant les frais de procédure.
177. La Cour note que la Règle 32(2) du Règlement35 prévoit que « sauf décision contraire de la Cour, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
178. La Cour décide que, dans les circonstances d’espèce, chaque partie supporte ses frais de procédure.
XI. DISPOSITIF
179. Par ces motifs, LA COUR, À l’unanimité,
Sur la compétence
i. Rejette les exceptions d’incompétence ;
ii. ii. Déclare qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’allégation de l’illégitimité et de l’illégalité de l’assemblée nationale n’a pas été établie ;
vi. Dit que l’allégation du défaut d’Indépendance et de l’impartialité de la CENA n’a pas été établie ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à une égale protection de la loi, prescrit à l’article 3(2) de la Charte ;
viii. Dit que l’Etat défendeur n’a pas violé l’obligation de ne pas modifier la loi électorale dans les six (6) mois précédant les élections législatives communales et municipales du 17 mai 2020, prévue par l’article 2 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie ;
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit des citoyens de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, prévu à l’article 13(1) de la Charte, du fait que la composition du COS-LEPI ne donne pas des garanties d’indépendance et d’impartialité, en vertu des articles 17(2) de la CADEG et 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie. Sur les réparations Sur les réparations pécuniaires
x. Rejette la demande reconventionnelle de l’État défendeur. Sur les réparations non pécuniaires
xi. Rejette la demande d’annulation des élections communales et municipales du 17 mai 2020.
xii. Ordonne à l’État défendeur de prendre des mesures visant conformer la composition du COS-LEPI avec les dispositions des articles 17(2) de la CADEG et 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie avant toute l’élection;
Sur la mise en œuvre et le rapport
xiii. Ordonne à l'Etat défendeur de soumettre à la Cour, dans un délai de trois (3) mois à compter de la date de notification du présent arrêt, un rapport sur la mise en œuvre des points xii du présent dispositif.
Sur les frais de procédure
xiv. Dit que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé:
Sylvain ORÉ, Président ;
Ben KIOKO, Vice- président ;
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ;
Angelo V. MATUSSE, Juge ;
Suzanne MENGUE, Juge ;
M-Thérèse MUKAMULISA, Juge ;
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ;
Chafika BENSAOULA, Juge ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ;
Stella I. ANUKAM, Juge ;
Imani D. ABOUD, Juge.
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce vingt-septième jour du mois de novembre de l’an deux mille vingt, en anglais et en français, le texte français faisant foi.
Notes
1 Hongue Eric Noudehouenou c. République du Benin, CAfDHP, Requête No. 003/2020 ordonnance du 05 mai 2020 (mesures provisoires), §§ 4-5 and Corrigendum du 29 juillet 2020.
2 Ancien article 39(1) du Règlement du 2 juin 2010.
3 Règle 29(1)(a) du Règlement du 25 septembre 2020, en vigueur.
4 Règle 41(1)(f) du Règlement du 25 septembre 2020, en vigueur.
5 Franck David Omary et autres c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RJCA 371 § 74; Peter Chacha c. République Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RJCA 413§ 118.
6 L’Etat défendeur est devenue partie à la Charte Africaine de la Démocratie Et de la Gouvernance (ci –après dénommé CADEG), le 11 juillet 2012 ainsi qu’au le Protocole A/SP1/12/01 de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la démocratie et la bonne gouvernance, additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de règlement des conflits, de maintien de la paix et de la sécurité (Protocole de la CEDEAO sur la démocratie), le 20 février 2008.
7 Voir Actions pour la protection des droits de l’homme c. République de Côte d’Ivoire (fond et réparations) (18 novembre 2016) 1 RJCA 697, §§ 47-65.
