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05/09/2023 | CADHP | N°018/2017

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 05 septembre 2023, 018/2017


Texte (pseudonymisé)
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AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES AFFAIRE
Y Cg AI RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 018/2017
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle
B Sur l’exception d’incompétence temporelle

10
C Sur les autres aspects de la compétence 11
VI SUR LA RECEVABILITÉ ...

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AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES AFFAIRE
Y Cg AI RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 018/2017
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle
B Sur l’exception d’incompétence temporelle 10
C Sur les autres aspects de la compétence 11
VI SUR LA RECEVABILITÉ 12
A Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requête 13
! Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 13
ii. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable 15
B Sur les autres conditions de recevabilité 18
VII SUR LE FOND 20
A Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue 20
! Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable. 21
Il Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire 23
iii Allégation relative à l'appréciation inappropriée des moyens de
preuve 25
IV Allégation relative à l'appréciation incorrecte des moyens d'appel .27
v Allégation relative à la défense d’alibi 28
Violation alléguée du droit à la non-discrimination 29
Violation alléguée du droit à ne pas être soumis à un traitement inhumain
et dégradant 30
VIII. SUR LES RÉPARATIONS 36
A Réparations pécuniaires 38
! Préjudice matériel 38
ii. Préjudice moral 39 B. Réparations non pécuniaires … …
i. Remise en liberté
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
X. DISPOSITIF La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, et Dennis D. ADJEI — Juges, et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l'affaire :
Y Cg AI
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Bo Cw AJ, Bp Bg Bw, Bureau du Solicitor
General ;
ii. M. Bh AG, Principal Bq Cl, Bureau du Solicitor General ;
et
ii. Mme Cd Z, Bq Cl, Bureau du Solicitor General.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
! Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
I. LES PARTIES
1. Le sieur Y Cg AI Cci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la Requête, purgeait
une peine de trente (30) ans de réclusion à la prison centrale d’Uyui, à
Bc, après avoir été déclaré coupable de vol à main armée. Il allègue la
violation de son droit à un procès équitable devant les juridictions
nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée «l'État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la
« Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée la Déclaration »), par laquelle elle accepte
la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d’individus
et d’organisations non gouvernementales (ONG). Le 21 novembre 2019,
l’État défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union africaine un
instrument de retrait de ladite Déclaration. La Cour a décidé que le retrait
de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les affaires pendantes, ni
sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un an
après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le 29 juillet 1999, suite à des coups de feu, le
Requérant ainsi que six (6) autres personnes qui ne sont pas parties à la
procédure devant la Cour de céans, se sont introduits par effraction dans
une maison, ont agressé l’occupant et se sont enfuis en emportant des
? Bs Ac Aj c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 38.
objets. La victime et deux de ses voisins se sont lancés à la poursuite des
cambrioleurs et ont appréhendé le Requérant non loin de la maison, en
possession d’une partie des biens volés.
Après son arrestation, le Requérant a été conduit devant le Village
Executive Officer (VEO) avec les biens trouvés en sa possession. Interrogé
par le VEO, le Requérant a déclaré qu’il était accompagné de six (6)
acolytes dont il a révélé l’identité.
Le Requérant et ses complices ont alors été inculpés pour vol à main armée,
infraction prévue et réprimée par les articles 285 et 286 du Code pénal de
l’État défendeur. Le 4 août 1999, le Requérant et ses coaccusés ont été
traduits devant le Tribunal de district d’Urambo à Urambo, dans le cadre de
l’affaire pénale n° 151/1999. Le 9 septembre 2003, le Tribunal de district a
acquitté cinq (5) accusés, mais a reconnu le Requérant et un des co-
accusés coupables et les a condamnés à une peine de trente (30) ans de
réclusion assortie de douze (12) coups de fouet.
Ces derniers ont formé un recours en appel n° 37/2004 devant la Haute
Cour siégeant à Bc. Cette juridiction a rejeté le recours le 26 juin 2007
en ce qui concerne le Requérant et l’a accueilli en ce qui concerne le co-
accusé, ordonnant sa remise en liberté.
Le Requérant a ensuite saisi la Cour d’appel de Tanzanie siégeant à
Mwanza d’un autre recours n° 461/2007, recours rejeté dans son intégralité
par arrêt du 19 avril 2013.
Le 11 mai 2013, le Requérant a introduit un recours en révision de la
décision de la Cour d’appel qui, jusqu’au moment de la saisine de la Cour
de céans, n'avait pas encore été tranché.
B. Violations alléguées
9. Le Requérant allègue que l’État défendeur a violé son droit à ce que sa
cause soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte. !| allègue
notamment que :
i. Il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable, en violation de l’article
7(1)(d) de la Charte, étant donné qu’il a passé quatre (4) ans et demi en
prison avant la fin de son procès.
it. Il n’a pas bénéficié d’une assistance judiciaire, en violation de l’article
7(1)(c) de la Charte.
ii. La Cour d’appel de l’État défendeur n’a pas examiné et évalué
correctement les éléments de preuve dans le cadre de la procédure
d'appel, enfreignant ainsi son droit à ce que sa cause soit entendue,
garanti par l’article 7(1) de la Charte.
iv. La Cour d'appel de l’État défendeur n’a pas examiné ses douze (12)
différents moyens d’appel au cours de la procédure d’appel et les a
plutôt réduits à un seul, en violation non seulement de son droit à ce que
sa cause soit entendue, prévu à l’article 7(1) de la Charte, mais
également à l’article 3(2) de la Charte.
v. En raison du défaut de représentation légale, il n’a pas été informé des
dispositions de l’article 194(4) et (5) de la Loi portant Code de procédure
pénale concernant la défense d'’alibi, ce qui constitue une violation de
son droit à la défense, protégé par l’article 7(1)(c).
10. Le Requérant allègue, en outre, que la manière dont la procédure a été
menée par les juridictions de l’État défendeur est constitutif d’une violation
de son droit à la non-discrimination garanti à l’article 2 de la Charte.
11. Le Requérant soutient, par ailleurs, que sa condamnation à trente (30) ans
de réclusion était manifestement excessive et constitue un traitement
inhumain et dégradant en violation de l’article 5 de la Charte.
12. I fait valoir, en outre , que le comportement sus-évoqué des juridictions de
l’État défendeur constitue une violation des droits protégés par la
Constitution de l'État défendeur, notamment en ses articles 13(6)(a)(droit à
un procès équitable), 13(6)(e) (interdiction de la torture et des peines ou
traitements inhumains ou dégradants), 15(1)(2)(a)(b) (droit à la liberté
individuelle) et 107(A)(2)(b) (interdiction de retarder l’administration de la
justice sans motif raisonnable).
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
13. La Requête a été déposée le 13 juin 2017. Le 16 juin 2017, le Greffe a
demandé au Requérant de lui transmettre copies des arrêts rendus dans le
cadre des procédures devant les juridictions internes. Le Requérant y a
donné suite et le Greffe a notifié la Requête à l’État défendeur.
14. Le 1er octobre 2018, la Requête a été notifiée à tous les États parties au
Protocole, au Président de la Commission de l’Union africaine, au Conseil
exécutif de l’Union africaine et à la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples.
15. Les Parties ont déposé leurs mémoires sur le fond et les réparations dans
les délais impartis par la Cour.
16. Les débats ont été clôturés le 22 mai 2023 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
17. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Rétablir la justice là où elle a été bafouée, ordonner l’annulation de la
déclaration de culpabilité et de la peine prononcées à son encontre, ainsi
que sa remise en liberté ;
it. Lui accorder des réparations en vertu de l’article 27(1) du Protocole ;
ii. Lui accorder toute autre réparation que la Cour jugera nécessaire au
regard des circonstances de l’espèce.
18. Dans ses observations sur les réparations, le Requérant demande à la Cour
de :
i. Dire et juger que la Cour est compétente pour ordonner des réparations ;
it. Déclarer la Requête recevable ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur a violé ses droits;
iv. Ordonner à l’État défendeur de lui verser douze millions (12 000 000) de
shillings tanzaniens à titre de compensation pour l’avoir maintenu en
détention, après son arrestation, pendant cinq jours sans lui accorder le
moindre repas ;
v. Ordonner à l’État défendeur de lui verser trente-six millions (36 000 000)
de shillings tanzaniens à titre d’indemnisation pour la perte de son
emploi consécutive à la violation de ses droits ;
vi. Ordonner à l’État défendeur de lui verser dix millions (10 000 000) de
shillings tanzaniens à titre de compensation du fait que son affaire n’a
pas été jugée dans un délai raisonnable ;
vi. Ordonner à l’État défendeur de lui verser une indemnisation pour le
préjudice causé par la perte de sa maison à la suite de la violation de
ses droits par l’État défendeur et, en particulier, du fait que celui-ci ne lui
a pas fourni une assistance judiciaire ;
viii. Ordonner à l’État défendeur de lui verser une indemnisation en raison
de l’exclusion de ses enfants de l’école après son arrestation par les
agents de l’État défendeur, ce qui est constitutif d’une violation de leur
droit à l’éducation, garanti par l’article 11 (2)(3) de la Constitution de
l’État défendeur.
