AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
BOB X AI
ET
LEGAL AND AM AO CENTRE
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 011/2020
ARRÊT
13 JUIN 2023 &
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
B. Sur les autres aspects de la compétence … 10
VI SUR LA RECEVABILITÉ 11
Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes. 13
Sur les autres conditions de recevabilité 16
VII SUR LE FOND 18
A Allégation de violations relative au mode de nomination du directeur des
élections 18
! Violations alléguées du droit de participer librement à la direction des
affaires publiques de son pays 19
Il Violation alléguée des droits à l’égalité devant la loi et à une égale
protection de la loi 26
Allégation de violation en raison du mode de nomination des directeurs de
scrutin 28
! Violation alléguée du droit de participer à la direction des affaires
publiques dans son pays 28
ii. Violation alléguée du droit à l'égalité et à une égale protection de la loi
33
C Violation alléguée du droit à la non-discrimination 34
D Violation alléguée de l’article premier de la Charte 36
VIII. SUR LES RÉPARATIONS 37
A. Adoption de mesures constitutionnelles et législatives 39
B. Autres mesures de réparation 39
! Publication de l’Arrêt 40 ii. Mise en œuvre et soumission de rapports
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA, Vice-président, Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella
|. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Modibo SACKO et Dennis D. ADJEI — Juges ; et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour, de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
Bob X AI et Legal and AM AO Centre
représentés par :
i. Maître Jebra KAMBOLE, Law Guards Advocates ;
ii. Maître Fulgence MASSAWE, Legal and AM AO Centre ; et
ii. Maître Amani JOACHIM, Legal and AM AO Centre ;
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Xd Xa AT, Bo Av Cy, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Ay Bb A, Av Cy adjointe, Bureau du
Solicitor General ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
iii. M. As Ac Aj Y, Directeur du Contentieux civil; Bureau du Solicitor
General ;
iv. Mme Bc Cw AL, Directrice adjointe, Recours en inconstitutionnalité,
Droit de l’homme et Contentieux électoral, Principal Bp Cn, Bureau du
Solicitor General ;
v. M. Al AJ, Bp Cn, Bureau du Solicitor General ;
vi. Mme Cl C, Bp Cn, Bureau du Solicitor General ;
vi. Mme Bm Aq AS, Directrice par intérim chargée des affaires
juridiques, ministère des Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine
et internationale ; et
viii. Mme Bi AK, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Bob X AI et Lega/ and AM AO Centre (LHRC)
respectivement, un ressortissant tanzanien et une organisation non
gouvernementale (ci-après désignée « ONG ») enregistrée en Tanzanie,
dotée du statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits
de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Commission »).? Ils
contestent certaines dispositions de la loi portant organisation des élections
en Tanzanie.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des
? Legal and AM AO Centre s'est vu accorder le statut d’observateur lors de la 28° session de la Commission tenue du 28 octobre 2000 au 6 novembre 2000 à Cv AHBn) — https://achpr.au.int/index.php/fr/network/ngos.
droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21
octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également déposé,
le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole (ci-
après désignée « la Déclaration »), par laquelle elle accepte la compétence
de la Cour pour recevoir des requêtes émanant des individus et ONG. Le
21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé auprès du Président de la
Commission de l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration.
La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence
sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant
elle avant sa prise d'effet, un (1) an après le dépôt de l’instrument y relatif,
à savoir, le 22 novembre 2020.3
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort de la Requête que le sieur Bob X AI a saisi la Haute
Cour de l’État défendeur d’une demande tendant à déclarer les articles 6(1),
7(1), 7(2) et 7(3) de la loi portant organisation des élections nationales (ci-
après désignée « la NEA ») contraires aux articles 21(1), 21(2) et 26(1) de
la Constitution de l’État défendeur (ci-après désigné « la Constitution »).
4. Par un arrêt du 10 mai 2019, la Haute Cour a jugé que les articles 7(1) et
7(3) de la NEA étaient « anticonstitutionnels et nuls » du fait, entre autres,
qu’ils ne « reflètent pas les garanties énoncées à l’article 74(14) de la
Constitution ».* En ce qui concerne les articles 6(1) et 7(2) de la NEA, la
Haute Cour « … n’a relevé aucun élément qui atteste qu’ils sont contraires
à la Constitution ».
3 Bw Ab Ae c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020), 4 RICA 219, 8 38.
# L’article 74(14) de la Constitution dispose : « Les personnes impliquées dans la conduite des élections ont interdiction d’adhérer à un parti politique ; toutefois, chacune d’entre elles jouit du droit de vote prévu à l’article 5 de la présente Constitution ».
5. L'État défendeur a interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel,
qui, par arrêt du le 15 octobre 2019, a infirmé la décision de la Haute Cour.
6. Il convient de relever que LHRC n’était pas partie à la procédure introduite
par Bob X AI devant la Haute Cour de l’État défendeur, mais
est co-requérante dans le cadre de la Requête introduite devant la Cour de
céans.
B. Violations alléguées
7. Les Requérants allèguent que la composition de la Commission électorale,
telle que prévue à l’article 4(1) de la NEA, viole « les articles 1, 13(1), 21(1)
et 3, 25(2) et 26, 21(1) et 21(2), 74(7) et 74(14) de la Charte, de la
Déclaration Universelle des droits de l'homme (DUDH), du Pacte
International relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de l'URTC® (ci-
après désignée «la Constitution de l’État défendeur» ou «la
Constitution ») », du fait qu’elle ne garantit pas son indépendance et son
impartialité.
8. Ils allèguent également la violation des « articles 1, 3, 13(1) de la Charte,
21(1) et (2) de la DUDH, 25(2) du PIDCP et 74(7) de la Constitution » par
l’article 6(1) de la NEA, dans la mesure où le Président de l’État défendeur
(ci-après dénommé « le Président ») « nomme un directeur des élections,
fonctionnaire de l’État, sur recommandation de la Commission
électorale… ». Selon eux, cet état de fait « … prive d’autres personnes non-
fonctionnaires de la chance équitable d’être nommées au poste de directeur
des élections ».
9. Les Requérants allèguent, en outre, que l’article 7(1) de la NEA viole leurs
droits protégés par les « articles 1, 3, 13(1) de la Charte, 21(1) et (2) de la
DUDH, 25(2) du PIDCP et 74(7) de la Constitution » en ce sens qu’il prévoit
que les personnes nommées par le Président, tels que le Cq Cp, le
5 Les Requérants utilisent le sigle « URTC » en référence à la Constitution de la République-Unie de Tanzanie.
Municipal Cp, le Town Cp et le District Ag Cp, fassent
office de directeurs de scrutin pour les élections organisées dans leurs
zones.
10. Les Requérants affirment également qu’en autorisant la Commission
électorale à « désigner, par fonction ou par nom, parmi les fonctionnaires
publics, le nombre de directeurs du scrutin ou de directeurs adjoints du
scrutin nécessaires à la tenue d’une élection dans une circonscription
électorale », l’article 7(2) de la NEA viole « les articles 1, 3, 13(1) de la
Charte, 21(1) et (2) de la DUDH, 25(2) du PIDCP et 74(7) de la
Constitution », créant ainsi la possibilité de nommer des directeurs de
scrutin partisans.
11. Les Requérants allèguent, par ailleurs, que l’article 7(3) de la NEA sur la
nomination des directeurs de scrutin « [i]mpose une restriction à l'égard des
personnes qui souhaitent être nommées mais qui n’exercent aucune
fonction publique et ne comporte, en outre, aucune qualification appropriée
autre que l’exercice d’une fonction publique », ce qui viole leurs droits
protégés par les articles 1, 3, 13(1) de la Charte, 21(1) et (2) de la DUDH,
25(2) du PIDCP et 74(7) de la Constitution ».
12. Ils soutiennent, en outre, que les dispositions de la NEA qu’il a citées ont
permis à l’État défendeur de « nommer des directeurs exécutifs de districts
qui étaient membres du parti politique Chama cha Mapinduzi° et qui
faisaient également office de directeurs de scrutins sur toute l’étendue du
territoire de l’État défendeur, situation qui viole les articles 1, 3, 13(1) de la
Charte, 21(1) et (2) de la DUDH, 25(2), du PIDCP et 74(7) de la
Constitution de la République-Unie de Tanzanie ».
6 X AP Bz est un parti politique en République-Unie de Tanzanie (État défendeur). Traduction du Swahili : « parti de la révolution ».
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
13. La Requête introductive d’instance a été reçue au Greffe de la Cour le 6
mars 2020 et communiquée à l’État défendeur le 17 mars 2020. Un délai
de soixante (60) jours a été imparti à l’État défendeur pour déposer sa
réponse.
14. Le 17 août 2020, l’État défendeur a déposé sa réponse qui a été
communiquée aux Requérants le 20 août 2020 aux fins de leur réplique,
dans un délai de trente (30) jours.
