AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
JONCTION DES INSTANCES
REQUÊTES N°5 011/2016 et 012/2016
AFFAIRES
C Z
ET
MANG’AZI MKAMA
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l'exception d’incompétence matérielle
B. Sur les autres aspects de la compétence 10
VI SUR LA RECEVABILITÉ 11
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 12
B. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable.
15
C. Sur les autres conditions de recevabilité 18
VII. SUR LE FOND 19
A. Violation alléguée du droit à un procès équitable 20
! Allégation relative à la condamnation sur le fondement de preuves
douteuses 20
Il Allégation fondée sur la non prise en compte des alibis 24
iii. Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire gratuite 26
IV Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable 29
v Allégation relative à la condamnation sur la base d’une loi imprécise 30
B. Violation alléguée du droit à la non-discrimination 33
VIH. SUR LES RÉPARATIONS 34
A. Réparations pécuniaires 35
! Préjudice matériel. 36
ii. Préjudice moral 36
B. Réparations non pécuniaires 37
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 39
DISPOSITIF 39 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et
des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour“ (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s'est récusée.
En les affaires :
C Z
assurant lui-même sa défense
et
assurant lui-même sa défense
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii M. Bv Xh AH, Br Xf, Bureau du Solicitor General ;
et
ii. Mme Bi Bl A, Br Xf adjointe, Bureau du
Solicitor General.
1 Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Les sieurs C Z et Mang’azi Mkama (ci-après dénommés
conjointement «les Requérants» ou individuellement «le premier
Requérant» et «le deuxième Requérant ») sont des ressortissants
tanzaniens qui ont été condamnés à trente (30) ans de réclusion pour vol à
main armée et dommages graves causés à autrui. Les Requérants
allèguent que leurs droits à un procès équitable ont été violés lors des
procédures judiciaires internes.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la «
Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. L'État
défendeur a également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à
l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il accepte la compétence de la Cour
pour recevoir des requêtes émanant d'individus et d’organisations non
gouvernementales. Le 21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé
auprès du Président de la Commission de l’Union africaine un instrument
de retrait de sa déclaration. La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration
n’avait aucune incidence, ni sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles
affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un (1) an après le dépôt
de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
2 Cb Ad Bx c. République Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 38.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que les Requérants ont été accusés de s'être introduits
de force, le 29 mars 2005, au domicile de dame Aw Bo. Ils auraient
alors infligé des blessures corporelles à la dame Mwita ainsi qu’à son petit-
fils et se seraient emparés de son argent. Par la suite, les Requérants ont
été inculpés conjointement de vol à main armée et de dommages graves
causés à autrui, deux infractions punies par les articles 285 et 286 et par
l’article 225 du Code pénal (ci-après désigné « CP ») de l’État défendeur,
devant le tribunal de district de Musoma, siégeant à Musoma.
4. Le 21 février 2006, ils ont été condamnés, chacun, pour le premier chef à
une peine de trente (30) ans d’emprisonnement, à douze (12) coups de
bâton, et, solidairement, au remboursement de la somme de six cent mille
(600 000) shillings tanzaniens et au paiement de la somme de cent mille
(100 000) shillings tanzaniens à titre de dommages-intérêts. Pour le second
chef d'accusation, ils ont, chacun été condamnés, à une peine
d'emprisonnement de cinq (5) ans, à douze (12) coups de bâton, et au
paiement de la somme de deux-cent mille (200 000) shillings tanzaniens,
chaque Requérant devant payer cent mille (100 000) shillings tanzaniens.
Les peines imposées pour les deux chefs d’accusation devaient être
exécutées simultanément.
5. Se sentant lésés par cette décision, les Requérants ont interjeté appel
devant la Haute Cour de Tanzanie siégeant à Af et ont, par la suite,
saisi la Cour d'appel de Tanzanie. Les deux cours ont confirmé la
condamnation et les peines des Requérants et rejeté leurs recours
respectivement le 10 novembre 2010 et le 29 juillet 2013.
6. Le deuxième Requérant soutient avoir introduit un recours en révision
devant la Cour d’appel le 19 avril 2013, qui n’a toutefois pas été examiné
alors que des recours postérieurs l’ont été.
B. Violations alléguées
7. Le premier Requérant, C Z, allègue que l’État défendeur a
violé son droit à un procès équitable garanti à l’article 7(1)(2) de la Charte
et à l’article 13(6)(c) de la Constitution tanzanienne de 1977.
8. Le deuxième Requérant, Man’gazi Mkama, fait valoir que l’État défendeur a
violé ses droits à la non-discrimination garantis à l’article 2 de la Charte, son
droit à une assistance judiciaire et son droit d’être jugé dans un délai
raisonnable protégés par l’article 7(1)(c) et (d) de la Charte et l’article
13(6)(c) de la Constitution tanzanienne.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
9. Les Requêtes introductives d'instance ont été déposées au Greffe le 26
février 2016. Elles ont été communiquées à l’État défendeur le 21 mars
2016.
10. Le 31 janvier 2017 et le 12 avril 2017 respectivement, après plusieurs
prorogations de délai, l’État défendeur a déposé ses mémoires en réponse
à la première Requête et à la deuxième Requête.
11. Le premier et le deuxième Requérants ont déposé leurs mémoires en
réplique aux mémoires en réponse de l’État défendeur respectivement le
28 mars 2017 et le 31 mai 2017.
12. Les débats ont été clôturés dans les deux Requêtes, les 12 et 13 juin 2019
et les Parties en ont dûment reçu notification.
13. Le 21 juin 2023, la Cour a décidé de joindre les deux affaires et a rendu,
d'office, une ordonnance de jonction qui a été signifiée aux Parties le 26 juin
2023.
IV. DEMANDES DES PARTIES
14. Le premier Requérant demande à la Cour de :
i. Dire et juger qu’elle est compétente, en l'espèce ;
i. Dire et juger que la Requête satisfait aux exigences de recevabilité
énoncées à l’article 40(5) du Règlement et, en conséquence, la déclarer
recevable ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur a violé son droit à ce que sa cause
soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte ;
iv. Dire et juger que l’État défendeur a violé son droit à la défense, protégé
par l’article 7(2) de la Charte ;
v. Dire et juger que l’État défendeur a violé son droit protégé par l’article
13(6)(c) de la Constitution tanzanienne de 1977 ;
vi. Dire et juger qu’il a été condamné sur la base de la preuve la moins
crédible qui soit, celle-ci n’étant pas recevable, probable, plausible et
convaincante au point de ne soulever aucun doute raisonnable.
15. Le premier Requérant demande également à la Cour de mettre les frais de
procédure à la charge de l’État défendeur.
16. Le deuxième Requérant demande, quant à lui, à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur a violé ses droits inscrits à l’article 7(1)
de la Charte en ne tranchant pas son recours en révision introduit devant
la Cour d’appel ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur a violé les articles 2 et 7(1)(d) de la
Charte protégeant son droit à une assistance judiciaire gratuite dans le
cadre des procédures internes qui ont conduit à sa condamnation ;
iii. Lui accorder des réparations conformément à l’article 27 du Protocole.
17. Les premier et deuxième Requérants demandent, en outre, à la Cour de
« rétablir la justice en annulant la condamnation prononcée à leur encontre,
et d’ordonner leur mise en liberté ».
18. Pour sa part, l’État défendeur demande à la Cour, s'agissant du premier
Requérant de :
i. Dire et juger qu’elle n’est pas compétente pour connaître de la Requête ;
i. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour,
de la déclarer irrecevable et de la rejeter en conséquence ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
inscrits à l’article 13(6)(c) de la Constitution de la République-Unie de
Tanzanie de 1977 ;
iv. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à
ce que sa cause soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte ;
v. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant,
protégé par l’article 7(2)(c) de la Charte ;
vi. Dire et juger que le Requérant a été condamné sur la base de preuves
crédibles et irréfutables ;
vii. Rejeter la Requête pour défaut de fondement ;
vi. Mettre les frais de procédure relatives à la présente Requête à la charge
du Requérant.
19. En ce qui concerne le deuxième Requérant, l’État défendeur demande à la
Cour de :
i. Dire et juger qu’elle n'est pas compétente pour connaître de la Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne remplit pas les conditions de recevabilité
prévues à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ;
iii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à l’article 40(6) du Règlement intérieur de la
Cour ;
iv. Déclarer la Requête irrecevable et la rejeter en conséquence.
