AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
SYMON VUWA KAUNDA ET AUTRES
RÉPUBLIQUE DU MALAWI
REQUÊTE N° 013/2021
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS..
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LE DÉFAUT DE L’ÉTAT DÉFENDEUR
VI SUR LA COMPÉTENCE
DIR SUR LA RECEVABILITÉ
VIII SUR LE FOND
A Violation alléguée du droit de participer librement à la direction des
affaires publiques de son pays
Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi
Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
! Sur le rejet de la demande de prorogation de délai de dépôt de
documents supplémentaires
Il Sur l’allégation relative à l’erreur de la Cour suprême dans le
réexamen des moyens de preuve
IX SUR LES RÉPARATIONS
SUR LES FRAIS DE 12O14D16E17I18D18P19I19F 11
12
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18
18
19 La Cour composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Modibo SACKO Vice-
président; Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR, Suzanne MENGUE, Chafika
BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis
D. ADJE! — Juges ; et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après dénommé «le Règlement »), la juge Tujilane R.
CHIZUMILA, membre de la Cour, de nationalité malawite, s’est récusée.
En l’Affaire
Bs Bb Y, Ap Z, Ar Bk B, Au Bi
C, Bo Aw A et Am B
représentés par :
ii Maître Jeremiah MTOBESYA, Law Age Consult, Tanzanie, et
ii. Maître Leonard Emmanuel MBULO, Mbulo Attorneys at Law, Malawi.
contre
RÉPUBLIQUE DU MALAWI
représentée par :
ii M. Aa Am, Bt Ad Ba, ministère de la Justice et des Affaires
constitutionnelles ;
i. M. Bg Bp, Juriste en chef, ministère des Affaires étrangères et de
la Coopération internationale ;
iii. M. Bq Af, Juriste principal en chef, ministère des Affaires étrangères
et de la Coopération internationale ;
iv. M. Be Al, Bh Ad Ba, ministère de la Justice et des
Affaires constitutionnelles.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Bb Y Xci-après dénommé « le premier Requérant ») est
un homme politique et député à l’Assemblée nationale pour la
circonscription centrale de Nkhatabay, au Malawi, depuis 2004. La dame
Ap Z et les sieurs Ar Bk B, Au Bi
C, Bo Aw A et Am B Xci-après respectivement
dénommés « deuxième, troisième, quatrième, cinquième et sixième
Requérant ») sont des ressortissants malawites inscrits sur la liste
électorale se présentant comme partisans du premier Requérant. Les six
(6) Requérants seront désignés conjointement par le terme «les
Requérants ». Les Requérants allèguent la violation de leurs droits dans le
cadre du contentieux électoral devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République du Malawi (ci-après dénommée
« l’État défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine des droits
de l'homme et des peuples (ci-après désignée la « Charte ») le 23 février
1990 et au Protocole le 9 octobre 2008. Elle a également déposé, le 9
octobre 2008, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par
laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes
émanant d’individus et d'organisations non gouvernementales.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Les Requérants allèguent qu’à l'issue des élections générales tenues le 21
mai 2019, la Commission électorale du Malawi (ci-après dénommée « la
CEM ») a déclaré le premier Requérant élu à l’Assemblée nationale de l’État
défendeur pour la circonscription centrale de Nkhatabay.
4. _ Le sieur Ak Br Bf, qui a présenté sa candidature pour le même
siège dans ladite circonscription, a saisi la Haute Cour du Malawi d’un
recours en annulation de l’élection du premier Requérant. Le 16 septembre
2019, la Haute Cour a rejeté ledit recours au motif que le requérant n’avait
pas fourni de preuves suffisantes pour étayer sa thèse.
5. M. Bf a alors interjeté appel de la décision de la Haute Cour devant la
Cour suprême d’appel qui, le 21 avril 2021, a infirmé la décision de la Haute
Cour et annulé l’élection du premier Requérant. Elle a également ordonné
la tenue d’un nouveau scrutin.