19. Dans son mémoire en réponse, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger que la Cour n’est pas compétente pour connaître de la
présente Requête ;
it. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de recevabilité
énoncées à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ;*
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de recevabilité
énoncées à l’article 40(6) du Règlement intérieur de la Cour ;*
iv. Dire et juger que la Requête est irrecevable ;
v. Rejeter la Requête.
20. S'agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant,
protégés par l’article 2 de la Charte ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant,
protégés par l’article 7(1)(c) de la Charte ;
ii. Rejeter la Requête pour défaut de fondement ;
iv. Ne pas faire droit aux demandes de réparation formulées par le
Requérant ;
v. Rejeter dans leur intégralité les demandes du Requérant ;
vi. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge
du Requérant.
21. En réponse au mémoire du Requérant sur les réparations, l’État défendeur
demande à la Cour de :
i. Rejeter dans leur intégralité les demandes du Requérant ;
it. Dire qu’il n'existe pas de raisons exceptionnelles et impérieuses
justifiant une ordonnance de remise en liberté du Requérant ;
ii. Dire et juger qu’il n’a pas violé l’article 7(1)(d) de la Charte ou l’article 10
du Protocole et qu’il a traité le Requérant avec respect et dignité;
iv. Rendre une ordonnance de rejet de la demande de réparations ;
3 Règle 50 (2)(e) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
4 Règle 50 (2)(f) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
v. @Ordonner toutes autres mesures que la Cour estime justes et
appropriées compte tenu des circonstances de l’espèce.
V. SUR LA COMPÉTENCE
22. La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
23. La Cour fait également observer qu’aux termes de la règle 49(1) du
Règlement, elle « procède à un examen préliminaire de sa compétence [.…]
conformément à la Charte, au Protocole et au [.…] Règlement ».°
24. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit procéder à un
examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles exceptions
25. La Cour constate qu’en l'espèce, l’État défendeur soulève deux exceptions
tirées l’une de l’incompétence matérielle et, l’autre, de l’incompétence
temporelle de la Cour. La Cour va se prononcer sur ces exceptions avant
d'examiner les autres aspects de sa compétence, si nécessaire.
5 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
26. L'État défendeur soutient que la Cour n’est pas compétente pour faire droit
à la demande de remise en liberté formulée par le Requérant. Citant l’article
27(1) du Protocole et se référant à la jurisprudence de la Cour dans l’affaire
Aq Cv AH Tanzanie, l’État défendeur soutient que la demande de
remise en liberté du Requérant ne relève pas de la compétence de la Cour,
le Requérant n’ayant pas indiqué de circonstances spécifiques ou
impérieuses justifiant que la Cour ordonne sa remise en liberté. L'État
défendeur demande donc que la Requête soit rejetée.
27. Le Requérant n’a pas conclu sur ce point.
28. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État défendeur.©
29. La Cour relève que l'exception soulevée par l’État défendeur se fonde sur
l’allégation selon laquelle la Cour n’est pas compétente pour ordonner une
mesure de remise en liberté.
30. La Cour rappelle l’article 27(1) du Protocole qui dispose que « [IJorsqu’elle
estime qu'il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y
compris le paiement d’une juste compensation ou l'octroi d’une
réparation ». La Cour estime que la mesure de remise en liberté peut être
8 Cn Ag c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 818.
une forme de réparation au sens de l’article 27(1) ci-dessus cité et que, par
conséquent, elle est compétente pour octroyer toutes sortes de réparations,
y compris, le cas échéant, la remise en liberté dès lors que la violation
alléguée est établie.”
31. La Cour rejette donc l’exception soulevée par l’État défendeur à cet égard
et dit qu’elle a la compétence matérielle en l'espèce.
B. Sur l’exception d’incompétence temporelle
32. L'État défendeur conteste également la compétence temporelle de la Cour,
en soutenant que les violations alléguées par le Requérant ne sont pas
continues. Il affirme que le Requérant purge, conformément à la loi, une
peine régulière pour avoir commis une infraction.
33. Le Requérant n’a pas conclu sur ce point.
34. En ce qui concerne sa compétence temporelle, la Cour relève que les
violations alléguées par le Requérant sont survenues après que l’État
défendeur soit devenu partie à la Charte et au Protocole. En outre, la Cour
observe que la condamnation du Requérant est maintenue sur la base de
ce qu’il considère comme une procédure inéquitable. Elle estime donc que
les violations alléguées peuvent être considérées comme ayant un
7 Bz Ba c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 036/2017, Arrêt du 24 mars 2022 (recevabilité), 8 27.
8 Ayants droit de feus Bf Ck, Bj Bb alias Ablassé, Af Ck, Cf Am et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Cu Au (exceptions préliminaires) (21 juin 2013), 1 RICA 204, 88 71 à 77.
35. La Cour conclut donc qu’elle a la compétence temporelle pour examiner la
présente Requête et rejette par conséquent l'exception soulevée par l’État
défendeur sur ce point.
C. Sur les autres aspects de la compétence
36. La Cour observe qu'aucune exception n’a été soulevée quant à sa
compétence personnelle et territoriale. Néanmoins, conformément à la
règle 49(1) du Règlement, elle est tenue de s'assurer que les exigences
relatives à tous les aspects de sa compétence sont satisfaites avant de
poursuivre l'examen de la Requête.
37. S'agissant de sa compétence personnelle, la Cour rappelle que, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration faite en vertu de l’article
34(6) du Protocole. La Cour rappelle, en outre, qu’elle a décidé que le retrait
d’une Déclaration n'avait aucun effet rétroactif et n'avait, non plus, aucune
incidence ni sur les affaires pendantes avant le dépôt de l'instrument de
retrait de la Déclaration, ni sur les nouvelles affaires introduites avant que
ledit retrait ne prenne effet. Étant donné qu’un tel retrait de la Déclaration
prend effet douze (12) mois après le dépôt de l’avis y relatif, la date de prise
d'effet du retrait de l’État défendeur était le 22 novembre 2020. La
présente Requête, introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son
avis de retrait, n’en est donc pas affectée. En conséquence, la Cour conclut
qu’elle a la compétence personnelle pour examiner la présente Requête.
38. En ce qui concerne sa compétence territoriale, la Cour relève que les
violations alléguées par le Requérant se sont produites sur le territoire de
l’État défendeur. La Cour en conclut qu’elle a la compétence territoriale.
9 Aj c. Tanzanie (arrêt), supra, 88 35 à 39.
10 Cm Bl Co c. République du Rwanda (compétence) (3 juin 2016), 1 RICA 585, 8 67.
39. Compte tenu de tout ce qui précède, la Cour estime qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
40. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [la Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
41. Conformément à la règle 50(1) du Règlement,!* « [Ia Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et
au présent Règlement ».
42. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est ainsi libellée :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
11 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
A. Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requête
43. L'État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la Requête. La
première porte sur l’exigence de l’épuisement des recours internes et la
seconde sur le dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable. La Cour
va se prononcer sur ces exceptions avant d’examiner les autres conditions
de recevabilité, si nécessaire.
i. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
44. L'État défendeur fait valoir que le Requérant soulève devant la Cour de
céans une allégation qui n’a jamais été évoquée devant la Cour d’appel de
Tanzanie en vertu de laquelle il s’est vu refuser une assistance judiciaire.
45. L'État défendeur affirme que le Requérant aurait pu demander une
assistance judiciaire au cours du procès, ou dans le cadre des appels qu’il
a interjetés devant la Haute Cour et la Cour d’appel. Il soutient également
que le Requérant aurait pu soulever ces allégations comme moyens d’appel
devant la Haute Cour et la Cour d’appel, s’il s’estimait réellement lésé, mais
qu’il ne l’a pas fait.
46. L'État défendeur affirme, en outre, que le Requérant aurait pu former un
recours en révision de la décision de la Cour d’appel en vertu de la règle
66(1)(b) du Règlement de la Cour d’appel de 2009, du moment qu’il prétend
n’avoir pas bénéficié d’une assistance judiciaire, le privant ainsi de son droit
à ce que sa cause soit entendue. Cette règle prévoit une révision sur la
base du fait qu’une partie a été « privée à tort de la possibilité d’être entendue », ce que l’État défendeur considère comme une composante du
droit à un procès équitable.
47. L'État défendeur soutient qu’étant donné que le Requérant n’a pas exercé
ces recours pourtant disponibles et que l’exercice de tels recours n’était pas
assorti de délai, la présente Requête ne remplit pas la condition de
recevabilité prévue par la règle 40(5) du Règlement‘? et doit, par
conséquent, être rejetée.
