AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
JONCTION DES INSTANCES
REQUÊTES N°5 0015/2017 et 011/2018
AFFAIRES
By AG
ET
AH B
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 LC e SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DES REQUÊTES
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
V SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle
B Sur les autres aspects de la compétence 11
VI SUR LA RECEVABILITÉ 12
A Sur les exceptions d’irrecevabilité des instances jointes 13
! Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 13
ii. Sur l’exception tirée du dépôt des instances jointes dans un délai non
raisonnable 14
B Sur les autres conditions de recevabilité 18
DIR SUR LE FOND 19
A Violation alléguée du droit à la non-discrimination et à l’égalité devant la loi
20
Violation alléguée du droit à un procès équitable 23
Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire gratuite 24
Il Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue 26
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS 29
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 32
DISPOSITIF 33 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour“ (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
Jonction des instances :
By AG
assurant lui-même sa défense
et
AH B
représenté par :
Dr Ap AJ, Walyemera & Company
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Xn Xm AM, Bc Cg, Bureau du Solicitor General ;
1 Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
ii. Mme Bi Bl A, Bt Bc Cg, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Bs Av AL, Directrice des affaires juridiques, ministère
des Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine ;
iv. Mme Ao AI, directrice adjointe, Droits de l'homme, Principal
State Cy, Cabinet de l’Cy Cg ;
v. Mme Bb Y, Be State Cy, Cabinet de l’Cy Cg ; et
vi. Mme Bq Z, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Les sieurs By AG et AH B Xci-après dénommés
respectivement « le premier Requérant » et « le deuxième Requérant » ou
«les Requérants» conjointement) sont tous deux des ressortissants
tanzaniens. Ils ont été, séparément, déclarés coupables de viol et
condamnés à trente (30) ans de réclusion. Ils contestent les procédures
ayant abouti à leurs condamnations devant les juridictions internes.
2. Les Requêtes sont dirigées contre la République-Unie de Tanzanie (ci-
après dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la
« Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. L'État
défendeur a également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à
l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il accepte la compétence de la Cour
pour recevoir des requêtes émanant d’individus et d’organisations non
gouvernementales. Le 21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé
auprès du Président de la Commission de l’Union africaine un instrument
de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles
affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet, un an après le dépôt
de l’instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
Il. OBJET DES REQUÊTES
A. Faits de la cause
3. | ressort du dossier que le premier Requérant a été accusé de viol et de
détournement de mineure, devant le Resident Magistrate’s Court siégeant
à Af. La victime du viol était une écolière de dix-sept (17) ans
scolarisée à la Ad Ci Bv, dans la région de Af.
Le 30 septembre 2011, le Requérant a été déclaré coupable des deux chefs
d'accusation et a, en conséquence, été condamné à trente (30) ans de
réclusion et six (6) coups de bâton pour le viol et à une amende de trente
mille (30000) shillings tanzaniens ou, à défaut, à quatre (4) mois
d'emprisonnement pour le détournement de mineure.
4. Le Requérant a interjeté appel devant la Cour d’appel siégeant à Af,
qui, le 17 mai 2013, a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Son
deuxième appel devant la Cour d’appel a également été rejeté, le 11 août
2014.
5. Il ressort également du dossier que le deuxième Requérant était accusé
devant le Tribunal de district de Ca pour viol. La victime du viol était
une écolière de dix-sept (17) ans scolarisée à la Cl Ci Bv
dans la région de Ca. Le 22 octobre 2004, le Requérant a été
déclaré coupable et condamné à trente (30) ans de réclusion, à douze (12)
coups de bâton ainsi qu’au paiement de la somme de cinq millions
? Cb Ac Bu c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 38.
(5 000 000) de shillings tanzaniens à titre de dommages- intérêts au profit
de la victime.
6. Il a également interjeté appel devant la Haute Cour siégeant à Bg qui,
le 27 octobre 2018, a confirmé le jugement en toutes ses dispositions. Son
deuxième appel devant la Cour d’appel a également été rejeté le 1er
novembre 2012. Il a, par la suite, formé un recours en révision dont il a été
débouté, le 3 août 2017.
B. Violations alléguées
7. Le premier Requérant allègue la violation des articles 2, 3 et 7 de la Charte
au regard de l’appréciation des éléments de preuves à charge par les
juridictions internes lesquelles , selon lui, « ont conclu à sa culpabilité sur
la base d'éléments de preuves ou des faits relevant de la pure invention,
de la fabrication et/ou de la spéculation, de manière à légitimer leur
mauvaise foi ».
8. Le deuxième Requérant allègue également la violation des articles 2, 3 et
7 de la Charte en raison de la façon dont les procédures intentées contre
lui ont été menées par les juridictions internes, lesquelles ont, selon lui,
donné lieu à un jugement « très erroné » à son détriment.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
9. Le premier Requérant a déposé sa Requête le 2 mai 2017. Elle a été
communiquée à l’État défendeur le 22 juin 2017. L’État défendeur a déposé
son mémoire en réponse à la Requête le 21 août 2017.
10. La Requête du deuxième Requérant a été déposée le 8 mai 2018 et celle-
ci a été notifiée à l’État défendeur le 27 juin 2018. L'État défendeur a soumis
son mémoire en réponse le 28 juin 2019.
11. Les Parties ont déposé leurs écritures et pièces de procédure dans les
délais fixés par la Cour.
12. Par une ordonnance en date du 21 mai 2023, la Cour a ordonné la jonction
des instances objet des présentes Requêtes.
13. Les débats ont été clôturés le 31 mai 2021 en ce qui concerne la requête
n° 011/2018 et le 1% mai 2023 en ce qui concerne la requête n° 015/2017,
et les Parties aux deux instances en ont dûment reçu notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
14. Le premier Requérant demande à la Cour de « rétablir la justice en annulant
la décision de condamnation prononcée à son encontre et en ordonnant sa
mise en liberté ».
15. Dans son mémoire en réponse aux demandes du premier Requérant, l’État
défendeur demande à la Cour de se prononcer comme suit, en ce qui
concerne la compétence et la recevabilité :
i. Dire et juger que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
n’a pas compétence pour statuer sur la présente Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à la règle 40(5) du Règlement intérieur de la Cour
ou aux articles 56 et 6(2) du Protocole ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à la règle 40(6) du Règlement intérieur de la Cour
ou aux articles 56 et 6(2) du Protocole ;
iv. Dire et juger que la Requête est irrecevable.
v. Rejeter la Requête, conformément à la règle 38 du Règlement ;
16. S'agissant du fond de la première Requête, l’État défendeur demande à la
Cour de dire qu’il n’a pas violé les articles 2, 3(1), 3(2), 7(1)(a) et 7(2) de la
Charte. L'État défendeur demande également que la Requête soit rejetée
pour défaut de fondement et que les frais de procédures soient mis à la
charge du premier Requérant.
