AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
CONAÏDE A X C
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
REQUÊTE N° 024/2020
ARRÊT
13 JUIN 2023 o e MAN AND ro SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées …
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle.
B. Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
B. Sur les autres conditions de recevabilité
DIR SUR LE FOND
A. Violation alléguée du droit à la présomption d’innocence
B. Violation alléguée du droit à la nationalité
VIII SUR LES RÉPARATIONS
IX SUR LES FRAIS DE 13O14D14E19D23P24I24F 13
14
14
19
23
24 La Cour composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Blaise TCHIKAYA, Vice-
président, Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R.
CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA,
Modibo SACKO, Dennis D. ADJEI — Juges, et de Robert ENO, Greffier.
En l’affaire :
Conaïde A X C
assurant lui-même sa défense
Contre
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
représentée par M. Ar B, Agent Judiciaire du Trésor.
Après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Conaïde A X C (ci-après dénommé « le
Requérant ») est un citoyen béninois. Il conteste un arrêté interministériel*
portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes
recherchées par la justice du Bénin.
+ Arrêté interministériel n°023/MJL/DC/SGM/DAPCG/SA/023SGG19 du 22 juillet 2019.
2. La Requête est dirigée contre la République du Bénin (ci-après dénommée
« l’État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des droits de
l'Homme et des peuples (ci-après, désignée « la Charte ») le 21 octobre
1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et
des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et
des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») le 22 août 2014. L'État
Défendeur a, en outre, déposé le 08 février 2016, la Déclaration prévue par
l’article 34(6) dudit Protocole (ci-après désigné « la Déclaration ») en vertu
de laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes
émanant des individus et des organisations non gouvernementales. Le 25
mars 2020, l’État défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union
africaine (ci-après dénommée « la Commission de l’UA ») l’instrument de
retrait de ladite Déclaration. La Cour a jugé que ce retrait n’a aucun effet, ni
sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie
avant l'entrée en vigueur dudit retrait, soit le 26 mars 2021.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort de la Requête introductive d'instance que, le 22 juillet 2019, le
ministre de la Justice et de la Législation et celui de l'Intérieur et la Sécurité
publique de l’Etat défendeur ont pris un arrêté interministériel (ci-après
désigné « arrêté du 22 juillet 2019 ») dont l’article 3 porte interdiction de
délivrance des actes de l’autorité, à savoir les actes cités de façon non
limitative par l’article 4 dudit arrêté* aux personnes recherchées par la
justice du Bénin.*
2 Bl Af Am c. République du Benin, CAfDHP, Requête n° 003/2020, Ordonnance du 05 mai 2020 (mesures provisoires), 88 4 à 5 et corrigendum du 29 juillet 2020.
3 Aux termes de l’article 4 de l'arrêté du 22 juillet 2019 : « Sont considérés comme acte de l'autorité : Les extraits d’actes d’état civil, le certificat de naissance, la carte nationale d'identité, le passeport, le laisser-passer, le sauf conduit, la carte de séjour, la carte consulaire, le bulletin numéro 3 du casier judiciaire, le certificat ou l'attestation de résidence, le certificat de vie et de charges, l'attestation ou le certificat de possession d’état, le permis de conduire, la carte d’électeur, le quitus fiscal. La liste des actes ci-dessus n’est pas limitative ».
4 Aux termes de l'article 2 de l’arrêté du 22 juillet 2019 : « On entend par personne recherchée par la justice toute personne dont la comparution, l’audition ou l’interrogatoire est nécessitée par les besoins d’une enquête de police judiciaire, d’une instruction préparatoire, d’une instance de jugement ou faisant 4. Le Requérant affirme que cet arrêté viole le droit à la présomption
d’innocence et le droit à la nationalité, ce qui l’a obligé à saisir, le 16 août
2019, la Cour constitutionnelle de l’État défendeur d’un recours en
inconstitutionnalité dudit arrêté. Ce recours a été rejeté par décision DCC
20-512 du 18 juin 2020 (ci-après désignée « décision du 18 juin 2020 »).°
B. Violations alléguées
5. Le Requérant allègue la violation des droits suivants :
i. Le droit à la présomption d’innocence, protégé par l’article 7(1)(b) de la
Charte ; et
i. Le droit à la nationalité béninoise, protégé par l’article 15 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH).
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
6. Le 04 août 2020, le Requérant a déposé la Requête introductive d’instance
contenant une demande de mesures provisoires. La Requête a été
communiquée à l’État défendeur le 17 août 2020. Les délais de soixante
(60) et de quinze (15) jours lui ont été fixés pour communiquer sa réponse,
respectivement, sur le fond et sur la demande de mesures provisoires, à
compter de la réception de la notification.
7. La Cour a rendu le 25 septembre 2020 une ordonnance de rejet des
mesures provisoires sollicitées, qui a été signifiée aux Parties le 12 octobre
2020.
l’objet d’une décision de condamnation exécutoire et qui ne défère pas à la convocation et à l’injonction de l’Autorité ».
5 Le dispositif de la décision est ainsi conçu: «Dit que l’arrêté interministériel n°023/MJL/DC/SGM/DAPCG/SA/023SGG19 du 22 juillet 2019 portant interdiction de délivrance des actes de l'autorité aux personnes recherchées par la justice en République du Bénin n’est pas contraire à la Constitution (.…) ».
8. Les Parties ont déposé leurs conclusions au fond et sur les réparations dans
les délais prescrits.
9. Les débats ont été clôturés le 14 mars 2022 et les Parties en ont été
notifiées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
10. Le Requérant demande à la Cour de :
ii Constater la violation des droits humains énoncés dans la Charte par
l'État du Bénin à travers l’arrêté interministériel
n°023/MJL/SGM/DACPG/SA/023SGG19 portant interdiction de
délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées.
ii. Enjoindre à l’État du Bénin de rendre l'arrêté interministériel conforme
aux exigences internationales en matière de droits humains.
