AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
A AH
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 032/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
Sur les exceptions d’irrecevabilité
Sur les autres conditions de recevabilité 12
DIR SUR LE FOND 14
A. Violation alléguée du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection de
la loi 14
Violation alléguée du droit à la dignité 16
Violation alléguée du droit à l’assistance judiciaire gratuite 18
VIII SUR LES RÉPARATIONS 19
Réparations pécuniaires 21
Réparations non pécuniaires 22
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 22
DISPOSITIF 23 La Cour composée de : Blaise TCHIKAYA, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella
|. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Modibo SACKO, et Dennis D. ADJEI — Juges ; et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement de
la Cour* (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD, membre de la
Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
A AH
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Bs Xd AL, Bc Cf, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bj Bm Z, Bu Bc Cf, Bureau du Solicitor
General ;
ii. M. Be C, Directeur, Contentieux civil, Principal Aj Cr,
Bureau du Solicitor General ;
iv. M. Br Ax AI, Directeur adjoint, Droit de l'homme et contentieux
électoral, Bureau du Solicitor General ;
v. Mme Cp B, Aj Cr, Bureau du Solicitor General ;
vi. Mme Cd Y, Aj Cr, Bureau du Solicitor General ; et
+ Article 8(2) du Règlement de la Cour du 2 juin 2010.
vii. Mme Ag AG, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur A AH Xci-après dénommé « le Requérant ») est un
paysan tanzanien qui, au moment du dépôt de la Requête, purgeait une
peine de trente (30) ans de réclusion à la prison de Msalato à Ak, pour
viol sur une mineure de treize (13) ans. Il conteste la violation de ses droits
dans le cadre des procédures judiciaire nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. En outre, le 29 mars
2010, l’État défendeur a déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) du
Protocole (ci-après désignée « la Déclaration ») en vertu de laquelle il a
accepté la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des
individus et des organisations non gouvernementales. Le 21 novembre
2019, l’État défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union
africaine l’instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a jugé que ce
retrait n’a aucune incidence sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles
affaires introduites avant l’entrée en vigueur dudit retrait, un (1) an après le
dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
? Cs Bp Cu c. République du Ae Xcompétence) (3 juin 2016) 1 RICA 585, 8 67 ; Bx Ac An c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 88 35 à 39.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le Requérant a été déclaré coupable de viol suivi
de grossesse sur une écolière âgée de treize (13) ans puis condamné à une
peine d'emprisonnement de trente (30) ans par le Tribunal de district de
Misungwi.
4. Le Requérant a interjeté un premier appel devant la Haute Cour de Ae
qui a confirmé ladite décision, le 28 mars 2014. Il a, ensuite, interjeté un
second appel devant la Cour d’appel de l’État défendeur, siégeant à
Ae qui a également rendu une décision de rejet, le 30 novembre 2015.
B. Violations alléguées
5. Le Requérant allègue la violation des droits suivants :
i. le droit à l'égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi, protégé
par l’article 3(1) et (2).
ii. le droit au respect de la dignité inhérente à l’être humain et l'interdiction
de l’esclavage, de la torture, des peines et traitements cruels, innumains
ou dégradants, protégé par l’article 5 de la Charte ;
ii. le droit à un procès équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
6. La Requête introductive d'instance a été déposée au Greffe, le 8 juin 2016,
et a été communiquée à l’État défendeur, puis aux autres entités prévues à
la règle 42(4) du Règlement, respectivement, les 26 juillet et 08 septembre
2016.
7. Les parties ont déposé les écritures et les pièces dans les délais fixés.
8. Le 16 décembre 2020, les débats ont été clôturés et les Parties en ont reçu
notification. Le 9 janvier 2023, les débats ont été rouverts pour permettre
au Requérant de déposer sa réplique aux conclusions de l’État défendeur
sur le fond.
9. Le 31 mars 2023, les débats ont été clôturés et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
10. Le Requérant demande à la Cour de :
ii déclarer la Requête recevable ; et
ii. statuer sur toutes les questions qui n’ont pas été prises en compte, sur
les faits qui n’ont pas été élucidés, ce qui a ainsi créé une injustice à
l’égard du Requérant.
