AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AH A
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 028/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS..
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
B Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
B Sur les autres conditions de recevabilité 11
DIR SUR LE FOND 13
A. Allégation de violation du droit à ce que sa cause soit entendue 13
B Allégation relative aux éléments de preuve sur le fondement desquels la
condamnation du Requérant a été prononcée 15
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS 17
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 18
DISPOSITIF 18 La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella
|. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Modibo SACKO et Dennis D. ADJEI — Juges ; et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour, de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
AH A
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Bx Ax AJ, Bh An, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bl Bo B, Aa Bh An, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Aq AG, Directrice chargée des droits de l’homme, ministère
de la Justice et des Affaires constitutionnelles ; et
iv. M. Ap M. Ar'A, Directeur adjoint, chargé des Affaires constitutionnelles,
des Droits de l’homme et du Contentieux électoral ; Bureau du Solicitor General.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur AH A (ci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la présente Requête,
était incarcéré à la prison centrale de Butimba dans la région de Mwanza
après avoir été reconnu coupable de « viol » et condamné à la réclusion à
perpétuité. Il conteste la violation de ses droits dans le cadre des
procédures judiciaires nationales qui ont abouti à sa condamnation.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l'État défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des
droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21
octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également déposé,
le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole (ci-
après désignée « la Déclaration »), par laquelle elle accepte la compétence
de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d'individus et
d'organisations non gouvernementales. Le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n’avait aucun effet sur les affaires pendantes, ni
sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un (1)
an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.!
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. | ressort du dossier que le 13 novembre 2009, le Requérant aurait « violé »
une fillette de trois (3) ans qu’il était censé raccompagner chez elle en
provenance de la ferme où elle tenait compagnie à sa mère. Il a été arrêté
et détenu dans les locaux de « l’agent d’exécution » du quartier, d’où il s’est
+ Aj Ac Ab c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 88 37 à 39.
échappé. Il a, de nouveau, été arrêté et mis en accusation, le 23 novembre
2009, devant le Tribunal de District de Chato qui a ordonné sa mise en
liberté sous caution. Le 25 janvier 2010, date de l’audience, le Requérant
ne s’est pas présenté devant le tribunal de district. La séance a donc été
ajournée et un mandat d’arrêt a été décerné contre lui. Le 13 avril 2010, le
ministère public a demandé au tribunal de district de poursuivre l’audience
in abstentia, les efforts pour le retrouver s'étant avérés vains. Le tribunal de
district a fait droit à cette demande et le 22 juillet 2010, le Requérant a été
jugé par contumace et condamné à la réclusion à perpétuité.
4. Le 29 juin 2012, le Requérant a été appréhendé par la police et présenté
devant le tribunal de district. Il a exposé les raisons de sa non-comparution
devant ledit tribunal à l’audience précédente. N’ayant pas été convaincu par
les explications fournies par le Requérant, le magistrat a, en conséquence,
maintenu sa condamnation et sa peine.
5. Le 17 juillet 2012, le Requérant a interjeté appel de cette décision qui a été
confirmée par la Haute Cour de Tanzanie, siégeant à Bukoba le 29 octobre
2014. Le 10 novembre 2014, il a saisi la Cour d’appel d’un recours contre la
décision de confirmation. Le 19 février 2016, ce recours a été rejeté pour
défaut de fondement.
B. Violations alléguées
6. Le Requérant allègue la violation de son droit à un procès équitable et de
son droit à la défense, en ce que :
ii Son droit à ce que sa cause soit entendue a été violé ; et
ii. Sa condamnation a été prononcée sur la base de preuves peu fiables.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête a été reçue au Greffe le 10 mai 2016 et communiquée à l’État
défendeur le 7 juin 2016.
8. Après plusieurs prorogations de délais, les Parties ont déposé leurs
conclusions sur le fond et les réparations.
9. Les débats ont été clôturés le 9 février 2022 et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
10. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Dire que l’État défendeur a violé ses droits de l'homme ;
ii. Ordonner des mesures de réparation, notamment sa remise en liberté,
conformément à l’article 27 du Protocole.
11. En ce qui concerne la compétence et la recevabilité, l’État défendeur
demande à la Cour de :
i. Dire et juger qu’elle n’est pas compétente, en l'espèce ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à la règle 40(5) du Règlement intérieur de la Cour
ou aux articles 56 et 6(2) du Protocole ;
iii. Rejeter la Requête, conformément à la règle 38 du Règlement ;
iv. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge
du Requérant.