B. Violations alléguées
6. Les Requérants allèguent la violation des droits suivants :
ii Le droit à une égale protection de la loi, protégé par l’article 3(2) de la
Charte en mettant indûment l’accent sur le respect de la procédure lors
de l’examen du recours électoral ;
ii. Le droit à ce que sa cause entendue, protégé par l’article 7(1) de la
Charte, du fait du rejet injustifié de la demande de prorogation de délai
de dépôt des documents supplémentaires du premier Requérant ;
iii. Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte
violant les droits fondamentaux qui leur sont reconnus et protégés par
les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur, protégé
par l’article 7(1)(a) de la Charte, du fait de l’erreur de la Cour suprême
lors du réexamen des preuves au bureau de vote de Msinjiyiwi ;
iv. Le droit des Requérants de participer librement à la direction des affaires
publiques de leur pays, protégé par l’article 13(1) de la Charte, du fait
de la tenue d’un nouveau scrutin ordonnée par la Cour Suprême.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête introductive d'instance contenant une demande de mesures
provisoires a été déposée au Greffe le 5 mai 2021 et communiquée à l’État
défendeur le 13 mai 2021 aux fins de dépôt de sa réponse et de ses
observations sur les mesures respectivement dans un délai de quatre-vingt-
dix (90) jours provisoires et de dix (10) jours.
8. Le 5 juin 2021, l’État défendeur a déposé sa réponse sur la demande de
mesures provisoires.
9. Le 11 juin 2021, la Cour a rendu une ordonnance de rejet de la demande
de mesures provisoires des Requérants, tendant à la suspension de la
tenue du nouveau scrutin. L'ordonnance a été notifiée aux Parties, le 12 juin
2021.
10. Le 30 juin 2022, le Greffe a rappelé à l’État défendeur que le délai de
réponse à la Requête était arrivé à expiration et que la Cour rendrait un
arrêt par défaut si ladite réponse ne lui parvenait pas dans un délai de
quarante-cinq (45) jours à compter de la date de notification.
11. À l’expiration de ce délai, l’État défendeur n’a pas déposé sa réponse.
12. Les débats ont été clôturés le 12 mai 2023 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
13. Les Requérants demandent à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur a violé les droits des Requérants,
protégés par les articles 3(2), 7(1), 7(1)(a) et 13(1) de la Charte ;
ii. Ordonner des mesures de réparation en condamnant l’État défendeur
aux dépens.
14. L'État défendeur n’a pas conclu.
V. SUR LE DÉFAUT DE L’ÉTAT DÉFENDEUR
15. La règle 63 du Règlement dispose :
Lorsqu’une partie ne se présente pas ou s’'abstient de faire valoir ses
moyens dans les délais fixés, la Cour peut, à la demande de l’autre
partie ou d’office, rendre une décision par défaut après s’être assurée
que la partie défaillante a été dûment notifiée de la requête et de toutes
les autres pièces pertinentes de la procédure.
16. La Cour relève que la règle 63(1) susmentionnée énonce trois conditions
pour rendre un arrêt par défaut, à savoir : i) la notification à la partie
défaillante de la requête et des pièces de la procédure ; ii) la défaillance de
l’une des parties et iii) une demande formulée par l’autre partie ou la
discrétion de la Cour!
17. S'agissant de la communication du dossier à la partie défaillante, la Cour
constate que, le 13 mai 2021, la Requête a été communiquée à l'État
+ Voir At An Ac, c. Benin et 7 autres (Burkina-Faso, Côte d'Ivoire, Ghana, Mali, Malawi, Tanzanie and Tunisie), CAfDHP, Requête n° 028/2018, Arrêt du 22 septembre 2022, 88 45 à 50 ; Leon Bd c. République du Rwanda (arrêt) (27 novembre 2020) 4 RICA 846, 88 13 à 18 ; Ah Ab c. République du Rwanda (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 294, 8 22 ; Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 158, 88 38 à 42.
défendeur qui devait y répondre dans les quatre-vingt-dix (90) jours. L'État
défendeur a ensuite été informé que la Cour rendrait un arrêt par défaut si
ladite réponse ne lui parvenait pas dans un délai de quarante-cinq (45)
jours. En dépit de cette notification, l’État défendeur n’a pas déposé la
réponse requise et les débats ont alors été clôturés le 12 mai 2023. La Cour
en déduit que la Partie défaillante, en l’espèce l’État défendeur, a été
dûment notifiée.