11. Dans sa demande en réparation, le Requérant sollicite de la Cour qu’elle :
ii ordonne sa mise en liberté, en vertu de l’article 27 du Protocole, après
avoir constaté que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte
en ne lui ayant pas commis d’office un avocat, tant en instance qu’en
appel ; et
ii. lui accorde des réparations pécuniaires dont le montant sera fixé en
fonction du revenu annuel des citoyens, et ce pendant sa période de
détention.
12. L'État défendeur demande à la Cour ce qui suit :
ii Dire et juger que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur la
Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité prévues à l’article 56(6) de la Charte, l’article 6(2) du
Protocole et à la règle 50(2)* du Règlement ;
iii. Déclarer la Requête irrecevable ;
iv. Rejeter la Requête ;
v. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
garantis à l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
vi. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
garantis à l’article 5 de la Charte ;
vil. Dire et juger que la Requête n’est pas fondée et la rejeter en
conséquence.
V. SUR LA COMPÉTENCE
13. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et tous les
différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application
de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent
relatif aux droits de l’homme ratifié par les États concernés.
2. Encas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente,
la Cour décide.
14. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « [IJa Cour procède à un examen
préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au Protocole et au
[...] Règlement ».
15. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit procéder à un
examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles exceptions
d’incompétence.
3 Article 40(6) du Règlement de la Cour du 02 juin 2010.
16. La Cour note qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. Elle va statuer sur ladite exception (A) avant
d’examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa compétence (B).
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
17. L’État défendeur fait valoir que la Cour de céans statuerait en tant que
juridiction de première instance ou d’appel si elle se prononçait sur des
questions de droit qui n’ont jamais été soulevées devant la Cour d’appel de
l’État défendeur et sur des questions et des preuves sur la base desquelles
cette juridiction a déjà rendu une décision.
18. Le Requérant n’a pas conclu sur cette exception.
19. La Cour note que, sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de « toutes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte,
du [...] Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de
l'homme et ratifié par les États concernés. »
20. La Cour souligne que sa compétence matérielle est, ainsi, subordonnée à
l’allégation, par le Requérant de violations de droits de l’homme protégés
par la Charte ou tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État défendeur.“ En l’espèce, le Requérant allègue la violation des
articles 3(1)(2)(e), 5 et 7(1)(c) de la Charte.
21. La Cour rappelle, en outre, sa jurisprudence constante selon laquelle elle
n’est pas une juridiction de première instance, ni une juridiction d’appel des
* Au Cl c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 28 ; Ce Bq c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33 ; Kalebi Elisamehe c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18.
décisions rendues par les juridictions nationales.® Toutefois, « cela n’écarte
pas sa compétence pour apprécier la conformité des procédures devant les
juridictions nationales aux normes internationales prescrites par la Charte
ou par les autres instruments applicables des droits de l’homme auxquels
l’État défendeur est partie ».° La Cour ne statuerait donc pas, à cet égard,
comme une juridiction de première instance ni d’appel si elle devait
examiner les allégations du Requérant. Elle rejette par conséquent cette
exception et conclut qu’elle est compétente en l’espèce.
22. Au regard de ce qui précède, la Cour estime qu’elle a la compétence
matérielle pour examiner la présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
23. La Cour relève que l’État défendeur ne conteste pas sa compétence
personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins, conformément à la règle
49(1) du Règlement,” elle doit s'assurer que les conditions relatives à ces
aspects de sa compétence sont remplies avant de poursuivre l'examen de
la présente Requête.
24. S'agissant de sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme indiqué
au paragraphe 2 du présent Arrêt que, le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé l'instrument de retrait de sa Déclaration faite en vertu
de l’article 34(6) du Protocole. La Cour a décidé que ledit retrait n’a aucun
effet rétroactif et n’a, non plus, aucune incidence sur les affaires pendantes
devant elle avant le dépôt de l’instrument de retrait de la Déclaration, ni sur
les nouvelles affaires introduites avant que le retrait ne prenne effet, soit un
(1) an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.8
La présente requête introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de
5 Ernest Bd Cj c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
£ Bi Cp c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019), 3 RICA 51, 8 26 ; Bq AJ Cx, AK, 88 33 ;
7 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
8 An c. Tanzanie, supra, 88 33 à 39 ; voir également Cu AJ Ae, supra, 8 67.
l'instrument de retrait, n’en est donc pas affectée. La Cour en conclut qu’elle
a la compétence personnelle pour connaître de la présente Requête.