48. Le Requérant n’a pas conclu sur ce point.
49. La Cour rappelle que conformément à l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
dont elle est saisie doit satisfaire à la condition de l’épuisement des recours
internes. La règle de l’épuisement des recours internes vise à donner aux
États la possibilité de traiter les violations des droits de l’homme relevant
de leur juridiction avant qu’un organe international des droits de l'homme
ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet égard.!*
50. La Cour rappelle qu’elle a déjà conclu que, dans la mesure où les
procédures pénales à l’encontre d’un requérant ont donné lieu à une
décision de la plus haute juridiction d’appel, l’État défendeur est réputé avoir
eu l’opportunité de remédier aux violations qui selon le requérant découlent
desdites procédures.!*
51. En l’espèce, la Cour relève que le recours du Requérant devant la Cour
d’appel, organe judiciaire suprême de l’État défendeur, a été tranché
12 Règle 50(2)(e) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
13 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017), 2 RICA 9, 88 93 et 94.
14 Bz Ba c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 036/2017, Arrêt du 24 mars 2022 (recevabilité), 8 51.
lorsque ladite cour a rendu son arrêt le 19 avril 2013. Par conséquent, l’État
défendeur a eu la possibilité de remédier aux violations alléguées par le
Requérant, qui auraient découlé du procès en première instance et des
appels du Requérant.!*
52. S'agissant de l’argument de l’État défendeur selon lequel le Requérant
aurait dû introduire un recours en révision de l’arrêt de la Cour d'appel, la
Cour a précédemment conclu qu’une telle demande constitue un recours
extraordinaire que les requérants ne sont pas tenus d’épuiser.!$ La Cour
estime donc que le Requérant est réputé avoir épuisé les recours internes
dans la mesure où la Cour d’appel de Tanzanie, l’organe judiciaire suprême
de l’État défendeur, a confirmé sa condamnation et sa peine, à l’issue d’une
procédure qui aurait violé ses droits.
53. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception de l’État défendeur tirée
du non-épuisement des recours internes.
ii. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
54. L'État défendeur fait valoir qu’en raison du dépôt de la Requête dans un
délai non raisonnable après l’épuisement des recours internes, la Cour
devrait conclure qu’elle n’a pas satisfait aux exigences de l’article 40(6) du
55. L'État défendeur rappelle que l’arrêt de la Cour d’appel a été rendu le 19
avril 2013, que l’instrument d’acceptation de la compétence de la Cour
prévu aux articles 34(6) et 5(3) du Protocole a été déposé le 29 mars 2010
et que la présente Requête a été introduite le 13 juin 2017. L'État défendeur
fait observer qu’une période de trois (3) ans s’est écoulée entre le moment
où l’arrêt a été rendu et celui où le Requérant a saisi la Cour de sa Requête.
16 Az Ct c. Tanzanie, (fond), 8 78.
17 Règle 50(2)(f) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
56. L'État défendeur soutient qu’une période de trois (3) ans ne correspond pas
aux critères de délai raisonnable et que, par conséquent, cette Requête n’a
pas satisfait à la condition de recevabilité énoncée à la l’article 40(6) du
Règlement.!® L'État défendeur fait donc valoir que la Requête devrait être
déclarée irrecevable.
57. Dans sa réplique, le Requérant affirme avoir, le 11 mai 2013, formé un
recours en révision de la décision de la Cour d’appel qui, jusqu’au moment
de la saisine de la Cour de céans, n’avait pas encore rendu sa décision
finale en l’affaire et aucune information n’a jusqu’alors transparu à cet
égard. C’est pour cette raison qu’il a décidé d’exercer un autre recours en
saisissant la Cour de céans.
58. Le Requérant soutient que le retard accusé dans la saisine de la Cour de
céans s'explique par la procédure pendante du recours en révision de la
décision de la Cour d’appel.
59. Compte tenu des raisons exposées ci-dessus, le Requérant estime qu’il a
déposé sa Requête dans un délai raisonnable après avoir épuisé les
recours internes.
60. Conformément à l’article 56(6) de la Charte dont les dispositions sont
reprises à la règle 50(2)(f) du Règlement, une requête n’est recevable que
si elle est «introduite dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour
comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ».
61. La Cour relève en l'espèce qu’entre le 19 avril 2013, date de rejet par la
Cour d’appel du recours du Requérant et le 13 juin 2017, date de dépôt de
18 Règle 50(2)(f) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
la requête, une période de quatre (4) ans, un (1) mois et vingt-cinq (25)
jours s’est écoulée.
62. La Cour relève, en outre, que l’article 56(6) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(f), ne fixe pas de délai pour sa
saisine. Toutefois, la Cour a conclu que « … le caractère raisonnable du
délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque
affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».!°
63. À cet égard, la Cour a considéré les facteurs suivants comme étant
pertinents : le fait qu’un requérant soit incarcéré” et indigent, le temps mis
pour exercer les recours en révision devant la Cour d’appel, ou le temps
mis pour accéder aux pièces du dossier,?* le temps nécessaire pour
réfléchir à l’opportunité de saisir la Cour et pour déterminer les griefs à
64. || importe de relever que la Cour a déjà conclu que le fait pour un requérant
de faire valoir, par exemple, qu’il était incarcéré, profane en matière de droit
et indigent ne constitue pas une raison suffisante pour justifier qu’il n’ait pas
déposé sa requête dans un délai raisonnable.?* Comme la Cour l’a fait
remarquer, même les justiciables profanes en droit, incarcérés ou indigents,
sont tenus de démontrer en quoi leur situation personnelle les a empêchés
de déposer leur requête dans des délais plus courts.
65. La Cour prend note de l’affirmation du Requérant selon laquelle il est un
profane en matière de droit, et qu’il a assuré lui-même sa défense dans les
procédures devant les juridictions internes ainsi que devant la Cour.
19 Ayants droit de feus Bf Ck et autres c. Cu Au (fond) (28 mars 2014), 1 RICA 226, 8
c. Tanzanie (fond), 8 73.
2 At Ch c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018), 2 RICA 439, 8 52 ; Aq Cv AH Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 8 74.
21 Ce Bm et Ca Ce c. République-Unie de Tanzanie (fond)(23 mars 2018), 2 RICA 297, 861.
22 Ck et autres c. Cu Au (exceptions préliminaires), supra, 8 122.
23 Cq Bv c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 028/2017, Arrêt du 2 décembre 2021 (recevabilité), 8 48.
66. La Cour rappelle, en outre, que même si, dans le système juridique de l’État
défendeur, un requérant n’est pas tenu, aux fins d’épuisement des recours
internes, d’introduire une requête en révision de la décision de la Cour
d’appel, en revanche, lorsqu’il choisit d'exercer un tel recours, la Cour tient
compte, dans son appréciation du délai raisonnable de sa saisine, du temps
consacré à exercer ledit recours.
67. En l’espèce, la Cour tient compte du fait que le Requérant a formé un
recours en révision de la décision de la Cour d’appel, et qu’au moment du
dépôt de la présente Requête, ladite Cour n'avait pas encore tranché le
recours du Requérant. La Cour considère, dans ces circonstances, que la
procédure de révision encore pendante a pu contribuer à retarder la
décision de la saisir.
68. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le délai de quatre (4)
ans, un (1) mois et vingt-cinq (25) jours est loin d’être non raisonnable et ne
contrevient pas aux dispositions de l’article 56(6) de la Charte et de la règle
50(2)(f) du Règlement.
69. La Cour en conclut que la présente Requête a été déposée dans un délai
raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte et rejette, en
conséquence, l’exception soulevée par l’État défendeur sur ce point.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
70. La Cour observe qu’aucune exception n’a été soulevée quant au respect
des autres conditions de recevabilité. Néanmoins, conformément à la règle
50(1) du Règlement, elle est tenue de s'assurer que la Requête est
recevable avant de poursuivre son examen.
71. 1lressort du dossier que le Requérant a été clairement identifié par son nom,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
72. La Cour relève également que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger ses droits garantis par la Charte. En outre, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son article
3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples.
Par ailleurs, la Requête ne contient aucun grief, ni aucune demande qui soit
incompatible avec une disposition dudit Acte. En conséquence, la Cour
considère que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union
africaine et la Charte, et conclut qu’elle satisfait aux exigences de la règle
50(2)(b) du Règlement.
13. Les termes dans lesquels est rédigée la Requête ne sont ni outrageants, ni
insultants à l’égard de l’État défendeur ou de ses institutions, ce qui la rend
conforme à la règle 50(2)(c) du Règlement.
T4. La Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais plutôt sur des documents
judiciaires émanant des juridictions internes de l’État défendeur, ce qui la
rend conforme à l’exigence de la règle 50(2)(d) du Règlement.
T5. En outre, la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée par
les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de
l’Acte constitutif de l’Union africaine et des dispositions de la Charte ; elle
est donc conforme à la règle 50(2)(g) du Règlement.
T6. La Cour constate donc que toutes les conditions de recevabilité sont réunies
et que la présente Requête est recevable.