18. Sur le défaut de l’une des Parties, la Cour relève que, le 13 mai 2021, le
Greffe a demandé à l’État défendeur de déposer son mémoire en réponse
dans les quatre-vingt-dix (90) jours suivant la réception de la Requête.
Toutefois, l’État défendeur n’y a pas donné suite. La Cour observe, en outre,
que le 30 juin 2022, le Greffe a rappelé à l’État défendeur que le délai de
réponse à la Requête était arrivé à expiration. Le Greffe a également
informé les Parties que la Cour rendrait un arrêt par défaut si elle ne recevait
pas de réponse dans les quarante-cinq (45) jours. En dépit de ces rappels,
l’État défendeur n’a pas déposé sa réponse. La Cour constate, ainsi, que
l’État défendeur n’a pas fait valoir ses moyens de défense.
19. En ce qui concerne la dernière condition, la Cour que, conformément à la
règle 63(1), elle peut rendre un arrêt par défaut suo motu. Le Requérant
n'ayant pas demandé un arrêt par défaut, la Cour décide d'office, aux fins
d'une bonne administration de la justice, de rendre l'arrêt par défaut.
20. Les conditions requises ayant été remplies, la Cour rend un arrêt par défaut.
VI. SUR LA COMPÉTENCE
21. L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
22. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, elle « procède à un examen
préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au Protocole
et au [...] Règlement ».
23. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, à titre préliminaire,
procéder à un examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles
exceptions d’incompétence.
24. La Cour note que sa compétence n’est pas contestée en l’espèce.
Toutefois, elle doit s'assurer qu’elle est compétente pour examiner la
présente Requête. À cet égard, la Cour observe qu'il ne résulte du dossier
aucun élément indiquant qu’elle n’est pas compétente pour connaître de la
présente Requête. En conséquence, la Cour conclut qu’elle a :
ii la compétence matérielle dans la mesure où les Requérants
allèguent la violation, par l’État défendeur, de droits protégés par les
articles 3(2), 7(1), 7(1)(a) et 13(1) de la Charte à laquelle l’État
défendeur est partie.
ii. la compétence personnelle dans la mesure où l’État défendeur a
ratifié le Protocole et déposé la Déclaration requise, prévue à l’article
34(6) du Protocole comme précédemment indiqué dans le présent
Arrêt.
ii. la compétence temporelle étant donné que les violations alléguées
se sont produites après que l’État défendeur est devenu partie à la
Charte et au Protocole.
iv. la compétence territoriale dès lors que les violations alléguées par
les Requérants se sont produites sur le territoire de l’État défendeur,
qui est partie au Protocole.
VII. SUR LA RECEVABILITÉ
25. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, « [l]Ja Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
26. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément à l’article 56 de la Charte ».
27. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
28. En l’espèce, l’État défendeur n’a pas participé à la procédure et n’a, par
conséquent, soulevé aucune exception d’irrecevabilité de la Requête.
Toutefois, la Cour doit s'assurer que la Requête remplit les conditions de
recevabilité énoncées à l’article Article 56 de la Charte et à la règle 50(2)(a)
du Règlement.
29. Il ressort du dossier que les Requérants ont été clairement identifiés par
leurs noms, conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
30. La Cour relève, par ailleurs, que les demandes formulées par les
Requérants visent à protéger leurs droits protégés par la Charte. En outre,
l’un des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en
son article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et
des peuples. Par ailleurs, la Requête ne contient aucun grief ou aucune
demande qui soit incompatible avec une disposition dudit Acte. La Cour
conclut par conséquent que la Requête satisfait aux exigences de la règle
50(2)(b) du Règlement.
31. La Cour relève, en outre, que la Requête ne contient aucun terme
outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur ou de ses institutions,
ce qui la rend conforme à l’exigence de la règle 50(2)(c) du Règlement.
32. La Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais sur des pièces émanant des
juridictions de l’État défendeur. Elle est donc conforme à la règle 50(2)(d)
du Règlement.
33. La Cour relève que, le 21 avril 2021, Cour suprême d’appel de Malawi a
rendu une décision d'annulation du jugement de la Haute Cour et ordonné
l’annulation de l’élection du premier Requérant ainsi que l’organisation d’un
nouveau scrutin. La Cour suprême d’appel étant la plus haute juridiction de
l’État défendeur, la Cour estime qu'en l’espèce, les recours internes ont été
épuisés conformément aux exigences énoncées à la règle 50(2)(e) du
Règlement.