25. La Cour a, par ailleurs, compétence temporelle, en l'espèce, dans la mesure
où les violations alléguées ont été commises après que l’État défendeur est
devenu partie à la Charte et au Protocole. En outre, les violations alléguées
ont un caractère continu, la condamnation du Requérant ayant été
maintenue en dépit de ce qu’il considère comme une procédure
26. Enfin, la Cour estime que sa compétence territoriale de la Cour est
également établie étant donné que les violations alléguées ont été
commises sur le territoire de l’État défendeur.
27. Au vu de ce qui précède, la Cour est compétente pour connaître de la
présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
28. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Ia Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la
Charte ».
29. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux
articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au présent Règlement ».
30. En outre, la règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les
dispositions de l’article 56 de la Charte, dispose comme suit :
9 Ayant droits de feu Bk Co, Bw Cg alias Ablasse, Cq Co, Ck Al et Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Xa Bl (exceptions préliminaires) (21 juin 2013), 1 RICA 204, 88 77.
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a) indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b) être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l'égard de l’État concerné et ses institution ou de l’Union
africaine ;
d) ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f) être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date de sa
saisine ; et
g) ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union Africaine ou des
dispositions de la Charte.
31. La Cour relève que l'État défendeur soulève deux exceptions
d’irrecevabilité. La première est tirée du non-épuisement des voies de
recours internes et la seconde, du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable. La Cour va statuer sur lesdites exceptions (A) avant
d’examiner, si nécessaire, les autres conditions de recevabilité (B).
A. Sur les exceptions d’irrecevabilité
32. La Cour relève que l'État défendeur soulève deux exceptions
d’'irrecevabilité : l’une, tirée du non-épuisement des recours internes (i) et,
l’autre, tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable (ii).
i. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours
internes
33. L'État défendeur soutient que, dans la présente Requête, le Requérant a
invoqué plusieurs griefs qu’il avait également soulevés devant la Haute
Cour. L'État défendeur précise que le Requérant n’a jamais élevé de tels
griefs devant la Cour d’appel. Ils sont relatifs à la dénonciation tardive du
crime à la police, à la preuve de l’âge de la victime, à la prise en compte,
par la Cour d’appel, de ce que la déclaration sous serment devait être
corroborée par son témoignage puisqu'il prétendait en être l’auteur, et,
enfin, aux dispositions de la loi tanzanienne sur les preuves (Cap 6 RE
2002), notamment l’article 127(7) en vertu duquel une condamnation peut
être prononcée sur la base du seul témoignage de la victime si la Cour est
convaincue de sa véracité . L'État défendeur fait valoir que le Requérant
avait la possibilité d’exercer un recours lui permettant de soulever ces
allégations spécifiques devant la Cour d’appel dans l’appel pénal n° 201 de
2014, mais ne l’a pas fait.
34. Le Requérant n’a pas conclu sur ce point.
35. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises dans la règle 50(2)(e) du Règlement, toute
requête dont elle est saisie doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des
recours internes. En ce qui concerne les recours à épuiser, la Cour a
constamment considéré qu'ils doivent être des recours ordinaires.!°
36. Par ailleurs, conformément à sa jurisprudence, la Cour souligne que, dans
le système judiciaire de l’État défendeur, les Requérants ne sont pas tenus
d’exercer le recours en inconstitutionnalité pour violation des droits
19 Ad Ap c. République du Rwanda, CAfDHP, Requête n° 023/2015, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 74 ; Aq Xb c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 8 64.
fondamentaux devant la Haute cour, ce recours ayant été considéré par la
Cour de céans comme un recours extraordinaire.!* Le Requérant est donc
réputé avoir épuisé les recours dès lors qu’il a suivi les différentes étapes
du système judiciaire jusqu’à la Cour d’appel, qui est la plus haute juridiction
37. La Cour observe qu’en l’espèce, la Cour d’appel a statué sur le recours du
Requérant le 30 novembre 2015. Étant donné que dans le système
judiciaire de l’État défendeur, le recours en inconstitutionnalité est considéré
par la Cour de Céans comme un recours extraordinaire que le Requérant
n’est pas tenu d’exercer, la Cour considère, en l'espèce, que les recours
internes ont été épuisés.
38. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que le Requérant a épuisé les
recours internes prévus à l’article 56(5) de la Charte et la règle 50(2)(e) du
Règlement. Elle rejette donc l’exception d’irrecevabilité tirée du non-
épuisement des recours internes.
ii. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
39. L'État défendeur fait valoir que la Requête n’a pas été introduite dans un
délai raisonnable.
40. L'État défendeur précise que malgré le fait que la règle 50(2)(f) du
Règlement ne prescrit pas le délai dans lequel les individus sont tenus de
déposer les requêtes, une période de six (6) mois a été considérée comme
un délai raisonnable, par d’autres mécanismes régionaux de protection des
droits de l’homme.
14 Bk Bh c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022, 8 61 ; Xc Bn Ar c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 570, 8 46, Bt Cy c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016), 1 RICA 624, 88 66 à 70 ; Xb AJ Cx, AK, 8 63 à 65.
12 Cn Ab dit Cn Ci c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 026/2015, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 51 ; Cy c. Tanzanie supra (fond), 8 76.
41. Le Requérant n’a pas conclu sur ce point.
42. La Cour note que la question qu’elle doit examiner est celle de savoir si le
délai observé par le Requérant avant de la saisir est raisonnable, au sens
de l’article 56(6) de la Charte, lu conjointement avec la règle 50(2)(f) du
Règlement.
43. Aux termes de l’article 56(6) de la Charte, repris à la règle 50(2)(f) du
Règlement, une requête n’est recevable que si elle est « introduite dans un
délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou
depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le
délai de sa saisine ». Ces dispositions ne fixent pas de délai dans lequel la
Cour doit être saisie.
44. En l'espèce, la Cour relève que les recours internes ont été épuisés le 30
novembre 2015, lorsque la Cour d’appel, siégeant à Ae a rejeté l’appel
du Requérant. La présente Requête ayant été déposée le 8 juin 2016, le
Requérant aura donc saisi la Cour six (6) mois et huit (8) jours après avoir
épuisé les recours internes.
45. Au regard de ces circonstances, la Cour conclut que la période de six (6)
mois et huit (8) jours constitue un délai raisonnable au sens de l’article 56(6)
de la Charte et de la règle 50(2)(f) du Règlement.
46. Par conséquent, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité de la Requête.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
47. La Cour note que les Parties ne contestent pas la recevabilité de la Requête
relativement aux conditions énoncées à la règle 50(2)(a), (b), (c), (d), et (g) du Règlement. Néanmoins, la Cour doit s'assurer que ces conditions sont
également remplies.
48. Il ressort du dossier que le Requérant a clairement indiqué son identité,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
49. La Cour relève, également, que les demandes du Requérant visent à
protéger ses droits garantis par la Charte. En outre, l’un des objectifs de
l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé à son article 3(h), est la
promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples. Par
ailleurs, la Requête ne contient aucun grief ou demande qui soit
incompatible avec une disposition dudit acte. Par conséquent, la Cour
considère que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union
africaine et la Charte. Elle satisfait aux exigences de la règle 50(2)(b) du
Règlement.
50. Par ailleurs, les termes dans lesquels la Requête est rédigée ne sont ni
outrageants, ni insultants à l'égard de l’État défendeur ; ce qui la rend
conforme aux exigences de la règle 50(2)(c) du Règlement.
51. Enfin, la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée
conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte
constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte ou de tout
instrument juridique de l’Union africaine. Elle est donc conforme à la règle
50(2)(g) du Règlement.
52. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit toutes
les conditions de recevabilité prévues à l’article 56 de la Charte, lu
conjointement avec la règle 50(2) du Règlement et la déclare, en
conséquence, recevable.
VII. SUR LE FOND
53. Le Requérant allègue que l’État défendeur a violé i) ses droits à l’égalité
devant la loi et à une égale protection devant la loi, ii) son droit au respect
de sa dignité, et iii) son droit à une assistance judiciaire gratuite.