12. S’agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger que le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie
n’a pas violé le droit du Requérant, protégé par l’article 2 de la Charte ;
ii. Dire et juger que le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie
n’a pas violé les droits du Requérant protégés par l’article 3 de la
Charte ;
iii. Dire et juger que le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie
n’a pas violé les droits du Requérant protégé par l’article 7(1) de la
Charte ;
iv. Dire et juger que la condamnation du Requérant est conforme à la loi ;
v. Dire et juger que les recours formés devant la Haute Cour et la Cour
d’appel ont été tranchés en toute impartialité, conformément à la loi ;
vi. Dire et juger que le Requérant continue de purger sa peine ;
vii. Rejeter la Requête pour défaut de fondement ;
viii. Rejeter les demandes du Requérant ;
ix. Mettre les frais de procédure à la charge du Requérant.
V. SUR LA COMPÉTENCE
13. La Cour relève que l’article 3 du Protocole est libellé comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
14. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un
examen préliminaire de sa compétence […] conformément à la Charte, au
Protocole et au [.…] Règlement ».
15. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer
sur les éventuelles exceptions d’incompétence.
16. L'État défendeur soulève une exception d’incompétence matérielle de la
Cour. La Cour va statuer sur ladite exception avant de se prononcer, le cas
échéant, sur les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
17. L'État défendeur fait valoir que la Cour n’est pas compétente pour connaître
de la présente Requête dans la mesure où elle soulève des questions de
fait et de droit qui ont été tranchées de manière définitive par sa Cour
d'appel. Il soutient qu’en l’espèce, il est demandé à la Cour de se prononcer
comme une juridiction d’appel.
18. Invoquant la règle 26 du Règlement? et la décision de la Cour dans l'affaire
Ernest Bv Bs AI Bm, l’État défendeur soutient également que
la Cour de céans n’est pas compétente pour annuler la condamnation du
Requérant, ni ordonner sa mise en liberté, dans la mesure où ladite
condamnation a été confirmée par la Haute Cour de l’État défendeur.
19. Pour sa part, citant, la jurisprudence de la Cour dans l'affaire Alex Bt
c. Tanzanie, le Requérant soutient que la Cour est compétente pour
connaître de la présente Requête puisqu'il y allègue la violation de ses
droits protégés par la Charte et par d’autres instruments de protection des
droits de l’homme ratifiés par l’État défendeur.
20. La Cour note que sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État concerné.®
? Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
3 Alex Bt c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 88 45 ; Ag Ah Ao et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJCA 67, 8 34 à 36 ; Bd Aw Z Bn et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RICA 654, 8 18 ; Bc Bi Bq c. République-Unie de Tanzanie, CAÏDHP, Requête n° 017/2017, Arrêt du 22 septembre 2022 (compétence et recevabilité), ss 21.
21. Enl’espèce, le Requérant allègue la violation du droit à un procès équitable,
y compris le droit à la défense, protégés par la Charte à laquelle est partie
l’État défendeur.
22. La Cour rappelle, en outre, qu’elle n’est pas une juridiction d’appel des
décisions rendues par les juridictions nationales, mais qu’elle peut, en vertu
de l’article 3(1) du Protocole, examiner les procédures pertinentes devant
les instances nationales pour déterminer si elles sont conformes à la Charte
ou à tout autre instrument de protection des droits de l'homme ratifié par
l’État concerné.*
23. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’exception d’incompétence
soulevée et considère qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de
la présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
24. La Cour relève qu’aucune exception n’a été soulevée concernant sa
compétence personnelle, temporelle ou territoriale. Néanmoins, elle doit
s'assurer que sa compétence sur ces aspects est établie.
25. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour relève, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie
au Protocole et que, le 29 mars 2010, il a déposé auprès de la Commission
de l’Union africaine la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole. Le
21 novembre 2019, il a déposé l’instrument de retrait de sa Déclaration.
26. À cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la
Déclaration n’a pas d’effet rétroactif et ne prend effet qu’un (1) an après la
date de dépôt de l'instrument y relatif, en l’occurrence le 22 novembre 2020.
* Ag By c. République-Unie de Tanzanie (fond) (mars 2019), 3 RICA 51, 8 26 ; Am Au c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RCJA 493, 8 33 ; Av Bu YBf BgC et As Av YBk AfC c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018), 2 RICA 297, 8 35.