11. L'État défendeur demande de :
ii Constater que le demandeur n’invoque aucune situation de violation des
droits de l’homme ;
ii. Constater que le demandeur sollicite la remise en cause d’un acte
administratif interne ;
iii. Constater que la demande est hors du champ de compétence de la
Cour ;
iv. Se déclarer incompétente ;
v. Constater que les actes administratifs sont susceptibles de recours
judiciaires au Bénin ;
vi. Constater la disponibilité et l’efficacité des recours internes ;
vii. Constater que le demandeur n’a pas exercé de recours judiciaires ;
viii. Constater que les recours internes ne sont pas épuisés ;
ix. Déclarer la requête irrecevable ;
x. Constater que l'arrêté querellé n’entraine pas de déclaration de
culpabilité ;
xi. Constater que ledit arrêté ne porte pas atteinte au droit à la présomption d’innocence ;
xii. Dire que ledit arrêté n’est pas contraire à la Charte ;
xiii. Constater que la nationalité est un rapport juridique d’appartenance à
un État ;
xiv. Constater que la nationalité béninoise est organisée par la loi ;
xv. Constater que l’arrêté querellé ne dispose pas sur la nationalité ;
xvi. Constater que la nationalité béninoise peut être prouvée par tous
nationaux ; et
Xxvii. Dire que ledit arrêté n’est pas contraire à la Charte.
V. SUR LA COMPÉTENCE
12. L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États
concernés.
2. Encas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente,
la Cour décide.
13. Par ailleurs, aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « la Cour procède
à un examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte,
au Protocole et au présent Règlement ».
14. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer
sur les éventuelles exceptions d’incompétence.
15. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’incompétence
matérielle de la Cour sur laquelle elle va statuer avant d’examiner, si
nécessaire, les autres aspects de sa compétence.
8 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 02 juin 2010.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
16. L'État défendeur affirme que le Requérant ne défère aucun différend devant
la Cour et qu’il se contente de la saisir comme organe de remise en cause
de l’arrêté du 22 juillet 2019.
17. Il allègue que les règles de compétence telles qu’édictées par l’article 3(1)
du Protocole ne peuvent induire à la remise en cause des lois nationales ou
des décisions de justice de sorte que la Cour de céans ne peut rendre un
arrêt visant à remettre en cause une décision administrative d’un État. Selon
l’État défendeur, les demandes du Requérant échappent à la compétence
de la Cour.
18. Il conclut que la Cour doit se déclarer incompétente.
19. Le Requérant, sans toutefois apporter de réponses directes à l’argument de
l’État défendeur, affirme que le Bénin a ratifié la Charte, le Protocole et a
déposé la Déclaration. Il estime que la Cour est compétente.
20. La Cour note que sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de « toutes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte,
du [...] Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de
l'homme et ratifié par les États concernés ».
21. La Cour rappelle que sa compétence matérielle est subordonnée à
l’allégation, par le Requérant de violations de droits de l'homme protégés par la Charte ou par tout autre instrument des droits de l'Homme ratifié par
22. La Cour relève, en l’espèce, que le Requérant allègue la violation du droit à
la présomption d’innocence et du droit à la nationalité, protégés
respectivement par les articles 7(1)(b) de la Charte et 15 de la DUDH. Dès
lors, la Cour agit dans les limites de son champ de compétence matérielle.
23. La Cour rejette donc l’exception soulevée par l’État défendeur et conclut,
en conséquence, qu’elle a la compétence matérielle.
B. Sur les autres aspects de la compétence
24. La Cour observe qu'aucune exception n’a été soulevée quant à sa
compétence personnelle, temporelle ou territoriale.
25. Ayant constaté qu’aucun élément du dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétente sur ces aspects :
ii La Cour note, concernant la compétence personnelle, comme elle l’a
déjà indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt que, le 25 mars 2020,
l’État défendeur a déposé l'instrument de retrait de la Déclaration. À
cet égard, la Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle le retrait par
l’État défendeur de sa Déclaration n’a pas d'effet rétroactif et n’a
aucune incidence, ni sur les affaires pendantes au moment dudit
retrait, ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant que
ledit retrait ne prenne effet, douze (12) mois après le dépôt de
l'instrument y relatif, soit le 26 mars 2021. La Requête ayant été
introduite, le 4 août 2020, donc avant la prise d’effet du retrait de la
Déclaration, ledit retrait n’a aucune incidence sur elle. La Cour
conclut qu’elle a la compétence personnelle.
7 Av Ad Ak et autres c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014), 1 RICA 371, 8 74 ; Bk Ap c. République Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014), 1 RICA 413, 8118.
i. La Cour note, de plus, s'agissant de la compétence temporelle, que
toutes les violations alléguées se sont produites après que l’État
défendeur est devenu partie à la Charte et au Protocole comme
mentionné au paragraphe 2 du présent Arrêt. En conséquence, la
Cour estime qu’elle a la compétence temporelle en l’espèce.
iii. La Cour observe enfin, en ce qui concerne la compétence territoriale,
que les violations alléguées par le Requérant sont survenues sur le
territoire de l’État défendeur. Elle en conclut que sa compétence
territoriale est établie.
26. Par voie de conséquence, la Cour considère qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
27. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole « la Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
28. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « la Cour procède à un
examen de la recevabilité de la requête conformément à l’article 56 de la
Charte, au Protocole et au présent Règlement ».8
29. La règle 50(2) du Règlement qui reprend en substance l’article 56 de la
Charte, dispose :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions
ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour
de garder l’anonymat ;
8 Article 40 du Règlement du 02 juin 2010.
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine (ci-après
désigné « Acte constitutif ») et la Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'’ils existent,
à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
30. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité de
la Requête tirée du non-épuisement des recours internes sur laquelle elle
va statuer avant d’examiner, éventuellement, les autres conditions de
recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
31. L'État défendeur fait valoir qu’un individu ne peut porter un différend contre
son État devant une juridiction internationale qu'après s'être adressé aux
autorités judiciaires de cet État en vue de leur donner l’opportunité de
réformer les effets de la décision ou du fait étatique litigieux.