VII. SUR LE FOND
77. La Cour note que le Requérant allègue que la manière dont les juridictions
internes de l’État défendeur ont statué sur son affaire était entachée
d'erreurs de droit et de fait et qu’en conséquence, ses droits garantis par
les articles 2, 3, 5 et 7(1) de la Charte ont été violés.
78. La Cour considère toutefois que, bien que le Requérant allègue des
violations de divers droits garantis par la Charte, la violation alléguée du
droit à ce que sa cause soit entendue, garanti par l’article 7(1) de la Charte,
constitue le fondement de sa requête. La Cour examinera donc
premièrement (A) la violation alléguée de l’article 7(1) de la Charte, avant
d'aborder les autres droits de l’homme qui auraient été violés, à savoir (B)
le droit à la non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte, et (C) le
droit de ne pas être soumis à des peines innhumaines et dégradantes,
garanti par l’article 5 de la Charte.
79. La Cour relève, en outre, que le Requérant allègue la violation des articles
13(6)(a), 13(6)(e), 15(1)(2)(a)(b) et 107(A)(2)(b) de la Constitution de l’État
défendeur. Toutefois, conformément à sa jurisprudence, la Cour n’applique
pas le droit interne pour déterminer si un État s’est conformé à la Charte ou
à tout autre instrument relatif aux droits de l’homme qu'il a ratifié.?* La Cour
n’appliquera donc pas les dispositions de la Constitution de l’État défendeur
citées par le Requérant.?5
A. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
80. La Cour observe, à la lecture du dossier, que le Requérant soulève cinq (5)
griefs contre les juridictions internes dont les actions ou omissions ont,
selon lui, violé son droit à ce que sa cause soit entendue, tel qu’il est protégé
par l’article 7(1) de la Charte. Ces griefs sont les suivants :
24 Ct c. Tanzanie (fond), supra, 8 28 ; Ci et un autre c. Tanzanie (fond), supra, 8 39.
25 Ak Ap Cc c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 035/2017, Arrêt du 22 septembre 2022 (fond), 8 42.
i. Il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable, en violation de l’article
7(1)(d) de la Charte, étant donné qu’il a passé quatre ans et demi en
prison avant que son procès ne soit mené à son terme.
it. Il n’a pas bénéficié d’une assistance judiciaire, en violation de l’article
7(1)(c) de la Charte.
iii. La Cour d’appel de l’État défendeur n’a pas examiné et évalué
correctement les éléments de preuve dans le cadre de la procédure
d'appel, enfreignant ainsi son droit à ce que sa cause soit entendue,
garanti par l’article 7(1) de la Charte.
iv. La Cour d'appel de l’État défendeur n’a pas examiné les douze (12)
différents moyens d’appel du Requérant au cours de la procédure
d'appel et les a plutôt réduits à un seul, en violation non seulement de
son droit à ce que sa cause soit entendue, prévu à l’article 7(1) de la
Charte, mais également de l’article 3(2) de la Charte.
v. En raison du défaut d’assistance judiciaire, le Requérant n’a pas été
informé des dispositions de l’article 194(4) et (5) de la Loi portant Code
de procédure pénale concernant la défense d’alibi, ce qui constitue une
violation de son droit à la défense, protégé par l’article 7(1)(c).
81. La Cour examinera ces cinq (5) griefs à la lumière de l’article 7(1) de la
Charte.
i. Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
82. Le Requérant allègue qu’il a été maintenu en détention pendant quatre (4)
ans et demi avant d’être reconnu coupable et condamné par le Tribunal de
première instance de l’État défendeur, ce qui constitue une violation de son
droit d’être jugé dans un délai raisonnable, protégé par l’article 7(1)(d).
83. L'État défendeur soutient que le Requérant a été jugé pendant une période
de cinq ans, ce qui est un délai raisonnable compte tenu de la nature de
l'infraction et des circonstances dans lesquelles elle a été commise. Se
référant à l’acte d'accusation, l’État défendeur souligne que le Requérant et cinq (5) autres coaccusés ont été inculpés le 7 octobre 1999. Le 12 février
2002, le ministère public a commencé la présentation de ses moyens et a
cité cinq témoins à des dates différentes, après quoi le ministère public a
clôturé ses moyens le 9 mai 2003. La défense a commencé sa plaidoirie le
30 juin 2003, date à laquelle le Requérant a comparu et déposé. Le Tribunal
de première instance a rendu son jugement le 9 septembre 2003.
84. L'article 7(1)(d) de la Charte prévoit que : « [toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue. Ce droit comprend [.…] le droit d’être jugé dans un
délai raisonnable ».
85. La Cour se réfère à sa décision dans l’affaire Ai Ar Al et 9
autres c. Tanzanie, dans laquelle elle a conclu « … qu’il n’existe pas de
délai considéré comme raisonnable qui serve de norme dans l’examen
d’une affaire. Pour déterminer si le délai est raisonnable ou non, chaque
affaire doit être traitée selon ses propres circonstances ».?6
86. La Cour a conclu dans ses arrêts antérieurs que divers facteurs sont pris
en considération pour déterminer si une affaire a été examinée dans un
délai raisonnable au sens de l’article 7(1)(d) de la Charte. Ces facteurs
comprennent la complexité de l'affaire, le comportement des parties et celui
des autorités judiciaires.?”
87. En l’espèce, la Cour note que le grief du Requérant ne porte que sur le
temps qu’il a fallu pour mener à terme la procédure de son procès pendant
qu’il était en détention et non sur son recours en révision. La Cour rappelle
que, le Requérant a été interpellé le 29 juillet 1999, qu’il a été traduit devant
le Tribunal de première instance le 4 août 1999. Certes, l’audience
26 Ai Ar Al et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (2016), 1 RICA 526, 8 135. 27 Voir Cs Bn c. Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 493, 88 122 à 124 ; Aq Cv c. République Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 8 104 ; Al et autres c. Cr, supra, 8 155.
préliminaire s’est tenue le 2 mai 2000, mais le procès s’est ouvert le 12
février 2002 et le tribunal de district a reconnu le Requérant coupable et l’a
condamné le 9 septembre 2003. Au total, la procédure, depuis l’arrestation
du Requérant jusqu’à sa condamnation par le Tribunal de district, a duré
quatre (4) ans, un (1) mois et onze (11) jours.
88. La Cour tiendra donc compte de ce temps pour déterminer si le délai mis
pour finaliser le procès du Requérant était raisonnable ou non.
89. En ce qui concerne la complexité de l'affaire, la Cour note la nature et la
gravité de l’infraction, les circonstances dans lesquelles elle s’est produite.
Elle prend également note du fait que le Requérant a été inculpé en même
temps que d’autres accusés, et que les témoins ont déposé à des dates
différentes.
90. La Cour note, s'agissant du comportement des Parties et des autorités
judiciaires, qu’aucun argument n’a été avancé quant au niveau de
responsabilité du Requérant en ce qu’il aurait entravé ou accéléré la
procédure, ni au fait que les autorités nationales auraient délibérément
retardé la procédure ou se seraient indûment abstenues d’y accorder la
diligence voulue.
91. Dans ces circonstances, la Cour estime que le temps qu’il a fallu pour
connaître de l'affaire du Requérant ne saurait être qualifié de non
raisonnable et conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(d) de
la Charte.
ii. Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire
92. Le Requérant affirme avoir subi un préjudice du fait de n’avoir pas eu le
bénéfice d’une assistance judiciaire lors des procédures devant les
juridictions internes et que l’État défendeur a, par cette omission, violé
l’article 7(1)(c) de la Charte.
93. L'État défendeur réfute cette allégation et fait valoir que l’assistance
judiciaire gratuite n’est obligatoire dans son système judiciaire que pour des
infractions spécifiques, notamment la haute trahison, l’homicide involontaire
et le meurtre. Pour toutes les autres infractions, l’assistance judiciaire n’est
accordée que sur demande de la personne inculpée. L'État défendeur
soutient que le Requérant n’a, à aucun moment, sollicité d'assistance
judiciaire et affirme que si le Requérant en exprimait la nécessité, il aurait
dû en faire la demande auprès de l’État ou auprès d’organisations non
gouvernementales qui fournissent une assistance judiciaire aux personnes
inculpées en ayant besoin.
94. L'article 7(1)(c) de la Charte prévoit que toute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue. Ce droit comprend «le droit à la défense, y compris
celui de se faire assister par un défenseur de son choix ».
95. La Cour a interprété l’article 7(1)(c) de la Charte à la lumière de l’article
14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(PIDCP),* et a conclu que le droit à la défense inclut le droit de bénéficier
d’une assistance judiciaire gratuite.?°
96. La Cour a également conclu que lorsque des personnes sont poursuivies
pour des infractions passibles de lourdes peines et qu’elles sont indigentes,
une assistance judiciaire gratuite devrait leur être fournie de plein droit,
qu’elles en fassent la demande ou non.
