AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES”’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AG Ar Am Bl B
REPUBLIQUE DU BENIN
SOMMAIRE
Sommaire
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
IV. MESURES DEMANDÉES PAR LES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A Sur les exceptions d’incompétence matérielle
) Sur l’exception tirée de l’absence de violations de droits de l'homme
i Sur l’exception tirée de l’incompatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l'Union
africaine et avec la Charte 10
) Sur l’exception tirée du caractère déraisonnable des demandes 11
iv) Sur l’exception tirée de la critique des décisions des juridictions internes 12
” Sur l’exception tirée du contrôle de conventionalité in abstracto des lois internes 13
B Sur les autres aspects de la compétence 15
VI. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES RELATIVES A LA RECEVABILITÉ 15
) Sur l’exception tirée du défaut de qualité de victime du Requérant 16
i Sur l’exception tirée de l’abus du droit d’ester en justice 16
) Sur l’exception tirée de l'impossibilité pour le Requérant d’exercer un recours en
manquement 18
iv) Sur l’exception tirée du défaut d’intérêt à agir 19
VII. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE 20
A Sur les conditions de recevabilité en discussion entre les parties relatives à l’article 56 de la Charte 21
D) Sur les exceptions tirées du non - épuisement des recours internes et de l'introduction de la Requête dans un délai non — raisonnable, en relation avec les arrêtés des maires de Parakou et d’'Abomey - Ah 22
B Sur les autres conditions de recevabilité 24
VIII. AU FOND 28
A Sur les violations relatives aux élections législatives du 28 avril 2019 29
) Sur la violation du droit à la liberté d'opinion et d'expression 29
ï) Sur la violation du droit de grève 32
ii) Sur la violation du droit à la liberté de réunion 36
W) Sur la violation du droit à la liberté et à la sécurité …………..……..….…..….….….rrciencesencsencs 38
() Sur les violations du droit à la vie, du droit de ne pas être soumis à la torture et du droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine … .39
v) Sur la violation du droit à ce que sa cause soit entendue
vi) Sur la violation du droit à la liberté d'association
vi) Sur les violations alléguées du droit à la liberté d'association, du droit de participer librement à la direction des affaires publiques de son pays, du droit à la non-discrimination, en lien avec les dispositions de la loi n° 2018-31 du 09 Octobre 2018 portant code électoral
x) Sur la violation du droit des victimes des violences post — électorales à ce que leurs
causes soient entendUES ……………..…...…..……...…...…..…erresrianencenennenenennnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnnn 53
X) Sur la violation de l’article 1(i) du Protocole additionnel A/SP1/12/01 de la CEDEAO sur
x) Sur la violation l’obligation de créer des organes électoraux indépendants et impartiaux
Xi) Sur la violation de l’obligation de ne pas modifier unilatéralement la loi électorale
moins de six (6) mois avant les élECtIONS.…….…..…...…...…..............rcrercreeresencsar care san rr sers 61
B. Sur la violation alléguée de l'obligation de l’État défendeur de créer des juridictions
indépendantes et impartiales
} Sur la violation alléguée de l'indépendance et de l’impartialité de la Cour
i) — Sur la violation alléguée de l'indépendance du pouvoir judiciaire
C. Sur la violation alléguée de l’obligation d'adopter une révision constitutionnelle sur la
IX. SUR LES RÉPARATIONS …………….….….…….ercesrerecererrereeserrrerserererrrererensenersreneserereeseneren seems 79
X. SUR LA DEMANDE DE MESURES PROVISOIRES …....….…..…..…..…crcerierierencensennencencenennences 83
XI. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ……………….….…….………rericecerrsrerserssensensennensenssererseesrersesennnens 84
La Cour composée de: Sylvain ORÉ, Président; Ben KIOKO, Vice — Président; Rafaâ
BEN ACHOUR, Angelo V. MATUSSE, Suzanne MENGUE, M-Thérèse MUKAMULISA,
Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM,
Cc Yc Y - Juges et Robert ENO, Greffier.
En l’affaire
AG Ar Am Bl B
Représenté par Me Issiaka MOUSTAFA, Avocat au Barreau du Bénin.
Contre
RÉPUBLIQUE DU BENIN
Représentée par M. Cx AK, Agent Judiciaire du Trésor.
Après en avoir délibéré,
Rend le présent Arrêt
I. LES PARTIES
1 Le Sieur AG Ar Am Bl B, (ci-après, dénommé « le
Requérant »), de nationalité béninoise, est un homme d’affaires, résidant à
Paris, France, comme réfugié politique. |! allègue la violation de plusieurs droits
civils et politiques en relation avec des lois, notamment, électorales,
récemment adoptées en République du Bénin.
2 La Requête est dirigée contre la République du Bénin (ci — après dénommée
« l'Etat Défendeur »), devenue partie à la Charte Africaine des Droits de
l'Homme et des Peuples (ci-après dénommée « la Charte ») le 21 octobre 1986
et au Protocole relatif à la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples portant création d’une Cour Africaine des Droits de l'Homme et des
Peuples (ci — après dénommé « le Protocole »), le 22 août 2014. L'Etat
défendeur a, en outre, fait, le 08 février 2016, la déclaration prévue par l’article
34(6) dudit Protocole (ci-après dénommée « la Déclaration ») en vertu de
laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes
émanant des individus et des Organisations Non Gouvernementales. Le 25
mars 2020, l’Etat défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union
africaine, l'instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a jugé que ce retrait
n'a aucun effet, d’une part, sur les affaires pendantes et d'autre part, sur les
nouvelles affaires déposées avant l'entrée en vigueur du retrait un an après
son dépôt, soit le 26 mars 2021 !,
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3 Le Requérant fait valoir que les élections législatives béninoises du 28 avril
2019 étaient irrégulières et que l'Assemblée Nationale qui en est issue a été
mise en place suite à une série de lois électorales qui ne sont pas conformes
aux Conventions internationales.
4 Le Requérant ajoute que le Parlement a adopté, à l’unanimité, dans la nuit du
31 octobre au 1° Novembre 2019, une loi portant révision de la Constitution
qui, après contrôle de conformité à ladite Constitution par la Cour
constitutionnelle, a été promulguée par le Président de la République et publiée
au journal officiel. Le Requérant précise que cette loi et celles qui lui sont
subséquentes sont à l’origine de plusieurs violations de droits de l'homme.
1 Xy Cm Xn c. République du Rwanda, (compétence) (03 juin 2016) 1 RICA 585 8 69 ; Ap Bd Yb c. République du Benin, CAÏDHP, Requête No. 003/2020 ordonnance du 05 mai 2020 (mesures provisoires), 88 4- 5 et Corrigendum du 29 juillet 2020.
2
B. Violations alléguées
5 Le Requérant allègue la violation des droits et libertés suivants :
i Le droit à la liberté d'opinion et d’expression, protégé par les articles 9 (2) de la
Charte et 19 (3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après
dénommé « PDCIP ») ;
i Le droit de grève, protégé par l’article 8(1)(d)(2) Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels (ci-après dénommé « PIDESC »);
ïñ. Le droit à la liberté de réunion, protégé par l’article 11 de la Charte ;
v. Le droit à la liberté et à la sécurité, protégé par l’article 6 de la Charte ;
v. Le droit à la vie et à l'intégrité physique et morale ainsi que le droit de ne pas être
soumis à la torture, protégés, respectivement, par les articles 4 et 5 de la Charte ;
VW. Le droit à ce que sa cause soit entendue, protégé par l’article 7 (1) de la Charte ;
Vi. Le droit à la liberté d’association, protégé par les articles 10 de la Charte et 22 (1)
du PIDCP ;
Vi Le droit à la non-discrimination et le droit de participer librement à la direction des
affaires publiques de son pays, protégés, respectivement, par les articles 2 et 13(1)
de la Charte ;
X Le droit à ce que sa cause soit entendue, protégé par l’article 7 (1) de la Charte ;
x Le droit reconnu aux partis politiques d’exercer librement leurs activités, protégé
par l’article 1(i)(2) du Protocole A/SP1/12/01 de la Communauté Economique des
Etats de l'Afrique de l’Ouest sur la démocratie et la bonne gouvernance,
additionnel au Protocole relatif au mécanisme de prévention, de règlement des
conflits, de maintien de la Paix et de la Démocratie (ci-après dénommé « Protocole
de la CEDEAO sur la démocratie ») ;
& Le Requérant invoque également la violation de :
Li L'obligation de créer des organes électoraux indépendants et impartiaux,
consacrée par les articles 17(1) de la Charte africaine de la démocratie, des
élections et de la bonne gouvernance (ci-après dénommée « CADEG ») et 3 du
Protocole de la CEDEAO sur la démocratie ;
L L'obligation de ne pas modifier unilatéralement les lois électorales moins de six
(6) mois avant les élections, consacrée par l’article 2 du Protocole de la CEDEAO
sur la démocratie ;
ï. L'obligation de créer des juridictions indépendantes, consacrée par l’article 26
de la Charte ;
v. La violation de l’obligation d’instaurer un État de droit ;
v. La violation de l’obligation d'adopter une révision constitutionnelle sur la base
d’un consensus national, consacrée par l’article 10(2) de la CADEG ;
VW. La violation de l’obligation ne pas procéder à un changement anticonstitutionnel
de Gouvernement et celle de ne pas procéder à une révision constitutionnelle
qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique, consacrées
respectivement par les articles 1(c) du Protocole de la CEDEAO sur la
démocratie et 23(5) CADEG.
II. …— RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR
7. La Requête introductive d'instance a été reçue au Greffe le 29 novembre 2019.
8 Suite à une demande de mesures provisoires du 09 janvier 2020, la Cour a
rendu, le 17 avril 2020 une Ordonnance de mesures provisoires dont le
dispositif est ainsi conçu :
LA COUR,
À l’Unanimité,
i Rejette l’exception préliminaire d’incompétence ;
i Se déclare compétente prima facie ;
î. Rejette l’exception préliminaire d’irrecevabilité ;
LA Ordonne à l’État défendeur de surseoir à la tenue de l’élection des conseillers
municipaux et communaux prévue pour le 17 mai 2020 jusqu’à ce que la Cour
rende une décision au fond.
V. Rejette la demande de suspension de l'application des lois votées par
l’Assemblée Nationale, à savoir, la loi organique n° 2018 — 02 du 04 janvier
2018 modifiant et complétant la loi organique n° 4 — 027 du 18 mars 1999
relative au Conseil Supérieur de la Magistrature, la loi n° 2017 — 20 du 20 avril
2018 portant Code du numérique en République du Bénin, la loi n° 2018 — 34
du 05 octobre 2018 modifiant et complétant la loi n° 2001 — 09 du 21 juin 2002
portant exercice du droit de grève, la loi n°2018 — 016 portant code pénal, la
loi n° 2019 — 40 du 07 novembre 2019 portant révision de la loi n° 90 — 032 du
11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin ainsi que
les arrêtés municipaux visés par le Requérant.
M. Ordonne à l’État défendeur de lui faire un rapport, sur l’exécution de la mesure
provisoire, dans un délai d’un mois, à compter de la réception de la présente
décision.
9 S'agissant du fond et des réparations, les parties ont déposé leurs écritures
dans les délais fixés par la Cour. Celles — ci ont été régulièrement
communiquées.
10 Le 12 Octobre 2020, les débats ont été clôturés et les parties en ont dûment
été informées.
11 Le 15 Octobre 2020, le Requérant a déposé une deuxième demande de
mesures provisoires priant la Cour d'ordonner à l'Etat défendeur de prendre les
mesures nécessaires pour lever tous les obstacles à sa participation effective
en tant que candidat indépendant à l'élection présidentielle de 2021.
12 Le 12 novembre 2020, le Greffe a reçu la réponse de l'Etat défendeur à la
demande de mesures provisoires.
13 La Cour estime que l’objet de la demande de mesures provisoires est identique
à celui de la Requête introductive d'instance. Elle la traitera en même temps
que le fond de l'affaire.
IV. MESURES DEMANDÉES PAR LES PARTIES
14 Le Requérant demande à la Cour de :
Li Constater la non conventionalité des lois qui ont favorisé l'installation de
l’Assemblée nationale lors des élections législatives du 28 avril 2019 ;
Li Constater l'absence d'indépendance et d’impartialité de la Cour constitutionnelle
ï. Constater la violation, par la République du Bénin, du préambule, des articles
2(2), 3(2), 4(1), 10(2), 17(1), 23(5) et 32(8) de la CADEG et 1(i) alinéa 2 du
Protocole A/SP1/12/01 sur la démocratie et la bonne gouvernance additionnel
au protocole relatif au mécanisme de prévention, de gestion, de règlement des
conflits, de maintien de paix et de la sécurité.
v. Condamner l’État du Bénin aux dépens de la cause. »
15 Pour sa part, l’État défendeur demande à la Cour de :
Li « Constater que la Requête est incompatible avec l’Acte constitutif de l'Union
africaine et la Charte ;
i Constater l’absurdité des demandes tendant à l’annulation de la loi fondamentale
béninoise ;
ï. Constater que la Cour (.…) n’est pas juge d’appel des décisions des juridictions
v. Constater que le demandeur sollicite un contrôle de conventionalité abstrait des
lois internes du Bénin ;
v. Dire que la Cour est incompétente ;
VW. Constater que le plaignant multiplie les procédures en guise de propagande
politique ;
Vi. Dire que la requête est irrecevable pour abus de droit ;
Wii Constater que la Cour européenne des Droits de l'Homme («ci-après
dénommée CEDH ») a dit qu’une demande est abusive lorsqu’un requérant
multiplie les requêtes sans intérêt ;
< Constater que suivant les enseignements de la CEDH, est abusif tout
comportement d’un requérant manifestement contraire à la vocation du droit de
recours établi par la Convention (ici la Charte) ;
x Constater que la CEDH a dit que la Cour peut également déclarer abusive une
requête qui est manifestement dépourvue de tout enjeu réel et/ou (...) de
manière générale, est sans rapport avec les intérêts légitimes objectifs du
requérant [Xc c. Allemagne ; SAS c. France [GC] para 62 et 68] ;
X. Constater que le requérant n’est pas victime au sens de la Charte ;
Xi. Dire que la requête est abusive et chicanière ;
Xii En conséquence, déclarer la requête irrecevable ;
xv. Constater qu’une demande en justice doit être portée par un intérêt personnel ;
x. Constater que le Juge Ouguergouz, Vice — Président de la Cour a souligné, dans
une opinion, que l’auteur de la requête doit démontrer en quoi il est victime de
ce qu’il impute à l’État comme fait illicite au regard de la Charte ;
x. Constater que le demandeur ne justifie pas de l'intérêt à agir ;
wi. Constater que le demandeur n’a pas qualité de victime au sens du Règlement
de la Cour et la Charte ;
wi. non — épuisement des recours internes ;
xx. Constater que la requête n’est pas introduite dans un délai raisonnable courant
depuis l'épuisement des recours internes ;
xx. Constater l'intention chicanière et l’abus de droit ;
x. Constater que le demandeur exerce un recours en manquement ;
x. Constater que le demandeur n’a pas intérêt à agir ;
Xi. Dire que la demande est irrecevable. »
16 À titre subsidiaire, l'État défendeur demande à la Cour de :
Li Constater que le demandeur n’élève aucune contestation relative à un cas de
violation ;
Li Constater que la loi portant charte des partis politiques ne fait aucune entrave
aux droits de l'homme du requérant ;
ï. Constater que la loi portant code électoral en République du Bénin ne porte pas
entrave aux droits de l'homme du requérant ;
v. Constater que la loi portant exercice du droit de grève ne porte pas entrave aux
droits de l’homme du requérant ;
v. Constater que la loi portant code pénal en République du Bénin est conforme
aux engagements internationaux de l’État béninois ;
V. Constater que l’État n’a pas contrevenu à ses obligations internationales en vertu
des instruments communautaires de la CEDEAO ;
Vi. Constater que la loi fondamentale est légale et constitutionnelle ;
En conséquence
Wii Dire que la requête est mal fondée. »
17. Au titre des réparations, le Requérant sollicite les mesures suivantes :
ii Ordonner l’invalidation de la 8è"© législature issue des élections du 28 avril 2019 ;
Li Ordonner l’invalidation de la Cour constitutionnelle pour défaut d’impartialité et
d'indépendance de son président ;
ï. Ordonner l’annulation pure et simple de la loi n°2019 — 40 du 07 novembre 2019
portant révision de la Constitution de la République du Bénin et de toutes les lois
qui en sont issues (Charte des partis politiques, code électoral, statut de
l'opposition, financement des partis politiques…) ;
v. Mettre le Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’Union africaine aux trousses
des auteurs et complices de ce (..….) changement anticonstitutionnel de
Gouvernement ;
V. SUR LA COMPÉTENCE
18 La Cour note que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les
différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de
la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif
aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la
Cour décide.
19 Aux termes de la Règle 49 (1) du Règlement”, « la Cour procède à un examen
de sa compétence (...) conformément à la Charte, au Protocole et au (...)
Règlement ».
Æ, Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque requête,
procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer, le cas
échéant, sur les exceptions d’incompétence.
2 Article 39(1) de l’ancien Règlement de la Cour du 2 juin 2010 ;
8
21 La Cour note que le Requérant soulève plusieurs exceptions d’incompétence
matérielle.
A. Sur les exceptions d’incompétence matérielle
2 L'État défendeur soulève cinq (5) exceptions d’incompétence matérielle. Elles
sont tirées de l'absence de violations de droits de l'homme (i), de
l'incompatibilité de la Requête avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et de
la Charte(il), du caractère déraisonnable des demandes (ii), de la critique de
décisions de juridictions internes (iv) et du contrôle de conventionalité in
abstracto des lois internes (v).
i) Sur l’exception tirée de l’absence de violations de droits de
l’homme
2 L'État défendeur soutient, sur le fondement de l’article 34 du Règlement
intérieur de la Cour* (ci — après dénommé « le Règlement »), que la Cour ne
peut exercer sa compétence que si un cas de violation de droits de l'homme lui
est soumis. Il relève que le Requérant doit caractériser les violations alléguées
et ne pas se contenter d’invoquer des hypothèses ou circonstances abstraites.
2, Le Requérant sollicite le rejet de l'exception en faisant observer que l’article 34
(4) du Règlement est relatif aux conditions accessoires de recevabilité et que
la compétence matérielle de la Cour s’apprécie plutôt au regard de l’article 3(1)
du Protocole et l’article 26(1) du Règlement“.
3 Correspond à la Règle 40(2) du nouveau Règlement intérieur entré en vigueur le 25 septembre 2020
(nouveau Règlement intérieur) ;
* Correspond à la Règle 29 du nouveau Règlement ;
Æ. Il soutient avoir caractérisé des violations de droits de l'homme personnelles,
concrètes et actuelles en citant les articles qui les protègent.
@Æ La Cour souligne qu’elle a constamment établi que l’article 3(1) du Protocole
lui confère l’aptitude d’examiner toute requête qui contient des allégations de
violations de droits de l'homme protégés par la Charte ou par tout autre
instrument pertinent des droits de l'homme ratifié par l’État défendeur°.
27. En l’espèce, le Requérant allègue des violations de droits de l’homme protégés
par un ensemble d’instruments des droits de l'homme, à savoir, la Charte, la
CADEG, le PDCIP, PIDESC et le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie
auxquels l’État défendeur est partie. ©
@Æ En conséquence, la Cour rejette cette exception d’incompétence matérielle.
ï) Sur l’exception tirée de l’incompatibilité de la requête avec l’Acte
constitutif de l’Union africaine ou avec la Charte
@ L'État défendeur relève qu’une demande qui ne contient pas d’allégations de
violations de droits de l'homme doit être jugée incompatible avec l’Acte
constitutif de l'Union africaine ou avec la Charte.