32. || soutient qu’il existe des recours judiciaires internes permettant à
quiconque s’estimant lésé de faire censurer les violations éventuelles de
ses droits fondamentaux. Il cite, à cet effet, l’article 827 de la loi n°2008-07
du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale, sociale,
administrative et des comptes (ci-après désigné « le code de procédure
civile »). || affime que le Requérant n’a saisi aucune autorité d’une réclamation et n’a exercé aucun recours contentieux conformément à
l’article précité.
33. Il ajoute que la saisine de la Cour constitutionnelle par le Requérant ne peut
être interprétée comme un épuisement des voies de recours en ce sens que
cette voie est ouverte à tous les citoyens béninois pour effectuer un contrôle
objectif sans qu’il soit besoin d’évoquer des griefs personnels.
34. || estime par conséquent que le Requérant n’a pas épuisé les recours
internes ce qui rend la Requête irrecevable.
35. Le Requérant n’a pas conclu sur le recours prévu par l’article 827 du code
de procédure civile évoqué par l’État défendeur. Il fait valoir, cependant, que
les recours internes ont été épuisés dans la mesure où la Cour
constitutionnelle du Bénin qui est l’organe de protection des droits
fondamentaux et dont les décisions sont insusceptibles de recours, a rendu
le 18 juin 2020, une décision par laquelle elle l’a débouté de sa demande
en inconstitutionnalité de l’arrêté du 22 juillet 2019 pour violation de la
Charte et de la DUDH.
36. La Cour rappelle que conformément aux articles 56(5) de la Charte et
50(2)(e) de son Règlement intérieur, les requêtes doivent être postérieures
à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit
manifeste que la procédure de ces recours se prolonge de façon anormale.°
37. La Cour relève, que l’exigence de l'épuisement des recours internes
préalablement à la saisine d’une juridiction internationale des droits de
l'homme est une règle internationalement reconnue et acceptée.!°
9 Au Bh et Ag Bh c. République du Benin, CATDHP, Requête n° 008/2020, arrêt du 23 juin 2022 (compétence et recevabilité), 8 49 ; Bl Af Am c. République du Benin, CAfDHP, Requête n° 032/2020, arrêt du 22 septembre 2022 (compétence et recevabilité), 8 38.
19 An Be c. République du Mali, CAfDHP, Requête n° 010/2018, arrêt du 25 septembre 2020 (compétence et recevabilité), 8 39.
38. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence constante, que les
recours internes à épuiser doivent être disponibles, efficaces et
satisfaisants. En outre, il ne suffit pas qu’un recours existe pour satisfaire à
la règle de l'épuisement des recours, un requérant n’est, en effet, tenu
d’épuiser un recours qu’autant qu’il offre des perspectives de réussite.*!
39. La Cour note que la Cour constitutionnelle de l’État défendeur est
compétente pour connaître des allégations de violations de droits de
l'homme.!? Conformément à sa jurisprudence, la Cour rappelle que le
recours devant la Cour constitutionnelle de l’État défendeur est un recours
disponible, efficace et satisfaisant.!*
40. La Cour relève également que, conformément à l’article 124 alinéas 1 et 3“
de la Constitution de l’État défendeur (ci-après désignée « la
Constitution »), les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont
susceptibles d’aucun recours et s'imposent à toutes les autorités civiles,
militaires et juridictionnelles.
11 Ayants droit de feu Az Ay, Aw As dit Ablasse, Bc Ay et At Aj et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Ao Bg, Arrêt (fond) (28 mars 2014), 1 RICA 226, 8 68 ; Aa Ax Aq c. Ao Bg (fond) 1 RICA 324, 88 92 et 108 ; Bi Bf Bm Al Ai c. République du Bénin (fond et réparations) (04 décembre 2020) 4 RICA 149, 8 99.
12 L'article 114 de la Constitution béninoise dispose : « La Cour constitutionnelle est la plus haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés publiques (…) ». L'article 122 de la Constitution dispose : « Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle sur la constitutionnalité des lois, soit directement, soit par la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée dans une affaire qui le concerne devant une juridiction ».
Article 22. loi N° 91-009 du 04 mars 1991 modifiée par la loi du 31 mai 2001 « De même sont transmis à la Cour Constitutionnelle soit par le Président de la République, soit par tout citoyen, par toute association ou organisation non gouvernementale de défense des Droits de l'Homme, les lois et actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques, et en général, sur la violation des droits de la personne humaine. Voir, dans le même sens, Bl Af Am c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 028/2020, Arrêt du 1e'décembre 2022 (fond et réparations), 8 50.
13 Ac Bb et autres c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 031/2018, Arrêt du 24 mars 2022, 8 63.
14 Article 124 alinéa 1 et 2 de la Constitution : « … Les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d'aucun recours.
Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles ».
41. La Cour souligne, en ce qui concerne l’organisation juridictionnelle
spécifique de l’État défendeur, que lorsqu’un Requérant dispose de
plusieurs recours parallèles, y compris, le recours devant la Cour
constitutionnelle, il est en droit de procéder à un choix. Toutefois, lorsqu’un
tel choix porte sur le recours devant la Cour constitutionnelle, il ne peut lui
être exigé, après décision de ladite Cour d’exercer ou de tenter d’exercer
d’autres recours, dans la mesure où cette décision a un effet erga omnes.
42. La Cour note qu’en l’espèce, le 16 août 2019, le Requérant a saisi la Cour
constitutionnelle d’un recours en inconstitutionnalité de l’arrêté du 22 juillet
2019 en alléguant la violation des articles 7(1)(b) de la Charte et 15 de la
DUDH, comme il le fait dans la présente Requête. La Cour relève que le 18
juin 2020, la Cour constitutionnelle a rejeté le recours.!*
43. La Cour souligne qu’en vertu de l’article 124 de la Constitution susvisée,
cette décision s’impose à toutes les autorités civiles, militaires et
juridictionnelles, y compris au tribunal de première instance, statuant en
matière administrative, compétent pour connaître du recours pour excès de
pouvoir invoqué par l’État défendeur.