A. Violation alléguée du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection
de la loi
54. Le Requérant allègue que la Cour d'appel a confirmé sa déclaration de
culpabilité en l’absence des éléments essentiels de la cause, en violation
de l’article 3(1) et (2) de la Charte. Il ajoute que ladite Cour n’a pas examiné
les raisons pour lesquelles la victime n’a pas signalé le crime plus tôt, ce
qui ébranle sa crédibilité.
55. Le Requérant avance, en outre, que la Cour d'appel a omis d'observer que
la preuve du ministère public devait être corroborée par d’autres éléments
étant donné que le Tribunal de première instance n’était pas convaincu que
la victime avait compris le devoir de dire la vérité. De plus, selon le
Requérant, l’âge du témoin n’a été établi par aucune preuve documentaire.
56. Le Requérant soutient, par ailleurs, que la juridiction de jugement a forgé
sa conviction uniquement sur les déclarations des témoins présentés par le
ministère public. Selon le Requérant, la juridiction de jugement a conclu
ainsi parce qu’il ne revenait pas au Requérant de prouver son innocence
mais plutôt au ministère public de prouver ses allégations au-delà de tout
doute raisonnable. Le Requérant ajoute que la Cour d'appel aurait dû
considérer que la preuve devait être corroborée par son témoin.
57. L'État défendeur fait valoir que cette allégation n’a jamais été soulevée
devant la Cour d'appel. Il ajoute que ladite Cour a examiné la crédibilité de
la victime et a noté que la Haute Cour avait conclu que la victime comprenait
la nature du serment et qu’elle était un témoin crédible.
58. L'État défendeur ajoute que le Tribunal de première instance a confirmé que
le témoin avait fait montre d’une compréhension suffisante pour que son
témoignage soit reçu. || précise que l’âge de la victime n’a jamais été
contesté et n’a jamais fait l’objet de grief devant le Tribunal de première
instance, ni devant la Cour d’appel. De plus, devant la Cour d’appel le
Requérant n’a jamais élevé de contestation concernant la corroboration des
preuves du ministère public.
59. L'État défendeur estime, enfin, que le Tribunal de première instance avait
conclu que les preuves du ministère public ont permis d’asseoir la
culpabilité du Requérant au-delà de tout doute raisonnable. Il précise que
la Cour d’appel a considéré qu’il n’y avait pas de motifs substantiels d’appel.
60. Aux termes de l’article 3 de la Charte « 1. Toutes les personnes bénéficient
d’une totale égalité devant la loi. 2. Toutes les personnes ont droit à une égale
protection de la loi ».
61. La Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence constante, l’égale
protection de la loi suppose que la loi protège toutes les personnes sans
distinction.!3 Il en découle que, pour établir la violation de ce droit, il y a lieu
de prouver que le demandeur a été traité différemment par rapport à
d’autres personnes qui se trouvaient dans une situation semblable à la
62. La Cour considère que, dans le contexte d’une violation alléguée du droit à
un procès équitable, il incombe au Requérant de prouver que la manière
dont les juridictions nationales compétentes ont évalué les preuves révèle
une appréciation manifestement erronée qui a entraîné une erreur judiciaire
13 Xf Xg Ct c. République du Malawi, CAfDHP, Requête n° 022/2017, Arrêt du 23 juin 2022 (fond et réparations), 8 81 ; Action pour la Protection des Droits de l'Homme c. République de Côte d'Ivoire (fond) (18 novembre 2016), 1 RICA 697, 8 146.
14 Bv Cv c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 mars 2019), 3 RICA 87, 8 73 ; Ar AJ Cx, supra, 8 70.
au préjudice de la partie qui invoque ladite violation par opposition à
d’autres parties dans la même situation.!*
63. La Cour note qu’en l’espèce, et tel qu’il ressort du dossier, aucune
disposition du droit interne applicable ne prévoit un traitement différent pour
des justiciables se trouvant dans une situation similaire.
