AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
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AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
LEGAL & AJ AH CENTRE ET C AJ AH
AK A
RÉPUBLIQUE-UNIE DE C
REQUÊTE N° 039/2020
ARRÊT
13 JUIN 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence personnelle de la Cour
B. Autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Exceptions d’irrecevabilité de la Requête 10
! Exception tirée du non-épuisement des recours internes 10
Il Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
14
iii. Exception tirée du règlement antérieur de l'affaire 16
iv. Exception tirée de l’incompatibilité de la Requête avec la Charte 20
B Autres aspects de la recevabilité 21
DIR SUR LE FOND 22
A Violation alléguée de l’article 2 de la Charte 22
B Violation alléguée de l’article 7 de la Charte 27
! Droit à la présomption d’innocence 27
ii. Droit à ce que sa cause soit entendue 31
C Violation alléguée de l’article premier de la Charte 36
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS 38
A. Mesures constitutionnelles et législatives 40
B. Publication 41
C. Mise en œuvre de l’Arrêt 42
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 42
DISPOSITIF 42 La Cour, composée de : Blaise TCHIKAYA ; Vice-président, Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Stella
|. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Modibo SACKO et Dennis D. ADJE| — Juges ; et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour, de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
Legal & AJ AH Centre et C AJ AH AK A
représentées par :
Ag Cg, Law Guards Advocates
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE C
représentée par :
ii Bk Yn Yl AM, Br Xc, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Bx Cb B, Br Xc adjointe, Bureau du
Solicitor General ;
iii. M. Ck M. Ba’A, Directeur adjoint, recours en inconstitutionnalité, droits
de l’homme et contentieux électoral, Bureau du Solicitor General.
Après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt I. LES PARTIES
1. Legal & AJ AH Centre et C AJ AH AK
A, (ci-après dénommés les « Requérants ») sont des organisations
non gouvernementales enregistrées et exerçant leurs activités en
République-Unie de C, et ayant le statut d’observateur auprès de la
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après
désignée « la Commission »). Elles estiment que l’article 148(5) de la loi
portant Code de procédure pénale de 1985 (ci-après désignée « le CPP »)
est incompatible avec les normes internationales en matière de droits de
l’homme.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de C (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la
« Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée la Déclaration »), par laquelle elle accepte
la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d’individus
et d’organisations non gouvernementales. Le 21 novembre 2019 l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence sur les affaires
pendantes, ni sur de nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise
d’effet un (1) an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22
novembre 2020.!
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Les Requérants exposent que l’État défendeur a promulgué le CPP le
1° novembre 1985 en soutenant que l’article 148(5) du CPP viole diverses
+ Cx Ac Cm c. République-Unie de C (arrêt) (26 juin 2020), 4 RICA 219, 88 37 à 39.
dispositions de la Charte, du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (ci-après désignée « le PIDCP »), de la Déclaration Universelle
des droits de l’homme (ci-après désignée « DUDH ») et de la Constitution
de la République-Unie de C (ci-après désignée « la Constitution »).
4. Les Requérants soutiennent que ces instruments des droits de l’homme tout
comme la Constitution proscrivent les lois discriminatoires. Ces instruments
exigent, en outre, que l’État défendeur garantisse à tous les citoyens le droit
à une égale protection de la loi et d’autres droits liés au droit à un procès
équitable.
5. Les Requérants affirment que l’article 148(5) du CPP viole les droits
énumérés ci-dessus en limitant de manière non raisonnable la mise en
liberté sous caution pour les individus mis en accusation pour certaines
infractions. À cet égard, les Requérants soutiennent qu’en prévoyant des
infractions ne pouvant donner lieu à une libération sous caution, l’article
148(5) du CPP affecte les individus et le pouvoir judiciaire. Les premiers
cités sont privés de leurs droits fondamentaux, consacrés par la
Constitution et par les instruments internationaux pertinents, tandis que les
seconds, en raison de la nature obligatoire de la disposition, sont privés de
tout pouvoir d’appréciation dans l’examen des demandes de mise en liberté
sous caution, en raison dudit article.
6. Les Requérants soutiennent qu’en dépit de plusieurs affaires introduites en
contestation de l’article 148(5) du CPP, les juridictions nationales l’ont jugée
conforme à la Constitution et aux instruments internationaux relatifs aux
droits de l'homme.
B. Violations alléguées
7. Le Requérant allègue la violation des droits suivants :
i. Le devoir de reconnaître les droits et libertés énoncés dans la Charte et
d'adopter des mesures législatives ou autres, prévu par l’article premier
de la Charte ;
ii. Le droit à la non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte ;
iii. Le droit à la liberté et à la sécurité, protégé par l’article 6 de la Charte ;
iv. Le droit à la présomption d’innocence, protégé par l’article 7(1)(b) de la
Charte ; et
v. Les droits protégés par les articles 2, 9(1), (3), (4), 14(1), (2), 3(c) et 26
du PIDCP ; 1, 2, 3, 6, 7, 10 et 11(1) de la DUDH ; et les articles 13(1),
(2), (3), (4), 13(6)(a), (b), 15(1), (2) (a) et (b) et l’article 29(1) et (2) de la Constitution de l’État défendeur.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
8. La Requête a été déposée au Greffe le 18 novembre 2020 et communiquée
à l’État défendeur le 3 décembre 2020. L'État défendeur a déposé son
mémoire en réponse à la Requête le 11 mars 2021.
9. Les Parties ont déposé leurs observations sur le fond et les réparations
dans les délais fixés par la Cour.
10. Les débats ont été clôturés le 29 juillet 2021 et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
11. Les Requérants demandent à la Cour de :
ii Dire et juger qu’en promulguant l’article 148(5) du CPP (CAP 20
R.E.2019), l’État défendeur a violé les articles 1, 2, 6 et 7 de la Charte ;
ii. Dire et juger qu’en promulguant l’article 148(5), l’État défendeur a violé
les articles 2, 9(1), (3), (4), 14(1), (2), 3(c) ; 26 du PIDCP ; 1, 2, 3, 6, 7,
9, 10 et 11(1) de la DUDH.
ii. Ordonner à l’État défendeur de prendre des mesures constitutionnelles
et législatives afin de garantir les droits prévus par les articles 1, 2, 6 et
7 de la Charte et par d’autres instruments internationaux relatifs aux
droits de l’homme.
iv. Ordonner que toutes les personnes placées en détention provisoire du
chef d’infractions ne pouvant donner lieu à une liberté sous caution
soient mis en liberté, dans le délai d’un (1) mois à compter de la date du
présent arrêt, selon les conditions de libération sous caution fixées par
les tribunaux de l’État défendeur et en fonction des circonstances de
chaque affaire.
v. Ordonner à l’État défendeur de faire rapport à la Cour dans le délai de
six (12) mois, à compter de la date du présent Arrêt, sur la mise en
œuvre de présent Arrêt.
vi. Ordonner toute autre mesure de réparation que la Cour jugera
nécessaire, en l’espèce.
vil. Condamner l’État défendeur aux dépens.
12. Sur la compétence et la recevabilité, l’État défendeur demande à la Cour de:
i. Dire et juger que la présente Requête ne remplit pas les conditions de
recevabilité prévues à l’article 56(2), (5), (6) et (7) de la Charte ;
ii. Déclarer la Requête irrecevable pour non-conformité à l’article 41(3)(e)
du Règlement intérieur de la Cour ; et
iii. Déclarer la Requête irrecevable pour non-conformité à l’article 56(7) de
la Charte et de l’article 6(2) du Protocole.
13. S’agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de :
1. Dire et juger que l’article 148(5) du CPP ne viole pas les dispositions
des articles 1, 2, 6 et 7 de la Charte ; 1, 2, 3, 6, 7, 9, 10 et 11(1) de la
DUDH ; 2, 9(1), 9(3), 9(4), 14(1), 14(2), 14(3)(c) et 26 du PIDCP et 13(1),
13(2), 13(3), 13(4), 13 (6)(a) et (b), 15(1), 15(2) et (b) de la Constitution ;
2. Dire et juger que la Requête est mal fondée ; et
3. Mettre les frais de procédure à la charge des Requérants.
V. SUR LA COMPÉTENCE
14. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
15. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen
préliminaire de sa compétence [.…], conformément à la Charte, au Protocole
et [.…] au Règlement ».?
16. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer
sur les éventuelles exceptions d’incompétence.
17. La Cour note qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence personnelle de la Cour. La Cour va statuer sur ladite
exception avant de se prononcer, si nécessaire, sur les autres aspects de
sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence personnelle de la Cour
18. L'État défendeur affirme que les Requérants n’ont pas produit la preuve de
leur statut d’observateur auprès de la Commission. Il soutient, par
conséquent, que les Requérants ne se sont pas conformés à l’article 5(3)
du Protocole, lu conjointement avec l’article 34(6) du Protocole et ne
peuvent donc pas saisir la Cour de céans d’une Requête.
? Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
19. À l’appui de son exception, l’État défendeur invoque également la règle
41(3)(e) du Règlement en faisant valoir qu’il ne peut être dérogé à
l’obligation de produire la preuve du statut d’observateur auprès de la
Commission. Il ajoute que la règle 41(9) du Règlement est explicite en ce
qui concerne la sanction qui s'attache au non-respect de la règle 41(3)(e)
du Règlement, à savoir le rejet de la Requête.