97. La Cour observe que bien qu’étant accusé de vol à main armée, un délit
passible d’une peine de réclusion à perpétuité assortie ou non d’un
châtiment corporel, il ne résulte du dossier aucun élément indiquant que le
2 L'État défendeur est devenu partie au PIDCP le 11 juin 1976.
$ 72 ; Ci et un autre c. Tanzanie (fond), supra, 8 104.
30 Cv AH Tanzanie (fond), supra, $ 123 ; Br c. Tanzanie (fond), supra, 8 78 ; Ci et un autre c. Tanzanie (fond), supra, 88 104 et 106.
Requérant ait été informé de son droit à une assistance judiciaire ni qu’une
telle assistance pourrait lui être fournie gratuitement, s’il n’avait pas les
moyens d’y faire face.
98. De plus, la Cour a conclu dans ses arrêts précédents que l’obligation de
fournir une assistance judiciaire gratuite aux personnes indigentes
poursuivies pour des infractions passibles d’une lourde peine s'applique
tant en première instance qu’en appel.S!
99. Au vu de ce qui précède, l’affirmation de l’État défendeur selon laquelle le
Requérant aurait dû demander une assistance judiciaire gratuite et que
celle-ci ne pouvait lui être accordée que sous réserve de disponibilité des
ressources, n’est pas justifiée.
100. La Cour conclut donc que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la
Charte lu conjointement avec l’article 14 (3)(d) du PIDCP pour n’avoir pas
fourni au Requérant une assistance judiciaire gratuite durant la procédure
devant les juridictions internes.
iii. Allégation relative à l’appréciation inappropriée des moyens de preuve
101. Le Requérant affirme que la Cour d’appel de l’État défendeur n’a pas
examiné et apprécié correctement les preuves produites par les témoins à
charge, et qu’il a ainsi violé son droit à ce que sa cause soit entendue,
garanti par l’article 7(1) de la Charte.
102. L’État défendeur réfute l’allégation du Requérant et affirme que la Cour
d'appel a soigneusement évalué et examiné tous les moyens d'appel et les
éléments de preuve versés au dossier. L’État défendeur affirme que la Cour
d'appel a estimé, à juste titre, que le Requérant n’avait soulevé aucun motif
31 Cv AH Tanzanie (fond), supra, $ 124 ; Al et 9 autres c. Tanzanie (fond) supra, 8 183.
valable sur lequel il pourrait contester les conclusions des juridictions
inférieures, et que les preuves d’identification fournies par PW1 et PW2
établissent un lien suffisant et incontestable entre le Requérant et l’un des
individus armés qui ont cambriolé le domicile de PW1.
103. La Cour réaffirme sa position selon laquelle :
les juridictions nationales jouissent d’une large marge d’appréciation
dans l’évaluation de la valeur probante des éléments de preuve. En
tant que juridiction internationale des droits de l'homme, la Cour ne
peut pas se substituer aux juridictions nationales pour examiner les
détails et les particularités des preuves présentées dans les
procédures internes. 32
104. Nonobstant ce qui précède, la Cour, dans son évaluation de la manière dont
la procédure a été menée devant les juridictions internes, peut intervenir
pour déterminer si cette procédure, y compris l’appréciation des preuves, a
été en conformité avec les normes internationales en matière de droits de
l’homme.
105. Il ressort du dossier devant la Cour que la Cour d’appel a examiné de
manière exhaustive les éléments de preuve présentés dans le cadre de la
procédure visant le Requérant. La Cour estime, en outre que le Requérant
n’a ni démontré ni apporté la preuve que la manière dont la Cour d’appel a
évalué les éléments de preuve était entachée d’erreurs manifestes
nécessitant son intervention.
106. La Cour rejette donc l’allégation du Requérant et conclut que l’État
défendeur n’a pas violé le droit à ce que sa cause soit entendue, garanti par
l’article 7(1) de la Charte.
32 Br c. Tanzanie (fond), supra, 8 65.
iv. Allégation relative à l’appréciation incorrecte des moyens d’appel
107. Le Requérant fait grief à la Cour d’appel de l’État défendeur de n'avoir pas
analysé ses douze (12) différents moyens d’appel lors de la procédure
d'appel. Il soutient que la démarche de la Cour d'appel qui a consisté à
ramener ces douze (12) moyens à un (1) seul moyen a violé son droit à ce
que sa cause soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte, et qu’elle
a également violé l’article 3(2) de la Charte.
108. L'État défendeur rejette l’allégation du Requérant selon laquelle il a été privé
de son droit à un procès équitable en raison de la jonction des moyens
d'appel. L’État défendeur soutient que la jonction des moyens d’appel dans
le cadre de l'examen d’un jugement ou la jonction d’instances dans des
affaires impliquant des questions communes de fait ou de droit n’est pas
une pratique nouvelle dans l’État défendeur ou dans d’autres pays.
109. L’État défendeur affirme, en outre, que la Cour d'appel a pris le soin
d'analyser tous les moyens d’appel invoqués par le Requérant au regard de
toutes les questions et de tous les faits particuliers de l'affaire.
110. Pour toutes ces raisons, l’État défendeur fait valoir que l’allégation n’est pas
fondée et qu’elle doit être rejetée.
111. La Cour note, tel qu’il ressort du dossier, que la Cour d’appel de l’État
défendeur a examiné les douze (12) moyens d'appel, mais a conclu qu’ils
se résumaient essentiellement à un seul, à savoir « que les faits reprochés
à l’appelant n’ont pas été prouvés au-delà de tout doute raisonnable ». La
Cour d’appel a ensuite examiné de manière exhaustive la question de
savoir si, sur la base des éléments de preuve versés au dossier, les deux juridictions inférieures étaient fondées à conclure, au-delà de tout doute
raisonnable, que l’infraction de vol à main armée avait été commise dans la
nuit du 29 juillet 1999 et qu’elle avait été commise par le Requérant.
112. La Cour constate que le Requérant n’a apporté aucune preuve tendant à
démontrer que la manière dont la Cour d'appel a mené la procédure d’appel
et, en particulier, a ramené les douze moyens d’appel à un seul moyen
d’ordre général, a entraîné une grave erreur judiciaire ou la violation du droit
du Requérant à ce que sa cause soit entendue.
113. La Cour estime donc que cette allégation est sans fondement et en conclut
que l’État défendeur n’a violé ni le droit du Requérant à ce que sa cause
soit entendue, garanti par l’article 7(1) de la Charte, ni son droit à une égale
protection de la loi, prévu à l’article 3(2) de la Charte.
v. Allégation relative à la défense d’alibi
114. Le Requérant allègue que la Cour d'appel n’a pas tenu compte du fait qu’il
n’avait pas bénéficié d'assistance judiciaire et n’était pas informé de l’article
194(4) et (5) de la Loi portant Code de procédure pénale relatif à la défense
d’alibi, ce qui constitue une violation de son droit à la défense, protégé par
l’article 7(1)(c).
115. L'État défendeur réfute cette allégation. Il soutient que le Requérant était
tenu de s'informer de ces dispositions de la loi et de s’y conformer. L'État
défendeur ajoute que ces dispositions n’obligent ni n’ordonnent à une
juridiction de porter à la connaissance d’un requérant l’existence d’une
quelconque loi applicable dans l’État défendeur.
116. L'État défendeur soutient, en outre, que la décision de la Cour d’appel de
ne pas prendre en considération la défense d’alibi n'aurait pas pu aboutir à
une décision inéquitable, dans la mesure où le dossier contient de nombreux éléments de preuve qui établissent le lien entre le Requérant et
la commission présumée de l'infraction de vol à main armée.
117. L'État défendeur soutient que l’allégation n’est pas fondée et conclut au
débouté.
118. La Cour prend note de l’allégation du Requérant selon laquelle la Cour
d’appel n’a pas tenu compte du fait qu’il n’avait pas été informé des
dispositions de l’article 194(4) et (5) de la loi portant Code de procédure
pénale relative à la défense d'alibi.
119. La Cour relève dans le dossier que le Requérant, dans ses moyens d’appel
devant la Cour d’appel, n’a pas fait valoir qu’il n’avait pas été informé des
dispositions de la loi. La Cour note plutôt que le Requérant, dans lesdits
moyens d’appel, soutient que les deux juridictions inférieures ont commis
une erreur de droit et de fait en rejetant sa défense d’alibi.
120. Il ressort du dossier devant la Cour que la Cour d’appel a examiné ce moyen
et a conclu que « rien ne suggère ou n’indique une erreur ou une absence
de jugement imputable aux deux juridictions inférieures du fait que celles-ci
n’ont pas accordé d’importance à l’alibi de l’appelant ».
121. La Cour estime donc qu’il ne peut être reproché à la Cour d’appel de n’avoir
pas pris en compte l’alibi du Requérant. La Cour en conclut que l’État
défendeur n’a pas violé le droit à la défense du Requérant, prévu à l’article
7(1)(c) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la non-discrimination
122. Le Requérant allègue que la manière dont la procédure a été menée par
les juridictions de l’État défendeur est contraire à son droit à la non-
discrimination, garanti par l’article 2 de la Charte.