@ L’État défendeur souligne qu’en affirmant que le Parlement du Bénin est
illégitime, que la Cour constitutionnelle n’est ni indépendante, ni impartiale et
que la révision constitutionnelle est intervenue tard dans la nuit, le Requérant
ne lui reproche pas d’avoir méconnu ses droits de l'homme.
5 Bv Xv c. République du Mali, CAÏDHP, Requête 010/2018, Arrêt (compétence et recevabilité) (25 septembre 2020), 8 20 ;
6 L'État défendeur est devenu partie au PDCIP et au PIDESC le 12 mars 1992. Il est devenu partie à la
CADEG, le 11 juillet 2012 ainsi qu’au Protocole de la CEDEAO le 20 février 2008 ;
10
3L Selon le Requérant, cette exception doit être rejetée dans la mesure où
l'incompatibilité de la requête avec l’Acte constitutif de l'Union africaine ou avec
la Charte n’est pas une cause d’incompétence, mais plutôt une cause
d'irrecevabilité de la requête.
&% La Cour relève, qu’au sens de l’article 56(2) de la Charte, repris par la Règle
50(2) (b) du Règlement”, la compatibilité de la requête avec l’Acte Constitutif
de l’Union africaine ou avec la Charte est une condition de recevabilité et non
une question liée à la compétence matérielle de la Cour.
% En conséquence, la Cour traitera cette question au stade de la recevabilité.
ii) Sur l’exception tirée du caractère déraisonnable des demandes
4 L’État défendeur fait valoir, sur le fondement de l’article 26 du Règlements, que
les demandes du Requérant sont déraisonnables dans la mesure où la Cour
est incompétente pour prononcer l’annulation d’une loi interne, y compris la
Constitution, ce qui conduirait à un vide juridique. Il relève que la Cour ne peut,
non plus, prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale.
%. Pour sa part, le Requérant soutient que la Cour est compétente pour examiner
la conformité des élections législatives, de la Constitution et de la Cour
constitutionnelle à la Charte.
% || souligne que l’annulation de la loi portant révision de la Constitution ne
conduirait pas à un vide juridique puisque la Constitution du 11 décembre 1990
7 Article 40 de l’ancien Règlement ;
8 Règle 29 du nouveau Règlement ;
11
sera remise en vigueur et l’annulation des élections législatives entraînerait leur
reprise ainsi que la correction des lois annulées par le nouveau Parlement.
. La Cour relève que l’incompétence matérielle de la Cour n’est pas tributaire de
la qualification faite, par l’une quelconque des parties, des faits allégués dans
la Requête.
La Cour rappelle, en effet, que sa compétence est fondée sur l’article 3(1) du
Protocole. Il s'ensuit que la caractérisation, par l’État défendeur, des demandes
comme étant déraisonnables ne peut, en conséquence, faire obstacle à
l'exercice de la compétence matérielle de la Cour. La Cour rejette, donc, cette
exception d’incompétence matérielle.
iv) Sur l’exception tirée de la critique des décisions des juridictions
internes
) L'État défendeur soutient qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour de céans,
que celle — ci n’est pas une juridiction d’appel des juridictions nationales.
D’après lui, la Cour ne peut connaître de la demande tendant à contrôler la
légalité de la décision DCC 18 — 270 rendue le 28 décembre 2018 par laquelle
la Cour constitutionnelle du Bénin a déclaré conforme à la Constitution la loi n°
2018 — 16 du 28 décembre 2018 portant code pénal.
4L Le Requérant estime que la Cour a compétence pour apprécier si cette
décision de la Cour constitutionnelle a été rendue conformément aux principes
énoncés dans la Charte et dans tout autre instrument international des droits
de l'homme applicable.
12
4 Le Requérant ajoute qu’il ne s’agit pas pour la Cour de contrôler la légalité
d’une décision interne mais plutôt de constater la violation manifeste des droits
de l'homme contenue dans un acte judiciaire. Elle n'aurait agi comme juridiction
d'appel que si elle appliquait les mêmes textes que la Cour constitutionnelle de
l'Etat défendeur, ce qui, en l'espèce n’est pas le cas.
4 La Cour note que s'il est établi qu’elle n’est pas une juridiction d’appel®, il n’en
demeure pas moins qu’elle peut valablement examiner les procédures
nationales pertinentes pour déterminer si elles sont conformes aux normes
internationales qu’elle est chargée d’interpréter et d’appliquer*°.
M Le fait qu’il soit alégué qu’une décision judiciaire interne viole des droits de
l'homme ne saurait donc faire de la Cour de céans une juridiction d’appel, d’où
il suit que cette exception est rejetée.
V) Sur l’exception tirée du contrôle de conventionalité in abstracto
des lois internes
4, L’État défendeur soutient que la Cour est incompétente du fait qu'aucune
disposition ne lui confère le pouvoir d'effectuer un contrôle in abstracto de la
législation interne, notamment, de la loi n° 2018 — 23 du 17 septembre 2018
portant charte des partis politiques (ci — après dénommée « charte des partis
politiques ») que le Requérant considère comme étant non — conventionnelle.
4. 11 explique que celui-ci peut déférer les violations, en premier ressort, devant
le juge national, la Cour de céans ne pouvant être saisie qu’à titre subsidiaire
et in concreto.
° Ernest Aw Xk c. République du Malawi (compétence) (15 Mars 2013) 1 RICA 197, 814 ;
19 Bc Cb c. République Unie de Tanzanie (fond) (20 Novembre 2015) 1 RICA 482, 8130 ;
13
47. Le Requérant sollicite, pour sa part, le rejet de l'exception argumentant qu’il ne
soumet pas à la Cour un contrôle de conventionalité in abstracto de la charte
des partis politiques, mais plutôt des articles qui violent son droit de participer
aux affaires publiques de son pays.
4 || rappelle qu’il se plaint d’une violation concrète, en ce que la Cour
constitutionnelle a exigé des candidats aux élections législatives du 28 avril
2019, en plein processus électoral, un certificat de conformité à la charte des
partis politiques (ci-après dénommé « certificat de conformité »), pour en
exclure, illégalement, des partis politiques.
4. La Cour souligne qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole elle a le pouvoir
d'interpréter et d'appliquer la Charte et tout instrument pertinent ratifié par l’État
défendeur et de conclure à l’existence ou non de violations de droits de
l'homme, y compris, lorsque celles-ci sont la conséquence de l'application
d’une norme nationale. A cet égard, la Cour souligne que les Conventions
internationales ont la primauté sur les normes de droit interne.
© En l'espèce, le Requérant allègue la violation de droits de l'homme,
notamment, la violation du droit de participer aux affaires publiques de son
pays, comme conséquence de l'adoption et l’application de certaines lois qu'il
a visées et qui ne seraient pas conformes aux instruments internationaux
ratifiés par l’Etat défendeur.
5L La Cour e estime qu’elle a le pouvoir de contrôler si de telles lois sont
conformes aux instruments internationaux de droits de l'homme ratifiés par
l'Etat défendeur. Dès lors, cette exception d’incompétence matérielle est
rejetée.
14
B. Sur les autres aspects de la compétence
© Ayant constaté que rien dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas compétente
au regard des autres aspects de la compétence, la Cour conclut qu’elle a :
) La compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur est partie à
la Charte, au Protocole et a déposé la Déclaration. Dans cette optique, la
Cour rappelle sa position antérieure selon laquelle le retrait par l'Etat
défendeur de sa Déclaration le 25 mars 2020 n’a pas d'effet sur la présente
Requête, dans la mesure où ledit retrait a été effectué après le dépôt de la
Requête devant la Cour**.
i) La compétence temporelle, dans la mesure où les violations alléguées ont
été commises après l’entrée en vigueur, à l'égard de l'Etat défendeur, des
instruments cités au paragraphe 27 du présent arrêt.
ï) La compétence territoriale, dans la mesure où les faits de la cause et les
violations alléguées ont eu lieu sur le territoire de l'État défendeur.
53 Par voie de conséquence, la Cour est compétente pour examiner la présente
Requête.
VI. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES RELATIVES A LA RECEVABILITÉ
54 L'État défendeur soulève plusieurs exceptions préliminaires relatives à la
recevabilité de la Requête. Elles sont tirées du défaut de qualité de victime du
Requérant (i), de l’abus du droit d’ester en justice (ii), de l'impossibilité
d’exercer un recours en manquement (iii) et du défaut d’intérêt à agir (iv).
11 Voir 8 2 ci - dessus
15
Æ La Cour souligne que même si, au regard du Protocole et du Règlement, ces
exceptions ne sont pas spécifiquement prévues, elle est tenue de les examiner.
i) Sur l’exception tirée du défaut de qualité de victime du Requérant
5 L'État défendeur soutient que le Requérant ne se présente pas comme victime
de violations de droits de l'homme et qu’il ne peut en être autrement, puisqu'il
n’existe aucune entrave à ses droits civiques. En outre, il n’est touché par
aucune mesure administrative.
57. Le Requérant sollicite le rejet de cette exception en faisant valoir qu’il est établi
que l’État défendeur a entravé ses droits civils et politiques. Selon lui, le refus
par le ministre de l'Intérieur et de la Sécurité Publique (ci — après dénommé
ministre de l’Intérieur) de délivrer un certificat de conformité à son parti politique
atteste de l’inexécution par l'Etat défendeur de l’'Ordonnance de mesures
provisoires rendue par la Cour le 07 décembre 2018, dans la Requête
013/2017, Affaire AG B c. République du Bénin.
5 La Cour note que ni la Charte, ni le Protocole, encore moins le Règlement
n’exigent de l’auteur d’une Requête qu'il soit la victime des violations qui y sont
alléguées.
©, Il s’agit là d’une particularité du système régional africain des droits de l'homme
marqué par le caractère objectif du contentieux des droits de l'homme. En
conséquence, la Cour rejette l'exception tirée du défaut de qualité de victime.
ï) Sur l’exception tirée de l’abus du droit d’ester en justice
16
@ L'État défendeur souligne qu’en moins d’un mois, le Requérant a entrepris une
démarche chicanière et abusive en introduisant neuf (9) requêtes qui ne
peuvent présenter pour lui un quelconque intérêt du fait de leurs disparités
manifestes.
6L Il fait noter qu’en pareille circonstance, l’abus du droit d’ester en justice est
manifeste, cette notion devant être comprise dans son sens ordinaire retenu
par la théorie générale du droit, à savoir, le fait, par le titulaire du droit, de le
mettre en œuvre, de manière préjudiciable, en dehors de sa finalité.
@ Le Requérant conclut, pour sa part, au rejet en soutenant que les procédures
énumérées par l’État défendeur ne concernent pas les mêmes violations et
qu’en sus, certaines d’entre elles ont été introduites par de tierces personnes.
@& La Cour précise que les requêtes introductives d’instance émanant du
Requérant sont au nombre de trois (3) et non au nombre de neuf (9).
6 La Cour note qu'une requête est dite abusive si, entre autres, elle est
manifestement frivole ou s'il peut être discerné qu'un requérant l'a déposée de
mauvaise foi, contrairement aux principes généraux du droit et aux procédures
établies de la pratique judiciaire. À cet égard, il convient de souligner que le
simple fait qu'un requérant dépose plusieurs requêtes contre le même État
défendeur ne traduit pas nécessairement un manque de bonne foi. Il faut
davantage de justifications pour établir l'intention de nuire du Requérant.
& En conséquence, la Cour rejette cette exception.
17
ii) Sur l’exception tirée de l’impossibilité pour le Requérant d’exercer
un recours en manquement
& L'État défendeur fait valoir qu’en invoquant la violation d'obligations qui
découlent du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie, notamment, celles
relatives aux organes électoraux, le Requérant introduit, en réalité un recours
en manquement prévu par l’article 10(a) du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05
du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la
Cour de Justice de la CEDEAO.,
67. Or, poursuit —il, le Requérant n’a pas qualité pour introduire une telle demande,
d’où l’irrecevabilité de la Requête pour défaut de qualité.
& Le Requérant sollicite, en ce qui le concerne, le rejet de cette exception du fait
que le recours en manquement est une action attitrée pouvant être exercée
devant la Cour de Justice de la CEDEAO (ci-après dénommée « CJ CEDEAO
»). Il souligne que chaque juridiction de droits de l'homme est dotée de son
Protocole propre et celui de la Cour de céans donne qualité aux individus pour
la saisir.
@. Selon le Requérant, la question qui se pose est celle de savoir si le Protocole
de la CEDEAO sur la démocratie, qui fonde l’obligation des Etats de créer des
organes électoraux indépendants et impartiaux, est un instrument de protection
des droits de l'homme, au sens de l’article 3(1) du Protocole, ce à quoi la Cour
de céans a répondu par l’affirmative.
12 Cet article dispose : « Peuvent saisir la Cour (de Justice de la CEDEAO) a) Tout État membre, à moins que le Protocole n'en dispose autrement, le Secrétaire exécutif, pour les recours en manquement aux obligations des États membres » ;
18
% La Cour relève qu’au regard de l’article 10-a du Protocole Additionnel relatif à
la CJ CEDEAO”, l'action en manquement relève de la compétence de cette
Cour de Justice.
71 La Cour rappelle, en outre, que le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie
est un instrument de droits de l’homme dans la mesure où il énonce des droits
de l'homme au profit d’individus ou de groupes d’individus et prescrit des
obligations en vertu desquelles les Etats parties doivent prendre des mesures
positives pour assurer la mise en œuvre de ces droits!*. Dès lors, la violation
des droits et obligations qui en découlent peut valablement être invoquée
devant la Cour de céans, en vertu de l’article 7 du Protocole.
7% En tout état de cause, ni l’exercice du recours en manquement, ni le défaut de
qualité pour l’exercer ne peuvent fonder l’irrecevabilité d’une requête introduite
devant la Cour de céans. En conséquence, la Cour rejette cette exception.
iv) Sur l’exception tirée du défaut d’intérêt à agir
7% L'État défendeur soutient que le Requérant ne motive pas son intérêt
personnel, actuel, direct et concret. Or, la CJ CEDEAO a estimé que la qualité
pour agir est assujettie à celle de victime de violations de droits de l'homme.
74 L'État défendeur affirme, en outre, que le Requérant articule des griefs dont le
bénéfice ne peut échoir qu’aux partis politiques et ne prouve pas qu’il a
personnellement souffert de violations de droits de l'homme.
7% Le Requérant sollicite le rejet de cette exception en faisant remarquer qu’il
ressort clairement des pièces du dossier, notamment de la Requête
13 Protocole Additionnel A/SP.1/05 du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de Justice de la CEDEAO ;
14 Actions pour la protection des droits de l'Homme c. Côte d'Ivoire, Arrêt (fond et réparations) (18 novembre 2016), 1 RICA 668 88 57 - 65 ;
19
introductive d'instance, qu’il allègue la violation de plusieurs de ses droits
fondamentaux.
% La Cour note que bien qu'ayant la vocation commune de protection des droits
de l'homme, les Cours des droits de l'homme ne partagent pas les mêmes
exigences, notamment, sur les questions de recevabilité.
71. En l'espèce, l’Etat défendeur fonde son exception sur l'exigence de qualité de
victime, traduction processuelle de l'intérêt à agir, prévue par l’article 10(d) du
Protocole de 2005 relatif à la CJ CEDEAO!S. Or, ni la Charte, ni le Protocole,
encore moins le Règlement, ne contiennent une disposition similaire. En
conséquence, la Cour rejette cette exception.
VII. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
7% L'article 6(2) du Protocole dispose :
La Cour statue sur la recevabilité des requêtes en tenant compte
des dispositions énoncées à l'article 56 de la Charte.
® Conformément à la Règle 50 (1) du Règlement :
La Cour procède à un examen de la recevabilité (…) conformément
aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole et au (...)
Règlement.
15 L'article 10 du Protocole additionnel A/SP/01.05 du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole A/P1/7/91 dispose : « Peuvent saisir la Cour (.…) toute personne victime de violations de droits de l’homme »;
20
@ La Règle 50(2), qui reprend en substance l'article 56 de la Charte est libellée
ainsi qu’il suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir les conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour de garder
l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l'Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à l’égard de
l’État concerné et de ses institutions ou de l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées par les
moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent, à moins
qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces recours se prolonge
de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis l'épuisement des
recours internes ou depuis la date à laquelle la Commission a été saisie de
l’affaire ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États concernés,
conformément aux principes de la Charte des Yj Br, de l'Acte
constitutif de l'Union africaine ou des dispositions de la Charte.
A. Sur les conditions de recevabilité en discussion entre les parties
8L L'État défendeur soulève des exceptions d'irrecevabilité tirées du non —
épuisement des recours internes et de l'introduction de la requête dans un délai
non raisonnable en relation avec les arrêtés des maires de Parakou et
21
i) Sur les exceptions tirées du non - épuisement des recours internes et
de l’introduction de la Requête dans un délai non-raisonnable, en
relation avec les arrêtés des maires de Parakou et d’Abomey-
Ah
@ L'État défendeur soulève l'rrecevabilité de la Requête pour non-épuisement
des recours internes en relation avec les arrêtés des maires de Parakou* et
d'Abomey Ah!” et invoqués par le Requérant à l'appui des violations
alléguées des articles 3 et 11 de la Charte. Selon lui, ces arrêtés sont des actes
administratifs pouvant être soumis à la censure des juridictions administratives.
& Le Requérant fait valoir que cette exception doit être rejetée parce-que les
recours judiciaires dont l'épuisement est exigé doivent être disponibles,
efficaces et aptes à régler le litige dans un délai raisonnable. Il précise que
les recours liés au contentieux pré-électoral des élections législatives du 28
Avril 2019, période à laquelle les arrêtés ont été pris, sont encore pendants
devant la Chambre administrative de la Cour d’Appel de Cotonou, ce qui est
symptomatique d’une prolongation anormale des recours internes et de leur
inefficacité.
& À titre subsidiaire, le Requérant sollicite la jonction au fond de l'exception
puisque la Cour ne peut se prononcer sur l’efficacité des recours internes
sans préjuger sa position au fond de l’affaire, en ce qui concerne l’allégation
relative à l'indépendance du pouvoir judiciaire.
16 Cet arrêté interdisait les manifestations publiques à caractère revendicatif au « regard du climat social (…) et dans le souci de préservation de la paix » ;
17 Cet arrêté est ainsi libellé « Dans le souci de prévenir d’éventuels troubles à l’ordre public, et conformément au communiqué radio en date à Au AI Ah du 25 février 2019 interdisant toute manifestation publique à caractère revendicatif, j'ai l'honneur de vous notifier n’interdiction de votre marche pacifique de protestation que vous pensez organiser à Au AI Ah, le vendredi 25 mars 2019 ;
22
& — La Cour relève, conformément à sa jurisprudence, que l'exigence de
l'épuisement des recours internes préalablement à la saisine d’une juridiction
internationale des droits de l'homme est une règle internationalement
reconnue et acceptée”,
& Il s’y ajoute que les recours internes à épuiser sont des recours de nature
judiciaire. Ils doivent être disponibles, c’est-à-dire qu’ils peuvent être utilisés
sans obstacle par le Requérant"° ; efficaces et satisfaisants, en ce sens qu’ils
sont à « même de donner satisfaction au plaignant » ou de nature à remédier
à la situation litigieuse® .
8. La Cour souligne que l’article 53 de la loi n° 2001-37 du 27 août 2002
donne compétence aux tribunaux de première instance pour connaître du
contentieux des actes administratifs, notamment, par la voie du recours pour
excès de pouvoir ou celle du recours de plein contentieux.
& Il en résulte que pour les arrêtés municipaux applicables à Yd et à
AN, un recours interne était disponible. Ce recours est
également efficace puisque qu’il permet de faire annuler les actes litigieux.
