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05/09/2023 | CADHP | N°019/2020

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 05 septembre 2023, 019/2020


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AK AG Ax ET BAEDAN MXAJ B
RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE
REQUÊTE N° 019/2020
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
Faits de la cause
Violations alléguées
I RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
Sur l’exception d’incompétence personnelle
Sur l’exception d

’incompétence temporelle
Sur les autres aspects de la compétence 10
VI SUR LA RECEVABILITÉ ...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AK AG Ax ET BAEDAN MXAJ B
RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE
REQUÊTE N° 019/2020
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
Faits de la cause
Violations alléguées
I RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
Sur l’exception d’incompétence personnelle
Sur l’exception d’incompétence temporelle
Sur les autres aspects de la compétence 10
VI SUR LA RECEVABILITÉ 11 Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 12
Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
14
C. Sur les autres conditions de recevabilité 16
VII. SUR LE FOND 17 A. Violation alléguée du droit à l’information 18
B. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue 20
Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable 21
ii. Le droit à l’exécution d’une décision de justice 22
C. Violation alléguée du droit au respect de la dignité et l’interdiction de
toutes formes d’avilissement 23
D. Violation alléguée du droit à une égalité devant la loi 25
E. Violation alléguée du droit de jouir des droits et libertés 27
VIII. SUR LES RÉPARATIONS 28
A. Préjudice matériel 30 L’indemnité de purge des droits coutumiers et les intérêts de droits
ii. La compensation ………..…….….…….
iii. Les frais de procédures nationale s
iv. Les frais d’exécution des décisions et les dépens …
v. Les frais d’expert
vi. Le manque d’opportunité d’investir
B. Le préjudice moral...
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
X. DISPOSITIF ……....….….……csreresessescessares La Cour composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Modibo SACKO, Vice-
président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R.
CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B.
NTSEBEZA, Dennis D. ADJEI — Juges ; et de Robert ENO, Greffier.
En l'affaire :
AK AG Ax ET BAEDAN M'BOUKE FAUSTIN
Représentés par :
Me Alphonse VAN, avocat au Barreau de Côte d’Ivoire
Contre
RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE
Représentée par :
Madame Y Ae, épouse AL, Agent judiciaire du Trésor
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Les sieurs AK AG Ax et BAEDAN MXAJ B Zci-après
dénommés «les Requérants ») sont des ressortissants ivoiriens. Ils
allèguent la violation de leurs droits à la suite de l’expropriation d’une
parcelle de leur terre sise à Al.
2. La Requête est dirigée contre la République de Côte d'Ivoire (ci-après
désignée « l’État défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la « Charte ») l1 31 mars 1992 et au Protocole portant création d’une Cour africaine des
droits de l’homme et des peuples (ci-après désigné « le Protocole »), le 25
janvier 2004. L'État défendeur a également déposé, le 23 juillet 2013, la
Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole (ci-après désignée « la
Déclaration ») par laquelle il a accepté la compétence de la Cour pour
recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non
gouvernementales ayant le statut d’observateur auprès de la Commission.
Le 29 avril 2020, l’État défendeur a déposé auprès du Président de la
Commission de l’Union africaine l’instrument de retrait de sa Déclaration.
La Cour a jugé que ce retrait n’a aucun effet sur les affaires pendantes, ni
sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant la prise d'effet du
retrait, un an après le dépôt de l'instrument y relatif, soit le 30 avril 2021.!
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier qu’en 1980, l’État défendeur, par l'intermédiaire du
Service des Ventes Immobilières (SVI), a exproprié la famille Baedan d’une
parcelle de terre d’une superficie de quarante (40) hectares, quarante-
quatre (44) ares et soixante-deux (62) centiares, sise à, Bk Bz,
Al. Sur la parcelle de terre, l’État défendeur a procédé à la construction
du Centre Hospitalier Universitaire « CHU » de Yopougon en 1980, puis à
celle de la Cité Policière de la Brigade anti-Émeutes « Cité Policière BAE »,
en 1998.
