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01/12/2022 | CADHP | N°012/2019

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 01 décembre 2022, 012/2019


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
B AJ
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AL
REQUÊTE N° 012/2019
ARRÊT SOMMAIRE …
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS.
IV. DEMANDES DES PARTIES.
V. SUR LA COMPÉTENCE
A Exception d’incompétence matérielle
B Autres aspects de la compétence
V

I. SUR LA RECEVABILITÉ
A Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
B Autres conditions de rece...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
B AJ
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AL
REQUÊTE N° 012/2019
ARRÊT SOMMAIRE …
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS.
IV. DEMANDES DES PARTIES.
V. SUR LA COMPÉTENCE
A Exception d’incompétence matérielle
B Autres aspects de la compétence
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
A Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
B Autres conditions de recevabilité
DIR SUR LE FOND
A Violation alléguée du droit à la vie
! Imposition de la peine de mort
ii. Privation du pouvoir discrétionnaire des juges en matière d’imposition la
peine de mort
B Violation alléguée du droit à la dignité
C Violation alléguée du droit à procès équitable
! Le retard injustifié entre l’arrestation de la Requérante et son procès
ii. Allégation de partialité pendant le procès de la Requérante
iii. La condamnation de la Requérante fondée sur des preuves insuffisantes,
douteuses et par indices
iv. Violation alléguée du droit à une représentation efficace
v. Allégation selon laquelle la condamnation à la peine de mort obligatoire
résulte d’un procès non-équitable
D Violation alléguée de l’article premier de la Charte
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS
A12R16a18t18n18p21u25a28e28 ! Préjudice matériel 10
11
12
16
18
18
18
21
25
28
28
31
33
36
40
41
41
43 Réparations non-pécuniaires.
iv. Publication
v. Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports IX. SUR LES FRAIS … DE PROCÉDURE ….
DISPOSITIF La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella
|. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Modibo SACKO et Dennis D. ADJEI — Juges ; et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et
des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour* (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
B AJ
représentée par :
Dr. Paul OGENDI, Avocat ; P. Cp AG Bc Yg ;
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AL
représentée par :
i. Dr Yp AO, Bp Xd adjoint, Bureau du Solicitor General ;
ii. M. Yh X, Directeur du Contentieux civil, Principal Cm Xz,
Bureau du Solicitor General ;
iii M. Cj Bj Ba’A, Directeur adjoint par intérim, Recours en
inconstitutionnalité, Droit de l'Homme et contentieux électoral, Principal Cm
Xz, Bureau du Solicitor General ;
iv. Mme Xv C, Cm Xz, Bureau du Solicitor General ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
v. Mme Xb Y, Cm Xz, Bureau du Solicitor General ;
vi. Mme Ak AH, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine ;
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. La dame B AJ Zci-après dénommée « la Requérante ») est une
ressortissante tanzanienne qui, au moment du dépôt de la présente
Requête, a été condamnée à la peine de mort puis incarcérée à la prison
centrale de Butimba (Mwanza) après avoir été jugé et reconnue coupable
de meurtre. Elle allègue la violation de ses droits en raison de la
condamnation prononcée à son encontre.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de AL (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également
déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du
Protocole, par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour recevoir
gouvernementales. Le 21 novembre 2019 l’État défendeur a déposé auprès
du Président de la Commission de l’Union africaine un instrument de retrait
de sa Déclaration. La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait
aucune incidence, ni sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires
introduites devant elle avant sa prise d’effet un (1) an après le dépôt de
l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
? Cw Ad Ao c. République-Unie de AL, CAfDHP, Requête N° 004/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 8 38.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. | ressort du dossier que le 4 février 2008, la Requérante aurait gravement
brûlé le sieur Ca Xt, un pêcheur qu’elle employait, en l’aspergeant
de kérosène, en représailles au vol présumé du bateau de pêche de la
Requérante. Le sieur Aloyce est ensuite décédé des suites de brûlures.
4. Le même jour, le 4 février 2008, la Requérante a été arrêtée et mise en
accusation pour meurtre devant la Haute Cour siégeant à Mwanza.
L’audience préliminaire a eu lieu le 15 février 2010 et le procès ouvert le 29
novembre 2019. Dans sa décision du 19 septembre 2011, la Haute Cour a
déclaré la Requérante coupable de meurtre et l’a condamnée à mort par
pendaison.
5. Le 11 mars 2013, la Cour d’appel siégeant à Ai a rejeté l’appel de la
Requérante contre la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à son
encontre. Elle a, ensuite, introduit un recours en révision de la décision de
la Cour d'appel, qui a été rejeté le 19 mars 2015.
B. Violations alléguées
6. La Requérante allègue la violation par l’État défendeur des articles 1, 4, 5 et 7 de
la Charte, notamment :
a. La violation de son droit à un procès équitable, protégé par l’article 7 de
la Charte en :
ii Maintenant la Requérante en détention pendant une période
anormalement longue avant de la faire comparaître au procès,
qui s'est également prolongé de façon anormale ;
i. Dérogeant au principe de la présomption d’innocence ;
ii. Condamnant la Requérante sur la base de preuves insuffisantes
et du fait que le Tribunal d'instance a, sans justification aucune,
ignoré les conclusions unanimes des assesseurs sur son
innocence ;
iv. N'ayant commis à la Requérante un avocat efficace ;
v. Imposant la peine de mort alors qu’il n’a pas veillé à ce que la
Requérante bénéficie d’un procès équitable.
b. La violation de son droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte, en
raison du caractère obligatoire de la peine de mort prononcée à son
encontre dans la mesure où :
i. L’infraction alléguée n’entrait pas dans la catégorie très limitée
des infractions « les plus graves » auxquelles la peine de mort
peut légalement être appliquée ;
ii. L’État défendeur n’a pas pris en compte la situation personnelle
de la Requérante ou l'infraction alléguée lorsqu’il a prononcé la
peine de mort ;
c. La violation de son droit à la dignité, protégé par l’article 5 de la Charte,
notamment du fait :
ii de la condamnation à la peine de mort d’une personne atteinte
de maladie mentale ;
i. du choix de la pendaison comme mode d’exécution, ce qui
constitue « un châtiment cruel, innumain et dégradant ».
ii. de la torture psychologique qu’a subie la Requérante du fait du
« syndrome du couloir de la mort ».
d. La violation de l’article premier de la Charte africaine pour n'avoir pas
donné effet aux droits énumérés ci-dessus.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête introductive d'instance a été reçue au Greffe le 24 avril 2019.
Le 10 mai 2019, le Greffe a adressé un courrier à la Requérante, lui
demandant de fournir des explications et des documents supplémentaires
à l’appui de ses demandes.
Le 6 août 2019, la Requérante a déposé son mémoire sur les réparations
en y joignant des copies des jugements prononcés dans son procès en
première instance devant les juridictions internes.
10. Le 16 septembre 2019, la Cour a, d'office, accordé à la Requérante une
assistance judiciaire et désigné Dr Paul Ogendi pour la représenter.
11. Le 29 octobre 2019, la Requérante, par l’intermédiaire de son conseil
désigné, a déposé une demande de mesures provisoires qui a été
communiquée à l’État défendeur le 11 novembre 2019 aux fins de dépôt de
sa réponse à ladite demande dans un délai de quinze (15) jours suivant
réception. L'État défendeur n’a pas déposé de réponse.
12. Le 9 avril 2020, la Cour a rendu une ordonnance de mesures provisoires
portant sursis à exécution de la peine de mort prononcée à l’encontre de la
Requérante en attendant l’examen de la Requête au fond.
13. Le 14 avril 2020, la Requérante a déposé une Requête modifiée, qui a été
communiquée à l’État défendeur le24 avril 2020.
14. Le 1° juin 2021, l’État défendeur a soumis sa Réponse à la Requête
modifiée qui a été transmise à la Requérante le 2 juin 2021.
15. Les Parties ont déposé leurs autres pièces de procédure dans les délais
fixés par la Cour.
16. Les débats ont été clôturés le 13 juin 2022 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
17. Dans sa Requête modifiée, la Requérante demande à la Cour de se
prononcer comme suit :
i. Dire que l’État défendeur a violé ses droits consacrés aux articles 1, 7
(droit à un procès équitable), 4 (droit à la vie) et 5 (droit à la dignité) de
la Charte ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de procéder à sa remise en liberté avec effet
immédiat ;
ii. Ordonner à l’État défendeur d’annuler la peine prononcée à son
encontre ;
iv. Ordonner à l’État défendeur de lui verser des réparations, comme suit :
a. Un montant de trente-quatre mille trois cent huit (34 308) dollars
des États-Unis (EU) à titre de réparation du préjudice moral subi
par la Requérante ;
b. Un montant que la Cour estimera raisonnable, à titre de réparation
du préjudice matériel subi ;
c. Un montant de treize mille (13 000) dollars EU au titre des frais de
justice et des frais connexes ;
v. Ordonner à l’État défendeur de modifier son Code pénal ainsi que la
législation connexe concernant la peine de mort à l'effet de le rendre
conforme à l’article 4 de la Charte ;
vi. Accorder toute(s) autre(s) réparation(s) qu’elle juge appropriée(e) en
18. Sur la compétence et la recevabilité, l’État défendeur demande à la Cour de
se prononcer comme suit :
ii Dire que l'honorable Cour n’est pas compétente pour connaître de la
Requête.
ii. Dire que la Requête ne satisfait pas à la condition de recevabilité prévue
à l’article 56(6) de la Charte, lu conjointement avec la règle 52(2)(f) du
Règlement intérieur de la Cour de 2020.
iii. Déclarer la Requête irrecevable.
19. S’agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de :
ii Dire qu’il n’a pas violé les droits de la Requérante à la vie droit, à la
dignité et à un procès équitable, inscrits respectivement aux articles 4, 5
et 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
ii. Dire qu’il n’a pas violé l’article 1 de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples.
iii. Dire que la Requérante a été jugée et condamnée conformément aux
lois en vigueur et aux normes internationales en matière de droits de
iv. Rejeter la Requête dans son intégralité et lui adjuger les dépens.
20. En ce qui concerne les réparations, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire que l'interprétation et l’application du Protocole et de la Charte ne
confère pas à la Cour la compétence pour annuler la peine de mort
prononcée à l’encontre de la Requérante et ordonner sa remise en
liberté ;
ii. Dire que l’État défendeur n’a pas violé les articles 1, 4, 5 et 7 de la Charte
et que la Requérante a bénéficié d’un procès équitable de la part de
l’État défendeur au cours de la procédure en première instance devant
les juridictions ;
iii. Dire que la peine de mort est compatible avec l’article 4 de la Charte ;
iv. Rejeter la demande de réparations ;
v. Ordonner toutes autres mesures que l’honorable Cour de céans estime
justes et appropriées, compte tenu des circonstances de l’espèce.
SUR LA COMPÉTENCE
21. La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l’application de la Charte, du [.…] Protocole, et de tout autre instrument
pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente,
la Cour décide.
22. Auxtermes de la règle 49(1) du Règlement « [Ja Cour procède à un examen
préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au Protocole
et au [...] Règlement ».
23. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour est tenue de procéder
à un examen préliminaire de sa compétence et statuer sur les éventuelles
exceptions d’incompétence.
24. La Cour constate que l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle en l’espèce. La Cour va donc examiner ladite
exception (A) avant d’examiner les autres aspects de sa compétence (B) s’il
y a lieu.
A. Exception d’incompétence matérielle
25. L'État défendeur fait valoir que la « Cour n’est pas compétente pour
connaître de la Requête dont elle est saisie ». Il soutient que la Cour « n’a
pas compétence pour siéger en tant que juridiction d’appel et se prononcer
sur des questions qui ont été tranchées par la plus haute juridiction d’un
État défendeur ».
26. L'État défendeur soutient donc que la Cour n’est pas « investie de la
compétence requise pour statuer sur cette affaire, encore moins pour
annuler la condamnation à mort et ordonner la remise en liberté de la
Requérante ».
27. Dans ses observations en réplique, la Requérante, se référant à l'affaire
Requête concernent des violations spécifiques des droits de l'homme protégés par la Charte et que, par conséquent, la compétence matérielle de
la Cour est établie.
28. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l'homme et
ratifié par l’État concerné 3
29. En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle la Cour exercerait une
compétence d’appel si elle venait à examiner certains griefs sur lesquels les
juridictions internes de l’État défendeur se sont déjà prononcées, la Cour
réaffirme sa position selon laquelle elle n’exerce pas de compétence d'appel
à l’égard de griefs déjà examinés par des juridictions nationales.* La Cour
rappelle également que, nonobstant ce qui précède, elle conserve le
pouvoir d'apprécier la conformité des procédures aux normes énoncées
dans les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés
par l’État concerné. Le fait de s'acquitter de la tâche susmentionnée ne fait
pas pour autant de la Cour une juridiction d’appel.
30. S’agissant de l’argument relatif à l’incompétence de la Cour pour ordonner
la remise en liberté de la Requérante, la Cour rappelle que l’article 27(1) du
Protocole dispose : « [Iorsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de
l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées
afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation ». Il s’en infère que la Cour est
3 Yd Aj c. République-Unie de AL, CAÏDHP, Requête N° 028/2015, Arrêt du 26 juin 2020 (fond et réparations), 8 18.
* Ernest Bq Xl c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14 ; Bv Xv c. République-Unie de AL (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 26 ; Xk Ci ZBm BoA et Xj Xk ZYb CeA c. République-Unie de AL (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
5 Xc By c. République-Unie de AL (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33 ; Cr Bk Cr et un autre c. République-Unie de AL (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 29 et Aw Yn c. République-Unie de AL (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 130.
compétente pour accorder différents types de réparations, y compris
ordonner la remise en liberté, si les circonstances de l’affaire le requièrent.
31. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par l’État
défendeur et conclut qu’elle a la compétence matérielle en l’espèce.
B. Autres aspects de la compétence
32. La Cour fait observer qu'aucune exception n’a été soulevée par l’État
défendeur quant à sa compétence personnelle, temporelle et territoriale.
33. Ayant constaté qu’aucun élément du dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétente, la Cour conclut qu’elle a :
i. La compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur
est partie au Protocole et a déposé la Déclaration. La Cour
rappelle, comme elle l’a indiqué au paragraphe 2 du présent arrêt,
que, le 21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé un
instrument de retrait de la Déclaration. À cet égard, la Cour réitère
sa position selon laquelle le retrait de la Déclaration n’a pas d’effet
rétroactif et n’a aucune incidence, ni sur les affaires pendantes
dont elle a été saisie avant le dépôt de l'instrument y relatif, ni sur
les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant qu’il ne prenne
effet. Étant donné qu'un tel retrait prend effet douze (12) mois
après le dépôt de l'instrument y relatif, en l'espèce, le 22 novembre
20205, il n’a aucune incidence sur la présente Requête.
i. La compétence temporelle dans la mesure où les violations
alléguées se sont produites après que l’État défendeur est devenu
partie à la Charte et au Protocole. De plus, les violations alléguées
ont un caractère continu du moment que la Requérante purge
8 Ad Ao c. AL (fond et réparations), 88 35 à 39.
actuellement sa peine, ce qui, de son point de vue, constitue une
violation de ses droits consacrés par la Charte.”
iii. Sa compétence territoriale est établie dans la mesure où les
violations alléguées se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur.
34. La Cour en conclut qu’elle est compétente pour connaître de la présente
Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
35. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [Ia Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au
présent Règlement ».
36. La règle 50(2) du Règlement qui reprend, en substance, les dispositions de
l’article 56 de la Charte dispose :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les conditions
ci-après :
a. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la Cour
de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles diffusées
par les moyens de communication de masse ;
7 Ayant droits de feu Bx Xu, Cf Xx alias Ablassé, Xy Xu, Xm Aq et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Ym Bf Zcompétence) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 88 71 à 77.
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s’ils existent, à
moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de
la Charte.
37. La Cour note que l’État défendeur a soulevé une exception d’irrecevabilité
de la Requête, faisant valoir que celle-ci n’a pas été déposée dans un délai
raisonnable à compter de la date d’épuisement des recours internes, en
violation de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du Règlement.
La Cour va par conséquent se prononcer sur cette exception (A) avant
d'examiner les autres conditions de recevabilité (B) s’il y a lieu.
A. Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
38. L'État défendeur soutient que « l’arrêt de la Cour d’appel a été rendu le 12
mars 2013 et que la Requérante a déposé la présente Requête devant la
Cour de céans le 14 mars 2019, soit six (6) ans après l’épuisement des
recours internes ». Selon l’État défendeur, le délai de saisine la Cour ne
peut donc pas être considéré comme raisonnable.
39. L'État défendeur fait en outre valoir, en s'appuyant sur la jurisprudence de
la Cour, que bien que l’article 56(6) de la Charte ne fixe pas de délai dans
lequel les requêtes doivent être déposées, la Cour doit, pour apprécier le
caractère raisonnable du délai, prendre en considération, entre autres, la
situation particulière du requérant. Compte tenu de ce qui précède, l’État
défendeur soutient que « il n’existe, dans la situation personnelle de la
Requérante … aucun motif pouvant justifier les six (6) années qu’il lui a fallu
pour déposer la présente Requête ». Se fondant sur le dossier de la
procédure devant la Haute Cour et la Cour d'appel, l’État défendeur fait également valoir que la Requérante « jouit d’une stabilité financière, qu’elle
sait lire et écrire et a bénéficié d’une assistance judiciaire et de services
d'avocats durant toute la procédure devant les juridictions nationales ».
L’État défendeur ajoute que « la Requérante n’a avancé aucun motif
expliquant les six (6) années qui se sont écoulées avant le dépôt de la
Requête devant la Cour ».
*
40. Dans sa réplique, la Requérante a invoqué les raisons suivantes pour
justifier le temps qu’il lui a fallu pour déposer la Requête, après l’épuisement
des recours internes :
a. Suite à la déclaration de culpabilité prononcée à son encontre, elle a été
maintenue en détention dans le couloir de la mort, a eu un accès limité
à l'information et était restreinte dans ses mouvements ;
b. Leslongues années d’incarcération et le temps passé dans le couloir de
la mort ont entraîné une dégradation de sa santé mentale et physique et
elle a souffert du « syndrome du couloir de la mort » en plus des
pathologies physiques préexistantes dues à sa séropositivité. De même,
la Requérante s’est parfois vu refuser l’accès à un traitement et à des
médicaments appropriés pour ses différentes affections. Elle n’était
donc pas en état physique ou mental de s’informer de l’existence de la
Cour.
c. La Requérante n’a pas bénéficié de l’assistance d’un conseil juridique
qui aurait pu lui faire prendre conscience de l'existence de la Cour
jusqu’à ce que, en 2019, la Cour désigne un conseil bénévole pour
l’assister.
d. Au cours de la procédure devant les juridictions internes, elle n’a pu que
s'appuyer sur des avocats commis d'office par l’État défendeur, qui se
sont avérés inefficaces. En outre, la Requérante ne pouvait compter que
sur le soutien financier d’un membre de sa famille pour payer les
services d’avocats pendant la procédure en appel.
e. L'État défendeur n’a produit aucun élément de preuve à l’appui de son
affirmation selon laquelle la Requérante jouissait d’une stabilité
financière.
41. Conformément à l’article 56(6) de la Charte dont les dispositions sont
reprises à la règle 50(2)(f) du Règlement, une requête n’est recevable que
si elle est « introduite dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement
des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant
commencer à courir le délai de sa saisine ».
42. La Cour relève que l’État défendeur conteste la recevabilité de la Requête,
motif pris de l’exigence du dépôt de la requête dans un délai raisonnable
après l’épuisement des recours internes. La Cour relève cependant qu’il lui
incombe de s'assurer d’abord que les recours internes ont été épuisés avant
de statuer sur l’exigence du dépôt de la requête dans un délai raisonnable
après l'épuisement desdits recours.® En effet, si elle venait à établir que les
recours internes n’ont pas été épuisés, il serait superflu de déterminer si la
requête a été déposée ou non dans un délai raisonnable.
43. La Cour rappelle que la Requérante a été condamnée le 19 septembre 2011
par la Haute Cour siégeant à Mwanza. Elle a ensuite interjeté appel devant
la Cour d'appel qui a confirmé sa condamnation, le 11 mars 2013. Le
recours en révision de la décision de la Cour d’appel introduit par la
Requérante a été rejeté le 19 mars 2015. La Cour d’appel étant la plus haute
juridiction de l’État défendeur, la Cour conclut que la Requérante a épuisé
les recours internes avant de la saisir.
44. La Cour a conclu dans ses arrêts précédents que « … le caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire et qu'elle doit le déterminer au cas par cas ».° À cet égard,
la Cour a considéré les facteurs suivants comme étant pertinents : le fait
qu’un requérant soit incarcéré,!° qu’il soit profane en droit et n'ait pas
8 As Xs At c. République-Unie de AL, CAfDHP, Requête N° 030/2015, Arrêt du 4 juillet 2019 (compétence et recevabilité), 8 38.
9 Ayant droits de feus Bx Xu Cf Xx dit Ablassé, Xy Xu et Xm Aq AM Ym Bf Zfond) (24 juin 2014) 1 RICA 226, 8 92. Voir également Aw Yn AM AL (fond), 8 73.
19 Bd Xq c. République-Unie de AL (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 52 et Aw Yn AM AL (fond), 8 74.
bénéficié d’une assistance judiciaire**, qu’il soit indigent, le temps mis pour
exercer les recours en révision devant la Cour d’appel, ou pour accéder aux
pièces du dossier!?, les intimidations et la crainte de représailles,!® la
création récente de la Cour, le temps nécessaire pour réfléchir à
l'opportunité de saisir la Cour et pour déterminer les griefs à soumettre**.
45. La Cour a conclu dans ses arrêts précédents que le fait pour un requérant
de faire valoir, par exemple, qu’il était incarcéré, profane en droit et indigent
ne constitue pas une raison suffisante pour justifier le fait qu’il n’ait pas
déposé sa requête dans un délai raisonnable*®. I! importe également que
tous les requérants démontrent en quoi leurs situations personnelles les ont
empêchés de soumettre leur requête dans un délai raisonnable.
46. La Cour rappelle que la présente Requête a été introduite le 24 avril 2019
et que la Cour d’appel de l’État défendeur a rendu son arrêt rejetant le
recours formé par la Requérante le 11 mars 2013. Il ressort également du
dossier que la Requérante a formé un recours en révision de la décision de
la Cour d’appel et que ledit recours a été rejeté le 19 mars 2015. La Cour
rappelle, en outre, qu’elle a, à cet égard, conclu que les requérants ne
devraient pas être pénalisés pour avoir introduit un recours en révision de
la décision de la plus haute juridiction d’appel nationale".
47. La Cour, dans la mesure où elle dispose, en vertu de la règle 50(2)(f), d’une
marge de manœuvre pour fixer la date à partir de laquelle effectuer le
décompte du délai raisonnable pour le dépôt d’une requête, considère que
le délai raisonnable doit, en l’espèce, doit être décompté à partir de la date
de la décision de la Cour d’appel sur le recours en révision formé par la
11 Aw Yn AM AL (fond), 8 73 ; Cx Co c. République-Unie de AL (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 54 ; Amir As c. République-Unie de AL (fond) (11 mai 2018), 2 RICA 356, 8 83.
12 Xk Ci et un autre c. AL (fond), 8 61.
13 Association pour le progrès et la défense des droits des femmes maliennes et Institute for Human Rights and Development in Africa c. Mali (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 393, 8 393.
14 Bx Xu et autres c. Ym Bf Zexceptions préliminaires), 8 122.
15 Yi Yj c. République-Unie de AL, CAfDHP, Requête n° 028/2017, Arrêt du 2 décembre 2021 (recevabilité), 8 48.
16 Xk Ci et un autre c. AL (fond), 8 58.
Requérante, soit le 19 mars 2015. La Requête ayant été soumise le 24 avril
2019, le délai visé est donc de quatre (4) ans, un (1) mois et cinq (5) jours.
C’est cette période que la Cour doit évaluer dans son appréciation du délai
raisonnable de dépôt de la Requête conformément à l’article 56(6) de la
Charte.
48. En l'espèce, la Cour note que la Requérante est non seulement incarcérée,
mais se trouve dans le couloir de la mort depuis sa condamnation. La Cour
tient particulièrement compte du fait qu’elle a tenté d’exercer le recours en
révision après qu’elle a été déboutée par la Cour d’appel. La Requérante
étant en droit d'attendre l'issue de la procédure de révision, la Cour ne
saurait lui tenir rigueur d’avoir exercé ce recours. Dans ces circonstances,
la Cour estime que le délai de quatre (4) ans, un (1) mois et cinq (5) jours
est raisonnable, au sens de l’article 56(5) de la Charte*".