34. S’agissant de la condition énoncée à la règle 50(2)(f) du Règlement, la Cour
rappelle que le caractère raisonnable du délai de sa saisine doit être
apprécié au cas par cas.? La Cour rappelle également que conformément à
sa jurisprudence, lorsque la période est relativement courte, le requérant
est dispensé de prouver le caractère raisonnable du délai de saisine et la
période visée est donc considérée comme étant manifestement
35. La Cour observe qu’en l’espèce, la Cour suprême d’appel a rendu son arrêt
le 21 avril 2021 et que la présente Requête a été introduite devant la Cour
de céans le 5 mai 2021. Dès lors, seulement quatorze (14) jours se seront
donc écoulés entre l’épuisement des recours internes et la saisine de la
Cour de céans. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’elle a
été saisie dans un délai raisonnable et en conséquence, conformément à
la règle 50(2)(f) du Règlement.
36. La Cour constate également que la Requête ne concerne pas une affaire
qui a déjà été réglée par les Parties conformément aux principes de la
Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des
dispositions de la Charte. Elle satisfait donc à l’exigence de la règle 50(2)(g)
du Règlement.
? Av Ao c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018), 2? RICA 356, 8 83.
3 Ay Aq c. République-Unie de Tanzanie, CAÏDHP, Requête n° 058/2016, Arrêt du 13 juin 2023, 88 56 à 58 ; Bn Ax Aj c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 065/2019, Arrêt du 29 mars 2021(fond et réparations), 88 86 et 87.
37. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit
toutes les conditions énoncées à l’article 56 de la Charte, tel que repris à
l’article 50(2) du Règlement, et la déclare recevable.
VIII. SUR LE FOND
38. Les Requérants allèguent la violation, par l’État défendeur, des droits
suivants :
ii Le droit à une égale protection de la loi, protégé par l’article 3(2) de la
Charte, en mettant indûment l’accent sur le respect de la procédure lors
de l’examen du recours électoral ;
ii. Le droit à ce que sa cause entendue, protégé par l’article 7(1) de la
Charte, en rejetant de manière injustifiée la demande raisonnable
introduite par le premier Requérant aux fins d’une prorogation de délai
pour déposer des documents supplémentaires ;
iii. Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout acte
violant les droits fondamentaux qui leur sont reconnus et protégés par
les conventions, les lois, règlements et coutumes en vigueur, protégé
par l’article 7(1)(a) de la Charte, du fait que la Cour suprême a commis
une erreur lors du réexamen des preuves au bureau de vote de
Msinjiyiwi ; et
iv. Le droit des Requérants de participer librement à la direction des affaires
de leur pays, protégé par l’article 13(1) de la Charte, en ordonnant
l’organisation d’une nouvelle élection.
A. Violation alléguée du droit de participer librement à la direction des
affaires publiques de son pays
39. Les Requérants soutiennent que la décision de la Cour suprême d’appel
d’annuler les élections et d’ordonner la tenue de nouvelles élections les a
privés de leur droit de participer librement à la direction des affaires dans
leur pays, et empêché le premier Requérant de représenter son peuple en
tant que membre de l’Assemblée nationale. Les Requérants font valoir que
cette violation découle du fait que la décision de la Cour suprême était
fondée sur des faits qui, bien que véridiques, n'étaient pas importants et
n'ont pas eu d'incidence sur le résultat de l'élection.
40. Ayant fait défaut, l’État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
41. La Cour La Cour reconnaît que le droit des citoyens de prendre part à la
direction des affaires publiques de son pays est un droit protégé à la fois
par la Charte et par plusieurs autres instruments internationaux relatifs aux
droits de l'homme*.
42. L'article 13(1) de la Charte dispose :
[tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des
affaires publiques de leurs pays, soit directement, soit par
l'intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément
aux règles édictées par la loi.