15. Le 21 septembre 2020, les Requérants ont déposé leur réplique qui, le
même jour, a été communiquée à l’État défendeur aux fins d’information.
16. Les débats ont été clôturés le 6 mai 2022 et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
17. Les Requérants demandent à la Cour de :
i Dire et juger qu’en adoptant les articles 6(1), 7(1), 7(2) et 7(3) de la NEA,
l’État défendeur a violé les articles 1, 3 et 13(1) de la Charte.
ii Dire et juger que en adoptant les articles 6(1), 7(1), 7(2) et 7(3) de la
NEA, l’État défendeur a violé les articles 25(a) et (b) et 26 du PIDCP, et
21(1)(3) de la DUDH.
ii Ordonner à l’État défendeur de prendre des mesures constitutionnelles
et législatives pour garantir les droits prévus par les articles 1, 3 et 13(1)
de la Charte et d’autres instruments internationaux.
iv Ordonner à l’État défendeur de faire un rapport à la Cour, dans un délai
de douze (12) mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt
sur sa mise en œuvre.
v Ordonner toutes autres mesures de réparation que la Cour jugera
nécessaires.
vi Condamner l’État défendeur aux dépens.
18. Sur la compétence et la recevabilité, l’État défendeur demande à la Cour
de :
i Se déclarer incompétente pour connaître de la Requête.
ii Dire et juger que la Requête ne satisfait pas à la condition de recevabilité
prévue à l’article 56(5) de la Charte, à l’article 6(2) du Protocole et à la
règle 40(5) du Règlement intérieur de la Cour.
ii Dire et juger que la Requête est irrecevable.
19. Sur le fond, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les articles 1, 3 et 13(1)
de la Charte en adoptant les articles 4(1), 6(1), 7(2) et 7(3) de la NEA ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les articles 25(a) et (b) et
26 du PIDCP en adoptant les articles 4(1), 6(1), 7(2) et 7(3) de la NEA ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les articles 21(1) et (3)
de la DUDH en adoptant les articles 4 (1), 6 (1), 7(2) et 7(3) de la NEA ;
iv. Ordonner toutes autres mesures de réparation que la Cour jugera
nécessaire.
v. Rejeter la Requête avec dépens.
SUR LA COMPÉTENCE
20. La Cour note que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
21. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, elle « procède à un examen
préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au Protocole
et au [.…] Règlement ».”
22. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, à titre préliminaire,
procéder à un examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles
exceptions d’incompétence.
23. La Cour note qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. La Cour va statuer sur ladite exception (A) avant
d’examiner les autres aspects de sa compétence (B).
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
24. L'État défendeur fait valoir qu’au regard de l’article 3 du Protocole, la Cour
complète les mécanismes internes chargés de réparer les violations des
droits de l'homme mais ne se substitue pas à eux. Il fait valoir, qu’en
l'espèce, la Cour siégerait en tant que juridiction de première instance si
elle venait à examiner l’allégation formulée par les Requérants relativement
à l’article 4(1) de la NEA, dans la mesure où cette disposition n’a jamais été
contestée devant les juridictions internes. À cet égard, l’État défendeur cite
la Cour n’a pas la compétence matérielle pour connaître de cette affaire
dans son intégralité … ».
25. L'État défendeur soutient, en outre, que « la Requête est fantaisiste dans la
mesure où aucune violation de droits de l’homme du fait de l’adoption de
l’article 4(1) de la NEA n’y est démontrée ».
7 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
26. Les Requérants concluent au rejet de l'exception d’incompétence en
soutenant que la Cour a la compétence matérielle dans la mesure où la
Requête « se fonde sur l'interprétation de la Charte ainsi que sur d’autres
instruments des droits de l'homme auxquels l’État défendeur est partie. Il a
l’obligation de s’y conformer en les mettant en œuvre ».
27. La Cour relève que l’État défendeur fait valoir deux moyens à l’appui de son
exception d’incompétence matérielle de la Cour. Il soutient, d’une part, que
les Requérants demandent à la Cour de siéger en tant que juridiction de
première instance, et d'autre part, que la Requête est fantaisiste dans la
mesure où aucune violation des droits de l'homme n’y est soulevée.
28. En ce qui concerne l’argument selon lequel la Cour siègerait en tant que
juridiction de première instance dans l’examen de la présente Requête, la
Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence constante, elle est
compétente pour examiner toute requête dont elle est saisie dès lors que
des violations de droits protégés par la Charte ou par tout autre instrument
international pertinent des droits de l'homme auquel l’État défendeur est
partie y sont alléguées.® Dans l'affaire By An c. République-Unie
de Tanzanie, elle a conclu que « [s]ur l’exception selon laquelle elle est
appelée à agir en tant que juridiction de première instance, [la Cour estime
que], conformément à l’article 3 du Protocole, elle a la compétence
matérielle, dès lors que la requête allègue une violation des dispositions
des instruments internationaux auxquels l’État défendeur est partie ».°
29. Enl’espèce, la Cour observe que les allégations formulées dans la Requête
portent sur des droits protégés par la Charte dans la mesure où les
Requérants soutiennent que les dispositions de la NEA sont incompatibles
8 Ax Cl c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019), 3 RICA 51, 88 20 à 21 et Cf Bh AHAt AuB et Ce Cf AHCr BdB c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 36.
9 (fond et réparations) (7 décembre 2018), 8 31.
avec les articles 1, 3 et 13(1) de la Charte, l’article 25 du PIDCP et les
articles 21(1) et 21(2) de la DUDH.
30. La Cour considère qu’elle ne statuera pas en tant que juridiction de
première instance si elle examine les allégations des Requérants, dans la
mesure où ceux-ci allèguent des violations de la Charte et d’autres
instruments auxquels l’État défendeur est partie. Compte tenu de ce qui
précède, la Cour rejette le premier moyen de l’exception d’incompétence
matérielle soulevée par l’État défendeur.
31. En ce qui concerne le deuxième moyen de l’État défendeur, à savoir, le
caractère fantaisiste des demandes des Requérants, la Cour estime qu’un
tel moyen ne peut être examiné à ce stade puisqu'’il relève du fond de
l’affaire. La Cour rejette donc le deuxième moyen de l’exception soulevée
par l’État défendeur.
32. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a la compétence
matérielle pour connaître de la présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
33. La Cour observe que les autres aspects de sa compétence ne sont pas
contestés par les Parties. Néanmoins, conformément à la règle 49(1) du
Règlement, elle doit s'assurer que les conditions y relatives sont remplies
avant de poursuivre l’examen de la Requête.
34. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle que,
comme indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, le 21 novembre 2019,
l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour rappelle, en
outre, qu’elle a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucun effet
rétroactif sur les affaires introduites avant le dépôt de l’instrument de retrait,
ni sur les nouvelles affaires dont elle à été saisie avant la prise d'effet dudit retrait.!° Étant donné qu’un tel retrait de la Déclaration prend effet douze
(12) mois après le dépôt de l'instrument y relatif, soit le 22 novembre 2020,**
la présente Requête, introduite avant cette date n’en est donc pas affectée.
La Cour observe également que, comme déjà indiqué, le deuxième
Requérant, Legal! and AM AO Centre, a le statut d’observateur
auprès de la Commission, conformément aux exigences de l’article 5(3) du
Protocole. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’elle a la
compétence personnelle pour examiner la présente Requête.
35. S’agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que les violations
alléguées par les Requérants ont débuté avant que l’État défendeur ne soit
devenu partie à la Charte et au Protocole. Toutefois, étant donné que la loi
à l’origine des violations alléguées est toujours en vigueur, la Cour estime
que les violations se poursuivaient au moment du dépôt de la Requête, soit
après que l'État défendeur est devenu partie au Protocole et a déposé sa
Déclaration.!? La Cour estime donc que sa compétence temporelle est
établie en l’espèce.
36. Pour ce qui est de sa compétence territoriale, la Cour relève que les
violations alléguées par les Requérants se sont produites sur le territoire de
l’État défendeur, qui est partie au Protocole. La Cour en conclut qu’elle a la
compétence territoriale.
37. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
38. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, « [l]Ja Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
19 Ae c. Tanzanie (arrêt), supra, 88 35 à 39.
11 Co Bf Cu c. République du Rwanda (compétence) (3 juin 2016) 1 RICA 585, 8 67. 12 Jebra Kambole c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (15 juillet 2020) 4 RICA 466, 88 51 à 53.
39. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au
[…] Règlement ».
40. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure
de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
41. En l’espèce, la Cour note que l’État Défendeur soulève une exception
d’irrecevabilité de la Requête tirée du non-épuisement des recours internes.
13 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
La Cour va statuer sur ladite exception (A) avant d'examiner les autres
conditions de recevabilité de la Requête (B).
