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13/06/2023 | CADHP | N°003/2019

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 13 juin 2023, 003/2019


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Cj C
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 003/2019
ARRÊT SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE.
A Faits de la cause
B Violations alléguées.…
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
B Sur les autres aspects de la compétence
VI. SUR LA RECEVA

BILITÉ
A Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
10
B Sur les autres conditions d...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Cj C
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 003/2019
ARRÊT SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE.
A Faits de la cause
B Violations alléguées.…
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
V. SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
B Sur les autres aspects de la compétence
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
10
B Sur les autres conditions de recevabilité 13
VII. SUR LE FOND 14
A Allégation relative à la condamnation sur le fondement de preuves
douteuses 15
B Allégation relative au caractère discriminatoire de l’examen des preuves… 19
VIII. SUR LES RÉPARATIONS 21
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 22
X. DISPOSITIF 22 La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella
|. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Modibo SACKO et Dennis D. ADJEI — Juges ; et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et
des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour, de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
Cj C
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii M. Co Be AG, Cc Ci, Bureau du Solicitor General,
et
ii. Mme Ca Cd Ah, Ab Cc Ci, Bureau du Solicitor
General.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Cj C Zci-après dénommé «le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien. Au moment du dépôt de la présente Requête, il
était incarcéré à la prison centrale de Butimba en attente de l’application de
la peine de mort prononcée à son encontre pour meurtre. Le Requérant
allègue la violation de son droit à un procès équitable dans le cadre des
procédures judiciaires nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte »), le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également
déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole
(ci-après désigné « le Protocole »), par laquelle elle accepte la compétence
de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d'individus et
d'organisations non gouvernementales. Le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine, un instrument de retrait de sa Déclaration faite en vertu de l’article
34(6) du Protocole. La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait
aucune incidence sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires
introduites devant elle avant sa prise d’effet un (1) an après le dépôt de
l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020!
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. | ressort du dossier devant la Cour que le Requérant a été arrêté et mis en
accusation pour le meurtre de son voisin (Cm ClX, commis dans la
nuit du 1% octobre 2002 au village d’Inolelo (Région de Mwanza).
+ Al Ad Ac c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020), 4 RICA 219, 8 38.
4. Le 8 avril 2005, le Requérant en a été déclaré coupable puis condamné à
mort par pendaison, par le Tribunal du Juge résident de Mwanza à
compétence élargie. Se sentant lésé, le Requérant a interjeté appel de ce
jugement qui a été confirmé, le 29 avril 2010, par la Cour d’appel siégeant
à Mwanza.?
5. Le 07 septembre 2010, le Requérant a déposé une demande de prorogation
de délai afin d’introduire un recours en révision de l’arrêt de la Cour d’appel.
Selon lui, ladite demande a été rejetée le 19 septembre 2013.
B. Violations alléguées
6. Le Requérant affirme que l’État défendeur l’a condamné en se fondant sur
l’identification visuelle la moins fiable qui soit, tirée de la déposition d’un seul
témoin. Il affirme que la preuve a été obtenue sans prestation de serment
du témoin et n’a non plus été corroborée. Il soutient qu’elle comporte
plusieurs contradictions et incohérences fondamentales qui ébranlent la
crédibilité des témoins. Le Requérant soutient que la Cour d’appel de l’État
défendeur s’est privée de la possibilité de corriger ses erreurs en n’accédant
pas à sa demande de prorogation de délai de sa dépôt de sa demande de
révision de la décision de ladite juridiction. Il en déduit que l’État défendeur
a violé son droit à une égale protection de la loi et son droit à un procès
équitable, protégés respectivement par les articles 3 et 7 de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête a été déposée au Greffe le 22 janvier 2019, le Requérant a
déposé ses conclusions sur les réparations le 18 février 2019.
2 11 convient de noter que le tribunal du juge résident à compétence étendue peut, en vertu de l’article 173 de la loi portant code de procédures pénales (CPA) de la Tanzanie connaître des infractions qui « relèvent d'ordinaire de la Haute Cour ».
8. Le 6août 2019, la Requête ainsi que les conclusions sur les réparations ont
été communiquées à l’État défendeur.
9. Le 24 octobre 2019, le Greffe a attiré l’attention des Parties sur les
dispositions de l’article 55 du Règlement,* en vertu desquelles la Cour peut
rendre un arrêt par défaut si l’État défendeur ne dépose pas sa réponse
dans les délais prescrits.