43. La Cour relève que cette disposition protège expressément le droit de voter
et d’être élu.° La Cour a estimé que :
4 Voir article 21(1) de la DUDH et article 25(1) du PIDCP.
5 Constitutional Rights Project & Civil Liberties Organisation c. Ag (1998), Communication n° 102/93.
Le droit de participer à la direction des affaires publiques de son pays
confère à tous les citoyens le droit d’être impliqués dans la direction
des affaires publiques de leur pays, directement ou par l'intermédiaire
de leurs représentants librement choisis. I! comprend le droit de voter
et de se présenter aux élections pour assumer des fonctions politiques
ou officielles ainsi que de jouir, sans discrimination, de la possibilité de
servir leur nation en faisant partie du gouvernement. Lorsque les
citoyens votent pour participer indirectement à la direction des affaires
publiques de leur pays par l'intermédiaire de représentants, ce droit
implique le respect de la liberté des citoyens de choisir leurs
représentants et l'interdiction de toute mesure qui compromettrait la
capacité de ceux-ci à exercer les fonctions qu'ils leur ont confiées.®
44. En l’espèce, la Cour note que l'allégation des Requérants porte sur la
manière dont la Cour suprême d'appel a statué sur le recours électoral et a
décidé d'annuler l'élection. Il ressort du dossier que les Requérants
affirment que la Cour suprême n'a pas tiré les conclusions qui s'imposaient
en annulant l'élection pour des motifs tels que le fait que certaines urnes
n'étaient pas sécurisées, que les procès-verbaux de résultats avaient été
modifiés, que les représentants des partis conservaient les procès-verbaux
de résultats à leur domicile et que le président d'un bureau de vote avait
modifié le nombre de voix. Selon les Requérants, bien que ces motifs soient
fondés, ils ne sont pas pertinents et n'ont pas affecté l’issue de l'élection
d'une manière qui justifie l’annulation des résultats.
45. La Cour observe qu’il ressort du dossier que, lorsqu'elle a statué sur la
question de savoir si ces motifs justifiaient l'annulation des résultats, la
Cour suprême d'appel a estimé que la décision de la Haute Cour relative à
l'insuffisance de preuves pour annuler l’élection du premier Requérant
n’était pas fondée sur des preuves. Sur ce fondement, la Cour suprême
d'appel a rejeté la décision de la Haute Cour, annulé l'élection et ordonné
la tenue d’un nouveau scrutin dans la circonscription centrale de
Nkhatabay.
€ Brahim Ben Az Bc Bm Ae c. République tunisienne, CAfDHP, Requête n° 017/2021, Arrêt du 22 septembre 2022, 8 111.
46. || ressort de ce qui précède qu'il n'y à rien de manifestement erroné dans la
manière dont la Cour suprême d'appel a apprécié les éléments de preuve
et a tranché la question.
47. En conséquence, la Cour rejette les allégations des Requérants et
considère que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à
participer librement à la direction des affaires dans son pays, protégé par
l’article 13(1) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi
48. Les Requérants affirment que l’État défendeur a accordé une importance
excessive au respect de la procédure lorsqu’il a statué sur le recours
électoral, sans tenir compte des conséquences et des coûts de ces
mesures sur le droit des Requérants à participer à la direction des affaires
publiques dans leur pays. Selon les Requérants, ce manquement a violé
leur droit à une totale égalité et à une égale protection de la loi.
49. Ayant fait défaut, l’État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
50. La Cour note que l’article 3(2) de la Charte dispose : « [t]oute personne a
droit à une égale protection de la loi ».
51. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, le principe d'égalité
devant la loi, qui est implicite dans le principe d’égale protection de la loi,
n’exige pas nécessairement un traitement égal dans toutes les affaires et
peut permettre un traitement différencié des individus placés dans des
situations différentes.”