La présente Requête, introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son
instrument de retrait, n’en est donc pas affectée. La Cour en conclut qu’elle
a la compétence personnelle, en l’espèce.
27. S'agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que les violations
alléguées sont intervenues après que l’État défendeur est devenu partie à
la Charte et au Protocole et qu’il a déposé la Déclaration prévue à l’article
34(6) dudit Protocole. La Cour en conclut que sa compétence temporelle
est établie.
28. La Cour souligne, enfin, qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure
où les violations alléguées se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur.
29. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
30. L'article 6(2) du Protocole dispose : « [I]a Cour statue sur la recevabilité des
requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la
Charte ».
31. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, « [Ia Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au
[…] Règlement ».
32. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend, en substance, les dispositions
de l’article 56 de la Charte, est ainsi libellée :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
33. L'État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité de la Requête tirée
du non-épuisement des recours internes. La Cour va statuer sur ladite
exception avant de se prononcer, le cas échéant, sur les autres conditions
de recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
34. Citant la décision de la Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples (ci-après désignée « la Commission ») dans l’affaire Ay
Al Ai Bb X Ba et autres c. Tanzanie, l’État défendeur
fait valoir que l’épuisement des recours internes est un principe fondamental
du droit international qui requiert que le plaignant « exerce tous les recours
judiciaires » disponibles devant les juridictions internes avant de saisir tout
organe international tel que la Cour de céans.
35. L'État défendeur soutient par ailleurs, comme l’a indiqué la Commission
dans l'affaire Article 19 c. Erythrée, qu’il incombe au Requérant de
démontrer qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour épuiser les
recours internes et non se contenter de mettre en doute l’efficacité desdits
recours.
36. L'État défendeur soutient, à cet égard, que des recours étaient disponibles
mais le Requérant ne les a pas épuisés. L'État défendeur affirme avoir
adopté la loi sur les droits et devoirs fondamentaux dont l’article 4 prévoit
des voies de recours pour faire respecter les droits constitutionnels et
fondamentaux.® Il soutient que le Requérant aurait pu saisir la Haute Cour
d’un recours afin de faire respecter les droits dont il allègue la violation et
qu’il avait également la possibilité d’introduire un recours en révision de
l’arrêt de la Cour d’appel, s’il se sentait lésé par ladite décision.
37. Le Requérant soutient qu’il a exercé tous les recours internes, ayant
interjeté appel devant les juridictions internes jusqu’à la plus haute
juridiction de l’État défendeur, à savoir la Cour d'appel.
38. La Cour note qu’aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
dont elle est saisie doit satisfaire à la condition de l’épuisement des recours
internes. La règle de l’épuisement des recours internes vise à donner aux
États la possibilité de traiter les violations des droits de l’homme relevant de
leur juridiction avant qu’un organe international des droits de l’homme ne
soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet égard.S
5 «Toute personne qui allègue qu’une quelconque des dispositions des articles 12 à 29 de la Constitution ont été, sont violées ou sont susceptibles de l'être à son égard, peut, sans préjudice de toute autre action concernant la même question susceptible d’être exercée légalement, demander réparation devant la Haute Cour ».
8 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017), 2 RICA 9, 88 93 à 94.
39. La Cour de céans a, également, indiqué dans plusieurs arrêts concernant
l’État défendeur que, tels qu’ils sont appliqués dans le système judiciaire de
la Tanzanie, les recours en inconstitutionnalité devant la Haute Cour et la
procédure de révision constituent des recours extraordinaires que le
Requérant n’est pas tenu d’exercer avant de la saisir.”
40. En l’espèce, la Cour relève que, à la suite de sa condamnation par le
Tribunal de District de Chato, le Requérant a interjeté appel de sa
condamnation devant la Haute Cour qui, le 29 octobre 2014, a confirmé la
décision. Il a, ensuite, formé un recours devant la Cour d’appel de Tanzanie,
l'organe judiciaire suprême de l’État défendeur, qui le 19 février 2016, a,
également, confirmé la décision de la Haute Cour. La Cour note, en outre,
que les griefs soulevés par le Requérant ont également été portés, en
substance, devant les juridictions nationales, dans la mesure où il y avait
également allégué la violation de son droit à ce que sa cause soit entendue
et avait contesté la procédure ayant abouti à sa condamnation. L'État
défendeur a donc eu la possibilité de remédier aux violations alléguées. La
Cour en déduit que le Requérant a épuisé les recours internes.