49. La Cour rejette donc l'exception d'’irrecevabilité soulevée par l’État
défendeur, tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable.
B. Autres conditions de recevabilité
50. La Cour relève que bien qu’aucune exception d’irrecevabilité n’ait été
soulevée concernant les conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c),
(d), (e) et (g) du Règlement, elle est tenue de s'assurer que toutes ces
conditions sont remplies, en l’espèce.
51. Il ressort du dossier que la Requérante a été clairement identifiée par son
nom, conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
52. La Cour relève également que les demandes formulées par la Requérante
visent à protéger ses droits garantis par la Charte. En outre, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l'Union africaine, tel qu’énoncé en son article
3(h), est la promotion et la protection des droits de l’homme et des peuples.
17 Xk Ci et un autre c. AL (fond), 88 60 à 61 ; Xc By AM AL (fond et réparations), 8 56.
Par ailleurs, la Requête ne contient aucun grief ou aucune demande qui soit
incompatible avec une disposition dudit Acte. En conséquence, la Cour
considère que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union
africaine et avec la Charte et conclut qu’elle satisfait aux exigences de la
règle 50(2)(b), du Règlement.
53. La Cour relève, en outre, que la Requête ne contient aucun terme
outrageant ou insultant à l’_égard de l’État défendeur ou de ses institutions,
ce qui la rend conforme à l’exigence de la règle 50(2)(c) du Règlement.
54. La Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais sur des documents
judiciaires émanant des juridictions internes de l’État défendeur. En
conséquence, elle est conforme à la règle 50(2)(d) du Règlement.
55. La règle 50(2)(e) exige que les requêtes soient introduites après
épuisement des recours internes. La Cour rappelle, à cet égard, qu’elle a
déjà conclu que, l’État défendeur est réputé avoir eu la possibilité de
remédier aux violations qui selon la Requérante découlent desdites
procédures dans la mesure où les procédures pénales à l’encontre d’un
requérant ont donné lieu à une décision de la plus haute juridiction d’appel*®.
56. En l’espèce, la Cour relève que l’appel interjeté par la Requérante devant
la Cour d’appel, la plus haute instance judiciaire de l’État défendeur, a été
tranché lorsque ladite Cour a rendu son arrêt le 12 mars 2013. Par la suite,
le recours en révision introduit par la Requérante a été rejeté par la Cour
d'appel le 19 mars 2015. La Cour en conclut que l’État défendeur a eu la
possibilité de remédier aux violations qui selon la Requérante découlent de
son procès, à différentes instances. En conséquence, la Requête satisfait à
l'exigence de la règle 50(2)(e) du Règlement.
18 Bl Yk c. République-Unie de AL (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 8 76.
57. La Cour constate également que la Requête ne concerne pas une affaire
qui a déjà été réglée par les Parties conformément aux principes de la
Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l'Union africaine, des
dispositions de la Charte ou de tout instrument juridique de l’Union
africaine ; elle satisfait donc à l’exigence de la règle 50(2)(g) du Règlement.
58. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit
toutes les conditions énoncées à l’article 56 de la Charte, tel que repris à
l’article 50(2) du Règlement, et la déclare recevable.
VII. SUR LE FOND
59. La Requérante allègue que l’État défendeur a violé son droit à la vie, son
droit à la dignité et son droit à un procès équitable, garantis respectivement
par les articles 4, 5 et 7 de la Charte. Elle affirme en outre que pour n’avoir
pas donné effet à ces droits, l’État défendeur a également violé l’article
premier de la Charte.
A. Violation alléguée du droit à la vie
60. La Requérante allègue que l’État défendeur a violé son droit à la vie en la
condamnant à mort pour un crime qui ne relève pas de la catégorie des
affaires pour lesquels cette peine peut être appliquée conformément à la loi,
et en ne tenant pas compte des circonstances particulières du contrevenant
ainsi que du forfait.
i. Imposition de la peine de mort
61. La Requérante invoque la jurisprudence de diverses juridictions pour étayer
sa position selon laquelle la peine de mort est prononcée pour les infractions
les plus graves, les plus macabres, les plus extrêmes, « les plus rares des rares » et « les pires parmi les pires qui soient »*°. La Requérante soutient
qu’un tribunal devrait prendre en considération la nécessité d'interpréter la
nature de l'infraction de manière restrictive et, plus particulièrement,
d’évaluer l'infraction à l’aune d’autres cas de meurtre et non en rapport avec
un comportement « civilisé » ordinaire. À en croire la Requérante, l’État
défendeur n’a pas appliqué ce critère élevé en lui imposant la peine de mort,
violant ainsi son droit à la vie.
62. En réponse, l’État défendeur fait valoir que la peine de mort est une peine
légale en cas de meurtre, conformément à l’article 197 de son Code pénal
et que cette peine a été confirmée par sa Cour d’appel. L'État défendeur
soutient en outre qu’« aux termes de l’article 4 de la Charte africaine, la
peine de mort est autorisée à condition qu’elle soit exécutée conformément
à la loi ». En ce qui concerne spécifiquement la Requérante, l'État
défendeur fait valoir que sa condamnation à mort est légale dans la mesure
où « les faits constitutifs de son infraction sont « les pires des pires » qui
soient, le meurtre ayant été prémédité » et « commis en brûlant le désormais
défunt ». L’État défendeur conteste également l’allégation de la Requérante
selon laquelle elle est une personne de bonne moralité.
63. La Cour rappelle que l’article 4 de la Charte dispose : « [Ia personne
humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à
l'intégrité physique et morale de sa personne : Nul ne peut être privé
arbitrairement de ce droit ».
19 Comité des droits de l'homme (CDH), Communication n°1421/2005, Ch c. Philippines, constatations adoptées le 24 juillet 2006, 8 7.2 ; République c. Jamuson White, affaire pénale n° 74 de 2008 (non publiée), Haute Cour du Malawi ; Xe c. La Reine [2009] UKPC 25, 8 21 ; et Communication n° 4701/1991 du CDH, Xw c. Canada, constatations adoptées le 30 juillet 1993, 814.3.
64. D’emblée, la Cour reconnaît la tendance mondiale en faveur de l’abolition
de la peine de mort, illustrée, en partie, par l’adoption du deuxième
Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (PIDCP)®. Elle note, toutefois, que la peine de mort figure
toujours dans les textes de loi de certains États et qu'aucun traité, sur
l'abolition de la peine de mort, n’a fait l’objet d’une ratification universelle?!
La Cour relève que le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDCP
compte, à ce jour, quatre-vingt-dix (90) États parties sur les cent soixante-
treize (173) États parties au PIDCP.
65. Ence qui concerne spécifiquement l'Afrique, la Cour surveille l’évolution de
la situation sur le continent en matière d'application de la peine de mort. À
titre d'illustration, en 1990, un seul pays (Cabo Verde) a aboli la peine de
mort. À ce jour, sur les cinquante-cinq (55) États membres de l’Union
africaine, vingt-cinq (25) ont aboli la peine de mort dans leur législation,
quinze (15) ont adopté un moratoire à long terme sur les exécutions et
quinze (15) continuent d’appliquer la peine de mort. Tout récemment, en
2020, le Tchad a aboli la peine de mort, suivi par la Af Be en 2021 et
par la République centrafricaine et la Guinée équatoriale en 2022.
66. Compte tenu de la disposition de l’article 4 de la Charte et de l’évolution de
la situation en droit international en ce qui concerne la peine de mort, la
Cour estime que ce type de peine ne devrait être réservé, à titre
exceptionnel, qu’aux infractions les plus odieuses commises dans des
circonstances particulièrement aggravantes. Toutefois, étant donné que les
circonstances dans lesquelles la peine de mort peut être justifiée ne peuvent
être catégorisées avec exactitude, il convient de laisser aux juridictions
20 Ar Cs c. République-Unie de AL, CAfDHP, Requête N° 024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), 8 122 et Bz Xh et autres c. République-Unie de AL, CAfDHP, Requête N° 007/2015, Arrêt du 28 novembre 2019 (fond et réparations), $ 96. Il est à noter que l’État défendeur n'est pas partie au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
21 Pour des informations plus exhaustives sur les développements relatifs à la peine de mort, voir, Assemblée générale des Nations Unies, Moratoire sur l’application de la peine de mort — Rapport du Secrétaire général 8, août 2022.
internes le soin de déterminer, au cas par cas, les infractions pouvant
donner lieu à l'imposition de la peine de mort.
67. S’agissant de l’affimation de la Requérante selon laquelle elle a été
condamnée à la peine de mort dans des circonstances qui ne justifiaient
pas une telle peine, la Cour rappelle que la Haute Cour et la Cour d’appel
ont, toutes deux, établi que la Requérante avait causé la mort par brûlure
d’un nommé Ca Xt. Selon les conclusions de la Haute Cour,
confirmées par la Cour d’appel, l'intention de la Requérante de causer la
mort a été établie par le fait qu’elle n’a porté aucune assistance à Ca
Xt « lorsqu’elle l’a vu s’embraser, crier ou hurler au secours » et « bien
que possédant une voiture, elle s’est abstenue de lui venir en aide en
transportant d’urgence [la victime] à l’hôpital pour qu’il y reçoive des soins ».
Ces conclusions n’ont pas été réfutées devant la Cour de céans.
68. Dans ces circonstances, la Cour estime que la Requérante n’a pas présenté
d’argument(s) ou d’élément(s) de preuve convaincant(s) pour contester les
motifs avancés les juridictions internes sur les circonstances du décès de
Ca Xt et sur le rôle qu’elle a joué dans ce décès. Étant donné
qu’aucune erreur manifeste de la part de la juridiction de première instance
ou même de la juridiction d'appel n’a été relevée, la Cour considère qu’il
n’existe aucune raison de remettre en cause les motifs des décisions
rendues par lesdites juridictions.
69. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation de la Requérante
selon laquelle la peine de mort prononcée à son encontre est injustifiée au
regard de la nature de l'infraction qu’elle a commise.
ii. Privation du pouvoir discrétionnaire des juges en matière d’imposition
la peine de mort
70. La Requérante fait valoir que la condamnation à la peine de mort obligatoire
limite le pouvoir discrétionnaire des magistrats de prendre en compte les
éléments de preuve établissant des circonstances atténuantes. S'appuyant sur la décision de la Cour dans l'affaire A/ly Xh c. AL, elle affirme
que cet état de fait a pour conséquence une imposition mécanique ou
générique la peine de mort.
71. En ce qui concerne son procès, la Requérante soutient que l’État défendeur
aurait dû tenir compte du fait qu’elle n'avait aucune intention d’ôter la vie à
la victime, mais que, pour asseoir le chef d'accusation de meurtre, et donc
son intention de donner la mort, le juge de première instance s’est fondé sur
la description faite d’elle par le Ministère public, à savoir qu’elle est une «
femme cruelle ». La Requérante allègue également qu’elle a éprouvé de
graves souffrances, y compris des abus dont elle a été victime étant enfant,
des mutilations génitales féminines, une tentative de mariage forcé à l’âge
de douze (12) ans, des violences physiques domestiques infligées par son
premier mari, un viol par un officier supérieur alors qu’elle servait dans les
forces de police, sa séropositivité, et le décès de son second mari au cours
de sa deuxième année de détention.
72. Elle allègue, en outre, que la Haute Cour n’a pas tenu compte de sa capacité
avérée de réadaptation et de réinsertion, au regard de son casier judiciaire
vierge, de ses douze (12) années de service en qualité d'agent de police et
de ses activités caritatives. La Requérante fait, par ailleurs, remarquer
qu’elle est maintenant âgée de soixante (60) ans, ce qui signifie qu’elle a
déjà purgé sa peine d’emprisonnement à vie et devrait donc être remise en
liberté.
13. En réponse, l’État défendeur réitère ses conclusions sur la légalité de la
peine de mort sur son territoire. Il fait également observer que « l’allégation
de la Requérante concernant sa bonne moralité n’est qu’un argument
invoqué après coup, puisqu'elle a prémédité le meurtre de la victime. Une
personne de bonne moralité ne saurait avoir une telle attitude ».