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
42. L’État défendeur fait valoir, sur le fondement de l’article 56(5) de la Charte
et la règle 50(2)(e) du Règlement,!* que la Requête est irrecevable dans la
mesure où les Requérants n’ont pas épuisé les recours internes. Tout en
admettant que les Requérants ont initié une procédure devant la Haute
Cour (affaires diverses en matière civile n° 17 de 2018) qui a, ensuite, fait
l’objet d’un recours devant la Cour d’appel (recours en matière civile n° 138
de 2019), l’État défendeur soutient que les Requérants invoquent, devant
la Cour de céans, l’article 4(1) de la NEA, qui n’a jamais été contesté devant
une quelconque juridiction nationale. Aussi, l’État défendeur demande-t-il
que « … la Requête soit déclarée irrecevable, l’ensemble des critères de
recevabilité n'étant pas remplis ».
43. Pour leur part, les Requérants soutiennent que leur Requête est recevable,
au regard de l’article 56(5) de la Charte. Ils relèvent le fait qu’ils ont saisi la
Haute Cour de l’État défendeur en contestation des articles 6(1), 7(1), 7(2)
et 7(3) de la NEA. Ils ajoutent que la Cour d’appel a fait droit au recours de
l’État défendeur. Pour asseoir leur argument, les Requérants ont produit
copie des arrêts de la Haute Cour et de la Cour d’appel.
44. Enoutre, dans leur réplique, les Requérants soulignent qu’« il ne fait aucun
doute que les articles 6(1), 7(1), (2) et (3) de la NEA n'ont aucun lien avec
l'exigence d’épuisement des recours internes dans la présente Requête, au
regard des observations de l’État défendeur en réponse à la Requête ». Ils
reconnaissent qu’en ce qui concerne la recevabilité de la Requête, le
différend porte sur des allégations relatives à l’article 4(1) de la NEA.
14 Article 40(5) du Règlement intérieur de 2010.
45. À cet égard, les Requérants soutiennent que « [.…] bien que l’article 4(1) de
la NEA n’ait pas été soulevé devant les tribunaux nationaux, cela ne justifie
pas que la Cour de céans puisse rejeter l'intégralité de la Requête ». À
l’appui de leur argument, les Requérants citent la décision de la Cour dans
l'affaire Cs Ad c. Tanzanie et lui demandent de se fonder sur le
« faisceau de droits et de garanties » pour déclarer la Requête recevable.
46. La Cour rappelle qu'aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, l’épuisement
des recours internes est une condition préalable au dépôt de toute requête
devant elle. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, il n’est
dérogé à cette exigence que s’il est démontré que ces recours sont
indisponibles, inefficaces, insatisfaisants ou lorsque la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale.!*
47. || résulte du dossier devant la Cour que l’article 4(1) de la NEA n’était pas
l’objet du litige qui opposait les Parties devant les juridictions internes. Les
Requérants soutiennent que, nonobstant ce qui précède, la Cour devrait
déclarer la Requête recevable, puisqu’elle contient des allégations relatives
à l’article 4(1) de la NEA, en se fondant sur le « faisceau de droits et de
garanties ». L’État défendeur soutient, quant à lui, que le fait que les
Requérants n’aient pas soulevé la question de l’article 4(1) de la NEA
devant les tribunaux nationaux, rend l’ensemble de la Requête irrecevable,
étant donné que les conditions de recevabilité sont cumulatives.
48. La Cour observe que les Requérants ont saisi la Haute Cour de l’État
défendeur d’un recours en inconstitutionnalité. Les Requérants ont indiqué,
avec précision, les dispositions de la NEA qu’ils voulaient entendre déclarer
africaine des droits de l’homme et des peuples (AG) c. République du Ck (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 88 93 à 94.
inconstitutionnelles, à savoir les articles 6(1), 7(1), 7(2) et 7(3) de la NEA.
Lors de cette procédure, aucune référence n’a été faite, directement ou
indirectement, à l’article 4(1) de la NEA.
49. Au vu de ce qui précède, la Cour de céans estime que, du fait de n’avoir
pas contesté la constitutionnalité de l’article 4(1) de la NEA devant la Haute
Cour de l’État défendeur, les Requérants n’ont pas épuisé les recours
internes à cet égard.
50. En ce qui concerne le « faisceau de droits et de garanties », la Cour
souligne qu’elle a déclaré des affaires recevables sur ce fondement.!® La
Cour souligne qu’elle a considéré que l’élément déterminant pour
l’application du « faisceau de droits et de garanties » est l’existence, devant
une juridiction interne, d’un contexte factuel et juridique qui lui aurait permis
de se prononcer sur des questions qui n’ont pas été expressément
soulevées par une partie mais qui découlent des plaidoiries.*”
51. La Cour estime, toutefois, que le « faisceau de droits et de garanties » ne
peut s'appliquer, en l’espèce. Du fait de la manière dont les Requérants ont
introduit leur recours devant les juridictions internes, l’État défendeur n’a
pas eu la possibilité de répondre aux allégations relatives à l’article 4(1) de
la NEA. En outre, bien que les article 4(1) 7(1), 7(2) et 7(3) de la NEA,
traitent de questions électorales, ils visent des objectifs différents. Le
premier vise la composition de la NEC tandis que les autres sont relatifs à
la nomination des directeurs de scrutin et d’autres membres de la NEC. Il
était donc impossible aux tribunaux nationaux de l’État défendeur de se
prononcer sur les questions couvertes par l’article 4(1) de la NEA alors que,
de toute évidence, le recours du Requérant ne soulevait que des questions
concernant les articles 6(1), 7(1), 7(2), 7(3) de la NEA.
16 Voir, Alex Cz c. République-Unie de Tanzanie (20 novembre 2015) 1 RICA 482 ; Ax Ba Ci et Cx Aa Xc c. République-Unie de Tanzanie (28 septembre 2017) 2 RICA 67 et Cf Bh AHAt AuB et un autre c. Tanzanie, supra, 8 53.
17 Br Bg Cj c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 005/2016, Arrêt du 2 décembre 2021 (fond et réparations), 88 38 à 39.
52. Dans ces circonstances, étant donné que les articles 6(1) et 7(1), 7(2) et
7(3) de la NEA ont fait l’objet d’un litige entre les Parties jusque devant la
plus haute juridiction de l’État défendeur, la Cour estime, en ce qui concerne
ces dispositions, que les recours internes ont été épuisés. La Cour en
conclut que la Requête est recevable, uniquement en ce qui concerne la
contestation par les Requérants des articles 6(1) et 7(1), 7(2) et 7(3) de la
NEA.‘ Elle déclare donc irrecevables toutes les demandes des Requérants
fondées sur la violation alléguée de l’article 4(1) de la NEA.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
53. La Cour observe qu'il résulte du dossier que la conformité de la Requête
aux exigences des alinéas (1), (2), (3), (4), (6) et (7) de l’article 56 de la
Charte, reprises aux points (a), (b), (c), (d), (f) et (g) de la règle 50(2) du
Règlement, n’est pas contestée par les Parties. Néanmoins, elle doit
s'assurer que ces exigences ont été satisfaites.
54. La Cour note que les Requérants sont clairement identifiés, ce qui satisfait
à l’exigence de la règle 50(2)(a) du Règlement.
55. La Cour relève également que les demandes formulées par les Requérants
visent à protéger leurs droits garantis par la Charte et par d’autres
instruments auxquels l’État défendeur est partie. Elle note, en outre, que
l’un des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine est la promotion et
la protection des droits de l'homme et des peuples. La Cour en conclut que
la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte puisqu’elle satisfait à l'exigence de l’article 50(2)(b) du Règlement.
56. La Cour observe, en outre, que la Requête ne contient aucun terme
outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur, de ses institutions ou
18 Bv Cg Y et autres c. République-Unie de Tanzanie (26 septembre 2019), 3 RICA 459, 88 54 et 58 et Bj Ak AR Z de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 021/2016, arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), 8 45.
de l’Union africaine, ce qui la rend conforme à l’exigence de la règle 50(2)(c)
du Règlement.
57. La Cour note que les Requérants ont produit plusieurs pièces de procédure
comme éléments de preuve, établissant ainsi que la Requête n’est pas
fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par les moyens de
communication de masse. La Requête satisfait donc à l’exigence de la règle
50(2)(d) du Règlement.
58. La Cour observe que la règle 50(2)(f) du Règlement prévoit que les
requêtes doivent être introduites « …. dans un délai raisonnable courant
depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ».
59. La Cour a estimé, dans sa jurisprudence constante, que « … le caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».!° En
l'espèce, les Requérants ont saisi la Cour de céans le 6 mars 2020, après
que la Cour d’appel de l’État défendeur a rendu son arrêt le 15 octobre
2019. Au total, une période de quatre (4) mois et vingt (20) jours s’est
écoulée entre l’arrêt de la Cour d’appel et le dépôt de la Requête. C’est
cette période que la Cour doit prendre en compte pour apprécier le
caractère raisonnable du délai, au sens de la règle 50(2)(f) du Règlement.
Compte tenu de la date à laquelle la présente Requête a été déposée, la
Cour estime qu’elle a été saisie dans un délai raisonnable, au sens de la
règle 50(2)(f) du Règlement.