64. Par ailleurs, les juridictions internes ont examiné les allégations du
Requérant. Il ne découle de la décision de la Cour d’appel aucun élément
prouvant qu’elle avait omis des éléments invoqués par les parties ou
commis une erreur comme l’allègue le Requérant. En tout état de cause, la
Cour d’appel a entendu cinq (5) témoins au cours du procès du Requérant.
65. En conséquence, la Cour estime que le Requérant n’a pas prouvé son
allégation selon laquelle ses droits à l’égalité devant la loi ou à une égale
protection de la loi ont été violés. En conséquence, la Cour rejette
l’allégation de violation de l’article 3 de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la dignité
66. Le Requérant allègue que l’État défendeur a violé son droit au respect de
la dignité inhérente à la personne humaine et à la reconnaissance de sa
personnalité juridique.
67. L'État défendeur estime que cette allégation n’est pas fondée et que le
Requérant n’a pas démontré qu’il a subi un traitement dégradant, qu’il a été
torturé ou qu’il a subi une atteinte à sa dignité. Selon l’État défendeur, les
procédures légales ont été respectées durant le procès conformément aux
lois du pays, dans la mesure où le Requérant a pu comparaître devant le
tribunal et exercer son droit d’appel.
15 Cv c. Tanzanie, supra, 8 73.
68. La Cour note qu'aux termes de l’article 5 de la Charte :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d’avillissement de l'homme notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont
interdites.
69. La Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence, pour apprécier si
le droit au respect de la dignité a été violé, elle tient compte de trois (3)
facteurs principaux. Le premier tient au fait que l’article 5 de la Charte ne
comporte aucune clause de limitation. L’interdiction de porter atteinte à la
dignité à travers un traitement cruel, innumain ou dégradant est donc
absolue. Selon le deuxième facteur, cette interdiction doit être interprétée
comme visant la protection, la plus large possible, contre les abus
physiques ou psychologiques. Quant au troisième facteur, il est lié au fait
que la souffrance personnelle et l’atteinte à la dignité peuvent prendre
diverses formes et leur appréciation dépend des circonstances de chaque
affaire.!© Par ailleurs, la Cour a constamment considéré que le charge de la
preuve incombe au Requérant.
70. La Cour rappelle que la preuve de l’allégation de violation incombe, en
principe, au Requérant. En l’espèce, le Requérant n'apporte aucune preuve
de ses allégations relatives à la violation de son droit à la dignité et de ne
pas être soumis à un traitement dégradant ou à la torture. En tout état de
cause, aucun élément du dossier ne révèle que le Requérant a subi de telles
violations.
71. En l’absence de telles preuves, la Cour de céans considère que les
allégations sont mal fondées et, en conséquence, les rejette.
16 Am Aa Az c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019), 3 RICA 13,
72. De ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé les
droits du Requérant protégés par l’article 5 de la Charte.
C. Violation alléguée du droit à l’assistance judiciaire gratuite
73. Le Requérant allègue qu'il n’a pas bénéficié du droit à l’assistance judiciaire
gratuite lors des procédures engagées à son encontre devant les
juridictions internes, et que l’État défendeur a, par là même, violé l’article
7(1)(c) de la Charte.
74. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
75. Aux termes de l’article 7(1)(c) de la Charte, le droit à ce que sa cause soit
entendue comprend « le droit à la défense, y compris celui de se faire
assister par un défenseur de son choix ».
76. Dans sa jurisprudence sur le droit à l’assistance judiciaire, la Cour a
interprété l’article 7(1)(c) de la Charte à la lumière de l’article 14(3) du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP),!" et conclu que le
droit à la défense comprend le droit de bénéficier d’une assistance judiciaire
77. La Cour a également conclu que toute personne accusée d’une infraction
grave, passible d’une peine sévère a le droit de bénéficier d’office et
gratuitement, de l’assistance d’un conseil pour assurer sa défense.!° De
17 L’État défendeur est devenu partie au PIDCP le 11 juin 1976.
2018), 2 RICA 226, 8 78 ; Bi Av Cm et Cz Bb At Xe c. Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RICA 67, 88 104 et 106.
19 Xb AJ Cx, AK, 8 123 ; Aw AJ Cx, supra, 8 78 ; Cm et un autre c. Tanzanie, supra, 88 104 et 106.
plus, l’obligation d’en faire bénéficier aux personnes indigentes s'applique
tant en première instance qu’en appel.?