74. La Cour note que les motifs invoqués par la Requérante pour étayer son
allégation de violation de l’article 4 de la Charte sont tirés de ce que la
condamnation à la peine de mort obligatoire constitue une privation
arbitraire du droit à la vie du fait qu’elle limite le pouvoir discrétionnaire d’une
juridiction de première instance. La Cour relève que ces motifs invoqués par
la Requérante sont relatifs aux raisons pour lesquelles elle estime que les
juridictions internes auraient dû prononcer à son égard une peine adaptée.
75. Pour apprécier le caractère arbitraire de la condamnation à mort de la
Requérante, la Cour rappelle sa jurisprudence constante relative aux
critères d’une telle appréciation, à savoir, l'existence ou non d’un fondement
légal à la peine de mort, le prononcé de ladite peine par un tribunal
compétent et la régularité de la procédure ayant abouti à la condamnation
à la peine de mort.
76. S’agissant du premier critère, la Cour note que la peine de mort est prévue
par l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur. Cette condition est donc
remplie.
77. Pour ce qui est du deuxième critère, la Cour note que l’argument de la
Requérante n’est pas fondé sur l’incompétence des juridictions de l’État
défendeur à connaître des procédures ayant abouti à sa condamnation à
mort, mais sur le fait que la Haute Cour ne pouvait que prononcer une telle
peine qui est la seule prévue par la loi en cas de meurtre, privant ainsi le
juge du pouvoir discrétionnaire de prononcer une autre peine. Étant donné
qu’aucun argument n’a été invoqué par la Requérante pour étayer
l’allégation selon laquelle les juridictions nationales ont agi par défaut ou au-
delà de leur champ de compétence pour trancher la procédure ouverte
22 International Pen et autres (au nom de AKA c. Ae, Communications n°s 137/94, 139/94, 154/96, 161/97 (2000) AHRLR 212 (CADHP 1998), 88 1 à 10 et 8 103 ; Cd of Conscience c. Af Be, Communication n° 223/98 (2000) 293 (CADHP 2000), 8 20 ; voir article 6(2), PIDCP ; et Cc Ye c. St Vincent & the Grenadines, Communication n° 3806/1998, U.N. Doc. CCPR/C7010/806/1998 (2000) (U.N.H.C.R.), 8.2 ; voir également Bz Xh et autres c. AL, (fond et réparations), 8 104.
3 Bz Xh et autres c. AL (fond et réparations), 8 106 ; Bx Bn c. République-Unie de AL, CAÏDHP, Requête n° 004/2015, arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 8 147.
contre la Requérante, la Cour conclut que la peine de mort prononcée à
l’encontre de cette dernière l’a été par un tribunal compétent.
78. S’agissant du respect de la procédure régulière, la Cour estime que le
caractère obligatoire de la peine de mort, tel que prévu par l’article 197 du
Code pénal de l’État défendeur, ne laisse aux juridictions nationales d’autre
choix que de faire exécuter la peine prononcée contre un condamné à mort,
ce qui entraîne une privation arbitraire de la vie?*. Le fait de priver un juge
du pouvoir discrétionnaire de prononcer une peine en appliquant le principe
de la proportionnalité et en tenant compte de la situation particulière d’une
personne reconnue coupable, rend la peine de mort obligatoire non
conforme aux exigences d’une procédure pénale régulière. La Cour estime
que, si les juridictions nationales de l’État défendeur étaient dotées d’un
pouvoir discrétionnaire pour prononcer une peine à l’encontre des
personnes reconnues coupables de meurtre, la Haute Cour, à titre
d’exemple, aurait pu légitimement prendre en compte tous les facteurs que
la Requérante a soulevés devant elle pour, éventuellement, alléger sa
peine.
79. Dans ces circonstances, la Cour conclut que la peine de mort, telle qu’elle
est prescrite par l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur, ne satisfait
pas au troisième critère d’appréciation du caractère arbitraire de la peine.
Elle constate également, au regard de sa jurisprudence, que la peine de
mort obligatoire constitue une privation arbitraire du droit à la vie, protégé
par l’article de la Charte.
80. La Cour en conclut que l’État défendeur a violé l’article 4 de la Charte en
condamnant la Requérante à mort dans le cadre d’un système qui n’offre
aucune possibilité d’atténuer sa peine après qu’elle a été reconnue
coupable.
24 Ar Cs AM AL (fond et réparations), 8 130 ; Bz Xh et autres c. AL (fond et réparations), 8 109 ; Bx Bn AM AL (fond et réparations), 8 148.
25 Bz Xh et autres c. AL (fond et réparations), 8 114.
B. Violation alléguée du droit à la dignité
81. La Requérante soutient qu’en la condamnant à mort, l’État défendeur a violé
son droit à la dignité étant donné qu’« elle souffre de dépression et d’anxiété
et qu’elle est prédisposée aux problèmes de santé mentale ». Elle allègue
précisément que par le passé, on lui a diagnostiqué un trouble dépressif
majeur et qu’elle est actuellement sujette à un trouble dépressif chronique.
Elle allègue également que le mode d’exécution imposé — la pendaison —
est manifestement un « châtiment cruel, innumain ou dégradant ». Enfin, la
Requérante affirme qu’elle subit une torture psychologique du fait du «
syndrome du couloir de la mort », qui est largement considéré comme un «
châtiment cruel, inhumain ou dégradant ». La Requérante souligne
également que la santé physique et mentale a été compromise par ses
affections physiques préexistantes dues à sa séropositivité.
82. L'État défendeur conclut au rejet des trois (3) moyens soulevés par la
Requérante. Premièrement, l’État défendeur réitère que la Requérante a
été déclarée coupable et condamnée conformément à la loi, et que la peine
de mort prononcée à son encontre est une condamnation régulière.
Deuxièmement, les allégations de la Requérante relatives à sa santé
mentale ne sont pas fondées et n’ont pas été soulevées comme moyen de
défense pendant le procès. Troisièmement, la Requérante n’a pas établi de
lien de causalité entre le meurtre et les allégations de viols, de mariages
forcés et de mutilations génitales féminines qui, du reste, n’ont été
corroborées par aucun élément du dossier, dont elle aurait été victime. De
l’avis de l’État défendeur, « le meurtre a été la conséquence de son
mécontentement, suite à la disparition de son bateau et n’était nullement lié
à des violences sexistes qu’elle aurait subies ».
83. La Cour relève que l’article 5 du Charte dispose :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d’avilissement de l'homme notamment
l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et les
peines ou les traitements cruels innumains ou dégradants sont
interdites.
84. La Cour rappelle la première affirmation de la Requérante, selon laquelle
l’État défendeur n’a pas considéré que la condamnation d’une personne
souffrant de trouble mental à la peine de mort constitue une violation de
l’article 5 de la Charte. La Cour estime que la question à trancher est plutôt
celle de savoir si la peine de mort obligatoire a été prononcée à l'issue d’une
procédure conforme aux garanties du droit à un procès équitable,
notamment à l’article 7(1) de la Charte aux termes duquel « [t]oute personne
a droit à ce que sa cause soit entendue »°.
85. À cet égard, la Cour note qu’aucun élément du dossier n'indique que l’état
de santé mentale de la Requérante a été évoqué par celle-ci ou par ses
représentants, à l’audience préliminaire, en première instance ou en appel
devant la Cour d’appel. La Cour relève également que la Requérante n’a
pas fait valoir, au cours de son procès, qu’il était manifeste pour le Tribunal
de première instance qu’elle était mentalement inapte à comparaître. En
l’absence d’éléments probants sur la santé mentale de la Requérante au
moment où elle a été jugée par la Haute Cour, la Cour ne dispose d’aucun
fondement, en rapport avec la santé mentale de la Requérante, pour
remettre en cause les conclusions de la juridiction d'instance””. Dans ces
circonstances, l'argument selon lequel l’État défendeur a condamné à la
peine de mort obligatoire une personne souffrant de troubles mentaux ne
constitue qu’un argument invoqué postérieurement à ladite condamnation.
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé
l’article 7(1)(d) de la Charte.
26 Bx Bn AM AL (fond et réparations), 8 156.
27 Cf. Communication N° 684/1996, RS c. Trinidad et Xa (Comité des droits de l'homme), $ 7.2 (2 avril 2022).
86. S'agissant des deuxième et troisième griefs soulevés par la Requérante, la
Cour relève que celle-ci conteste la pendaison comme mode d’exécution de
la peine de mort. La Cour rappelle qu’elle a précédemment conclu dans
l’affaire Bz Xh et autres c. AL que l’application de la peine de
mort par pendaison, lorsque cette peine est autorisée, est « dégradante par
nature » et « porte … atteinte à la dignité, eu égard à l'interdiction des
traitements cruels, innumains et dégradants »°8. La Cour conclut que du fait
d’avoir prescrit la peine de mort par pendaison, l’État défendeur a violé
l’article 5 de la Charte.
87. En ce qui concerne particulièrement l’affirmation de la Requérante relative
aux conséquences de son séjour prolongé dans le couloir de la mort, la
Cour confirme que la période d'attente d’une exécution peut provoquer un
stress chez les personnes condamnées à mort, en particulier lorsque
l’attente se prolonge. La Cour relève pour le souligner que la détention dans
le couloir de la mort est dégradante par nature et porte atteinte à la dignité
humaine. La Cour considère que le stress lié à la détention dans le couloir
de la mort découle de la crainte naturelle de la mort avec laquelle un
condamné doit vivre”°. Toutefois, étant donné qu’une personne condamnée
à mort conserve le droit d’épuiser tous les recours judiciaires, il y a lieu de
trouver un équilibre entre le droit d’exercer lesdits recours et la nécessité de
ne pas maintenir indéfiniment dans le couloir de la mort des personnes dont
la peine a été confirmée par la plus haute juridiction®°. Dans un tel cas, les
États tels que le défendeur en l’espèce sont encouragés à prononcer des
peines appropriées à l’encontre des personnes initialement condamnées à
mort, qui écartent définitivement toute possibilité constante de faire
appliquer la peine de mort que les personnes dans le couloir de la mort
doivent endurer.
28 Voir Bz Xh et autres c. AL, (fond et réparations), 88 119 à120 et Ar Cs AM AL (fond et réparations), 8 36.
29 Xz Xd c. Bb Cu et 417 autres, Recours en inconstitutionnalité n° 03 de 2006, (Cour suprême de l’AlA et Xz Xd of the Commonwealth of the Cz c. Farrington et Ministère de la sécurité publique et de l'immigration et autres [1997] AC 413 421-425.
30 Xz Xd AN Cu (supra).
88. La cour rappelle qu’en l’espèce, la Requérante a été déclarée coupable et
condamnée à mort le 19 septembre 2011. La décision définitive, en ce qui
concerne son affaire, est celle de la Cour d’appel qui a rejeté son recours
en révision le 19 mars 2015. La Requérante aura donc, à ce jour, passé au
moins sept (7) ans dans le couloir de la mort, après la clôture de toutes les
procédures judiciaires relatives à son affaire.
89. La Cour estime que cette détention et la durée de celle-ci ont inévitablement
causé à la Requérante un niveau de souffrance qui porte atteinte à sa
dignité. La Cour en conclut que l’État défendeur a violé le droit de la
Requérante à la dignité, garanti par l’article 5 de la Charte.
C. Violation alléguée du droit à procès équitable
90. La Requérante soutient que du fait des procédures ayant donné lieu à la
déclaration de culpabilité pour le chef de meurtre et à la peine de mort
prononcées à son encontre, son droit à un procès équitable garanti à l’article
7 de la Charte a été violé de la manière suivante :
i. Le retard injustifié entre l’arrestation de la Requérante et son procès
91. La Requérante soutient qu’elle a passé trois (3) ans et six (6) mois en
détention, soit la période entre son arrestation et sa condamnation, ce qui,
selon elle, « ne constitue pas un délai raisonnable au sens du droit
international ». Plus précisément, la Requérante fait remarquer qu’elle a
d’abord été arrêtée en février 2008 et mise en accusation pour meurtre le
22 septembre 2009. Ensuite, son procès a débuté en novembre 2010 et elle
a été condamnée en septembre 2011.