7 Ai Bj c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (15 juillet 2020), 4 RICA 466 8 88.
52. La Cour a également jugé, s'agissant du droit à l’égalité devant la loi, qu’une
violation de l’article 3(2) de la Charte ne s’infère pas nécessairement d’une
simple allégation de traitement différencié. Il convient de noter que la charge
de la preuve incombe au requérant. À cet égard, la Cour a constamment
considéré que des affirmations de portée générale sur les violations ne
sauraient suffire pour établir une violation de la Charte.8
53. La Cour observe, en l’espèce, que les Requérants se contentent d’alléguer
que la Cour suprême d’appel a accordé une importance excessive au
respect de la procédure en ce qui concerne l'inscription des électeurs, sans
indiquer en quoi cela a conduit à une violation de leur droit à l’égalité. Ils
n'ont pas non plus démontré en quoi l'accent mis par la Cour suprême
d'appel sur le respect de la procédure allait à l'encontre des règles établies
dans la législation nationale ou violait leur droit à une totale égalité ou à
l'égale protection de la loi. Les Requérants auraient dû apporter des
preuves de la manière dont ils ont été traités différemment des autres
personnes se trouvant dans la même situation.
54. En tout état de cause, La Cour rappelle qu’en tout état de cause, les États
disposent, dans les limites autorisées, d’une certaine latitude pour structurer
leurs organes électoraux en fonction de leurs besoins internes particuliers.
Dans la présente affaire, la Cour suprême d’appel a conclu que la
sensibilisation des électeurs à l'inscription sur les listes a été insuffisante
voire inadéquate, ce qui a entraîné un faible taux de participation. En effet,
les populations n’étaient pas sensibilisées à la nécessité de s’inscrire pour
voter et la plupart d’entre eux pensaient que l'inscription sur les registres de
l’état civil qu’ils avaient déjà effectuée auprès du Bureau national
d’inscription leur permettait de voter sans qu’ils aient besoin de se réinscrire
spécifiquement pour le vote. C’est donc à juste titre que la Cour suprême
8 George Maili Kemboge c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018), 2 RICA 381, 8 51 ; Minani Evarist c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018), 2 RICA 415, 8 75.
d’appel a ordonné l’organisation de nouvelles élections afin de garantir
qu’elles se déroulent dans le respect des lois électorales.®
55. En conséquence, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas violé le droit
des Requérants à l’égale protection of the law, protégé par l’article 3(2) de
la Charte. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation des
Requérants.
C. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
56. Les Requérants allèguent que l’État défendeur, par le truchement de sa
Cour suprême d’appel, a rejeté de manière injustifiée la demande de
prorogation du délai pour déposer des documents supplémentaires
formulée par le premier Requérant.
57. Ils soutiennent, en outre, que la Cour suprême d'appel n’a pas rempli ses
fonctions du moment qu’elle a commis une erreur lors du réexamen des
preuves découlant des événements qui se sont déroulés au bureau de vote
de Msinjiyiwi.
58. Ayant fait défaut, l’État défendeur n’a conclu sur ce point.
59. L'article 7(1)(a) de la Charte dispose :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend : a) le droit de saisir les juridictions nationales
compétentes de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui
sont reconnus et garantis par les conventions, les lois,
règlements et coutumes en vigueur.
° L'article 17 de la loi portant organisation des élections parlementaires et présidentielles (chapitre 2:01) dispose : « La Commission doit, conformément à la présente loi, créer les conditions propices et prendre toutes les mesures nécessaires pour sensibiliser les citoyens du Malawi à la nécessité de s'inscrire sur les listes électorales en vue d’une élection et à la nécessité de leur pleine participation à l’élection ».
60. La Cour note que l’allégation des Requérants sur la Cour suprême d'appel
repose sur deux (2) points : premièrement, le refus allégué de proroger le
délai pour déposer des documents supplémentaires et, deuxièmement, le
réexamen des éléments de preuve. La Cour examinera ces questions
successivement.
ii Sur le rejet de la demande de prorogation de délai de dépôt de
documents supplémentaires
61. La Cour rappelle que le droit à ce que sa cause soit entendue comprend le
droit de se voir accorder un délai de dépôt de pièces à l’appui de ses
prétentions. Dans l'affaire As Bl c. Tanzanie, "° le requérant
alléguait que la Cour d’appel avait rejeté, à tort, sa demande de révision
déposée hors délai. Néanmoins, il n'avait pas étayé cette allégation, ni
démontré, au moyen de preuves, la violation alléguée de son droit qui aurait
découlé de l’erreur de la Cour d’appel. Il s’est contenté d’affirmer qu’il était
malade. La Cour a conclu que la manière dont la Cour d’appel a rejeté la
demande de révision introduite hors délai par le requérant ne révèle aucune
erreur manifeste ni aucun déni de justice à l’égard du requérant. Elle a, en
conséquence, rejeté cette allégation et conclut que l’État défendeur n’avait
pas violé l’article 7(1)(a) de la Charte.