10. Après avoir bénéficié de plusieurs prorogations de délais, l’État défendeur
a déposé sa réponse qui a été communiquée au Requérant le 20 décembre
2022, aux fins de sa réplique, dans un délai de trente (30) jours, à compter
de la date de réception. Le Requérant n’y a pas donné suite.
11. Les débats ont été clôturés le 24 janvier 2023 et les Parties en ont dûment
reçu notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
12. Le Requérant demande à la Cour de remédier, par des mesures
appropriées, à la violation de ses droits, notamment en ordonnant son
acquittement et sa mise en liberté ainsi que le paiement d’une somme
équivalente au revenu annuel d’un citoyen de l’État défendeur pour chaque
année de détention.
13. Dans ses conclusions sur les réparations, le Requérant sollicite de la Cour
ce qui suit :
ii En vertu de l’article 27 du Protocole, ordonner à titre de réparation de
base, l’acquittement du Requérant immédiatement après que la Cour
aura établi la violation ainsi que le paiement d’une somme évaluée en
tenant compte de la période pendant laquelle le Requérant est resté en
détention et du ratio national du revenu annuel d’un citoyen.
3 Règle 63 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2020.
i. En vertu de l’article 7(1)(c) de la Charte, lorsque la Cour constate qu’un
requérant n’a pas bénéficié de l’assistance d’un défenseur de son choix
en première instance et en appel, elle peut ordonner son acquittement
et sa remise en liberté.
14. Ence qui concerne la compétence et la recevabilité, l'État défendeur, quant
à lui, demande à la Cour de :
i. Dire et juger que l'honorable Cour n’est pas compétente pour connaître
de la Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité prévues aux articles 56(6) de la Charte, 6(2) du Protocole et
40(6) du Règlement intérieur de la Cour ;
iii. Dire et juger que la Requête est irrecevable.
15. S’agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de :
ii Dire et juger qu’il n’a pas violé les droits du Requérant à l’égale
protection de la loi et le droit à un procès équitable, protégés par les
articles 3 et 7 de la Charte .
ii. Dire et juger que le Requérant a été jugé et condamné conformément
aux lois en vigueur et aux normes internationales en matière de droits
iii. Rejeter la Requête.
16. En ce qui concerne les réparations, l’État défendeur demande à la Cour de :
ii Dire et juger que l'interprétation et l’application du Protocole et de la
Charte ne confère pas à la Cour la compétence pour acquitter le
Requérant ;
ii. Dire et juger que l’[État] défendeur n’a pas violé les dispositions citées
de la Charte et que le Requérant a été reconnu coupable, en toute
équité, dans le cadre d’une procédure régulière ;
iii. Ne pas faire droit à la demande de réparations ;
iv. Ordonner toutes autres mesures que l'honorable Cour estime justes et
appropriées compte tenu des circonstances de l’espèce.
V. SUR LA COMPÉTENCE
17. La Cour note que l’article 3 du Protocole est libellé comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
18. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « [Na Cour procède à un
examen préliminaire de sa compétence […] conformément à la Charte, au
Protocole et au [.…] Règlement ».
19. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer
sur les éventuelles exceptions d’incompétence.
20. La Cour constate qu’en l'espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. La Cour va statuer sur ladite exception (A) avant
de se prononcer sur les autres aspects de sa compétence (B).
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
21. L'État défendeur soutient que le Requérant demande à la Cour d’ordonner
sa mise en liberté en alléguant que ses juridictions internes ont mal apprécié
les preuves sur la base desquelles il a été condamné. Selon l’État
défendeur, par une telle demande, le Requérant sollicite de la Cour qu’elle
statue en tant que juridiction d'appel, et ce, en dehors de son champ de
compétence. Invoquant la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Aj Bn
Av c. At Bb, l’État défendeur soutient que l’article 3 du Protocole ne confère pas à la Cour une compétence d'appel lui permettant de statuer
sur des questions qui ont été tranchées par sa plus haute juridiction.
22. Le Requérant n’a pas conclu sur ce point.
23. La Cour note qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est compétente
pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie, pour autant qu’elles
portent sur des allégations de violation de droits protégés par la Charte ou
par tout autre instrument relatif aux droits de l'homme et ratifié par l’État
concerné.