17. Le deuxième Requérant demande à la Cour de « rétablir la justice en
annulant la décision de condamnation prononcée à son encontre et en
ordonnant sa mise en liberté ». Il demande, en outre, à la Cour de rendre
toute autre mesure ou de lui accorder toute autre réparation de droit qu’elle
jugera justes et appropriées au regard des circonstances de ses griefs.
18. Dans son mémoire en réponse aux demandes du deuxième Requérant,
l'État défendeur demande à la Cour de se prononcer comme suit, en ce qui
concerne la compétence et la recevabilité :
i. Dire et juger que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
n’est pas compétente pour connaître de la présente Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à l’article 40(5) et (6) du Règlement intérieur de
la Cour ;
iii. Déclarer la Requête irrecevable et la rejeter en conséquence.
iv. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge
du Requérant.
19. S'agissant du fond de la deuxième Requête, l’État défendeur demande à la
Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
prévus aux articles 2, 3(1) et (2) et 7(1)(c) de la Charte ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
protégés par l’article10(2) du Protocole ;
iii. Rejeter la Requête pour défaut de fondement ;
iv. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge
du Requérant.
V. SUR LA COMPÉTENCE
20. La Cour note que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
21. Par ailleurs, aux termes de la règle 49(1) du Règlement, la Cour « procède
à un examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte,
au Protocole et au [.…] Règlement ».3
22. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
Requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer
sur les éventuelles exceptions d’incompétence.
23. La Cour observe que dans les deux Requêtes, l’État défendeur soulève
une exception d’incompétence matérielle de la Cour. La Cour va donc
examiner cette exception avant de statuer , si nécessaire, sur les autres
aspects de sa compétence.
3 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
24. La Cour relève que dans les deux Requêtes, l'État défendeur conteste la
compétence de la Cour aux moyens qu’elle n’est ni une juridiction de
première instance, ni une juridiction d'appel.
25. L'État défendeur soutient, s'agissant de l’affirmation selon laquelle la Cour
n’est pas une juridiction de première instance, que les deux Requérants,
en soulevant devant la Cour de nouvelles allégations qui n’ont jamais été
portées devant aucune juridiction nationale, tentent de faire de la Cour une
juridiction de première instance, ce qui est contraire à la fois à la Charte et
au Protocole. Quant à l’affirmation selon laquelle la Cour n’est pas une
juridiction d’appel, l’État défendeur soutient, dans les deux requêtes, que
les Requérants, en invitant la Cour à réexaminer des questions de preuve
déjà tranchées par les juridictions internes, lui demandent de siéger en tant
que juridiction d’appel. L'État défendeur soutient, en outre, que dans les
deux Requêtes, la Cour n’a pas compétence pour annuler ou révoquer les
condamnations prononcées par les juridictions nationales, encore moins
pour ordonner la mise en liberté des personnes déclarées coupables
d’infractions. Pour étayer ses arguments, l’État défendeur a fait référence
à la jurisprudence Am Xk c. Tanzanie et Cx Bd Cp c.
Malawi.
26. Dans sa réplique, le premier Requérant soutient que la Cour est
compétente dans la mesure où les violations alléguées « concernent des
droits de l’homme au titre de la Charte que l’État défendeur a pris
l'engagement de respecter et de protéger ». Il soutient, en outre, que la
Cour a été saisie pour statuer sur les allégations de violations de ses droits
fondamentaux et qu’il ne s’agit donc pas d’un appel comme le prétend l’État
défendeur.
27. Pour sa part, le deuxième Requérant soutient que la Cour est compétente
« pour connaître de toutes les affaires qui lui sont soumises, la présente Requête ayant été introduite sur le fondement des articles 3(1) et (2) de la
Charte africaine, 3 et 27 du Protocole ».
28. La Cour note que, sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de « toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme
ratifié par l’État défendeur.
29. Dans les présentes instances jointes, la Cour note que l’exception
d’incompétence matérielle soulevée par l’État défendeur est fondée sur
trois moyens : premièrement, la Cour n’est pas une juridiction de première
instance, deuxièmement, la Cour n’est pas une juridiction d’appel et,
troisièmement, la Cour n’est pas compétente pour annuler des
condamnations et ordonner la mise en liberté d’une personne reconnue
coupable. La Cour examinera chacune de ces allégations séparément.
30. En ce qui concerne l’argument selon lequel la Cour est appelée à siéger
comme juridiction de première instance, la Cour rappelle sa jurisprudence
constante selon laquelle, en vertu de l’article 3 du Protocole, elle a
compétence matérielle lorsque la requête dont elle est saisie porte sur des
allégations de violation des droits de l'homme protégés par la Charte ou
tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par l’État
concerné.” En l’espèce, les instances jointes portent sur des allégations de
violations des articles 2, 3 et 7 de la Charte. La Cour estime donc qu’en
examinant ces allégations, elle ne siège nullement comme une juridiction
de première instance, mais s'acquitte simplement de son mandat qui
4 Xb Ag c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18.
5 Aw Cn Xc et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 654, 88 18 et 19.
consiste à interpréter et à appliquer la Charte et d’autres instruments relatifs
aux droits de l'homme. La Cour rejette donc ce moyen.
31. En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle la Cour statuerait comme
juridiction d’appel si elle venait à examiner certains griefs sur lesquels les
juridictions internes de l’État défendeur se sont déjà prononcées, la Cour
réaffirme sa position selon laquelle elle n’exerce pas de compétence
d'appel à l'égard de griefs déjà examinés par des juridictions nationales.®
La Cour rappelle que, toutefois, cela ne l'empêche pas d'apprécier la
conformité des procédures nationales aux normes énoncées dans les
instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État
concerné.’ La Cour rejette donc ce moyen.
32. S'agissant de l'argument relatif à l’incompétence pour annuler la
condamnation des Requérants ou ordonner leur mise en liberté, la Cour
rappelle que l’article 27(1) du Protocole dispose : « [I] orsqu’elle estime qu’il
y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne
toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le
paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ». Il s’en
infère que la Cour est compétente pour accorder différents types de
réparations, y compris, la mise en liberté, si les circonstances de l'affaire le
requièrent. Par conséquent, la Cour rejette ce moyen.
33. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l'exception d’incompétence
matérielle et conclut qu’elle a la compétence matérielle pour connaître des
présentes instances jointes.
€ Cx Bd Cp c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RJCA 197, 8 14; Bh Xo c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, $ 26 ; Cm Bp XAz BaC et Ck Cm XCz BnC c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
7 Cf Cu c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, $ 33; Bf Au Bf et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 29 et Am Xk c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 130.
B. Sur les autres aspects de la compétence
34. La Cour note qu’aucune exception n’a été soulevée par l’État défendeur
quant à sa compétence personnelle, temporelle et territoriale.
35. Ayant constaté qu'aucun élément du dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétente, la Cour conclut qu’elle a :
i. La compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur
est partie au Protocole et a fait la Déclaration. La Cour rappelle,
comme elle l’a indiqué au paragraphe 2 du présent arrêt, que, le
21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé un instrument de
retrait de la Déclaration. À cet égard, la Cour réitère sa
jurisprudence selon laquelle le retrait de la Déclaration n’a pas
d'effet rétroactif et n’a aucune incidence, ni sur les affaires
pendantes au moment du dépôt de l'instrument y relatif, ni sur les
nouvelles affaires dont elle a été saisie avant qu’il ne prenne effet.
Étant donné que les présentes instances jointes étaient déjà
pendantes à la date du retrait, celui-ci n’a aucune incidence sur
i. La compétence temporelle dans la mesure où les violations
alléguées dans les instances jointes se sont produites après que
l'État défendeur est devenu partie à la Charte et au Protocole.
iii. La compétence territoriale est établie dans la mesure où les
violations alléguées dans les instances jointes se sont produites
sur le territoire de l’État défendeur.
36. Par voie de conséquence, la Cour est compétente pour examiner les
présentes instances jointes.
8 Bu c. Tanzanie, supra, 88 35 à 39.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
37. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole « la Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
38. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [I] a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et
au présent [.…] Règlement ».
39. La règle 50(2) du Règlement qui reprend, en substance, les dispositions de
l’article 56 de la Charte dispose :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure
de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
A. Sur les exceptions d’irrecevabilité des instances jointes
40. | ressort du dossier devant la Cour que l’État défendeur soulève les mêmes
exceptions d’irrecevabilité des instances jointes, tirées, l’une, du non-
épuisement des recours internes et l’autre du dépôt des Requêtes dans un
délai non raisonnable, en violation des dispositions de la Charte. La Cour
va statuer sur ces exceptions avant d’examiner, si nécessaire, les autres
conditions de recevabilité.
i. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
41. L’État défendeur fait valoir que les deux Requérants ont introduit leurs
Requêtes de manière prématurée dans la mesure où ils n’ont pas, au
préalable, exercé la procédure prévue par sa loi sur l’application des droits
et devoirs fondamentaux alors même que les droits dont la violation est
alléguée sont également protégés par sa Constitution. Selon l’État
défendeur, les deux Requérants pouvaient introduire un recours en
inconstitutionnalité pour remédier à leurs griefs et qu’en ne l’ayant pas fait,
ils n’ont pas épuisé les recours internes.
42. En réplique, le premier Requérant fait valoir que dans la mesure où il a saisi
la Haute Cour, qui l’a débouté le 17 mai 2003, et la Cour d'appel, qui a
rejeté son recours le 11 août 2014, avant de porter son affaire devant la
Cour de céans, il a satisfait à l'exigence d’épuisement des recours internes.
Il en déduit que l’État défendeur avait la possibilité de réparer les préjudices
allégués dans le cadre de son système judiciaire interne et affirme, par
conséquent, qu’il a épuisé les recours internes.
43. Dans ses conclusions, le deuxième Requérant n’a pas répondu à
l’exception.
44. La Cour rappelle que l'épuisement des recours internes est une exigence
préalable au dépôt de toute Requête, sous peine d’irrecevabilité. Toutefois,
cette condition peut, à titre exceptionnel, être écartée si les recours internes
ne sont pas disponibles, s'ils sont inefficaces ou insuffisants ou si les
procédures internes pour les exercer sont indûment prolongées. En outre,
seul l'épuisement des recours ordinaires est exigé.®
45. Dans les présentes instances jointes, la Cour observe que les arguments
de l’État défendeur s'appuient, en particulier, sur le fait que les deux
Requérants n’ont pas initié les procédures prévues par la loi sur
l'application des droits et devoirs fondamentaux. À cet égard, l’État
défendeur soutient que les deux Requérants avaient la possibilité de former
un recours en inconstitutionnalité fondé sur la violation alléguée de leurs
droits avant de saisir la Cour. Toutefois, la Cour rappelle sa jurisprudence
constante selon laquelle, dans le système judiciaire de l’État défendeur, le
recours en inconstitutionnalité est un recours extraordinaire que les
requérants ne sont pas tenus d’épuiser avant de la saisir.!°
46. Les deux Requérants ayant incontestablement interjeté appel de leur
condamnation jusque devant la Cour d’appel, qui est la plus haute instance
judiciaire de l’État défendeur, la Cour estime qu’ils ont épuisé les recours
internes. En conséquence, la Cour rejette l’exception.
ii. Sur l’exception tirée du dépôt des instances jointes dans un délai non
raisonnable
47. L’État défendeur soutient que le premier Requérant a attendu trois (3) ans
et dix (10) mois après la décision de rejet de la Cour d’appel pour introduire
sa Requête. Selon l’État défendeur, cette durée n’est pas raisonnable et
devrait, par conséquent, entraîner l’irrecevabilité de la Requête du premier
9 Xk c. Tanzanie (fond), supra, 8 64 et Bh Ar Ch et un autre (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 65, 8 56.
19 Xl Bo An c. République-Unie de Tanzanie (7 décembre 2018) 2 RICA 570, $ 46; Xk c. Tanzanie (fond), SS 60 à 62 ; Ay Bx c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 88 66 à 70.
Requérant. À l’appui de cette affirmation, l’État défendeur invoque la
décision de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples
dans la Communication Bw Bm c. Zimbabwe, faisant ainsi valoir
qu’un délai maximum de six (6) mois est jugé raisonnable pour saisir la
Cour d’une requête.