60. La Cour constate également que la Requête ne concerne pas une affaire
qui a déjà été réglée par les États concernés, conformément aux principes
de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou
des dispositions de la Charte. Elle en conclut que la Requête satisfait à
l'exigence de la règle 50(2)(g) du Règlement.
19 Aw Af Aw c. République-Unie de Tanzanie (fond) (22 mars 2018), 2 RICA 257, 8 57.
61. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit
toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte,
reprises à la règle 50(2) du Règlement et la déclare recevable, à l’exception
de l’allégation relative à l’article 4(1) de la NEA.
VII. SUR LE FOND
62. Dans la présente affaire, la Cour doit déterminer si les articles 6(1), 7(1),
7(2) et 7(3) de la NEA violent les droits des Requérants. Elle observe que,
bien que les Requérants présentent quatre (4) allégations de violations
distinctes, en rapport avec les quatre (4) articles de la NEA qu’ils contestent,
ils invoquent, principalement, la violation du droit de participer librement à
la direction des affaires publiques de leur pays relativement à la nomination
du directeur de la Commission électorale, telle que prévue par l’article 6(1)
de la NEA d’une part, et, d'autre part, au mode de nomination des directeurs
de scrutin tel que prévu par les articles 7(1), 7(2) et 7(3) de la NEA. Les
Requérants allèguent également la violation du droit à la non-discrimination.
La Cour examinera donc les allégations de violation des droits des
Requérants en relation avec ces aspects.
A. Allégation de violation relative au mode de nomination du directeur des
élections
63. Les Requérants soutiennent que l’État défendeur a violé leur droit de
participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays,
protégé par l’article 13(1) de la Charte, ainsi que leurs droits à l’égalité
devant la loi et à une égale protection de la loi, garantis par l’article 3 de la
Charte. Ils invoquent également les dispositions du PIDCP et de la DUDH
qui correspondent aux articles 13(1) et 3 de la Charte.
ii Violations alléguées du droit de participer librement à la direction des
affaires publiques de son pays
64. Les Requérants font valoir que l’article 6(1) de la NEA viole la Charte dans
la mesure où le directeur des élections est nommé par le Président de la
République qui est le président du parti au pouvoir et, également, candidat
aux élections. Selon les Requérants, ce mode de nomination du directeur
des élections « soulève la question de l’impartialité, de l'indépendance de
la Commission ainsi que celles de la crédibilité du processus électoral et
des résultats qui en découlent ». Les Requérants soulignent que le
Président « reçoit des recommandations de la Commission pour la
nomination du directeur des élections alors que la Commission a elle-même
été nommée en premier lieu par le même Président, qui est également un
candidat potentiel aux élections ». Ils soutiennent que l’article 6(1) de la
NEA «ne définit pas de critères pour la nomination du directeur des
élections, ce qui en fait une disposition à la fois large, vague et sujette à des
abus ».
*
65. En réponse, l’État défendeur conclut au rejet des allégations des
Requérants au sujet de l’article 6(1) de la NEA comme mal fondées. Selon
l’État défendeur, bien que la nomination du directeur des élections « [r]elève
du Président, [elle est] soumise à la recommandation de la NEC dont
l'indépendance est garantie par la Constitution ». Il soutient que le simple
fait que le directeur soit nommé par le Président « … ne signifie pas qu’il ne
peut pas être impartial ». L’État défendeur estime donc que « … jusqu’à
preuve du contraire, la simple allégation selon laquelle l’impartialité du
directeur des élections est compromise du fait de sa nomination par le
Président est dépourvue de tout fondement ».
66. La Cour rappelle que l’article 13(1) de la Charte prévoit que « [t]ous les
citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de
représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par
la loi ».
67. La Cour observe que l’essentiel des griefs des Requérants concernant la
nomination du directeur des élections porte sur la question de
l'indépendance et de l’impartialité des titulaires de ce poste. Dans l’affaire
Suy AN Bu Cb et autres c. République de Côte d'Ivoire, la Cour a
souligné qu’« il existe en Afrique une grande diversité quant à la nature et
à la forme des organes électoraux indépendants et impartiaux » en raison
de la spécificité de chaque pays.? La Cour a donc considéré « qu’il ne lui
appartient pas d'imposer une solution uniforme concernant la nature et la
forme des organes électoraux sur le continent ».?!
68. Bien qu’elle ait estimé qu’ « il n’existe pas d’indication précise quant aux
caractéristiques d’un organe électoral « indépendant » et « impartial », la
Cour a, toutefois, mis en exergue certains éléments qui confirment
l'indépendance et l’impartialité d’un organe électoral. À titre d’exemple,
dans l’affaire Action pour la Protection des Droits de l'Homme (APDH) c.
Côte d'Ivoire, la Cour a estimé qu’« un organe électoral est indépendant
quand il jouit d’une autonomie administrative et financière et qu’il offre des
garanties suffisantes quant à l'indépendance et l’impartialité de ses
membres ».?? La Cour a, en outre, considéré que « [l'indépendance
institutionnelle, à elle seule, ne suffit pas pour garantir la tenue d’élections
transparentes, libres et justes [.…]. L’organe électoral mis en place doit, en
outre, être composé, selon la loi, de façon à garantir son indépendance et
son impartialité et à être perçu comme tel ».2°
20 Suy AN Bu Cb et 8 autres c. République de Côte d'Ivoire (arrêt) (15 juillet 2020) 4 RICA 411,
21 Ibid., 8 171.
22 (fond) (18 novembre 2016), 1 RICA 697, 8 118.
23 Ibid, 8 123.
69. Ainsi, même si les États disposent d’une certaine latitude pour définir
l’organisation de leur organe électoral, ils ont la responsabilité primordiale
de mettre en place une institution qui soit indépendante et impartiale.?*
70. La Cour relève que le simple fait de créer, par la loi, un organe électoral en
tant qu’entité indépendante ne constitue pas une mesure suffisante pour
prévenir ou limiter les tentatives politiques ou autres visant à remettre en
cause son impartialité et son indépendance ainsi que l’accomplissement
général des responsabilités qui lui ont été confiées.?° Il est tout aussi
important de mettre en place un cadre juridique et institutionnel ainsi que
des mécanismes de transparence suffisants pour garantir l'indépendance
et l’autonomie d’un organe électoral.?é
71. Dans l’examen de la violation éventuelle de l’article 13(1) de la Charte, la
Cour tient compte du fait que les droits protégés par l’article 13(1) peuvent
être limités. Toutefois, comme elle l’a indiqué dans l'affaire Bq Ca
Cd et autres c. Tanzanie, « [l]es limitations aux droits et aux libertés
prévues dans la Charte ne peuvent être que celles qui sont précisées à
l’article 27(2) de la Charte [..] et que ces limitations doivent prendre la
forme d’une « loi d’application générale ». Elles doivent aussi être
proportionnées à l’objectif légitime poursuivi ».27
72. La Cour a adopté une position similaire dans l’affaire Cc c. Ch
Ai où elle a conclu qu’il ne suffit pas qu’une restriction à un droit « [s]oit
prévue par la loi et qu’elle soit libellée de manière précise, il faut également
qu’elle serve un but légitime ». La Cour estime donc que « les raisons de
limitation possibles doivent se fonder sur un intérêt public légitime et les
inconvénients de la limitation doivent être strictement proportionnels et
absolument nécessaires pour les avantages à obtenir ».?° La Cour a, en
24 Observations générales n° 25 : Droit de tout citoyen de prendre part à la direction des affaires publiques, de voter et d’être élu, et le droit d'accéder aux fonctions publiques (article 25), 8 20.
25 International IDEA Independence in electoral management: Electoral processes primer 1 (2021) 7 à 8.
27 (fond) (14 juin 2013) 1 RICA 34, 8 107.1.
28 (5 décembre 2014) 1 RICA 324, 88 132 à 133.
outre, précisé que la restriction de tout droit protégé par la Charte doit
s’apprécier dans le contexte d’une société démocratique et que cette
appréciation revient à examiner si ladite restriction constitue une mesure
proportionnée pour atteindre l’objectif visé, à savoir la protection des droits
d'autrui. Il convient de relever qu’il incombe toujours à l’État défendeur de
justifier la restriction de tout droit protégé par la Charte.
73. Compte tenu de tout ce qui précède, la Cour est tenue d'apprécier si l’article
6(1) de la NEA contrevient aux dispositions de la Charte et, dans
l’affirmative, si ses dispositions peuvent constituer une limitation justifiable
des droits protégés par l’article 13(1) de la Charte.
74. La Cour rappelle que l’article 6(1) de la NEA est libellé comme suit :
Un directeur des élections est nommé par le Président parmi les
fonctionnaires de la République-Unie sur recommandation de la
Commission.
75. La Cour estime qu’il convient d’adopter une vision plus globale de la
structure et de la composition de la Commission électorale de l’État
défendeur, telle que reflétée, à la fois, dans la NEA et dans la Constitution
de l’État défendeur, dans son appréciation de l’article 6(1) de la NEA.