&@ Pour justifier l'absence de saisine du tribunal compétent, le Requérant
invoque la prolongation anormale des recours pré-électoraux. De l’avis de la
Cour, une telle allégation est inopérante, dans la mesure où le Requérant
n’en apporte pas la preuve.
18 Xj c. République du Mali, (compétence et recevabilité) (28 Septembre 2017) 2 RICA 122 8 41 ; Cg Cu Ya Z Ck Ci, (fond) (05 Décembre 2014), 1 RICA 324 8 41 ;
19 Cg Cu Ya Z Ck Ci, (fond) (05 Décembre 2014), 1 RICA 324 8 96 ;
20- Ibid. Ya Z Ck Ci 8 108;
21 - L’article 53 de la loi n° 2001 — 37 du 27 août 2002 dispose « En matière administrative, ils (les tribunaux de première instance) connaissent, en premier ressort, du contentieux de tous les actes émanant des autorités administratives de leur ressort. Relèvent de ce contentieux » ;
22- Loi portant organisation judiciaire en République du Bénin.
23
M Il s'ensuit, s'agissant des arrêtés des maires de Parakou et d’AN
ayant pris effet à partir du 25 février 21019, que les recours internes n’ont
pas été épuisés. En conséquence, la Cour déclare toute allégation relative
auxdits arrêtés irrecevable.
9 La Cour estime que, pour cette raison, il devient superfétatoire de se
prononcer sur l’exception d’irrecevabilité tirée de ce que la Requête n’a pas
été introduite dans un délai raisonnable, en relation avec lesdits arrêtés.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
@ La Cour note qu’en l'espèce, les parties ne contestent pas la conformité de
la Requête avec la Règle 50 (2)(a)(b)(c)(d)(f)(g) du Règlement . Toutefois,
la Cour doit s'assurer que les exigences de ces alinéas ont été remplies.
%@ — La Cour observe qu’il ressort du dossier que la condition énoncée à Règle
50 (2)(a) est remplie, le Requérant ayant clairement indiqué son identité.
9% La Cour constate, en outre, que la condition énoncée à la Règle 50(2)(b) est
également remplie, dans la mesure où la Requête n’est en rien incompatible
avec l’Acte constitutif de l'Union africaine ou avec la Charte.
%Æ Par aileurs, la Cour relève que la Requête ne contient pas de propos
injurieux ou insultants à l'égard de l'État concerné, ce qui la rend conforme à
Règle 50(2)(c).
% En ce qui concerne la condition énoncée à la Règle 50(2)(d), la Cour note
qu’il n’est pas établi que les arguments de fait et de droit développés dans la
Requête se fondent exclusivement sur des informations diffusées par les
moyens de communication de masse.
23 Article 40 de l’ancien Règlement ;
24
9. Quant à la condition d'épuisement des recours internes prévue par la Règle
50(2)(e), la Cour rappelle qu’elle n’a été soulevée qu’en ce qui concerne les
violations des articles 3 et 11 de la Charte du fait des arrêtés municipaux
applicables à Yd et à AN. L’exception soulevée par l’État
défendeur sur ce point a été rejetée. La Cour va donc examiner cette
condition en relation avec les autres violations alléguées. La Cour rappelle
que les recours internes à épuiser doivent être disponibles, efficaces et
satisfaisants.
@ | S'agissant de la disponibilité des recours, la Cour souligne qu’en vertu des
articles 1147, et 122? de la Constitution de l'Etat défendeur, la Cour
constitutionnelle de l'Etat défendeur est juge de la constitutionnalité des lois
et garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés
publiques. Elle connaît en premier et dernier ressort de toute action en
violation des droits de l'homme introduite par tout citoyen de l'Etat défendeur.
En conséquence, un recours interne existe et est disponible.
Æ@ — Relativement à l’efficacité du recours, la Cour souligne qu’il ne suffit pas
qu’un recours existe pour satisfaire à la règle de l'épuisement des recours.
Un Requérant n’est, en effet, tenu d’épuiser un recours qu’autant qu’il est
efficace, utile et offre des perspectives de réussite“.
24 L’article 114 de la Constitution béninoise dispose : « La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l'Etat en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques (…) ».
25 L'article 122 de la Constitution dispose : « Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l'exception d'inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction » ;
26- Ayants — droit de feu Xx Bi, Ac Bt dit Ablasse, Aj Bi et Cp Cy et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Ck Ci, Arrêt (fond) (28 mars 2014), 1 RICA 226 8 68 ; Ibid. Ya Z Ck Ci (Fond) 324 8 92et 108 ;
25
1M La Cour rappelle, en effet, que l'analyse de l’utilté d’un recours ne
s’accommode pas d’une application automatique et ne revêt pas de
caractère absolu”. En outre, l'interprétation de la règle de l'épuisement des
recours internes doit prendre en compte de manière réaliste le contexte
juridique et politique de l’affaire ainsi que la situation personnelle du
101 S'agissant du contexte juridique, la Cour note qu'il résulte des dispositions
de l’article 117 de la Constitution béninoise”° qu'avant promulgation, toute loi
fait l’objet d’un contrôle de conformité à la Constitution à la demande du
président de la République ou de tout membre de l’Assemblée nationale®.
1 À cet égard, la Cour souligne que la Charte est partie intégrante de la
Constitution béninoise*!. Il en résulte que le contrôle de constitutionnalité qui
concerne aussi bien la procédure suivie pour l’adoption de la loi que son
contenu“ s'exerce par rapport au « bloc de constitutionnalité que constituent
la Constitution et la Charte Africaine des droits de l'Homme et des Peuples »°.
À travers cette procédure, la Cour constitutionnelle du Bénin est tenue de
vérifier la conformité de la loi aux instruments de droits de l'Homme.
27- Yf Xg Aa, the Legal and Bw Cf Centre et Ae Ca Xr Az Z Xl, Arrêt (fond) (14 juin 2013) 1 RICA 34 8 82.1;
2 - AG Ar B c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n°013/2017, Arrêt (fond) (29 Mars 2019), 8 110 ; CEDH, Requête n°21893/93, Akdivar et autres c. Turquie, Arrêt du 16 Septembre 1996, 8 50 ; Voir également CEDH Requête n°25803/94, Ab c. France, Arrêt du 28 Juillet 1999, 8 74 ;
29 Voir également article 19 de la loi n° 91 — 009 du 04 Mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 Mai 2001 ;
30 Article 121 de la Constitution du Bénin ;
31 L'article 7 de la Constitution du Bénin dispose : « Les droits et devoirs proclamés et garantis par la Charte africaine des droits de l'Homme et des Peuples adoptée en 1981 par l’Organisation de l’Unité Africaine et ratifiée par le Bénin le 20 Janvier 1986, font partie intégrante de la (.…) Constitution et du droit » ; Voir également Cour constitutionnelle du Bénin, Décision DCC 34 — 94 du 23 Décembre 1994, Recueil 1994, p. 159 et Ss ; Décision DCC 09 — 016 du 19 février 2009 ;
32- L'article 35 du Règlement intérieur de la Constitution dispose, dans le cadre du contrôle de conformité à la Constitution : « La Cour constitutionnelle se prononce sur l’ensemble de la loi, tant sur son contenu que sur la procédure de son élaboration » ;
33 - Haut Conseil de la République (HCR) du Bénin siégeant en qualité de Cour Constitutionnelle, Décision 3DC du 02 Juillet 1991 ;
26
108 En l'espèce, le Requérant allègue des violations de droits de l'homme qui tirent
leurs sources de lois ayant fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a priori.
194 La Cour souligne qu’en pareille occurrence, un recours a posteriori portant
sur des violations de droits de l'homme relativement aux lois visées par le
Requérant n’offre pas de perspectives de succès devant la même Cour
constitutionnelle*“* du fait que cette juridiction a déjà statué sur la
constitutionnalité des lois.
15 En tout état de cause, la Cour avait déjà indiqué, dans une affaire qui
opposait les mêmes parties, que compte tenu du contexte politique et de la
situation personnelle du Requérant, celui — ci devait être dispensé de
l'épuisement des recours internes puisque les « perspectives de succès de
toutes les procédures en réparation des préjudices résultant des violations
alléguées étaient négligeables »* .
1M Dès lors, la Requête ne saurait être déclarée irrecevable pour non-—
épuisement des recours internes du fait de leur inefficacité.
197. En ce qui concerne l'introduction de la Requête dans un délai raisonnable,
prévue par la Règle 50(2)(f), la Cour rappelle qu’elle s’est prononcée sur
cette question relativement aux arrêtés municipaux de Parakou et
34 - L'article 33 du Règlement intérieur de la Cour constitutionnelle du Bénin dispose : « La saisine de la Cour constitutionnelle avant la promulgation d’une loi en suspend le délai de promulgation ». L'article 36 dudit Règlement dispose : « Lorsque la Cour constate la conformité à la Constitution, la publication de sa décision met fin à la suspension du délai de promulgation » ;
35- AG B c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 013/2017 Arrêt (Fond) (29 Mars 2019), 8116;
368 91 du présent arrêt ;
27
1M S'agissant des autres faits allégués à l’appui de la Requête, c'est-à-dire, ceux
qui ne sont pas en relation avec ces arrêtés municipaux, la Cour souligne
qu’ils sont relatifs aux élections législatives du 28 avril 2019, à la Cour
constitutionnelle et à la révision constitutionnelle du 07 novembre 2019.
19 La Cour retient, comme date faisant courir le délai de sa propre saisine, celle
des élections législatives, c'est — à — dire, le 28 avril 2019. Entre cette date
et celle du dépôt de la Requête introductive d'instance, c’est — à — dire, le 29
novembre 2019, il s’est écoulé sept (7) mois. La Cour considère que ce délai
est raisonnable. En conséquence, la condition prévue par la Règle 50(2) (f)
est remplie.
110 Enfin, en application de la Règle 50(2)(g), la Cour souligne que rien n’indique
que la présente Requête concerne une affaire déjà réglée par les parties,
conformément, soit aux principes de la Charte des Yj Br, soit de
l'Acte constitutif de l'Union africaine, soit des dispositions de la Charte.
111 En conséquence de ce qui précède, la Cour déclare la Requête recevable.
VIII. AU FOND
12 Le Requérant invoque des violations antérieures ou relatives aux élections
législatives du 28 avril 2019 (A), des violations relatives à l'indépendance et
à l’impartialité des tribunaux (B) et des violations liées à la révision
constitutionnelle, objet de la loi n° 2019 — 40 du 07 Novembre 2019 et aux
lois subséquentes (C).
28
A. Sur les violations relatives aux élections législatives du 28 avril 2019
j Sur la violation du droit à la liberté d’opinion et d’expression
113 Le Requérant soutient que la loi n° 2018 — 20 du 20 avril 2018 portant code
du numérique au Bénin viole, en ses articles 551, 552 et 553, l’article 19(3)
du PIDCP qui consacre le droit à la liberté d'opinion et d'expression.
114 À l'appui, il fait valoir que la sanction des délits touchant à la liberté
d’expression est disproportionnée et a un effet paralysant sur le débat public
portant sur des questions d'intérêt général. Il souligne que ces dispositions
ne satisfont pas à l'exigence de « loi » et que ladite sanction ne vise pas un
objectif légitime, nécessaire et proportionné.
115 Pour sa part, l’État défendeur estime qu’il n’y a, en l'espèce, aucune violation
des droits de l'homme. || soutient que les dispositions querellées sont
conformes à l’article 27 (2) de la Charte.
116 Il fait noter qu’en l'espèce, le but de l’incrimination prévue n’est pas de
restreindre les libertés mais de les encadrer, en cas d'infraction.
117. L'article 9 (2) de la Charte dispose :
Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions
dans le cadre des lois et règlements.
118 En outre, l’article 19 du PIDCP prévoit que « nul ne peut être inquiété pour
ses opinions » et que « toute personne a droit à la liberté d’expression »,
sous réserve de restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires « au
29
respect des droits ou de la réputation d’autrui, à la sauvegarde de la sécurité
nationale, de l’ordre public, de la santé et de la moralité publique ».
119 || résulte de ces textes que d’une part, la liberté d'opinion et à la liberté
d'expression, fondement de toute société démocratique, sont étroitement
liées, la liberté d'expression étant le véhicule pour l'échange et le
développement des opinions*”. D'autre part, la liberté d’expression n'est pas
absolue® puisqu'elle doit être exercée « dans le cadre des lois ». Elle peut,
par conséquent, faire l’objet de restrictions prévues par la loi, lesquelles
doivent, en outre, viser un but légitime, être nécessaires et proportionnées.
Ces éléments s'apprécient au cas par cas, et dans le contexte d’une société
10. La question qui se pose est celle de savoir si les restrictions en cause sont
prévues par la loi et, dans l’affirmative, si elles sont nécessaires, légitimes et
proportionnées.
121 En l'espèce, les articles 551, 552 et 553 du code du numérique répriment le
délit d’injure avec une motivation raciste et xénophobe par le biais d’un
système informatique et celui d’incitation à la haine et à la violence, à raison
de l'appartenance à une race, à une couleur, à une origine nationale ou
ethnique et à la religion.
12. La Cour note, d’abord, que les restrictions sont prévues par la loi au sens des
normes internationales relatives aux droits de l'homme. En effet, celles - ci
exigent des lois nationales qui restreignent la liberté d’expression qu’elles
soient claires, prévisibles et conformes à l’objet de la Charte et des
37 Comité des droits de l'Homme des Yj Br, Observation Générale n°34, $ 2 ;
38 [ngabire Cm Xn Z Ao, (Fond) (24 Novembre 2017), 2 RICA 171, 8 132 ; Ibid. Ya Z Ck Ci, (Fond) (05 Décembre 2014), 1 RICA, 320, 8 145 à 166 ;
39 Ibid. Ya Z Ck Ci, 8 145 ;
30
instruments internationaux des droits de l’homme. Elles doivent, par ailleurs,
être d’application générale“°, ce qui est le cas, en l'espèce.
133 Ensuite, concernant la légitimité du but visé par la restriction, la Cour souligne
que la clause générale de limitation qu’est l’article 27(2) de la Charte fait
référence au respect du droit d’autrui, à la sécurité collective, à la moralité et
à l'intérêt commun. La Cour a également considéré que la sécurité nationale,
l’ordre public et la moralité publique sont des restrictions légitimes“.
14 La Cour est d’avis que les actes réprimés recoupent clairement les limitations
érigées par l’article 20 du PDCIP et constituent, à cet égard, une incitation à
la discrimination interdite par l’article 7 DUDH“.
15 La Cour estime, au regard de ces éléments, que la restriction imposée vise
un but légitime puisqu’elle tend à combattre toute forme d'incitation à la haine
ou à la discrimination.
1 La Cour note, enfin, s'agissant des critères de nécessité et de
proportionnalité, qu’en l’espèce, les formes d'expression réprimées sont
celles qui incitent à la haine, au racisme, à la xénophobie, à la discrimination
et à la violence qui, au regard du droit international des droits de l’homme,
sont prohibées.
17. Eu égard aux conséquences néfastes que de tels discours peuvent
engendrer, la Cour estime que, du fait de leur caractère dissuasif, les peines
prévues ne sont pas disproportionnées.
40 [bid. Xn Z Ao, 8 135 ;
#Op. Cit. Ya Z Ck Ci, 8 134 et 135;
# Cet article dispose : « (…) Tous ont droit à une égale protection contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à la discrimination » ;
31
18 En conséquence de ce qui précède, la Cour considère que l'État défendeur
n’a pas violé le droit à la liberté d’opinion et d’expression protégé par l’article
9 (2) de la Charte.
) Sur la violation du droit de grève
19, Le Requérant expose que la loi n° 2018 — 34 du 05 octobre 2018 modifiant
et complétant la loi n° 2001 — 09 du 21 juin 2002 portant exercice du droit de
grève en ses articles 2, 14% et 17“ viole le droit de grève et plus
particulièrement l’article 15 de la Charte ainsi que la Convention n°87 de
l'Organisation Internationale du Travail (OIT). Il ajoute que les travailleurs
privés du droit de grève devraient bénéficier de garanties compensatoires.
19 En réponse, l’État défendeur soutient que la loi querellée n’a fait que
réorganiser les modalités du déclenchement des mouvements de grève dans
le respect de ses engagements internationaux. Il précise que cette
réorganisation est justifiée par les abus notés et que la véritable avancée de
la modification de la loi sur le droit de grève tient aux régimes exceptionnels
# Cet article est ainsi libellé ainsi qu’il suit :
« Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux personnels civils de l’État et des collectivités territoriales ainsi qu'aux personnels des établissements publics, semi — publics ou privés, à l'exception des agents à qui la loi interdit expressément le droit de grève. En raison de la spécificité de leurs missions, les personnels militaires, les personnels paramilitaires (police, douanes, eaux, forêt et chasse…), les personnels de santé ne peuvent exercer le droit de grève.
La grève de solidarité est interdite » ;
44 Cet article dispose :
« Les personnels de la fonction publique et les agents des établissements publics, semi — publics ou privés essentiels, à qui la loi n’a pas interdit la grève et dont la cessation totale de travail porterait de graves préjudices à la paix, la sécurité, la justice, la santé de la population ou aux finances publiques de l’État, sont tenus d’assurer un service minimum en cas de grève.
Sont considérés comme tels, les magistrats, les agents des services judiciaires et pénitentiaires et les agents des services judiciaires et pénitentiaires et les agents de l'Etat en service dans les juridictions, les agents des services de l’énergie, de l’eau, des régies financières, les agents des services de l’énergie, de l’eau, des régies financières de l'État, des transports aériens et maritimes et des télécommunications, exception faites des radios et des télévisions privées » ;
#5 Cet article dispose : « Les personnes de la fonction publique et les agents des établissements publics, semi — publics ou privés à caractère essentiel dont la cessation de travail porterait de graves préjudices à la paix, la sécurité, la justice, la santé de la population ou aux finances publiques de l’État peuvent faire l’objet d’une réquisition en cas de grève » ;
32
et dérogatoires dont bénéficient les corps professionnels privés du droit de
grève.
181 À propos des garanties compensatoires, l’État défendeur souligne que l'OIT
n’en a pas dicté le contenu mais en a simplement suggéré quelques —unes.
Il ajoute qu’en tout état de cause, ces garanties sont prévues par les articles
25°, 33“ à 42% de la loi n° 2015 — 20 du 19 juin 2015 portant statut spécial
des personnels des forces de sécurité publique et assimilés ainsi que les
articles 18 et 19 du statut de la magistrature.
1% La Cour note que le droit de grève n’est pas expressément prévu par la
Charte. Il constitue, toutefois, un corollaire du droit au travail prévu par
l’article 15 de la Charte. Le droit de grève est protégé, de façon expresse,
par l’article 8 (1) (d) (2) du PIDESC qui dispose :
1. Les États parties au présent Pacte s'engagent à assurer
d) Le droit de grève, exercé conformément aux lois de chaque pays.
2. Le présent article n'empêche pas de soumettre à des restrictions
légales l’exercice de ces droits par les membres de forces armées, de la
police et de la fonction publique.
133 Il résulte de ce texte que ce droit n’est pas absolu puisqu'il doit être exercé
« conformément aux lois de chaque pays » et peut être soumis « à des
restrictions légales (.…) ».