48. L’État défendeur affirme que « l’affaire du [deuxième] Requérant devant les
juridictions internes a été conclue le 27 octobre 2008. il a introduit sa
Requête le 8 mai 2018, soit dix (10) ans après la conclusion de son affaire
. » L’État défendeur soutient donc que même si l’article 401 ne prescrit
pas de délai dans lequel les requêtes doivent être déposées, la Requête
du deuxième Requérant devrait être déclarée irrecevable au motif qu’elle
n’a pas été déposée dans un délai raisonnable.
49. Dans sa réplique, le premier Requérant fait valoir qu’il n’a eu connaissance
de l'existence de la Cour qu’en 2016. En ce qui concerne la période de six
(6) mois invoquée par l’État défendeur, il soutient que la Cour doit faire
preuve de circonspection dans son appréciation du délai, en tenant dûment
compte du fait qu’il était incarcéré et ne bénéficiait pas de l’assistance d’un
avocat. En outre, il relève que la Cour devrait « statuer sur cette Requête
sans s'embarrasser de détails techniques … susceptibles d’entraver le bon
fonctionnement de la justice ».
50. Le deuxième Requérant n’a pas conclu sur ce point.
51. Conformément à l’article 56(6) de la Charte dont les dispositions sont
reprises à la règle 50(2)(f) du Règlement, une requête n’est recevable que
si elle est «introduite dans un délai raisonnable courant depuis
l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour
11 Règle 50(2) du Règlement intérieur de la Cour du 1°" septembre 2020.
comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ». La Cour relève
que ces dispositions ne fixent pas de délai pour sa saisine.
52. La Cour réitère que ni la Charte, ni le Règlement ne fixent un délai exact
dans lequel les Requêtes doivent être introduites après épuisement des
recours internes. L'article 56(6) de la Charte et la règle 50(2)(f) du
Règlement indiquent uniquement que les requêtes doivent être introduites
«…. dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours
internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer
à courir le délai de sa saisine ».
53. En ce qui concerne les instances jointes, la Cour considère que du fait du
rejet de son appel par la Cour d'appel, le 11 août 2014, les recours internes
ont été épuisés par le premier Requérant. La première Requête ayant été
introduite le 2 mai 2017, il s'est écoulé en tout deux (2) ans et (8) mois
après l’épuisement des recours internes. La Cour doit déterminer si cette
période est raisonnable en vertu de l’article 56(6) de la Charte.
54. Ence qui concerne le caractère raisonnable du délai de sa saisine, la Cour
rappelle sa jurisprudence selon laquelle « … le caractère raisonnable du
délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque
affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».!?
55. À cet égard, la Cour a considéré les facteurs suivants comme étant
pertinents : le fait qu’un requérant soit incarcéré,!* qu’il soit profane en droit
et n’ait pas bénéficié d’une assistance judiciaire,!* qu’il soit indigent, le
temps mis pour exercer les recours en révision devant la Cour d'appel, ou
pour accéder aux pièces du dossier,'® les intimidations et la crainte de
12 Bj Cw et autres c. Xj Bk (exceptions préliminaires) (25 juin 2013), 1 RICA 204,
13 Aq Cs c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018), 2 RICA 439, 8 52 et Xk c. Tanzanie (fond), supra, 8 74.
14 Xk c. Tanzanie (fond), supra, $ 73 ; Cc As c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RICA 105, 8 54 et Cn Ak c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018), 2 RICA 356, 8 83.
15 Cm Bp et un autre c. Tanzanie (fond), supra, 8 61.
représailles,!® la création récente de la Cour, le temps nécessaire pour
réfléchir à l’opportunité de saisir la Cour et pour déterminer les griefs à
56. Toutefois, la Cour a également souligné que le fait pour un requérant de
faire valoir, par exemple, qu’il était incarcéré, profane en droit et indigent
ne constitue pas une raison suffisante pour justifier le dépôt de sa requête
dans un délai non-raisonnable.!® La Cour souligne également que les
requérants doivent démontrer l’impact de leurs situations personnelles sur
le fait qu’ils n'aient pas déposé leurs requêtes dans un délai raisonnable.
57. La Cour observe, en ce qui concerne le premier Requérant, qu’il a assuré
lui-même sa défense lors des procédures nationales et devant la Cour. La
Cour estime que, dans la mesure où le Requérant n’a pas bénéficié de
l’assistance d’un conseil et qu’il est incarcéré, le délai de deux (2) ans et
huit (8) mois observé par celui-ci pour introduire sa Requête est
raisonnable, au regard des circonstances de l'espèce.
58. En ce qui concerne le deuxième Requérant, la Cour note qu’il a été
condamné le 22 octobre 2004 par le Tribunal de district siégeant à
Ca et que son appel devant la Haute Cour siégeant à Bg a été
rejeté le 27 octobre 2008. Son deuxième appel introduit devant la Cour
d’appel a également été rejeté le 1° novembre 2012. La Cour note que,
toutefois, le deuxième Requérant a introduit un recours en révision de la
décision de la Cour d’appel, recours qui a été rejeté le 3 août 2017. Il a
déposé sa requête devant la Cour le 8 mai 2018. Il s’est donc écoulé neuf
(9) mois et cinq (5) jours entre la dernière décision interne et la saisine de
la Cour.
16 Association pour le Progrès et la Défense des droits des Femmes maliennes et Institute for Xi Cr and Development in Ct c. République du Mali (fond) (11 mai 2018), 2 RICA 393, 8 54.
17 Cw et autres c. Xj Bk (exceptions préliminaires), supra, 8 122.
18 Xd Xg c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°028/2017, Arrêt du 2 décembre 2021 (recevabilité), 8 48.
59. La Cour rappelle que, pour déterminer si les recours internes ont été
épuisés dans le système judiciaire de l’État défendeur, un requérant n’est
pas tenu de former un recours en révision de la décision de la Cour d'appel.
Toutefois, la Cour souligne lorsqu'’il choisit d'exercer ce recours, elle en
tient compte pour déterminer si la requête a été introduite dans un délai
raisonnable. En l’espèce, compte tenu du temps qui s’est écoulé entre la
décision de la Cour d’appel sur le recours en révision formé par le deuxième
Requérant et le dépôt de la Requête, la Cour estime que la période de neuf
(9) mois et cinq (5) jours est raisonnable, au sens de l’article 56(6) de la
Charte et de la règle 40(f) du Règlement.
60. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que les deux Requérants ont
déposé leurs requêtes dans un délai raisonnable, au sens de l’article 56(6)
de la Charte et rejette donc l’exception soulevée par l’État défendeur.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
61. La Cour relève que bien qu'aucune exception d’irrecevabilité n’ait été
soulevée concernant les conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c),
(d) et (g) du Règlement, elle est tenue de s'assurer que toutes ces
conditions sont remplies, dans les présentes instances jointes.