92. Invoquant les décisions de la Cour dans les affaires Aw Yn AM
AL, Bu Xn AG Ct Ab c. Mali, An Ay et
autres c. AL et Xc By AM AL, la Requérante fait valoir
que la Cour a donné une interprétation des termes « retards injustifiés » selon trois (3) facteurs »*!. Tout d’abord, s'agissant de la complexité de
l’affaire, elle affirme que sa mise en accusation reposait exclusivement sur
les témoignages de quatre (4) témoins oculaires, et qu’en conséquence, le
procès aurait dû être clôturé plus rapidement. Ensuite, en ce qui concerne
le comportement des parties, elle soutient que le retard est imputable à
l’État défendeur parce que l’audience publique a fait l’objet de plusieurs
reports, alors qu’elle n’a pas cité de témoins, ni multiplié les requêtes devant
le Tribunal de première instance. Enfin, au sujet du comportement des
autorités judiciaires, la Requérante fait valoir que rien ne laisse penser qu’un
quelconque retard serait imputable à son comportement.
93. L'État défendeur soutient que la Requérante a été jugée dans un délai
raisonnable et qu’il n’y a donc pas eu de violation de l’article 7(1)(d) de la
Charte. Toujours selon l’État défendeur, la Requérante a, d’abord, comparu
devant le Tribunal de district pour la procédure de mise en accusation, la
Haute Cour étant la seule instance habilitée à connaître de l'infraction.
L’État défendeur précise, en outre, que l’ensemble de cette procédure
requiert du temps. S'appuyant sur la décision de la Cour dans l’affaire
Ay Ap et autres c. AL, l’État défendeur soutient que la Cour
a conclu que pour apprécier le caractère raisonnable du délai, elle tient
compte des circonstances propres à chaque affaire. L'État défendeur fait
donc valoir que la Cour devrait tenir compte de la gravité et de la complexité
de l'infraction et des procédures dans cette affaire pour conclure que le
temps qui s'est écoulé entre l’arrestation et la condamnation de la
Requérante est raisonnable au sens de l’article 7(1)(d) de la Charte.
31 Aw Yn AM AL, 8 104 ; Bu Xn et Ct Ab c. Mali (recevabilité) (21 mars 2018) 2 RICA 246, 8 38 ; An Ay Ap et autres c. République-Unie de AL (fond) (18 mars 2016) 1 RICA 526, 8 136 ; Xc By AM AL (fond et réparations), 8 122.
94. La Cour rappelle que l’article 7(1)(d) de la Charte prévoit que « [t]oute … personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : «
le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale ».
95. La Cour rappelle en outre que, dans l'affaire An Ay et autres c.
AL, elle a conclu que, pour apprécier si la durée d’une procédure est
raisonnable ou non, chaque affaire doit être traitée selon ses propres
circonstances et qu’elle fonde son appréciation sur trois (3) critères, à
savoir, la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et le
comportement des autorités judiciaires nationales*?.
96. La Cour rappelle que la Requérante a été arrêtée le 4 février 2008, que
l’audience préliminaire a eu lieu le 15 février 2010, que son procès a débuté
le 29 novembre 2010 et que la Haute Cour a déclaré la Requérante
coupable de meurtre et l’a condamnée à mort, le 19 septembre 2011. Au
total, la procédure devant la Haute Cour ayant abouti à la condamnation de
la Requérante s’est donc achevée après trois (3) ans et sept (7) mois.
97. S’agissant de la période entre l’arrestation et le début du procès de la
Requérante, la Cour rappelle que deux (2) ans, neuf (9) mois et vingt-cinq
(25) jours se sont écoulés. En ce qui concerne l’argument relatif à la durée
anormalement longue du procès, la Cour relève qu’entre la date d'ouverture
du procès et de sa clôture, une période de neuf (9) mois et seize (16) jours
s’est écoulée. La Cour prendra donc en compte ce délai pour apprécier la
durée anormalement longue ou non du temps qu’il a fallu pour achever le
procès de la Requérante.
98. S'agissant de la période écoulée avant l’ouverture du procès de la
Requérante, la Cour fait observer que l’État défendeur n’a donné qu’une
explication générale, à savoir que les procédures de mise en accusation
devant le Tribunal de district sont souvent longues, explication qui, du reste,
n’est étayée par aucun élément. La Cour note qu’il ne ressort du dossier
32 An Ay Ap et 9 autres c. AL (fond), 88 135 à 136.
aucun facteur de nature à justifier le retard dans l’ouverture du procès, dans
la mesure où, par exemple, le Ministère public s’est principalement appuyé
sur les témoins oculaires du meurtre*. La Cour note que l’État défendeur
n’a pas, non plus, fait valoir d’argument tendant à démontrer que ce retard
était imputable à l’attitude de la Requérante. La Cour en conclut que la
période de deux (2) ans, neuf (9) mois et vingt-cinq (25) jours qui se s’est
écoulée entre l’arrestation de la Requérante et l’ouverture de son procès est
constitutive d’un retard injustifié dans les procédures internes et donc, de la
violation de l’article 7(1)(d) de la Charte.
99. La Cour relève, en outre, que les minutes du procès devant la Haute Cour
font état de deux (2) renvois d'audience qui étaient étroitement liés. La Cour
relève que le réquisitoire du Ministère public a pris fin le 30 novembre 2010.
Le même jour, l'avocat de la Requérante a sollicité l’autorisation de
commencer la présentation de ses moyens de défense. Le juge de première
instance a rejeté cette demande motif pris de ce que « la durée prévue du
procès était seulement de deux (2) jours et que ce jour est le dernier
consacré à la présente affaire. L’alternative est donc, pour la Cour, de
renvoyer l’affaire à une date ultérieure ». Suivant ses instructions, cette date
devait être fixée par le Greffier de district qui, le 8 juillet 2011, a fixé la
présentation des moyens de défense aux 26 et 27 juillet 2011.
100. Compte tenu de ce qui précède, de la nature de l'infraction et du procès
dans son ensemble, la Cour estime que les neuf (9) mois et seize (16) jours
qu’il a fallu pour finaliser la procédure en première instance constituent un
délai raisonnable. La Cour en conclut que l’État défendeur n’a pas violé
l’article 7(1)(d) de la Charte en rapport avec le délai dans lequel le procès
de la Requérante devant la Haute Cour s’est achevé.
ii. Allégation de partialité pendant le procès de la Requérante
33 Voir Bx Bn AM AL, op. cit, 8 88.
101. La Requérante soutient que le Tribunal de première instance a violé l’article
7(1)(b) de la Charte en dérogeant au principe de la présomption
d’innocence et en faisant peser la charge de la preuve sur la Requérante,
après avoir estimé qu’il était inconcevable qu’elle ne cite pas de témoins
pour corroborer sa thèse. La Requérante fait également valoir qu’il ressort
clairement des minutes de l’audience que les assesseurs ont procédé au
contre-interrogatoire des témoins durant toute la procédure, ce qui est
contraire à la loi.
102. Dans ses observations en réplique, la Requérante soutient que le juge de
première instance avait des préjugés à son égard, qu’il a manifestés de
deux (2) manières. D’une part, en accordant du crédit aux « idées
préconçues et discriminatoires » du Ministère public selon lesquelles elle
serait une « femme cruelle », plutôt que de se fonder sur les éléments de
preuve de culpabilité. D'autre part, le juge de première instance n’a pas pris
en compte la situation de la Requérante, qui constituait des circonstances
atténuantes, lors de la fixation de la peine.
103. L'État défendeur conclut au rejet de ces allégations en se référant à la
décision de la Cour d’appel, qui selon lui, a déjà statué sur les griefs de la
Requérante. Il affirme également que la charge de la preuve n’a pas été
renversée, par conséquent le procès était exempt de tout préjugé, et que
les assesseurs sont, conformément à la loi, autorisés à interroger les
personnes accusées, ce qu’ils ont fait lors du procès de la Requérante.
104. La Cour fait observer qu’aux termes de l’article 7(1)(b) de la Charte, « [t]oute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend … le
droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie
par une juridiction compétente ».
105. En ce qui concerne les motifs invoqués par le juge de première instance au
sujet de la Requérante, notamment ceux qui la décrivent comme une
« femme cruelle », la Cour note que cette question a été examinée par la
Cour d'appel à l’effet de déterminer si le Tribunal de première instance avait
effectivement renversé la charge de la preuve. La Cour d’appel a estimé
que la charge de la preuve n’avait pas été renversée et que la procédure
devant la Haute Cour était équitable.
106. La Cour fait observer qu’il ne ressort du dossier aucun motif invoqué pour
remettre en cause les conclusions de la Cour d’appel, notamment en ce qui
concerne la violation alléguée de l’article 7(1)(b) de la Charte. Compte tenu
de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation de la Requérante relative à la
violation de l’article 7(1)(b) de la Charte au motif que la Haute Cour a
renversé la charge de la preuve.
107. En ce qui concerne l’argument relatif au rôle des assesseurs dans le
procès de la Requérante, la Cour fait observer, tel qu’il ressort du dossier,
que ceux-ci ont demandé des précisions à la Requérante. La Cour relève
que la Requérante n’a pas pu démontrer comment ce fait est constitutif de
la violation de son droit à la présomption d’innocence, au sens de l’article
7(1)(b) de la Charte. La Cour prend particulièrement note du fait qu’en droit
tanzanien, les assesseurs sont autorisés à demander des clarifications aux
accusés. Il incombe donc à la Requérante de prouver que, dans un cas
particulier, les assesseurs sont allés au-delà de la simple recherche de
clarifications, ce qui n’a pas été démontré en l’espèce. En conséquence, la
Cour rejette l’allégation de la Requérante selon laquelle l’État défendeur a
violé son droit à la présomption d’innocence et à être jugée par une
juridiction impartiale, protégé par l’article 7(1)(b) de la Charte.
iii. La condamnation de la Requérante fondée sur des preuves
insuffisantes, douteuses et par indices
108. La Requérante fait valoir que les dépositions des témoins à charge étaient
incohérentes et peu crédibles ; que le Tribunal de première instance s’est fondé sur des preuves par indices pour la déclarer coupable ; que la
préméditation n’a pas été prouvée et que le juge de première instance a fait
fi des conclusions des assesseurs qui l’innocentent.
109. L'État défendeur soutient que, suite au recours formé par la Requérante, la
Cour d’appel a examiné la question des incohérences présumées dans les
témoignages et de la recevabilité des preuves par indices, ce qui ne l’a pas
empêchée de confirmer la culpabilité de la Requérante. En général, l’État
défendeur affirme que ces incohérences étaient insignifiantes pour mettre
en doute la culpabilité de la Requérante. Il fait, en outre, valoir que l’avis
des assesseurs ne s'impose aucunement au juge de première instance, au
regard de l’article 298(2) de sa loi sur les procédures.
110. La Cour souligne que l’article 7 de la Charte peut être lu conjointement avec
l’article 14 du PIDCP, qui traite, de manière plus exhaustive, du droit à un
procès équitable**. Il ressort d’une lecture conjointe de ces deux
dispositions de la Charte et du PIDCP que le droit à un procès équitable
inclut le droit à un procès public devant un tribunal compétent, indépendant
et impartial.
111. La Cour considère, conformément à sa jurisprudence constante, que le
respect du droit à ce que sa cause soit entendue exige, dans les affaires
pénales, que la condamnation soit consécutive à une reconnaissance de
culpabilité au-delà de tout doute raisonnable®°. L'application de ce critère
34 Voir Xc By AM AL (fond et réparations), 8 73. Voir également An Ay Ap et 9 autres c. AL (fond), $$ 33 à 36. L’État défendeur est devenu parti au PIDCP le 11 juillet 1976. 35 Xc By AM AL (fond et réparations), 88 105 à 111. Voir également, Cr Bk Cr et un autre c. AL (fond), 88 59 à 64 et Bl Yk c. AL (fond), 88 174, 193 et 194.
est davantage pertinente lorsque l'accusé encourt une peine lourde“, telle
la peine de mort, comme c'est le cas en l’espèce.
112. La Cour relève, en outre, que même si elle ne peut se substituer aux
juridictions nationales pour évaluer en détail les éléments de preuve
présentés lors des procédures internes, elle conserve le pouvoir
discrétionnaire d’apprécier si la manière dont ces preuves ont été
examinées est en conformité avec les normes internationales pertinentes
en matière de droits de l'homme“. L'une des préoccupations principales, à
cet égard, est de veiller à ce que l’examen des faits et des preuves par les
juridictions nationales ne soit pas manifestement arbitraire ou ne conduise
à un déni de justice*.