20. L’État défendeur soutient, en outre, que les Requérants n’ont donné aucune
explication relativement à l'impossibilité de produire la preuve de leur statut
d’observateur.
21. En réplique, les Requérants ont conclu au rejet de l’exception, affirmant que
le fait de ne pas avoir joint les documents prouvant leur statut d’observateur
auprès de la Commission n’empêche pas la Cour d’examiner leur Requête.
À cet égard, ils font valoir qu’ils ont indiqué à la Cour les références
respectives de leur statut d’observateur, à savoir les numéros 244 pour
Legal and AJ AH Centre et 470 pour la Coalition des défenseurs
des droits de l’homme du Tanganyika.
22. En outre, les Requérants soutiennent que toute omission concernant la
preuve du statut d’observateur pourrait être palliée par l’article 6(1) du
Protocole en vertu duquel la Cour peut solliciter l’avis de la Commission sur
le statut d’observateur des ONG.
23. Les Requérants relèvent, enfin, qu’ils ont produit un courrier attestant de
leur statut d’observateurs auprès de la Commission et ont demandé à la
Cour de la considérer comme une preuve.
24. La Cour relève que, le 9 février 2021, les Requérants ont déposé un courrier
confirmant le statut d’observateur de Lega/ and AJ AH Centre et
que le statut d’observateur de C AJ AH AK
A est indiqué sur le site Internet de la Commission.
25. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception et considère
qu’elle a la compétence personnelle pour examiner la présente Requête.
B. Autres aspects de la compétence
26. La Cour note que sa compétence matérielle, temporelle et territoriale n’est
pas contestée par l’État défendeur. Néanmoins, elle doit s'assurer que les
conditions relatives à ces différents aspects de sa compétence sont
remplies avant de poursuivre l’examen de l'affaire. À cet égard, elle estime,
en l’espèce, que sa compétence matérielle est établie dans la mesure où la
Requête allègue la violation de droits protégés par la Charte et le PIDCP,
instruments ratifiés par l’État défendeur 3
27. Ence qui concerne la compétence temporelle, la Cour observe qu’il est vrai,
que la loi contestée, à savoir l’article 148(5) du CPP, a été promulguée en
1985, c’est-à-dire avant la ratification, par l’État défendeur, de la Charte, du
Protocole ainsi que le dépôt de la Déclaration. Toutefois, le CPP a été révisé
à plusieurs reprises par la suite, la dernière révision ayant eu lieu le
22 juin 2022. La Cour note que l’article 148(5) du CPP est toujours en
vigueur.
28. La Cour souligne, conformément au principe de non-rétroactivité, qu’elle ne
peut examiner des allégations de violations des droits de l’homme
survenues avant l’entrée en vigueur à l’égard de l'État défendeur de ses
obligations découlant de la ratification des instruments relatifs aux droits de
l’homme, à moins que lesdites violations ne revêtent un caractère continu.
En l’espèce, même si les violations alléguées sont antérieures à la
ratification de la Charte, du Protocole et au dépôt de la Déclaration, elles se
3 Aw Yk c. République-Unie de C (fond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 8 45 ; Bw Bz Xp et un autre c. République-Unie de C (fond) (28 septembre 2017), 2 RICA 67, 8 34 à 36 ; Bl Xn AL Bu et un autre c. République-Unie de C (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RICA 654, 8 18 ; Am Xj c. République-Unie de C, CAfDHP, Requête n 008/2016, Arrêt du 25 juin 2021 (fond et réparations), 8 21.
poursuivent à ce jour. La Cour en conclut que sa compétence temporelle
est établie.*
29. La Cour note également qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure
où les violations alléguées se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur.
30. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente, en
l’espèce.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
31. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole : « la Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
32. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au
[…] Règlement ».
33. La règle 50(2) du Règlement qui reprend, en substance, les dispositions de
l’article 56 de la Charte est libellée ainsi qu’il suit :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
# Cj Xd c. République-Unie de C, CAfDHP, Requête n° 020/2017, Arrêt du 1° décembre 2022 (fond et réparations), 8 18 ; Ag Cg c. République-Unie de C (15 juillet 2020) (fond et réparations) 4 RICA 466, 8 24 ; Cv Cf c. République-Unie de C (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RICA 728, 8 28(ii) ; Ao Xu et autres c. Yi Bf (exceptions préliminaires) (25 juin 2013), 1 RICA 204, 88 71 à 77.
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure
de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
A. Exceptions d’irrecevabilité de la Requête
34. L'État défendeur soulève quatre exceptions d’irrecevabilité, la première
tirée du non-épuisement des recours internes, la deuxième du dépôt de la
Requête dans un délai non raisonnable, la troisième du règlement antérieur
de l'affaire et la quatrième de l’incompatibilité de la Requête avec la Charte.
La Cour examinera ces exceptions avant d’examiner, si nécessaire, les
autres aspects de la recevabilité.
i. Exception tirée du non-épuisement des recours internes
35. L'État défendeur affirme que les Requérants n’ont pas épuisé les recours
internes comme l’exigent l’article 56(5) de la Charte et la règle 50(2)(e) du
Règlement.
36. Il soutient qu’une requête en contestation de l’article 148(5) du CPP a été
déposée par le sieur Yc Bd Xa devant la Haute Cour de C. L'État défendeur soutient, en outre, que la Haute Cour a fait droit
à la demande du sieur Yc Bd Xa, mais sa décision a été infirmée
par la Cour d’appel. Le sieur Yc Bd Xa a alors déposé un recours
en révision de la décision de la Cour d’appel (Yc Bd Xa c.
Xx Xc, requête en matière civile n° 429/01 de 2020) qui était
pendant au moment de l'introduction de la présente Requête.
37. L’État défendeur fait valoir que le recours en révision de la décision de la
Cour d’appel portait sur la constitutionnalité de l’article 148(5) du CPP et
n’a pas encore été tranché. De ce fait, les Requérants n’ont pas épuisé tous
les recours internes.
38. En outre, l’État défendeur soutient que la Cour n’est pas compétente pour
examiner la présente Requête, puisqu’elle n’est pas une juridiction d’appel,
comme elle l’a été précisé dans l'affaire Ernest Bs Ce c. Malawi.
39. Au regard de ce qui précède, l’État défendeur demande à la Cour de rejeter
la Requête pour non-respect de l’exigence de l’épuisement des recours
internes.
40. Les Requérants soutiennent que, dans sa jurisprudence, la Cour souligne
que la condition relative à l’épuisement des recours internes suppose
l’existence d’une décision définitive de la Cour d'appel de C et non
d’une décision en révision. Pour étayer leur argument, les Requérants citent
les décisions de la Cour dans les affaires Yf Xr et 4 autres c.
C et Aw Yk AI C.
41. Les Requérants soutiennent que l’un des principaux éléments de l’exigence
de l’épuisement des recours internes est l’existence d’une décision
définitive émanant de la plus haute juridiction de l’État défendeur, qui peut
confirmer ou infirmer la décision des juridictions inférieures. À l’appui de leur
affirmation, ils invoquent la décision de la Cour interaméricaine dans l’affaire Xh Xv AI By, selon laquelle un recours en révision d’un
jugement d’une Cour suprême de justice est un recours extraordinaire.
42. Les Requérants affirment donc que l’argument de l’État défendeur selon
lequel le dépôt d’une requête en révision de la décision de la Cour d’appel
est une étape obligatoire pour l'épuisement des recours internes est
incompatible avec la jurisprudence de la Cour.
43. En outre, les Requérants font valoir qu’ils n’interjettent pas appel de la
décision de la Cour d’appel, mais qu’ils contestent la validité de l’article
148(5) du CPP à la lumière des dispositions de la Charte et du PIDCP.
44. Is affirment que la dernière étape du recours contre la décision de la Haute
Cour est la Cour d’appel, qui est la plus haute juridiction de l’État défendeur.
Par ailleurs, la décision dans l’affaire Yc Bd Xa a été « rendue le
5 août 2020 » en faveur de l’État défendeur, soit avant le dépôt de la
présente Requête. Ils en concluent que les recours internes ont été épuisés.
45. La Cour relève qu’aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
dont elle est saisie doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des recours
internes. La règle de l'épuisement des recours internes est essentielle et
vise à donner aux États la possibilité de traiter les violations des droits de
l’homme relevant de leur juridiction avant qu’un organe international des
droits de l’homme ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à
46. Les recours internes à épuiser doivent être disponibles et ne pas se
prolonger de façon anormale. La Cour rappelle que la règle de
5 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Xt (fond) (26 mai 2017), 2 RICA 9, 88 93 à 94.
8 Ibid.
l'épuisement des recours internes n’exige pas, en principe, qu’une affaire
introduite devant la Cour ait été également soumise devant les juridictions
internes par le même Requérant, en particulier lorsqu'il s’agit d’une affaire
d’intérêt public.” Ce qui doit plutôt être démontré, c’est qu’avant la saisine
de la Cour, l’État défendeur a eu la possibilité de trancher l’affaire au fond
dans le cadre de procédures internes appropriées.