41. Elle rejette, en conséquence, l'exception tirée du non-épuisement des
recours internes.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
42. La Cour relève qu’aucune contestation n’a été soulevée sur les conditions
énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c), (d), (f) et (g) du Règlement.
Néanmoins, elle doit s'assurer qu’elles sont remplies.
43. 1|ressort du dossier que le Requérant a été clairement identifié par son nom,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
7 Voir Bt c. Tanzanie (fond), supra, 8 65 ; Be Br c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 88 66 à 70 ; Ak Az c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 44.
44. En outre, la Cour relève que les griefs formulés par le Requérant visent à
protéger ses droits garantis par la Charte. Elle note, en effet, que l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son article
3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples.
Par ailleurs, il ne résulte du dossier aucun élément qui soit incompatible
avec l’Acte constitutif de l’Union africaine. La Cour en conclut que la
Requête satisfait à l’exigence de la règle 50(2)(b) du Règlement.
45. Du reste, les termes dans lesquels la Requête est rédigée ne sont ni
outrageants, ni insultants à l’égard de l’État défendeur, et de ses institutions
ou de l’Bp Al, ce qui la rend conforme à la règle 50(2)(c) du
Règlement.
46. La Cour note, s'agissant de la condition prévue par la règle 50(2)(d) du
Règlement, que la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des
nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse, mais sur
des documents judiciaires émanant des juridictions nationales de l’État
défendeur. Elle satisfait donc à cette exigence.
47. En ce qui concerne la condition relative au délai raisonnable, la Cour relève
que la Requête a été reçue au Greffe le 10 mai 2016, soit deux (2) mois et
vingt-et-un (21) jours après que la Cour d’appel a rendu sa décision, le 19
février 2016. La Cour estime que le délai de deux (2) mois et vingt-et-un
(21) jours observé après épuisement des recours internes avant sa saisine
est raisonnable et conclut que la Requête a été déposée dans un délai
raisonnable, au sens de la règle 50(2)(f) du Règlement.
48. Enfin, la Cour relève que la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà
été réglée par les Parties conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l'Union africaine, des dispositions de
la Charte ou de tout instrument juridique de l’Union africaine ; elle est donc
conforme à la règle 50(2)(g) du Règlement.
49. La Cour en conclut que toutes les conditions de recevabilité sont remplies
et déclare la Requête recevable.
VII. SUR LE FOND
50. Le Requérant allègue la violation de la Charte relativement aux points
suivants :
ii Son droit à ce que sa cause soit entendue n’a pas été respecté ;
ii. Sa condamnation a été prononcée sur la base de preuves peu fiables.
A. Allégation de violation du droit à ce que sa cause soit entendue
51. Le Requérant allègue que le Tribunal de district de Chato l’a déclaré
coupable de viol et l’a condamné à la réclusion à perpétuité sans qu’il n’ait
eu la possibilité de se défendre.
52. Il soutient, en outre, que les juridictions nationales n’ont déployé aucun
effort pour le retrouver après qu’il s’est soustrait à la justice, le privant ainsi
de la possibilité d'assurer sa défense. Il en déduit que l’État défendeur a
violé son droit à ce que sa cause soit entendue.
53. L'État défendeur réfute les allégations du Requérant. Il fait valoir, en effet,
que la Cour d’appel a examiné les arguments du Requérant et les a rejetés.
Par ailleurs, le procès devant le Tribunal de District a été renvoyé à six (6)
reprises pour permettre au ministère public de retrouver le Requérant et ses
garants, mais en vain.
54. L'État défendeur fonde son argument sur l’article 226(1)8 de la loi portant
Code de procédure pénale (2002) (CPP) aux termes duquel si un procès
8 Article 226(1) de la Loi portant Code de procédure pénale : « S'il est constaté qu'à l'heure ou au lieu auquel se tient l'audience ou la nouvelle audience qui a été l’objet de report que l'accusé ne s’est pas présenté devant le tribunal où l'ordonnance de report a été rendue, le tribunal peut légalement poursuivre l’audience ou la nouvelle audience comme si l'accusé était présent ; et si le plaignant ne se est renvoyé et que l’accusé ne se présente pas à l’audience à la date fixée,
la Cour doit poursuivre le procès comme si l’accusé était présent. L’État
défendeur en conclut que les juridictions nationales ont appliqué la
procédure en vigueur.