20. L'État défendeur demande, en outre, à la Cour de :
i. Dire et juger qu’il n’a pas violé les droits du Requérant inscrits à l’article
7(1)(c) de la Charte ;
i. Dire et juger qu’il n’a pas violé le droit du Requérant de se faire
représenter ;
iii. Dire et juger qu’il n’a pas tardé à trancher le recours en révision introduit
par le Requérant ;
iv. Dire et juger qu’il n’a pas violé le droit du Requérant à la défense ;
v. Dire et juger que le Requérant a été condamné sur la base de preuves
crédibles et irréfutables ;
vi. Dire et juger que les procédures dans la Requête initiale, affaire en
matière pénale n° 155 de 2005 et les appels en matière pénale n° 138
de 2008 et 125 de 2011 étaient conformes aux lois en vigueur ;
vii. Rejeter la Requête dans son intégralité pour défaut de fondement ;
vi. Ne pas faire droit à la demande de réparations formulée par le
Requérant ;
ix. Rejeter les demandes du Requérant ;
x. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge
du Requérant.
V. SUR LA COMPÉTENCE
21.La Cour note que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
22. Par ailleurs, aux termes de la règle 49(1) du Règlement, elle « procède à
un examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte,
au Protocole et au [.…] Règlement ».
23. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit procéder à un
examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles exceptions
24. La Cour observe que l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle de la Cour pour connaître de chacune des deux
Requêtes. La Cour va examiner cette exception avant de se prononcer, si
nécessaire, sur les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
25. L'État défendeur affirme que la compétence de la Cour est prévue par les
articles 3(1) du Protocole et 26 du Règlement comme suit : « La Cour a
compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte,
du [...] Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de
l'homme ratifié par les États concernés ». II soutient que si le Protocole et
le Règlement lui confèrent une compétence, celle-ci n’est toutefois pas
illimitée. La Cour ne peut être saisie que pour des affaires qui ont déjà été
tranchées par les juridictions nationales et ne peut être saisie pour aucune
autre raison.
26. L'État défendeur affirme qu’en l’espèce, les Requérants demandent à la
Cour de siéger en tant que juridiction de première instance sur des
questions qui n’ont pas été soulevées au niveau national et en tant que
juridiction d’appel sur des questions qui ont été tranchées de manière
définitive par la plus haute juridiction de l’État défendeur. À cet égard, l’État
défendeur fait observer que les allégations du deuxième Requérant selon
lesquelles il n’a pas bénéficié d’une assistance judiciaire lors des
procédures internes et que son droit à la défense a été violé n’ont jamais
été soulevées par ce dernier devant les juridictions nationales. Il en déduit
que la Cour n’est pas compétente pour examiner les Requêtes.
27. Les Requérants concluent au rejet de l’exception de l’État défendeur en
soutenant que la Cour est compétente pour examiner et statuer sur leurs
Requêtes en vertu des articles 3 du Protocole et 26 du Règlement. Le
premier Requérant soutient spécifiquement que la Cour exerce sa
compétence sur une requête tant qu’elle est conforme aux principes des
libertés ainsi qu’aux droits de l'homme et des peuples contenus dans la
Charte.
28. La Cour note que sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation des droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État défendeur.3
29. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle «elle est
compétente pour examiner les procédures devant les juridictions nationales
afin de déterminer si elles sont en conformité avec les normes prescrites
dans la Charte ou dans tout autre instrument des droits de l’homme ratifié
par l’État concerné ».* La Cour rejette donc l’exception de l’État défendeur
relative au fait qu’elle siègerait comme juridiction de première instance.
30. La Cour rappelle, en outre, sa jurisprudence constante selon laquelle « elle
n’est pas une juridiction d’appel des décisions des juridictions nationales ».°
Toutefois, « cela ne l'empêche pas d'examiner les procédures devant les
juridictions nationales pour apprécier leur conformité aux normes
internationales prescrites par la Charte ou par les autres instruments de
protection des droits de l'homme auxquels l’État défendeur est partie ».S La
3 Cx Ag AG Xb (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18.
* Ernest Be Co c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14; Bh Xj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 26 ; Cg Bt c. Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33 ; Cn Bs XBb BcB et Cm Cn XCw BnB c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297,835.
5 Ernest Be Co c. Malawi (compétence), 8 14.
Ivan c. Tanzanie (fond), supra, 8 26 ; Bt c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 33 ; Bs XBb BcB et Cn XCw BnB c. Tanzanie (fond), supra, 8 35.
Cour ne siègerait donc pas en tant que juridiction d’appel si elle venait à
examiner les allégations formulées par le Requérant. La Cour rejette, en
conséquence, l’exception soulevée par l’État défendeur à cet égard.
31. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclu qu’elle a la compétence
matérielle pour connaître des présentes Requêtes.
B. Sur les autres aspects de la compétence
32. La Cour observe qu'aucune exception n’a été soulevée par l’État défendeur
quant à sa compétence personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins,
conformément à la règle 49(1) du Règlement,” la Cour doit s'assurer que
les exigences relatives à tous les aspects de sa compétence sont remplies
avant de poursuivre l’examen de la Requête.
33. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
elle l’a déjà indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt que, le 21 novembre
2020, l’État défendeur a déposé l'instrument de retrait de la Déclaration
prévue à l’article 34(6) du Protocole. La Cour a établi que le retrait de la
Déclaration n’a aucun effet rétroactif et n’a aucune incidence, ni sur les
affaires pendantes au moment du dépôt de son instrument de retrait de la
Déclaration, ni sur les nouvelles affaires introduites avant sa prise d’effet,
douze (12) mois après le dépôt de l’instrument y relatif, soit le 22 novembre
2020.8
34. Les présentes Requêtes introduites avant le dépôt, par l’État défendeur, de
l'instrument de retrait de la Déclaration, n’en sont donc pas affectées. La
Cour conclut donc qu’elle a la compétence personnelle, en l’espèce.
7 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
8 Bx c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 88 35 à 39. Voir également Cv Bq Cy c. République du Rwanda (compétence) (3 juin 2016) 1 RICA 575, 8 67.
35. La compétence temporelle de la Cour est également établie dans la mesure
où les violations alléguées dans les Requêtes ont été commises après que
l'État défendeur est devenu partie à la Charte et au Protocole. En outre, les
violations alléguées ont un caractère continu du moment que les
Requérants purgent actuellement une peine privative de liberté qui, de leur
point de vue, a été injustement imposée et constitue une violation de leur
droit à un procès équitable.®
36. Ence qui concerne sa compétence territoriale, la Cour considère qu’elle est
également établie dans la mesure où les violations alléguées se sont
produites sur le territoire de l’État défendeur.
37. Par voie de conséquence, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître des présentes Requêtes.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
38. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Ja Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
39. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au
[...] Règlement ».
40. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend, en substance, les dispositions
de l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
9 Ayants droit de Feus Bj Ct et autres c. Ch Bk (compétence) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 88 71 à 77.
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date où la
Commission a été saisie de l'affaire ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
41. L'État défendeur soulève des exceptions d'’irrecevabilité tirées, en ce qui
concerne les deux Requêtes, du non-épuisement des recours internes et,
en ce qui concerne la deuxième Requête, de son introduction dans un délai
non-raisonnable. La Cour va se prononcer sur lesdites exceptions avant
d’examiner, si nécessaire, les autres conditions de recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
42. L'État défendeur soutient que les Requérants disposaient de recours
internes qu’ils auraient dû exercer, préalablement. Plus spécifiquement, il
affirme que les Requérants auraient pu, durant la procédure devant le
tribunal de district ou après leurs condamnations, déposer un recours en
inconstitutionnalité auprès de la Haute Cour de Tanzanie aux fins de la
protection de leurs droits fondamentaux garantis par la loi sur les droits et devoirs fondamentaux s'ils se sentaient lésés par la décision de l’une de
ses juridictions nationales.
43. L'État défendeur soutient, en outre, que le deuxième Requérant n’a jamais
soulevé, devant les juridictions internes, la question relative à son droit à
une assistance judiciaire. Selon l’État défendeur, le Requérant pouvait le
faire conformément à l’article 310 de sa loi portant Code de procédure
pénale (ci-après désigné « CPP »). L'État défendeur soutient qu’en pareille
occurrence, la Cour doit déclarer sa Requête irrecevable.
44. Les Requérants soutiennent que leurs Requêtes remplissent toutes les
conditions de recevabilité prévues à la règle 50(2) du Règlement. S'agissant
de l’épuisement des recours internes, les Requérants estiment que leurs
Requêtes respectives remplissent cette condition dans la mesure où ils ont
saisi la Cour après le rejet de leur recours en matière pénale par la Cour
d’appel qui est la plus haute juridiction de l’État défendeur.