47. En l’espèce, la Cour note que des individus ont engagé des procédures
devant les juridictions nationale® à l'effet de contester la constitutionnalité de
l’article 148(5) du CPP, la dernière en date au moment du dépôt de la
Requête étant l'affaire d’intérêt public déposée, entre autres, par Ag
Cg, l’avocat des Requérants dans la présente affaire, au nom de
Dickson Paul Sanga.° Cette affaire a été jugée par la Cour d’appel qui, le 5
août 2020, a estimé que la loi contestée était constitutionnelle.
48. La Cour relève, à cet égard, que l’on ne saurait s'attendre à ce que les
Requérants saisissent les juridictions nationales d’une affaire d’intérêt public
portant sur la même cause que celle déjà tranchée par la Cour d’appel, dans
la mesure où leur requête n’aurait eu aucune chance de prospérer. Les
recours en la matière sont inefficaces. La Cour d’appel étant la plus haute
juridiction de l’État défendeur, sa décision confirme donc l’épuisement des
recours internes.
49. En effet, l’État défendeur ne réfute pas le fait que les questions soulevées
par les Requérants ont été tranchées par les juridictions nationales, mais il
affirme que l’affaire Yc Bd Xa n’a pas encore été tranchée dans
le cadre d’un recours en révision. À cet égard, la Cour rappelle que la
8 Voir Director of Public Prosecutions (DPP) c. Cl Ae, 1993 TLR 22 (CA), Appel civil n° 65 de 2016 (CA) [2018] TZCA 347 (31 janvier 2018) ; Bv Co Cz AI Xx Xc, Affaires civiles diverses n°8 88 et 95 de 2020 (HC) ; Bg Ap c. Xx Xc, Affaires civiles diverses n° 14 of 2016 (HC).
9 Xx Xc c. Yc Bd Xa, Affaires civiles diverses n° 29 of 2019 (CA) (non publié).
procédure de révision est un recours extraordinaire que les Requérants ne
sont pas tenus d’épuiser avant de la saisir.!°
50. En ce qui concerne l’exception tirée de ce que la Cour n’est pas une
juridiction d’appel, la Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle même si
elle n’est pas une juridiction d’appel des décisions des tribunaux nationaux,
« cela ne l'empêche pas d’examiner les procédures pertinentes devant les
tribunaux nationaux afin de déterminer si elles sont conformes aux normes
énoncées dans la Charte ou dans tout autre instrument relatif aux droits de
l'homme ratifié par l’État concerné ».!!
51. À cet égard, la Cour estime que les Requérants ont satisfait à l’exigence de
l'épuisement des recours internes prévue à l’article 56(5) de la Charte. Elle
rejette donc l'exception soulevée par l’État défendeur.
ii. Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
52. L'État défendeur soutient que les Requérants n’ont pas rempli la condition
prévue à l’article 56(6) de la Charte relativement au dépôt de la Requête
dans un délai raisonnable après épuisement des recours internes « puisque
les Requérants n’ont pas épuisé les recours internes ».
53. Il affirme qu’une requête en révision est pendante devant sa Cour d’appel,
ce qui remet en cause l'affirmation des Requérants selon laquelle ils ont
épuisé les recours internes.
54. Les Requérants font valoir que, malgré les obstacles dus au coronavirus,
ils ont déposé la Requête le 18 novembre 2020, soit « deux (2) mois »
19 Voir Yk c. C (fond), supra, 8 65 ; Bm Yh c. République Unie de C (fond) (2016), 1 RICA 624, supra, 88 66 à 70 ; Cy Bi c. République Unie de C (fond) (28 septembre 2017), 2 RICA 105, 8 44.
11 Bw Yq c. République-Unie de C (fond) (28 mars 2019), 3 RICA 51, 8 26 ; Xb Be c. République-Unie de C (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 493, 8 33 ; Xm Ci XBn BqAG et Xk Xm XYa CdAG c. République-Unie de C (fond) (23 mars 2018), 2 RICA 297, 8 35.
après l’épuisement des recours internes, la décision de la Cour d’appel
dans l’affaire Yc Bd Xa ayant été rendue le 05 août 2020.
55. La Cour relève que la règle 50(2)(f) du Règlement, qui reprend en
substance les dispositions de l’article 56(6) de la Charte, exige qu’une
Requête soit déposée dans « un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour
comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ».
56. La Cour rappelle que : « … le caractère raisonnable du délai de sa saisine
dépend des circonstances particulières de chaque affaire et doit être
apprécié au cas par cas ».!?
57. La Cour observe qu’en l’espèce l'arrêt de la Cour d’appel sur le fond dans
l'affaire en matière civile n° 175, Xx Xc c. Yc Bd Xa**
a été rendu le 5 août 2020. La Cour note qu’une période de trois (3) mois
et quinze (15) jours s’est écoulée entre le 5 août 2020 et le 18 novembre
2020, date à laquelle les Requérants l’ont saisie de leur Requête. La
question à trancher est donc de savoir si ce délai est raisonnable.
58. La Cour note que la Requête introduite trois (3) mois et quinze (15) jours
après l’épuisement des recours internes a été déposée de manière diligente
et, donc, dans un délai raisonnable. En conséquence, la Cour rejette
l'exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable et
conclut que celle-ci satisfait aux exigences de la règle 50(2)(f) du
Règlement.
12 Xu c. Yi Bf (fond), supra, 8 92. Voir également Yk c. C (fond), supra, 8 73. 13 Supra, note 13.
iii. Exception tirée du règlement antérieur de l’affaire
59. L'État défendeur soutient que la question de la « subsistance » juridique de
l’article 148(5) du CPP a été tranchée dans l’affaire Ad Bd c.
C et qu’en conséquence, la présente Requête n’est pas conforme à
l’article 56(7) de la Charte.
60. L'État défendeur invoque, à cet effet, la décision de la Commission dans
l’affaire Ym Bt c. Tunisie, en soutenant que la
communication a été déclarée irrecevable en raison du fait qu’elle avait le
même objet qu’une communication pendante devant la Commission des
droits de l’homme des Nations Unies, dans le cadre de la procédure de la
résolution 1503 de l'ECOSOC.
61. L'État défendeur invoque, également, l'affaire Bob At c. Égypte, dans
laquelle la Commission a relevé que la Sous-Commission des Nations
Unies chargée de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la
protection des minorités avait été saisie d’une affaire similaire.
62. Les Requérants affirment que dans l’affaire Ad Bd, la question à
trancher était celle de la détention du sieur Bd, alors que dans la
présente affaire, la question objet du litige porte sur les dispositions de
l’article 148(5) du CPP. Ils estiment, par conséquent, que les questions
soulevées dans les deux affaires sont différentes.
63. Ils soutiennent également que l’État défendeur a invoqué la décision dans
l’affaire Ad Bd c. C, « hors contexte ». Ils font observer, à
cet effet, que le sieur Bd n’a pas demandé à la Cour de dire que l’article
148(5) du CPP viole les articles 1, 2, 6 et 7 de la Charte.
64. Les Requérants expliquent, en outre, que dans la présente affaire, les
Parties sont différentes du Requérant dans l'affaire Ad Bd.
65. Enfin, les Requérants affirment que les affaires citées par l’État défendeur
ne lient pas la Cour. Ils soutiennent que, contrairement aux affaires citées
par l’État défendeur, la présente Requête donne à la Cour l’occasion
d’examiner une question qui n’a jamais été soulevée devant une autre
juridiction internationale, à savoir la compatibilité de l’article 148(5) du CPP
avec la Charte.
66. Aux termes de l’article 56(7) de la Charte et de la règle 50(2)(g) du
Règlement, une requête introduite devant la Cour « ne [doit] pas concerner
des affaires qui ont été réglées , conformément aux principes de la Charte
des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte ».
67. La Cour rappelle que le terme «réglé» implique trois conditions
cumulatives, à savoir, (i) l'identité des parties, (ii) l'identité des requêtes ou
leur caractère complémentaire, consécutif ou alternatif ou encore la
question de savoir si l'affaire découle d’une demande formulée dans l’affaire
initiale et (iii) l'existence d’une première décision sur le fond.
68. La Cour observe que l’État défendeur affirme qu’en l’espèce, les violations
alléguées ont déjà été tranchées par la Cour dans l'affaire Ad Bd c.
C. La Cour doit donc décider si sa décision dans l'affaire
susmentionnée règle les questions soulevées dans la présente Requête.
69. S'agissant de l’« identité des parties », la Cour note que l’État défendeur est
le même dans l’affaire Ad Bd et dans la présente affaire. Dans
l’affaire Bd, le Requérant était un détenu condamné pour vol à main
armée et purgeait une peine d'emprisonnement de trente (30) ans. Il
cherchait à protéger ses droits individuels qui auraient été violés dans le
14 Voir Y Ab Ao c. République de Côte d'Ivoire (compétence et recevabilité) (28 mars 2018), 2 RICA 280, 8 44 ; Cn Bc Xk c. République du Ghana (compétence et recevabilité) (20 mars 2019), 3 RICA 104, 8 45 ; Suy Z Ct c. République de Côte d'Ivoire (15 juillet 2020) (fond et réparations), 4 RICA 411, 8 104.
cadre de son procès devant les juridictions nationales. En revanche, dans
la présente affaire, les Requérants en sont des ONG qui cherchent à
protéger les droits du public en général, dans le cadre d’une affaire d'intérêt
public portée devant les juridictions nationales. La Cour en conclut que la
condition de l'identité des Parties n’est pas remplie.