24. En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle la Cour exercerait une
compétence d'appel si elle venait à examiner certains griefs sur lesquels
les juridictions internes de l’État défendeur se sont déjà prononcées, la Cour
réaffirme sa position selon laquelle elle n’exerce pas de compétence
d’appel relativement aux griefs déjà examinés par des juridictions
nationales.* La Cour rappelle également que, nonobstant ce qui précède,
elle conserve le pouvoir d’apprécier la conformité des procédures
nationales aux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme
ratifiés par l’État concerné. Pour autant, cette attribution ne fait pas d’elle
une juridiction d’appel.°
25. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par l’État
défendeur et conclut qu’elle a la compétence matérielle en l’espèce.
* Ernest Bt Bd c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013), 1 RICA 197, 8 14 ; Bz Cn c. Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RICA 67, 8 26 ; Bc Ck ZBo BrX et Az Bc ZBy CgX c. Tanzanie (fond) (23 mars 2018), 2 RICA 297, 8 35.
5 As Bk c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 493, 8 33 ; Af Bh Af et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018), 2 RICA 539, 8 29 et Au Cj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 8 130.
B. Sur les autres aspects de la compétence
26. La Cour relève que les autres aspects de sa compétence ne sont pas
contestés par les Parties. Néanmoins, conformément à la règle 49(1) du
Règlement, elle doit s'assurer que tous les aspects de sa compétence sont
satisfaits avant de poursuivre l’examen de la Requête.
27. En ce qui concerne sa compétence personnelle, comme indiqué au
paragraphe 2 ci-dessus, l’État défendeur a déposé l'instrument de retrait de
la Déclaration le 21 novembre 2019. La Cour a décidé que le retrait de la
Déclaration n’avait aucun effet rétroactif sur les affaires pendantes, ni
aucune incidence ni sur les nouvelles affaires introduites avant sa prise
d’effet un (1) an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22
novembre 2020.
28. En ce qui concerne la compétence temporelle, la Cour observe que les
violations alléguées dans la Requête découlent du jugement du tribunal du
juge résident du 8 avril 2005 et de l’arrêt de la Cour d’appel du 29 avril 2010.
La Cour note, en outre, que bien que les deux (2) décisions soient
postérieures à la ratification par l’État défendeur de la Charte et du
Protocole, le premier jugement a été rendu avant le dépôt, par l’État
défendeur de la Déclaration.
29. Nonobstant ce qui précède, la Cour relève que les violations alléguées ont
un caractère continu, le Requérant restant condamné et en attente de
l’application de la peine de mort qui a été prononcée par le Tribunal du juge
résident de Mwanza, sur le fondement de ce qu’il considère comme une
procédure inéquitable.S En conséquence, la Cour estime qu’elle a la
compétence temporelle en l'espèce.
€ Aq Bj Ax et Legal and Ch Bi Centre c. Tanzanie (fond) (14 juin 2013) 1 RICA 34, 8 84 ; Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 8 65 ; Bz Cn c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 29 (ii).
30. La Cour estime qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure où les
violations alléguées se sont produites sur le territoire de l’État défendeur.
31. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
32. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Na Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
33. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au
présent Règlement ».
34. La règle 50(2) du Règlement qui reprend, en substance, les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure
de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
35. La Cour doit s'assurer que la Requête satisfait à toutes ces conditions de
recevabilité.
36. En l'espèce, la Cour observe que l'État défendeur a soulevé une exception
d’irrecevabilité tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable.
La Cour va se prononcer sur ladite exception (A) avant d’examiner, si
nécessaire, les autres conditions de recevabilité (B).
A. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
37. L'État défendeur affirme que la Requête n’a pas été introduite dans un délai
raisonnable après l’épuisement des recours internes. À cet égard, il précise
que la Cour d’appel a rendu son arrêt le 29 avril 2010. En outre, il affirme
que le Requérant a indiqué avoir déposé une demande de prorogation du
délai à l’effet d’introduire un recours, laquelle a été rejetée par la Cour
d'appel, le 19 septembre 2013. En conséquence, l’État défendeur fait valoir
que le Requérant a saisi la Cour cinq (5) ans après l’épuisement des recours
internes, ce qui n’est pas un délai raisonnable compte tenu de la période
de six (6) mois fixée par la jurisprudence internationale en matière de droits
38. En ce qui concerne l'affirmation du Requérant selon laquelle le retard a été
causé par sa situation de prisonnier indigent et condamné, profane en droit
et ne bénéficiant pas des services d’un conseil juridique, l’État défendeur
soutient qu’une telle situation ne constitue pas un motif raisonnable pour
que la Cour examine la Requête. L'État défendeur note également que le Requérant a bénéficié d’une assistance judiciaire dans le cadre des
procédures internes, à l’exception de la procédure de révision alléguée. Par
conséquent, il soutient que le Requérant a introduit sa Requête devant la
Cour postérieurement et que sa justification du retard n’est pas fondée.