45. Dans sa réplique au mémoire en réponse de l’État défendeur, le deuxième
Requérant soutient que l’affimation de l’État défendeur selon laquelle il
aurait pu introduire un recours en inconstitutionnalité aux fins de la
protection de ses droits fondamentaux, tels que le droit à l'assistance
judiciaire, n’est pas fondée. Il fait valoir, à cet effet, qu’il appartient au juge
de l’informer de ses droits à chaque étape de la procédure, ce qui, n’a pas
été le cas, Par ailleurs, le deuxième Requérant fait remarquer que, bien que
l’État défendeur ait mis en place un système d'assistance judiciaire, son
fonctionnement relève du mandat exclusif et du pouvoir discrétionnaire de
l’Autorité de certification, qui accorde ou refuse l'assistance. Il n’a donc pas
voix au chapitre en la matière.
46. La Cour note que, conformément à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute
requête doit être postérieure à l’épuisement des recours internes, à moins
que ceux-ci ne soient indisponibles, inefficaces ou que la procédure interne ne se prolonge de façon anormale.!° Cette condition tend à ce que les États,
en tant que premiers acteurs, aient la possibilité de remédier aux violations
des droits de l'homme commises sur leur territoire avant qu’un organe
international n’en soit saisi. Elle renforce le rôle subsidiaire des organismes
internationaux de défense des droits de l'homme dans la protection des
droits de l'homme et des peuples. En outre, la Cour a constamment
considéré que les recours à épuiser doivent être des recours judiciaires
47. En l’espèce, la Cour observe que le 29 juillet 2013, la Cour d’appel, la plus
haute juridiction de l’État défendeur, a débouté les Requérants de leurs
appels. Bien que le deuxième Requérant ait affirmé avoir introduit un
recours en révision de cette décision, la procédure à l'issue de laquelle la
Cour d’appel a confirmé leur condamnation constitue le dernier recours
judiciaire ordinaire dont disposaient les Requérants dans l’État défendeur.
À cet égard, la Cour a déjà considéré que la procédure de révision devant
la Cour d'appel est un recours extraordinaire qu’un requérant n’est pas tenu
d’exercer avant de saisir la Cour.!?
48. De même, s'agissant du recours en inconstitutionnalité devant la Haute
Cour, la Cour a toujours considéré que, dans le système judiciaire de l’État
défendeur, cette procédure constitue également un recours extraordinaire
que les requérants ne sont pas tenus d’épuiser avant de la saisir.!S
49. Concernant l’affirmation de l’État défendeur selon laquelle le deuxième
Requérant n’a pas soulevé la question de l’assistance judiciaire lors des
procédures internes, la Cour estime que cette violation alléguée est
19 Xc AG Xb, supra, 8 64 ; Bh Av Cf et Xe Aj By Ap c. République Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 56 ; Bz Ay Bz et Bg Ay Bz c. République Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 40.
11 Ai Ar Ak et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 322, 8 95.
1? Xc AG Xb (fond), supra, 8 64 ; Cf et Ap AG Xb (fond), supra, 8 56; Cc Ax c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 44.
13 Ba Xd c. République Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624 8 72 ; Cf et Ap AG Xb (fond), supra, 8 56.
intervenue au cours de la procédure judiciaire interne, qui a abouti à la
condamnation du Requérant et à la peine de trente (30) ans
d'emprisonnement qui lui a été infligée. Cette allégation fait partie intégrante
du « faisceau de droits et de garanties » lié au droit à un procès équitable,
qui constituait le fondement des appels interjetés par les Requérants.!* Les
autorités judiciaires nationales ont donc amplement eu l’occasion
d'examiner cette question, et ce, sans même que le Requérant ne l’ait
explicitement soulevée. Il ne serait donc pas raisonnable d’exiger que les
Requérants introduisent une nouvelle requête devant les juridictions
internes pour demander réparation de ces griefs.*°
50. En conséquence, la Cour considère que les Requérants ont épuisé les
recours internes prévus à l’article 56(5) de la Charte et à la règle 40(5) du
Règlement.
B. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
51. L'État défendeur soutient que la deuxième Requête n’a pas été déposée
dans un délai raisonnable. Il précise que l’arrêt de la Cour d’appel a été
rendu le 29 juillet 2013, alors que la Requête a été déposée devant la Cour
de céans le 26 mai 2016, soit deux (2) ans et six (6) mois après la date de
l’arrêt de la Cour d’appel.
52. L'État défendeur souligne que bien que la Règle 50(2)(f) du Règlement n’ait
pas déterminé la durée du délai raisonnable de dépôt des requêtes après
épuisement des recours internes, celui-ci devrait être fixé à six (6) mois,
conformément à la jurisprudence internationale en matière de droits de
53. En l’espèce, l'État défendeur affirme que le Requérant n’a fait état d'aucun
obstacle qui l’aurait empêché de déposer la requête dans les six (6) mois et
se réfère, à cet effet, à la décision de la Commission africaine des droits de
14 Xc AG Xb (fond), supra, 8 60 ; Cf et Ap AG Xb (fond), supra, 8 68.
15 Xc AG Xb (fond), supra, 88 60 à 65.
l'homme et des peuples dans l'affaire Xa Bm c. Zimbabwe
(Communication n° 308/05) qui a établi le délai raisonnable à six (6) mois.
L’État défendeur en conclut que le délai de plus de deux (2) ans observé
après le prononcé de l'arrêt de la Cour d'appel avant d'introduire la Requête
ne peut être considéré comme étant raisonnable.
54. Pour leur part, les deux Requérants soutiennent que le délai écoulé entre
l’arrêt de la Cour d’appel et le dépôt des Requêtes est raisonnable.
55. Les Requérants font valoir que leurs Requêtes remplissent toutes les
conditions de recevabilité prévues à la règle 50(2)(f) du Règlement. Le
deuxième Requérant ajoute que l’introduction de sa Requête dans ce délai
est dû au fait qu’il attendait l'issue du recours en révision introduit devant la
Cour d’appel mais qu’il n’a été convoqué que lorsqu’il a décidé de déposer
sa Requête devant la Cour de céans.
56. La Cour note que, conformément à l’article 56(6) de la Charte et à l’article
50(2)(f) du Règlement, pour être recevables, toutes les requêtes doivent
être déposées dans un délai raisonnable.
57. La Cour observe que ni la Charte, ni le Règlement ne précise le délai exact
dans lequel les Requêtes doivent être introduites après épuisement des
recours internes. L'article 56(6) de la Charte et la règle 50(2)(f) du
Règlement indiquent uniquement que les requêtes doivent être introduites
« … dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours
internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer
à courir le délai de sa saisine ».
58. À cet égard, la Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence constante,
que : « …. le caractère raisonnable du délai de sa saisine dépend des
circonstances particulières de chaque affaire et doit être apprécié au cas par cas ».!$ Au nombre des circonstances dont la Cour a tenu compte
figurent le fait d’être incarcéré, d’être profane en matière de droit et de ne
pas bénéficier d’une assistance judiciaire," d’être indigent, analphabète, de
ne pas avoir connaissance de l’existence de la Cour,!® de subir des
intimidations et de craindre des représailles!® ainsi que l'exercice de recours
extraordinaires.?° Néanmoins, ces circonstances doivent être prouvées.
59. En l’espèce, les Requérants ont épuisé les recours internes le 29 juillet
2013, date à laquelle la Cour d’appel a rejeté l’appel interjeté contre la
décision de leur condamnation. Les Requérants ont, par la suite, saisi
individuellement la Cour le 26 février 2016, soit après un délai de deux (2)
ans, six (6) mois et vingt-huit (28) jours, à compter de la date d’épuisement
des recours internes. La question à trancher en l’espèce est celle de savoir
si ce délai peut être considéré comme étant raisonnable, au sens de l’article
56(6) de la Charte, lu conjointement avec la règle 50(2)(f) du Règlement.
60. Dans sa jurisprudence, la Cour a estimé qu’un délai de cinq (5) ans, un (1)
mois et douze (12) jours,?* de cinq (5) ans, un (1) mois et treize (13) jours?
de quatre (4) ans, neuf (9) mois et vingt-trois (23) jours,?* de quatre (4) ans,
huit (8) mois et trente (30) jours,?* était raisonnable s'agissant de requêtes
déposées par des requérants profanes en droit, indigents et incarcérés.