44. || s'ensuit qu’il n’est pas raisonnable de demander au Requérant d’exercer
le recours pour excès de pouvoir en saisissant le Tribunal administratif
puisqu’en tout état de cause, ledit Tribunal ne pourra pas rendre une
décision qui contredit celle de la Cour constitutionnelle.
45. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception tirée du non-épuisement
des recours internes et conclut que la Requête remplit cette condition de
recevabilité.
15 Le dispositif de la décision est ainsi conçu: «Dit que l'arrêté interministériel n° 023/MJL/DC/SGM/DAPCG/SA/023SGG19 du 22 juillet 2019 portant interdiction de délivrance des actes de l’autorité aux personnes recherchées par la justice en République du Bénin n’est pas contraire à la Constitution ». La Charte fait partie intégrante de la Constitution, conformément à son article 7 qui dispose : « Les droits et devoirs proclamés et garanties par la Charte africaine des droits de l'Homme et des Peuples adoptée en 1981 par l'Organisation de l'Unité africaine et ratifiée par le Bénin, le 20 janvier 1986, font partie intégrante de la Constitution et du Droit béninois ».
B. Sur les autres conditions de recevabilité
46. La Cour constate que la conformité de la Requête aux conditions prévues
aux alinéas (1), (2), (3), (4) et (7) de l’article 56 de la Charte telles que
reprises par la règle 50(2)(a), (b), (c), (d) et (g) du Règlement, n’est pas
contestée par les Parties. Toutefois, la Cour doit s'assurer que la Requête
satisfait également à ces conditions.
47. La Cour relève qu’il ressort du dossier que la condition prévue à la règle
50(2)(a) du Règlement est remplie, le Requérant ayant clairement indiqué
son identité.
48. La Cour note que les demandes formulées par le Requérant visent à
protéger ses droits garantis par la Charte. En outre, l’un des objectifs de
l’Acte constitutif, tel qu’énoncé à son article 3(h), est la promotion et la
protection des droits de l'homme et des peuples. Par ailleurs, la Requête
ne contient aucune demande qui soit incompatible avec l’Acte constitutif. La
Cour considère donc que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif
et la Charte et qu’elle satisfait à l'exigence de la règle 50(2)(b) du
Règlement.
49. La Cour relève en outre que la Requête ne contient aucun terme outrageant
ou insultant à l’égard de l’État défendeur, ce qui la rend ainsi conforme à
l’exigence de la règle 50(2)(c) du Règlement.
50. S’agissant de la condition énoncée à la règle 50(2)(d) du Règlement, la
Cour souligne que la Requête ne repose pas exclusivement sur des
nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse mais elle
se fonde sur un arrêté du 22 juillet 2019.
51. Ence qui concerne la condition relative à l’introduction de la Requête dans
un délai raisonnable prévue par la règle 50(2)(f), la Cour rappelle que le
caractère raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire et qu'elle doit le déterminer au cas par cas.!®
En l’espèce, la Cour retient, comme date faisant courir le délai de sa propre
saisine, celle de la décision de la Cour constitutionnelle, c’est-à-dire, le 18
juin 2020. Entre cette date et celle de la saisine de la Cour le 4 août 2020,
il s’est écoulé deux (2) mois et quinze (15) jours. Ce délai dénote la diligence
du Requérant. La Cour considère que le délai de deux (2) mois et quinze
(15) jours est raisonnable. La Cour estime donc que l’exigence de la règle
50(2)(f) est remplie.
52. Enfin, s'agissant de la condition énoncée à la règle 50(2)(g) du Règlement,
la Cour constate que la Requête ne concerne pas une affaire déjà réglée
conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de
l’Acte constitutif, soit des dispositions de la Charte.
53. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que la Requête remplit toutes
les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte telles que
repris par la règle 50(2) du Règlement. En conséquence, la Cour déclare la
Requête recevable.
VII. SUR LE FOND
54. Le Requérant allègue la violation du droit à la présomption d’innocence et
celle du droit à la nationalité.
A. Violation alléguée du droit à la présomption d’innocence
55. Le Requérant affirme que la présomption d’innocence est un droit
fondamental de l’être humain, consacré par l’article 7(1)(b) de la Charte et
l’article 17 de la Constitution de l’État défendeur.
16 Ayants droit de feu Az Ay et autres c. Ao Bg (exceptions préliminaires) (21 juin 2013), 1 RICA 204, 8 121 ; Ab Bj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 8 73.
56. Il soutient qu’en décidant de ne pas délivrer les actes de l’autorités aux
personnes recherchées par la justice, conformément à l’arrêté du 22 juillet
2019 alors même que lesdites personnes ne font pas l’objet d’une
condamnation définitive, l’État défendeur viole le principe de la présomption
57. Le Requérant affirme, en outre, que la non-délivrance des actes de l’autorité
à des personnes condamnées est la conséquence de l’existence d’une
infraction puisque cette mesure pénale constitue une sanction prise à la
suite d’une procédure conforme aux règles du droit positif béninois.
58. En réplique, l’État défendeur fait valoir que la présomption d’innocence
suppose que toute personne qui se voit reprocher une infraction, est
réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie.
59. Il ajoute que ce principe n'empêche pas que dans le cadre de la poursuite,
la personne poursuivie soit privée de liberté pour l’efficacité de l’enquête ou
qu’elle fasse l’objet de mesures restrictives destinées à la manifestation de
la vérité, notamment la garde-à-vue ou la détention préventive.