S'agissant de la Constitution, la Cour note que son article 74(7) prévoit ce
qui suit :
Pour mieux accomplir sa mission, la Commission électorale est un
département autonome, et son directeur général est le directeur des
élections qui est nommé et exerce ses fonctions conformément à une loi
adoptée par le Parlement.
76. La Cour relève également que l’article 74(11) de la Constitution dispose :
Dans l’exercice de ses fonctions, conformément aux dispositions de la
présente Constitution, la Commission électorale n’est pas soumise aux
ordres ou aux directives d’une personne ou d’un service gouvernemental ou
aux opinions d’un parti politique.
77. La Cour observe que les articles 74(7) et 74(11) de la Constitution visent
effectivement à établir un cadre juridique qui garantit l'indépendance
juridique de la Commission électorale de l’État défendeur.
78. Il convient, toutefois, de relever, en ce qui concerne la structure de la
Commission électorale de l’État défendeur, que celle-ci comprend un
« Comité de contrôle » et un Secrétariat. Le « Comité de contrôle » se
compose de commissaires nommés par le président de la République en
vertu de l’article 74(1) de la Constitution. I! est présidé par un juge de la
Haute Cour ou de la Cour d'appel. Le Secrétariat est dirigé par le directeur
des élections qui est également le secrétaire de la Commission.®°
79. Au regard des arguments des Parties, et compte tenu de la diversité des
modes de constitution des organes électoraux en vigueur en Afrique, la
Cour conclut à la non-violation de l’article 13(1) de la Charte du simple fait
que le directeur des élections est nommé par le Président. Elle conclut
également à la non-violation de l’article 13(1) de la Charte du simple fait que
le Président procède à la nomination du directeur des élections sur
recommandation de la Commission électorale.
80. En ce qui concerne l’allégation des Requérants selon laquelle l’article 6(1)
de la NEA « ne définit pas de critères pour la nomination du directeur des
élections, ce qui en fait une disposition à la fois ouverte, large et vague, et
sujette à des abus », la Cour observe, en effet, que l’article 6(1) de la NEA
ne fait pas mention des qualifications que doit posséder une personne pour
être nommée à ce poste. Il est à noter que l’article 74(3) de la Constitution
définit les catégories de personnes qui ne peuvent pas être nommées
30 Article 4(4) de la NEA.
commissaires. Dans le même ordre d’idées, l’article 74(14) de ladite
Constitution interdit aux personnes « impliquées dans la conduite des
élections» d'adhérer à un parti politique. En dehors de ces deux
prescriptions restrictives, la NEA ne contient aucune disposition qui prévoit
les exigences de qualification qu’un directeur des élections potentiel doit
posséder pour pouvoir être nommé.
81. La question à trancher est donc celle de savoir si l’absence de critères
définissant les qualifications et les attributs des personnes pouvant occuper
le poste de directeur des élections viole la Charte. Dans l’éventualité où la
Cour conclurait qu’une telle situation constitue une violation de la Charte,
elle devra également déterminer s’il s’agit ou non d’une restriction
acceptable au droit de participer librement à la direction des affaires
publiques dans son pays.
82. La Cour observe que, compte tenu de la nature essentielle des processus
électoraux pour le maintien de la gouvernance démocratique, un organe
électoral occupe une place critique dans l’architecture démocratique d’un
pays. Il est donc absolument important qu’un organe électoral soit
juridiquement et matériellement habilité à exercer ses fonctions de manière
indépendante et impartiale. Un élément essentiel pour garantir qu’un
organe de gestion des élections exerce ses fonctions de manière
indépendante réside dans la manière dont son personnel est recruté. En
règle générale, le recrutement du personnel d’un organe électoral doit se
faire selon un processus transparent, fondé sur la possession des
qualifications nécessaires pour des postes particuliers, afin de garantir que
le personnel ne se trouve pas en situation de conflit d’intérêts.
83. En l’espèce, la Cour estime anormal que les lois de l’État défendeur ne
contiennent aucune disposition définissant les qualifications que doit
posséder une personne pour être nommée directeur des élections.
S'agissant du chef du secrétariat de la Commission électorale, la Cour
estime qu’il incombe à l’État défendeur de nommer des personnalités ayant
le plus haut niveau de compétence et la capacité de coordonner de manière indépendante, impartiale et transparente la gestion du processus électoral.
Toutefois, en l’absence d’un mécanisme de qualification clairement établi,
les critères que l’autorité de nomination prend en compte lors de la
nomination d’un directeur des élections ne sont pas clairement définis. Une
telle situation rend le processus non seulement incertain, mais également
ouvre la voie à la prise en compte éventuelle de facteurs non pertinents.
84. La Cour en conclut que, dans la mesure où elle ne définit pas les
qualifications des personnes pouvant être nommées directeur des
élections, l’article 6(1) de la NEA viole l’article 13(1) de la Charte.
85. Nonobstant ce qui précède, et comme la Cour l’a déjà souligné, elle doit
également déterminer si les restrictions imposées par les dispositions de
l’article 6(1) de la NEA sont justifiables au sens de l’article 27(2) de la
Charte.
86. Bien que l’absence de critères prescrits pour les personnes pouvant être
nommées au poste de directeur des élections découle d’une loi sans
équivoque et d'application générale, la Cour estime que la restriction
imposée par l’article 6(1) de la NEA n’a pas d’objectif légitime clair et ne
constitue pas, non plus, un moyen proportionné de restreindre les droits
garantis par l’article 13(1) de la Charte. La Cour estime que l’absence de
critères de qualification, laisse croire que la Commission peut recommander
une personne dont les compétences ne sont pas nécessairement adaptées
à la gestion de la Commission électorale et que l’autorité de nomination peut
suivre cette recommandation.
87. Dans ces circonstances, la Cour conclut que l’article 6(1) de la NEA viole
l’article 13(1) de la Charte dans la mesure où il ne prescrit pas de critères
définissant les qualifications que doivent posséder les personnes devant
être nommées au poste de directeur des élections et que cette violation de
la Charte ne constitue pas une limitation acceptable au sens de l’article
27(2) de la Charte.
ii. Violation … alléguée des droits à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi
88. Les Requérants soutiennent que le système actuel de nomination du directeur des élections viole leurs droits prévus à l’article 3 de la Charte. Ils font valoir que :
seules les personnes appartenant à la fonction publique de la République-
Unie de Tanzanie peuvent être nommées au poste de directeur des
élections. Il en résulte que d’autres membres et citoyens ne faisant pas partie
de la fonction publique et ayant également le droit de prendre part aux
processus électoraux de l’État, notamment en étant nommés à divers postes
au sein des organes électoraux, sont exclus.
89. Pour sa part, l’État défendeur fait valoir que « … le droit de participer à la
direction des affaires n’est pas absolu, dans la mesure où il peut être
légitimement restreint par la loi». À l’appui de son argument, l’État
défendeur cite l’article 27(2) de la Charte et l’arrêt de la Cour dans l’affaire
Bq Ca Cd et autres c. Tanzanie. L'État défendeur, en déduit
que « [l]es restrictions, en ce qui concerne les personnes éligibles pour la
nomination au poste de directeur, sont raisonnables et justifiables. La
nomination d’un fonctionnaire au poste de directeur des élections relève de
l'intérêt général, puisqu’il est facile de vérifier ses antécédents éthiques,
professionnels et académiques, le service public étant régi par un cadre
juridique bien établi ».
90. La Cour rappelle que l’article 3 de la Charte dispose :
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la
loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
91. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, le principe d'égalité
devant la loi, qui est implicite dans le principe d’égale protection de la loi,
n’exige pas nécessairement un traitement égal dans toutes les affaires et
peut permettre un traitement différencié des individus placés dans des
92. Il en résulte qu’une violation de l’article 3 de la Charte ne s’infère pas
nécessairement d’une simple allégation de traitement différencié. I| convient
de noter que la charge de la preuve incombe à la partie qui allègue la
violation de l’article 3 de la Charte. Dans sa jurisprudence, la Cour a
constamment considéré que des affirmations de portée générale sur les
violations ne sauraient suffire pour établir une violation de la Chartes?
93. La Cour souligne que les États disposent, dans les limites autorisées, d’une
certaine latitude pour structurer leurs organes électoraux en fonction de
leurs besoins internes particuliers. En l’espèce, la Cour estime que le fait
de réserver le recrutement du directeur des élections aux seuls agents de
la fonction publique ne constitue pas une violation de la Charte. La Cour
constate qu’aucune irrégularité n’a été relevée dans le système de
recrutement des fonctionnaires de l’État défendeur, parmi lesquels le
directeur des élections est ensuite nommé.
94. La Cour en conclut que l’article 6(1) de la NEA ne viole pas la Charte en
réservant le recrutement du directeur des élections uniquement aux
candidats issus de la fonction publique.