4. Le 13 janvier 2003, à la suite d’une procédure en indemnisation initiée par
les Requérants, le Tribunal de première instance de Yopougon a fait droit à
la demande de ceux-ci et leur a accordé la somme de huit cent trente-neuf
1 Suy AH Bt At et autres c. République de Côte d'Ivoire (fond et réparations) (15 juillet 2020) 4 RJCA 411, 8 67 ; AI Bx Bq c. République du Rwanda (compétence) (03 juin 2016) 1 RICA 585, 8 69.
millions quatre cent quatre-vingt-huit mille (839 488 000) francs CFA pour
la purge de leurs droits coutumiers sur la parcelle de terre.
5. Sur appel interjeté par l’Agence de gestion foncière (ci-après désignée «
AGEF »)?, la Cour d'appel d'Abidjan, par arrêt du 13 juillet 2007, a
partiellement réformé le jugement du Tribunal de première instance de
Yopougon en procédant, de nouveau, au calcul du montant de l'indemnité
de purge des droits coutumiers des Requérants. La Cour d’appel a alors
réduit le montant de l'indemnisation qui était fixé à la somme de huit cent
trente-neuf millions quatre cent quatre-vingt-huit mille (839 488 000) francs
CFA pour le ramener à la somme de huit cent douze millions quatre cent
quatre-vingt-huit mille (812 488 000) francs CFA et a ordonné à l’AGEF de
verser ladite somme aux Requérants.
6. Le 9 avril 2009, la Cour suprême a rejeté le pourvoi en cassation formé par
l’AGEF contre l’arrêt de la Cour d’appel du 13 juillet 2007, lequel est devenu,
dès lors, définitif et exécutoire.
7. Les Requérants soulignent que jusqu’à la date de l’introduction de la
présente Requête, l’État défendeur n’avait pas exécuté l’arrêt de la Cour
d'appel. Par ailleurs, ils ajoutent, qu’à partir de 2002, l’État défendeur a
commencé à vendre à des tiers d’autres parcelles de leur terre différentes
de celle dont ils ont été expropriés.
B. Violations alléguées
8. Les Requérants allèguent la violation des droits suivants :
i. le droit de propriété, protégé par l’article 14 de la Charte ;
il. le droit d’être informés de leur droit à l'indemnisation après
expropriation, protégé par l’article 9 de la Charte ;
? L’Agence de gestion foncière (AGEF), créée sous la forme d’une société anonyme à participation financière publique majoritaire avec conseil d'administration, assure au nom et pour le compte de l’État et des Collectivités Territoriales la gestion du foncier urbain depuis le 6 mai 1999.
iii. le droit à ce que leur cause soit entendue, protégé par l’article 7 de la
Charte;
iv. le droit au respect de leur dignité et l'interdiction de toutes formes
d’avilissement, protégé par l’article 5 de la Charte ;
v. le droit de tous les citoyens à une égalité devant la loi, protégé par
l’article 3 de la Charte ; et
vi. le droit à la non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
9. La Requête a été déposée au Greffe le 15 mai 2020 et communiquée à
l’État défendeur, le 30 juin 2020.
10. Le 29 septembre 2021, la Cour a informé l’État défendeur qu’à défaut de
réponse sur la Requête dans un délai de quarante-cinq (45) jours, la Cour
rendra un arrêt par défaut.
11. Par correspondance datée du 26 octobre 2021, l’État défendeur a affirmé
n’avoir jamais reçu la requête et a demandé qu’elle lui soit communiquée.
12. Le 1“ avril 2022, la Cour a rendu en l’affaire une ordonnance de rabat du
délibéré qui fut notifiée aux parties le 8 avril 2022. Le même jour, le Greffe
a notifié la Requête à l’État défendeur.
13. Le 22 juillet 2022, l’État défendeur a soumis son mémoire en défense qui a
été communiqué aux Requérants le 27 juillet 2022, pour leur réplique.