T0. La Cour rappelle que conformément à sa jurisprudence, pour déterminer si
une Requête a déjà été réglée, il n’est pas nécessaire que les Requérants
soient les mêmes, pour autant qu’ils poursuivent le même intérêt. À cet
égard, la Cour observe qu’en l’espèce, les Requérants poursuivent
manifestement des intérêts différents de ceux en cause dans l'affaire Bd,
même si les deux affaires portent que sur l’article 148(5)(a) du CPP. Par
conséquent, les deux Requêtes ne sont similaires que dans la mesure où
elles se réfèrent toutes à l’article 148(5)(a) du CPP.
71. En ce qui concerne « l'identité des requêtes », la Cour doit examiner les
violations alléguées et les demandes des requérants en vue d'établir si le
fondement juridique et factuel des demandes est le même. À cet égard, le
requérant dans l'affaire Bd, le Requérant alléguait que la liberté sous
caution lui a été refusée en violation de son droit à un procès équitable, qu’il
a été condamné sur la base d’un crime inexistant, qu’il n’a pas été entendu
en appel par les tribunaux nationaux et que son droit à une assistance
judiciaire ne lui a pas été reconnu. Dans la présente affaire, les Requérants
allèguent, pour leur part, que les paragraphes 148(5)(a) à (e) du CPP violent
les droits à la non-discrimination, à la liberté et à un procès équitable, en
particulier parce qu’ils restreignent le pouvoir discrétionnaire du juge et
privent les personnes poursuivies du droit à ce que leur cause soit
entendue.
72. La Cour observe, en conséquence, que les violations alléguées ne sont les
mêmes qu’en ce qui concerne l’article 148(5)(a) du CPP et l’allégation selon
laquelle il viole le droit à la liberté. En d’autres termes, M. Bd n’a pas
allégué de violations liées aux paragraphes 148(5)(b) à (e) du CPP relatifs
aux accusés ayant purgé une peine de plus de trois (3) ans, aux accusés s'étant soustraits à la liberté sous caution, aux accusés maintenus en
détention pour leur propre sécurité et aux personnes poursuivies pour des
infraction sur des biens d’une valeur supérieure à dix millions (10 000 000)
de shillings tanzaniens. Il est donc évident que les violations alléguées dans
les deux requêtes sont différentes, à l’exception de celle relative à l’article
148(5)(a) du CPP.
13. En ce qui concerne les demandes des parties, la Cour observe que M.
Bd lui a demandé de se déclarer compétente et de dire que l'affaire était
fondée, de trancher en sa faveur en ce qui concerne les violations
alléguées, de lui accorder une assistance judiciaire ainsi que des
réparations et de prendre d’autres mesures qu’elle jugerait appropriées.
T4. Dans la présente affaire, les Requérants demandent à la Cour de constater
les violations alléguées, d’ordonner à l’État défendeur de mettre en place
des mesures constitutionnelles et législatives visant à garantir les droits
prévus par la Charte ; d’ordonner que tous les suspects et les personnes
poursuivies pour une infraction ne pouvant donner lieu à une mise en liberté
conditionnelle soient libérées sous caution dans un délai d’un mois, en
tenant compte des circonstances de chaque affaire, et d’ordonner à l’État
défendeur de soumettre un rapport sur la mise en œuvre de l’Arrêt dans un
délai de douze (12) mois. Il est donc évident que M. Bd a cherché à
obtenir des réparations pour les violations qu’il aurait subies à titre
personnel, alors qu’en l’espèce, les Requérants sollicitent des réparations
qui incluent des amendements constitutionnels et législatifs et qui relèvent
de l'intérêt public.
T5. En outre, dans l’affaire Bd, la position de la Cour selon laquelle « … la
détention du Requérant en attente de son procès n’était pas dénuée de tout
motif raisonnable et le refus d’ordonner sa liberté provisoire ne constitue
pas une violation de son droit à la liberté », a expressément limité sa
décision à la demande du Requérant relative à l’application de l’article
148(5)(a)(i) du CPP, en ce qui concerne le droit à la liberté. Elle n’a donc pas abordé les paragraphes 148(5)(b) à (e) du CPP, qui n’ont pas été
soulevés par M. Bd parce qu’ils ne le concernaient pas.
76. La Cour souligne qu’une décision sur l’objet d’une affaire requiert une
analyse des arguments et des preuves, ainsi qu’une « démonstration » des
raisons du caractère convaincant desdits arguments et preuves. Dans
l’affaire Bd, la Cour a examiné un argument concernant le refus de la
mise en liberté sous caution d’une personne condamnée pour vol à main
armée. Toutefois, elle n’a pas, non plus, examiné d'arguments concernant
d’autres accusés et n’a non plus examiné d'arguments concernant l’éviction
du pouvoir discrétionnaire de la Cour et la violation du droit à ce que sa
cause soit entendue en raison de l’application de l’article 148(5) du CPP.
La Cour n’aurait donc pas pu rendre de décision contraignante sur ces
allégations.
77. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le grief des Requérants
concernant l’article 148(5)(a) du CPP a été réglé conformément aux
principes de la Charte. Toutefois, les griefs formulés au titre des
paragraphes 148(5)(b) à (e) du CPP n’ont pas été réglés. La présente
Requête est donc conforme à la règle 50(2)(g) du Règlement en ce qui
concerne les dispositions du CPP susmentionnées.
iv. Exception tirée de l’incompatibilité de la Requête avec la Charte
78. L'État défendeur soutient que la Requête ne satisfait pas à l’exigence de
l’article 56(2) de la Charte dans la mesure où elle ne remplit pas les
conditions énoncées dans l’article 56(5), 56(6) et 56(7) de la Charte.
79. Les Requérants affirment, quant à eux, que l’article 56(2) de la Charte exige
qu’une requête soit compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine. À
cet effet, ils soutiennent que les droits dont la violation est alléguée sont
consacrés par la Charte et que ladite violation se poursuit sur le territoire
d’un État membre de l’Union africaine et partie à la Charte. Ils en déduisent
que la Requête est conforme à l’article 56(2) de la Charte.
80. La règle 50(2)(b) du Règlement qui reprend les dispositions de l’article 56(2)
de la Charte prévoit que les requêtes déposées devant la Cour ne peuvent
être examinées que si elles sont compatibles avec l’Acte constitutif de
l’Union africaine ou avec la Charte.
81. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’un des objectifs de l’Acte
constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son article 3(h), est la
promotion et la protection des droits de l’homme et des peuples. Dans la
présente affaire, les Requérants cherchent à protéger les droits garantis par
la Charte, à savoir, ceux protégés par les articles 1, 2, 6 et 7 de la Charte.
Par conséquent, la Requête est conforme à la règle 50(2)(b) du Règlement.
En outre, il ne résulte du dossier aucun élément indiquant que la Requête
est incompatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine.
82. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception tirée de la non-
conformité de la Requête aux exigences de l’article 50(2)(b) du Règlement.
B. Autres aspects de la recevabilité
83. La Cour relève qu’aucune contestation n’a été soulevée concernant le
respect des conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (c) et (d) du
Règlement. Néanmoins, elle doit s'assurer que ces conditions sont
remplies.
84. || ressort du dossier que les Requérants ont été clairement identifiés par
leur nom, conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
85. La Cour observe également que les termes dans lesquels est rédigée la
Requête ne sont ni outrageants, ni insultants à l’égard de l’État défendeur
ou de ses institutions, ce qui la rend conforme à la règle 50(2)(c) du
Règlement.
86. La Cour note que la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des … nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse, mais sur le CPP, ce qui la rend conforme à la règle 50(2)(d) du Règlement.
87. La Cour constate donc que toutes les conditions de recevabilité sont remplies et qu’en conséquence, la présente Requête est recevable.
VII. SUR LE FOND
88. Les Requérants allèguent la violation des articles 1, 2 et 7 de la Charte, en rapport avec la constitutionnalité des alinéas (b), (c) et (e) de l’article 148(5) du CPP de l’État défendeur.
A. Violation alléguée de l’article 2 de la Charte
89. Les Requérants allèguent la violation de l’article 2 de la Charte en raison de la promulgation des paragraphes 148(5)(b) et (e) du CPP.
90. Les Requérants font valoir que le droit à la non-discrimination, tel que protégé par la Charte, est sous-tendu par les articles 7 de la DUDH et 26 du PIDCP. Ils citent, à cet effet, l’arrêt de la Cour dans l'affaire Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Xt, selon laquelle «
une distinction ou un traitement différencié devient discriminatoire et, donc,
contraire à l’article 2 de la Charte, lorsqu’elle ne repose sur aucune
justification objective et raisonnable et lorsqu'elle n’est ni nécessaire, ni
proportionnée ».
91. Les Requérants soutiennent également que dans l’affaire Ag Cg c.
C, la Cour a conclu que la discrimination peut intervenir de manière
directe ou indirecte. En outre, la discrimination indirecte est « un concept
fondé sur les effets ».
92. Les Requérants affirment que l’article 148(5)(b) du CPP ne précise pas le
type d'infractions qu’il vise et qu’il est discriminatoire à l’égard d’une
personne qui a déjà purgé une peine de trois (3) ans de prison.