39. De plus, l’État défendeur soutient qu’étant donné que les prisonniers en
Tanzanie sont autorisés à saisir la Cour de céans quand ils le souhaitent,
l’incarcération n’est pas un motif pouvant valablement justifier le retard
accusé pour déposer la Requête.
40. Rappelant que les conditions de recevabilité énoncées à l’article 50(2) du
Règlement sont cumulatives, l’État défendeur demande à la Cour de
déclarer la Requête irrecevable.
41. La Cour note que ni l’article 56(6) du Protocole, ni l’article 50(2)(f) du
Règlement ne fixent le délai dans lequel les Requêtes doivent être
introduites. À cet égard, la Cour a constamment considéré que : « … le
caractère raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances
particulières de chaque affaire et doit être apprécié au cas par cas ».” A cet
égard, la Cour a tenu compte de circonstances telles que le fait d’être
incarcéré, profane en matière de droit et de ne pas bénéficier d’une
assistance judiciaire, d’être indigent, analphabète, de ne pas avoir
connaissance de l’existence de la Cour,® de subir des intimidations et de
craindre des représailles!° ainsi que l’exercice de recours extraordinaires.
Ces circonstances doivent, toutefois, être prouvées.
7 Ayants droit de feus Cb Bq, Ak Bl dit Ablasse, Bw Bq et Bg Am et Mouvement Burkinabè des droits de l’homme et des peuples c. At Bb (fond) (2014), 1 RICA 226, 8 92. Voir également Cj c. Tanzanie (fond), supra 8 73.
8 Cj c. Tanzanie, ibid., 8 73 ; An Bv c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RICA 105, 8 54 ; Amir Ap c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018), 2 RICA 356, 8 83.
9 Ap c. Tanzanie, ibid, 8 50 ; Bv B Ce Y, 8 54.
19 Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes Maliennes et Institute for Ch Bi and Development in Ae c. République du Mali (fond et réparations) (11 mai 2018), 2 RICA 393, 8 54.
11 Bk B Ce, supra, 8 56 ; Af et un autre c. Tanzanie (fond) supra, 8 49 et Bs Ba Ao c. République du Ghana (fond et réparations) (28 juin 2019), 3 RICA 245, 88 83 à 86.
42. La Cour rappelle, en outre, sa jurisprudence selon laquelle la procédure
d'appel, telle qu’elle s'applique dans le système judiciaire de l’État
défendeur, est un recours extraordinaire qu'aucun requérant n’est tenu
d’épuiser.!? Toutefois, dès lors qu’un requérant a tenté de se pourvoir en
révision, la Cour tient compte du temps qu’il lui a fallu pour exercer ledit
recours.
43. || résulte du dossier devant la Cour que la Cour d’appel a tranché le recours
du Requérant le 29 avril 2010 et que le 7 septembre 2010, celui-ci a introduit
une demande de prorogation de délai pour se pouvoir en révision mais que
ladite demande a été rejetée trois (3) ans plus tard, soit le 19 septembre
2013. Étant donné que la décision de la Cour d’appel a été rendue trois (3)
ans plus tard, il est raisonnable de présumer que le Requérant en attendait
l'issue. En conséquence, la Cour estime qu’il est important de tenir compte
de ce fait dans le calcul du délai raisonnable.
44. La Cour souligne qu’il s'est écoulé cinq (5) ans, quatre (4) mois et trois (3)
jours entre la date à laquelle la Cour d’appel a rejeté la demande de
prorogation de délai du Requérant pour l’introduction de sa demande de
révision, soit le 19 septembre 2013, et la date à laquelle il a saisi la Cour de
céans, à savoir le 22 janvier 2019. La question que la Cour doit trancher est
celle de savoir si ce délai peut être considéré comme étant raisonnable, au
sens de l’article 56(6) de la Charte, lu conjointement avec la règle 50(2)(f)
du Règlement.