61. La Cour note qu’en l'espèce, les Requérants sont dans une situation
comparable à celle des requérants dans les affaires précédentes. Il ressort
16 Bj Ct et autres c. Ch Bk (fond) (24 juin 2014) 1 RICA 226, 8 92. Voir également Xc AG Xb (fond), supra, 8 73.
17 Xc AG Xb (fond), supra, 8 73 ; Ax AG Xb (fond), supra, 8 54 ; Amir Am c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 356, 8 83.
18 Am c. Tanzanie (fond), supra, 8 50 ; Ax AG Xb (fond), supra, 8 54.
19 Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes Maliennes et the Institute for Ca Cr and Development in Cs c. République du Mali (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 393, 8 54.
20 Bt c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 56 ; Bz et Bz c. Tanzanie (fond), supra, 8 49 et Ai Ci Ao c. République du Ghana (fond et réparations) (28 juin 2019) 3 RICA 245, 88 83 à 86.
21 Ax AG Xb (fond), supra, 8 55.
2? Am c. Tanzanie (fond), supra, 8 49.
23 Bx c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 71.
24 Xc Bp As et At Cp As c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 325, 8 55.
clairement de leurs dossiers qu’ils sont profanes en droit et incarcérés, ont
un accès limité à l'information, et assuraient eux-mêmes leur défense
lorsqu'ils ont déposé leur Requête. La Cour note également que les
Requérants n’ont pas, non plus, bénéficié des services d’un avocat dans le
cadre des procédures au niveau national et qu’ils n’avaient peut-être
aucune idée de la démarche à entreprendre après le rejet de leur recours
par la Cour d’appel. En outre, le deuxième Requérant affirme, sans toutefois
en établir la preuve, qu’il avait introduit une demande de révision devant la
62. Au regard de ce qui précède, la Cour estime qu’un délai de deux (2) ans,
six (6) mois et vingt-huit (28) jours est raisonnable au sens de la règle
50(2)(5) du Règlement et rejette donc l’exception de l’État défendeur.
C. Sur les autres conditions de recevabilité
63. La Cour relève qu'aucune exception n’a été soulevée concernant le respect
des conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c), (d) et (g) du
Règlement. Néanmoins, elle doit s'assurer que ces conditions sont remplies
avant d’examiner la Requête au fond.
64. |l ressort du dossier que les Requérants ont été clairement identifiés par
leur nom, conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
65. La Cour relève également que les demandes formulées par les Requérants
visent la protection des droits garantis par la Charte, ce qui est compatible
avec l’un des objectifs de l’Union africaine, tel qu’énoncé à l’article 3(h) de
son Acte constitutif, à savoir, promouvoir et protéger les droits de l’homme
et des peuples. Par ailleurs, les Requêtes ne contiennent aucun grief ou
aucune demande qui soit incompatible avec une disposition dudit Acte. En
conséquence, la Cour considère que les Requêtes sont compatibles avec
l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte. Elle en conclut qu’elles
remplissent les conditions requises par la règle 50(2)(b) du Règlement.
66. En outre, la Cour note que les Requêtes ne sont pas rédigées dans des
termes outrageants ou insultants. Elles remplissent donc la condition
énoncée à la règle 50(2)(c) du Règlement
67. Du reste, la Cour relève que les Requêtes ne se limitent pas à rassembler
exclusivement des nouvelles diffusées par les moyens de communication
de masse mais se fondent, entre autres, sur des pièces de procédures
judiciaires nationales de l’État défendeur, conformément, aux dispositions
de la règle 50(2)(d) du Règlement.
68. Par ailleurs, conformément à la règle 50(2)(g) du Règlement, les Requêtes
ne concernent pas une affaire qui a déjà été réglée par les Parties
conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte
constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte ou de tout
instrument juridique de l’Union africaine.
69. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que les présentes Requêtes
remplissent toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de
la Charte, lu conjointement avec la règle 50(2) du Règlement, et les déclare,
par conséquent, recevables.
VII. SUR LE FOND
70. Dans leurs Requêtes individuelles, les Requérants allèguent la violation de
leur droit à un procès équitable du fait de leur condamnation fondée sur des
preuves douteuses et sans une prise en compte adéquate de leur défense
d’alibi.
71. Les Requérants formulent également des allégations distinctes. Le premier
Requérant affime que l’État défendeur a violé son droit à un procès
équitable en vertu de l’article 7(2) de la Charte et de l’article 13(6)(c) de la
Constitution de l’État défendeur, qui interdisent de punir quelqu'un pour un
acte qui, au moment de sa commission, ne constituait pas un crime.
72. Le deuxième Requérant allègue, quant à lui, qu’il n’a pas bénéficié d’une
assistance judiciaire au cours de la procédure qui a abouti à sa
condamnation et en conclut que ses droits garantis par les articles 2 et
7(1)(d) de la Charte ont ainsi été violés. Il allègue également que l’État
défendeur a violé ses droits garantis par les mêmes dispositions de la
Charte en omettant d’examiner son recours en révision devant la Cour
d'appel et en ne lui ayant pas fait bénéficier d’une assistance judiciaire au
cours de la procédure ayant abouti à sa condamnation.
73. La Cour note, comme indiqué au paragraphe 3 du présent Arrêt, que les
Requérants étaient co-accusés dans la procédure interne et que les
circonstances de leur condamnation étaient identiques. Par conséquent, la
Cour examinera simultanément leurs allégations communes avant celles
spécifiques à chacun d’eux.
A. Violation alléguée du droit à un procès équitable
74. Les Requérants formulent deux allégations de violation de leur droit à un
procès équitable. Ils allèguent d’abord que leur condamnation était fondée
sur des preuves douteuses. Ensuite que les juridictions internes n’ont pas
examiné comme il se devait leur défense d'’alibi. La Cour va examiner
chacune de ces allégations.
i. Allégation relative à la condamnation sur le fondement de preuves
douteuses
75. Les Requérants affirment que l’État défendeur a violé leur droit à un procès
équitable en les condamnant sur le fondement de preuves douteuses. Ils
soutiennent que les juridictions nationales se sont fondées sur
l'identification visuelle de témoins qui ont affirmé les avoir reconnus auteurs
principaux du crime.
76. Selon les Requérants, ces preuves ne sont pas appropriées en procédure
pénale. Ils prétendent ce qui suit : premièrement, l'identification visuelle aurait été faite vers 21 heures, alors qu’il faisait déjà nuit et qu’il n’y avait
que peu ou pas d’éclairage et aucune description n’a jamais été divulguée ;
deuxièmement, les témoins étaient tous membres de la même famille ;
troisièmement, l’enquête a été expéditive et ni l’officier de police ayant
procédé à l'arrestation, ni celui en charge de l’enquête n’ont témoigné
devant la Cour. En outre, le premier Requérant ajoute que les autorités
locales du lieu de commission de l'infraction n’ont pas témoigné en faveur
du ministère public.
77. L'État défendeur conteste les allégations des Requérants et demande qu’ils
en apportent les preuves irréfutables. Il soutient que ses juridictions
nationales ont condamné après avoir minutieusement examiné des preuves
présentées par le ministère public et conclu que la preuve de leur culpabilité
avait été rapportée au-delà de tout doute raisonnable.
78. L'État défendeur conteste spécifiquement l’allégation des Requérants selon
laquelle leur condamnation est fondée uniquement sur l'identification
visuelle faite sur la scène du crime, en faisant valoir que les témoins à
charge connaissaient déjà les Requérants avant les faits. En outre, il
conteste l’argument des Requérants selon lequel les preuves ne sont pas
fiables, en faisant valoir que le recours à des témoins qui sont membres de
la même famille ne constitue ni une violation des droits des Requérants ni
ne compromet la crédibilité des témoins. L’État défendeur fait également
valoir que le recours par le ministère public à des éléments de preuve
émanant de membres d’une famille n’est pas interdit par la loi.
79. Par ailleurs, l’État défendeur conteste l’affirmation des Requérants selon
laquelle l’enquête a été expéditive et que certaines personnes, telles que
l'officier ayant procédé à l’arrestation, l’enquêteur et les dirigeants locaux,
n’ont pas témoignés. Il avance que le droit de citer des témoins à charge
est une prérogative du procureur et que le témoignage de toutes les
personnes impliquées dans l'affaire n’est pas obligatoire. L'État défendeur
soutient que l’enquête a été menée conformément aux lois et règlements
applicables et que les preuves présentées au procès étaient suffisantes pour justifier la condamnation des Requérants. Il souligne, à cet égard, que
les juridictions d’instance et d'appel ont dûment examiné les preuves et sont
parvenues à la juste conclusion de la culpabilité des Requérants.