46 Cet article dispose : « Les fonctionnaires des forces de sécurité publique et assimilées sont tenus d'assurer leurs missions en toute circonstance et ne peuvent exercer le droit de grève » ;
7 Cet article dispose : « Les fonctionnaires des forces de sécurité publique et assimilées peuvent faire partie des groupements constitués pour soutenir les revendications d'ordre professionnel ou des actions d'ordre social et culturel » ;
#8 Cet article dispose : « Les fonctionnaires des forces de sécurité publique et assimilées décédées en mission commandée sont reçus à titre exceptionnel et posthume dans l’Ordre National du Bénin » ;
33
1 En l’espèce, la Cour relève qu’à travers l’article 31 de sa Constitution®, l’État
défendeur a reconnu le droit de grève, droit collectif par excellence qui
s'exerce par la courroie de l’action syndicale.
13 La Cour note que ce caractère non-absolu du droit de grève doit être
combiné avec le principe de non-régression, dont le siège est l’article 5
commun du PIDCP et du PIDESC ; et qui, du reste, irrigue l'ensemble du
droit international des droits de l'homme. Cet article dispose :
Il ne peut être admis aucune restriction ou dérogation aux droits
fondamentaux de l’homme reconnus ou en vigueur dans tout État partie
reconnus dans le présent Bu CA et PIDESC) en application de lois,
de conventions, de règlements ou de coutumes, sous prétexte que le
présent Bu CA et PIDESC) ne les reconnaît pas ou les reconnaît à
un moindre degré.
1% Le principe de non-régression a pour corollaire l’obligation des États parties
au PIDESC d’agir en vue d’«assurer progressivement le plein exercice des
droits »°°. Le caractère progressif implique qu'il s’agit d’une démarche qui
s’inscrit dans le temps mais « qui ne saurait être interprétée d’une manière
qui priverait l'obligation en question de tout contenu effectif »°!.
137. La Cour considère que lorsqu’un État partie reconnaît un droit fondamental,
toute mesure régressive, c’est-à-dire « toute mesure qui marque directement
ou indirectement un retour en arrière au regard des droits reconnus dans le
Pacte »°? est une violation du PIDESC lui —même.
49 Cet article dispose : « L'État reconnaît le droit de grève. Touttravailleur peut défendre, dans les conditions prévues par la loi ses droits et ses intérêts, soit individuellement, soit collectivement ou par l’action syndicale. Le droit de grève s'exerce dans les conditions définies par la loi » ;
50 Article 2(1) PIDESC ;
51 Comité des droits économiques et sociaux, Observation générale n°3, 1990, 89 ;
52 Droits économiques, sociaux et culturels, Manuel destiné aux institutions des droits de l'homme, Yj Br, Cl Bf et Genève, 2004 ;
34
13 La Cour note que dès l'instant qu’il a reconnu le droit de grève, l’État
défendeur ne peut qu’en encadrer l'exercice. Dès lors, tout acte visant à
l'interdire ou à le supprimer contrevient au principe de non-régression et
constitue une violation de l’article 8 du PIDESC.
19 Le caractère contraire de l’interdiction du droit de grève à l’article 31 de la
Constitution a, d’ailleurs, plusieurs fois, été rappelé par la Cour
constitutionnelle de l’État défendeur, gardienne du bloc de constitutionnalité.
Elle a souligné, notamment, que :
Le Pacte international relatif aux droits économiques et sociaux qui fait
partie du bloc de constitutionnalité précise, en son article 8 (2), que la
garantie constitutionnelle du droit de grève « n'empêche pas de soumettre
à des restrictions légales l’exercice de ce droit pour les membres des forces
armées, de la police et de la fonction publique ». (.…) Seul le constituant
peut interdire l’action syndicale et le droit de grève, le législateur n’étant
habilité qu’à en encadrer l’exercice.
10 Or, l’État défendeur a interdit le droit de grève, à travers plusieurs lois,
notamment, la loi n° 2018 — 34 du 05 octobre 2018 modifiant et complétant la
loi n° 2001 — 09 du 21 juin 2001 portant exercice du droit de grève®*, loi n° 2017
53 Cour Constitutionnelle du Bénin, Décision DCC 06 — 034 du 06 Avril 2006, Décision DCC 17 — 087 du 20 Avril 2017, Décision DCC 2018 — 01 du 18 Janvier 2018, Décision DCC 13 — 099 du 29 août 2013, DCC 18 — 003 du 22 janvier 2018. La seule décision contraire à cette jurisprudence constante est la décision DCC 18 — 141 du 28 juin 2018 Xu AH c. Président de la République, rendue suite à une demande « d'interprétation et de réexamen » des Décisions DCC 18 — 001 du 18 janvier 2018, 18 — 003 du 22 janvier 2018 (déclarant contraire à la Constitution l’article 20 in fine de la loi n° 2018 — 01 portant statut de ma
magistrature qui interdit le droit de grève) et DCC 18 — 004 du 23 janvier 2018 (déclarant contraire à la
Constitution l’article 71 de la loi n° 2017 — 42 portant statut des personnels de la police républicaine
contraire à la Constitution) . Or, d’une part, une décision interprétative ne peut être contraire à la décision interprétée et d'autre part, les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours (Art. 124 de la Constitution et 34 de la loi organique n° 91 — 009 du 04 Mars 1991 portant loi organique de la Cour constitutionnelle modifiée par la loi du 31 mai 2001) et ne peuvent donc être soumises à réexamen. Il est dès lors clair que la Cour Constitutionnelle du Bénin a manifestement outrepassé ses prérogatives ; 54 L'article 2 de cette loi dispose :
« Les dispositions de la présente loi s'appliquent aux personnels civils de l'Etat et des collectivités territoriales ainsi qu'aux personnels des établissements publics, semi — publics ou privés, à l'exception des agents à qui la loi interdit expressément l’exercice du droit de grève.
En raison de la spécificité de leurs missions, les personnels militaires, les personnels paramilitaires (police, douanes, eaux, forêts et chasse…), les personnels des services de santé ne peuvent exercer le droit de
35
— 43 du 02 juillet 2018 modifiant et complétant la loi n° 2015 — 18 du 13 juillet
2017 portant statut général de la fonction publique*®, la loi n° 2017 — 42, du 28
décembre 2017 portant statut des personnels de la police républicaine”, .
141 En procédant de la sorte, l'État défendeur a retiré à ces travailleurs l’exercice
d’un droit qui leur était reconnu, rabaissant ainsi le niveau de protection des
droits de l'homme qu’ils sont en droit d’attendre, ce qui constitue une atteinte
au principe de non — régression.
1 En conséquence, la Cour considère qu’en interdisant le droit de grève, l’État
défendeur a violé l’article 8 (1)(d)(2) du PIDESC.
ï Sur la violation du droit à la liberté de réunion
143 Le Requérant soutient qu’à travers la loi n° 2018 — 016 du 02 Juillet 2018
portant code pénal, notamment en ses articles 237 alinéa 15’ et 240 alinéa
1°, l’État défendeur a violé le droit à la liberté de réunion.
14, S'agissant de l'article 237 alinéa 1 dudit code, il soutient que l'interdiction
d’attroupement résulte d’une décision administrative alors que les libertés
individuelles ne peuvent être restreintes que par un juge. En ce qui concerne
l’article 240 alinéa 1 du code pénal, il souligne que les organisateurs d’un
55 L'article 50 alinéa 5 dispose : « (…) Sont exclus du droit de grève, les militaires, les agents des forces de sécurité publique et assimilés (gendarmes, policiers, douaniers, agents des eaux-forêts et chasses, sapeurs-pompiers) ; le personne de la santé ; le personnel de la justice ; les personnels des services de l’administration pénitentiaire ; les personnels des services de l'administration pénitentiaire ; les personnels de transmission opérant en matière de sûreté et de sécurité de l’Etat »
56 L'article 71 dispose : « Les fonctionnaires de la Police républicaine sont tenus d'assurer leurs missions en toutes circonstances et ne peuvent exercer le droit de grève »
57 Cet article dispose : « Est interdit, sur la voie publique (… ) tout attroupement non armé interdit qui pourrait troubler la tranquillité publique »
5ë Cet article dispose : « Toute provocation directe à un attroupement non armé, soit par discours proféré publiquement, soit par écrits ou imprimés affichés ou distribués, est puni d’un emprisonnement d’un (1) an sielle a été suivie d'effet et, dans le cas contraire, d’un emprisonnement de deux (2) mois à six (6) mois et d’une amende de cent mille (100.000) francs CFA à deux cent cinquante mille (250.000) francs CFA ou de l’une de ces deux peines seulement. »
36
rassemblement public ou leurs partisans ne doivent pas être sanctionnés
pour des actes commis par d’autres personnes.
45 En réponse, l'État défendeur soutient qu’il n’y a, en l’espèce, aucune violation
du droit à la liberté de réunion en faisant observer que l’article 237 alinéa 1
du code pénal n’interdit pas les manifestations publiques mais sanctionne
celles qui ont lieu en dépit d’une interdiction fondée sur les risques qu’elles
font courir, la liberté de manifester devant être mise en œuvre de manière
compatible avec la préservation de l’ordre public.
V6 En ce qui concerne l’article 240 alinéa 1 du code pénal, l’État défendeur
souligne qu'il ne limite pas le droit aux manifestations publiques et qu’il faut
distinguer l’organisation d’une manifestation sur l'espace public et de la
provocation à une manifestation en dehors du cadre légal.
147. L'État défendeur précise que le code pénal ne restreint aucune liberté
publique mais fixe les sanctions judiciairement applicables aux personnes
qui décident de ne pas respecter les règles nécessaires à la préservation de
148 La Cour note que l’article 11 de la Charte dispose :
Toute personne a le droit de se réunir librement avec d’autres. Ce
droit s'exerce sous la seule réserve des restrictions nécessaires
édictées par les lois et règlements, notamment dans l'intérêt de la
sécurité nationale, de la sûreté d’autrui, de la santé de la morale ou
des droits et libertés des personnes.
1Æ, || résulte de ce texte que le droit à la liberté de réunion, quoique fondamental,
n’est pas absolu puisqu'il peut faire l’objet de limitations, notamment dans
l'intérêt de la sécurité nationale. Ces limitations doivent être prévues par la
37
loi. Elles doivent être légitimes, nécessaires et proportionnées au but
159 La Cour relève qu’en l’espèce, la limitation du droit à la liberté de réunion est
prévue par la loi. Dans la mesure où ces limitations se trouvent être des
interdictions préventives, cela n’est pas, en soi, attentatoire au droit à la
liberté de réunion.
151 La Cour note, en outre, que le droit à la liberté de réunion doit être exercé de
manière compatible avec la préservation de l’ordre public et de la sécurité
nationale. Une telle préservation justifie la nécessité des sanctions
raisonnables et proportionnées à de telles infractions. Enfin, rien ne démontre
que ces limitations au droit à la liberté de réunion sont, en l'espèce,
disproportionnées.
1. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que l’Etat défendeur n’a pas
violé le droit à la liberté de réunion protégé par l’article 11 de la Charte.
M Sur la violation du droit à la liberté et à la sécurité
1533 Le Requérant soutient que l’arrestation de manifestants qui se sont
spontanément mobilisés est injustifiée. Il souligne que le caractère non
arbitraire d’une détention se résume à la question de savoir si une telle
détention est fondée sur une décision de culpabilité.
154 En réponse, l’État défendeur relève que le Requérant n’indique pas de
quelles arrestations il s’agit, ni quelles sont les personnes qui ont été
arrêtées.
59 Cg Cu Ya Z Ck Ci, Arrêt (fond), 1 RICA, 234, 8 125 à 138 ;
38
15 La Cour note que le droit à la liberté et à la sécurité est garanti par l’article 6
de la Charte ainsi qu’il suit :
Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul
ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans des
conditions préalablement déterminées par la loi, en particulier nul
ne peut être arrêté ou détenu arbitrairement
156 La Cour relève que bien qu’ayant allégué la violation du droit à la liberté et à la
sécurité, le Requérant pas apporté aucun fait précis de nature à permettre à la
Cour d’en faire l'examen. Il se contente, en effet, d'évoquer des arrestations
sans davantage de précisions. En pareille occurrence, la Cour ne peut conclure
à une violation de droits de l’homme.
157. En conséquence, la Cour considère que l’Etat défendeur n’a pas violé le droit
à la liberté et à sécurité protégé par l’article 6 de la Charte.
| Sur les violations du droit à la vie, du droit de ne pas être soumis à
la torture et du droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine
1 Le Requérant soutient que l’État défendeur a violé le droit à la vie dans la
mesure où, le 1% mai 2019, à Cv, à Cadjèhoun et le 02 mai 2019 à
Ch, à Savé et à Banté, l’armée a tiré à balles réelles sur des
manifestants faisant des dizaines de morts.
1. Poursuivant, il a relevé qu’il est établi que deux personnes non identifiées se
sont rendues dans les hôpitaux pour ramasser les dossiers médicaux des
victimes et empêcher le suivi post-opératoire. Or, il est du devoir de l’État de
prendre des mesures pour empêcher la perpétuation des actes allégués.
16. L'État défendeur n’a pas répondu sur ce point.
39
161 La Cour souligne que l’article 4 de la Charte dispose :
La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au
respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne.
Nul ne peut être arbitrairement privé de ce droit.
18 Ce texte consacre le principe de l’inviolabilité de la personne qui englobe le
droit à la vie, « attribut inaliénable de la personne humaine »® et fondement
des autres droits et libertés protégés par la Charte®!.
163 La Cour a constamment considéré que :
Contrairement aux autres instruments relatifs aux droits de
l’homme, la Charte établit une connexion entre le droit à la vie et
l’inviolabilité et l'intégrité de la personne humaine (...) Cette
formulation reflète l'indispensable corrélation entre ces deux
164 Quant à l’article 5 de la Charte, il est libellé ainsi qu’il suit :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toute
forme d'exploitation et d’avilissement de l'homme, notamment (.….)
la torture physique ou morale et les peines ou traitements, cruels,
inhumains ou dégradants sont interdites.
1. La Cour souligne que ces dispositions consacrent le respect de la dignité
humaine, corollaire de l'interdiction absolue de la torture et de tout traitement
cruel inhumain ou dégradant qui peut prendre plusieurs formes“.
60 CEDH, Xf Co et Bb, Arrêt du 22 Mars 2001, 8 94 ;
81 Commission africaine des droits de l'Homme et des Peuples c. Bk (Fond) (26 Mai 2017), 2 RICA9,
2 [bid. X c. Bk, 8 152 ;
63 Xo Bm c. République Unie de Tanzanie, (Fond) (7 Décembre 2018), 2 RICA 493, 8 132.
40
166 La Cour note que les articles 4 et 5 de la Charte sont intrinsèquement liés et
protègent les droits relatifs à l'intégrité de la personne humaine dont le but
est de sauvegarder sa vie, son intégrité et sa dignité. Ils consacrent la
« protection du principe de la vie »°*.
167. Par ailleurs, la Cour relève qu’elle a la faculté de se servir de toute source de
preuve fiable pour établir la véracité des allégations des parties. Aussi peut
— elle « d’office (…) se procurer tous les éléments de preuve qu’elle estime
aptes à l’éclairer sur les faits de la cause »°°.
188 La Cour considère, à l’instar des autres juridictions internationales,
notamment, la Cour Internationale de Justice (CIJ) et la CEDH, que le
pluralisme des sources probatoires, considérées comme « fiables et
objectives » inclut les données « provenant des agences des Yj Br
»66 et s'étend aux « faits de notoriété publique »°7.
1M. En l’espèce, la Cour rappelle que les faits allégués concernent les violences
qui ont eu lieu après les élections législatives du 28 Avril 2019. À cet égard,
la Cour note qu’à l’occasion de l'examen du troisième rapport périodique de
l’État défendeur devant le Comité contre la torture des Yj Br“ qui a
eu lieu les O2 et 03 mai 2019, la question desdites violences a été abordée.
1M Plus précisément, il a été révélé qu'après l’annonce des résultats des
élections législatives, les forces de l’ordre ont fait usage d’un recours excessif
64 CADHP, Xz Bx, Bg Bn, Cn Xp and Af Yh c. Zimbabwe, décision du 02 Mai 2012, 8122 ;
65 Article 45 du Règlement du 10 Juin 2010, devenu article 55 du nouveau Règlement ;
66 CEDH, Be c. Grèce, Arrêt du 05 Avril 2011, 8 65 ;
67 CIJ, Activités militaires et paramilitaires au Cw et contre celui— ci, (Cw c. États Unis), Arrêts du 27 juin 1986, Rec. 1986, pp 39 — 44, 88 59 — 73 ; CIADH, Xe Ad c. Honduras, Arrêt du 29 Juillet 1998, fond, série C n°4, 8 146 ; CIADH, Ay Bj c. Pérou, Arrêt du 20 Novembre 2014, Série C, n° 289, 8 41 et Ss ;
68 La Comité contre la torture est l’organe chargé de la surveillance de la Convention contre la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants ;
41
à la force, y compris, par des tirs à balles réelles contre des centaines de
manifestants. Le Comité en a fait « une question prioritaire d’une urgence
capitale » en donnant à l’État défendeur un délai d’un an, notamment, pour
la mise en place d’enquêtes®°.
17. Ces éléments relatifs aux atteintes au droit à la vie, à la torture, aux
traitements cruels innumains et dégradants, parus dans des communiqués
émanant du Comité contre la torture des Yj Br sont accessibles à
tous”° et sont, pour ainsi dire, de notoriété publique.
12. En tout état de cause, le fait que la loi n° 2019 — 39 du 7 novembre 2019
portant amnistie des faits criminels, délictuels et contraventionnels commis
lors des élections législatives ait été adoptée, atteste de la réalité des
atteintes commises au mois de mai 2019.
1733 Dès lors, il est établi qu’il y a eu des atteintes au droit à la vie, au droit de ne
pas être soumis à la torture et au droit au respect de la dignité inhérente à la
personne humaine.
174 Au regard ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur a violé le
droit à la vie, le droit de ne pas être soumis à la torture et le droit au respect
de la dignité inhérente à la personne humaine, protégés par les articles 4 et
5 de la Charte.
\ Sur la violation du droit à ce que sa cause soit entendue
1% La Cour note que le Requérant soulève des questions relatives à l’impartialité
de la Cour constitutionnelle de l'Etat défendeur.
89 Onu Info, « Bénin : des experts de l'ONU s'inquiètent de la répression post — électorale » (17 Mai 2019) https://news.un.org/fr/story/2019/05/1043671;
42
176 La Cour souligne qu’il existe un lien étroit entre cette violation alléguée et celle
relative à l’obligation garantir à l'indépendance des tribunaux, protégée par
l’article 26 de la Charte. Dès lors, il est plus opportun de traiter ensemble ces
questions à la section (B) du présent arrêt.
vi) Sur la violation du droit à la liberté d’association
177. Le Requérant allègue qu'à travers les articles 16”! et 487? de la charte des
partis politiques, le droit à la liberté d'association a été violée. Selon lui, l’État
défendeur a justifié le premier de ces textes par le fait qu’il faut empêcher la
création et la participation aux élections de partis régionaux qui constituent
une menace pour l’unité nationale. Or, poursuit — il, une telle menace n’a pas
été démontrée.
18 En outre, il souligne que l’article 48 précité permet au ministre de l'Intérieur,
en cas de violation des dispositions de la charte des partis politiques, de
dénoncer les faits au procureur de la République qui saisit la juridiction
compétente, en procédure d’urgence, d’une action aux fins de suspension ou
de dissolution du parti politique en cause. Or, un parti politique ne peut être
dissous ou suspendu pour toute sorte de violations.
1 En réponse, l’État défendeur soutient que l’article 16 précité ne heurte
aucune disposition conventionnelle puisqu’il permet d’asseoir un ancrage
national des partis politiques dans la mesure où il a décidé d’abandonner le
système des micro-partis.
71 Cet article dispose : « Le nombre de membre fondateurs d’un parti politique ne doit pas être inférieur à quinze (15) par commune » ;
72 Cet article dispose : « En cas de violation des dispositions de la présente loi par un parti politique, le ministre chargé de l'Intérieur peut dénoncer les faits au procureur de la République aux fins de la suspension ou de la dissolution du parti politique concerné.