55. L'État défendeur affirme que deux (2) ans après avoir été déclaré coupable
puis condamné, par contumace, le Requérant a été arrêté et attrait devant
le juge afin de s'expliquer. L'État défendeur soutient que le Requérant n’a
pas justifié son absence au procès afin de permettre au juge de rouvrir
l'affaire, conformément à l’article 226(2) du CPP.
56. L'État défendeur en conclut que le droit du Requérant à un procès équitable
n’a pas été violé et que ses demandes devraient être rejetées pour défaut
de fondement.
57. L'article 7(1)(c) de la Charte dispose : « [t]oute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue. Ce droit comprend : [.…] c) le droit à la défense … ».
58. La Cour rappelle que le droit du Requérant à ce que sa cause soit entendue
suppose qu’il prenne part à toutes les audiences et présente ses moyens
de défense, dans le respect du principe du contradictoire. Toutefois,
l’accusé garde toujours la possibilité de ne pas participer à l’audience pour
peu que sa renonciation soit établie de manière non équivoque.!°
59. La Cour note qu’en l’espèce, le Requérant s’est soustrait à la justice avant
la fin des poursuites engagées à son encontre et que son procès a dû être
renvoyé à six (6) reprises parce que l’État défendeur cherchait à
présente pas, le tribunal peut rejeter l'accusation et acquitter l'accusé avec ou sans dépens, selon que le tribunal le jugera approprié ».
S Article 226(2) de la Loi portant Code de procédure pénale : « La Cour peut annuler une condamnation par contumace dès lors qu’elle est convaincue que l'absence de l'accusé aux audiences est due à des circonstances sur lesquelles il / elle n'avait aucune emprise et qu’il dispose de moyens de défense probants sur le fond ».
10 Ae Bw c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018), 2 RICA 461, 8 81.
l’appréhender. N’ayant pas réussi à le retrouver, le ministère public a
demandé à la Cour de poursuivre le procès en son absence, conformément
à l’article 226(1) du CPP (2002).!* La Cour a fait droit à la demande du
ministère public qui a prouvé la culpabilité du Requérant au-delà de tout
doute raisonnable et l’a déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés,
puis condamné, par contumace. Toutefois, il a eu la possibilité de justifier
son absence aux audiences subséquentes, lorsqu'il a été arrêté, deux (2)
ans après sa condamnation, en application du CPP.!? Le Requérant n’a pas
été en mesure de convaincre le juge d'instance d’annuler sa condamnation
et de rouvrir son procès. Sa condamnation a donc été maintenue.
60. Par conséquent, le tribunal de première instance et les juridictions d’appel
ont respecté les normes prescrites par la Charte en matière de procès
équitable.
61. La Cour en conclut que la conduite du procès du Requérant par les
juridictions nationales ne révèle aucune erreur manifeste et n’est pas
constitutive d’un déni de justice à l’égard de celui-ci. La Cour rejette, donc,
cette allégation.
B. Allégation relative aux éléments de preuve sur le fondement desquels la
condamnation du Requérant a été prononcée
62. Le Requérant soutient qu’il a été condamné sur la base de preuves fondées
sur des ouï-dire, étant donné que la victime n’a pas fait de déposition. Il
affirme que la preuve du témoin à charge n° 1 (ci-après dénommé « PW
1») n’a pas été «attestée». Le Requérant conteste également la
procédure de voir dire, faisant valoir qu’elle n’a pas été suivie conformément
à la loi.
11 Bj, note 8.
12 Supra, note 9.
63. L'État défendeur soutient que le témoignage de PW1 n’était pas fondé sur
un ouï-dire et qu’il a plutôt été jugé crédible par les tribunaux nationaux qui
y ont trouvé un compte rendu concis des faits.
64. En ce qui concerne le voir dire, l’État défendeur fait valoir que le magistrat
a dûment suivi les procédures en enregistrant les questions et les réponses
du voir dire ainsi que les conclusions. Par ailleurs, la victime n’ayant pas été
jugée apte à témoigner lors du voir dire, le tribunal de première instance ne
s’est pas fondé sur son témoignage. En conséquence, l’État défendeur
estime que cette allégation n’est pas fondée.