80. La Cour note que l’article 7(1) de la Charte garantit les principes
fondamentaux du droit à un procès équitable en prescrivant, entre autres,
le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue et le droit à la
présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une
cour ou un tribunal compétent(e). Le respect du droit à un procès équitable
« requiert que la condamnation d’une personne à une sanction pénale et
particulièrement à une lourde peine de prison, soit fondée sur des preuves
solides. » 25
81. S'agissant de la question de l'identification visuelle, la Cour rappelle sa
jurisprudence, dans une affaire similaire contre le même État défendeur,
selon laquelle:
[.-] lorsque l’identification visuelle est utilisée comme élément de
preuve pour condamner un individu, tout risque éventuel d’erreur doit
être exclu et l’identité du suspect doit être établie avec certitude. Ce
principe est également consacré dans la jurisprudence tanzanienne.
En outre, l'identification visuelle utilisée comme preuve doit également
décrire le lieu du crime de manière cohérente et logique.?°
82. La Cour rappelle également que, conformément à sa jurisprudence, elle
n’est pas une instance d’appel et qu’en principe, il appartient aux juridictions
nationales d’évaluer la valeur probante des éléments produits.” Aussi, la
Cour a a-t-elle constamment considéré qu’elle ne saurait se substituer à ces
25 Xd AG Xb (fond), supra, 8 174 ; Bd Au c. République Unie de Tanzanie (fond) (2018), 2 RICA 226, 8 67
26 Bz c. Tanzanie (fond), supra, 8 60.
27 Au AG Xb (fond), supra, 8 65.
juridictions pour examiner les détails et les particularités des preuves
produits lors des procédures internes.’
83. Il ressort du dossier que les juridictions nationales ont condamné les
Requérants sur la base de preuves produites par cinq (5) témoins à charge
dont quatre (4) étaient présents sur le lieu du crime. Les déclarations des
témoins en question étaient concordantes dans l’ensemble et ils ont donné
une description cohérente du lieu du crime. En outre, trois (3) pièces à
conviction ont été produites par le ministère public, notamment des rapports
médicaux de l’hôpital, bien que deux d’entre eux aient été ultérieurement
retirés du dossier par la Haute Cour, au motif qu’elles avaient été obtenues
en violation de lois nationales.
84. La Cour précise, du reste, que les juridictions nationales ont examiné les
preuves qui leur ont été présentées et ont estimé que les Requérants
avaient été dûment identifiés comme les véritables auteurs des crimes pour
lesquels ils ont, par la suite, été condamnés. Les juridictions d’instance et
d’appel ont pris le soin d’exclure toutes les possibilités d'erreur et d’établir
l'identité des suspects avec certitude.
85. Les juridictions nationales ont examiné l’allégation des Requérants selon
laquelle le crime avait été commis de nuit, qu’ils n'avaient pas été dûment
identifiés et que leur arrestation et leur condamnation étaient fondées sur
une erreur sur leur identité. Elles ont pris en compte les circonstances
spécifiques des crimes, notamment le fait que les faits se soient déroulés
sur une période assez longue, que les Requérants aient été connus des
victimes avant les faits, qu’ils ne portaient pas de masque pendant les faits ;
que les victimes se soient servies d’une lampe-torche pour observer de près
les Requérants et que les victimes aient donné les noms des Requérants à
d’autres villageois immédiatement après les faits.
28 Ibid.
86. La Cour estime qu’il ne résulte de l'évaluation des preuves, par les
juridictions nationales, ni aucune erreur manifeste, ni aucun déni de justice
à l'égard des Requérants.
87. Quant à l'argument des Requérants selon lequel les témoins étaient
membres de la même famille et que, par conséquent, leur témoignage ne
devrait pas être considéré comme crédible, il ressort du dossier devant la
Cour que cette question a été soulevée et dûment traitée devant la Cour
d'appel. La Cour observe que le fait que les preuves soient obtenues
uniquement auprès de proches ne compromet pas, pour autant, leur
crédibilité, dès lors que les dépositions des témoins sont cohérentes par
rapport aux faits et à l'identité de leurs auteurs.
88. En outre, l’allégation des Requérants selon laquelle l’affaire a fait l’objet
d’une enquête expéditive et que les preuves auraient dû être corroborées
par les témoignages de l’officier ayant procédé à l’arrestation et des
autorités locales est sans fondement. !| appartient aux juridictions
nationales de décider si les preuves fournies par le ministère public sont
suffisantes pour justifier une condamnation ou si elles devraient être
corroborées par d’autres éléments.
89. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation des Requérants
selon laquelle leur condamnation était fondée sur des preuves douteuses
et en conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(a) et (b) de la
Charte.
ii. Allégation fondée sur la non prise en compte des alibis
90. Les Requérants soutiennent que leur droit à un procès équitable a été violé
par l’État défendeur, dans la mesure où leurs alibis n’ont pas été pris en
compte par les juridictions nationales. À cet égard, le premier Requérant fait
valoir que la Haute Cour a rejeté son alibi au motif erroné qu’il a omis de le
notifier au ministère public comme le prescrit le CPP. Il soutient avoir
indiqué durant l’audience préliminaire, qu’il ne résidait plus dans le village où le crime a été commis, information confirmée, selon lui, par le deuxième
témoin à charge (PW Il). Pour sa part, le deuxième Requérant affirme que
le fait que la Haute Cour n’ait pas pris en compte son alibi constitue un déni
de justice.
91. L'État défendeur conteste les allégations des Requérants et leur demande
d’en apporter la preuve irréfutable. || affirme que le tribunal d'instance a
examiné les alibis des Requérants, mais les a rejetés au motif qu’ils
n’étaient pas dignes de foi. L’État défendeur affirme que, devant la Haute
Cour, le premier Requérant n’a pas soulevé le même moyen de défense
tandis que le deuxième Requérant l’a fait après la clôture des débats et n’a
pas notifié son intention avant l’audience, comme l’exige l’article 194(4) du
CPP. L’État défendeur déclare que la Haute Cour, usant de son pouvoir
discrétionnaire, a, tout de même, examiné son alibi invoqué comme moyen
de défense et a conclu qu’il n’était pas suffisamment solide pour mettre en
doute les arguments du ministère public. En outre, il fait valoir que la Cour
d'appel a également examiné le dossier et est parvenue à la même
conclusion.
92. La Cour note que, dans le système pénal de l’État défendeur ainsi que dans
d’autres juridictions, l’alibi est un moyen de défense qui, lorsqu'il est établi
avec certitude, peut être décisif pour asseoir la culpabilité de l’accusé. Par
conséquent, chaque fois qu’il est invoqué par un requérant, l’alibi soulevé
comme moyen de défense doit toujours être sérieusement pris en compte,
examiné en profondeur et éventuellement écarté, avant de rendre un verdict
93. En l'espèce, les comptes rendus d’audiences tenues durant les procédures
nationales montrent clairement que les Requérants ont invoqué des alibis
mais, après examen des éléments de la procédure, notamment les
dépositions des témoins à charge, la juridiction d’instance a estimé qu’ils
29 Xd AG Xb, supra, 8 26 ; Cf et Ap AG Xb (fond), supra, 8 93.
n’étaient pas suffisamment crédibles « pour remettre en cause les
arguments du ministère public ».° Bien que le deuxième Requérant n’ait
pas invoqué d’alibi comme le requiert la procédure interne, la Haute Cour,
invoquant son pouvoir discrétionnaire, a examiné le moyen de défense et a
conclu de la même manière que cet alibi «ne met pas en doute les
arguments du ministère public car les preuves sont irréfutables »**. La
question n’a pas été soulevée devant la Cour d’appel, mais celle-ci a
confirmé le jugement attaqué selon lequel les preuves du ministère public
étaient irréfutables pour justifier une condamnation des deux Requérants.
94. La Cour ne constate aucune anomalie ou erreur manifeste dans la manière
dont les juridictions internes ont statué sur les alibis des requérants. Par
conséquent, la Cour déboute les Requérants de leurs allégations comme
mal fondées et considère, en conséquence, que l’État défendeur n’a pas
violé le droit à la défense des Requérants, protégé par l’article 7(1)(c) de la
Charte.
iii. Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire gratuite
95. Le deuxième Requérant soutient qu’il n’a bénéficié d’aucune assistance
judiciaire devant les juridictions internes et qu’en conséquence, l’État
défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte. Le deuxième Requérant
affirme que les juridictions nationales auraient dû prendre en compte la
gravité de l'infraction de vol à main armée objet de la poursuite, et lui faire
bénéficier de l'assistance d’un avocat. Tout en admettant que l’État
défendeur dispose d’un système d’assistance judiciaire consacré aux
détenus indigents, il affirme que la décision d'accorder l’assistance
judiciaire relève du pouvoir discrétionnaire absolu de l'autorité de
certification et que, donc, l’avis de la personne poursuivie importe peu. Il
soutient que l’État défendeur, bien que le sachant indigent et analphabète,
ne lui a pas garanti l’égalité des armes, ce qui a entraîné un déni de justice.