Le procureur de la République saisit, à cet effet, en procédure d'urgence, la juridiction compétente qui statue sans délai » ;
43
180 || soutient, par ailleurs, que l’article 48 de ladite loi ne heurte en rien la liberté
d'association qui consiste en la possibilité de former ou de rejoindre un
groupe pour une durée prolongée. Selon l'Etat défendeur, les sanctions
éventuelles sont laissées à l'appréciation souveraine de la justice.
181 La Cour relève que l’article 10 de la Charte dispose :
1. Toute personne a le droit de constituer librement des associations avec
d’autres, sous réserve de se conformer aux règles édictées par la loi.
2. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association sous réserve de
l’obligation de solidarité prévue à l’article 29.
18 La Cour note, en outre, que la disposition pertinente est l’article 29(4) de la
Charte qui impose aux individus « de persévérer et de renforcer la solidarité
sociale et nationale (.…) ».
183 La Cour estime que ce texte doit être lu conjointement avec la clause de
limitation générale de la Charte contenue en son article 27(2) aux termes
duquel « Les droits et libertés de chaque personne s'exercent dans le respect
du droit d’autrui, de la sécurité collective, de la morale et de l'intérêt commun ».
184 La Cour souligne, comme elle l’a déjà fait dans l’affaire Ae Ca
Az et autres contre Tanzanie, que « cette disposition signifie que les Etats
parties à la Charte jouissent d’une certaine mesure de discrétion concernant la
limitation à la liberté d’association dans l'intérêt commun et qui respecte les
droits et libertés d’autrui »”°.
73 Yf Xg Aa, The Ak Bw Cf Ye et Ae Ca Az Z Xl, Arrêt, (Fond) (14 juin 2013), 1 RICA 34, 8 112;
44
185 La Cour note, à cet égard, qu’elle n’est pas convaincue que la seule exigence
relative au nombre de fondateurs d’un parti politique, corroborée par les
nécessités sociales invoquées par l'Etat défendeur, est contraire aux
exigences des articles 27(2) et 29 de la Charte.
186 En conséquence, la Cour considère que l'Etat défendeur n’a pas violé le droit
à la liberté d’association protégé par l’article 10 de la Charte.
187. En outre, concernant la possibilité donnée au ministre de l'Intérieur de
dénoncer au procureur de la République tout fait non conforme la charte des
partis politiques, aux fins de dissolution, la Cour estime qu’elle ne constitue
pas, per se, une violation du droit à la liberté d’association.
188 Bien qu’elle ne soit pas prohibée, la dissolution d’un parti politique, doit être
exceptionnelle et reposer sur des justifications raisonnables et objectives. Il
faut, en effet, démontrer l'existence d’un danger réel pour la sécurité
nationale et l’ordre démocratique que d’autres mesures ne pouvaient faire
cesser’*. En tout état de cause, il appartiendra à un tribunal, et non au
ministre de l’intérieur, d'apprécier la gravité du non-respect de la loi et d’en
juger, après avoir été saisi par le procureur de la République.
199 Dès lors, en conférant au ministre de l'Intérieur une simple opportunité de
dénoncer au procureur de la République tout fait qui serait constitutif
d'atteinte à la charte des partis politiques, l’État défendeur n’a pas violé le
droit à la liberté d’association protégé par l’article 10 de la Charte.
74 Comité des droits de l'Homme des Yj Br, Jeong- Eun Lee c. République de Corée, constatations du 20 juillet 2005, Communication n°1119/2002, 887.2 ; 7.3 ; CEDH, Affaire Av c. Hongrie, Requête 35943/10, Arrêt (fond) du O9 Juillet 2013, 8 57 — 58 ;
45
vi Sur les violations alléguées du droit à la liberté d’association, du
droit de participer librement à la direction des affaires publiques de
son pays, du droit à la non-discrimination, en lien avec les
dispositions de la loi n° 2018-31 du 09 Octobre 2018 portant code
électoral
190 Le Requérant allègue qu’à travers des dispositions du code électoral de 2018,
l'Etat défendeur a violé le droit à la liberté d'association, le droit de participer
librement à la direction des affaires publiques de son pays et le droit à la non—
discrimination.
191 Le Requérant soutient que l'interdiction d’alliances politiques en vue de
présenter des candidatures viole le droit à la liberté d'association. De même,
l'interdiction des candidatures indépendantes est contraire, à la fois, au droit à
la liberté d'association, au droit à la non-discrimination et au droit de participer
librement à la direction des affaires publiques de son pays.
19 Il ajoute que ce dernier droit cité a également été violé du fait de l’exigence de
certaines conditions d'éligibilité, à savoir : l'exigence d’un quitus fiscal, d’un
cautionnement, celle liée à l’âge ainsi qu’à l'obligation de résidence d’une
année sur le territoire de l'Etat défendeur pour les béninois d’origine et de dix
(10) ans pour les béninois naturalisés.
198 Pour sa part, l'Etat défendeur relève qu'aucune disposition du code électoral
de 2018 ne contraint un candidat à s'associer ou à ne pas s'associer.
194 L'Etat défendeur soutient le Requérant ne démontre pas en quoi les articles 44
al.2, 46, 233, 242 al.4, 249 al. 1, 269, 272 al. 1 du code électoral de 2018 violent
plusieurs de ses droits. || précise que les dispositions en cause ne limitent pas
des droits de l'homme visés mais organisent simplement les modalités de leur
exercice.
46
1%. La Cour note que les articles querellés sont les suivants : 44 al.27°, 46 alinéa 178,
233”, 242 al.478, 249 al. 17°, 269%, 272 al. 14 du code électoral de 2018.
1% La Cour examinera les violations alléguées d’une part, en lien avec les articles
46, 249 alinéa 1 et 269 alinéa 1 du code électoral de 2018 et d’autre part, celles
en lien avec les autres dispositions qui prévoient des conditions plus générales
d’éligibilité.
197. La Cour souligne également qu’elle examinera les violations alléguées de ces
droits électoraux à la lumière des principes selon lesquels le droit de se porter
candidat aux élections est « inhérent à la notion de régime véritablement
démocratique »° et que toute restriction à ces droits doit être justifiée, c’est-à-
dire qu’elle doit nécessaire, légitime et proportionnée®.
75 L'article 44 alinéa 2 dispose : « les alliances électorales ne sont pas autorisées à présenter des listes de candidats »
76 L’article 46 dispose : « la déclaration de candidature doit comporter les nom, prénoms, profession, date et lieu de naissance et adresse complète du ou des candidats. Elle doit être accompagnée de : une quittance de versement au Trésor public, du cautionnement prévu pour l’élection concernée, un certificat de nationalité, un bulletin n°3 du casier judiciaire datant de moins de trois (3) mois, un extrait d’acte de naissance ou toute pièce en tenant lieu, un certificat de résidence, un quitus fiscal des trois (3) dernières années précédant l’année de l’élection attestant que le candidat est à jour du paiement de ses impôts »
77 L'article 233 dispose : « Le montant du cautionnement à verser par le candidat à l’élection présidentielle est de 10% du montant maximum autorisé pour la campagne électorale »
78 L’article 242 alinéa 4 dispose : « Seules les listes ayant recueilli au moins 10% des suffrages valablement exprimés au plan national, se voient attribuer des sièges, sans que le nombre de listes éligibles ne soit inférieur à quatre (04). Toutefois, si le nombre de listes en compétition est inférieur à quatre (04), toutes les listes sont éligibles à l'attribution de sièges »
79 L’article 249 alinéa 1 dispose : « Nul ne peut être candidat s’il n’est âgé de vingt — cinq (25) ans au
moins dans l’année du scrutin, si béninois de naissance, il n’est domicilié depuis un (01) an au moins, en
République du Bénin, si, étranger naturalisé béninois, il n’est domicilié en République du Bénin et n’y vit
sans interruption depuis dix (10) ans au moins. »
80 L'article 269 dispose : « La déclaration (de candidature aux élections législatives) doit mentionner : le nom du parti, les nom, prénoms, profession, domicile, date et lieu de naissance des candidats ; la couleur, l'emblème, le signe, le logo que le parti choisit pour l'impression des bulletins »
81L'article 272 dispose : « Le montant du cautionnement à verser par candidat titulaire aux élections
législatives est de 10% du montant maximum autorisé pour la campagne électorale »
82 CEDH, Cs c. Lettonie, Requête n°46726/99, Arrêt du 09 avril 2002, 8 35 ;
883 Yf Xg Aa, The Ak Bw Cf Ye et Ae Ca Az Z Xl, Arrêt, (Fond) (14 juin 2013), 1 RICA 34, 8 107.1 et 107.2 ;
47
Viii -a) Sur les violations alléguées en lien avec articles 44 alinéa 2, 249 alinéa 1 et
269 alinéa 1 du code électoral de 2018
Viii -a) i. Sur le droit à la liberté d’association
18 — La Cour relève que l'article 10 de la Charte dispose :
1. Toute personne a le droit de constituer librement des
associations avec d’autres, sous réserve de se conformer aux
règles édictées par la loi.
2. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association sous
réserve de l’obligation de solidarité prévue à l’article 29.
19 La Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence
Il y a atteinte à la liberté d'association dès lors qu’un individu est contraint
de s'associer avec d’autres personnes (…) La liberté d’association signifie
que chacun est libre de s'associer ou est libre de ne pas le faire“*.
20. La Cour note que les dispositions querellées sont les articles 44 alinéa 2 du code
électoral aux termes duquel « les alliances électorales ne sont pas autorisées
à présenter des listes de candidats » et l’article 269 du même code qui exige
que la déclaration de candidature mentionne le nom du parti auquel appartient
le candidat.
201 La Cour relève que le premier de ces textes interdit les alliances électorales en
vue du dépôt de candidature et interdit aux citoyens de s'associer les uns aux
autres, tandis que la deuxième disposition oblige tout individu qui veut faire acte
de candidature à être membre d’un parti politique et donc, à s'associer avec
d’autres citoyens.
AP La Cour souligne que l’Etat défendeur n’a donné aucune justification à ces
restrictions si ce n’est celle de contester que les dispositions en cause ne
84 Ibid. 8 113 ;
48
limitent pas les droits de l'homme mais organisent simplement les modalités
de leur exercice.
28 La Cour estime que cette simple affirmation est inopérante, de sorte que les
limitations imposées ne sont pas justifiées. La Cour considère donc que l'Etat
défendeur a violé le droit à la liberté d’association protégé par l’article 10 de la
Charte.
Viii -a) ii Sur la violation du droit de participer librement à la direction des
affaires publiques de son pays
24 La Cour note que l’article 13 de la Charte dispose :
Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des
affaires publiques de leurs pays, soit directement, soit par l’intermédiaire
de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées
par la loi.
25 La Cour rappelle que l’article 44 alinéa 2 du code électoral interdit les alliances
électorales, tandis que l’article 269 alinéa 1 du même code oblige tout candidat
à être membre d’un parti politique, ce qui constitue une interdiction des
candidatures indépendantes.
26 La Cour souligne, conformément à sa jurisprudence®, que faire de la qualité
de membre de parti politique une exigence pour être candidat aux élections
présidentielles, législatives ou locales et donc, interdire les candidatures
indépendantes, est une violation du droit de participer librement à la direction
des affaires publiques de son pays. De même, interdire les alliances électorales
en vue d’une présentation de candidature est une atteinte à ce droit.
85- Ibid. 8 111 ;
49
27. La Cour souligne, en outre, que l’Observation Générale n°25 du Comité des
droits de l'homme de l'ONU sur le droit de participer à la direction des affaires
publiques, le droit de vote et le droit d'accéder, dans des conditions générales
d'égalité, à des fonctions publiques, en son paragraphe 17, est libellée ainsi
qu’il suit :
Le droit de se présenter à des élections ne devrait pas être limité de
manière déraisonnable en obligeant les candidats à appartenir à des partis
ou à un parti déterminé. Toute condition exigeant un nombre minimum de
partisans de la présentation de candidature devrait être raisonnable et ne
devrait pas servir à faire obstacle à la candidature. Sans préjudice du
paragraphe 1 de l’article 5 du Pacte (PIDCP), l’option politique ne peut pas
servir de motif pour priver une personne du droit de se présenter à une
élection.
208 La Cour relève que l'Etat défendeur n’a donné aucune justification à ces
limitations. Dès lors, la Cour considère qu’en interdisant les candidatures
indépendantes ainsi que les alliances électorales, l'Etat défendeur a violé le
droit de participer librement à la direction des affaires publiques de son pays,
protégé par l’article 13 de la Charte.
20, La Cour note, par ailleurs, qu’au sens de l’article 249 alinéa 1 du code électoral
de 2018, tout candidat aux élections législatives doit, s’il est béninois d’origine,
résider sur le territoire de l’Etat défendeur, un (1) an avant le scrutin. S'il est
béninois naturalisé, cette durée est portée à dix (10) années ininterrompues.
210. La Cour reconnaît que la distinction entre résident et non- résident est fondée
sur la présomption selon laquelle le citoyen non- résident est concerné moins
directement ou moins continuellement par les problèmes quotidiens de son
pays ou qu’il les connaît moins bien°.
86 Commission européenne des droits de l'homme, As Ct et Xi Cd Z Yi,
Requête n°23450/94, Décision du 15 septembre 1997 sur la recevabilité de la Requête ;
50
211 La Cour souligne, toutefois, qu’il ne s'agit que d’une présomption simple,
surtout que dans le contexte africain, beaucoup d’opposants exilés du fait de
craintes justifiées, continuent, même de loin, à s'intéresser, à la situation de
leurs pays d’origine et ont pu, dès leur retour d’exil, se présenter à des
élections.
22 La Cour estime que, pour cette raison, en appréciant le caractère légitime,
nécessaire et proportionné d’une telle exigence, elle ne peut faire abstraction
des raisons pour lesquelles celui qui souhaite être candidat n’a pas résidé sur
le territoire de l'Etat défendeur selon la durée prévue. Une distinction doit, en
effet, être faite entre ceux qui ont volontairement quitté leur pays et ceux qui
l’ont fait sous la contrainte.
213 Plus spécifiquement, la Cour estime qu’une telle condition ne peut être exigée
de ceux qui sont contraints de quitter le territoire de leur pays. A cet égard, la
Cour note qu’en 2018, le Requérant a été obligé de quitter le territoire de l'Etat
défendeur pour s’exiler en France du fait de craintes de violations de droits de
l'homme à son encontre.
214 Nul ne peut contester que les raisons d’une telle crainte ont été confirmées dans
la mesure où, non seulement, la Cour de céans a jugé que l'Etat défendeur
avait commis de telles violations®”, mais également, le Requérant a obtenu le
statut de réfugié politique dans son pays d’exil. Il se présente d’ailleurs comme
tel dans la présente Requête, ce que ne conteste pas l’Etat défendeur.
215 La Cour estime que rester dans son pays d’origine aurait été risqué pour le
Requérant et aurait rendu impossible l’exercice de tout droit politique ou de
87 AG Ar B c. République du Bénin, CAfDHP, Arrêt (fond) (29 mars 2019), 8 292 ;
51
nature politique®é, Il s'ensuit que l’obligation de résidence, comme condition
d'éligibilité de ceux qui ont été contraints de quitter leur pays, n’est pas justifiée.
216 En conséquence, la Cour considère que l’Etat défendeur a violé le droit de
participer librement à la direction des affaires publiques de son pays, protégé
par l’article 13 de la Charte.
Viii. a) iii. Sur le droit à la non-discrimination
217. La Cour note que l’article 2 de la Charte dispose :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et
garantis dans la présente Charte sans discrimination aucune, notamment,
de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion
politique ou de toute autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de
fortune, de naissance ou de toute autre situation.
218 La Cour souligne qu’en interdisant les candidatures indépendantes, l'Etat
défendeur, a créé une différenciation dans le traitement entre les citoyens
béninois membres d’un parti politique qui peuvent être candidats aux élections
et ceux qui n’appartiennent à aucune formation politique et qui en sont exclus.
219 La Cour note, comme déjà souligné, que l'Etat défendeur n’a pas justifié cette
différence de traitement. Dès lors, la Cour considère que l’Etat défendeur a violé
le droit à la non-discrimination protégé par l’article 2 de la Charte.
22, La Cour note que cette violation s'étend également à l’obligation de résidence
systématiquement imposée à tout candidat aux élections.
88 Voir, dans le même sens, CEDH, By c. Ukraine, Requête n° 17707/02, Arrêt du 19 octobre
2004 8 65 ;
52
viii-b) Sur les violations alléguées en lien avec les articles 46, 233, 242 al.4°°, 272
al. 1°* du code électoral de 2018
21. S'agissant des autres conditions relatives aux élections prévues aux articles
46, 233, 242 alinéa 4 et 272 alinéa 1 du code électoral de 2018, notamment, le
cautionnement, le quitus fiscal, l’âge, la Cour estime qu’il n'a pas été démontré
en quoi elles sont déraisonnables.
22. En conséquence, la Cour considère, s'agissant de ces conditions, que l’Etat
défendeur n’a pas violé les droits de participer librement à la direction des
affaires publiques de son pays, ni le droit à la non-discrimination protégés,
respectivement, par les articles 13(1) et 2 de la Charte.
M Sur la violation du droit des victimes des violences post —
électorales à ce que leurs causes soient entendues
23 Le Requérant soutient qu’à travers la loi n° 2019-39 du 07 novembre 2019
portant amnistie des faits criminels commis lors des violences consécutives
aux élections législatives du 28 avril 2019, l’État défendeur a violé l’article 7 (1)
de la Charte.
24 || souligne que le Comité des droits de l’homme des Yj Br, la Sous
— Commission de la prévention de la discrimination et de la protection des
minorités des Yj Br ainsi que la Commission ont estimé que les lois
89 L'article 233 dispose : « Le montant du cautionnement à verser par le candidat à l'élection présidentielle est de 10% du montant maximum autorisé pour la campagne électorale »
2 L'article 242 alinéa 4 dispose : « Seules les listes ayant recueilli au moins 10% des suffrages valablement exprimés au plan national, se voient attribuer des sièges, sans que le nombre de listes éligibles ne soit inférieur à quatre (04). Toutefois, si le nombre de listes en compétition est inférieur à quatre (04), toutes les listes sont éligibles à l'attribution de sièges »
21L'article 272 dispose : « Le montant du cautionnement à verser par candidat titulaire aux élections législatives est de 10% du montant maximum autorisé pour la campagne électorale »
53
d’amnistie constituent un obstacle pour les victimes d’obtenir justice et sont
contraires aux droits de l'homme.
25. En ce qui le concerne, l'État défendeur conclut au rejet de cette allégation en
relevant qu’à l’occasion des législatives du 28 Avril 2019, des violences ont
éclaté au Bénin à l'initiative de quelques personnes.
2. Selon l’État défendeur, les forces républicaines ont contenu les violences et
rétabli l’ordre public, plusieurs personnes ayant été interpellées. Pour l'Etat
défendeur, c’est à la faveur du dialogue politique d’octobre 2019, qu’il a été
recommandé d’amnistier tous les auteurs des violences. Il en déduit qu’il n’ya
aucune violation des droits de l'homme dans une mesure prise par le Parlement
pour préserver la cohésion sociale.
27. _ L'article 7(1) de la Charte dispose :
1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
a) Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte
violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les
conventions, les lois règlements et coutumes en vigueur (…).
28 || résulte de ce texte que le droit à ce que sa cause soit entendue correspond
au droit à un recours effectif. Il! s’agit de la prérogative dont bénéficie toute
personne qui se prétend victime de violation de ses droits fondamentaux de
saisir la justice.