62. La Cour note qu’il ressort du dossier que la condition prévue par la rège
50(2)(a) du Règlement est remplie, les deux Requérants ayant clairement
indiqué leurs identités.
63. La Cour relève également que les demandes formulées par les deux
Requérants visent à protéger leurs droits garantis par la Charte. En outre,
l’un des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en
son article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et
des peuples. Par ailleurs, les instances jointes ne contiennent aucun grief
ou aucune demande qui soit incompatible avec une disposition dudit Acte.
En conséquence, la Cour considère que les instances jointes sont compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte, et
conclut qu’elles satisfont aux exigences de la règle 50(2)(b) du Règlement.
64. La Cour relève, en outre, que les instances jointes ne contiennent aucun
terme outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur ou de ses
institutions, ce qui les rend conformes à l’exigence de la règle 50(2)(c) du
Règlement.
65. Les instances jointes ne sont pas fondées exclusivement sur des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse, mais sur des pièces
émanant des juridictions internes de l’État défendeur. Elles sont donc
conformes à la règle 50(2)(d) du Règlement.
66. La Cour constate également que instances jointes ne concernent pas une
affaire qui a déjà été réglée par les Parties conformément aux principes de
la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l'Union africaine, des
dispositions de la Charte ou de tout instrument juridique de l’Union
africaine, et en déduit qu’elles satisfont à l’exigence de la règle 50(2)(g) du
Règlement.
67. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut que les instances jointes
remplissent toutes les conditions énoncées à l’article 56 de la Charte, tel
que repris à l’article 50(2) du Règlement, et les déclare recevables.
VIIL SUR LE FOND
68. Les deux Requérants allèguent la violation de leurs droits protégés par les
articles 2, 3 et 7 de la Charte en raison de la manière dont les procédures
internes ont été exercées.
A. Violation alléguée du droit à la non-discrimination et à l’égalité devant la
loi
69. Le premier Requérant allègue la violation du droit à la non-discrimination et
à l’égalité devant la loi en se fondant sur deux arguments. Il affirme, en
premier lieu, que les preuves retenues contre lui ont été « fabriquées » et
ont fondé, à tort, sa condamnation ce qui, selon lui, a, non seulement,
donné lieu à un jugement injuste de son affaire, mais a également porté
atteinte à son droit à l’égalité devant la loi. Il fait valoir, deuxièmement, que
le viol, tel qu’il est prévu par le Code pénal de l’État défendeur, est une
violation des articles 2 et 3 de la Charte en raison de son caractère
« sexiste ».
70. Le deuxième Requérant, bien qu’ayant allégué dans sa requête la violation
des articles 2 et 3 de la Charte, n’a pas formulé d’observations spécifiques
démontrant en quoi ses droits protégés par les dispositions
susmentionnées ont été violés.
71. Dans son mémoire en réponse, l’État défendeur conteste toutes les
allégations du premier Requérant comme non fondées. L'État défendeur
soutient, à cet effet, que celui-ci n’a pas fait l’objet de discrimination dans
les procédures internes et qu’il a été autorisé à exercer tous les recours
judiciaires possibles pour obtenir réparation. S'agissant de la
« fabrication » de preuve, l’État défendeur affiime que les questions
relatives à l’incohérence ou à la crédibilité des témoins de l’accusation ont
toutes été examinées par la Cour d’appel, ainsi que cela ressort des pages
5 à 7 de son arrêt. Il soutient donc que les éléments de preuve ayant fondé
la confirmation de la condamnation du premier Requérant étaient fiables et
suffisants.
72. S’agissant des éléments du viol, tels que prévus dans son Code pénal,
l'État défendeur fait valoir que le premier Requérant n’a pas démontré en quoi les dispositions du Code pénal sont contraires aux articles 2 et 3 de la
Charte. L'État défendeur affirme que le chapitre sur les atteintes à la
moralité dans son ensemble réprime les infractions commises tant par les
hommes que par les femmes, dans le souci de préserver les droits et les
bonnes mœurs de la société. Il en déduit que la Charte n’a pas été violée.
73. En ce qui concerne le deuxième Requérant, l’État défendeur affirme, dans
des termes généraux et sans fournir de justifications, qu’il n’a pas violé ses
droits inscrits aux articles 2 et 3 de la Charte.
74. La Cour note que l’article 2 de la Charte dispose :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune,
notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation.
75. La Cour rappelle également qu’aux termes de l’article 3 de la Charte :
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la
loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
76. Sur la portée des articles 2 et 3 de la Charte, la Cour rappelle sa
jurisprudence dans l’affaire Commission africaine des droits de l'homme et
des peuples c. Kenya :!°
L’article 2 de la Charte est péremptoire en ce qui concerne la
jouissance de tous les autres droits et libertés protégés par la Charte.
19 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 88 137 et 138.
Cette disposition interdit strictement toute distinction, toute exclusion
ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion,
l’opinion politique, l’origine nationale ou sociale, qui a pour effet
d'annuler ou de compromettre l’égalité de chances ou de traitement.
Le droit à la non-discrimination est lié au droit à l’égalité devant la loi
et à l’égale protection de la loi, garanti par l’article 3 de la Charte. La
notion de droit à la non-discrimination va au-delà du droit à l’égalité de
traitement devant la loi et revêt également des dimensions pratiques
en ce sens que les individus doivent, concrètement, pouvoir jouir des
droits consacrés par la Charte sans distinction d’aucune sorte liée à la
race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’origine
nationale ou sociale, ou toute autre situation. L'expression « toute
autre situation » de l’article 2 englobe les cas de discrimination qui ne
pouvaient être prévus lors de l’adoption de la Charte. Pour déterminer
si un motif relève de cette catégorie, la Cour tient compte de l'esprit
général de la Charte.
77. Ence qui concerne la preuve de la violation des articles 2 et 3 de la Charte,
la Cour rappelle sa jurisprudence dans l'affaire Br At Bz c.
République Unie de Tanzanie, à savoir que « des affirmations d’ordre
général selon lesquelles son droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des
preuves plus concrètes sont requises ».?°’ Toute allégation de violation des
articles 2 et 3 de la Charte doit donc être étayée à suffisance.?!