60. L’État défendeur soutient, enfin, que l’interdiction de délivrance des actes
de l’autorité n’est en rien une déclaration de culpabilité mais vise à ne pas
faciliter la cavale de personnes qui s'organisent pour se soustraire à l’œuvre
de justice. Il ajoute que l’arrêté querellé concourt au respect de la
présomption d’innocence en ce qu’il facilite la comparution des mis en
cause pour la « démonstration » judiciaire de leur innocence ou leur
culpabilité.
61. L'article 7(1) (b) de la Charte dispose :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend … le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que
culpabilité soit établie par une juridiction compétente.
62. La Cour souligne que la présomption d’innocence signifie que toute
personne suspectée ou poursuivie pour une infraction est supposée ne pas
l’avoir commise, et ce, aussi longtemps que sa culpabilité n'aura pas été
établie par une décision judiciaire irrévocable.!” Il s'ensuit que l’étendue du
droit à la présomption d’innocence couvre toute la procédure allant de
l'’interpellation de la personne poursuivie jusqu’au prononcé de la
63. La Cour a jugé que le respect de la présomption d’innocence ne s'impose
pas uniquement au juge pénal, mais aussi à toutes autres autorités
judiciaires, quasi judiciaires et administratives.!°
64. La Cour estime que la présomption d’innocence se trouve méconnue si,
sans établissement de la culpabilité judiciaire d’un individu, une décision
judiciaire ou administrative reflète le sentiment qu’il est coupable. De même,
la présomption d’innocence est violée lorsque des autorités, même non
judiciaires posent des actes qui incitent le public à croire en la culpabilité
des personnes poursuivies.
65. La Cour rappelle qu’en l'espèce, l’arrêté du 22 juillet 2019 vise deux
catégories de personnes. D’une part, les personnes dont la comparution,
l’audition ou l’interrogatoire est nécessaire au stade préparatoire ou de
jugement, d’une procédure pénale ouverte contre elles, d’autre part, les
personnes ayant fait l’objet d’une condamnation uniquement exécutoire. En
somme, l’arrêté concerne des personnes contre lesquelles il n’existe
aucune décision pénale irrévocable c’est-à-dire que ladite décision est
toujours susceptible de recours. Ainsi, ces personnes sont présumées
17 Une décision irrévocable est une « décision insusceptible de recours ». Il se distingue du jugement définitif qui est un «jugement qui tranche une contestation principale ou incidente, opérant dessaisissement du juge et emportant autorité de la chose jugée. Il reste sujet aux voies de recours ». (Lexique des termes juridiques, 25e" édition, 2017-2018, Sous la direction de Serge Guinchard, Dalloz. 18 Bi Bf Ai c. République du Bénin, CAÏDHP, Requête n° 013/2017, Arrêt du 29 mars 2019 (fond), 8 190 ; Bl Af Am c. République du Bénin, Requête n° 003/2020, Arrêt du 04 décembre 2020 (fond), 8 100.
19 Ajavon, ibid., 8 192 ; Am, ibid, 8 101.
innocentes jusqu’à ce que les décisions rendues à leur encontre soient
définitives.
66. En outre, la Cour observe, en l'espèce, que la mesure de refus de
délivrance des actes de l'autorité telle qu’elle résulte de l’arrêté du 22 juillet
2019 constitue en fait une mesure de contrainte faite à une personne
recherchée pour la contraindre à déférer à la convocation de la justice.
67. La Cour relève qu’à travers cet arrêté, dont les visas sont sans rapport avec
les questions judiciaires,” les ministres de la Justice et de l'Intérieur qui font
partie du pouvoir exécutif, s’immiscent dans des attributions qui relèvent du
pouvoir judiciaire.?/2? En effet, en vertu de l’alinéa iii (3) du livre préliminaire
20 Les visas de l'arrêté sont les suivants : la loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant Constitution de la République du Bénin ; la proclamation, le 30 mars 2016, par la Cour constitutionnelle des résultats définitifs de l'élection présidentielle du 20 mars 2016 ; le décret 2018-198 du O5 juin 2018 portant composition du Gouvernement ; le décret n°425 du 20 juillet 2016 portant attribution, organisation et fonctionnement du Ministère de la Justice et de la Législation ; Vu le décret n° 2016 — 416 du 20 juillet 2016 portant attribution, organisation et fonctionnement du ministère de l'Intérieur et de la Sécurité publique ; Vu les nécessités du service ».
21 Décret n°425 du 20 juillet 2016 portant attributions, organisation et fonctionnement du ministère de la Justice et de la Législation, article 3 « Le Ministère de la Justice et de la Législation a pour missions de proposer, de mettre en œuvre, de conduire, de suivre et d’évaluer la politique de l’État dans les domaines de l'administration de la justice, des services pénitentiaires, de l’éducation surveillée, de la législation et des droits de la personne humaine, et de la promotion d’une dynamique de renforcement des relations entre le gouvernement, les institutions républicaines et les organisations de la société civile. À ce titre, il est chargé de : - contribuer à la promotion du respect de l'indépendance du pouvoir judiciaire et de la consolidation de l’état de droit; - organiser le bon fonctionnement du service public de la justice, des établissements pénitentiaires et des établissements de l'éducation surveillée ; - surveiller la cohérence de la légalité et de l’application de tous les textes comportant des dispositions en matière pénale, civile, administrative et des comptes; - assurer la protection judiciaire de l’enfance ; contrôler la rééducation des mineurs et adolescents en conflit avec la loi ou en danger moral ; animer et contrôler l'exercice de l’action publique ; - donner, sans préjudice des attributions de l’Agent judiciaire du Trésor, des consultations juridiques sur toute action que l’État désire intenter devant les juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif, ainsi que sur la défense que l’État peut opposer devant les mêmes juridictions ; instruire et donner la suite aux recours en grâce, en amnistie, aux demandes de libération conditionnelle et de réhabilitation ; conseiller l’État sur le plan juridique ; - organiser et encadrer l'exercice des fonctions juridictionnelles ; élaborer soit d'office, soit de concert avec d'autres départements ministériels, des projets de lois, décrets et arrêtés de portée générale en toutes matières ;
- participer au contrôle et a la surveillance des sites internet et de tous les moyens des technologies de l'information et de la communication ; veiller au respect de la réglementation de la liberté de la presse ;
- concevoir, animer et coordonner toutes les activités du gouvernement tendant à la promotion, à la protection et de la défense des droits de la personne humaine ; créer et mettre en œuvre les mécanismes de protection et de défense des libertés individuelles et collectives ; mettre en œuvre les conventions internationales en matière d'entraide judiciaire ; - assurer la promotion et l'animation des relations avec les organisations de la société civile ; assurer, en collaboration avec les structures concernées, le suivi de la coopération des partenaires techniques et financiers du Benin avec les organisations de la société civile ; gérer les relations du gouvernement avec les institutions constitutionnelles et les organisations non étatiques ».