45. Le Requérant allègue, à cet égard, que : « [le retard accusé pour déposer
la requête est dû à [son] statut de condamné et profane en matière de droit,
indigent, incarcéré sans avoir bénéficié de l’assistance d’un avocat ».
12 Bk B Ce, ibid., 8 51 ; Bx Ay Ar et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2017), 2 RICA 67, 8 56.
46. La Cour observe que le Requérant assure lui-même sa défense devant elle
et que dans sa condition de prisonnier dans le couloir de la mort, il est isolé,
sans accès à l’information, avec restriction de ses mouvements.
47. La Cour observe, également, que la période allant de 2007 à 2013 marquait
les premières années d’exercice de la Cour, durant lesquelles le grand
public, a fortiori, les personnes dans la situation du Requérant étaient peu
au fait de l’existence de la Cour.
48. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que le délai de cinq (5) ans,
quatre (4) mois et trois (3) jours dans lequel le Requérant l’a saisie est
justifié et que, par conséquent, sa Requête est réputée avoir été déposée
dans un délai raisonnable, au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la
règle 50(2)(f) du Règlement.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
49. La Cour note que les exigences prévues aux sous-alinéas (a), (b), (c), (d),
(e) et (g) de la règle 50(2) du Règlement ne sont pas contestées par les
Parties. Néanmoins, la Cour doit s'assurer que ces exigences ont été
satisfaites avant de poursuivre l'examen de la Requête.
50. Il ressort du dossier devant la Cour que le Requérant a été clairement
identifié par son nom, conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
51. La Cour relève, également, que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger ses droits garantis par la Charte. En outre, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son article
3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples.
En conséquence, la Cour considère que la Requête est compatible avec
l’Acte constitutif de l’'UA et la Charte, et conclut qu’elle satisfait aux
exigences de la règle 50(2)(b) du Règlement.
52. La Cour relève, en outre, que les termes dans lesquels est rédigée la
Requête ne sont ni outrageants, ni insultants à l’égard de l’État défendeur ;
ce qui la rend conforme à la règle 50(2)(c) du Règlement.
53. Par ailleurs, la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse, mais sur des
décisions des juridictions internes de l’État défendeur. La Cour en conclut
que la Requête est conforme à la règle 50(2)(d) du Règlement.
54. La Cour souligne, en outre, que le Requérant a épuisé les recours internes
dès lors que la Cour d’appel, la plus haute juridiction de l’État défendeur, a
rendu son arrêt le 29 avril 2010, rejetant son recours dans son intégralité.
55. S'agissant de la condition de recevabilité visée à l’article 56(7) de la Charte,
la Cour note que la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été
réglée par les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte
ou de tout instrument juridique de l’Union africaine. La Cour estime donc
que la Requête est conforme à la règle 50(2)(d) du Règlement.
56. La Cour conclut que toutes les conditions de recevabilité sont remplies et
que la présente Requête est recevable.
VII. SUR LE FOND
57. La Cour rappelle que le Requérant allègue la violation des articles 3 et 7 de
la Charte en raison de ce qui suit :
i. Il a été condamné sur le fondement de preuves peu crédibles ;
ii. L’examen de la preuve sur le fondement de laquelle il a été condamné
n’a pas été équitable.
A. Allégation relative à la condamnation sur le fondement de preuves
douteuses
58. Le Requérant allègue qu’il a été condamné sur le fondement d’une preuve
d'identification fournie par un seul témoin à charge (PW 1), laquelle était,
de son point de vue, peu fiable, et que le Tribunal du juge résident et la Cour
d'appel « n’ont pas éliminé toute possibilité d’une identification erronée ».
59. Il soutient, en outre, que les preuves sur le fondement desquelles il a été
condamné comportaient plusieurs contradictions et incohérences qui
ébranlent la crédibilité du témoin à charge (PW1). Il affirme que PW1 s’est
contredit et a contredit l’autre témoin à charge, non seulement en déclarant
qu’il avait d’abord été nommément désigné au poste de police, mais
également dans son témoignage sur la manière dont il a été arrêté ainsi que
sur le lieu et le moment de son arrestation.