* 123. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
124. La Cour note que le Requérant n’a pas formulé d’observations spécifiques
ni apporté la preuve qu’il a fait l’objet de discrimination, en violation de
l’article 2 de la Charte.
125. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de conclure à
une quelconque violation. La Cour estime donc que l’État défendeur n’a pas
violé le droit du Requérant à la non-discrimination, protégé par l’article 2 de
la Charte.
C. Violation alléguée du droit à ne pas être soumis à un traitement inhumain
et dégradant
126. Le Requérant affirme que sa condamnation à trente (30) ans de réclusion
était manifestement excessive et constitue une peine inhumaine et
dégradante, en violation de l’article 5 de la Charte.
127. L’État défendeur réfute cette allégation et fait valoir que, dans la
détermination de la peine d’une personne reconnue coupable d’une
infraction pénale, le tribunal est tenu de se fonder sur les dispositions du
Code pénal et de la loi sur les peines minimales.
128. En l'espèce, l’État défendeur soutient que ses juridictions tant au niveau du
district qu'aux deux niveaux d’appel ont, en toute équité, pris en compte
toutes les exigences de la loi et toutes les circonstances atténuantes. Pour
toutes ces raisons l’État défendeur considère que l’allégation n’est pas
fondée et qu’elle doit être rejetée.
33 Ak Ap Cc c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 035/2017, Arrêt du 22 septembre 2022 (fond), 8 82.
129. L'article 5 de la Charte dispose :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d'’avillissement de l'homme notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont
interdites.
130. La Cour note que les juridictions internes ont été guidées par l’article 286
du Code pénal, qui était libellé comme suit au moment de la condamnation :
Toute personne reconnue coupable de vol qualifié est passible d’une peine
d'emprisonnement de vingt ans et si le contrevenant était en possession
d’une arme ou d’un instrument dangereux ou offensif, ou en compagnie
d’une autre personne ou si, lors du vol, ou immédiatement avant ou après
sa commission, il blesse, bat, frappe ou fait subir des violences physiques à
une personne, il est passible d’une peine d'emprisonnement à perpétuité,
assortie ou non de châtiment corporel.
131. La Cour relève également que le Tribunal de district a condamné le
Requérant à une peine de trente (30) ans de réclusion assortie de douze
(12) coups de fouets.
132. En ce qui concerne la peine de trente (30) ans de réclusion, la Cour note
que les juridictions internes ont prononcé une peine d'emprisonnement qui
n’est pas en contradiction avec les dispositions légales relatives à la
sanction de l’infraction pour laquelle le Requérant a été condamné, à savoir
l’article 286 du Code pénal. La Cour note, en outre, que le tribunal de district
a pris en considération les circonstances atténuantes invoquées par le
Requérant.
133. Dans ces circonstances, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de conclure à
une violation et conclut, en conséquence, que l’État défendeur n’a pas violé
le droit du Requérant de ne pas être soumis à des peines inhumaines et
dégradantes, protégé par l’article 5 de la Charte, en le condamnant à une
peine d'emprisonnement de trente (30) ans.
134. Quant à la peine de douze (12) coups de bâton, la Cour observe que la
Charte ne fournit pas de définition de la torture et des peines ou traitements
cruels, innumains ou dégradants. La Cour rappelle toutefois que dans
l'affaire Aq Cv c. République-Unie de Tanzanie,** elle a fait sienne
la définition de la torture adoptée par la Commission, telle qu’elle figure à
l’article 1 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres
peines ou traitements cruels, innumains ou dégradants, à savoir :
1. Aux fins de la présente Convention, le terme “torture” désigne tout acte
par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou
mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins
notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des
renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce
personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou
de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une
tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de
discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles
souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute
autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son
consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou
aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes
à ces sanctions ou occasionnées par elles.
2. Cet article est sans préjudice de tout instrument international ou de toute
loi nationale qui contient ou peut contenir des dispositions de portée plus
large.
34 Aq Cv AH Tanzanie, 88 145 à 146.
135. La Cour note que l'interdiction de la torture et des peines ou traitements
cruels, inhumains et dégradants doit être interprétée de la manière la plus
large possible afin d’englober l’éventail le plus étendu possible des abus
physiques et mentaux et doit inclure « les actes qui causent de graves
souffrances physiques ou psychologiques (ou) humilient l’individu ou le
forcent à agir contre sa volonté ou sa conscience ».°5 La Cour observe que
c’est la gravité de la douleur mentale ou physique infligée à une personne
qui permet de qualifier un acte la sous-tendant de peine ou de traitement
136. En ce qui concerne spécifiquement les châtiments corporels, le rapporteur
spécial des Nations unies sur la torture a déclaré que la règle 31 de
l'Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus reflète
l'interdiction internationale des traitements cruels, inhumains ou dégradants
et que « les châtiments corporels sont incompatibles avec l’interdiction de
la torture et des peines ou traitements cruels, innumains ou dégradants
inscrite, entre autres, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme,
le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Déclaration sur
la protection de toutes les personnes contre la torture et les peines ou
traitements cruels, innumains ou dégradants, et la Convention contre la
torture et les peines ou traitements cruels, innumains ou dégradants ».°7 De
même, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a conclu que
l'interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels, innumains ou
dégradants énoncée à l’article 7 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques devait être étendue aux châtiments corporels, « y compris
35 Voir Ax A Cp X Ao (au nom de As Ay BxB c. Botswana, Communication 277/2003, (2011) ACHPR 2011.
36 Aq Cv AH Cr, 8 145.
37 « Questions relatives aux droits de l'homme de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement, en particulier : la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Rapport du Rapporteur spécial, M. Bk Ae By, présenté conformément à la Commission des droits de l’homme res. 1995/37 B de la Commission des droits de l’homme, 10 janvier 1997, E/CN.4/1997/7.
les châtiments excessifs ordonnés à titre de sanction pour un crime ou à
titre de mesure éducative ou disciplinaire ».°8
137. Le Comité des droits de l’homme est parvenu à des conclusions similaires
dans ses décisions relatives à des plaintes individuelles. Par exemple, dans
l’affaire Ad c. Jamaïque, le Comité a estimé qu’en exécutant une
peine de flagellation à l’aide de fouet tamarin, l’État partie avait manqué aux
obligations qui lui incombent en vertu du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques. °° Dans cette décision, le Comité des droits de l’homme
a conclu que : « [q]uelle que soit la nature du crime qui doit être puni, aussi
brutal soit-il, le Comité reste fermement convaincu que les châtiments
corporels constituent des peines ou traitements cruels, innumains et
dégradants, contraires à l’article 7 du Pacte ».
138. Dans l'affaire Tyrer c. Royaume-Uni, la Cour européenne des droits de
l’homme a abordé la question de l’incompatibilité des châtiments corporels
avec le droit à un traitement humain prévu à l’article 3 de la Convention
européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés
fondamentales. La Cour européenne a conclu que « [l]es châtiments
corporels infligés par la justice impliquent, par leur nature même, qu’un être
humain exerce une violence physique à l’encontre d’un autre être humain.
En outre, il s’agit d’une violence institutionnalisée, c’est-à-dire, en l’espèce,
d’une violence autorisée par la loi, ordonnée par les autorités judiciaires de
l’État et exécutée par les autorités policières de l’État […] ». Ainsi, bien que
le requérant n’ait pas souffert d’effets physiques graves ou durables, son
châtiment — par lequel il a été traité comme un objet au pouvoir des autorités
38 Le Comité des droits de l'homme est parvenu à des conclusions similaires dans ses décisions relatives à des plaintes individuelles. Par exemple, dans l'affaire Ad c. Jamaïque, le Comité a estimé qu’en exécutant une peine de flagellation à l’aide de fouet tamarin, l’État partie avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Dans cette décision, le Comité des droits de l’homme a conclu que : « [q]uelle que soit la nature du crime qui doit être puni, aussi brutal soit-il, le Comité reste fermement convaincu que les châtiments corporels constituent des peines ou traitements cruels, innumains et dégradants, contraires à l’article 7 du Pacte ».
39 Ad c. Jamaïque, Communication n° 759/1997, Rapport du Comité des droits de l’homme, 13 avril 2000, CCPR/C/68/D/759/1997, 8 9.1.