30 Arrêt du Tribunal de district, p. 18.
31 Arrêt de la Haute Cour, p. 9.
96. En réponse aux observations du deuxième Requérant, l’État défendeur
admet que son affaire contre le deuxième Requérant a été jugée sans
assistance judiciaire qui, toutefois, ne constitue pas un droit absolu puisqu'il
est soumis à deux conditions : premièrement, le requérant doit solliciter
l'assistance judiciaire de son choix ; et deuxièmement, une fois accordée, il
devrait y avoir des fonds disponibles pour soutenir la demande d'assistance
judiciaire du requérant. L’État défendeur affirme, en l'espèce, que le
deuxième Requérant n’a, à aucun moment de la procédure interne, sollicité
l'assistance judiciaire ou ne s’est plaint d’une violation de son droit à la
défense. À cet égard, il demande à la Cour de céans de faire application de
la règle de la marge d’appréciation et, au regard de sa capacité financière
limitée, de rejeter l’allégation du deuxième Requérant.
97. L'article 7(1)(c) de la Charte prévoit que le droit à ce que sa cause soit
entendue comprend « le droit à la défense, y compris celui de se faire
assister par un défenseur de son choix ».
98. Dans sa jurisprudence sur le droit à l’assistance judiciaire, la Cour a
interprété l’article 7(1)(c) de la Charte à la lumière de l’article 14(3)(d) du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP),*? et a conclu
que le droit à la défense comprend le droit de bénéficier d’une assistance
99. En l'espèce, la Cour observe que, bien que seul le deuxième Requérant ait
allégué une violation de son droit à l’assistance judiciaire, il ressort du
dossier qu'aucun des Requérants n’a été représenté par un conseil lors de
la procédure interne. Tous deux étaient accusés de vol à main armée, une
infraction passible d’une peine d’emprisonnement minimale de trente (30)
ans, mais n’ont pas été informés de leur droit à une assistance judiciaire.
32 L’État défendeur est devenu partie au PIDCP le 11 juin 1976.
3 Xc AG Xb (fond), 8 114 ; Au AG Xb (fond), supra, 8 72 ; Bh Av Cf et Ap AG Xb (fond), (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 104.
La Cour note, en outre, que l’État défendeur n’a pas contesté le fait que les
Requérants n'avaient ni bénéficié d’une assistance judiciaire, ni qu’ils
étaient indigents et accusés de crimes graves.
100. La Cour a constamment considéré que lorsqu’une personne indigente est
poursuivie pour une infraction passible d’une lourde peine, une assistance
judiciaire gratuite doit lui être fournie de plein droit, qu’elle en fasse la
demande ou non.**
101. En outre, la Cour a conclu que l'obligation de fournir une assistance
judiciaire gratuite aux personnes indigentes poursuivies pour des infractions
passibles d’une peine lourde s'applique tant en première instance qu’en
appel.® Les États devraient donc systématiquement fournir une assistance
judiciaire aussi longtemps que l'intérêt de la justice l’exige, et ce, même si
le requérant n’en a pas fait la demande.
102. En l’espèce, la Cour estime également qu’eu égard à leur situation, et dans
l'intérêt de la justice, les Requérants auraient dû bénéficier d’une assistance
judiciaire tant en instance qu’en appel.
103. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que le moyen de défense de
l’État défendeur selon lequel l’assistance judiciaire gratuite devrait être
sollicitée au préalable et que sa fourniture dépend de la disponibilité des
ressources n’est pas fondé.
104. La Cour en conclut que l’État défendeur a violé le droit à l’assistance
judiciaire gratuite, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement
avec l’article 14(3)(d) du PIDCP.
34 Xc AG Xb, ibid., 8 123 ; Au AG Xb, ibid., 8 78 ; Cf et Ap AG Xb, ibid, 88 104 et 106.
3 Xc AG Xb (fond), 8 124 ; Ai Ar Ak et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (18 mars 2016) 1 RICA 526, 8 183.
iv. Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
105. Le deuxième Requérant allègue qu’après le rejet de son appel par la Cour
d’appel, il a introduit un recours en révision de la décision devant la même
Cour, le 19 avril 2013. Il affirme, toutefois, que ledit recours n’a pas été
examiné, ce qui n’a pas été le cas de recours en révision déposés après le
sien. Il en déduit que l’État défendeur a violé son droit d’être jugé dans un
délai raisonnable, protégé par l’article 7(1)(d) de la Charte ;
106. L'État défendeur conclut au débouté des allégations du deuxième
Requérant, ajoutant que ce dernier doit en apporter la preuve irréfutable. Il
affirme que le deuxième Requérant n’a fourni aucune preuve indiquant qu’il
aurait introduit un quelconque recours en révision. En outre, l’État
défendeur affiime que les recours en révision sont programmés
chronologiquement, et que leur examen dépend également de la capacité
du système judiciaire à tenir des sessions.
107. Aux termes de l’article 7(1)(d) de la Charte, le droit à ce que sa cause soit
entendue comprend « le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une
juridiction impartiale ».
108. La Cour observe que le recours en révision formé devant la Cour d’appel
de l’État défendeur n’est pas un droit automatique et que son issue dépend
du pouvoir discrétionnaire de ladite Cour. Cependant, la Cour estime qu’une
fois qu’un requérant a choisi de former ce recours, les exigences de justice
et d’équité, qui sont implicitement consacrées par le droit à un procès
équitable, requièrent que les juridictions nationales procèdent à son
examen dans un délai raisonnable, comme l’exige l’article 7(1)(d) de la
Charte.
109. En l’espèce, le deuxième Requérant affirme avoir déposé un recours en
révision de l’arrêt de la Cour d’appel, le 19 avril 2013. Toutefois, l'État défendeur conteste cette allégation, au motif que le dossier de l’affaire ne
comporte pas la preuve d’un tel recours. Dans sa réplique, le deuxième
Requérant s’est contenté de réitérer son allégation, sans toutefois fournir
de preuve à l’appui, alors qu’en l'espèce la charge de la preuve dudit
recours lui incombe.
110. Par conséquent, la Cour rejette l’allégation du deuxième Requérant selon
laquelle l’État défendeur a violé l’article 7(1)(d) de la Charte en accusant un
retard dans l’examen de sa demande en révision.
v. Allégation relative à la condamnation sur la base d’une loi imprécise
111. Le premier Requérant fait valoir qu’il a été condamné pour vol à main
armée, en application des articles 285 et 286 du CP de l’État défendeur, tel
qu’amendé par les lois n° 10/89 et 27/1991. Il affirme que ces articles ne
définissent pas l'infraction de vol à main armée et que, par conséquent, sa
condamnation a été prononcée en violation de l’article 7(2) de la Charte et
des dispositions correspondantes dans la Constitution de l’État défendeur,
à savoir l’article 13(6)(c).
112. L'État défendeur conteste les observations du Requérant, affirmant que les
articles 285 et 286 du CP décrivent les éléments constitutifs de l'infraction
de vol à main armée. Il précise, en outre, que la peine d’emprisonnement
de trente (30) ans infligée pour cette infraction est moins lourde que celle
qui était en vigueur au moment où l’infraction a été commise.
113. L'État défendeur explique que les conditions de l'infraction de vol à main
armée énoncées à l’article 286 du CP sont, entre autres, la possession
d’une arme dangereuse ou offensive ou d’un instrument dangereux ou
offensif, ou la compagnie de toute autre personne, ou encore le fait pour
l’agent pénal d’infliger des blessures physique à une quelconque personne,
antérieurement, concomitamment ou postérieurement à la commission de
l'infraction. Par ailleurs, en vertu de l’article 286 du CP, un vol à main armée est passible d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité, avec ou
sans châtiments corporels.
114. L'État défendeur ajoute qu’au moment de la condamnation d’un accusé, ces
articles doivent être lus conjointement avec la loi sur les peines minimales,
en son chapitre 90, telle qu’amendée en 1994 par l’article 2 de la loi n° 6 de
1994 sur les lois écrites (amendements divers). Ces dispositions ont abrogé
la loi n° 10 de 1989 sur les lois écrites (amendements divers), qui fixait à
quinze (15) ans la peine minimale d’emprisonnement, si bien que la peine
appropriée pour le délit de vol à main armée est désormais de trente (30)
ans d’emprisonnement. L'État défendeur soutient donc que l’allégation du
premier Requérant sur ce point n’est pas fondée.