113. En l’espèce, la Cour fait observer, au regard des allégations d’incohérence
et de manque de crédibilité des témoins à charge, qu’elle doit examiner les
griefs selon lesquels le Tribunal de première instance s’est fondé sur des
preuves par indices pour condamner la Requérante, la préméditation n’a
pas été prouvée et le juge de première instance n’a pas tenu compte des
conclusions des assesseurs. C’est en se fondant sur cette appréciation que
la Cour déterminera si la déclaration de culpabilité et la peine y afférente
sont conformes aux normes énoncées précédemment.
114. Bien que les allégations relatives à l’appréciation des preuves formulées par
la Requérante fussent relatives au procès devant la Haute Cour, il ressort
du dossier de la procédure en appel que la Cour d'appel a également
examiné ces questions et a confirmé les conclusions de la Haute Cour. De
l’appréciation de la Cour, cette insuffisance ou ce manque de crédibilité des
preuves produites devant la Haute Cour n’est corroborée par aucun élément
du dossier. Étant donné que la Haute Cour a entendu tous les témoins, la
Cour ne saurait, conformément à sa jurisprudence constante, procéder à un
Unie de AL, CAfDHP, Requête N° 032/2015, Arrêt du 25 juin 2021 (fond), 88 78 à 79.
37 Voir Bl Yk c. AL (fond), 88 26 et 173 ; Xc By AM AL (fond et réparations), 88 105 à 111 et Cr Bk Cr et un autre c. AL (fond), 88 59 à 64.
38 Voir Yk c. AL (fond), 88 26 et 173.
examen des motifs invoqués par ladite juridiction, sauf en cas d’erreur
manifeste, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
115. La Cour estime également que l’examen par les juridictions nationales de
ce que la Requérante qualifie de preuves par indices ne révèle aucune
erreur manifeste nécessitant son intervention. Dans le même ordre d’idées,
la Cour relève que la Haute Cour a clairement présenté les motifs pour
lesquels elle a jugé que la Requérante avait agi par préméditation ; elle n’a
pas porté secours au défunt lorsqu'il était en proie aux flammes et ne l’a pas
transporté à l'hôpital ou a refusé de l’y conduire.
116. La Cour relève également que, comme indiqué précédemment, dans le
système de l’État défendeur, les conclusions des assesseurs ne s'imposent
pas aux juges. Elle ne saurait donc conclure à une violation du droit à un
procès équitable du simple fait que le juge de première instance est passé
outre les conclusions des assesseurs.
117. Étant donné que les éléments de preuve versés au dossier ne révèlent
aucune erreur manifeste, qui aurait entraîné un déni de justice à la
Requérante, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas violé son droit à
un procès équitable garanti par l’article 7 de la Charte.
iv. Violation alléguée du droit à une représentation efficace
118. La Requérante affirme que l’avocat qui lui a été commis d’office était
incompétent, ce qui a donné lieu à une violation de l’article 7(1)(c) de la
Charte. Plus précisément, elle fait valoir que, devant la Haute Cour, son
avocat a fait preuve d’incompétence en ne citant pas de témoins à
décharge. Il s’agit, selon la Requérante, d’une « grosse défaillance en
termes de représentation efficace ». La Requérante reproche également à
son avocat de n’avoir pas cité de témoins de moralité qui auraient pu
déconstruire l’image de femme cruelle dont le ministère public l’a affublée.
119. L'État défendeur soutient que la Requérante était effectivement représentée
durant la procédure en première instance et en appel. || affirme également
que l’allégation de la Requérante selon laquelle son procès a été
« sabordé » par un avocat incompétent « est sans fondement dans la
mesure où aucun élément ne prouve qu’elle avait vraiment l'intention de
citer un quelconque témoin ». L'État défendeur soutient, du reste, que si
l’avocat de la Requérante s’était montré incompétent, elle avait la possibilité
de le « récuser devant le juge de première instance, ce qu’elle n’a pas fait ».
Citant l'affaire Ay Ap c. AL, il fait valoir qu’« un État ne peut
être tenu responsable pour toute faute commise par l’avocat commis d'office
120. La Cour fait observer qu’aux termes de l’article 7(1)(b) de la Charte, « [t]oute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend … le
droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de
son choix ».
121. La Cour rappelle qu’elle a conclu que l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP garantit à toute personne
accusée d’une infraction pénale grave le droit de se voir automatiquement
commettre un avocat et ce, à titre gracieux, chaque fois que l’intérêt de la
122. La Cour rappelle également qu’elle a déjà examiné le grief relatif à la
représentation efficace dans l’affaire Bi Yl c. AL, où elle
a conclu que le droit à une assistance judiciaire gratuite comprend le droit
de se faire assister par un avocat. Cependant, le droit de se faire assister
par un défenseur de son choix n’est pas absolu, lorsqu’il est exercé dans le
cadre d’un système d'assistance judiciaire gratuite“. Elle a également
39 Aw Yn AM AL (fond), 8 124.
#0 CEDH, Croissant c. Allemagne (1993), requête n° 13611/89, 8 29 ; Bt c. Autriche (1989), requête n° 9783/82, 8 65.
conclu que l’important est de savoir si l’accusé a bénéficié d’une assistance
judiciaire efficace et non s’il a pu se faire représenter par un défenseur de
son choix*!. La Cour rappelle qu’il est du devoir de l’État défendeur de
fournir une représentation adéquate à une personne accusée et d’intervenir
uniquement lorsque cette représentation ne l’est pas*?. Il importe toutefois
que toute allégation de représentation défaillante soit étayée par des
123. La Cour réitère, conformément à son arrêt rendu dans l'affaire Bx
Bn AM AL**, qu’un État ne saurait être tenu responsable de toute
lacune de la part d’un avocat désigné pour apporter une assistance
judiciaire. La qualité de la défense fournie relève essentiellement de la
relation entre le défendeur et son représentant. L’État ne devrait intervenir
qu’en cas de défaut manifeste de représentation effective porté à sa
connaissance. La Cour rappelle, toutefois, qu’en ce qui concerne la
représentation juridique effective par le biais d’un système d’assistance
judiciaire gratuite, il ne suffit pas que l’État fournisse le conseil. Les États
doivent également veiller à ce que les personnes qui fournissent une
assistance judiciaire dans le cadre de ce système disposent de
suffisamment de temps et de moyens pour préparer une défense adéquate,
et pour assurer une représentation efficace à tous les stades de la
procédure judiciaire, depuis l’interpellation de l'individu à qui cette
représentation est fournie.
124. La question qui se pose, en l’espèce, est celle de savoir si l’État défendeur
s’est acquitté de son obligation de fournir à la Requérante une assistance
judiciaire effective dans le cadre d’un système d’assistance judiciaire
gratuite et s’il a veillé à ce que le conseil dispose du temps et des moyens
nécessaires à la préparation de la défense de la Requérante.
#1 CEDH, Ya c. Suède (2003), requête n° 26891/95, 88 54 à 56.
42 CEDH, Bt c. Autriche, 8 65.
#WIbid., 8 75.
#4 Bx Bn AM AL (fond et réparations), 88 108 à 109.
125. La Cour relève que l’État défendeur a commis, à ses frais, un avocat à la
Requérante dans le cadre des procédures devant la Haute Cour. La Cour
relève, en particulier, que lors de sa mise en accusation et de l’audience
préliminaire, la Requérante était représentée par Maître (M°) Laurian, tandis
que lors de son procès devant la Haute Cour, sa défense était assurée par
Mes Ah et Bs Ck. Devant la Cour d’appel, la Requérante a
bénéficié des services de deux avocats, notamment M° Az Ar
At, qui a été commis d’office par l’État défendeur, et M° Br
Cw Ai, qu’elle a engagé à ses propres frais.
126. La Cour relève, en outre, qu’aucun élément du dossier ne démontre que
l’État défendeur a empêché les conseils cités précédemment d’avoir accès
à la Requérante en vue de l’assister dans la préparation de sa défense. Le
dossier ne révèle pas non plus que l’État défendeur a refusé d'accorder
auxdits conseils le temps et les moyens nécessaires pour préparer la
défense de la Requérante.
127. La Cour constate également qu'aucun élément dans le dossier ne démontre
que la Requérante a informé la Haute Cour ou la Cour d’appel d'éventuelles
lacunes dans la conduite de sa défense par ses conseils. Rien dans le
dossier ne permet, non plus, d’établir que la Requérante avait l’intention de
citer des témoins mais qu’elle en a été empêchée par la conduite de son
conseil. La Cour fait observer que la Requérante avait la latitude de faire
part aux juridictions internes de son mécontentement quant à la manière
dont elle était représentée, notamment le fait qu'aucun témoin à décharge
n’ait été cité pour réfuter les arguments du Ministère public. La Cour prend
particulièrement note de ce que, devant la Cour d’appel, la Requérante a
été représentée par un avocat de son choix, en plus de celui qui lui a été
commis d'office par l’État défendeur.
128. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas
violé le droit de la Requérante à une représentation effective et n’a pas donc
violé l’article 7(1)(c) de la Charte.
v. Allégation selon laquelle la condamnation à la peine de mort
obligatoire résulte d’un procès non-équitable
129. La Requérante soutient que les allégations de violation de l’article 7(1)
exposées en l’espèce ont à leur tour entrainé la violation de son droit à la
vie protégé par l’article 4 de la Charte, du fait de la condamnation à la peine
de mort obligatoire.
130. L'État défendeur fait valoir que le procès, la déclaration de culpabilité et la
peine prononcées à l’encontre de la Requérante sont conformes à la loi. Il
soutient également que la Requérante a joui du droit à ce que sa cause soit
entendue et que le Tribunal de première instance a régulièrement examiné
les éléments de preuve soumis par les deux parties. La Cour d’appel s’est
également assurée que les accusations portées à l’encontre de la
Requérante ont été prouvées au-delà de tout doute raisonnable et a
confirmé la décision querellée. L'État défendeur en conclut que le procès
de la Requérante a satisfait à tous les critères d’un procès équitable
énoncés à l’article 7 de la Charte.
131. La Cour a précédemment conclu que l’État défendeur n’a violé le droit de la
Requérante à un procès équitable qu’en ce qui concerne la période
anormalement longue qui s’est écoulée entre son arrestation et l’ouverture
de son procès devant la Haute Cour. Toutefois, la Cour estime que cette
violation n’a pas totalement entaché l’intégrité de la procédure ouverte
contre la Requérante devant les juridictions internes. Dans ces
circonstances, la Cour considère que la peine à laquelle la Requérante a
été condamnée n’est pas consécutive à une procédure menée en violation
du principe du procès équitable et rejette, en conséquence, les allégations
formulées par la Requérante.
D. Violation alléguée de l’article premier de la Charte
132. La Requérante soutient que l’État défendeur a violé l’article premier de la
Charte en ne modifiant pas son Code pénal qui prévoit la peine de mort
obligatoire ainsi que l’exécution de ladite peine par pendaison.
133. L’État défendeur fait, quant à lui, valoir que la Requérante a été jugée,
déclarée coupable et condamnée conformément à la loi et que la Cour
d’appel s’est assurée que les faits reprochés à la Requérante ont été
prouvés au-delà de tout doute raisonnable. Il soutient donc que l’allégation
de violation de l’article premier de la Charte doit être rejetée, celle-ci n'étant
pas fondée.
134. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « lorsque la
Cour constate que l’un quelconque des droits, des devoirs ou des libertés
inscrits dans la Charte a été restreint, violé ou non appliqué, elle en déduit
que l’obligation énoncée à l’article 1 de la Charte n’a pas été respectée ou
qu’elle a été violée »*°.
135. La Cour a conclu en l’espèce que l’État défendeur a violé les articles 4, 5 et
7(1)(d) de la Charte. Sur la base de ce qui précède, la Cour conclut que
l’État défendeur a violé l’article 1 de la Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
136. La Cour relève qu’aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « [IJorsqu’elle
estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour
#5 Aw Yn AM AL (fond), 8 135 ; Bx Xu et autres c. Ym Bf Zfond), 8 199 ; Bv Cv Xr et un autre c. AL (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 159.
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y
compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
137. Conformément à la jurisprudence de la Cour, pour que des réparations
soient accordées, la responsabilité de l’État défendeur doit être établie au
regard du fait illicite. Deuxièmement, le lien de causalité doit être établi entre
l’acte illicite et le préjudice allégué. En outre, et lorsqu’elle est accordée, la
réparation doit couvrir l’intégralité du préjudice subi.