31 Kambole c. Tanzanie, supra, 8 87.
32 Bl Ap Bt c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 381, 8 51 ; Minani Evarist c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 415, 8 75.
B. Allégation de violation du fait du mode de nomination des directeurs de
scrutin
95. Les Requérants allèguent que le mode de nomination des directeurs du
scrutin viole leur droit de participer librement à la direction des affaires de
leur pays ainsi que leur droit à l’égalité et à une égale protection de la loi.
ii Violation alléguée du droit de participer à la direction des affaires
publiques dans son pays
96. Les Requérants contestent la manière dont les directeurs de scrutin sont
nommés en vertu des articles 7(1), 7(2), 7(3) de la NEA. Ils soutiennent que
ces dispositions sont contraires à la Charte dans la mesure où elles
« [eJ]mpêchent la tenue d’une élection libre et équitable en admettant des
agents électoraux qui sont nommés par le Président, qui est également le
président du parti au pouvoir et candidat potentiel ayant un intérêt direct
dans le processus électoral ». Les Requérants soutiennent également que
les dispositions ne contiennent pas de critères de qualification ou de
principes directeurs qui devraient guider le processus de nomination, ce qui
laisse « [.…] une marge de manœuvre au Président pour abuser du pouvoir
de nommer les personnes qui doivent occuper ce poste ».
97. Les Requérants soutiennent également, que l’article 7(3) de la NEA, aux
termes duquel la Commission électorale peut « lorsque les circonstances
l’exigent » nommer toute personne de la fonction publique en tant que
directeur du scrutin, introduit « [u]ne grande subjectivité et un potentiel abus
de pouvoir» dans la mesure où les circonstances dans lesquelles la
Commission électorale peut agir ne sont pas clairement définies à l’avance.
Pour étayer leurs allégations, les Requérants ont déposé une liste de
personnes qui, selon eux, étaient membres du parti au pouvoir X AP
Bz lorsqu'ils ont été nommés directeurs de scrutin.
98. Dans leur réplique, les Requérants soutiennent également, entre autres,
que la prestation de serment d’une personne nommée « [e]st une simple formalité qui ne contribue guère à rendre la personne nommée
indépendante. Elle ne constitue, en rien, une garantie contre son manque
d’impartialité ».
99. En réponse, l’État défendeur fait valoir un certain nombre d’arguments. Il
soutient, premièrement, que ses lois prévoient suffisamment de garanties
pour que l’article 7(1) de la NEA soit « appliqué en conformité avec le droit
de participer librement à la direction des affaires publiques, consacré par la
Charte et par l’article 74(14) de la Constitution ». I! souligne, en outre, que :
Dès leur nomination, les directeurs ne prennent pas automatiquement
fonction en tant que directeurs de scrutin. Avant de prendre fonction, ils
doivent, satisfaire aux exigences de l’article 7(5) de la NEA et de la règle
16(1)(a) et (b) du Règlement sur les élections nationales (élections
présidentielles et parlementaires) ».
100. Selon l’État défendeur, aux termes de l’article 7(5) de ladite loi :
les directeurs de scrutin et les directeurs adjoints de scrutin sont tenus de
prêter un serment de confidentialité devant un magistrat et de s'engager à le
respecter, avant d’entrer en fonction au sein de cet organe. De même, la
règle 16(1) du Règlement exige que chaque coordinateur des élections
régionales, un directeur du scrutin et un directeur adjoint du scrutin prêtent
un serment de confidentialité devant un magistrat avant d’entrer en fonction.
La même disposition rend obligatoire, pour le fonctionnaire, la déclaration
devant un magistrat ou un commissaire aux serments selon laquelle il n’est
membre d’aucun parti politique ou qu’il a retiré son adhésion à un parti
politique.
101. En ce qui concerne spécifiquement la liste produite par les Requérants,
relativement aux directeurs de scrutin qui ont pris fonction alors qu’ils
seraient des membres actifs du X AP Bz, l’État défendeur
« [c]onteste la fiabilité et la recevabilité de cette liste et demande aux Requérants d’en rapporter la preuve irréfutable. L'État défendeur estime
que « cette allégation n’est pas fondée ».
102. Deuxièmement, l’État défendeur fait valoir que le pouvoir de nommer des
directeurs de scrutin en vertu de l’article 7(2) de la NEA garantit « … que la
Commission est habilitée à nommer tout autre fonctionnaire au poste de
directeur de scrutin ou directeur adjoint de scrutin pour toute raison qu’elle
juge appropriée, sans tenir compte du directeur qui est en fonction … en
outre, le directeur de scrutin ou le directeur adjoint de scrutin peut être
remplacé par tout autre fonctionnaire s’il s'avère qu’il n’est pas compétent
103. En somme, l’État défendeur invoque également la marge d'appréciation
pour justifier le pouvoir dont il dispose, en tant qu’État souverain, de
concevoir un système électoral qui convient le mieux à sa situation sur le
plan politique, social, économique et culturel.
104. La Cour note que les Requérants dénoncent le fait que la Commission
électorale de l’État défendeur dispose des fonctionnaires pour répondre à
ses impératifs administratifs et opérationnels. En l’espèce, la question qui
se pose est donc celle de la nomination de fonctionnaires de différents
grades, en tant que directeurs de scrutin.
105. La Cour souligne que le recours à des fonctionnaires dans le cadre des
opérations d’un organe électoral ne constitue pas, en soi, une entrave à
l'indépendance, à l’autonomie et à la responsabilité dudit organe. La
question de savoir si l’implication de fonctionnaires compromet ou non
l'indépendance de l’organe de gestion des élections dépend donc des
circonstances particulières à chaque situation. Toutefois, lorsque des
fonctionnaires sont impliqués dans les opérations d’un organe électoral, il
est important de préserver leur indépendance en exigeant, par exemple,
qu’ils rendent compte directement et uniquement à l’organe électoral et non
à une quelconque personne ou entité extérieure.
106. En ce qui concerne la nomination de chaque Cq Cp, Municipal
Cp, Town Cp et District Ag Cp au poste de directeur
du scrutin en vertu de l’article 7(1) de la NEA, les Requérants soutiennent
qu’une telle mesure viole la Charte dans la mesure où les personnes
nommées sont toutes à leur poste, après avoir été choisies par le Président.
La Cour réaffirme, toutefois, que le manque d’impartialité de la part de
certains responsables ne peut, en rien, se déduire du simple fait de leur
nomination par le Président.
107. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’en permettant à certains
titulaires de fonctions, à savoir les Cq Cp, Municipal Cp, Town
Cp et District Ag Cp, de faire office de directeurs de
scrutin, l’article 7(1) de la NEA ne viole pas l’article 13(1) de la Charte, du
fait de leurs fonctions.
108. Toutefois, en ce qui concerne les articles 7(2) et 7(3) de la NEA, la Cour
note que ces dispositions accordent à la Commission électorale la marge
de manœuvre nécessaire pour nommer des directeurs du scrutin parmi les
fonctionnaires. Les articles 7(2) et 7(3) de la NEA sont donc différents de
l’article 7(1) qui lie la qualification d’un directeur de scrutin potentiel à son
poste officiel dans la fonction publique. Dans une perspective globale, la
Cour conclut que la possibilité créée par les articles 7(2) et 7(3) de la NEA
ne saurait se justifier, ce qui peut aboutir à la nomination de directeurs de
scrutin qui sont inaptes à exercer leurs fonctions en raison, par exemple, de
l’absence d'indication claire quant au grade auquel ces nominations
peuvent être effectuées au sein de la fonction publique.
109. La Cour doit également examiner l’argument des Parties concernant l’effet
de la prestation d’un serment professionnel. Il résulte des observations des
Parties qu’elles sont en désaccord sur l’effet du serment que les personnes
nommées au poste de directeur de scrutin doivent prêter avant d’entrer en fonction. Les Requérants soutiennent que le serment n’a aucun effet, tandis
que l’État défendeur fait valoir qu’il s’agit d’une étape décisive pour garantir
l'indépendance des personnes nommées.
110. La Cour rappelle qu’elle a jugé que le serment était une « garantie
allègue que la prestation de serment ne garantit pas l'indépendance et
l’impartialité, il lui incombe d'apporter des preuves de la violation du serment
par les personnes ayant prêté ledit serment. Or, en l’espèce, la Cour
observe que les Requérants se sont contentés de formuler une allégation
d’ordre général et n’ont apporté aucun élément de nature à prouver la
violation du serment par certains directeurs de scrutin.
111. S'agissant de la liste des directeurs de scrutin qui, selon les Requérants,
ont été nommés à ce poste alors qu’ils étaient encore des membres actifs
du parti politique au pouvoir, X AP Bz, la Cour observe que
cette question a également fait l’objet d’un litige entre les Parties devant les
juridictions nationales. Plus précisément, la Cour d’appel a traité de cette
question aux pages 50 à 53 de son arrêt. Elle a estimé que les preuves
produites par les Requérants « manquaient de rigueur (.….) » et a rejeté
leurs demandes. Compte tenu de cette conclusion sans équivoque de la
Cour d'appel sur une question de preuve, la Cour se heurte à la difficulté
que pose une quelconque intervention de sa part. En effet, la Cour ne
procède pas, d’ordinaire, aux analyses factuelles exhaustives que les
juridictions internes sont mieux à même de mener.
112. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’article 7(1) de la
NEA ne constitue pas une violation de l’article 13(1) de la Charte.
113. La Cour estime, toutefois, que les articles 7(2) et 7(3) de la NEA violent la
Charte, en ce sens que ces dispositions ne comportent aucune indication
quant au grade des fonctionnaires pouvant être nommés au poste de
33 Suy AN Bu c. Côte d'Ivoire, supra, 8 179.
34 Bx Bj c. République Unie de Tanzanie (fond) (28 mars 2019) 3 RICA 87, 88 52 à 53.
directeurs de scrutin, ni même les qualifications qu’ils doivent posséder … avant de pouvoir être nommés à ce poste.
ii. Violation alléguée du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi
114. Les Requérants contestent également le fait qu’en vertu des articles 7(1), 7(2) et 7(3) de la NEA, seuls les fonctionnaires peuvent faire office de directeurs de scrutin. Ils soutiennent que ces dispositions restreignent la nomination des directeurs du scrutin, en ce qu’elles « … empêchent d’autres citoyens qui auraient pu avoir la possibilité d’être nommés à divers postes de direction de participer à la direction des affaires publiques ». Les Requérants soutiennent que le fait de n’ouvrir la nomination des directeurs de scrutin qu’aux seuls fonctionnaires viole l’article 3 de la Charte.
115. Dans sa réponse, l’État défendeur soutient que cette allégation est «
sans fondement, car la restriction est raisonnable et autorisée par l’article
27(2) de la Charte ». Il fait valoir que les traitements différenciés ne sont
pas tous proscrits, « [à] l’exception de ceux qui sont déraisonnables et
injustifiés ».
116. La Cour réitère sa motivation antérieure, en ce qui concerne la nomination
du directeur des élections, et conclut que les articles 7(1), 7(2) et 7(3) de la
NEA ne violent pas les articles 13(1) et 3 de la Charte du fait de la restriction
de la nomination des directeurs de scrutin aux seuls fonctionnaires. Bien
que ces dispositions établissent une différenciation effective entre les
citoyens exerçant dans la fonction publique et ceux qui n’en font pas partie,
conformément à la motivation précédente de la Cour, celle-ci ne constitue
pas une violation des articles 13(1) et 3 de la Charte.
117. En rapport avec le constat ci-dessus, la Cour souligne qu’une différenciation
ne constitue une discrimination proscrite par la loi que si elle est, entre
autres, disproportionnée et sans corrélation objective avec le(s) but(s)
visé(s). En ce qui concerne l’objectif consistant à sélectionner des
personnes compétentes pour diriger la Commission électorale, la Cour
estime qu’un tel objectif ne saurait être rejeté du simple fait qu’il restreint les
candidats aux seuls fonctionnaires.
C. Violation alléguée du droit à la non-discrimination
118. La Cour observe que les Requérants n’ont pas spécifiquement allégué de
violation de l’article 2 de la Charte. Toutefois, ils ont affirmé dans leurs
observations, notamment pour étayer l’allégation de violation de l’article 3
de la Charte, que le mode de nomination du directeur des élections est
discriminatoire. Ils ont avancé un argument similaire concernant la
nomination des directeurs de scrutin en vertu des articles 7(1), 7(2) et 7(3)
de la NEA. Les Requérants soutiennent avoir subi une discrimination qui
compromet leur droit de participer aux processus électoraux, du fait de la
restriction des nominations au personnel de la fonction publique.
*
119. Pour sa part, l’État défendeur reconnait que l’article 6(1) de la NEA, d’une
part, et l’article 7(1), 7(2) et 7(3) de la NEA, d’autre part, prévoient
effectivement un traitement différencié. Il fait, toutefois, valoir que ce
traitement différencié est raisonnable et justifié. En ce qui concerne le
directeur des élections, l’État défendeur soutient que « la nomination d’un
fonctionnaire en qualité de directeur des élections relève d’une question
d'intérêt général, dans la mesure où il est facile de vérifier ses antécédents
éthiques, professionnels et éducatifs, la fonction publique étant régie par un
cadre juridique bien établi ». En ce qui concerne les directeurs de scrutin,
l’État défendeur fait valoir que le traitement différencié se justifie par le fait
que « la Commission électorale nationale ne dispose pas de bureaux au
niveau des circonscriptions, d’où le recours aux Directors pour faire office de directeurs de scrutin, ceux-ci disposant de suffisamment d’installations,
de bureaux et d’expertise en matière de gestion électorale ».
120. La Cour relève que l’article 2 de la Charte dispose :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte, sans distinction aucune,
notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale et sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation.
121. Comme la Cour l’a déjà relevé, l’article 2 de la Charte est péremptoire en
ce qui concerne la jouissance de tous les autres droits et libertés protégés
par la Charte.° Aux termes de ce texte, toute forme de différenciation
fondée sur les considérations qui y sont précisées est interdite. Il convient,
toutefois, de relever que toutes les formes de différenciation ou de
distinction fondée sur toute autre considération qui n’a pas de justification
objective et raisonnable et, selon les circonstances, n’est pas nécessaire et
proportionnelle, est également proscrite par l’article 2 de la Charte.°6
122. Étant donné que les Parties en l’espèce ne contestent pas le fait que les
articles 6(1), 7(1), 7(2) et 7(3) de la NEA font une distinction et une
différenciation, la question à trancher par la Cour est celle de savoir si cette
différenciation équivaut ou non à une forme de discrimination proscrite par
l’article 2 de la Charte.
123. En l’espèce, il s'opère une différenciation entre les membres du personnel
de la fonction publique, qui sont éligibles pour servir au sein de la
Commission électorale, et les citoyens qui ne font pas partie de la fonction
35 AG c. Ck, supra, 8 137.
36 Ibid, 8 139.
publique et qui, de fait, sont inéligibles pour servir au sein de ladite
Commission, soit en qualité de directeur des élections ou de directeur du
scrutin.
124. Comme il a été mentionné précédemment, les États disposent d’une
certaine latitude pour définir l’organisation de leur organe électoral afin de
relever les défis spécifiques auxquels ils sont confrontés. Toutefois, cela ne
signifie pas que les mécanismes retenus par un État partie sont exempts
de tout examen par des organes compétents tels que la Cour.
125. La Cour note les conclusions de l’État défendeur quant au recours
préférentiel aux fonctionnaires pour la gestion des divers aspects du
processus électoral. La Cour rappelle qu’elle a considéré que la
participation de fonctionnaires à la gestion de processus électoraux n’est
pas, en soi, irrégulière. Dans la mesure où les Requérants, en l’espèce,
allèguent une violation de leur droit à la non-discrimination, principalement
en ce qui concerne leur droit de participer librement à la direction des
affaires publiques dans leur pays, la Cour reste convaincue que la libre
participation à la direction des affaires publiques dans son pays peut
prendre diverses formes, la fonction de directeur des élections ou de
directeur du scrutin n’étant que l’une des voies possibles. Dans ces
circonstances, la Cour conclut que la restriction du choix du directeur des
élections et des directeurs de scrutin aux fonctionnaires ne constitue pas
une violation de l’article 2 de la Charte.
D. Violation alléguée de l’article premier de la Charte
126. Les Requérants affirment, sans plus de précision, que l’État défendeur a
violé l’article premier de la Charte.
127. Pour sa part, l’État défendeur s’est contenté de conclure au débouté.
128. La Cour rappelle que l’article premier de la Charte dispose :
Les États membres de l’Organisation de l'Unité Africaine, parties à la
présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés
dans cette Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou
autres pour les appliquer.
129. En ce qui concerne l’article premier de la Charte, la Cour reconnaît ce qui
suit :
Lorsque la Cour constate que l’un(e) quelconque des droits, devoirs ou
libertés inscrit(e)s dans la Charte a été restreint(e), violé(e) ou non
observé(e), elle en déduit que l’obligation énoncée à l’article premier
de la Charte n’a pas été respectée ou qu’elle a été violée.*”
130. Ayant déjà constaté que l’État défendeur a violé l’article 13(1) de la Charte,
la Cour conclut que celui-ci a également violé l’article premier de ladite
Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
131. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à « l’État défendeur de
prendre les mesures constitutionnelles et législatives nécessaires afin de
garantir la jouissance des droits inscrits aux articles 1, 3 et 13(1) de la
Charte ».