60. Le Requérant déclare, par ailleurs, que la déposition sans serment et non
corroborée du témoin clé PW1 devait être confirmé par les trois (3) autres
témoins qui prétendaient être présents sur les lieux et lors de l’autopsie
ou/et par le médecin qui a examiné le corps sans vie de la victime.
Toutefois, aux dires du Requérant, les témoins n’ont pas fait de déposition
et les résultats de l’autopsie n’ont pas été produits non plus. Ainsi, la preuve
produite par PW1 n’a pas été corroborée.
61. Le Requérant soutient, enfin, que la Cour d'appel aurait pu corriger les
erreurs si elle avait accédé à sa demande de prorogation de délai
d'introduction d’un recours en révision de son propre jugement. Le
Requérant en déduit que la confirmation de sa condamnation constitue une
violation de son droit à un procès équitable.
62. L'État défendeur conclut au débouté en soutenant que le Requérant doit
rapporter la preuve de ses allégations. || fait valoir que les procès du Requérant en première instance et en appel se sont déroulés
conformément à ses lois et aux instruments internationaux de protection
des droits de l’homme. À cet égard, il affirme que la Cour d’appel a apprécié
les moyens d'appel et estimé que l’appel était mal fondées et l’a rejeté en
conséquence.
63. En réponse à l’argument du Requérant selon lequel il a été condamné sur
la base de l’identification visuelle peu crédible d’un seul témoin (PW1), l’État
défendeur soutient que le tribunal de première instance et la Cour d’appel
ont statué sur la question en considérant qu’il ne faisait aucun doute que
PW1 avait dûment identifié le Requérant lors de l'incident, puisqu’au
moment des faits, les conditions étaient favorables à une identification
correcte. Il affirme, en outre, qu’ ayant examiné tous les faits pertinents ainsi
que les contradictions et incohérences alléguées, les juridictions nationales
ont estimé que ces allégations n'étaient pas fondées.
64. En ce qui concerne l’affirmation du Requérant selon laquelle la déposition
du témoin unique (PW 1) aurait dû être corroborée, l’État défendeur fait
valoir que, conformément à l’article 143 de la loi sur les moyens de preuve,
aucun nombre particulier de témoins n’est requis pour établir un fait. Il
soutient donc que l’argument du Requérant en relation avec la déposition
d’un seul témoin est sans objet. En outre, l’État défendeur soutient que la
preuve fournie par PW1 n’avait pas besoin d’être corroborée dans la
mesure où l'identification du Requérant a été faite dans des conditions
favorables.
65. L’État défendeur en conclut que le Requérant a été déclaré coupable et
condamné sur la base d’éléments prouvant sa culpabilité au-delà de tout
doute raisonnable.
66. La Cour relève que l’article 7(1) du Protocole dispose :
1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
a. le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de
tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont
reconnus et garantis par les conventions, les lois,
règlements et coutumes en vigueur ;
b. le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa
culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
c. le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par
un défenseur de son choix ;
d. le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une
juridiction impartiale.
67. La Cour rappelle qu’« un procès équitable requiert que la condamnation
d’une personne à une sanction pénale, et particulièrement, à une lourde
peine d’emprisonnement, soit fondée sur des preuves solides ».!* La nature
ou la forme des preuves recevables aux fins d’une condamnation pénale
peut varier en fonction des différentes traditions juridiques, mais elles
doivent toujours avoir un poids suffisant pour établir la culpabilité de
l’accusé.
68. Ence qui concerne l’identification visuelle, la Cour rappelle sa position dans
l’affaire /Bf B Ce dans laquelle elle a conclu comme suit :
[...] lorsque l'identification visuelle est utilisée comme élément de
preuve pour condamner un individu, tout risque éventuel d’erreur doit
être exclu et l'identité du suspect doit être établie avec certitude. Ce
principe est également consacré dans la jurisprudence tanzanienne.
En outre, l’identification visuelle utilisée comme preuve doit aussi
décrire le lieu du crime de manière cohérente et logique.
13 Aa Cf c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2016) 1 RICA 624, 8 174.
60.
69. À cet égard, la Cour rappelle « qu’elle n’est pas une juridiction d'appel et,
qu’en principe, il est du ressort des juridictions nationales de décider de la
valeur probante d’un élément donné ».!° En conséquence, la Cour « ne peut
pas s’arroger ce rôle, dévolu aux juridictions nationales, d’examiner les
détails et les caractéristiques des preuves utilisées au cours de la procédure
interne afin d'établir la responsabilité pénale des individus ».!É L'intervention
de la Cour n’est requise qu’en cas d’erreur manifeste dans l’appréciation
des preuves par les juridictions nationales pouvant être constitutive d’un
déni de justice.