138. La Cour rappelle qu’il incombe au requérant de fournir des éléments de
preuve pour justifier ses demandes“®. En ce qui concerne le préjudice moral,
la Cour a décidé que la règle de la preuve n’est pas aussi rigide, car le
préjudice moral est présumé en cas de violation*”.
139. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l’homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
140. En l’espèce, les demandes de réparations pécuniaires formulées par la
Requérante sont exprimées en dollars des États-Unis. La Cour a conclu
dans ses arrêts antérieurs que les réparations doivent être accordées, dans
la mesure du possible, dans la monnaie de l’État dans lequel le préjudice a
été subi*°. La Cour entend donc appliquer cette norme, en l'espèce. Par
conséquent, les réparations pécuniaires, si elles sont accordées, seront
exprimées en shilling tanzanien.
46 Bv Yc et autres c. Rwanda (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 680, 8 139 ; Voir également Bw Cx Yo Yq c. AL (réparations), 8 40 ; Ac Xs Xf c. Ym Bf Zréparations), 8 15(d) et Yd Aj c. AL (fond et réparations), 8 97.
#7 Bz Xh et autres c. AL (fond et réparations), 8 136 ; Xc By AM AL (fond et réparations), 8 55 ; Ag Aa Xo République-unie de AL (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 13, 8 119 ; Bx Xu et autres c. Ym Bf Zréparations), 8 55.
# Am Cg Yf c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 20. Voir également Yd Aj c. AL (fond et réparations), 8 96.
#9 Voir, Ag Aa Xo c. AL (fond et réparations), 8 120 et Am Cg Yf c. Rwanda (réparations), 8 45.
141. La Cour a constaté, en l'espèce, que l’État défendeur a violé les droits de la
Requérante à la vie, à la dignité et à un procès équitable, protégés
respectivement par les articles 4, 5 et 7 de la Charte. La Cour en conclut
que la responsabilité de l’État défendeur a été établie. Elle va donc
examiner les demandes de réparation formulées par la Requérante.
A. Réparations pécuniaires
142. La Requérante sollicite de la Cour qu’elle lui accorde des réparations
pécuniaires pour le préjudice matériel et moral qui, selon elle, résulte des
violations subies du fait de l’État défendeur.
i. Préjudice matériel
143. La Requérante soutient que, lors de son arrestation, la police a saisi sa
voiture et sa moto, qui, à la date du dépôt de la présente Requête, n’avaient
pas été restituées à sa famille. La Requérante demande donc à la Cour
d’ordonner la restitution de ses biens, et ce, dans le même état qu’ils étaient
avant la saisie. En ce qui concerne le montant des dommages-intérêts, la
Requérante fait valoir que « la valeur marchande d’une Land Cn
Av neuve est de cent six mille trois cents (106 300) dollars EU et
celle d’une Land Cn Av d'occasion d’un modèle et d’un âge
similaires (en tenant toutefois compte de sa dépréciation et de la vétusté
qu’elle aurait pu connaître pendant la période d’incarcération de la
Requérante) serait d’environ quarante mille cinq cents (40 500) dollars
144. La Requérante demande à la Cour de lui octroyer une juste compensation
pour le préjudice matériel subi, en tenant compte du principe d’équité et des
dix (10) années d’incarcération.
145. La Requérante demande également le remboursement à Mme Barbara
Doerner, sa belle-sœur, des frais de justice encourus durant la procédure
d'appel. Elle sollicite, en outre, la somme de cinq mille dollars (5 000) dollars
EU pour la préparation et le dépôt par son conseil de ses moyens d’appel
et celle de huit mille (8 000) dollars EU pour les frais de représentation du
conseil en appel. Au total, la Requérante sollicite le paiement de la somme
de treize mille (13 000) dollars EU au titre de frais de justice.
146. Dans son mémoire en réplique, la Requérante fait valoir qu’elle était dans
l'impossibilité de produire la carte grise de son véhicule de marque Land
Rover Discovery-TDI 300 immatriculé T382 ADJ, étant donné que celui-ci a
été saisi par la police. Elle a, en outre, déclaré qu’elle ne pouvait, non plus,
produire la carte grise de sa moto immatriculée T 292 AWD, ne se
souvenant plus de la personne détentrice du document. Elle a, par ailleurs,
indiqué qu’elle n’était pas, non plus, en mesure de produire des licences
d’exploitation de son entreprise de pêche puisqu'elle exerçait cette activité
à petite échelle et de manière informelle.
147. L'État défendeur fait valoir que la demande de réparations pécuniaires pour
la saisie présumée de la voiture et de la moto de la Requérante est sans
fondement, celle-ci n'ayant pas apporté de preuve de sa qualité de
propriétaire de ces biens ou de leur saisie par la police. L’État défendeur
demande donc la Cour de ne pas faire droit aux demandes de réparations
formulées par la Requérante.
148. La Cour rappelle que lorsqu’un requérant demande la réparation d’un
préjudice matériel, un lien de causalité doit, non seulement, exister entre la
violation constatée et le préjudice subi, mais il doit également préciser la
nature du préjudice et en apporter la preuve®°.
50 Cq Bg c. République-Unie de AL, CAfDHP, Requête N° 032/2015, Arrêt du 25 juin 2021(réparations), 8 20.
149. En l’espèce, la Cour a conclu à la violation des droits de la Requérante
protégés par les articles 4, 5 et 7 de la Charte. La Cour relève toutefois que
la Requérante n’a pas établi de lien de causalité entre la violation de ses
droits précités et la saisie alléguée de sa moto et de sa voiture.
150. La Cour rappelle, en ce qui concerne le préjudice matériel, que selon les
principes généraux applicables, la charge de la preuve incombe au
requérant*!. En l’absence de preuve documentaire produite par la
Requérante à l’appui de ses prétentions, la Cour rejette sa demande de
réparation du préjudice matériel.
151. S'agissant de la demande de remboursement des frais de justice, la Cour
rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle la réparation due aux
victimes des violations des droits de l’homme peut également inclure le
remboursement des honoraires d'avocats*?. Toutefois, la Cour constate
qu’en l’espèce, la Requérante n’a pas fourni de preuves à l’appui de ses
demandes de remboursement de frais de justice. La Cour rejette donc les
demandes formulées par la Requérante sur ce point.
ii. Préjudice moral
152. La Requérante demande à la Cour de lui accorder des réparations au titre
du préjudice moral subi en faisant valoir deux moyens. Le premier est relatif
à la perturbation de son projet de vie du fait de son arrestation, sa
condamnation et sa détention dans le couloir de la mort. La Requérante
soutient qu'avant les poursuites pénales dont elle a fait l’objet, elle avait créé
une association caritative ayant pour but de lutter contre les mutilations
génitales féminines. Elle ajoute qu’elle travaillait, également, en
collaboration avec des groupes de femmes dans la communauté. Elle
51 Ac Xs Xf c. Ym Bf Zréparations), 8 15. Bl Yk c. AL (réparations)
52 Bx Xu et autres c. Ym Bf Zréparations), 8 79 ; Yq c. AL (réparations), 8 39. Bl Yk c. AL (réparations), 8 81.
affirme, en outre, que son incarcération l’a séparée de sa famille et de ses
amis ainsi que de sa fille. La Requérante soutient, selon le deuxième
moyen, que les huit (8) années passées dans le couloir de la mort ont été
traumatisantes et particulièrement éprouvantes pour elle en raison de son
âge avancé et de son état de santé.
153. À la lumière de ce qui précède, la Requérante demande à la Cour de lui
accorder :
ii Au regard des mesures de réparation précédemment ordonnées dans
l’affaire Ac Xs Xf c. Ym Bf Zréparations), Arrêt du 3 juin
2016, Requête n° 4 de 2013, un montant forfaitaire de vingt-mille (20
000) dollars EU à titre de réparation du préjudice moral qu’elle a subi,
majoré de dix mille (10 000) dollars EU en considération des souffrances
atroces endurées du fait de son séjour prolongé dans le couloir de la
mort ; ou
ii. Au regard des mesures de réparation précédemment ordonnées dans
l’affaire Xu, supra, un montant calculé sur la base du salaire
minimum annuel moyen actuel en AL qui s’élève à mille cinq cent
quatre-vingt-treize (1 593) dollars EU multiplié par ses dix (10) années
de détention dans le couloir de la mort, soit un total de dix-sept mille cinq
cent vingt-trois (17 523) dollars EU, majoré de dix mille (10 000) dollars
EU en considération des souffrances atroces qu’elle a endurées du fait
de son séjour prolongé dans le couloir de la mort ; ou encore
iii. Au regard des mesures de réparation précédemment ordonnées dans
l’affaire Xu, supra, un montant calculé sur la base de la valeur
statistique d’une vie humaine (VSV) en AL, estimée à cent
cinquante-huit mille (158 000) dollars EU, compte tenu d’une espérance
de vie d’environ soixante-cinq (65) ans (Income Elasticities and Global
Values of a Cy Au, Journal of Benefit-Cost Analysis (2017), p.
247), soit une valeur de vingt-quatre mille trente-huit (24 308) dollars EU
pour les 10 années de vie qu’elle a perdues en raison de son
incarcération, majoré de dix mille (10 000) dollars EU en considération des souffrances atroces qu’elle a endurées du fait de son séjour
prolongé dans le couloir de la mort.
154. L'État défendeur soutient qu’il n’a commis aucune violation, ni causé un
quelconque préjudice à l’encontre de la Requérante. Par ailleurs, il n'existe
aucune preuve permettant d'établir le lien de causalité entre le préjudice
subi et la violation alléguée des droits de la Requérante.
155. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le préjudice
moral est présumé en cas de violation des droits de l’homme et l’évaluation
du montant de la réparation y relative devrait se faire sur la base de l’équité,
en tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire**. La
Cour a adopté le principe consistant à accorder une somme forfaitaire dans
de telles circonstances®*.
156. La Cour relève que l’État défendeur a violé le droit de la Requérante à la
vie, son droit à la dignité et son droit à un procès équitable, ce qui lui a causé
un préjudice moral. Par conséquent, la Requérante a droit à des réparations
au titre de préjudice moral.
157. La Cour note également que la perturbation du projet de vie de la
Requérante est liée à son incarcération. Toutefois, n’ayant pas établi
l'ilégalité de cette incarcération, la Cour ne saurait, par conséquent,
accorder de réparation au titre du préjudice subi.
158. La Cour rappelle toutefois qu’elle a estimé que le caractère obligatoire de la
peine de mort constituait une violation des articles 4 et 5 de la Charte et que
l’ouverture tardive du procès de la Requérante était contraire aux
58 Bx Xu et autres c. Ym Bf Zréparations), 8 55 ; Am Cg Yf c. Rwanda (réparations), 8 59 ; Cx Co c. République-Unie de AL, CAÏDHP, Requête N° 001/2015, Arrêt du 25 septembre 2020 (réparations), 8 23.
54 Lucien lIkili Xo c. AL (fond et réparations), 8 119 ; Cl Xp c. République-Unie de
AL (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 415, 88 84 à 85 ; Xc By AM AL (fond et
réparations), 8 177 ; Cx Co c. AL (réparations), 8 24.
dispositions de l’article 7(1)(d) de la Charte. Elle réitère ainsi sa
jurisprudence selon laquelle, en matière de violations des droits de
l’homme, la réparation du préjudice moral est accordée en toute équité, à la
discrétion de la Cour.
159. La Cour relève que la Haute Cour a condamné la Requérante à la peine de
mort par pendaison le 19 septembre 2011 et que la sentence a été
confirmée par la Cour d’appel le 11 mars 2013. La Cour de céans estime
que la Requérante a subi un préjudice à compter de la date de prononcé de
sa peine. Le stress psychologique dans lequel la Requérante a été plongée
s’est exacerbé par l'incertitude liée à l’attente de l'issue de son recours en
appel et de son éventuelle exécution. Le préjudice subi par la Requérante
a été également aggravé par le retard dans l’ouverture de son procès. Il s’en
infère que la Requérante a, sans le moindre doute, subi un traumatisme.
160. Au regard de ce qui précède, la Cour constate que la Requérante a subi
des souffrances morales et psychologiques et décide de lui accorder la
somme de sept millions (7 000 000) de shillings tanzaniens, à titre de
réparation du préjudice moral subi.