115. La Cour rappelle que l’article 7(2) de la Charte énonce la règle du « nullum
crimen sine lege, nulla poena sine lege » également appelée principe de
légalité, comme suit :
Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne
constituait pas, au moment où elle a eu lieu, une infraction légalement
punissable. Aucune peine ne peut être infligée si elle n’a pas été
prévue au moment où l'infraction a été commise. La peine est
personnelle et ne peut frapper que le délinquant.
116. Cette disposition contient trois éléments du principe de légalité. Le premier
élément incarne le principe selon lequel « aucune incrimination, aucune
peine ne peut exister sans avoir été prévue par un texte de loi » (nullum
crimen sine lege), c'est-à-dire que personne ne doit être puni pour un acte
ou une omission qui ne constituait pas un comportement punissable au
moment où il a été commis.
117. Le deuxième élément est le suivant « pas de peine sans loi » (nulla poena
sine lege), en d’autres termes, nul ne peut se voir infliger une peine pour la commission d’un acte que si, avant sa commission, l’acte en question était
passible d’une telle peine. En vertu de cet élément, la loi pénale ne peut
faire l’objet d’une application rétroactive.
118. Le troisième élément est le caractère personnel de la peine, c'est-à-dire
que la peine ne peut frapper que le délinquant.
119. La Cour observe que le principe de légalité implique implicitement que la loi
doit être suffisamment claire dans la définition d’un crime particulier et dans
la spécification de la sanction. Il est essentiel de noter que la clarté est l’une
des exigences qualitatives les plus importantes de toute loi et, plus
particulièrement, du droit pénal. I! ne suffit pas qu’une loi existe, il faut aussi
qu’elle soit raisonnablement claire, de manière à permettre aux individus de
s’y conformer.
120. En l’espèce, la demande du premier Requérant repose sur le principe
nullum crimen sine lege. Le Requérant ne prétend pas qu’il n’y avait pas de
loi en vigueur, mais affirme plutôt que la loi qui définit le crime dont il est
accusé, à savoir le vol à main armée, n’est pas suffisamment claire. Cette
situation constitue, selon le premier Requérant, une violation de l’article 7(2)
de la Charte ainsi que de la disposition nationale correspondante, à savoir
l’article 13(6)(c) de la Constitution de l’État défendeur.
121. La Cour note qu’il ressort du dossier que les Requérants étaient accusés
de vol à main armée, en vertu des articles 285 et 286 du CP de l’État
défendeur, tels qu’amendés par les lois n° 10 de 1989 et 27 de 1991. Ils ont
été condamnés en vertu de la loi n° 1 de 1972 sur les peines minimales,
amendée par l’article 2 de la loi n° 6 de 1994 sur les lois écrites
(amendements divers). La Cour note également qu’il résulte du dossier que
le vol à main armée a été commis le 29 mars 2005, c’est-à-dire après
l'entrée en vigueur des lois susmentionnées. Il s'ensuit que les Requérants
ont été condamnés sur la base d’une loi qui était en vigueur au moment de
la commission des faits pour lesquels ils ont été condamnés.
122. En outre, la Cour observe que les lois en question, en particulier les articles
285 et 286 du CP, définissent clairement les éléments constitutifs du vol à
main armée. Les juridictions nationales ont, en effet, estimé que les
dispositions de ces articles avaient été respectées. Le deuxième Requérant
n’a donné aucune indication sur le texte qu’il estimait peu clair, ni
d’explication relative à la prétendue insuffisance de la définition.
123. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette les allégations selon lesquelles
les articles 285 et 286 du CP de l’État défendeur ne définissent pas
l'infraction de vol à main armée. La Cour en conclut que l’État défendeur n’a
pas violé l’article 7(2) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la non-discrimination
124. Le deuxième Requérant affirme que l’État défendeur a violé son droit à la
non-discrimination protégé par l’article 2 de la Charte. || affirme que
l'analyse et l'examen des preuves par les juridictions nationales n’étaient
pas fondés sur une appréciation objective de l’ensemble des preuves
versées au dossier, ni sur un traitement équilibré des parties.
125. L’État défendeur n’a pas conclu sur ce point, mais a réaffirmé, dans sa
réplique, que les juridictions nationales avaient dûment examiné toutes les
preuves figurant au dossier et déclaré le Requérant et ses coaccusés
coupables des faits qui leur étaient reprochés.
126. La Cour note qu’aux termes de l’article 2 de la Charte toute personne a droit
à la jouissance des droits et libertés reconnus et garantis dans la présente
Charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie, de couleur,
ou de toute autre situation. Cette disposition vise à veiller à ce que des
individus ne soient pas soumis à un traitement discriminatoire ou différencié
par rapport à d’autres personnes de statut identique ou similaire.
127. La Cour note qu’en l’espèce, le deuxième Requérant allègue la violation par
l’État défendeur de son droit à la non-discrimination. Toutefois, il ne donne
aucune indication sur la différentiation de traitement dont il aurait fait l’objet.
S'agissant de la référence à l’appréciation des preuves par les juridictions
internes, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé, aux paragraphes 85 à 88 du
présent Arrêt qu’il n’y avait aucune erreur manifeste dans l’appréciation des
éléments de preuve par les juridictions nationales.
128. La Cour en conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article 2 de la Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
129. Les Requérants demandent à la Cour de rétablir la justice en annulant la
condamnation prononcée à leur encontre, et en ordonnant leur mise en
liberté.
130. Au surplus, le deuxième Requérant demande à la Cour de lui accorder des
réparations, conformément à l’article 27 du Protocole.
131. Quant à l’État défendeur, il fait valoir que les Requérants ont été condamnés
pour le crime qu’ils ont commis et que, par conséquent, leur demande de
réparation doit être rejetée.
132. La Cour relève qu’aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « [IJorsqu’elle
estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, [elle]
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y
compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une
réparation ».
133. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « pour que des
réparations soient accordées, la responsabilité internationale de l’État défendeur doit être établie au regard du fait illicite. En outre, le lien de
causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. Par
ailleurs, lorsqu’elle est accordée, la réparation doit couvrir l'intégralité du
préjudice subi.
134. La Cour rappelle qu’il incombe au Requérant d'apporter la preuve de ses
allégations, en ce qui concerne le préjudice matériel.3° S'agissant du
préjudice moral, la Cour estime que l’exigence de preuve n’est pas rigide”
dans la mesure où l’existence d’un préjudice est présumée dès lors que des
violations sont établies.*8
135. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l'homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime ainsi que des mesures propres
à garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances
de chaque affaire.°°
136. En l’espèce, la Cour a conclu à la violation, par l’État défendeur du droit à
la défense des Requérants, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, pour défaut d’assistance
judiciaire gratuite devant les juridictions nationales. Les demandes de
réparation seront examinées sur cette base.
A. Réparations pécuniaires
36 Bh Ce et autres c. République du Rwanda (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RJCA 680, 8 139 ; Voir également Bu Cc Az Xi c. République Unie de Tanzanie (réparations), 8 40 ; Ac Cu Cj c. Ch Bk (réparations) (3 juin 2016), 1 RICA 358, 8 15(d) et Cx Ag AG Xb (fond et réparations), supra, 8 97.
37 Bj Ct et autres c. Ch Bk (réparations) (3 juin 2016), 1 RICA 358, 8 55. Voir également Cx Ag AG Xb, (fond et réparations) 8 97.
3 Bf Ck et autres c. République-unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RICA 562, 8 136 ; Cg Bt c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 55 ; Al Aa Cq République-unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019), 3 RICA 13, 8 119 ; Ct et autres c. Ch Bk, ibid, 8 55 et Ag AG Xb, (fond et réparations), 8 97.
39 Cv Bq Cy c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 209, 8 20. Voir également Ag AG Xb, ibid., 8 96.
137. La Cour rappelle que lorsqu'un Requérant sollicite la réparation d’un
préjudice matériel, il doit indiquer la nature du préjudice subi avant d’établir
le lien de causalité entre la violation constatée et ledit préjudice.“
138. En l’espèce, le premier Requérant s’est borné à soutenir qu’il a subi un
préjudice matériel et a, en conséquence, demandé réparation sans établir
le lien de causalité entre la violation de ses droits à un procès équitable, en
particulier de son droit à l’assistance judiciaire en vertu de l’article 7(1)(c)
de la Charte et ledit préjudice. !| n’a pas indiqué non plus, la nature, ni
l'étendue des réparations sollicitées.