78. La Cour observe que, bien que le Requérant ait été accusé de viol, une
infraction grave passible d’une peine minimale de trente (30) ans de
réclusion, aucun élément du dossier n’indique qu’il a été informé de son
droit à une assistance judiciaire. Par ailleurs, le Requérant n’a pas été
informé de son droit l’assistance judiciaire gratuite s’il n’avait pas les
moyens d’y faire face. La Cour note, en outre, que l’État défendeur n’a pas
contesté le fait que le Requérant était indigent.
79. La Cour estime que, dans les circonstances de la cause, l’intérêt de la
justice aurait dû être invoqué afin de permettre au Requérant de bénéficier
d’une assistance judiciaire gratuite durant la procédure en première
instance et en appel.
80. Eu égard à ces considérations, la Cour conclut que l’État défendeur a violé
le droit à l’assistance judiciaire gratuite protégé par l’article 7(1)(c) de la
Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, en ne faisant pas
bénéficier au Requérant d’une assistance judiciaire gratuite dans le cadre
des procédures devant les juridictions nationales.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
81. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations en raison
des violations qu’il a subies, d’annuler la condamnation prononcée à son
encontre et d’ordonner sa mise en liberté.
82. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparations
formulée par le Requérant.
20 Xb AJ Cx, ibid. ; Aw AJ Cx, ibid. ; Cm et un autre c. Tanzanie, supra, 8 111.
83. La Cour observe qu’aux termes de l’article 27(1) du Protocole :
Lorsqu'elle estime qu’il y a violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
84. Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour considère que, pour
que des réparations soient accordées, la responsabilité internationale de
l’État défendeur doit, d’abord, être établie au regard du fait illicite. Ensuite,
le lien de causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué.
Enfin, lorsqu’elle est accordée, la réparation doit couvrir l’intégralité du
préjudice subi.
85. La Cour rappelle qu’il incombe au Requérant d’apporter des éléments de
preuve pour justifier ses demandes, notamment en matière de préjudice
matériel?! En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour estime que
l'exigence de preuve n’est pas rigide”? dans la mesure où l'existence d’un
préjudice est présumée dès lors des violations sont établies.?*
86. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l’homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
21 Bi Cc et autres c Ae Xfond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 646, 8 139 ; voir également Ba Bz Ch Cw c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 40 ; As Bg Ah c. Xa Bl (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 8 15(d) et By Af AJ Cx AK, 8 97.
22 Ayants droit de feus Bk Co, Bw Cg dit Ablasse, Cq Co et Ck Al et Mouvement Burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Xa Bl (réparations) (5 juin 2015) 1 RICA 265, 8 55 ; voir également Af AJ Cx, AK, 8 97.
23 Ally Rajabu et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 562, 8 136 ; Bq AJ Cx AK, 8 55 ; Az AJ Cx, supra, 8 119 ; Co et autres c. Xa Bl (réparations) supra, 8 55 et Af AJ Cx AK, 8 97.
24 Cs Bp Cu c. République du Ae Xréparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 20 ; Af AJ Cx, AK, 8 96.
87. En l'espèce, le Requérant sollicite des réparations pécuniaires (A) et non
pécuniaires (B).
A. Réparations pécuniaires
88. Le Requérant sollicite une indemnisation en réparation du préjudice
matériel qui, selon lui, résulte des violations subies du fait de l’État
défendeur. À ce titre, il sollicite le paiement de sommes d'argent dont le
montant sera évalué par la Cour compte tenu du revenu annuel moyen d’un
citoyen et de la période de sa détention.
89. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter les demandes de réparation
du Requérant, y compris le paiement d’une compensation équitable ou
d’une réparation prévue à l’article 27 du Protocole. Il demande que le
Requérant continue à purger sa peine.
90. La Cour rappelle que, dans le présent arrêt, elle n’a conclu qu’à la violation
par l’État défendeur du droit à une assistance judiciaire gratuite pour n’avoir
pas fourni au Requérant les services d’un conseil pendant les procédures
devant les juridictions internes.