B. Réparations non-pécuniaires
161. La Requérante demande à la Cour d'annuler sa condamnation et
d’ordonner sa remise en liberté. La Cour, relevant que la Requérante
formule également des demandes relatives à la loi de l’État défendeur
prévoyant la peine de mort obligatoire, et à la lumière de ses conclusions
antérieures dans le présent Arrêt, estime qu’il convient d'examiner d’abord
la demande relative à l’amendement du Code pénal.
i. Garanties de non-répétition
162. La Requérante demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de modifier
ses lois pour prendre en compte la protection du droit à la vie garanti par l’article 4 de la Charte, par la suppression de la peine de mort obligatoire,
prévue pour les cas de meurtre.
163. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
164. La Cour rappelle que, dans des arrêts antérieurs relatifs à la peine de mort
obligatoire et concernant le même État défendeur, elle avait ordonné que
les dispositions de son Code pénal prévoyant la peine de mort obligatoire
soient abrogées de manière à le rendre conforme aux obligations
internationales dudit État défendeur°5. La Cour prend acte du fait que trois
(3) ans après le prononcé du premier arrêt de ce type, l’État défendeur n’a
pas, à la date du présent Arrêt, mis en œuvre ladite ordonnance. Il est à
noter que des ordonnances identiques ont également été émises dans deux
autres arrêts rendus en 2021 et 2022, dont aucune n’a été mise en œuvre
à ce jour.
165. Il résulte de l’inexécution par l’État défendeur des décisions antérieures de
la Cour que des personnes se trouvant dans une situation similaire à celle
de la Requérante courent toujours le risque d’être exécutées si elles sont
condamnées ou d’encourir la peine de mort obligatoire si elles sont jugées.
166. Afin de garantir la non-répétition de la violation constatée en l’espèce, la
Cour ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires
pour supprimer de son Code pénal la disposition qui prévoit l’imposition
obligatoire de la peine de mort°é.
ii. Remise en liberté
55 Bx Bn AM AL, 8 207 et Ar Cs AM AL, 8 170.
56 Bz Xh et autres c. AL (fond et réparations), 8 136.
167. La Requérante fait valoir qu’il existe des raisons impérieuses qui justifient
que la Cour ordonne sa remise en liberté. Elle soutient, notamment, que la
réouverture des débats avec la défense ou la tenue d’un nouveau procès
« entraînerait un préjudice et, éventuellement, un déni de justice », et ce,
eu égard aux circonstances suivantes : le temps qui s’est écoulé depuis la
commission présumée de l’infraction, le caractère inéquitable du maintien
de la Requérante en détention dans l’attente d’un nouveau procès après dix
ans d’emprisonnement, le risque qu’un nouveau procès n’aboutisse à
l'imposition en toute illégalité d’une peine de mort obligatoire, l’existence
d’éléments de preuves viciés non susceptibles d’être rectifiées dans le
cadre d’une nouvelle procédure, et sa réhabilitation.
*
168. L'État défendeur soutient que la Cour devrait rejeter cette demande dans la
mesure où la Requérante a été arrêtée, déclarée coupable et condamnée
conformément à la loi.
169. La Cour rappelle, s'agissant de la demande de remise en liberté, qu’elle ne
peut ordonner une telle mesure que s’il existe des circonstances
impérieuses. La Cour fait observer que ses conclusions dans la présente
Requête ne portent que sur la peine prononcée à l’encontre de la
Requérante ; ce qui n’affectent nullement la déclaration de sa culpabilité. La
demande de remise en liberté n’étant donc pas justifiée, la Cour la rejette
en conséquence.
170. La Cour considère toutefois que, même si la Requérante déclare ne pas
souhaiter la réouverture de l’affaire de la défense ou la tenue d’un nouveau
procès, il est dans l’intérêt de la justice de rendre une ordonnance connexe
pour donner effet à l’ordonnance corrélative visant la suppression de la
disposition interne relative à la peine de mort obligatoire. La conclusion de
la Cour selon laquelle l’État défendeur a violé les articles 4, 5 et 7 de la
Charte a une incidence sur la peine prononcée à l’encontre de la Requérante, au regard de la nature obligatoire de la peine de mort, ce qui
donne lieu à des mesures correctives.
171. Par conséquent, la Cour ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les
mesures nécessaires pour juger à nouveau l’affaire en ce qui concerne la
condamnation de la Requérante par le biais d’une procédure qui ne permet
pas l’imposition obligatoire de la peine de mort et maintient la discrétion de
l’officier de justice.
iii. Restitution
172. La Requérante fait remarquer qu’il lui est impossible d’être ramenée à la
condition qui était la sienne avant son incarcération. S'appuyant sur l’affaire
Bb Cb Ax Organisation & Centre on Xi Ax et Bh
AM Xg, elle sollicite l’allocation de sommes d'argent à titre de dommages
et intérêts pour tenter de la rétablir dans la situation qui était la sienne avant
qu’elle ne subisse les violations.
173. L'État défendeur fait valoir que, la Requérante n’étant victime d’aucune
action ou négligence délibérée de sa part, elle ne peut demander à
percevoir des dommages et intérêts sous forme de restitution.
174. La Cour note que la Requérante demande des dommages et intérêts sous
forme de restitution. Ayant déjà ordonné à l’État défendeur de verser une
indemnité à la Requérante à titre de réparation du préjudice moral qu’elle a
subi, de tenir une audience pour la fixation d’une nouvelle peine à l’encontre
de la Requérante et conclu à l’incompatibilité de la peine de mort obligatoire
avec la Charte, la Cour estime que la demande de restitution a déjà été
prise en compte. En conséquence, la Cour rejette la demande de
dommages-intérêts sous forme de restitution formulée par la Requérante.
iv. Publication
175. Aucune des Parties n’a soumis d’observations concernant la publication du
présent Arrêt.
176. La Cour estime toutefois que, pour des motifs désormais fermement établis
dans sa pratique, et compte tenu des circonstances particulières de
l'espèce, la publication du présent Arrêt se justifie. À l’état actuel du droit
dans l’État défendeur, les menaces à la vie liées à la peine de mort
obligatoire persistent. Rien n’indique non plus si des mesures sont prises
de manière à modifier et aligner le Code légal sur les obligations
internationales de l’État défendeur en matière de droits de l’homme. Il en
résulte que les garanties prévues par la Charte ne sont toujours pas
certaines pour les justiciables. La Cour estime donc qu’il y a lieu de rendre
une ordonnance de publication du présent Arrêt.
v. Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
177. À l’exception d’une demande générale tendant à ce que la Cour ordonne
toutes autres mesures qu’elle juge appropriées à titre de réparation, les
deux Parties n’ont pas formulé de demandes spécifiques concernant la mise
en œuvre et la soumission de rapports.
178. Les motifs invoqués concernant la décision de la Cour d’ordonner la
publication de l’Arrêt même en l’absence de demandes expresses des
Parties à cet égard, s'appliquent également à la mise en œuvre et à la
soumission de rapports. S'agissant particulièrement de la mise en œuvre,
la Cour relève que, dans ses précédents arrêts ordonnant l’abrogation de la
disposition relative à la peine de mort obligatoire, elle a enjoint à l’État
défendeur de mettre en œuvre les décisions dans un délai d’un (1) an à compter de leur prononcé.” Compte tenu de la réticence à l’égard de la
mise en œuvre, démontrée précédemment dans le présent Arrêt, la Cour
considère que le fait de réintroduire le même délai dans la présente Requête
ne rendrait pas justice à l’urgence de faire supprimer la disposition
contestée du Code pénal de l’État défendeur. Sur la base de ces
considérations, la Cour décide de fixer le délai de mise en œuvre à six (6)
mois à compter de la date du présent Arrêt.
179. En ce qui concerne la soumission de rapports, la Cour estime qu’elle est
requise par la pratique judiciaire. S'agissant particulièrement des délais, la
Cour note que le temps alloué dans les arrêts non-encore mis en œuvre
s’évalue cumulativement à trois (3) ans. Pour les mêmes raisons que celles
exposées dans l’ordonnance relative à la publication et à la mise en œuvre
de l’Arrêt, le rapport devrait être soumis dans un délai plus court que celui
fixé dans chacun des arrêts. La Cour estime que le délai approprié devrait
être de six (6) mois en l’espèce.
180. La Cour constate également que l’État défendeur n’a mis en œuvre ses
ordonnances dans aucune des affaires précitées où il lui a été enjoint
d’abroger la peine de mort obligatoire, dont les délais de mise en œuvre ont,
par ailleurs, depuis expiré. Compte tenu de ce fait, la Cour considère
toujours que les ordonnances se justifient dans la mesure où elles
constituent des mesures de protection individuelle et une réaffirmation
générale de l'obligation et de l’urgence pour l’État défendeur d’abolir la
peine de mort obligatoire et de prévoir des mesures de substitution.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
181. Aucune des Parties n’a conclu sur les frais de procédure.
57 Bz Xh c. AL, ibid, & 171, xv, xvi; Bx Bn AM AL, ibid, 8 203.
182. Aux termes de la règle 32(2) du Règlement, « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
183. La Cour note, en l’espèce, qu’il n’existe aucune raison de déroger à ce
principe. En conséquence, la Cour décide que chaque Partie supporte ses
frais de procédure.
DISPOSITIF
184. Par ces motifs,
LA COUR,
Sur la compétence :
i. Rejette l’exception d’incompétence soulevée par l’État défendeur ;
ii. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit de la Requérante à
procès équitable, consacré à l’article 7(1)(b) de la Charte en ce qui
concerne la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité
soit établie par une juridiction compétente ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit de la Requérante à
une représentation efficace, protégé par l’article 7(1)(c) de la
Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit de la Requérante à un
procès équitable consacré à l’article 7(1) de la Charte en ce qui
concerne l’allégation selon laquelle elle a été condamnée sur la
base de preuves insuffisante, douteuses et par indices ;
viii. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la vie de la Requérante,
protégé par l’article 4 de la Charte en raison du caractère obligatoire
de la peine de mort ;
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la dignité, protégé par
l’article 5 de la Charte en imposant la pendaison comme mode
d’exécution de la peine de mort ;
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit d’être jugé dans un délai
raisonnable, protégé l’article 7(1)(d) de la Charte ;
xi. Dit que l’État défendeur a violé l’article premier de la Charte.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
xii. Rejette les demandes de réparation formulées par la Requérante
au titre du préjudice matériel ;
xiii. Rejette la demande de la Requérante relative au remboursement
des frais de justice ;
xiv. Fait droit à la demande de réparation formulée par la Requérante
au titre du préjudice moral et lui accorde la somme de sept millions
(7) de shillings tanzaniens ;
xv. Ordonne à l’État défendeur de payer le montant indiqué au point
(xiii) ci-dessus, en franchise d’impôt, à titre de juste compensation
dans un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du
présent Arrêt, faute de quoi il sera tenu de payer des intérêts
moratoires calculés sur la base du taux en vigueur de la Banque de AL pendant toute la période de retard jusqu’au paiement
intégral des sommes dues.
Réparations non-pécuniaires
xvi. Rejette la demande de la Requérante visant sa remise en liberté ;
xvii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois, pour supprimer de ses
lois la peine de mort obligatoire ;
xvii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires dans un délai d’un (1) an à compter de la notification
du présent Arrêt, pour juger à nouveau l’affaire en ce qui concerne
la condamnation de la Requérante par le biais d’une procédure qui
ne permet pas l'imposition obligatoire de la peine de mort et
maintient la discrétion de l’officier de justice ;
xix. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dans un délai
de trois (3) mois à compter de la date de sa notification, sur le site
Internet du ministère de la Justice et du ministère des Affaires
constitutionnelles et juridiques, et de veiller à ce qu’il y reste
accessible pendant au moins un (1) an après la date de sa
publication ;
xx. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre un premier rapport sur
la mise en œuvre du présent Arrêt, dans un délai de (6) mois, à
compter de sa notification, puis des rapports selon la même
périodicité jusqu’à exécution totale de toutes les mesures qui y sont
contenues.
Sur les frais de procédure
xxi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Blaise TCHIKAYA, Vice- président ; ge Ben KIOKO, Juge NES
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; MG he)
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge Las ions lan
Chafika BENSAOULA, Juge ; GE
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ;
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l’Opinion individuelle du Juge Blaise Tchikaya est jointe au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce premier jour du mois de décembre de l’année deux-mille vingt-deux, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 012/2019
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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