78. En l'espèce, bien que le premier Requérant ait affirmé que ses droits au
titre des articles 2 et 3 de la Charte ont été violés en raison de la
« fabrication » de preuves, ce qui a conduit à un traitement inéquitable, il
n’a produit aucun élément de preuve à l'appui de cette allégation. Il ne
résulte pas, non plus, du dossier la preuve qu’un traitement différent ait été
réservé au Requérant en comparaison d’autres personnes sur qui pesaient
des charges similaires à la sienne, devant les juridictions de l’État
défendeur.
2 (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 381, 8 51.
2! Al Cd c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 415, 8 75.
79. Dans la mesure où l’argument du premier Requérant est tiré de la
« fabrication » de preuves devant les juridictions internes, la Cour rappelle
sa jurisprudence constante selon laquelle, en règle générale, elle
n'intervient pas dans l'appréciation des éléments de preuve faite par les
juridictions de première instance, sauf en cas d’erreur manifeste.?? En
l’espèce, la Cour estime que le premier Requérant n’a fait valoir aucun
argument qui pourrait justifier la remise en cause de l'appréciation des
juridictions internes quant aux éléments de preuve.
80. La Cour constate également que le deuxième Requérant, n’a apporté
aucun élément à l’appui de son allégation de violation des articles 2 et 3 de
la Charte.
81. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il convient de rejeter l’allégation
de violation des articles 2 et 3 de la Charte.
82. Quant à l’allégation du premier Requérant selon laquelle le viol tel que
prévu par le Code pénal de l’État défendeur est, de par son caractère
« sexiste », contraire à la Charte, la Cour estime que le premier Requérant
s’est limité à formuler cette allégation sans toutefois l’étayer. La Cour ne
saurait donc accueillir cet argument.
83. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette les allégations de violations
des articles 2 et 3 de la Charte formulées par les deux Requérants.
B. Violation alléguée du droit à un procès équitable
84. Les deux Requérants allèguent la violation de leur droit à un procès
équitable du fait du rejet de leur demande d’assistance judiciaire gratuite
lors des procédures internes. De plus, le deuxième Requérant allègue la
22 Ai Ce c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 mars 2019) 3 RICA 87, 88 52 et 53.
violation de son droit à un procès équitable au regard de la manière dont
les juridictions internes ont apprécié les éléments de preuve à charge.
ii Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire gratuite
85. Les deux Requérants font valoir qu’au cours des procédures internes, ils
n’ont pas bénéficié des services d’un avocat, l’État défendeur ne leur ayant
pas accordé d'assistance judiciaire gratuite. Ils en déduisent que l’État
défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte ainsi que sa Constitution .
86. L'État défendeur conclut au rejet de cette allégation. Il fait valoir, à cet effet,
qu’en vertu de l’article 310 de sa loi sur la procédure pénale, le droit d’être
représenté ou défendu n’est pas obligatoire. Il affirme, en outre, que, dans
son système judiciaire, « … l'assistance judiciaire devant le tribunal de
district, le tribunal du magistrate résident, de la Haute Cour et de la Cour
d’appel, n’est pas obligatoire. L'État défendeur souligne que le fait pour le
Requérant de n’avoir pas été représenté par un avocat ne signifie pas qu'il
a été désavantagé de quelque manière que ce soit ».
87. En ce qui concerne particulièrement le deuxième Requérant, l’État
défendeur fait valoir que celui-ci a exercé son droit à ce que sa cause soit
entendue au cours de son procès et qu’il a même pu, pour sa défense,
appeler un témoin à la barre. Selon l’État défendeur, le deuxième
Requérant n’a donc pas été privé de son droit à ce que sa cause soit
entendue.
88. L'État défendeur soutient, en outre, qu’à l'époque du déroulement du
procès du deuxième Requérant, la représentation légale n’était pas un droit
absolu devant ses juridictions, mais qu’il fallait en faire la demande. Il
précise qu’elle ne pouvait être accordée qu’en fonction de la disponibilité
des ressources. L'État défendeur considère donc que le fait que le
deuxième Requérant n'ait pas bénéficié de l’assistance d’un avocat ne peut pas, en soi, être considéré comme ayant vicié la procédure devant les
juridictions nationales.
89. L'État défendeur demande donc à la Cour de rejeter les allégations des
deux Requérants au motif qu’elles sont dénuées de tout fondement et vides
de sens.
90. La Cour observe qu’aux termes de l’article 7(1)(c) de la Charte, « [t]oute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend : (.…)
c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur
de son choix ».
91. La Cour relève que l’article 7(1)(c) de la Charte ne prévoit pas explicitement
le droit à une assistance judiciaire gratuite. Néanmoins, la Cour a jugé que
l’article 7(1)(c) de la Charte peut être lu conjointement avec l’article 14(3)(d)
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après désigné
« PIDCP »),* pour reconnaître le droit à l’assistance judiciaire gratuite
comme étant partie intégrante du droit à un procès équitable. La question
du droit à l’assistance juridique gratuite se pose lorsqu'une personne ne
dispose pas des moyens nécessaires pour se payer les services d’un
avocat et lorsque l'intérêt de la justice l’exige.?“ L'intérêt de la justice exige
d’accorder une assistance judiciaire gratuite lorsque, entre autres, la
personne qui en fait la demande est indigente, que l'infraction est grave et
que la peine encourue est lourde.?*
92. La Cour constate, qu’en l’espèce, les deux Requérants n’ont pas bénéficié
d’une assistance judiciaire gratuite durant les procédures devant les
juridictions internes. La Cour note, à cet égard, l’argument de l’État
23 L'État défendeur est devenu partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques le 11 juin 1976.
24 Xk c. Tanzanie (fond), supra, 8 114.
25 Ibid., 8 123. Voir également Bx c. Tanzanie (fond), supra, $$ 138 à 139 ; Evarist c. Tanzanie (fond), supra, $ 68; Cs c. Tanzanie (fond), supra, $ 85; Ae Cj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 461, 8 92.
défendeur selon lequel l’assistance judiciaire n’est pas obligatoire et que
les Requérants n’ont subi aucun préjudice du simple fait de n'avoir pas été
représentés.
93. La Cour estime toutefois qu’étant donné que les deux Requérants étaient
accusés d’une infraction grave, à savoir le viol, passible d’une peine
minimale de trente (30) ans de réclusion, et que leur indigence n’a jamais
été contestée par l’État défendeur, l'intérêt de la justice exigeait qu’ils
bénéficient d’une assistance judiciaire gratuite, qu’ils en aient fait la
demande ou non.