139. Dans ces circonstances, la Cour ne saurait faire droit à la demande de
réparation du préjudice matériel. En conséquence, la Cour la rejette.
ii. Préjudice moral
140. La Cour note que les Requérants n’ont pas spécifiquement sollicité des
mesures de réparation au titre du préjudice moral. Toutefois, comme
indiqué plus haut, le premier Requérant sollicite de la Cour, de manière
générale, qu’elle lui accorde des réparations. Les deux Requérants
demandent également à la Cour de « rétablir la justice ». La Cour va donc
examiner si les Requérants peuvent prétendre à des réparations au titre du
préjudice moral.
141. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence, que le préjudice moral
est présumé en cas de violation des droits de l'homme et que l’évaluation
du montant de la réparation y relative devrait se faire sur la base de l’équité,
en tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire.** La
(réparations), 8 20.
#1 Ct et autres c. Ch Bk (réparations), supra, 8 55 ; Cy c. Rwanda (réparations), supra, 8 59 ; Cc Ax c. République Unie de Tanzanie (réparations) (25 septembre 2020) 4 RICA 550, 8 23.
Cour a adopté le principe consistant à accorder une somme forfaitaire dans
de telles circonstances.“
142. La Cour a jugé que l’État défendeur a violé les droits des Requérants à une
assistance judiciaire, protégés par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP. Les Requérants ont donc
droit à des réparations au titre du préjudice moral, dans la mesure où ils
sont présumés avoir subi un tel préjudice en raison de ladite violation.*®
143. La Cour a pour pratique d’allouer aux Requérants la somme forfaitaire de
trois-cents mille (300 000) shillings tanzaniens en cas de violation du droit
à l’assistance judiciaire gratuite, lorsque le Requérant est accusé d’un crime
pour lequel il ne peut légalement bénéficier de circonstances atténuantes.**
La Cour, exerçant son pouvoir discrétionnaire en toute équité, alloue, en
conséquence, à chacun des Requérants la somme de trois-cent mille
(300 000) shillings tanzaniens à titre de réparation du préjudice moral subi
du fait de la violation établie.
B. Réparations non pécuniaires
144. Les Requérants demandent à la Cour d’annuler la condamnation prononcée
à leur encontre et d’ordonner leur mise en liberté.
145. L'État défendeur rappelle que la compétence de la Cour ne s’étend pas à
l'’infirmation ou à la réformation des décisions rendues par ses juridictions
nationales. Il souligne qu’elle n’est pas habilitée à siéger comme une Cour
d’appel ou une « quatrième instance ». En conséquence, l’État défendeur
fait valoir que la Cour ne peut ni invalider, ni annuler la décision de sa plus
# Cq c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 119 ; An Cd c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 415, 88 84 à 85 ; Bt c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 177 ; Ax AG Xb, ibid, 8 24.
# Bx c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8151.
44 Cd c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 90 ; Ae Cl c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 461, 8 111 ; et Ax AG Xb (réparations), supra, 8 25.
haute juridiction nationale, à savoir la Cour d'appel, dès lors que celle-ci a
rendu un jugement définitif.
146. Sur la demande d’annulation des condamnations prononcées à l’encontre
des Requérants, la Cour note qu’elle n’a pas conclu dans le présent Arrêt
si la condamnation des Requérants était ou non justifiée.** La Cour examine
plutôt si les procédures devant les juridictions nationales sont conformes
aux instruments internationaux de protection des droits de l’homme ratifiés
par l’État défendeur. En conséquence, la Cour rejette la demande
d'annulation de la condamnation et de la peine des Requérants.
147. S'agissant de la demande de mise en liberté des Requérants, la Cour a déjà
indiqué qu’elle ne peut ordonner une telle mesure que « si un requérant
démontre à suffisance ou si la Cour elle-même établit, à partir de ses
constatations, que l’arrestation ou la condamnation du requérant repose
entièrement sur des considérations arbitraires et que son maintien en
détention serait constitutif d’un déni de justice ».*°
148. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a jugé que l’État défendeur a violé le
droit à la défense des Requérants, du fait du défaut d'assistance judiciaire
gratuite. Sans en minimiser la gravité, la Cour estime qu’en l’espèce, le
maintien des Requérants en milieu carcéral ne résulte pas d’une décision
arbitraire et ne révèle aucune circonstance de nature à entraîner un déni de
justice. Les Requérants n’ont pas, non plus, démontré l’existence d’autres
raisons exceptionnelles et impérieuses pouvant justifier une mesure de
remise en liberté.‘
45 Bw Aj Ah c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 013/2016, Arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), 8 88.
46 Cd c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 82. Voir aussi Jibu Amir (CzB et Ab Bf XBpB c. République Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), $ 96 ; Xg Bo Aq c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018), 2 RICA 570, 8 84.
#7 Amir et Bf AG Xb, ibid., 8 97 ; Ag AG Xb (fond et réparations), supra, 8 112 ; et Cd c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 82.
149. La Cour rejette donc la demande des Requérants tendant à l’annulation de
leur condamnation et à leur remise en liberté.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
150. La règle 32(2) du Règlement dispose : « [à] moins que la Cour n’en décide
autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure.‘
151. Le premier Requérant demande à la Cour de mettre les frais de procédure
à la charge de l’État défendeur.
152. L’État défendeur demande, quant à lui, que les frais de procédure soient
mis à la charge des Requérants.
153. La Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence, les réparations
peuvent comprendre le remboursement des frais de procédure et des
autres dépenses engagées dans le cadre des procédures au niveau
international. Toutefois, il incombe au Requérant de fournir la preuve
justificative de ses prétentions.
154. En l’espèce, la Cour estime qu'il n’y a aucune raison de s’écarter du principe
posé par la règle 32(2) du Règlement et ordonne en conséquence que
chaque Partie supporte ses frais de procédure.
X. DISPOSITIF
155. Par ces motifs,
#8 Article 30(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
LA COUR,
À l’unanimité
Sur la compétence
i. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à un
procès équitable protégé par l’article 7(1)(a) et (b) de la Charte, du
fait de condamnations fondées sur des preuves douteuses ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la défense des
Requérants, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, du fait de
l’examen inapproprié de leurs alibis ;
vil. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du deuxième
Requérant à être jugé dans un délai raisonnable, protégé par
l’article 7(1)(d) de la Charte du fait de l’absence de décision, dans
les meilleurs délais, sur son recours en révision;
viii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants
protégé par l’article 7(2) de la Charte, du fait de condamnations
fondées sur une loi imprécise ;
ix. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la non-discrimination
du deuxième Requérant, protégé par l’article 2 de la Charte ;
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la défense des Requérants,
protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec
l’article 14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, pour défaut d'assistance judiciaire gratuite dans le cadre
des procédures internes.
Réparations pécuniaires
xi. Rejette les demandes de réparations formulées au titre du préjudice
matériel ;
xii. Alloue à chacun des Requérants la somme de trois-cent mille
(300 000) shillings tanzaniens à titre de réparation du préjudice
moral subi du fait de la violation de leurs droits à l’assistance
judiciaire gratuite ;
xiii. Ordonne à l’État défendeur de payer aux Requérants les montants
indiqués au point (xii) ci-dessus, en franchise d'impôt, dans un délai
de six (6) mois à compter de la date de signification du présent
Arrêt. À défaut, il sera tenu au paiement d’intérêts moratoires
calculés sur la base du taux fixé par la Banque de Tanzanie pendant
toute la période de retard jusqu’au paiement intégral des sommes
dues.
Réparations non-pécuniaires
xiv. Rejette la demande des Requérants tendant à l’annulation des
condamnations prononcées à leur encontre, ainsi qu’à leur mise en
liberté.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xv. Ordonne à l’État défendeur de déposer, dans un délai de six (6)
mois à compter de la date de signification du présent Arrêt, un
rapport sur la mise en œuvre de la mesure qui y ordonnée et, par
la suite, tous les six (6) mois, jusqu’à ce qu’elle considère toutes
ses décisions entièrement exécutées.
Sur les frais de procédure
xvi. Rejette la demande des Requérants relative aux frais de procédure devant la Cour de céans ;
xvii.Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président fra fausse
Ben KIOKO, Juge ; MES
Suzanne MENGUE, Juge ; Ages 5
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; 4 « On + la
Chafika BENSAOULA, Juge ; GE 07
Blaise TCHIKAYA, Juge gs
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge g ; pet _ =
Dennis D. ADJEI, Juge ; Met