93. Les Requérants soutiennent également que l’article 148(5)(e) du CPP viole
le droit à la non-discrimination. Ils font valoir qu’ est discriminatoire à l’_égard
des personnes poursuivies pour des infractions portant sur des fonds ou
des biens d’une valeur supérieure à dix millions (10 000 000) de shillings
tanzaniens et qui ne peuvent pas faire un dépôt de la moitié du montant ou
de la valeur des biens, ni verser une caution équivalente à l’autre moitié.
94. Ils affirment que la discrimination à laquelle ils font allusion est davantage
mise en évidence par le fait que la mise en liberté sous caution est
accessible à tous les accusés à Zanzibar, ce qui n’est pas le cas pour les
personnes poursuivies en C continentale.
95. Enfin, les Requérants soutiennent que l’État défendeur n’a pas apporté la
preuve que les personnes libérées sous caution, en vertu des critères
énoncés à l’article 148(5) (b), (c), (d) et (e) du CPP, ont commis des actes
d'insécurité à l'égard de la société, d’atteinte à la paix, d’entrave aux
enquêtes en cours ou même tué des témoins.
96. Pour sa part, l’État défendeur soutient que les droits et les devoirs des
citoyens sont garantis par sa Constitution et que toutes les lois doivent être
conformes à celle-ci. Il affiime, cependant, que les garanties
constitutionnelles ne dispensent personne de son devoir de se conformer à
la loi et de s'acquitter de ses devoirs constitutionnels.
97. Selon l’État défendeur, l’argument des Requérants concernant l’effet
discriminatoire de la loi contestée n’est « pas fondé ». L’État défendeur
ajoute qu’en admettant même que le CPP prévoit un traitement différencié,
un tel traitement se justifie par les objectifs qu’il vise à atteindre, à savoir la comparution de la personne poursuivie devant le tribunal ainsi que la
préservation de la paix et la sécurité publiques.
98. Citant l’affaire Ye Yg et autres c. Union of India, l’État défendeur
fait valoir que l’article 148(5) du CPP ne vise pas seulement un but légitime,
mais assure également la bonne administration de la justice.
99. Se référant, en outre, à l’affaire Commission africaine des droits de l'homme
et des peuples c. Xt, l’État défendeur fait valoir qu’un traitement
différencié n’est, en général, pas proscrit, mais ne devient discriminatoire
que lorsqu'il ne repose sur aucune justification objective et raisonnable.
100. L'État défendeur affirme que les Requérants n’ont pas apporté la preuve de
leur affirmation selon laquelle les personnes poursuivies dont la demande
de mise en liberté sous caution est rejetée en vertu de l’article 148(5) du
CPP sont traitées différemment, pour conclure, que l’article 148(5) du CPP
crée une discrimination indirecte.
101. Citant la décision dans l’affaire Aw Yk AI C, l'État défendeur
soutient que l’allégation relative au droit à la non-discrimination et au droit
à l’égalité n’a pas été prouvée et doit, donc, être rejetée comme mal fondée.
102. La Cour rappelle que l’article 2 de la Charte dispose :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune,
notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation.
103. La Cour note que l’article 148(5)(b), du CPP dispose :
Tout agent de police responsable d’un poste de police ou tout tribunal
devant lequel une personne poursuivie est attrait ou comparaît ne peut
accorder à cette personne la liberté sous caution s’il apparaît qu’elle a
déjà été condamnée à une peine d'emprisonnement de plus de trois
(3) ans.
104. En ce qui concerne l’article 148(5)(e), du CPP, la Cour relève qu’il dispose :
Tout agent de police responsable d’un poste de police ou tout tribunal
devant lequel une personne accusée est attraite ou comparaît
n’accordera pas à cette personne la liberté sous caution si [...]
l'infraction dont la personne est accusée porte sur des fonds ou des
biens en nature dont la valeur est supérieure à dix (10.000.000)
millions de shillings, à moins que cette personne ne dépose des
espèces ou d’autres biens équivalant à la moitié du montant ou de la
valeur des fonds ou des biens en nature et que le reste soit garanti par
le versement d’une caution.
105. Comme la Cour l’a souligné dans sa jurisprudence,!* le droit à la non-
discrimination est lié au droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection
de la loi, tels que protégés par l’article 3 de la Charte. Toutefois, le droit à
la non-discrimination s’étend au-delà du droit à l'égalité devant la loi et
comporte, également, des dimensions pratiques en ce sens que les
individus devraient jouir des droits consacrés par la Charte sans distinction
aucune de race, de couleur, de leur sexe, de leur religion, d’opinion
politique, d’origine ou sociale ou à toute autre situation.
106. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle la discrimination est « une
différenciation de personnes ou de situations sur la base d’un ou plusieurs
critère(s) non légitime(s) ».!° Cette définition de la discrimination renvoie,
15 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Xt (fond), supra, 8 138.
16 Actions pour la protection des droits de l'homme (APDH) c. République de Côte d'Ivoire (fond) 1 RJCA 697, 88 146 à 147 ; Cg c. C (fond), supra, 8 68.
cependant, à ce qui est souvent désigné comme discrimination directe.
Dans les cas de la discrimination est indirecte, le facteur déterminant n’est
pas, nécessairement, un traitement différent fondé sur des critères visibles
ou illégaux, mais l’effet disparate sur des groupes ou des individus du fait
de mesures ou d'actions spécifiques.!”
107. En l’espèce, l’article 148(5)(b) et (e) du CPP, en interdisant
catégoriquement aux tribunaux d’examiner une demande de mise en liberté
sous caution émanant d’accusés ayant purgé une peine de plus de trois (3)
ans et de personnes ayant été inculpées pour des infractions portant sur
des biens d’une valeur supérieure à dix millions (10.000.000) de shillings
tanzaniens, accorde de fait à ces accusés un traitement moins favorable
qu’aux accusés inculpés pour d’autres infractions qui non couvertes par
l’article 148(5) du CPP.
108. La Cour note l’argument de l’État défendeur selon lequel l’objectif de l’article
148(5)(b) et (e) du CPP est de garantir « la comparution de l’accusé, la paix
et la sécurité publiques ». Toutefois, l’État défendeur n’explique pas en
détail quelles sont les garanties offertes par ce texte. En outre, il ne fournit
aucune explication convaincante du fait que la loi n’est pas d’application
générale, à savoir la raison pour laquelle certaines personnes accusées en
vertu de l’article 148(5)(b) et (e) du CPP peuvent bénéficier de la possibilité
d’une mise en liberté sous caution, tandis que d’autres ne le peuvent pas.
109. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la discrimination
découlant de l’application des paragraphes 148(5)(a), (b) et (e) du CPP
viole l’article 2 de la Charte dans la mesure où certaines catégories
d’accusés ne peuvent bénéficier d’une liberté sous caution,
indépendamment de leur situation personnelle ou autre.
17 Cg c. C, ibid., 8 68.
B. Violation alléguée de l’article 7 de la Charte
110. Les Requérants contestent l’application des paragraphes (b) et (c) de
l’article 148(5) du CPP en rapport avec deux aspects du droit à un procès
équitable, à savoir le droit à la présomption d’innocence et le droit à ce que
sa cause soit entendue.
i. Droit à la présomption d’innocence
111. Les Requérants affirment que les paragraphes 148(5)(b) et (c) sont des
dispositions de portée générale qui ne tiennent compte ni de la personnalité
de la personne poursuivie, ni des circonstances dans lesquelles elle se
trouve, encore moins de sa situation économique. Ils ajoutent qu’en droit,
du fait de la présomption d’innocence, toute personne devrait bénéficier de
la liberté sous caution de plein droit.
112. Les Requérants soutiennent que l’article 7(1)(b) de la Charte garantit la
présomption d’innocence, qui est également prévue par l’article 13(6)(b) de
la Constitution de l’État défendeur.
113. Ils affirment que la liberté d’un individu est sacrosainte et ne devrait être
restreinte que dans des circonstances exceptionnelles, afin d’éviter la
possibilité d’incarcérer une personne innocente.
114. En réponse, l’État défendeur fait valoir que la restriction imposée par
l’article 148(5)(b) et (c) du CPP est justifiée par sa Cour d’appel qui, dans
l’affaire Xz Ay et 3 autres c. R, a estimé qu’une loi contestée doit
être conforme au droit et non arbitraire, fournir des garanties contre son
application arbitraire et prévoir des contrôles efficaces par les personnes
habilitées lorsque la loi est invoquée. Par ailleurs, la loi ne doit pas aller au-
delà de ce qui est raisonnablement nécessaire pour atteindre un but
légitime.
115. Citant la décision rendue dans l’affaire Ar Xf Cp, Legal and
AJ AH Centre et Yb Cy Ai Yo AI C, l’État
défendeur réaffirme qu’en vertu de l’article 27(2) de la Charte, la restriction
des droits et libertés est permise sur la base « … de la sécurité collective,
de la moralité et de l’intérêt commun … ».
116. L'État défendeur affirme que la demande des Requérants est mal fondée
d'autant plus que l’article 148(5) du CPP est « conforme à la Constitution, à
la DUDH, à la Charte et au PIDCP ». Il en conclut que la restriction est
justifiée et vise un but légitime, qui, insiste-t-il, est de protéger les témoins
« qui sont les yeux et les oreilles de la justice ».