70. La Cour relève qu’en l’espèce, les juridictions nationales ont condamné le
Requérant sur le fondement d’une identification visuelle fournie par trois (3)
témoins à charge (PW). Les juridictions se sont principalement fondées sur
le témoignage de PW1 (la fille de la victime), qui se trouvait sur le lieu du
crime lorsque sa mère a été tuée par le Requérant. Les deux autres témoins
étaient l’enquêteur de la police (PW 2) et le fils de la victime et frère du
premier témoin, identifié dans le dossier comme le troisième témoin à
charge (PW 3).
71. La Cour relève que les juridictions nationales ont examiné les circonstances
dans lesquelles le crime a été commis ainsi que les arguments exposés par
le ministère public et par le Requérant, qui était représenté par un conseil,
afin d’éliminer les éventuelles erreurs concernant l’identité de l’auteur du
meurtre.
72. Par ailleurs, les juridictions nationales ont examiné l’alibi du Requérant et
l’ont rejeté dans la mesure où celui-ci n’avait pas fourni de détails sur ses
moyens de défense, ni cité de témoin pour corroborer ses affirmations.
73. La Cour en conclut que la manière dont les juridictions nationales ont évalué
les preuves sur le fondement desquelles elles ont condamné le Requérant
15 Ibid.
16 Ibid.
ne révèle aucune erreur manifeste et n’est pas constitutive d’un déni de
justice à l’égard du Requérant.!”
74. Sur le fait de n’avoir pas bénéficié d’une prorogation de délai pour
introduire sa demande de révision de la décision de la Cour d’appel, la Cour
observe que le Requérant reconnaît, dans sa Requête, que devant la Cour
d'appel, il était représenté par un avocat et que ladite Cour d’appel a statué
contradictoirement. Le Requérant, qui a eu connaissance de la teneur de la
décision, aurait donc pu introduire son recours en révision dans les délais
prévus. La Cour en conclut que le fait de n'avoir pas respecté le délai de
dépôt du recours en révision démontre un manque de diligence de la part
du Requérant.
75. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’appréciation des
éléments de preuve par les juridictions nationales a été faite de manière
régulière. Par conséquent, l’État défendeur n’a pas violé le droit du
Requérant à un procès équitable, protégé par l’article 7 de la Charte.
B. Allégation relative au caractère discriminatoire de l’examen des preuves
76. Le Requérant affirme que, lors de son procès, les juridictions nationales,
n’ont pas pris en compte tous les faits et arguments pertinents qu’il a
soulevés concernant les preuves sur le fondement desquelles il a été
condamné, ce qui constitue une violation, par l’État défendeur, de ses droits
à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi, garantis par l’article
3 de la Charte.
77. L'État défendeur soutient que l’allégation du Requérant selon laquelle ses
droits protégés par l’article 3 de la Charte ont été violés est sans fondement.
Il affirme que l’article 3 de la Charte garantit un traitement juste et équitable
des individus au sein du système juridique d’un pays donné. En l’espèce,
l’État défendeur fait valoir que le Requérant n’a pas établi qu’il a été victime
17 Bf B Ce, ibid., 8 73 ; Af et un autre c. Tanzanie, ibid., 8 63.
de discrimination ou qu’il n’a pas été traité sur un pied d’égalité par rapport
aux autres accusés devant les juridictions nationales.
78. La Cour observe que l’article 3 de la Charte, qui garantit le droit à légalité
et à l’égale protection de la loi, est libellé comme suit :
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
79. La Cour relève que le droit à l’égale protection de la loi exige que « la loi
interdise toute discrimination et garantisse à toutes les personnes une
protection égale et efficace contre la discrimination, notamment de race, de
couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique et de toute autre
opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute
autre situation ».18
80. La Cour relève, en outre, que ce droit est reconnu et inscrit dans la
Constitution de l’État défendeur. Les dispositions pertinentes (articles 12 et
13) de la Constitution consacrent ce droit sous une forme et un contenu
similaires à ceux de la Charte, notamment en interdisant la discrimination.