65. L'article 7(1) de la Charte dispose : « [t]oute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue ».
66. La Cour rappelle qu’elle a constamment considéré « … qu’un procès
équitable requiert que la condamnation d’une personne à une sanction
pénale et particulièrement à une lourde peine d'emprisonnement, soit
fondée sur des preuves solides. C’est tout le sens du droit à la présomption
d'innocence également consacré par l’article 7 de la Charte ».!S
67. En l’espèce, le Requérant conteste les preuves produites ainsi que la
manière dont la procédure du voir dire a été conduite. En effet, il ressort du
dossier que les tribunaux nationaux ont jugé le témoignage de PW1, la mère
de la victime, crédible. Lesdits tribunaux nationaux ont relevé que PW1 avait
remarqué que sa fille souffrait et marchait avec difficulté et qu’elle avait
également observé la présence de « sperme sur ses jambes ». Le
témoignage de PW1 a été corroboré par celui du témoin à charge PW 4, le
médecin qui a examiné la victime après l’agression sexuelle et qui a
confirmé que l'acte de « viol » avait eu lieu.
13 Br c. Tanzanie (fond), supra 8 174 ; At Ad c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 72. Majid Goa c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 520, 8 72.
68. En ce qui concerne le voir dire,!“ il ressort du dossier que le magistrat a
correctement mené la procédure visant à vérifier si la victime était apte à
témoigner, conformément à l’article 127 de la loi de 1967 sur les moyens
de preuve (révisée en 2022)"° et a conclu au contraire. Les juridictions
nationales ont donc suivi les normes de procédure régulières.
69. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la procédure ayant
conduit à la déclaration de culpabilité du Requérant ne révèle aucune erreur
manifeste et n’est pas constitutive d’un déni de justice à l’égard de celui-ci.
La Cour rejette donc cette allégation.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
70. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations en raison
des violations qu’il a subies et d’ordonner sa remise en liberté.
71. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparations
formulée par le Requérant.
72. L'article 27(1) du Protocole est libellé comme suit :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
14 Il s’agit d'une procédure menée par un tribunal afin d'établir si un enfant en bas âge est à même de comprendre la nature d’un serment et les obligations y liées.
15 Article 127(1) de la loi sur les moyens de preuve : « Toute personne est compétente pour témoigner, sauf si le tribunal estime qu’elle est incapable de comprendre les questions qui lui sont posées ou de fournir des réponses rationnelles à ces questions en raison de son jeune âge, de son âge extrêmement avancé, d’une maladie (physique ou mentale) ou de toute autre cause analogue ». Article 127(2) de la loi sur les moyens de preuve : « Lorsque, dans une affaire ou une procédure pénale, un enfant en bas âge appelé à témoigner ne comprend pas, de l’avis de la cour, la nature d’un serment, son témoignage peut être recueilli bien qu’il ne soit pas donné sous serment ou déclaration solennelle, si la cour estime, et consigne son point de vue dans le compte-rendu d'audience, qu’il est doté d’une intelligence suffisante pour justifier que son témoignage soit recueilli et qu’il comprend le devoir de dire la vérité ».
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
73. La Cour, n'ayant en l'espèce, retenu aucune violation, la demande de
réparation n’est pas justifiée. En conséquence, la Cour la rejette.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
74. L'État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge du Requérant. Le Requérant, quant à lui, demande à la Cour de ne
pas faire droit à la demande de l’État défendeur.
75. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses
frais de procédure ».
76. En l’espèce, la Cour estime qu’il n’y a aucune raison de s’écarter de ce
principe et ordonne en conséquence que chaque Partie supporte ses frais
de procédure.
DISPOSITIF
77. Par ces motifs,
LA COUR
Sur la compétence Sur la recevabilité
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la défense, protégé
par l’article 7(1)(c) de la Charte, dans le cadre des procédures
devant les juridictions internes ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à un procès équitable,
protégé par l’article 7(1) de la Charte, en ce qui concerne les
éléments de preuve sur le fondement desquels le Requérant a été
condamné.
Sur les réparations
vii. Rejette la demande de réparations formulée par le Requérant.
Sur les frais de procédure
viii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ges
Ben KIOKO, Juge RSS Tujilane R. CHIZUMILA, Juge UE Airpousi ay
Chafika BENSAOULA, Juge ES
Stella |. ANUKAM, Juge Eu am
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge Dares Z@ œ.
Modibo SACKO, Juge ; fra fause
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce treizième jour du mois de juin de l’an deux-mille vingt-trois, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.