132. L'État défendeur demande, quant à lui, à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les articles 1, 3 et 13(1)
de la Charte en adoptant les articles 4(1), 6(1), 7(2) et 7(3) de la NEA ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les articles 25(a) et (b) et
26 du PIDCP en adoptant les articles 4(1), 6(1), 7(2) et 7(3) de la NEA ;
37 Alex Cz c. Tanzanie (fond), supra, 8 135.
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les articles 21(1) et (3)
de la DUDH en adoptant les articles 4 (1), 6 (1), 7(2) et 7(3) de la NEA ;
iv. Ordonner toutes autres mesures de réparation que la Cour jugera
nécessaire en l'espèce.
v. Rejeter la Requête en mettant les dépens à la charge des Requérants.
133. Aux termes de l’article 27 du Protocole, « [lorsqu'elle estime qu’il y a eu
violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les
mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement
d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
134. La Cour estime, conformément à sa jurisprudence constante, que pour que
des réparations soient accordées, la responsabilité internationale de l’État
défendeur doit être établie au regard du fait illicite. Ensuite, le lien de
causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. En outre,
et lorsqu’elle est accordée, la réparation doit couvrir l’intégralité du préjudice
subi. Il est également clair qu’il incombe au requérant d’apporter la preuve
des demandes formulées.*8
135. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l’homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
136. La Cour a déjà conclu que certains points des articles 6(1), 7(2) et 7(3) de
la NEA de l’État défendeur violent l’article 13(1) de la Charte. Sur ce
fondement, la responsabilité de l’État défendeur a été établie. Les
demandes des Parties seront donc examinées.
3 Cm Bs c. République-Unie de Tanzanie, Requête n° 024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), 8 141 ; By An c. Tanzanie (fond et réparations), 8 15 ; Az Ct et autres c. Ch Ai (réparations) (5 juin 2015) 1 RICA 265, 88 20 à 31.
39 Cu c. Rwanda (compétence), supra, 8 20.
A. Adoption de mesures constitutionnelles et législatives
137. La Cour rappelle que, dans des affaires qui requièrent de telles mesures,
elle a ordonné aux États parties de modifier leur législation afin de la rendre
conforme à la Charte. À titre d’exemple, dans ses arrêts, la Cour a ordonné
à l’État défendeur de « prendre toutes les mesures constitutionnelles,
législatives et autres dispositions utiles, dans un délai raisonnable, afin de
mettre fin aux violations constatées et d'informer la Cour des mesures
prises à cet égard ».*° Dans une autre affaire, la Cour a ordonné au Ch
Ai de « modifier sa législation sur la diffamation afin de la rendre
compatible avec l’article 9 de la Charte, l’article 19 du Pacte et l’article
66(2)(c) du Traité révisé de la CEDEAO ».*! La Cour a adopté une approche
similaire dans les affaires Association pour la Protection des Droits de
Femmes (APDF) et Institute for AM AO and Development in Africa
(AQ) c. Mali*? et Jebra Kambole c. Tanzanie.*
138. Ayant constaté que certains points des articles 6(1), 7(2) et 7(3) de la NEA
violent l’article 13(1) de la Charte, la Cour ordonne à l’État défendeur de
prendre toutes les mesures constitutionnelles et législatives nécessaires,
dans un délai raisonnable et sans aucun retard injustifié, afin de modifier
ces dispositions et de les rendre conformes à la Charte, de manière à mettre
fin aux violations de l’article 13(1) de la Charte qui ont été constatées par la
Cour.
B. Autres mesures de réparation
139. La Cour note que les Requérants n’ont pas spécifiquement demandé
d’autres mesures de réparation mais ont sollicité de la Cour qu’elle ordonne
#0 Bq Ca Cd et autres c. Tanzanie (fond), supra, 8 126.
#1 Am Ar Cc c. Ch Ai (fond), supra, 8 176.
#2 APDF et AQ c. Mali (fond et réparations) (11 mai 2018) 2 RICA 393, 8 130.
# Kambole c. Tanzanie, supra, 8 118.
« toutes autres mesures de réparation qu’elle jugera nécessaire, en
140. Pour sa part, l’État défendeur a également demandé à la Cour d’ordonner
toutes autres mesures de réparation qu’elle jugera nécessaire, en l'espèce.
141. La Cour rappelle qu’elle peut, en vertu de l’article 27(1) du Protocole,
« ordonner toutes les mesures appropriées afin de remédier» aux
violations. Dans ces circonstances, la Cour réaffirme qu’elle peut, d’office,
ordonner, entre autres mesures de réparation, la publication de ses
décisions, lorsque les circonstances de l'affaire l’exigent.**
i. Publication de l’Arrêt
142. En l’espèce, la Cour relève que les violations qu’elle a constatées soulèvent
des questions d’intérêt public, notamment la gestion du processus électoral
dans l’État défendeur. La Cour estime que la gestion des élections,
notamment, le mode de sélection des autorités électorales, contribue de
manière significative au maintien d’une culture démocratique dans tout
pays.
143. Compte tenu des circonstances, la Cour estime qu’il est opportun
d’ordonner, d’office, la publication du présent Arrêt. La Cour ordonne donc
à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dans un délai de trois (3) mois
à compter de la date de sa notification, sur le site Internet de son ministère
de la Justice et de son ministère des Affaires constitutionnelles et
juridiques ; et de veiller à ce qu’il y reste accessible pendant au moins un
(1) an, après la date de sa publication.
#4 Ally Rajabu et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 562, 88 165 à 167.
ii. Mise en œuvre et dépôt de rapports
144. Conformément à sa jurisprudence, la Cour estime que le dépôt de rapports
sur la mise en œuvre est requis par la pratique judiciaire. La Cour ordonne
donc à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de douze (12) mois
à compter de la date de notification du présent Arrêt, un rapport sur l’état
de la mise en œuvre des mesures qui y sont énoncées et ce tous les six (6)
mois jusqu’à ce que la Cour estime que celles-ci ont été pleinement mises
en œuvre.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
145. Chacune des Parties demande à la Cour de mettre les frais de procédure à
la charge de l’autre Partie.
146. Conformément à la règle 32(2) du Règlement, « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
147. La Cour estime, en l’espèce, qu’il n’y a aucune raison de déroger au principe
posé par cette disposition et ordonne que chaque Partie supporte ses frais
de procédure.
X. DISPOSITIF
148. Par ces motifs,
LA COUR,
#5 Ah Be c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 012/2019, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 8 179 et Bk Xb Ao c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 052/2016, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 8 138.
Sur la compétence
Sur la recevabilité
ii. Rejette l’exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable quant aux allégations de violations
du fait de l’adoption des articles 6(1) et 7(1), 7(2), 7(3) de la NEA.
Sur le fond
À la majorité de neuf (9) voix pour et d’une (1) voix contre, le juge Rafaâ
Ben Achour étant dissident,
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 2 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 3 de la Charte du fait
que l’article 6(1) de la NEA réserve le recrutement du directeur des
élections uniquement aux candidats issus de la fonction publique ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé les articles 13(1) et 3 de la
Charte du fait que les articles 7(1), 7(2) et 7(3) de la NEA
restreignent la nomination de directeurs du scrutin aux seuls
fonctionnaires ;
À l’unanimité,
vii. Dit que l’État défendeur a violé l’article 13(1) de la Charte dans la
mesure où l’article 6(1) de la NEA ne prescrit pas de critères de
qualification pour les personnes à nommer au poste de directeur
des élections ;
ix. Dit que l’État défendeur a violé l’article 13(1) de la Charte du fait
que les articles 7(2) et 7(3) de la NEA ne comportent aucune
indication quant au grade des fonctionnaires pouvant être nommés au poste de directeurs de scrutin, ni même les qualifications qu’ils
doivent posséder avant de pouvoir être nommés à ce poste ;
x. Dit que l’État défendeur a violé l’article premier de la Charte.
Sur les réparations
xi. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
constitutionnelles et législatives nécessaires, dans un délai
raisonnable, afin d’amender les articles 6(1), 7(2) et 7(3) de la NEA
et de les rendre conformes aux dispositions de la Charte, de
manière à mettre fin aux violations de l’article 13(1) de la Charte ;
xii. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dans un
délai de trois (3) mois à compter de la date de sa notification, sur le
site Internet du ministère de la Justice et du ministère des Affaires
constitutionnelles et juridiques ; et de veiller à ce qu’il y reste
accessible pendant au moins un (1) an après la date de sa
publication.
Sur la mise en œuvre et le de rapports
xiii. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre un premier rapport sur
la mise en œuvre du présent Arrêt, dans un délai de (12) mois, à
compter de sa notification, puis des rapports tous les six (6) mois,
jusqu’à exécution totale de toutes les mesures qui y sont
contenues.
Sur les frais de procédure
xiv. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ges Ben KIOKO, Juge MESSE
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ;H «On . la
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Stella |. ANUKAM, Juge EU am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge Jp Æ œ.
Modibo SACKO, Juge ; fran fausse
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l’opinion partiellement dissidente du Juge Rafaâ BEN ACHOUR est jointe au présent arrêt.
Fait à Arusha, ce treizième jour du mois de juin de l’an deux mille vingt-trois, en anglais