62. En l'espèce, la Cour note que le refus par la Cour suprême d’appel
d’accéder à la demande du premier Requérant tendant à se voir accorder
une prorogation de délai afin de déposer des documents supplémentaires,
était fondé sur le fait que le premier Requérant n'avait pas présenté de
justification satisfaisante. La Cour relève qu’il ressort du dossier qu’il a
soumis les documents tardivement bien que l'affaire ait été ajournée à
plusieurs reprises.
19 As Bl c. Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 017/2021, Arrêt du 26 février 2021, 88 65 à
67.
63. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que l'État défendeur n'a pas violé
le droit à ce que sa cause soit entendue, en ce qui concerne le refus allégué
de proroger le délai pour déposer des documents supplémentaires.
Sur l’allégation relative à l’erreur de la Cour suprême dans le réexamen
des moyens de preuve
64. La Cour observe que le droit à ce que sa cause soit entendue implique la
possibilité pour le Requérant d’apporter ses preuves et pour les tribunaux
de les examiner.
65. En l'espèce, la Cour observe que la Cour suprême d’appel n’a pas commis
une erreur, mais a simplement exercer sa compétence en réexaminant les
preuves produites devant la Haute Cour, en particulier, l’affirmation selon
laquelle des modifications ont été apportées aux registres de vote du
bureau de vote de Msinjiyiwi.
66. En outre, rien n'empêchait la Cour suprême d’appel de réexaminer les
preuves.
67. La Cour considère que l’État défendeur n’a pas violé le droit à ce que sa
cause soit entendue, en ce qui concerne les preuves qui ont été
réexaminées par la Cour suprême d'appel.
IX. SUR LES RÉPARATIONS
68. Les Requérants demandent à la Cour de dire et juger que l’État défendeur
a violé leurs droits protégés par les articles 3(2), 7(1)(a) et 13(1) de la Charte
et de mettre mes frais de procédure à la charge de l’État défendeur.
69. Ayant fait défaut, l’État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
70. Aux termes de l’article 27 du Protocole,
[orsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
71. En l’espèce, la Cour n'ayant établi aucune violation en l’espèce, l'examen
de la demande de réparation ne se justifie plus. La Cour rejette donc la
demande de réparation du Requérant.
SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
72. Les Requérants demandent à la Cour de condamner l’État défendeur aux
dépens.
73. L'État défendeur n’a pas conclu sur les frais de procédure.
74. Conformément à la règle 32(2) du Règlement, « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
75. La Cour estime, en l’espèce, qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du
principe posé par cette disposition et ordonne, en conséquence, que
chaque Partie supporte ses frais de procédure.
XI. DISPOSITIF
76. Par ces motifs,
LA COUR À l’unanimité,
Sur la compétence
i. Se Déclare compétente.
Sur la recevabilité :
i. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
ii. Dit que l'État défendeur n’a pas violé le droit à l’égale protection
de la loi, protégé par l’article 3(2) de la Charte, en ce qui concerne
l’application des règles de procédure relatives à l’enregistrement
des électeurs ;
iv. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à ce que la cause des
Requérants soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte,
du fait du rejet, par la Cour suprême d'appel, de la demande de
prorogation de délai de dépôt des documents supplémentaires par
les Requérants ;
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à un recours effectif
des Requérants, protégé par l’article 7(1)(a) de la Charte, du fait
du réexamen, par la Cour suprême d’appel, des éléments de
preuves produits devant la Haute Cour ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants de
participer librement à la direction des affaires publiques de leur
pays, protégé par l’article 13(1) de la Charte.
Sur les réparations
vii. Rejette les demandes de réparation.
Sur les frais de procédure
viii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Imani D. ABOUD, Présidente —eL
Modibo SACKO, Vice-président; /-4/% 7a45
Ben KIOKO, Juge ; MES
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ges
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eur am |
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ;
Dennis D. ADJEI, Juge ;
Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce cinquième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt-trois, en français et en anglais, la version anglaise faisant foi.