117. À cet égard, l’État défendeur affirme que l’article 148(5) du CPP est
raisonnable dans la mesure où il impose une restriction non pas à la mise
en liberté sous caution pour chaque infraction, mais plutôt à une poignée
d’infractions bien définies.
118. L’État défendeur soutient que l’allégation des Requérants n’est pas
défendable, d'autant plus que l'intérêt général devrait être protégé contre
les individus qui enfreignent la loi.
119. L'article 7(1)(b) de la Charte dispose : « [toute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue … Ce droit comprend … b) le droit à la présomption
d’innocence, jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction
compétente ».
120. La Cour rappelle les dispositions de l’article 148(5)(b) du CPP aux termes
desquelles, les accusés ayant purgé une peine de plus de trois (3) ans ne
peuvent bénéficier d’une mise en liberté sous caution.
121. La Cour relève qu’au sens de l’article 148(5)(c) de la CPA, un accusé ne
peut bénéficier de la remise en liberté sous caution « s’il apparaît qu’il a
déjà été remis en liberté sous caution par un tribunal mais s’y est soustrait
ou n’en a pas respecté les termes ».
122. La Cour rappelle que la présomption d’innocence émane du principe selon
lequel le suspect est considéré comme innocent à toutes les phases de la
procédure jusqu’au prononcé du jugement.‘®
123. La présomption d’innocence exige que la charge de la preuve au-delà de
tout doute raisonnable incombe au ministère public et que tout doute devrait
profiter à l’accusé. En vertu de la présomption d’innocence, la liberté sous
caution devrait être le principe et la détention, l’exception.
124. La Cour observe que la présomption d’innocence exige des garanties de
procédure, notamment le droit de ne pas s’auto-incriminer et de s’opposer
à toute déclaration hâtive de culpabilité par la juridiction d'instance ou
125. La Cour note la décision de la Cour suprême du Ghana selon laquelle :
[l'octroi de la liberté sous caution représente l’un des outils dont dispose la
Cour pour garantir l’innocence d’un suspect ou d’un accusé, selon le cas,
jusqu’à ce que la Cour le déclare coupable. La présomption d’innocence
garantit la protection contre toute détention arbitraire et sert également de
garantie contre toute sanction avant condamnation.
126. La Cour note également l'argument de l’État défendeur selon lequel
l’objectif de la restriction prévue par l’article 148(5) du CPP est de préserver
la sécurité, la santé, l'intérêt général ainsi que les droits et libertés des
personnes innocentes.
18 Ch Xy Yd c. République du Rwanda (fond) (24 novembre 2017), 2 RICA 171, 8 83. 19 Allenet de Ribemont c. France, Arrêt, fond et satisfaction équitable, Requête n° 15175/89, A/308 (1995) 20 EHRR 557.
20 Supra, note 30.
127. La Cour ne remet pas en cause les objectifs visés par la promulgation de
l’article 148(5)(b) et (c) du CPP tels que présentés par l’État défendeur.
Toutefois, elle observe que le risque de fuite pendant la liberté sous caution
ne devrait pas être invoqué sur l’unique fondement de la gravité de
l'infraction ou sur une peine purgée antérieurement. La Cour souligne qu’il
devrait y avoir d’autres « circonstances relatives, notamment, au caractère
de l'intéressé, à sa moralité, à son domicile, sa profession, ses ressources,
ses liens familiaux, ses liens de tous ordres avec le pays où il est
poursuivi »°! qui peuvent confirmer l’absence ou l'existence du risque de
fuite. L'analyse de ces facteurs permettrait alors de déterminer si l’accusé
devrait être libéré sous caution ou placé en détention.
128. De même, le risque que l’accusé entrave le cours de l'enquête devrait être
fondé sur des preuves produites par le ministère public. Par conséquent, il
ne devrait être ni présumé, ni préétabli par la loi. À cet égard, la Cour fait
sienne la décision de la Cour suprême du Ghana selon laquelle « toute
législation, en dehors de la Constitution, qui supprime ou vise à supprimer,
soit de manière expresse, soit par implication nécessaire, le droit d’un
accusé de voir sa demande de liberté sous caution être prise en compte,
aurait porté sur lui un jugement a priori ou l’aurait présumé coupable avant
même que la Cour ne se soit prononcée dans ce sens ».??
129. La Cour estime donc que le refus, de fait, de la mise en liberté sous caution
tel que prévu par l’article 148(5) du CPP n’est ni nécessaire, ni compatible
avec le but visé par ledit article.
130. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’article 148(5)(a), (b) et
(c) du CPP viole le droit à la présomption d’innocence, protégé par l’article
7(1)(b) de la Charte.
21 Cc c. Autriche, CEDH, 27 juin 1968, 8 10, Ser. A n° 8.
22 Supra, note 30.
ii. Droit à ce que sa cause soit entendue
131. Les Requérants affirment que l’article 148(5) du CPP constitue une entrave
à la demande de mise en liberté sous caution d’une personne poursuivie et,
de ce fait, une violation du droit à ce que sa cause soit entendue par un
tribunal impartial et indépendant, prévu par l’article 7(1) de la Charte.
132. Invoquant la jurisprudence de la Cour dans l'affaire Xo An Xo
c. C, les Requérants allèguent la violation par l’article 148(5) du
CPP du droit d’un accusé à ce que sa cause soit entendue, en ce qui
concerne la demande de mise en liberté sous caution et l’appel.
133. Les Requérants soutiennent que l’article 148(5) du CPP annihile le pouvoir
discrétionnaire des juges chargés d'examiner les facteurs favorables ou
défavorables à la mise en liberté sous caution. Ils font valoir, en outre, que
le pouvoir judiciaire est établi par l’article 107A(1) de la Constitution de l’État
défendeur « comme l’autorité qui est investie d’un pouvoir de décision en
dernier ressort dans l’administration de la justice en C ».
134. Invoquant l’affaire Ax Al c. Xx General tranchée par la Cour
suprême du Ghana, les Requérants soutiennent que la décision de priver
une personne de sa liberté relève du pouvoir judiciaire et non de l’exécutif,
surtout que « … la liberté a une valeur trop précieuse pour être sacrifiée sur
l’autel du zèle d’un agent administratif ».
135. Selon les Requérants, l’article 148(5) du CPP tend à écarter la compétence
des juridictions de l’État défendeur pour se prononcer sur la mise en liberté
sous caution et, viole ainsi l’article 7(1) de la Charte. En outre, les
Requérants affirment que l’exclusion de la compétence des juridictions pour
se sur une demande de mise en liberté sous caution constitue un déni de
justice.
136. Selon les Requérants, l’article 148(5) du CPP, qui refuse la liberté sous
caution à un accusé ayant déjà bénéficié d’une mise en liberté sous caution de la part d’un tribunal et qui a manqué de respecter les conditions de sa
liberté provisoire ou s’est dérobé à la justice, constitue une violation du droit
à ce que sa cause soit entendue.
137. Ils soutiennent que l’article 148(5) du CPP « ne tient pas compte des
justifications qu’une personne pourrait ou aurait pu fournir et ayant conduit
au non-respect des conditions de sa mise en liberté sous caution ». Ils
ajoutent que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue malgré
son comportement antérieur.
138. L'État défendeur soutient que les infractions énumérées à l'article 148(5) du
CPP sont « des infractions qui ne peuvent absolument pas donner lieu à
une liberté sous caution » en raison de leur nature et « du danger qu’elles
représentent pour la société, de la menace pour la paix et la sécurité
nationales ainsi que de la nécessité de protéger les droits indérogeables
garantis par la Constitution et les autres instruments internationaux relatifs
aux droits de l'homme » auxquels la C est partie.
139. Invoquant la décision de sa Cour d’appel dans l'affaire Bo Xi Av
c. Director of Public Prosecutions, l’État défendeur soutient que même si le
pouvoir judiciaire a le dernier mot dans l’administration de la justice, il « ne
jouit pas de pouvoirs sans limite ». Au contraire, « les tribunaux plient aux
limites fixées par la Constitution ». En outre, si les juridictions ignorent des
dispositions de la loi, il en résulterait, non seulement, une anarchie, mais
aussi un non-respect de la Constitution de l’État défendeur.
140. Selon l’État défendeur, toutes les infractions énumérées à l’article 148(5)
du CPP ont pour effet de causer la mort ou de soumettre une personne ou
un groupe de personnes à des souffrances continues ou à une perte de
dignité. Il soutient, en outre, qu’il s’agit de « … crimes contre l’humanité qui
sont universellement classés dans la catégorie des crimes organisés ».
141. L'État défendeur fait valoir que l’article 148(5) du CPP est légal et qu’il est
justifiable, dans la mesure où son objectif est de maintenir la sécurité
nationale, l’ordre public et la santé publique. L'État défendeur estime, en
outre, que les éléments qui constituent les infractions énumérées à
l’article 148(5) du CPP ont été clairement définis dans le Code pénal, ce qui
élimine le risque d'abus.