94. La Cour conclut que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP en n’ayant pas accordé aux
Requérants le bénéfice d’une assistance judiciaire gratuite dans le cadre
des procédures devant les juridictions nationales.
ii. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
95. Le deuxième Requérant fait valoir qu’à l’appui de son recours devant la
Cour d'appel, il a produit un mémoire fondé sur plusieurs moyens dont
certains n’ont pas été pris en compte. || affirme qu’une telle situation
équivaut à une violation de ses droits garantis par la Charte.
96. L'État défendeur considère que l’allégation du deuxième Requérant sur ce
point n’est pas fondée dès lors qu’il n’a pas indiqué quels sont les moyens
d’appel que la Cour d’appel n’a pas pris en compte. Il ajoute que le
deuxième Requérant a soulevé six (6) moyens d’appel devant la Cour
d'appel qui, lors de leur examen, a décidé de les regrouper en quatre (4)
moyens d’appel. Selon l’État défendeur, une telle pratique normale prévaut
lorsqu’un requérant soulève de nombreuses questions qui sont liées entre
elles. L’État défendeur estime, par conséquent, que le deuxième Requérant
n’a subi aucun préjudice de ce fait, étant donné qu’il a toujours eu l’opportunité d’exposer lui-même ses moyens et que la Cour d’appel a tenu
compte de tous ses arguments.
97. L'État défendeur fait également valoir que le deuxième Requérant a
soulevé le même grief lors de son recours en révision de la décision de la
Cour d’appel et que ce recours a été examiné et rejeté par la Cour d'appel.
98. La Cour rappelle que l’article 7(1)(a) de la Charte dispose :
1. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
a. le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de
tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont
reconnus et garantis par les conventions, les lois,
règlements et coutumes en vigueur ;
99. S'agissant du droit prévu à l’article 7(1)(a) de la Charte, la Cour a statué
que ce droit :26
. requiert que les justiciables aient la possibilité de saisir les
juridictions compétentes et de faire appel des décisions ou d’actes qui
portent atteinte à leurs droits. Cela exige donc que les États mettent
en place des mécanismes appropriés en vue de tels recours et
prennent les mesures nécessaires pour faciliter l'exercice de ce droit
par les justiciables, notamment en leur fournissant, dans un délai
raisonnable, les copies des jugements ou des décisions dont ils
souhaitent faire appel.
100. La Cour note qu’en l'espèce, le grief du deuxième Requérant porte
essentiellement sur le fait que certains de ses moyens d'appel n’ont, selon
lui, pas été pris en compte par la Cour d’appel. À cet égard, la Cour note
26 Xh Co c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 septembre 2019) 3 RICA 504, 8 43.
également que la Cour d’appel, à la page 4 de son arrêt, a noté que le
deuxième Requérant avait déposé un mémoire contenant six (6) moyens
d'appel. La Cour d’appel a, cependant, décidé de les regrouper en quatre
(4) qu’il a traités, séparément. Ce n’est qu'après l’examen de ces différents
moyens que la Cour d’appel a conclu, à la page 13 de son arrêt, que l’«
évaluation objective des preuves au dossier ne [.…] laisse aucun doute
raisonnable sur la culpabilité de l'appelant. C’est à juste titre qu’il a été
reconnu coupable des faits qui lui sont reprochés ».
101. La Cour note, également, qu’il résulte des pages 2 et 7 du dossier du
recours en révision, que le deuxième Requérant a invoqué quatre (4)
moyens. Selon le premier moyen, la décision de la Cour d’appel était
fondée sur une erreur manifeste, ce qui avait abouti à un déni de justice.
Le deuxième moyen était tiré de ce que les questions soulevées dans le
recours et dans l’affidavit qui l’'accompagnait n'avaient pas été examinées
par la Cour d’appel et que, si elle les avait examinées, celui-ci n’aurait pas
été rejeté.
102. En ce qui concerne les affirmations du deuxième Requérant, la Cour
d'appel a jugé mal fondée « l’allégation selon laquelle la décision de la Cour
d'appel reposait sur une erreur manifeste, ce qui a entraîné un déni de
justice ».
103. Il résulte de l'examen du dossier des procédures devant les juridictions
internes que le deuxième Requérant n’a pas fait valoir de motifs nécessitant
l'intervention de la Cour en ce qui concerne les décisions internes. Le
deuxième Requérant s'est borné à formuler une allégation générale sans
démontrer quels sont les moyens qui n’ont pas été examinés par les
juridictions internes. En pareille occurrence, la Cour rejette les allégations
du deuxième Requérant comme mal fondées.
104. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que l'État défendeur a violé
le droit des deux Requérants à un procès équitable du fait du refus
d'assistance juridique gratuite, mais qu'il n'a pas violé le droit des Requérants à un procès équitable en raison de la manière dont les
tribunaux ont traité les éléments de preuve contre le deuxième Requérant.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
105. Le premier Requérant demande à la Cour d’ordonner sa mise en liberté
ainsi que le paiement de la somme de cinq cent mille (500 000) dollars
américains en réparation du préjudice qu’il a subi du fait « d’une affaire
montée de toutes pièces et fondée sur des preuves factices produites par
l’État défendeur ». Il demande, en outre, à la Cour d’ordonner le paiement
d’une somme d'argent aux personnes à sa charge.
106. Pour sa part, le deuxième Requérant demande de :
ii Rétablir la justice là où elle a été foulée aux pieds en annulant la
déclaration de culpabilité ainsi la peine prononcées à son encontre et
en ordonnant sa remise en liberté:
ii. Lui accorder des réparations ;
ii. Mettre les dépens à la charge de l'État défendeur ;
iv. Mettre les frais de justice relatifs aux procédures internes à la charge
de l’État défendeur ;
v. Lui accorder des dommages-intérêts ;
vi. Ordonner toute autre mesure de réparation que l'honorable Cour jugera
appropriée.
107. En réponse aux demandes du premier Requérant sur les réparations, l’État
défendeur demande à la Cour de se prononcer comme suit :
ii Dire que les procédures internes étaient régulières et conformes aux
lois nationales, à la Charte africaine et à d’autres instruments
internationaux pertinents relatifs aux droits de l'homme.
ii. Dire que la demande de réparations du Requérant est mal fondée
puisqu'elle ne remplit pas les critères énoncés dans les principes et les
conditions préalables aux réparations.
iii. Rejeter la demande de réparations en mettant les dépens à la charge
du Requérant.
iv. Ordonner toutes autres mesures que l’honorable Cour estime justes et
appropriées compte tenu des circonstances de l’espèce.