22. Parallèlement, le droit à un recours effectif entraîne pour l’État, d’une part, une
obligation d’enquêter et de punir les violations des droits de l'homme tout
54
en assurant à la victime une réparation équitable® et, d'autre part, une
obligation de ne pas entraver l'exercice de ce recours.
230 La Cour souligne, en outre, que l’amnistie, cause d'extinction de l’action
publique®, est :
La mesure par laquelle le législateur décide de ne pas poursuivre les
auteurs de certaines infractions®*.
231 L'amnistie constitue donc un obstacle dirimant à la saisine des juridictions
pénales ou à la poursuite d’une action engagée devant celles - ci qui, en même
temps qu’elles se prononcent sur l’action publique, statuent sur les réparations
civiles.
2. En l'espèce, le 07 Novembre 2019, l’État défendeur a promulgué la loi n° 2019-
39°° « portant amnistie des faits criminels, délictuels et contraventionnels
commis à l’occasion des élections législatives d'avril 2019 ».
233 La Cour note, d’une part, que le titre de la loi est révélateur de l’existence de
faits criminels, délictuels ou contraventionnels qui ont été commis à l’occasion
des élections législatives du 28 avril 2019 et d'autre part, que son contenu
atteste qu’aucune mesure n’a été prise en faveur des victimes desdits actes.
°2 CIDH, Affaire Xt Aq Z Ax (Fond), 14 Mars 2001, Série C n°15 ;
23- L'article 7 du code de procédure pénale béninois dispose : « L'action publique pour l’application de la
4 J. Xm (dir.), Dictionnaire de Droit International Public, 2001, Bruxelles, Ed. Bruylant, p. 63 ;
25 Cette loi est composée de trois articles. Article 1 : « Sont amnistiés, tous les faits constitutifs de crimes, de délits ou de contraventions commis au cours des mois de février, mars, avril, mai et juin 2019 à l’occasion du processus des élections législatives du 28 avril 2019 » ; Article 2 : « Par application des dispositions de l’article 1° de la présente loi, toutes les procédures engagées sont dépourvues d’objet, les jugements ou arrêts prononcés non avenus et les personnes détenues à titre provisoire ou en exécution des jugements ou arrêts prononcés sont mises en liberté, si elles ne sont retenues pour autres causes légales » ; Article 3 : « La présente loi d'amnistie sera publiée au journal officiel et exécutée comme loi d'État » ;
55
24. La Cour rappelle que la Commission africaine des droits de l’homme a estimé
que :
Les lois d’amnistie ne peuvent exonérer l'Etat qui les adopte de ses
obligations internationales (.…). L’interdiction de la poursuite des auteurs
de violations graves des droits de l'homme par le biais d’amnisties
amènerait les Etats non seulement à promouvoir l'impunité, mais ôterait
toute possibilité d’enquêter sur ces abus et priverait les victimes de ces
crimes d’un recours effectif aux fins d'obtention de réparations®.
23 La Cour relève que le Comité des droits de l'homme des Yj Br a
affirmé ce qui suit :
Les amnisties prononcées pour des violations flagrantes des droits de
l’homme (….) sont incompatibles avec les obligations contractées (article 3
—a, à savoir garantir que toute personne dont les droits et libertés sont
violés dispose d’un recours utile) en vertu du PIDCP°".
2% Quant à la Cour interaméricaine des droits de l’homme, elle a jugé :
Inadmissibles les dispositions d’amnistie, les dispositions de prescription
et l'établissement des dispositions visant l’exclusion de responsabilité
ayant pour objet d'empêcher l’enquête et la sanction des responsables des
violations graves des droits de l'homme telles que la torture (…) car elles
contreviennent aux droits indérogeables reconnus par le droit international
des droits de l'homme. (.…) Ces lois empêchent les victimes et leurs
familles de connaître la vérité et d’obtenir la réparation correspondante®S.
237. De même, la Cour européenne des droits de l'homme a estimé, au sujet
d’amnisties non accompagnées de mesures au profit des victimes, que
2% CADHP, Communications 54/91, Ah Cr Commission c. Mauritanie, 61/91, Cq Bq c. Mauritanie, 98/93, Mme Xh Bh, Union interafricaine des droits de l'homme et AL c. Mauritanie, 164/97 à 196/97, Collectif des veuves et ayants — droit c. Mauritanie, 210/98, Association mauritanienne des droits de l'homme c. Mauritanie, 11 mai 2000, 8 83 ;
97 Comité des droits de l’homme, Xw Ad c. Urugay, Communication n°322/1988 ;
28 CIADH, Affaire Xt Aq Z Ax, Arrêt du 14 mars 2001 8 41 — 43, voir dans le même sens Affaire Ar Z Ai, 8 195 ; Bo Cj et autres c. Brésil 8 171 ;
56
Le droit international tend de plus en plus à considérer (les) amnisties (…)
comme inacceptables car incompatibles avec l’obligation universellement
reconnue pour les Etats de poursuivre et de punir les auteurs des violations
graves des droits fondamentaux de l'homme. A supposer que les amnisties
particulières telles qu’un processus de réconciliation et/ou une forme de
réparation pour les victimes, l’amnistie octroyée au requérant n’en resterait
pas moins inacceptable puisque rien n'indique la présence de telles
circonstances, en l’espèce°°
238 Au regard de ce qui précède, la Cour considère qu’une loi d’amnistie n’est
compatible avec les droits de l'homme que si elle est accompagnée de
mesures réparatrices au profit des victimes. Or, en l'espèce, l’État défendeur
qui soutient que « c’est à la faveur du dialogue politique d’Octobre 2019 » que
la loi d’amnistie a été votée, n'apporte par la preuve de telles mesures.
23 La Cour considère, en conséquence, qu’en adoptant la loi d’amnistie n° 2019
— 39 du 07 novembre 2019 sans l’assortir de mesures au profit des victimes,
l'État défendeur a violé le droit à ce que la cause de chaque victime des
violences relatives aux élections législatives du 28 Avril 2019 soit entendue,
protégé par l’article 7 de la Charte.
\ Sur la violation de l’article 1(i) du Protocole additionnel A/SP1/12/01
de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance.
2, Le Requérant souligne que l’article 27 al. 2 de la Charte des partis politiques viole
l’article 1(i) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie qui donne aux partis
politiques le droit de participer sans entrave ni discrimination au processus
électoral.
29 - CEDH, Affaire Xb c. Croatie, 8 139 ;
57
241 En réponse, l’État défendeur soutient que le texte invoqué par le Requérant
n’entrave en rien le droit reconnu aux partis politiques de participer librement
aux élections, car il ne pose ni interdiction, ni restriction. Selon lui, le texte
invoqué prévoit des conditions dans lesquelles un parti politique perd les droits
qu’il avait délaissés.
2. La Cour note qu’aux termes de l’article 1(i) du Protocole de la CEDEAO sur la
démocratie :
(Les partis politiques) participent librement et sans entrave ni
discrimination à tout processus électoral.
23 _ La Cour relève que l'article 27 de la charte des partis politiques dispose
Tout parti politique perd son statut juridique s’il ne présente pas de
candidats à deux élections législatives.
2M, La Cour est d'avis que la question de la perte du statut juridique d’un parti
politique doit être abordée, non point, sous l’aspect du processus électoral mais
plutôt sous celui des causes de dissolution ou de suspension du parti politique,
en lien avec le droit à la liberté d'association.
245, La Cour rappelle que la dissolution ou la suspension d’un parti politique doit être
exceptionnelle et reposer des motifs raisonnables et objectifs! comme
l'existence d’un danger réel pour la sécurité nationale et l’ordre démocratique
que d’autres mesures ne pouvaient faire cesser.
26 La Cour estime que le simple fait de ne pas présenter de candidats à deux
élections législatives consécutives n'entre pas dans ce cadre et ne constitue
donc pas un motif raisonnable et objectif pour suspendre ou dissoudre un parti
politique.
100 Voir dans le même sens 8 197 du présent Arrêt ;
58
247. || s'ensuit qu’en rendant possible la perte du statut de parti politique pour cette
cause, l’État défendeur a violé le droit à la liberté d'association protégé par
l’article 10 de la Charte.
) Sur la violation l’obligation de créer des organes électoraux
indépendants et impartiaux
248 Le Requérant fait valoir que l’Etat défendeur a violé l'obligation de créer et de
renforcer des organes électoraux, indépendants et impartiaux prévue par les
articles 17(1) de la CADEG et 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie.
249. Le Requérant souligne qu’il résulte de la décision EL-19-001 rendue le 1°"
février 2019 par la Cour constitutionnelle de l'Etat défendeur, que le ministre
de l'Intérieur, qui était candidat aux élections législatives, apparaît comme un
véritable organe électoral. Il souligne que cette décision a conféré à ce ministre
le pouvoir de délivrer le certificat de conformité en vue du dépôt des
candidatures aux élections législatives.
0 Pour l'État défendeur, la question qui se pose à la Cour est celle de savoir si le
fait pour un membre du Gouvernement d’avoir une affiliation politique suffit à
conclure à la partialité des services qu’il administre. Il relève que pour répondre
à cette question, le Requérant se contente d'évoquer la notion de
« crainte légitime », ce qui ne peut équivaloir à ladite violation.
ÆL Il s’y ajoute, selon lui, que l'examen des dossiers a conduit non seulement au
rejet de candidats de tous bords politiques, mais aussi à la délivrance de
certificats de conformité aussi bien aux candidats se réclamant de la mouvance
présidentielle qu’à ceux de l'opposition.
59
2 Il relève, en outre, qu’il existe une possibilité de recours contre la décision du
ministre de l'Intérieur en la matière et que l'organe électoral par excellence est
la Commission Électorale Nationale Autonome (CENA).
Æ3 La Cour note que l’article 17(1) de la CADEG dispose :
(…) Tout État partie doit :
1. Créer et renforcer les organes électoraux nationaux indépendants et
impartiaux, chargés de la gestion des élections (.…).
Æ4 _ Quant à l’article 3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie, il dispose :
Les Organes chargés des élections doivent être indépendants et/ou
neutres pour avoir la confiance des acteurs et protagonistes de la vie
2 La Cour note, que le simple fait que la délivrance du certificat de conformité soit
dévolue au ministre de l'Intérieur ne fait pas de lui un organe électoral. La Cour
note que l'organe électoral de l'Etat défendeur est constitué par le Conseil
d'orientation et de supervision de la liste électorale permanente informatisée
(ci — après dénommé « COS — LEPI ») et la Commission électorale nationale
autonome (ci — après dénommée « CENA »).
6 A cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire AM c. République
du Bénin (Requête n°059/2019) relative à l'indépendance et à l’impartialité de
l'organe électoral de l'Etat défendeur à savoir le COS — LEPI et la CENA. Dans
cette affaire, elle a jugé que le COS — LEPI n'offre pas suffisamment de
garanties d'indépendance et d’impartialité requises et ne peut être perçu
comme offrant de telles garanties"°!.
101 Affaire AM c. Bénin, CAfDHP, requête 059/2019, Arrêt (fond et réparations), (27 novembre 2020) 8
60
Æ/. En conséquence, la Cour considère que l’Etat défendeur a violé l’obligation de
garantir l'indépendance et l’impartialité des organes électoraux, prévue par les
articles 17 de la CADEG et3 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie.
Xi) Sur la violation de l’obligation de ne pas modifier unilatéralement
la loi électorale moins de six (6) mois avant les élections
æ8 Le Requérant allègue que l’exigence du certificat de conformité qui n’est prévu
ni par la charte des partis politiques, ni par le code électoral comme condition
de participation aux élections résulte de la décision EL — 19 — 001 du 1“ février
2019 rendue par la Cour constitutionnelle, à moins de six (6) mois des élections
législatives du 28 Avril 2019, ce qui constitue une violation de l’article 2(1) du
Protocole de la CEDEAO sur la démocratie.
22. Pourtant, souligne — t - il, la même Cour constitutionnelle a réaffirmé dans sa
décision DCC 15-086 du 14 avril 2015, la soumission de l’État défendeur à
l’article 2.1 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie.
Æ0 En réponse l’État défendeur relève que le Requérant fait une fausse
interprétation de la décision rendue par la Cour constitutionnelle en ce qui
concerne le certificat de conformité.
21 Il souligne que la charte des partis politiques donne pouvoir au ministre de
l'Intérieur de procéder à un contrôle de conformité à ladite charte et de délivrer
ou non un certificat de conformité, cette décision étant susceptible de recours.
@2 La Cour note que l’article 2 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie
dispose :
61
Aucune réforme substantielle de la loi électorale ne doit intervenir dans les
six (6) mois précédant les élections, sans le consentement d’une large
majorité des acteurs politiques.
23 La Cour souligne, d’une part, que la loi à prendre en compte, en l’espèce, est
la charte des partis politiques, entrée en vigueur le 20 Septembre 2018. Elle
ne peut donc fonder son examen sur la décision judiciaire EL-19—001 du 1°"
février 2019 de la Cour constitutionnelle du Bénin invoquée par le Requérant.
D'autre part, les élections invoquées sont les élections législatives du 28 avril
2019.
æ4 La Cour note qu’entre l’entrée en vigueur de la charte des partis politiques et
les élections législatives du 28 avril 2019, il s’est manifestement écoulé plus de
six mois.
5. Dès lors, la Cour considère que l’Etat défendeur n’a pas violé son obligation de
ne pas modifier la loi électorale dans les six (6) mois précédant les élections.
B. Sur la violation alléguée de l’obligation de l’État défendeur de créer des
juridictions indépendantes et impartiales
6 Le Requérant allègue que la Cour constitutionnelle de l'Etat défendeur n’est ni
indépendante, ni impartiale (1). En outre, il soutient que le pouvoir judiciaire
n’est pas indépendant (ii).
i) Sur la violation alléguée de l’indépendance et de l’impartialité de la
Cour constitutionnelle
Æ7. Le Requérant souligne que la Cour constitutionnelle n’est ni indépendante, ni
impartiale, dans la mesure où son président, M. Joseph Djogbenou, est
62
également le conseiller du chef de l’État dont il est l'avocat depuis quinze (15)
ans, ce qui atteste qu’il existe entre eux, une forte proximité.
Æ8 Le Requérant estime que la partialité du président de la Cour constitutionnelle
est établie puisqu'il a siégé lorsque ladite Cour a déclaré la loi sur le droit de
grève et la loi portant code pénal conformes à la Constitution. Etant ministre de
la Justice et de la Législation, M. Joseph Djogbenou a, non seulement, tenu
des conférences sur la légalité du droit de grève mais encore, a participé
activement à l’élaboration et à la présentation des projets de loi sur l'exercice
du droit de grève et celle portant code pénal.
2. || ajoute que le cabinet d’avocats de M. Joseph Djogbenou, actuel président de
la Cour constitutionnelle conseille le Gouvernement et défend l’État défendeur
dans des procédures judiciaires. Selon lui, il existe des appréhensions de
manque d’impartialité de ladite Cour.
ZM. En réponse, l’État défendeur soutient le contraire en révélant que les actuels
membres de la Cour constitutionnelle ont été nommés avant l’arrivée au
pouvoir de l’actuel chef de l’État par un Parlement qui s’était opposé à différents
projets du Gouvernement, dont la révision de la Constitution et la levée de
l'immunité d’un ancien ministre.
ZTL Pour l’État défendeur, le fait qu’un ancien ministre de la Justice devienne juge
à la Cour constitutionnelle n’est ni inédit, ni irrégulier. Cette situation a existé
dans d’autres pays de sorte que l'indépendance et l’impartialité de la Cour
constitutionnelle ne peuvent être remises en cause pour ces raisons. En outre,
poursuit — il, l'indépendance des juges s'apprécie sur la base de critères
statutaires et non en fonction de l’autorité de nomination.
2. L’Etat défendeur affirme que le fait pour un ministre de la Justice d’avoir un avis
sur la légalité d’une loi proposée par le Gouvernement, ne peut être
63
interprété comme un parti pris lorsque celui — ci devient juge puisqu’en cette
qualité, il officie sur d’autres principes.
273 || ajoute que l’impartialité s’apprécie selon une double démarche consistant,
d’une part, à déterminer la conviction personnelle du juge et d'autre part, à
s'assurer qu’il offrait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime
à l'égard. Or, en l'espèce, le contrôle de constitutionnalité est fait par une
juridiction collégiale dont la partialité n’a pas été démontrée.
274 L'article 26 de la Charte dispose :
Les États parties à la présente Charte ont le devoir de garantir
275. La Cour relève qu’à cet égard, le terme « indépendance » doit être compris
conjointement avec celui d’« impartialité » et le terme « tribunal », comme toute
instance juridictionnelle.
276 La question que la Cour de céans est appelée à trancher est celle de savoir
d’une part, si la Cour constitutionnelle de l'État défendeur, en tant que
juridiction collégiale, bénéficie de toutes les garanties d’indépendance et
d'autre part, si l’impartialité du président de la Cour, dans l'hypothèse où elle
serait établie, est de nature à influer sur celle de la juridiction constitutionnelle
toute entière.
ia) Sur l’indépendance de la Cour constitutionnelle de l’État
défendeur
277. La Cour note que l'indépendance du pouvoir judiciaire est l'un des piliers
fondamentaux d'une société démocratique. La notion d'indépendance
64
judiciaire implique essentiellement la capacité des juridictions à s'acquitter de
leurs fonctions sans ingérence extérieure et sans dépendre d'aucune autre
2 || convient de noter que l'indépendance judiciaire a deux aspects principaux
: institutionnels et individuels. Alors que l'indépendance institutionnelle implique
le statut et les relations du pouvoir judiciaire avec les pouvoirs exécutif et
législatif, l'indépendance individuelle se rapporte à l'indépendance personnelle
des juges et à leur capacité à s'acquitter de leurs fonctions sans crainte de
représailles!°. L'obligation de garantir l'indépendance des tribunaux et cours
énoncée à l'article 26 comprend à la fois les aspects institutionnels et
individuels de l'indépendance.
2M. La Cour observe que l'indépendance institutionnelle est déterminée en
référence à des facteurs tels que l'institution légale du pouvoir judiciaire en tant
qu'organe distinct des pouvoirs exécutif et législatif avec une compétence
exclusive en matière judiciaire, l'indépendance administrative dans sa gestion
quotidienne, le fonctionnement sans ingérence inappropriée et injustifiée, et les
ressources adéquates pour permettre au pouvoir judiciaire de s'acquitter
correctement de ses fonctions"%,
20 La Cour souligne d'autre part, que l'indépendance individuelle se reflète
principalement dans le mode de désignation et la sécurité d'emploi des juges,
en particulier l'existence de critères clairs de sélection, de désignation, de
durée du mandat et la disponibilité de garanties adéquates contre les pressions
extérieures. L'indépendance individuelle exige, en outre, que les États veillent
1°2Action pour la protection des droits de l'homme c. Côte d'Ivoire, CAfDHP, (fond) (arrêt du 18 novembre 2016) 1 RICA 697, 8 117. Voir aussi Dictionnaire de droit international public, sous la direction de Jean Xm, Brulyant, Bruxelles, 2001, pages 562 et 570.
103 Commission africaine des droits de l'Homme et des Peuples, Directives et principes sur le droit à un procès équitable en Afrique, 8 4 (h) (1). Voir aussi Principes 1-7, NU Principes de base de l'indépendance judiciaire, Résolutions 40/32 de l’Assemblée Générale du 29 Novembre 1985 et 40/146 du 13 Décembre 1985.
65
à ce que les juges ne soient pas mutés ou démis de leurs fonctions au gré ou
à la discrétion de l'exécutif ou de toute autre autorité gouvernementale!*ou
privée.