142. Il affirme être le mieux placé pour « justifier les raisons pour lesquelles le
droit à la mise en liberté sous caution est assorti de restrictions »,
contrairement à l’affirmation des Requérants selon laquelle tous les États
devraient appliquer des normes uniformes. S'appuyant sur l’arrêt rendu
dans l'affaire Handyside c. Royaume-Uni, il allègue qu’il est mieux placé
que le juge international pour se prononcer sur la nécessité d’une restriction
ou d’une sanction destinée à atteindre un objectif moral.
143. Aux termes de l’article 7(1) de la Charte, « [t]oute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue ».
144. La Cour observe que le droit de toute personne à ce que sa cause soit
entendue, prévu à l’article 7(1) de la Charte, sous-tend plusieurs droits
relatifs à la régularité de la procédure judiciaire, notamment le droit
d’exprimer son point de vue sur les affaires et les procédures ayant une
incidence sur ses droits, le droit de saisir les autorités judiciaires et quasi-
judiciaires compétentes, en cas de violation de ces droits et le droit
d’interjeter appel devant des juridictions supérieures lorsque les griefs
exprimés n’ont pas été examinés de manière appropriée par les juridictions
145. La Cour observe que les effets du droit à ce que sa cause soit entendue ne
prennent pas fin à l'issue de la procédure d’appel. Lorsqu’il existe des
23 Cr Cu Cr c. République-Unie de C (fond) (2018) 2 RICA 539, 88 68 à 69.
raisons suffisantes de croire que les motivations des décisions d’instance
ou d’appel ne sont plus valables, le droit à ce que sa cause soit entendue
requiert la mise en place d'un mécanisme de révision de ces décisions.?*
146. La Cour rappelle que « [lJ’article 7 de la Charte autorise toute personne qui
s’estime lésée à saisir les juridictions nationales compétentes. Dans
l'exercice de ce droit, la situation de la victime ou de l’auteur de la violation
alléguée est inopérant et il a droit à un recours efficace devant une
juridiction compétente et impartiale ».?5
147. La Cour note que l’État défendeur soutient que l’article 148(5) du CPP a
défini les infractions ne pouvant donner lieu à la mise en liberté sous caution
et que leurs éléments sont connus, ce qui ne laisse aucune place aux abus.
Il a, également fait valoir qu’il est mieux placé que le juge international pour
justifier la nécessité de la restriction de la liberté sous caution.
148. La Cour rappelle qu’il est de principe qu’un État ne peut invoquer ses lois
internes pour justifier une violation de ses obligations internationales. En
conséquence, lorsqu’un État invoque une disposition de sa législation
interne pour justifier la restriction d’un droit, il doit être en mesure de
démontrer que cette disposition n'est pas contraire à la Charte.?é
149. En outre, la Cour a constamment que « … l’étendue de la marge
d'appréciation dont jouissent les autorités nationales dépend non
seulement de la nature du but visé, mais également de la finalité de la
restriction et de la nature du droit en cause.” Par ailleurs, la marge
d'appréciation doit être appliquée de bonne foi ».°8
150. La Cour estime que le fait de ne donner au pouvoir judiciaire aucune marge
d'appréciation en ce qui concerne les infractions visées à l’article 1)8(5)(a)
24 Cg c. C (fond), supra, 8 96.
26 Ibid., 8 102.
27 Christopher R. Yo c. C (fond) (14 juin 2013), 1 RICA 34, 8 106.2.
28 Yo c. C (fond), supra, 8 106.3.
du CPP porte atteinte au droit à ce que sa cause soit entendue. Cette
pratique prive le pouvoir judiciaire de sa mission d’interprète indépendant
et impartial de la loi.
151. En l’espèce, la nature de l’article 148(5) du CPP ne laisse au juge aucune
possibilité d'accorder la liberté sous caution, dès lors que l'infraction objet
de la poursuite fait partie de celles énumérées à l’article 148(5) du CPP.
Cette pratique prive effectivement la personne poursuivie de son droit à ce
que sa cause soit entendue et l'empêche, surtout, de faire valoir des
circonstances particulières qui pourraient permettre au juge de lui accorder
la liberté sous caution.
152. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le principe du
contradictoire et celui de l’égalité des armes exigent que toutes les parties
à une procédure aient une chance égale de présenter leurs arguments et
preuves ; et qu’un juge impartial rende une décision selon la norme de
preuve applicable au litige en question. Une loi qui porte atteinte au
processus et confère, effectivement, à l’une des parties le pouvoir
d’influencer, au préalable, l’issue du litige, porte également atteinte au
principe de l’égalité des armes et contrevient à l’application régulière de la
153. La Cour relève que la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après
« la CEDH ») a également fait sienne cette position et conclu que le refus
automatique de la mise en liberté sous caution en vertu de l'application
d’une loi, qui écarte le pouvoir discrétionnaire du juge, constitue une
violation de l’article 5(3) de la Convention européenne des droits de
l'homme. La CEDH a également indiqué que l’octroi d’une liberté sous
caution ne saurait se faire de manière formaliste, ce qui peut être qualifié
de détention arbitraire.
29 Cg c. C (fond et réparations), supra, 8 97.
30 Ah c. Arménie, CEDH, Requête n° 33376/07, 8 105.
154. En outre, certains pays ont abrogé des dispositions similaires à
l’article 148(5) du CPP en raison de l’absence de liberté du juge lorsqu'une
demande de mise en liberté sous caution est soumise.*!
155. Comme la Cour l’a déjà indiqué, elle ne réprouve pas l’objectif visé par l’État
défendeur, à savoir, protéger les témoins et garantir la sécurité, entre
autres. Nonobstant ce qui précède et comme l'ont considéré plusieurs
juridictions, le législateur ne devrait pas jouer le rôle des juges en liant les
mains du tribunal pour lui dicter l'issue spécifique, en l’occurrence, le refus
de la liberté sous caution. Il incombe au législateur de fournir des lignes
directrices en ce qui concerne les différentes circonstances que le juge
compétent devrait prendre en compte et qui militeraient en faveur ou non
de la remise en liberté.
156. Comme indiqué précédemment, la propension à se soustraire aux
conditions d’une mise en liberté provisoire ne peut s’inférer de la gravité
d’une infraction ou d’une peine. En conséquence, en l’absence de latitude
permettant au pouvoir judiciaire d’accorder ou de refuser la liberté sous
caution, la Cour conclut que l’article 148(5) du CPP viole le droit à ce que
sa cause soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte.
C. Violation alléguée de l’article premier de la Charte
157. Les Requérants soutiennent que l’article 148(5) du CPP viole l’article
premier de la Charte. Ils font valoir que l’article 148(5) du CPP ne permet
pas aux accusés de jouir des droits fondamentaux et du droit à une égale
protection, inscrits dans la législation tanzanienne.
31 Voir Cour constitutionnelle du Ghana, supra, note 30, opinion du juge Akamba ; Cour constitutionnelle d'Afrique du Sud, As c. l’État, Yj Bp, Xe Aq, Az Bj, Aa Aj et Cq Yp c. l’État, État c. Cw Bh Ao et État c. Jan Xw Xs 3 juin 1999, 8 10. Haute Cour du Xt, République c. Ao Xl Cs, Affaire pénale n°14 de 2018 [2018] eKLR. Haute Cour du Royaume-Uni, Secrétaire d’État en charge du ministère de l’Intérieur c. MB (FC) 2006] EWHC 1000 (Admin).
158. Quant à l’État défendeur, il soutient que les droits et libertés prévus par la
Charte, la DUDH, le PIDCP et la Constitution tanzanienne ne sont pas des
droits absolus, et qu’ils sont, au contraire, soumis à des restrictions. En
outre, la restriction imposée en vertu de l’article 148(5) du CPP est
raisonnablement nécessaire pour atteindre un but légitime, qui est justifiable
en vertu des normes énoncées dans les instruments internationaux des
droits de l'homme et de l’article 30(2) de la Constitution de l’État défendeur.
159. L'article premier de la Charte dispose :
Les États membres de l’Organisation de l'Unité Africaine, parties à la
présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés
dans cette Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou
autres pour les appliquer.
160. La Cour note que l’État défendeur a « l’obligation d’adopter des lois
conformes aux buts et objectifs de la Charte » et que « [...] même si la
clause en question envisage l’adoption de règles et de règlements pour
l’exercice des droits qui y sont consacrés, ces règles et règlements ne
sauraient annuler les mêmes droits et libertés qu’ils doivent régir ».5?
161. La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle pour déterminer si l’article
premier de la Charte a été violé, il convient d’examiner, non seulement si
les mesures législatives internes que doit prendre l’État défendeur sont
disponibles, mais également si elles sont appliquées, c’est-à-dire si les buts
énoncés dans la Charte ont été atteints.
32 Yo c. C (fond), supra, 8 109.
33 Xb Be c. République-Unie de C (fond et réparations) (2018) 2 RICA 493, 88 149 à 150 et Ca Xj et autres c. République-Unie de C (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 562, 8 124.
162. Par conséquent, chaque fois qu’un droit fondamental de la Charte est violé
en raison du manquement de l’État défendeur à ces obligations, l’article
premier de la Charte s’en trouve violé.