108. En ce qui concerne les demandes du deuxième Requérant sur les
réparations, l’État défendeur demande à la Cour de se prononcer comme
suit :
i. Dire que l’État défendeur n’a pas violé la Charte africaine ou le
Protocole.
ii. Rejeter la demande du Requérant tendant au paiement de la somme
de cent cinquante et un million deux cent mille (151 200 000) shillings
tanzaniens, à titre de compensation.
iii. Rejeter la demande du Requérant sur les réparations.
iv. Ordonner toutes autres mesures que la Cour estime justes et
appropriées, compte tenu des circonstances de l’espèce.
109. La Cour note que l’article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
110. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « pour que des
réparations soient accordées, la responsabilité internationale de l’État
défendeur doit être établie au regard du fait illicite. En outre, le lien de
causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. Par
ailleurs, lorsqu’elle est accordée, la réparation doit couvrir l'intégralité du
préjudice subi. Enfin, il incombe au Requérant de justifier les demandes de réparation formulées.?” La Cour a également souligné dans ses arrêts
antérieurs que le but des réparations est de rétablir la victime, autant que
possible, dans la situation antérieure à la violation?
111. En ce qui concerne le préjudice matériel, la Cour rappelle qu’il appartient
au requérant d'apporter la preuve de toute perte matérielle alléguée. En ce
qui concerne le préjudice moral, la Cour rappelle qu’il est présumé en cas
de violation des droits de l'homme et l’évaluation du quantum doit être faite
en toute équité, compte tenu des circonstances de l’affaire.?° Ainsi, le lien
de causalité entre le fait illicite et le préjudice moral « peut résulter de la
violation d’un droit de l'homme, comme une conséquence de celle-ci, sans
qu'il soit besoin de l’établir autrement ».° En pareille occurrence, la Cour
accorde des sommes forfaitaires pour le préjudice moral.*!
112. Bien qu’en vertu de l’article 27 du Protocole la Cour puisse « ordonner
toutes les mesures appropriées » pour remédier aux violations des droits
de l’homme, elle souligne, conformément à sa jurisprudence constante,
qu’elle ne peut ordonner la mise en liberté d’une personne condamnée que
dans des circonstances exceptionnelles et impérieuses. C’est le cas,
lorsque la condamnation du Requérant est arbitraire à telle enseigne que
son maintien en prison résulterait en un déni de justice.?
113. En l’espèce, la Cour note qu'aucun des Requérants n’a démontré
l’existence de circonstances exceptionnelles qui auraient justifié leur mise
en liberté. La Cour rejette donc la demande de mise en liberté des
Requérants.
27 Voir Cu c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 157. Voir également Bj Cw et Autres c. Xj Bk (réparations) (5 juin 2015) 1 RICA 265, $$ 20 à 31 ; Ab Cv Ah AK Xj Bk (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 88 52 à 59 et Xa Cc Ax Xe c. République- Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 88 27 à 29.
2 Aj Aa Cq c. République-Unie de Tanzanie (28 mars 2019) 3 RICA 13, 8 118 et Cw et autres c. Xj Bk (réparations), supra, 8 60.
2° Cu c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 55 et Cq c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 58.
3 Cw et autres c. Xj Bk (réparations), supra, 8 55 et Ah AK Xj Bk (réparations), supra, 8 58.
31 Cw et autres c. Xj Bk (réparations), supra, 88 61 à 62.
32 Cs c. Tanzanie, supra, 8 101 et An AK Xf, supra, 8 84.
114. Toutefois, il existe une présomption de préjudice moral en faveur des deux
Requérants dans la mesure où la Cour a établi la violation par l’État
défendeur de leur droit à une assistance judiciaire gratuite.
115. Pour déterminer le quantum des réparations à accorder pour la violation du
droit des Requérants à une assistance judiciaire gratuite, la Cour rappelle
qu’elle alloue aux requérants la somme forfaitaire de trois cent mille
(300000) shillings tanzaniens, sauf s’il existe des circonstances
exceptionnelles.° En l'espèce, en l'absence de telles circonstances, la
Cour alloue à chacun des Requérants la somme de trois cent mille
(300 000) shillings tanzaniens, à titre de réparation.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
116. La Cour note que l’État défendeur sollicite que les dépens soient mis à la
charge des deux Requérants. La Cour observe, en outre, que le deuxième
Requérant demande de condamner l’État défendeur aux dépens.
117. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais
de procédure ».3*
118. La Cour estime, dans ces circonstances, qu’il n’y a aucune raison de
s’écarter du principe posé par la règle 32(2) et ordonne, en conséquence,
que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
38 Evarist c. Tanzanie (fond), supra, 8 90 et Cj c. Tanzanie (fond), supra, 8 111.
34 Article 30(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
119. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
i. Rejette l’exception d’incompétence matérielle ;
i. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité des Requêtes ;
iv. Déclare les Requêtes recevables.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé les droits des Requérants à
la non-discrimination et à une égale protection de la loi, protégés
par les articles 2 et 3 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à un
procès équitable, protégé par l’article 7(1)(a) de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants à un procès
équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement
avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, en ne leur accordant pas le
bénéfice d’une assistance judiciaire gratuite.
Sur les réparations Réparations pécuniaires
viii. Ordonne à l’État défendeur de payer à chacun des Requérants la
somme de trois cent mille (300 000) shillings tanzaniens, à titre de
réparation du fait de la violation de leur droit à une assistance
judiciaire gratuite ;
ix. Ordonne à l’État défendeur de verser le montant indiqué au point
(viii) ci-dessus exempté d’impôts, dans un délai de six (6) mois, à
partir de la date de signification du présent Arrêt. À défaut, il sera
tenu au paiement d’intérêts moratoires calculés sur la base du taux
fixé par la Banque centrale de la République-Unie de Tanzanie,
pendant toute la période de retard de paiement et jusqu’au
paiement intégral des sommes dues.
Réparations non pécuniaires
x. Rejette la demande de mise en liberté formulée par les deux
Requérants.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xi. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de signification du présent Arrêt, un
rapport sur les mesures prises aux fins de la mise en œuvre des
décisions qui y sont contenues et, par la suite, tous les six (6) mois,
jusqu’à ce qu’elle considère qu’il a pleinement été exécuté.
Sur les frais de procédure
xii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président fade fause
Ben KIOKO, Juge ; VS SS
Suzanne MENGUE, Juge; Ag 5
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge Legs Aron la
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge gs
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge Sp Z@ œ.
Dennis D. ADJEI, Juge te ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce cinquième jour du mois de septembre de l’année deux mille vingt- trois, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.