— a constitué une atteinte aux droits que l’article 3 vise précisément à
protéger, à savoir la dignité et l'intégrité physique d’une personne ».*°
139. La Cour observe également que dans l'affaire Bi AH Av, une
communication concernant une plainte selon laquelle la condamnation de
huit étudiants au Soudan à des peines allant de vingt-cinq (25) à quarante
(40) coups de fouet violait l’article 5 de la Charte, la Commission a estimé
que « les individus, et en particulier le gouvernement d’un pays, n’ont pas
le droit d’infliger des violences physiques à autrui pour des infractions. Un
tel traitement, s’il était érigé en droit, équivaudrait à sanctionner la torture
cautionnée par l’État en vertu de la Charte et serait contraire à la nature
même de ce traité relatif aux droits de l’homme ».#*
140. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence, que trois facteurs
principaux sont pertinents pour déterminer s’il y a eu violation du droit à la
dignité, garanti par l’article 5 de la Charte.‘? Tout d'abord, il convient de
noter que l’article 5 ne comporte aucune disposition limitative. En d’autres
termes, l'interdiction des peines ou traitements cruels, innhumains et
dégradants est absolue. Deuxièmement, l’interdiction prévue à l’article 5 de
la Charte doit être interprétée de la manière la plus large possible afin de
garantir la protection contre les abus, qu’ils soient physiques ou mentaux.
Enfin, la souffrance personnelle et l’atteinte à la dignité peuvent prendre
diverses formes et leur évaluation doit toujours dépendre des circonstances
de chaque affaire.
141. La Cour note qu’en l'espèce, le tribunal de district a condamné le Requérant
à trente (30) ans de réclusion et à douze (12) coups de bâton. Elle note
également que la Haute Cour et la Cour d’appel connaissant de l’appel
interjeté par le Requérant, ont tous deux confirmé les conclusions du
tribunal de district dans leur intégralité. La Cour note également que, bien
#0 Tyrer c. Royaume-Uni, fond, Reg. n° 5856/72, A/26, [1978] CEDH 2.
41 Communication n° 236/2000, 8 42.
# An Aa Cg c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 13,
que le Requérant ait été condamné à douze (12) coups de bâton, le dossier
n’indique pas si la peine a été effectivement exécutée.
142. La Cour prend note du fait que la Constitution de l’État défendeur, en son
article 13(6)(e), proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou
dégradants. Cela étant, la Cour relève également, de manière non
exhaustive, les dispositions suivantes de la législation de l’État défendeur :
la loi sur les châtiments corporels, qui vise à « réglementer l’application des
châtiments corporels» ; les articles 25 et 28 du code pénal, qui
reconnaissent généralement les châtiments corporels comme une forme
légitime de châtiment ; les articles 131 et 131A du code pénal, qui
reconnaissent les châtiments corporels comme une forme légale de
condamnation pour viol ; et les articles 167 et 170 de la loi portant code de
procédure pénale, qui incluent également les châtiments corporels au
nombres des peines qu’un tribunal est autorisé à prononcer.
143. La Cour estime que l’existence de lois autorisant les châtiments corporels
est contraire à la Charte. En ce qui concerne particulièrement le Requérant,
la Cour estime que l’existence d’une telle loi crée la probabilité que le
châtiment puisse être exécuté, ce qui aurait pour effet d’accroître son
angoisse mentale et donc de porter encore plus atteinte à sa dignité. Dans
ces circonstances, la Cour accueille la demande du Requérant et considère
que sa condamnation à douze (12) coups de bâton a violé son droit à la
dignité, protégé par l’article 5 de la Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
144. La Cour relève qu’aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « [orsqu’elle
estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y
compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d'une
réparation ».
145. Conformément à la jurisprudence constante de la Cour, pour que des
réparations soient accordées, la responsabilité internationale de l’État
défendeur doit être établie au regard du fait illicite. Deuxièmement, le lien
de causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. En
outre, et lorsqu’elle est accordée, la réparation doit couvrir l’intégralité du
préjudice subi.
146. La Cour rappelle qu’il incombe au Requérant d’apporter des éléments de
preuve pour justifier ses allégations.‘® En ce qui concerne le préjudice
moral, la Cour a toujours considéré qu’il était présumé et que l’exigence de
preuve n’était pas stricte.“
147. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l'homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
148. Comme la Cour l’a déjà constaté, l’État défendeur a violé le droit du
Requérant à l’assistance judiciaire, ainsi que son droit à la dignité, garantis
par de l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d)
du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et par l’article 5 de
la Charte. La Cour en conclut que la responsabilité de l’État défendeur est
établie. Les demandes de réparation seront donc examinées à la lumière
de ces conclusions.
#3 Bd Bu et autres c. Rwanda (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RICA 680, 8 139 ; Voir également Be Bt Cb Cx c. Tanzanie (réparations)(13 juin 2014), 1 RICA 74, 8 40 ; Ab Cj Ah c. Cu Au (réparations) (3 juin 2016), 1 RICA 358, 8 15(d) ; et Ag c. Tanzanie (arrêt), supra, 8 97.
“ Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 136 ; Cs Bn c. Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 493, 8 55 ; An Aa Cg c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 13, 8 119 ; Bf Ck et autres c. Cu Au (réparations), 8 55.
#5 Cm Bl Co c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 209, 8 20. Voir également Ag c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 96.
A. Réparations pécuniaires
149. Le Requérant sollicite de la Cour qu’elle lui accorde des réparations
pécuniaires pour le préjudice matériel et moral qu’il estime résulter des
violations subies du fait du comportement de l’État défendeur.
150. En ce qui concerne le préjudice matériel, le Requérant demande à la Cour
d’ordonner à l’État défendeur de lui verser la somme de trente-six millions
(36 000 000) de shillings tanzaniens à titre de compensation pour la perte
de son emploi d’agent adjoint de sécurité du fait de la violation de ses droits.
Le Requérant affirme que son salaire mensuel s’élevait à cent cinquante
mille (150 000) shillings tanzaniens, et lui permettait de payer les frais de
scolarité de ses enfants. Il estime, pour avoir été victime pendant vingt (20)
ans, que son indemnisation devrait être calculée sur la base de son salaire
mensuel sur vingt (20) ans ou deux cent quarante (240) mois.
151. L'État défendeur soutient que cette demande est infondée. Il fait valoir que
le Requérant n’a produit aucun élément de preuve pour étayer son
affirmation selon laquelle il avait un emploi qui lui assurait un salaire
mensuel de cent cinquante mille (150 000) shillings tanzaniens. L'État
défendeur affirme, en outre, que le Requérant n’a pas apporté la moindre
preuve de l’existence d’un lien de parenté entre lui et les enfants présumés.
L'État défendeur soutient donc humblement que le Requérant n’a pas étayé
sa demande à cet égard et qu’il n’a donc pas droit à des réparations ni à
une quelconque indemnisation.
152. La Cour rappelle que lorsqu’un Requérant demande la réparation d’un
préjudice matériel, un lien de causalité doit non seulement exister entre la violation constatée et le préjudice subi, il doit également préciser la nature
du préjudice et en apporter la preuve.“é
153. La Cour note que le Requérant n’a pas démontré le lien entre la violation
de ses droits et la perte alléguée de revenus. Les demandes du Requérant
sont plutôt directement liées à sa condamnation et à son incarcération, que
la Cour de céans n’a pas jugées illégales.
154. La Cour rejette donc les demandes de réparation formulées par le
Requérant au titre du préjudice matériel.
ii. Préjudice moral
155. En ce qui concerne le préjudice moral, le Requérant demande à la Cour
d’ordonner à l’État défendeur de :
i. Lui verser douze millions (12 000 000) de shillings tanzaniens à titre de
compensation pour l’avoir maintenu en détention, après son arrestation,
pendant cinq jours sans lui fournir le moindre repas ;
it. Lui verser dix millions (10 000 000) de shillings tanzaniens à titre de
compensation du fait que son affaire n’a pas été jugée dans un délai
raisonnable ;
ii. Lui verser une indemnisation en raison du fait que ses enfants ont été
privés de scolarité après son arrestation par les agents de l’État
défendeur, ce qui est constitutif d’une violation de leur droit à l’éducation,
garanti par l’article 11(2)(3) de la Constitution de l’État défendeur ;
iv. Lui verser une indemnisation pour le préjudice causé par la perte de sa
maison à la suite de la violation de ses droits par l’État défendeur et, en
particulier, du fait que celui-ci ne lui a pas assuré le bénéfice d’une
assistance judiciaire.
(réparations), 8 20.
156. L’État défendeur soutient que le Requérant a été traité avec respect et
dignité pendant sa détention préventive. L'État défendeur soutient, en outre,
que l’allégation du Requérant selon laquelle, après son arrestation, il a été
maintenu en détention pendant cinq jours sans le moindre repas, est
formulée pour la première fois. L'État défendeur affirme que le Requérant
n’a jamais soulevé cette question nulle part d'autre, pas même dans sa
Requête au fond devant la Cour de céans. L’État défendeur estime, par
ailleurs, que si le Requérant avait soulevé cette question devant les
juridictions internes, les procédures nécessaires auraient été engagées
pour y remédier. L’État défendeur fait donc valoir que le Requérant ne peut
soulever de nouvelle allégation. I! demande donc à la Cour de ne pas y faire
droit et de la rejeter par voie de conséquence.
157. L’État défendeur ajoute que le Requérant a été jugé dans un délai
raisonnable et que sa demande d’indemnisation n’est donc pas fondée.