163. Ayant jugé, en l’espèce, que l’État défendeur a violé les articles 2, 7(1) et
7(1)(b) de la Charte, la Cour considère que l’État défendeur a également
violé l’article premier de la Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
164. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de
prendre des mesures constitutionnelles et législatives afin de garantir les
droits prévus par la Charte et les autres instruments internationaux relatifs
aux droits de l’homme.
165. En outre, les Requérants sollicitent la libération sous caution, dans un délai
d’un (1) mois suivant la date de la présente décision, de toutes les
personnes poursuivies pour des infractions ne pouvant, selon la loi de l’État
défendeur, donner lieu à une telle mesure, selon des conditions à définir
par les tribunaux de l’État défendeur, en fonction des circonstances de
chaque affaire.
166. Enfin, les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur
de soumettre, dans un délai de douze (12) mois, à compter de la date de
l’arrêt, un rapport sur les mesures prises en vue de la mise en œuvre du
présent arrêt.
167. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter les demandes de réparations
formulées par les Requérants.
168. Aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « lorsqu’elle estime qu’il y a eu
violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement
d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
169. La Cour rappelle sa jurisprudence et réaffirme sa position selon laquelle
« pour examiner les demandes en réparation des préjudices résultants des
violations des droits de l’homme, elle tient compte du principe selon lequel
l’État auteur d’un fait internationalement illicite a l’obligation de réparer
intégralement les conséquences de manière à couvrir l’ensemble des
dommages subis par la victime ».*
170. La Cour rappelle également que les réparations « … doivent autant que
possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état
qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis ».°5
171. Les mesures qu’un État peut prendre pour réparer une violation des droits
de l’homme peuvent inclure la restitution, l’indemnisation, la réadaptation
de la victime et des mesures propres à garantir la non-répétition des
violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire.36
172. La Cour rappelle que la règle générale en matière de préjudice matériel est
qu’il doit exister un lien de causalité entre la violation établie et le préjudice
subi par le requérant. En outre, il incombe à celui-ci d’apporter la preuve de
ses demandes.*” En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour exerce son
pouvoir discrétionnaire en toute équité.
173. En l’espèce, la Cour a établi que l’État défendeur a violé les droits prévus
aux articles 1, 2, 7(1) et 7(1)(b) de la Charte, du fait de l’article 148(5) du
CPP.
34 Yh c. C (fond), supra, 8 242 (ix), Xy Ch Yd c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 209, 8 19.
35 Bm Yh c. République-Unie de C (réparations) (4 juillet 2019), 3 RICA 349, 8 21 ; Aw Yk c. République-Unie de C (réparations) (4 juillet 2019), 3 RICA 299, 8 12 ; Ak Au Bb et 9 autres c. République-Unie de C (réparations) (4 juillet 2019), 3 RICA 322, 8 16.
36 Yd c. Rwanda (réparations), supra, 8 20.
37 Cy Yo c. République-Unie de C (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 40; Af Xq Xg c. Yi Bf (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 8 15.
174. C’est à l’aune de ces principes que la Cour examinera les demandes de
réparation du Requérant.
A. Mesures constitutionnelles et législatives
175. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de
prendre des mesures constitutionnelles et législatives pour garantir la
jouissance des droits prévus par la Charte et les autres instruments
internationaux relatifs aux droits de l’homme.
176. En outre, les Requérants demandent à la Cour d’ordonner que soient
libérés sous caution, dans un délai d’un (1) mois à compter de la date du
présent arrêt, toutes les personnes poursuivies pour des infractions ne
pouvant, selon la loi de l’État défendeur, donner lieu à une mise en liberté
sous caution, suivant des conditions à définir par les juridictions de l’État
défendeur, en fonction des circonstances de chaque affaire.
177. L'État défendeur conclut au débouté.
178. Ayant constaté que l’article 148(5) du CPP viole les articles 1, 2, 7(1) et
7(1)(b) de la Charte, la Cour ordonne à l’État défendeur de prendre toutes
les mesures constitutionnelles et législatives nécessaires, dans un délai
raisonnable n’excédant pas deux (2) ans, pour s'assurer que les
paragraphes 148(5)(a), (b), (c), (d) et (e) du CPP sont conformes aux
dispositions de la Charte, afin de remédier, entre autres, à toute violation
de la Charte et des autres instruments ratifiés par l’État défendeur.
179. S'agissant de la demande relative à la remise en liberté de toutes les
personnes inculpées d’infractions ne pouvant donner lieu à une libération
sous caution, dans un délai d’un (1) mois à compter de la date du présent
Arrêt, sous des conditions à définir par les juridictions de l’État défendeur,
la Cour relève que, nonobstant sa constatation antérieure, il existe
beaucoup de circonstances de commission des infractions pour lesquelles
la libération sous caution a été refusée. Bien que la Cour ait réaffirmé la
nécessité d’accorder à tous les accusés le bénéfice d’une libération sous
caution, elle considère que la question de savoir si la libération sous caution
doit être accordée dans des cas spécifiques et les conditions d’une telle
remise en liberté relève d’une décision qu’il incombe aux autorités
nationales de prendre, et ce, au cas par cas. Dans ces conditions, la Cour
ne saurait rendre une mesure de portée générale aux fins de la remise en
liberté de toutes les personnes précédemment inculpées d’infractions ne
pouvant donner lieu à libération sous caution, sans tenir compte de leur
situation individuelle. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette la
demande du Requérant.
B. Publication
180. La Cour rappelle que l’article 27(1) du Protocole lui confère le pouvoir
« d’ordonner toutes les mesures appropriées afin de remédier» aux
violations. Dans ces conditions, la Cour réaffirme qu’elle peut, à titre de
réparation, ordonner d’office la publication de ses décisions lorsque les
circonstances de l'affaire l’exigent.
181. En l’espèce, la Cour relève que les violations qu’elle a constatées affectent
une grande partie de la population de l’État défendeur en raison du fait
qu’elles portent sur l’exercice de plusieurs droits prévus par la Charte, dont
le principal est le droit à un procès équitable, garanti par l’article 7 de la
Charte.
182. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il convient d’ordonner, suo motu, la
publication du présent arrêt. En conséquence, la Cour ordonne à l’État
défendeur de publier le présent Arrêt dans un délai de trois (3) mois à
compter de la date de sa signification, sur les sites Internet du ministère de
la Justice et du ministère des Affaires constitutionnelles et juridiques, et de veiller à ce qu’il y reste accessible pendant au moins un (1) an après la date
de sa publication.
C. Sur la mise en œuvre de l’Arrêt
183. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de
soumettre des rapports sur la mise en œuvre du présent Arrêt. La Cour
relève que le fait d’ordonner le de rapports sur les mesures prises par un
État défendeur relève de la pratique judiciaire et, par conséquent, ordonne
à l’État défendeur de déposer des rapports sur les mesures prises en vue
de mettre en œuvre le présent Arrêt dans les douze (12) mois suivant sa
signification.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
184. Chaque Partie demande à la Cour de condamner l’autre aux dépens.
185. La Cour relève qu’aux termes de la règle 32(2), « à moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
186. La Cour estime, en l’espèce, qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du
principe posé par cette disposition et ordonne donc que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
DISPOSITIF
187. Par ces motifs
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
Sur la recevabilité
ii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la Requête relatives aux
allégations concernant les articles 56(2), 56(5), 56(6), et 56(7) de la
Charte, hormis celle relative à l’article 148(5)(a) du CPP ;
iv. Déclare la Requête recevable en ce qui concerne les griefs relatifs
aux alinéas (b) à (e) de l’article 148(5) du CPP.
Sur le fond
v. Dit que l’article 148(5)(b) et (e) du CPP viole l’article 2 de la Charte ;
vi. Dit que l’article 148(5)(b) et (c) du CPP viole l’article 7(1) et 7(1)(b)
de la Charte ;
vii. Dit que l’article 148(5)(b), (c) et (e) du CPP viole l’article premier de
la Charte.
Sur les réparations
viii. Rejette la demande de remise en liberté de toutes les personnes
inculpées d’infractions ne pouvant donner lieu à une remise en
liberté sous caution ;
ix. Ordonne à l'État défendeur de prendre toutes les mesures
constitutionnelles et législatives nécessaires, dans un délai
raisonnable, et, en tout état de cause, n’excédant pas deux (2) ans,
afin de modifier l’article 148(5) du CPP de manière le rendre
conforme aux dispositions de la Charte et de faire cesser les
violations dudit instrument ;
x. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent arrêt, dans un délai
de trois (3) mois à compter de la date de sa signification, sur les
sites Internet du ministère de la Justice et du ministère des Affaires
constitutionnelles et juridiques, et de veiller à ce qu’il y reste
accessible pendant au moins un (1) an après la date de sa
publication.
Sur la mise en œuvre de l'arrêt et la soumission de rapports
xi. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de
douze (12) mois à compter de la date de signification du présent
arrêt, un rapport sur l’état de la mise en œuvre de la décision qui y
est énoncée et, par la suite, des rapports tous les six (6) mois
jusqu’à ce que la Cour estime toutes ses décisions entièrement
mises en œuvre.
Sur les frais de procédure
xii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Blaise TCHIKAYA, Vice-président ES
Ben KIOKO, Juge Mess ;
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ss Cnerpouat lan Stella |. ANUKAM, Juge Eur am |
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ;
Modibo SACKO, Juge fran ; fau
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.