81. Le droit à l’égalité devant la loi implique également que « tous sont égaux
devant les tribunaux et les cours de justice ».!°
82. La Cour observe qu’en l’espèce, les juridictions nationales ont examiné tous
les moyens d'appel exposés par le Requérant et conclu qu’ils n'étaient pas
fondés. À cet égard, la Cour relève qu’il ne résulte du dossier aucun
élément démontrant que le Requérant a été traité de manière inéquitable
ou a subi un traitement discriminatoire durant les procédures internes.
18 Article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) (1966), voir également l’arrêt Bf B Ce, supra, $ 84. L'État défendeur est devenu parti au PIDCP le 11 juin 1976.
19 Bf B Ce, ibid.
83. La Cour rejette donc l’allégation du Requérant selon laquelle l’État
défendeur a violé l’article 3(1) et (2) de la Charte.
84. La Cour, bien que n'ayant pas conclu en l’espèce à la violation des droits
du Requérant, tient, toutefois à réitérer sa conclusion dans ses arrêts
antérieurs” selon laquelle la peine de mort obligatoire constitue une
violation du droit à la vie ainsi que d’autres droits consacrés dans la Charte
et devrait, de ce fait, être abrogée du Code pénal de l’État défendeur.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
85. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations en raison
des violations qu’il a subies, d’annuler la déclaration de culpabilité et la
peine prononcées à son encontre et d’ordonner sa remise en liberté.
86. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparations
en soutenant que le Requérant a été déclaré coupable et condamné
conformément à la loi. L'État défendeur affirme que pour que la Cour puisse
ordonner des réparations, elle doit, au préalable, constater une violation des
droits de l’homme et déterminer le préjudice subséquent. Il affirme, en outre,
que c’est au Requérant qu’incombe la charge de la preuve dudit préjudice.
En l’espèce, l’État défendeur fait valoir qu’outre le fait que le Requérant
sollicite l’acquittement et une indemnisation, il n’a pas prouvé la violation de
ses droits, ni une quelconque perte ou un quelconque dommage subi du fait
de cette violation. En conséquence, l’État défendeur soutient que la Cour
ne devrait pas accorder les réparations demandées par le Requérant.
2 Ally Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 562, 88 104 à 114. Voir également, Aw Ag c. Tanzanie, CAÏDHP, Requête n° 024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021, 88 120 à 131 et Cb Bp B Ce, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022, 8 160.
87. L'article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
88. La Cour n’ayant, en l'espèce, établi aucune violation, la demande de
réparation n’est pas justifiée. En conséquence, la Cour la rejette comme
mal fondée.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
89. Le Requérant n’a soumis aucune observation sur les frais de procédure.
90. La Cour relève qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « [à]
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais
de procédure ».
91. La Cour ordonne, au regard des circonstances de l’espèce, que chaque
Partie supporte ses frais de procédure.
DISPOSITIF
92. Par ces motifs,
LA COUR,
Sur la compétence
À l’unanimité,
Sur la recevabilité
À la majorité de sept (7) voix pour et trois (3) voix contre, les Juges Ben
KIOKO, Tujilane R. CHIZUMILA et Dennis D. ADJEI étant dissidents,
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
À la majorité de cinq (5) voix pour et deux (2) voix contre, le Juge Blaise
TCHIKAYA et la Juge Chafika BENSAOULA ayant émis chacun une
opinion dissidente, et les Juges Ben KIOKO, Tujilane R. CHIZUMILA et
Dennis D. ADJEI étant dissidents sur la recevabilité,
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable, protégé par l’article 7 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à
l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, protégés
par l’article 3 la Charte.
Sur les réparations
vii. Rejette la demande de réparations formulée par le Requérant
comme mal fondée.
Sur les frais de procédure
viii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ge
Ben KIOKO, Juge RSS
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ns Grrpouad lo,
œ.
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ;\,
Ai Bu Bm A, ADJEI, Juge Juge rail. ; Met Gauss -
et Robert ENO, creer}
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l’opinion dissidente conjointe des Juges Ben KIOKO, Tujilane R. CHIZUMILA et Dennis ADJEI et les opinions dissidentes du Juge Blaise TCHIKAYA et de la Juge Chafika BENSAOULA sont jointes au présent arrêt.
Fait à Arusha, ce treizième jour du mois de juin de l’année deux-mille vingt-trois, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 003/2019
Date de la décision : 13/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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