8 Voir Paragraphe 2 ci-dessus.
9 Sébastien Ajavon c. République du Bénin, CAfDHP, Requête No. 013/2017, Arrêt du 29 mars 2019 (fond), §§ 63-64.
10 Article 54 du Règlement du 2 Juin 2010.
11 Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, Communication 25/89, 47/90, 56/91, 100/9, Comité des Avocats pour les droits de l’homme, Union Interafricaine des Droits de l’Homme, Les Témoins de Jehovah (WTOAT) v. Zaïre, §. 51.
12 Ancien article 40 du Règlement du 2 juin 2010.
13 Ibid.
14 Communication No. 1/88, Fredrick Korvac c. Libéria.
15 Communication No. 13/88, Hadjali Mohamed c. Algérie.
16 Communication No. 35/89), Seyoum Ayele c. Togo.
17 Peter Chacha c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RJCA 413, § 118. 18 Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015 (2015) 1 RJCA 482, § 52.
19 Alex Thomas c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015 (2015) 1 RJCA 482, § 64. Voir aussi Wilfried Onyango Nganyi et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (18 mars 2016 (2016) 1 RJCA 526, § 95.
20 L’article 35 du Règlement intérieur de la Constitution dispose, dans le cadre du contrôle de conformité à la Constitution : « La Cour constitutionnelle se prononce sur l’ensemble de la loi, tant sur son contenu que sur la procédure de son élaboration » ;
21 Ancien article 40 du Règlement du 2 juin 2010.
22 Ancien article 40(1) du Règlement du 2 juin 2010.
23 Déclaration de Bamako, adoptée le 3 novembre 2000 par les Ministres et chefs de délégation des États et gouvernements des pays ayant le français en partage lors du « Symposium international sur le bilan des pratiques de la démocratie, des droits et des libertés dans l’espace francophone ».
24 Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 140.
25 Suy Bi Gohore Emile c. République de Côte d’Ivoire, CAfDHP, Requête n°044/2017, Arrêt (15 Juillet 2020) (fond), § 200 ; Actions pour la Protection des droits de l’Homme c. République de Côte d’Ivoire, (fond et réparations) (18 novembre 2016), 1 RJCA 697, § 118 ;
26 Article 20 : La Commission électorale nationale autonome (CENA) est composée de cinq (05) membres désignés par l’Assemblée Nationale. Ils sont choisis parmi les personnalités reconnues pour leur compétence, leur probité, leur impartialité, leur moralité, leur sens patriotique et désignées à raison de : - deux (02) par la majorité parlementaire ; - deux (02) par la minorité parlementaire ; - un (01) magistrat de siège.
27 Tanganyika Law Society, the Legal and Human Rights Centre et Reverend Christopher R. Mtikila c. Tanzanie (fond) (14 juin 2013) 1 RJCA 34, § 113.
28 Actions pour la protection des droits de l’homme c. République de Côte d’Ivoire (fond et réparations) (18 novembre 2016) 1 RJCA 697, § 125.
29 Idem, § 133.
30 Alex Thomas c. Tanzanie (fond), § 140.
31 Ayants droit de feus Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise Ilboudo et Mouvement Burkinabé des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (fond) (2014) 1 RJCA 226, § 167. Voir aussi Jebra Kambole c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 018/2018, arrêt du 15 juillet 2020 (fond et réparations), § 87.
32Kennedy Owino Onyachi et Charles John Mwanini Njoka c. République-Unie de Tanzanie (fond), (28 septembre 2017) 2 RJCA 67, § 150-152.
33 Jebra Kambole c. Tanzanie (fond et réparations), § 87
34 Voir Lucien Ikili Rashidi c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 009/2015, arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), § 116-118 et Ayants droits de feus Norbert Zongo, Abdoulaye Nikiema dit Ablasse, Ernest Zongo et Blaise Ilboudo et Mouvement Burkinabé des droits de l’homme et des peuples c. Burkina Faso (réparations) (5 juin 2015) 1 RJCA 265, § 60.
35 Ancien article 30(2) du Règlement du 2 juin 2010.