22 Décret n°416 du 20 juillet 2016 portant attributions, organisation et fonctionnement du ministère de l’intérieur et la sécurité publique, article 3 : « Le Ministère de l'intérieur et de la sécurité publique a pour du code de procédure pénale « [es mesures de contrainte dont cette
personne suspectée ou poursuivie peut faire l’objet sont prises sur décision
ou sous le contrôle effectif de l’autorité judiciaire. Elles doivent être
strictement limitées aux nécessités de la procédure, proportionnées à la
mission, la définition, la mise en œuvre et le suivi-évaluation de la politique de l’État en matière de sécurité, de lutte anti-terroriste, de protection civile, de préservation des libertés publiques et de participation des citoyens à la production de la sécurité des biens et des personnes sur toute l'étendue du territoire national. À ce titre, il est chargé de : - assurer l’ordre public, notamment la sécurité intérieure et extérieure de l’État ; - prendre toutes mesures tendant à assurer la prévention, la recherche et la répression de tous faits susceptibles de troubler l’ordre public ; - gérer les flux migratoires ; - promouvoir la qualité de la gouvernance sécuritaire dans toute la hiérarchie des Forces de sécurité incluant l'amélioration de la qualité du recrutement, de la formation et des conditions de vie et de travail du personnel de la sécurité ; - élaborer et mettre en œuvre la politique nationale de gestion intégrée des espaces frontaliers ; renforcer le professionnalisme et la rationalisation des services de renseignement et son orientation vers le renseignement territorial et le renseignement sectoriel ; - organiser et coordonner la lutte anti-terroriste ; - coopérer avec les autres ministères pour les mesures d'accompagnement concourant au renforcement de l'efficacité des actions de sécurisation systémique du territoire ; - veiller à la mise aux normes et au bon fonctionnement des unités de sécurité sur toute l'étendue du territoire national ; - renforcer la coopération inter-corps dans toute la pyramide du système sécuritaire national au moyen d'actions en synergie aux niveaux central’ déconcentré et décentralisé ;
- renforcer la coopération sécuritaire avec les pays voisins et les pays amis en Afrique et dans le monde. Au titre de ses attributions relatives aux affaires intérieures, le ministre de l’intérieur et de la sécurité publique est chargé de : - prendre tous les actes réglementant la sécurisation de la vie civile des populations, la circulation des personnes et des biens conformément aux lois, règlements et conventions en vigueur ; - assurer la jouissance des libertés publiques ; - assurer la coexistence pacifique des cultes traditionnels et modernes ; orienter l’exercice du culte vers la promotion des valeurs morales et éthiques, le développement humain, notamment l'épanouissement et l'émancipation des adeptes ; - doter chaque commune d’un plan local intégré de sécurité concourant à renforcer la coopération inter-corps, la collaboration avec les autorités locales et la promotion de la culture de l’ordre public et de la paix au sein de la population ; - assurer en collaboration avec le ministère charge de la décentralisation, la formation des conseils de village, de quartier, de ville, d’arrondissement et de commune en renseignement territorial ; - contribuer à prévenir et gérer les conflits sociaux nés des successions aux trônes des chefferies traditionnelles, et les conflits intra et inter religieux ; - animer un cadre d’analyse stratégique de la sécurité tenant lieu d’évaluation annuelle du profil sécuritaire du Bénin et de la capacité de réaction rapide de ses Forces face à tout facteur de menace ; élaborer et actualiser périodiquement dans une base de données, la cartographie géoréférencée des lieux de culte avec l'évaluation de leur contribution à la paix et la sécurité dans chaque commune ; - développer et institutionnaliser des outils d’évaluation stratégique des implications sécuritaires des investissements lourds sur le territoire national ; - concourir à la modernisation de l’état civil par la création d’un fichier central national de l’état civil recourant aux technologies appropriées, et mettant en réseau de gestionnaires de l’état civil, les administrations compétentes relevant des Forces de sécurité, de la Justice, des Affaires étrangères, des formations sanitaires, des Préfectures et des Collectivités locales ;
- veiller à la qualité de la formation dans les écoles de Police, de Gendarmerie, des Eaux et forêts et dans les écoles de formation de sécurité privée ; - assurer la réglementation en matière de débits de boissons, établissements de restauration et assimilés. Au titre de ses attributions relatives à la protection civile, le Ministère de l’intérieur et de la sécurité publique est chargé de : - élaborer et valoriser la cartographie des risques systémiques et développer la stratégie de leur gestion en collaboration avec les ministères en charge de la décentralisation, du cadre de vie et de l’enseignement supérieur ; - mettre en œuvre, la protection et la défense civiles ; - organiser les secours en cas de sinistres ou de catastrophes ; - assurer sur toute l’étendue du territoire national la protection des personnes et des biens, la sécurité des installations d’intérêt général et des ressources naturelles de la nation en collaboration avec les autres départements ministériels, notamment ceux en charge de la décentralisation, du cadre de vie, de la santé, de l’agriculture et de la défense ; - développer un programme d'éducation de la protection civile dans les zones particulièrement sensibles ».
gravité de l'infraction reprochée et ne pas porter atteinte à la dignité de la
68. La Cour relève cependant que l’État défendeur n’a rapporté la preuve
d'aucun avis de recherche ou mandat émis par les autorités judiciaires
encore moins une décision de justice interdisant la délivrance des actes
concernés aux personnes recherchées.