91. La Cour relève que la violation constatée a causé un préjudice moral au
Requérant et en conséquence, dans l’exercice de son pouvoir judiciaire
discrétionnaire, accorde au Requérant la somme de trois cent mille
(300 000) shillings tanzaniens à titre de compensation équitable.?°
25 Ca Bb Ai c. République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 013/2016, Arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), 8 85 ; Anaclet Paulo c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 461, 8 107 ; Ao Cb AJ Cx (fond et réparations) (28 novembre 2018) 2 RICA 415, 8 85.
B. Réparations non pécuniaires
92. Le Requérant demande à la Cour d’annuler sa condamnation et d’ordonner
sa mise en liberté.
93. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter les demandes du Requérant
dans leur intégralité et de dire que le Requérant doit continuer à purger sa
peine.
94. La Cour rappelle qu’en l’espèce, elle a conclu que l’État défendeur a violé
le droit du Requérant à un procès équitable pour ne lui avoir pas fait
bénéficier une assistance judiciaire gratuite. Sans en minimiser la gravité,
la Cour note qu’elle n’a pas conclu qu’une telle violation a un effet sur la
culpabilité du Requérant ou sur sa condamnation.?6
95. Par ailleurs, la Cour estime que la violation en l’espèce ne révèle aucune
circonstance de nature à faire du maintien en détention du Requérant un
déni de justice ou une décision arbitraire. Le Requérant n’a pas, non plus,
démontré l’existence d’autres circonstances exceptionnelles et impérieuses
pouvant justifier la mesure de mise en liberté.?”
96. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette la demande du Requérant
tendant à faire annuler sa condamnation et ordonner sa mise en liberté.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
97. Les Parties n’ont pas conclu sur ce point.
26 Xb AJ Cx AK, 8 157 ; Ar AJ Cx, supra, 8 84 ; Aw AJ Cx, supra, 8 96, Bq AJ Cx, AK, 8 164.
27 Jibu Amir alias Mussa et Ay Bf alias Bo c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RICA 654, 8 97, Af AJ Cx, AK, 8 112 ; et Cb AJ Cx, supra, 8 82.
98. Aux termes de la règle 32(2) du Règlement de la Cour, « [à] moins que la
Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de
99. La Cour considère qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances, de déroger à
la disposition précitée. En conséquence, elle ordonne que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
X. DISPOSITIF
100. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
i. Rejette l’exception d’incompétence soulevée par l’État défendeur ;
ii. Dit qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Se déclare compétente.
Sur le fond
v. Dit que l'État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à l’égalité
devant la loi et la protection égale devant la loi, protégés,
respectivement, par l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
28 Article 30 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à la
dignité humaine, protégé par l’article 5 de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant garanti par
l’article7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d)
du PIDCP, pour ne lui avoir pas fait bénéficier d’une assistance
judiciaire gratuite.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
viii. Fait droit à la demande de réparation pécuniaire formulée par le
Requérant et lui alloue la somme de trois-cent mille (300 000)
shillings tanzaniens, au titre du préjudice moral subi du fait de la
violation de son droit à une assistance judiciaire gratuite ;
ix. Ordonne à l’État défendeur de payer le montant indiqué au point viii
ci-dessus, en franchise d’impôt, à titre de juste compensation dans
un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du
présent arrêt, à défaut, il sera tenu de payer des intérêts de droit
calculés sur la base du taux en vigueur de la Banque centrale de
Tanzanie pendant toute la période de retard jusqu’au paiement
intégral des sommes dues.
Réparations non pécuniaires
x. Rejette la demande tendant à l’annulation de la condamnation du
Requérant et à sa mise en liberté.
Sur la mise en œuvre et le dépôt de rapports
xi. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de notification du présent Arrêt, un
rapport sur la mise en œuvre de la mesure qui y est ordonnée et,
ce, tous les six (6) mois, jusqu’à ce que la Cour considère sa décision entièrement exécutée.
Sur les frais de procédure
xii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédures.
Ont signé :
Ben KIOKO, Juge MES
Chafika BENSAOULA, Juge AE
Stella |. ANUKAM, Juge uk am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ;
Dennis A. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce treizième jour du mois de juin de l’an deux mille vingt-trois, en anglais et en français, le texte en anglais faisant foi.