21 La Cour note que la Cour constitutionnelle qui, dans les pays de tradition
francophone, ne fait pas partie du pouvoir judiciaire mais est placé en dehors
de ce pouvoir en tant qu’organe constitutionnel!®, est créée conformément à
l'article 114 de la Constitution en tant qu'organe de régulation de toutes les
autres institutions publiques ayant la plus haute compétence en matière
2. La Cour observe qu’en plus de la Constitution, la loi organique n°91-009 du 4
mars 1991 sur la Cour constitutionnelle contient des dispositions garantissant
l'autonomie administrative et financière de la Cour constitutionnelle*°.
23 En ce qui concerne son indépendance institutionnelle, il ne ressort ni de la
Constitution ni de la loi organique de la Cour constitutionnelle qu'elle peut faire
l'objet d'une ingérence directe ou indirecte ou qu'elle est sous la subordination
d'un ou de plusieurs pouvoirs dans l'exercice de ses fonctions juridictionnelles.
@4. En conséquence, l'indépendance institutionnelle de la Cour constitutionnelle
de l’État défendeur est garantie.
25. En ce qui concerne l'indépendance individuelle, l'article 115 de la Constitution
de l'Etat défendeur prévoit que la Cour constitutionnelle est
105 Ibid. Voir aussi CEDH, Cz et Fell, 8 78, arrêt du 28 juin 1984 ; Ce AJ Xa, arrêt du 9 juin
1998, Rapport 1998-IV, p. 1571, 8. 65.
106 L. Yg, Les Cours constitutionnelles, (1996) Paris, PUF, Collection que Sais-je ? P. 18 — 19 ;
17 Article 114 de la Constitution du Bénin du 11 décembre 1990.
1° L'article 18 de la loi n° 91-009 du 04 mars 1991 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle dispose « Sur proposition du Président de la Cour Constitutionnelle, les crédits nécessaires au fonctionnement de ladite Cour sont inscrits au Budget National. Le Président de la Cour est Ordonnateur des dépenses ».
66
composée de sept (7) juges, nommés pour une période de cinq (5) ans
renouvelable une fois, dont quatre (4) sont nommés par le Bureau de
l'Assemblée nationale et trois (3) par le président de la République. Ce texte
exige que les juges aient la compétence professionnelle requise, une bonne
moralité et une grande probité. La Constitution prévoit également que les juges
sont inamovibles pendant la durée de leur mandat et ne peuvent être poursuivis
ou arrêtés sans l'autorisation de la Cour constitutionnelle elle-même et du
Bureau de la Cour suprême siégeant en session conjointe, sauf en cas
d'infraction flagrante.
26 La Cour observe que s'il est vrai que les interdictions de l'article 115 de la
Constitution contre la révocabilité et les poursuites injustifiées et les exigences
en matière de qualifications professionnelles et déontologiques des membres
de la Cour constitutionnelle sont une garantie d'indépendance individuelle, on
ne peut pas en dire autant du caractère renouvelable de leur mandat. En effet
aucune disposition de la Constitution ou de la loi organique ne précise les
critères de renouvellement ou de refus de renouvellement du mandat des juges
de la Cour constitutionnelle. Le président de la République et le Bureau de
l’Assemblée nationale conservent un pouvoir discrétionnaire dans ce domaine.
287. Pour des juges qui sont nommés, le renouvellement du mandat, qui dépend du
pouvoir discrétionnaire du président de la République et du bureau de
l'Assemblée nationale ne garantit pas leur indépendance*®, d'autant plus que
le président de la République est habilité par la loi à les saisir “9.
@8 La Cour souligne que le caractère renouvelable du mandat des membres de la
Cour constitutionnelle est de nature à affaiblir leur indépendance, s'agissant,
en particulier des juges qui souhaitent être reconduits. À cet égard,
199 D. Bz, la Justice constitutionnelle en Europe, Paris, Montchrétien, 1992, « Le caractère non renouvelable d'un mandat est une garantie d'indépendance car les autorités de nomination ne peuvent échanger une bonne décision contre des nominations et les juges eux-mêmes n'ont aucun intérêt à solliciter les faveurs de ces autorités ».
110 L'article 121 permet au président de la République de saisir la Cour constitutionnelle.
67
il est important de noter que l'apparence est aussi importante que le fait réel
de l'indépendance judiciaire.
29, Au regard de ce qui précède, la Cour considère que le caractère renouvelable
du mandat des Juges de la Cour constitutionnelle de l'Etat défendeur n’est pas
une garantie de leur indépendance.
20 La Cour en conclut que l'indépendance de la Cour constitutionnelle n'est pas
garantie et, par conséquent, l'État défendeur a violé l'article 26 de la Charte.
i._b) Sur l’impartialité de la Cour constitutionnelle de l’État défendeur
21 Selon le Dictionnaire de droit international public, impartialité est l’
« absence de parti pris, de préjugé et de conflit d'intérêt chez un juge (.…) par
rapport aux parties se présentant devant elle »*!!
22. La Cour note que, selon le Commentaire des principes de Bangalore sur la
déontologie judiciaire :
Les valeurs, la philosophie ou les convictions personnelles d'un juge au
sujet du droit ne sauraient constituer un parti pris. Le fait qu'un juge se soit
forgé une opinion générale sur une question juridique ou sociale ayant un
rapport direct avec l'affaire en cours ne le rend pas inapte à présider.
L'opinion, qui est acceptable, devrait être distinguée du parti pris qui, lui,
ne l’est pas*!?.
23 La Cour estime que, pour s'assurer de l'impartialité, le tribunal doit offrir des
garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime à cet égard. Elle fait,
111 Dictionnaire de droit international public, Sous la direction de Jean Xm, Bruyant, Bruxelles, 2001,
p. 562 ;
11? Commentaire des Principes de Bangalore sur la déontologie judiciaire, 8 60 ;
68
cependant, observer que l’impartialité d'un juge est présumée et que des
preuves incontestables sont nécessaires pour réfuter cette présomption.
24 À cet égard, la Cour est d'avis que cette présomption d'impartialité a une
importance considérable, et les allégations relatives à la partialité d’une juge
devraient être examinées avec beaucoup de prudence. Chaque fois qu'une
allégation de partialité ou une crainte raisonnable de parti pris est formulée,
l'intégrité décisionnelle, non pas seulement d'un juge pris individuellement,
mais de l'administration judiciaire dans son ensemble, est remise en
25 En l'espèce, la Cour note que l’État défendeur n’a pas contesté les allégations
du Requérant selon lesquelles, avant d’être nommé à la Cour constitutionnelle,
M. Joseph Djogbenou, a publiquement tenu des propos favorables à
l'interdiction du droit de grève. Au surplus, en sa qualité de ministre de la
Justice et de la Législation, il a présenté et suivi l’élaboration des projets de lois
en cause, à savoir celle portant sur l’exercice du droit de grève et celle portant
code pénal.
2% Devenu président de la Cour constitutionnelle, il a siégé lorsque ces lois ont été
déclarées conformes à la Constitution.
297. || n’est dès lors pas contestable qu’il avait une opinion préconçue et devrait, pour
cette raison, se récuser, conformément aux Directives et Principes sur le droit
à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique*!*. Un telle attitude
est profondément troublante et est symptomatique du fait qu’il ne se conforme
pas aux principes d’une bonne administration de la justice.
113 Xd Ag An c République du Ghana, CAfDHP, requête n°001/2017, Arrêt (fond et
réparations) (28 juin 2019), 8 128 ;
114 Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique, $ 5(4) ;
69
28 Cependant, la Cour note, comme le suggèrent ces Directives et principes sur
le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique que
Pour déterminer l’impartialité d’une instance juridictionnelle, il convient de
tenir compte de trois facteurs pertinents :
1. Si le juge est en mesure de jouer un rôle essentiel dans
la procédure ;
2. Sile juge peut avoir une opinion préconçue risquant de peser
lourdement sur la décision ;
3. Sile juge doit statuer sur une décision qu’il a prise dans l’exercice d’une
29 La Cour souligne, toutefois, qu'aucune de ces conditions n’est, en l'espèce,
remplie. En tout état de cause, la Cour estime que les remarques ou l’opinion
d'un seul juge sur une composition de sept juges ne peuvent, objectivement,
être considérées comme suffisantes pour influencer la Cour constitutionnelle
toute entière. I! s’y ajoute que le Requérant n'a pas démontré en quoi les propos
tenus par le président de la Cour constitutionnelle, lorsqu'il était ministre de la
Justice et de la Législation auraient pu influer sur les décisions de ladite Cour.
30. En conséquence, la Cour considère qu’il n’a pas été prouvé que la Cour
constitutionnelle du Bénin n’est pas impartiale.
70
ii) Sur la violation alléguée de l’indépendance du pouvoir judiciaire
L Le Requérant allègue qu'à travers les articles 1116 et 27 de la loi organique n°
2018 — 02 du 04 janvier 2018 modifiant et complétant la loi organique n° 94
— 027 du 18 mars 1999 relative au Conseil supérieur de la Magistrature (ci —
après dénommée « loi organique relative au CSM » ou « loi querellée »), l'Etat
défendeur viole l'indépendance de la magistrature.
32 Selon lui, il résulte de ces articles que le Conseil supérieur de la Magistrature
(ci — après dénommé « CSM ») qui est composé de trois (3) magistrats de la
Cour suprême, un (01) député élu par l’Assemblée nationale, une (1)
personnalité n’appartenant à aucun des trois pouvoirs, choisie par le président
de la République en raison de sa compétence, enregistre deux autres membres,
le ministre de l'Economie et celui de la Fonction Publique.
JB Il relève qu’à travers la décision DCC 18 — 005 du 23 janvier 2018, la Cour
constitutionnelle a déclaré la loi organique n° 2018 — 02 du 04 janvier 2018
modifiant et complétant la loi organique relative au CSM contraire, en partie, à
la Constitution.
3 Le Requérant soutient que, toutefois, à la faveur du renouvellement de ses
membres, la Cour constitutionnelle a, par décision DCC 18 — 142 du 28 juin
2018, déclaré cette loi conforme à la Constitution.
116 L'article 1°" dispose : Le Conseil Supérieur de la Magistrature, institué par l’article 127 de l'alinéa 2 de la Constitution du 11 décembre 1990 comprend : a) les membres de droit : 1. Le président de la République,
2. le président de la Cour suprême, premier vice — président, 3. le Garde des sceaux, ministre de la Justice, 2ème vice — président, 4. les président de chambre de la Cour suprême, membres, 5. le procureur général près ladite Cour, 6. un président de Cour d'appel, membre, 7. un procureur général de Cour d’appel, membre, 8. le ministre chargé de la Fonction Publique, membre, 9. le ministre chargé des Finances, membre ; b) les autres membres : 10. Quatre (04) personnalités extérieures à la magistrature connues pour leurs qualités intellectuelles et morales, membres, 11. Deux (02 magistrats dont un (1) du Parquet. Les membres autres que ceux de droit sont nommés par décret du président de la République. La désignation du président de la Cour d'Appel ainsi que celle du procureur général, prévue aux points 6 et 7 est effectuée par tirage au sort.
117 Cet article prévoit que les personnalités extérieures à la magistrature et leurs suppléants sont
nommées (.…) par le Bureau de l’Assemblée nationale.
71
305. Le Requérant fait remarquer que l'invasion du CSM par des personnes
nommées par le président de la République ainsi que par des membres du
Gouvernement affecte le critère de la séparation des pouvoirs et donc,
l'indépendance de la magistrature.
306. En réponse, l’Etat défendeur fait valoir que la loi querellée ne viole pas les
droits de l'homme et que la justice béninoise est indépendante, ainsi que cela
résulte de l’article 125 de la Constitution*!®, Il ajoute que les magistrats du siège
sont inamovibles et que l'Etat défendeur a même été condamné par la justice
nationale.
307. Pour l'Etat défendeur, la modification de la loi portant CSM vise à assurer
l'efficacité de cet organe, puisque lorsqu’il était dominé par les hommes du
milieu judiciaire, il suscitait une méfiance laissant penser que les dérives
éventuelles des juges étaient couvertes par un organe constitué des pairs.
308. En outre, l'Etat défendeur fait valoir que le fait que les membres du pouvoir
exécutif (qui paie le salaire des magistrats, assure leur promotion, organise leur
carrière, veille à leur sécurité et à leur avancement, protègent leur retraite)
soient présents dans l’organe de discipline des magistrats n’est pas contraire
à l’article 26 de la Charte.
309. La Cour rappelle que l’article 26 de la Charte dispose : « Les Etats (…) ont
le devoir de garantir l'indépendance des tribunaux (…) ».
310. La Cour note que cette disposition consacre non seulement l'indépendance
des tribunaux pris séparément, en tant qu’instances juridictionnelles, mais
118 Cet article dispose : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir
exécutif »
72
également, celle du pouvoir judiciaire dans son ensemble, à l'instar du pouvoir
exécutif et du pouvoir législatif.
311. La Cour note qu’il résulte des articles 125 et 127 de la Constitution de l’Etat
défendeur que le pouvoir judiciaire, exercé par la Cour suprême, les cours et
tribunaux, est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif et que le
président de la République est le garant de l'indépendance de la Justice.
312. La Cour estime donc que le pouvoir judiciaire ne devrait dépendre d'aucune
autre autorité. || s'ensuit que ni pouvoir exécutif, ni le pouvoir législatif ne
doivent s’immiscer, directement ou indirectement, dans la prise de décisions
relevant de la compétence du pouvoir judiciaire, y compris celles concernant la
gestion de la carrière des magistrats qui l’incarnent.
313. A cet égard, la Cour fait sienne la position de la Commission selon laquelle
(…) La Séparation des pouvoirs exige que les trois (3) piliers de l'Etat
exercent leurs pouvoirs de manière indépendante. Le pouvoir exécutif doit
être considéré comme distinct du pouvoir Judiciaire et du Parlement. De
même, afin de garantir son indépendance, le Judiciaire doit être perçu
comme indépendant de l’Exécutif et du Législatif!!°.
314. La Cour souligne, en l’espèce, qu’il résulte de l’article 11 de la loi organique
relative au CSM que celui — ci est l'organe de gestion de la carrière des
magistrats du jour de leur prestation de serment jusqu’à leur retraite.
315. La Cour note que selon l’article 1° de la loi querellée, le CSM est composé
de trois catégories de membres : les membres de droit, parmi lesquels le
président de la République, le Garde des sceaux, ministre de la Justice, le
ministre de la Fonction Publique et celui des Finances, les membres autres que
ceux de droit prévus et les personnalités extérieures.
19 CADHP, Ba Al Bp et autres c. Cameroun, Communication 266/03, 8 211 et 212, 45ème session ordinaire, 13 — 27 mai 2009 ;
73
316. La Cour précise que, se prononçant sur la conformité à la Constitution de
la loi 2018 — 02 modifiant et complétant la loi organique n° 94 — 027 du 18 mars
1999 relative au CSM, la Cour constitutionnelle de l'Etat défendeur a, par
décision DCC 18 — 005 du 23 janvier 2018, déclaré l’article 1 de ladite loi
contraire à la Constitution sous le motif qui suit :
La composition de ce conseil doit refléter le souci d’indépendance du
Pouvoir judiciaire. En retenant comme membre de droit, outre le président
de la République, garant de l'indépendance du pouvoir judiciaire et le
Garde des sceaux, ministre ayant en charge la gestion de la carrière des
magistrats, le ministre chargé de la Fonction Publique et le ministre chargé
des Finances, l’article 1°" de la loi est contraire à la Constitution.
317. S'agissant de l’article 2 de la même loi, la même Cour constitutionnelle a
considéré que :
Le législateur, dans le souci d'indépendance du pouvoir judiciaire, doit
prévoir un certain équilibre de la composition du CSM (..) Il importe de
préciser que les personnalités extérieures susceptibles d’être désignés par
le Bureau de l’Assemblée nationale doivent l’être à parité sur la base de
propositions émanant de propositions émanant de la minorité et de la
majorité parlementaire.
318. La Cour relève que le fait que cette la loi querellée ait été, par la suite,
déclaré conforme à la Constitution par la Décision DCC 18 — 142 du 28 juin
2018 de la Cour constitutionnelle, constituée de nouveaux membres, suivant
une procédure d'interprétation est inopérant. En effet, une décision
d'interprétation ne peut remettre en cause le bien — fondé de la décision
interprétée. Cela est d'autant plus avéré que les décisions de la Cour
constitutionnelle de l'Etat défendeur s'imposent aux pouvoirs public et à toutes
les autorités ainsi que cela résulte de l’article 124 (2) de la Constitution.
74
319. La Cour souligne que, d’une part il résulte de l’article 1% de la loi querellée
que le président de la République est le président du CSM et d’autre part que
le rôle du CSM consiste à assister!” le président de la République.
320. La Cour estime que faire du CSM un organe d'assistance du président de
la République est réducteur et que par une telle assistance, cet organe, ne peut
être que sous la dépendance du pouvoir exécutif.
321. Une telle dépendance est exacerbée par le fait que, non seulement, des
membres du Gouvernement sont membres de droit du CSM, mais également,
les membres, autres que ceux de droit, sont nommés par décret du président
de la République.
322. La Cour estime, à l'instar de la Commission*?*, que la présence du président
de la République comme président du CSM et celle du ministre de la Justice
constituent une preuve manifeste que le pouvoir judiciaire n’est pas
indépendant.
323. En outre, la Cour est d'avis que le choix des personnalités extérieures qui
n’appartiennent ni au pouvoir exécutif, ni au pouvoir législatif, ne devrait être
dévolu à aucun autre pouvoir, si ce n’est le pouvoir judiciaire.
324. Au regard de ce qui précède, la Cour considère qu’il existe une immixtion
du pouvoir exécutif de l'Etat défendeur au CSM.
325. En conséquence, la Cour considère que l’Etat défendeur a violé l’article 26
de la Charte.
120 || résulte de ce texte que le CSM assiste le président de la République dans sa mission de garant de
l'indépendance de la Justice.
121 Ibid, CADHP, Ba Al Bp et autres c. Cameroun, Communication 266/03, 8 212, 45ème
session ordinaire, 13 — 27 mai 2009 ;
75
C. Sur la violation alléguée de l’obligation d’adopter une révision
constitutionnelle sur la base d’un consensus national
326. Le Requérant soutient que l'Assemblée nationale issue du scrutin législatif
du 28 avril 2019 et acquise au chef de l’État n’a ni légitimité, ni mandat pour
réviser la Constitution. Cette révision a été faite sans consensus national et
aurait dû, plutôt, être faite par voie référendaire.
327. Il explique que l’opposition a été exclue des élections législatives et que
seules deux composantes du parti unique acquis au Chef de l’État ont été
autorisées à participer à ce scrutin, de sorte que l'élection n’était pas
démocratique puisque le scrutin n’était ni libre, ni ouvert.
328. Il relève que cette révision a instauré un système d'élections générales,
institué un poste de Vice — Président, élu en binôme avec le Président et mis
en place un système de parrainage pour tout candidat à une élection
présidentielle. Selon lui, le système d’élections générales rallonge le mandat
du président de la République de cinquante (50) jours.
329. Le Requérant soutient que cette révision est contraire au principe de l'Etat
de droit qui implique, non seulement, une bonne législation conforme aux
prescriptions des droits de la personne, mais également une bonne justice.
330. I fait remarquer, qu’il y a une confiscation du pouvoir, ce qui n’est rien
d'autre qu’un changement anti constitutionnel de Gouvernement prohibé par
l’article 25 de la CADEG.
331. En réponse, l’État défendeur estime que le fait qu’une loi votée après que
les débats publics se sont prolongés n’est pas une violation des droits de
l'homme. Il souligne que la Cour de céans ne peut pas remettre en cause
l’ordre constitutionnel d’un Etat.