158. En ce qui concerne le préjudice moral allégué concernant les enfants du
Requérant qui auraient été exclus de l’école, l’État défendeur a déjà fait
valoir que le Requérant n’a pas démontré l’existence du lien de parenté
entre lui et ses enfants présumés et qu’il n’a donc pas étayé sa demande.
Il ne peut donc prétendre à une quelconque réparation ou indemnisation.
159. En ce qui concerne la perte alléguée par le Requérant de sa maison, l’État
défendeur maintient qu’aucun lien de causalité n’a été établi entre la
violation alléguée et le préjudice allégué. L'État défendeur soutient que le
fait pour le Requérant de n’avoir pas bénéficié d’une assistance judiciaire
n’est pas constitutif d’un déni de justice. Le Requérant a eu la possibilité
d'assurer lui-même sa défense. L’État défendeur affirme, en outre, que
même si le Requérant avait bénéficié d’une assistance judiciaire pour sa
défense, cela n’aurait en rien changé l'issue de l'affaire, à savoir la
reconnaissance de sa culpabilité par le Tribunal de première instance.
L’État défendeur fait également valoir que le Requérant n’a pas étayé son
affirmation selon laquelle sa maison avait été mise en vente et qu’il n’a, non
plus, joint un quelconque document prouvant qu’il était propriétaire de la prétendue maison et que celle-ci avait été vendue. L'État défendeur soutient
donc qu'aucune réparation ne devrait lui être versée.
160. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le préjudice
moral est présumé en cas de violation des droits de l’homme, et l’évaluation
du montant de la réparation y relative devrait se faire sur la base de l’équité,
en tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire.“
161. La Cour a établi que les droits du Requérant consacrés aux articles 5 et
7(1)(c) de la Charte, lus conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, ont
été violés. Le Requérant a droit à des réparations au titre du préjudice
moral, dans la mesure où il est présumé avoir subi un tel préjudice en raison
162. Au regard de ces circonstances et dans l'exercice de son pouvoir
discrétionnaire en toute équité, la Cour alloue donc au Requérant la somme
de trois-cent mille (300 000) shillings tanzaniens à titre de réparation du
préjudice moral qu’il a subi du fait des violations constatées.
B. Réparations non pécuniaires
i. Remise en liberté
163. Le Requérant demande à la Cour de rétablir la justice là où elle a été
bafouée, d’ordonner l’annulation de la déclaration de culpabilité et de la
peine prononcées à son encontre, ainsi que sa remise en liberté.
47 Ck et autres c. Cu Au (réparations), supra, $ 55 ; Co c. Rwanda (réparations), supra, $ 59 ; Aw c. Tanzanie (réparations), supra, 8 23.
#8 Aj c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 151.
164. L'État défendeur conclut au débouté. Se référant à la jurisprudence de la
Cour dans l'affaire Aq Cv AH Tanzanie, l’État défendeur fait valoir que
la remise en liberté d’un requérant ne peut être ordonnée que dans des
circonstances exceptionnelles ou impérieuses.
165. L'État défendeur affiime qu’en l’espèce, aucune circonstance très
particulière ou impérieuse n’a été établie. L'État défendeur déclare en outre
qu’il a été établi devant ses juridictions internes que le Requérant a commis
une infraction et qu’il n’a donc pas droit à la remise en liberté, à la restitution,
ni à une forme quelconque de réparation devant la Cour de céans.
166. En ce qui concerne la demande de remise en liberté, la Cour rappelle qu’elle
ne peut ordonner une telle mesure que dans des circonstances très
167. La Cour estime que la nature de la violation en l’espèce ne révèle aucune
circonstance qui laisserait penser que l'arrestation ou la condamnation du
Requérant était fondée sur des considérations arbitraires et que son
maintien en détention entraînerait un déni de justice.°° Le Requérant n’a
pas non plus démontré l’existence d’autres circonstances exceptionnelles
et impérieuses pouvant justifier l'ordonnance de sa remise en liberté.
168. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette cette demande.
ii. Garanties de non-répétition
169. Le Requérant demande également à la Cour de lui accorder toute autre
réparation que la Cour jugera nécessaire au regard des circonstances de
l’espèce.
#9 Cv AH Tanzanie (fond), supra, 8 157.
59 Ch c. Tanzanie (fond), supra, 8 101.
170. L'État défendeur demande, quant à lui, à la Cour d’ordonner toutes autres
mesures qu’elle estime justes et appropriées compte tenu des
circonstances de l’espèce.
171. L'État défendeur soutient, en outre que des changements sont en cours
avec l’adoption, en 2017, de la loi sur l’assistance judiciaire, qui a élargi le
champ d’application de l’assistance judiciaire dans le pays.
172. En ce qui concerne la violation de l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, relativement au droit du
Requérant à une assistance judiciaire, la Cour prend note de la mesure
prise par l’État défendeur pour adopter et mettre en œuvre la loi sur
l’assistance judiciaire de 2017 qui élargit le champ d'application de
l'assistance judiciaire dans le pays et félicite l’État défendeur pour une telle
mesure.
173. En ce qui concerne la violation de l’article 5 de la Charte et à la lumière des
conclusions de la Cour concernant les dispositions relatives aux châtiments
corporels dans les lois de l’État défendeur, la Cour ordonne à l’État
défendeur d’abroger les dispositions relatives aux châtiments corporels de
sa législation, notamment, sans toutefois s’y limiter, de son code pénal, de
son code de procédure pénale ainsi que la loi sur les châtiments corporels,
afin de les rendre conformes à l’interdiction de la torture et des peines ou
traitements cruels, innumains ou dégradants énoncée à l’article 5 de la
Charte.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
174. Le Requérant n’a pas conclu sur les frais de procédure.
175. Pour sa part, l’État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de
procédure à la charge du Requérant.
176. La Cour rappelle qu'aux termes de la règle 32(2)** de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais
de procédure ».
177. La Cour estime qu’il n’y a en l'espèce aucune raison de s’écarter du principe
posé par cette disposition. La Cour ordonne donc que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
X. DISPOSITIF
178. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
i. Rejette l'exception d’incompétence ;
i. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
ii. — Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
51 Article 30(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à ce
que sa cause soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à une
égale protection de la loi, garanti par l’article 3(2) de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à la
non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à ne
pas être soumis à un traitement inhumain et dégradant, protégé
par l’article 5 de la Charte, du fait de la condamnation à trente (30)
ans de réclusion ;
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à la dignité,
protégé par l’article 5 de la Charte, du fait du châtiment corporel
prononcée à son encontre ;
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à une
assistance judiciaire, garanti par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(d) du Pacte international relatif
aux droits civils et politiques, pour avoir omis de lui fournir une
assistance judiciaire gratuite.
À la majorité de neuf voix (9) pour et une voix (1) contre, le Juge Rafaâ
BEN ACHOUR ayant émis une opinion dissidente,
xi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant d’être
jugé dans un délai raisonnable, garanti à l’article 7(1)(d) de la
Charte.
À l’unanimité,
Sur les réparations Réparations pécuniaires
xii. Rejette les demandes de réparation formulées par le Requérant
au titre du préjudice matériel ;
xiii. Fait droit à la demande de réparation formulée par le Requérant
au titre du préjudice moral découlant des violations constatées et
lui alloue la somme de trois-cent mille (300 000) shillings
tanzaniens ;
xiv. Ordonne à l’État défendeur de verser la somme indiquée au point
(iii) ci-dessus, en franchise d'impôts, à titre de juste
compensation, dans un délai de six (6) mois à compter de la date
de notification du présent Arrêt, faute de quoi il sera tenu de payer
des intérêts moratoires calculés sur la base du taux en vigueur de
la Banque de Tanzanie pendant toute la période de retard
jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
Réparations non pécuniaires
xv. Rejette la demande du Requérant visant l’annulation de la
déclaration de culpabilité et de la peine prononcées à son
encontre, ainsi que sa remise en liberté ;
xvi. Ordonne à l’État défendeur d’abroger les dispositions relatives aux
châtiments corporels de sa législation, notamment, sans toutefois
s’y limiter, de son code pénal, de sa loi portant code de procédure
pénale ainsi que la loi sur les châtiments corporels, afin de les
rendre conforme à l’interdiction de la torture ainsi que des peines
ou traitements cruels, innumains ou dégradants, consacrée à
l’article 5 de la Charte.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xvii. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de notification du présent Arrêt, un
rapport sur la mise en œuvre des mesures qui y sont ordonnées et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que la Cour considère toutes ses décisions entièrement exécutées.
Sur les frais de procédure
xviii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président faite Frs
Ben KIOKO, Juge ; VE
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge MoN, > ,
Suzanne MENGUE, Juge ;
Chafika BENSAOULA, Juge ; GE
Blaise TCHIKAYA, Juge ge
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge Jp
Dennis D. ADJEI, Juge ; Me
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l’opinion
dissidente du Juge Rafaâ BEN ACHOUR est jointe au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce cinquième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt-trois,
en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 018/2017
Date de la décision : 05/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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