69. La Cour estime que le refus de délivrance de ces actes qui ne résulte
d'aucune décision judiciaire, engendre une perception de culpabilité des
personnes « recherchées par la justice ». Cette perception est exacerbée
par le fait que, selon l’article 3 dudit arrêté, la liste des personnes
« recherchées par la justice » peut être consultée, par tous, sur le site du
ministère de la Justice et de la Législation dont l’adresse y a été indiquée.
70. La Cour constate, à cet effet, que sous le nom de chaque personne
« recherchée par la justice » est mentionnée une infraction et, à côté une
juridiction. Ces mentions à elles-seules, suffisent à inciter le public à croire
en la culpabilité de ces personnes.
71. De ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur a violé le droit à la
présomption d’innocence prévue à l’article 7(1)(b) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la nationalité
72. Le Requérant affirme que le droit à la nationalité doit être apprécié à l’aune
de la jouissance effective de toutes les conséquences y afférentes,
notamment la possibilité de bénéficier de tous les actes civils ou
administratifs.
73. Il estime que l'arrêté contesté restreint le droit à la jouissance effective de
la nationalité du moment que certaines de ces pièces permettent de justifier
23 Loi n° 2012-15 du 30 mars 2012 portant code de procédure pénale, livre préliminaire (iii)(3).
la nationalité, ce qui viole ainsi l’article 15 de la … DUDH qui protège le droit à la nationalité.
74. Selon le Requérant, l’existence d’un droit s’apprécie par rapport au profit que son titulaire peut en tirer. Il indique que « le droit à la nationalité ne peut être déclaré effectif sous le seul prisme qu’il n’y a ni abus ni restriction ou privation ».
75. En réplique, l’État défendeur fait valoir que la nationalité est l’appartenance juridique d’une personne à l’État et que la loi de l’État défendeur définit les modalités d’attribution, de perte et de déchéance.
76. L'État défendeur affirme que l'arrêté critiqué ne porte pas sur la nationalité et ne limite pas la preuve de celle-ci. I! conclut en l’inexistence d’entrave au droit à la nationalité.
77. La Cour observe que la DUDH, prévoit, en son article 15, que :
« 1. Toute personne a droit à une nationalité
2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, … ».
78. La Cour rappelle, comme elle l’a affirmé dans les affaires Ba Ae
Ba c. Tanzanie?* et Az Ah Bd c. Tanzanie,” que le droit à
la nationalité prévu par la DUDH s’applique comme norme contraignante
dans la mesure où cet instrument a acquis le statut de norme du droit
international coutumier.
79. La Cour a, également, indiqué dans l'affaire Az Ah Bd c.
Tanzanie que bien que la Charte ne contienne pas de disposition expresse
portant sur le droit à la nationalité, son article 5 prévoit que « tout individu a
24 Ba Ae Ba c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 mars 2018) 2 RICA 257, 876.
25 Az Ah Bd c. République Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 617, 8 85.
droit au respect de la dignité inhérente à la personne humaine et à la
reconnaissance de sa personnalité juridique … ». À cet égard, la Cour a
estimé que l’expression « personnalité juridique » inscrite dans ledit article
comprend le droit à la nationalité. ?é
80. La Cour rappelle que l'attribution de la nationalité relève de la souveraineté
des États. Il appartient donc à chaque État de déterminer les conditions
d'attribution, de jouissance et de retrait de la nationalité conformément au
droit international, en la matière. Elle a également jugé que tout individu a
droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité juridique?” de
sorte que la nationalité lui donne non seulement son identité mais
également, lui accorde la protection de l’État et lui confère de nombreux
droits civils et politiques.
81. À cet égard, la Cour estime que la violation du droit à la nationalité ne
s’entend pas uniquement, stricto sensu, du retrait ou de la déchéance de la
nationalité par un acte formel de l’autorité. La Cour considère que cette
violation peut également s'étendre au refus arbitraire de la délivrance de la
preuve documentaire de la possession d’une nationalité ou à l’annulation
arbitraire d’un tel document.
82. La Cour relève que la capacité de produire la preuve de sa nationalité ou
de se la procurer peut-être essentielle pour être considéré comme un
national de l’État concerné et continuer de l’être. De plus, dans certains
contextes nationaux, l'incapacité d’accéder à certaines pièces d’identité que
l’État délivre exclusivement à ses ressortissants peut signifier que la
personne n’est pas considérée comme un ressortissant et ne peut, par
conséquent, bénéficier des droits et obligations résultant de ce lien. Ceci
peut mettre la personne concernée dans une situation ayant des effets
semblables à ceux résultant de l’apatridie. Or, la Cour a déjà jugé que « tout
individu a droit à la reconnaissance en tous lieux de sa personnalité
26 Ibid., 8 89.
juridique » et que « le droit international exige que les États prennent toutes
les mesures nécessaires pour éviter des situations d’apatridie ».?©
83. La Cour est donc d’avis avec la Commission africaine des droits de l'homme
et des peuples que «les États doivent veiller à l’égalité d’accès aux
documents servant à prouver la nationalité, en particulier les passeports,
les documents d'identité et les certificats de nationalité … ».2°
84. La Cour estime donc que la question de la preuve de la nationalité constitue
un corollaire du droit à la nationalité et ne peut être prise à la légère de sorte
que le citoyen ne peut en être privé arbitrairement tel qu’édicté par les
articles 15 de la DUDH et 5 de la Charte.