76
332. Par ailleurs, au sujet de la prétendue rallonge de cinquante (50) jours au
mandat présidentiel, l'État défendeur souligne que le referendum n’est qu’un
moyen de révision de la Constitution au même titre que le vote parlementaire
à la majorité qualifiée prévu par la loi fondamentale prévu par l’article 155 de
la Constitution.
333. L'État défendeur souligne qu’à cet égard, l’article 155 de la Constitution
dispose : « la révision n’est acquise qu'après avoir été approuvée par
referendum, sauf si le projet ou la proposition en cause a été approuvé à la
majorité des quatre cinquièmes des membres composant l’Assemblée
Nationale ».
334. La Cour précise que les questions relatives à la violation de l'Etat de droit
et au changement anti — constitutionnel de Gouvernement sont sous — jacentes
à celle de la révision constitutionnelle.
335. La Cour souligne que le point qu’elle doit trancher n’est pas celui de savoir
si elle peut ou non remettre en question l’ordre constitutionnel d’un État. Elle
est plutôt appelée à considérer si la révision constitutionnelle du 07 novembre
2019 a été faite suivant un consensus national tel que prévu par l’article 10.2
de la CADEG!22,
336. Cet article dispose :
Les États parties doivent s'assurer que le processus d’amendement ou de
révision de leur Constitution repose sur un consensus national comportant,
le cas échéant, le recours au référendum.
122 Dans sa décision AO c. République de Côte d'Ivoire, la Cour de céans a considéré que « La Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance et le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie sont des instruments relatifs aux droits de l’homme, au sens de l’article 3 du Protocole et qu’elle a, en conséquence, compétence pour les interpréter et les faire appliquer »
77
337. La Cour relève qu'avant la ratification de la CADEG, l'Etat défendeur avait
érigé le consensus national en principe à valeur constitutionnelle à travers la
décision de la Cour constitutionnelle DCC 06-74 du 08 juillet 2006, en ces
termes :
Même si la Constitution a prévu les modalités de sa propre révision, la
détermination du peuple béninois à créer un Etat de droit et de démocratie
pluraliste, la sauvegarde de la sécurité juridique et de la cohésion nationale
commandent que toute révision tienne compte des idéaux qui ont présidé
à l’adoption de la Constitution du 11 décembre 1990, notamment le
consensus national, principe à valeur constitutionnelle.
338. De plus, la même Cour constitutionnelle a donné une définition précise du
terme « consensus » à travers ses décisions DCC 10-049 du 05 Avril 2010 et
DCC 10-117 du 08 Septembre 2010. Elle y affirme :
Le consensus, principe à valeur constitutionnelle, tel qu’affirmé par la
Décision DCC 06 — 074 du 08 Juillet 2006 (...) loin de signifier
l’unanimisme, est d’abord un processus de choix ou de décision sans
passer par le vote ; (.….) il permet, sur une question donnée, de dégager
par une voie appropriée, la solution satisfaisant le plus grand nombre de
personnes.
339. La Cour observe que l'expression «plus grand nombre de personnes»
concomitante à la notion de « consensus national » exige que le peuple
béninois soit consulté, soit directement, soit par l'intermédiaire des leaders
d'opinion et de toutes les parties prenantes incluant les représentants du
peuple si ceux-ci représentent véritablement les différentes forces ou
composantes de la société, ce qui n’est pas le cas en l'espèce, puisque tous
les députés de l’Assemblée Nationale appartiennent à la mouvance
présidentielle.
340. Il n’est pas discuté que la loi n°2019-40 du 07 novembre 2019 portant
révision constitutionnelle a été adoptée selon la procédure d'urgence. Une
78
révision consensuelle n’aurait pu être acquise que si elle avait été précédée
d'une consultation de toutes les forces vives et de différentes sensibilités ou si
elle avait été suivie, le cas échéant, d'un référendum.
341. Le fait que cette loi ait été adoptée à l’unanimité ne saurait occulter la
nécessité du consensus national commandé par « les idéaux qui ont prévalus
à l’adoption de la constitution du 11 décembre 1990 » !° et par l’article 10(2)
de la CADEG.
342. Dès lors, cette révision constitutionnelle!?* a été adoptée en violation du
principe du consensus national.
343. En conséquence, la Cour déclare que la révision constitutionnelle objet de
la loi n°2019-40 du 07 novembre 2019 est contraire au principe du consensus
tel qu’édicté par l’article 10(2) de la CADEG.
344. La Cour conclut, par conséquent, que l’Etat défendeur a violé l’article 10(2)
de la CADEG.
IX. SUR LES RÉPARATIONS
345. Le Requérant sollicite de la Cour qu’elle constate que les lois ayant favorisé
l'installation de l’Assemblée Nationale ne sont pas conformes aux Conventions
internationales. Il demande également l’invalidation de la 8è"° législature issue
des élections du 28 Avril 2019 ainsi que la dissolution de la Cour
constitutionnelle. Il sollicite, en outre, que soient annulée la loi n° 2019 — 40 du
07 Novembre 2019 portant révision de la Constitution ainsi que toutes les lois
124 Les articles suivants ont été supprimés : 46 et 47. Les articles suivants ont été modifiés ou créés : 5, 15, 26, 41, 42, 43, 44, 45, 48, 49, 50, 52, 53, 54, 54-1, 56, 62, 62-1, 62-3, 62-4, 80, 81, 82, 92, 99, 112, 117, 119, 131, 132, 134-1, 134-2, 132, 134-1, 134-2, 134-3, 134-4, 134-5, 134-6, 143, 145, 151, 151-1, 153-1, 153-2, 153-3, 157-1, 157-2, 157-3, Titre VI (I-1 et 1-2) ont été modifiés ou créés ;
79
qui en sont issues. Il demande, enfin, de mettre le Conseil de paix et de sécurité
de l’Union africaine aux trousses des auteurs et complices de ce qu'il qualifie
de changement anticonstitutionnel de Gouvernement.
346. Par ailleurs, le Requérant déclare qu’il renonce à la réparation pécuniaire
d’un montant de cent milliards (100.000.000.000) de francs CFA qu’il avait
sollicitée.
347. Pour sa part, l’État défendeur fait valoir que le Requérant doit être débouté
de toutes ses demandes.
348. La Cour note que l’article 27 du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il a eu violation d’un droit de l'Homme ou des
Peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier
à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi
d’une réparation.
349. La Cour rappelle ses arrêts antérieurs en matière de réparation!°* et
réaffirme que pour examiner les demandes en réparation des préjudices
résultant des violations des droits de l'homme, elle tient compte du principe
selon lequel l'État reconnu auteur d'un fait internationalement illicite a
l'obligation de réparer intégralement les conséquences de manière à couvrir
l'ensemble des dommages subis par la victime.
350. La Cour tient également compte du principe selon lequel il doit exister un
lien de causalité entre la violation et le préjudice alléguée et fait reposer la
125 Ayants droit de feus Xx Bi, Ac Bt dit Ablassé, Aj Bi et Cp Cy et Mouvement Burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Ck Ci, (réparations) (05 juin 2015) 1 RICA 265, 8 22.
80
charge de la preuve sur le Requérant qui doit fournir les éléments devant
justifier sa demande**,
351. La Cour a aussi établi que « la réparation doit, autant que possible, effacer
toutes les conséquences de l'acte illicite et rétablir l'état qui aurait
vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis ». En outre, les
mesures de réparation doivent, selon les circonstances particulières de chaque
affaire, inclure la restitution, l'indemnisation, la réadaptation de la victime et les
mesures propres à garantir la non répétition des violations, compte tenu des
circonstances de chaque affaires!”
352. Par aileurs, la Cour réitère qu'elle a déjà établi que les mesures de
réparation des préjudices résultant des violations des droits de l'homme doivent
tenir compte des circonstances de chaque affaire et que l'appréciation de la
Cour s'opère au cas par cas!?,
353. En l'espèce, la Cour relève que le Requérant a renoncé à sa demande de
réparation pécuniaire. Elle lui en donne acte.
354. Par ailleurs, la Cour souligne qu’elle ne peut ordonner des mesures de
réparations fondées sur des allégations pour lesquelles aucune violation des
droits de l’homme n’a été établie.
355. Concernant la demande consistant à « mettre le Conseil de Paix et de
Sécurité de l'Union africaine aux trousses des auteurs et complices » de ce
que le Requérant qualife de changement anticonstitutionnel de
Gouvernement, la Cour souligne que cet organe peut recevoir directement des
informations émanant de toutes les sources, y compris du Requérant lui —
126 Ae Ca Az Z Xl, (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 31.
‘2"Xy Cm Xn c. République du Rwanda, (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 20.
81
même. En conséquence, il n’est pas nécessaire d’ordonner une mesure sur ce
point.
356. Au sujet de la demande d'annulation des lois, la Cour considère qu’elle ne
peut se substituer au législateur de l’État défendeur. Elle souligne, au
demeurant, qu’elle peut ordonner des mesures dont le but sera d’abroger lois
ou de modifier ces lois pour qu’elles soient conformes aux normes
internationales des droits de l'homme.
357. La Cour estime que de telles mesures qui s'’analysent en garanties de non
— répétition sont les plus appropriées en l’espèce.
358. À cet égard, la Cour ordonne à l’État défendeur d’abroger, dans un délai de
trois (3) mois à compter de la notification du présent arrêt ou, en tout cas, avant
toute élection, les textes suivants :
i L'article 27 alinéa 2 de la loi n° 2018 — 23 du 18 Septembre 2018 portant
charte des partis politiques ;
i Les articles 1 et 2 de la loi organique n° 2018 — 02 du 04 janvier 2018
modifiant et complétant la loi organique n° 94 — 027 du 18 mars 1999
relative au Conseil supérieur de la Magistrature ;
i Laloi n° 2019 — 39 du 31 juillet 2019 portant amnistie des faits criminels,
délictuels et contraventionnels commis lors des élections législatives du
28 Avril 2019 et de diligenter toutes les enquêtes nécessaires pouvant
permettre aux victimes d'obtenir la reconnaissance de leurs droits et
réparation ;
v. La loi constitutionnelle n° 2019 — 40 du 07 Novembre 2019 portant
révision de la Constitution et toutes les lois subséquentes, notamment
la loi n° 2019 — 43 du 15 novembre 2019 portant code électoral
82
359. Par ailleurs, la Cour ordonne à l’Etat défendeur d’abroger, dans un délai de
six (6) mois à compter de la notification du présent Arrêt, toutes les dispositions
interdisant le droit de grève. Il s’agit, notamment, de l’article 50 alinéa 5 de la
loi n° 2017 — 43 du 02 juillet 2018 modifiant et complétant la loi n° 2015 — 18
du 13 juillet 2017 portant statut général de la fonction publique, l’article 2 de la
loi n° 2018 — 34 du 05 Octobre 2018 modifiant et complétant la loi n° 2001 — 09
du 21 juin 2001 portant exercice du droit de grève, de l’article 71 de la loi n°
2017 — 42 du 28 décembre 2017 portant statut des personnels de la police
républicaine, dans un délai de six (6) mois à compter de la notification du
présent Arrêt ;
360. En outre, la Cour estime que le Requérant ne fournit aucune justification en
ce qui concerne la demande de dissolution de la Cour constitutionnelle. I! s’y
ajoute que les textes régissant cette juridiction ne font pas partie de ceux
révisés par la loi constitutionnelle n° 2019 — 40 du 07 novembre 2019. En
conséquence, la Cour rejette cette demande.
361. En revanche, il est établi que l’État défendeur a violé son obligation
d'assurer l'indépendance de la Cour constitutionnelle, dès lors, la Cour de
céans ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires
pour que le mandat des juges de la Cour constitutionnelle soit empreint des
garanties d'indépendance conformément aux normes internationales des
droits de l'homme.
X. SUR LA DEMANDE DE MESURES PROVISOIRES
362. La Cour rappelle que le 20 octobre 2020, le Requérant a introduit une
deuxième demande de mesures provisoires.
83
363. La Cour rappelle qu’elle ne s’est pas prononcée sur la deuxième demande
de mesures provisoires dans la mesure où son objet est identique aux
demandes formulées au fond.
364. Or, en l'espèce, à travers le présent Arrêt, la Cour de céans a rendu une
décision au fond qui rend sans objet les mesures provisoires sollicitées. Dès
lors, il n’est plus nécessaire de se prononcer sur la demande de mesures
provisoires.
XI. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
365. Le Requérant a sollicité que l’État défendeur soit condamné aux dépens.
366. Pour sa part, l'État défendeur a conclu au débouté.
367. La Cour note qu'aux termes de la Règle 32 (2) « A moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ». La Cour
estime, en l’espèce, qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du principe posé par
ce texte.
368. En conséquence, chaque partie supporte ses frais de procédure.
XII. DISPOSITIF
369. Par ces motifs,
LA COUR
84
Sur la compétence
ii Rejette les exceptions d’incompétence ;
ii. Se déclare compétente ;
Sur les exceptions préliminaires sur la recevabilité ;
ii. Rejette les exceptions préliminaires ;
Sur la recevabilité
iv. Rejette les exceptions d’irrecevabilité ;
v. Déclare la requête recevable ;
Au fond
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la liberté d'opinion et
d'expression, protégé par les articles 9(2) de la Charte ;
vi. Dit que l'Etat défendeur n'a pas violé le droit à la liberté de réunion, protégé
par l’article 11 de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la liberté et à la sécurité, protégé
par l’article 6 de la Charte ;
ix. Dit que l'Etat défendeur n’a pas violé l’obligation de ne pas modifier la loi
électorale dans les six (6) mois précédant les élections législatives du 28 avril
2018, prévue par l’article 2 du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie ;
x. Dit que l'Etat défendeur n’a pas violé le droit à la non-discrimination et le droit
de participer librement à la direction des affaires publiques de son pays,
protégés, respectivement, par les articles 2 et 13(1) de la Charte, du fait des
conditions d'éligibilité relativement au cautionnement, au quitus fiscal, à l’âge ;
xi. Dit que l'Etat défendeur n’a pas violé l’obligation de garantir l’impartialité de la
Cour constitutionnelle ;
85
xii. Dit que l'Etat défendeur a violé le droit de grève, protégé par l’article 8(1)(d)
(2) du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels ;
xii. Dit que l’État a violé le droit à la vie, à l'intégrité physique et morale ainsi que
le droit de ne pas être soumis à la torture, protégés, respectivement par les
articles 4 et 5 de la Charte ;
xiv. Dit que l'Etat défendeur a violé le droit des victimes des violences post-
électorales à ce que leurs causes soient entendues, protégé par l’article 7 (1)
de la Charte ;
xv. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la liberté d’association, protégé par
l’article 10 de la Charte, du fait de la possibilité de dissolution d’un parti politique
qui n’a pas participé à deux élections législatives successives et du fait de
l'interdiction des alliances électorales et les candidatures indépendantes ;
xvi. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la non — discrimination et le droit de
participer librement à la direction des affaires publiques de son pays, protégés
respectivement par les articles 2 et 13(1) de la Charte, du fait de l'interdiction
des candidatures indépendantes et de l’obligation de résidence imposée à tout
candidat ;
xvii. Dit que l’État défendeur a violé l’obligation de créer des organes électoraux
indépendants et impartiaux, prévue par l’article 17(1) de la Charte africaine de
la démocratie, des élections et de la gouvernance ainsi que par l’article 3 du
Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance ;
xvii. Dit que l’État défendeur a violé l’obligation de garantir l'indépendance de sa
Cour constitutionnelle et du pouvoir judiciaire prévue par l’article 26 de la
Charte ;
xix. Dit que l’État défendeur a violé l’obligation de procéder à une révision
constitutionnelle fondée sur le consensus national protégée par l’article 10(2)
de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance ;
86
Sur les Réparations
Sur les réparations pécuniaires
xx. Donne acte au Requérant de ce qu’il renonce à sa demande de réparation
pécuniaire
Sur les réparations non - pécuniaires
xxi. Rejette la demande de saisine du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Union
africaine ;
xxii. Rejette la demande de dissolution de la Cour constitutionnelle ;
xxiii. Rejette la demande d’invalidation des élections législatives du 28 avril 2019 ;
xxiv. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires, dans
un délai de trois (3) mois à compter de la notification du présent arrêt, en tout
cas avant toute élection, pour abroger :
1. L'article 27 alinéa 2 de la loi n° 2018 — 23 du 18 Septembre 2018
portant charte des partis politiques ;
2. Les articles 1 et 2 de la loi organique n° 2018 — 02 du 04 janvier 2018
modifiant et complétant la loi organique n° 94 — 027 du 18 mars 1999
relative au Conseil supérieur de la Magistrature.
3. La loi n° 2019 — 39 du 31 juillet 2019 portant amnistie des faits
criminels, délictuels et contraventionnels commis lors des élections
législatives du 28 Avril 2019 et de diligenter toutes les enquêtes
nécessaires pouvant permettre aux victimes d'obtenir la
reconnaissance de leurs droits et réparation ;
4. La loi constitutionnelle n° 2019 — 40 du 07 Novembre 2019 portant
révision de la Constitution de la République du Bénin et toutes les
lois subséquentes, notamment, la loi n° 2019 — 43 du 15 novembre
2019 portant code électoral, et de se conformer au principe du
87
consensus national édicté par l’article 10(2) de la Charte africaine de
la démocratie, des élections et de la gouvernance pour toute autre
révision constitutionnelle.
xxv. Ordonne à l'Etat défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour
abroger, dans un délai de six (6) mois à compter de la notification du présent
arrêt, toutes les dispositions interdisant le droit de grève, notamment, l’article
50 alinéa 5 de la loi n° 2017 — 43 du 02 juillet 2018 modifiant et complétant la
loi n° 2015 — 18 du 13 juillet 2017 portant statut général de la fonction publique,
l’article 2 de la loi n° 2018 — 34 du 05 Octobre 2018 modifiant et complétant la
loi n° 2001 — 09 du 21 juin 2001 portant exercice du droit de grève, de l’article
71 de la loi n° 2017 — 42 du 28 décembre 2017 portant statut des personnels
de la police républicaine, dans un délai de six (6) mois à compter de la
notification du présent Arrêt ;
xxvi. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour
exécuter son obligation de garantir l'indépendance de la Cour constitutionnelle
et du pouvoir judiciaire.
xxvi. Ordonne à l’État défendeur de publier le dispositif du présent arrêt pour dans
un délai d’un (1) mois, à compter de la date de sa notification, sur les sites
internet du Gouvernement, du Ministère des Affaires Étrangères, du Ministère
de la Justice et de la Cour constitutionnelle, et pendant six (6) mois
Sur la mise en œuvre et le rapport
xxvii. Ordonne à l'Etat défendeur de soumettre à la Cour, dans un délai de trois (3)
mois pour le point xxiv et dans un délai de six (6) mois pour les points xxv, xxvi
et xxvii un rapport sur la mise en œuvre des points du présent dispositif Ces
délais courent à compter de la notification du présent arrêt.
Sur la demande de mesures provisoires
xxix. Dit que la demande de mesures provisoires est sans objet
88
Sur les frais de procédure
xxx. Ordonne que chaque partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Sylvain ORÉ, Président ps
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; À oil \
Angelo V. MATUSSE, Juge ; _/
Suzanne MENGUE, Juge ; Vogi—
Chafika BENSAOULA, Juge ;” SL
Blaise TCHIKAYA, Juge ; <<
Xs Cc Et Robert D. |. ANUKAM, ABOUD, ENO, Greffier. Juge Juge ; ; &={ 7 Lu ps LM - 4 Xq At ras es ®
Fait à Bs, ce quatrième jour du mois de décembre de l’année deux mille vingt, en anglais et en français, le texte français faisant foi.
89