85. Ainsi, la Cour considère que pour éviter tout arbitraire, ces mesures de
privation de la jouissance de son droit à la nationalité doivent être fondées
sur une base juridique claire, doivent servir un but légitime qui soit conforme
au droit international, doivent être proportionnelles à l'intérêt qu’elles visent
à protéger. De plus, des garanties procédurales permettant à l'intéressé de
faire valoir tous ses moyens de défense devant une instance indépendante
doivent être respectées.
86. La Cour relève, que bien que la législation de l’État défendeur prévoit que
les questions de nationalité, d’état des personnes, de la preuve de la
nationalité et de ses effets“! sont du domaine de la loi, le refus de délivrance
du certificat de nationalité résulte, en l'espèce, d’un arrêté interministériel
intervenant ainsi dans un domaine réservé à la loi. De plus, la Cour a établi
dans le présent Arrêt que l’objectif visé par l’arrêté du 22 juillet 2019, en
28 Idem.
2 CADHP, le droit à la nationalité en Afrique, Étude réalisée par la Rapporteure spéciale sur les Réfugiés, les demandeurs d'asile, les personnes déplacées internes et les migrants en Afrique, conformément à la Résolution 234 du 23 avril 2013, avec l'approbation de la Commission accordée dans sa 55e session ordinaire tenue en mai 2014.
Article 98 de la loi n°90-32 du 11 décembre 1990 portant constitution du Bénin : « Sont du domaine de la loi les règles concernant : [.…] la nationalité, l’état et la capacité des personnes … ».
31 L'article 95 de la loi n° 65-17 du 23 juin 1965 portant Code de la Nationalité Dahoméenne (Bénin), applicable au moment de l’introduction de l’instance dispose « Le certificat de nationalité … fait foi jusqu’à preuve contraire ». Ce texte est également repris par l’article 76 alinéa 2 de la loi n°2022-32 du 20 décembre 2022 portant code de la nationalité abrogeant la loi n°065-17 du 23 juin 1965.
l'occurrence empêcher la fuite des personnes recherchées selon l’État
défendeur, n’est pas conforme au droit international puisqu'il viole le droit à
la présomption d’innocence.
87. La Cour estime, en outre, que la mesure d’interdiction de délivrance ou
d'annulation“? des certificats de nationalité telle qu’édictée par l’arrêté du 22
juillet 2019 est de nature à nier la personnalité juridique de la personne
recherchée et entrainer des situations similaires à l’apatridie ce qui est
manifestement disproportionné par rapport au but visé.
88. La Cour estime que dans ces circonstances, en interdisant d’établir et
délivrer le certificat de nationalité au profit d’une personne du simple fait
qu’elle est recherchée par la justice, ou en déclarant nul un tel certificat,
l’arrêté du 22 juillet 2019 le prive arbitrairement de la jouissance de la
nationalité.
89. La Cour en conclut que du fait de l'arrêté du 22 juillet 2019, l’État défendeur
a violé le droit à la nationalité prévu par les articles 5 de la Charte et 15 de
la DUDH.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
90. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de rendre
l’arrêté du 22 juillet 2019 conforme aux exigences internationales en
matière de droits humains.
91. L'État défendeur soutient que la Cour devrait déclarer que les violations
alléguées ne sont pas fondées et que, par conséquent, la demande de
réparation du Requérant doit être rejetée.
32 L'article 5 de l’arrêté du dispose : « Est nul et de nul effet tout acte de l'autorité délivré en violation des dispositions du présent arrêté (…) ».
92. L'article 27(1) du Protocole dispose que « [lorsqu'elle estime qu’il y a eu
violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les
mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement
d’une juste compensation ou l'octroi d’une réparation ».
93. La Cour note qu’elle a conclu que l’arrêté du 22 juillet 2019 viole le droit à
la présomption d’'innocence et le droit à la nationalité, protégés
respectivement par l’article 7(1)(b) de la Charte et les articles 5 de la Charte
et 15 de la DUDH.
94. En conséquence, la Cour, ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les
mesures afin de rapporter l’arrêté du 22 juillet 2019.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
95. Aucune des Parties n’a conclu sur ce point.
96. Aux termes de la règle 32(2) du Règlement,* « à moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
97. La Cour note que rien, dans les circonstances de l'espèce, ne justifie qu’elle
déroge à cette règle. En conséquence, la Cour décide que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
X. DISPOSITIF
98. Par ces motifs,
33 Article 30(2) du Règlement du 02 juin 2010.
La COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
Sur la recevabilité
recours internes ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Au fond
A la majorité de dix (10) voix pour et une voix (1) contre, le Juge Blaise
TCHIKAYA ayant émis une opinion dissidente,
v. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la présomption d’innocence,
consacré par l’article 7(1)(b) de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la nationalité, protégé par
les articles 5 de la Charte et 15 de la Déclaration universelle des
droits de l’homme.
Sur les réparations
vi. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures afin de
rapporter l’arrêté interministériel n° 023/MJL/DC/SGM/DACPG/SA
023SGGG19 du 22 juillet 2019 et ce dans un délai de six (6) mois à
compter de la signification du présent Arrêt.
Sur la mise en œuvre et le rapport
viï. Ordonne à l’État défendeur de soumettre à la Cour, dans un délai de
six mois (6) mois à compter de la date de signification du présent
Arrêt, un rapport sur les mesures prises pour la mise en œuvre du point vii du présent dispositif.
Sur les frais de procédure
À l’unanimité,
ix. Décide que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Imani D. ABOUD, Présidente ;-—— = ‘
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ES
Ben KIOKO, Juge SES
Suzanne MENGUE, Juge ; —#-
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Lai Oiponila
Chafika BENSAOULA, Juge FE
Stella |. ANUKAM, Juge Eur am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge 2 Æ a.
Modibo SACKO, Juge : Jrait. fausse - Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l’opinion
dissidente du Juge Blaise TCHIKAYA est jointe au présent arrêt.
Fait à Arusha, ce treizième jour du mois de juin de l’an deux mille vingt-trois, en
français et en anglais, le texte français faisant foi.