14. Les débats ont été clôturés le 4 mai 2023 et les Parties en ont dûment été
informées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
15. Les Requérants demandent à Cour de constater la violation de leurs droits
et de condamner l’État défendeur à leur payer la somme de de trente-trois
milliards neuf cent cinquante-cinq millions trois cent quarante et un mille
cent soixante et deux (33 955 341 162) francs CFA, ainsi répartie :
i. indemnité de purge des droits coutumiers allouée par la Cour d’appel
d’Al : huit cent douze millions quatre cent quatre-vingt-huit mille
(812 488 000) francs CFA ;
il. intérêts de droit sur l'indemnité de purge : quatre cent vingt-huit millions
quatre-vingt-quatorze mille sept cent quatre-vingt-neuf (428 094 789)
francs CFA ;
iii. compensation en numéraire des terres expropriées : vingt meuf milliards
trois cent quarante-neuf millions cent milles (29 349 100 000) francs
iv. réparation du préjudice matériel pour manque d’opportunités
d'investissement : deux milliards (2 000 000 000) francs CFA ;
v. réparation du préjudice moral : un milliard (1 000 000 000) francs CFA ;
vi. honoraires des avocats pour les recours internes : quatre-vingts millions
(80 000 000) francs CFA) ;
vii. honoraires des avocats pour le recours devant la Cour de céans :
quatre-vingts et deux millions six cent mille (82 600 000) francs CFA ;
Vi. honoraires de l’expert immobilier pour la détermination de la valeur
vénale des terrains : cent six millions deux cent mille (106 200 000)
francs CFA ; et
ix. frais d'exécution des décisions de justice ou dépens : quatre-vingt-seize
millions huit cent cinquante-huit mille trois cent soixante-treize
(96 858 373) francs CFA.
16. L'État défendeur demande à la Cour de :
i. se déclarer incompétente ratione personae à son égard et ratione
temporis à l’égard des violations des articles 9(1) et 14 de la
Charte ;
i. déclarer la Requête irrecevable pour non-épuisement des recours
internes et pour son introduction dans un délai déraisonnable ;
iii. dire et juger qu’il n’a violé aucun droit des Requérants ;
iv. rejeter les prétentions financières des Requérants et les débouter
de l’ensemble de leurs demandes comme étant mal fondées ; et
v. les condamner aux dépens.
V. SUR LA COMPÉTENCE
17. La Cour observe que l’article 3 du Protocole est libellé comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [..] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
18. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen
préliminaire de sa compétence …, conformément à la Charte, au Protocole
et au présent Règlement ».
19. Il ressort des dispositions susvisées que la Cour doit, dans chaque affaire,
procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer sur les
exceptions d’incompétence, le cas échéant.
20. En l’espèce, l’État défendeur soulève deux exceptions d’incompétence
l’une, personnelle et l’autre, temporelle. La Cour statuera sur ces deux
exceptions avant d’examiner les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence personnelle
21. L'État défendeur soutient qu’en principe, c’est la communication de la
Requête introductive d’instance qui lie l'instance. Or, dit-il, la présente
Requête lui a été communiquée, le 11 avril 2022, soit plus de onze mois
(11) mois après la date de prise d'effet du retrait de sa Déclaration
autorisant la Cour à recevoir les requêtes émanant des individus et des
ONG ayant statut d’observateurs auprès de la Commission. L’État
défendeur affirme que dans ces conditions, il n’est nullement concerné par
la présente procédure et demande à la Cour de décliner sa compétence
personnelle.
22. Les Requérants n’ont pas conclu sur cette exception.
23. La Cour rappelle qu’elle a jugé que le retrait de la Déclaration faite par l’État
défendeur en vertu de l’article 34(6) du Protocole n’a aucun effet, d’une part,
sur les affaires pendantes et d’autre part, sur les nouvelles affaires
déposées avant la date d’effet du retrait, soit un an après son dépôt, en
l'occurrence, le 30 avril 20213
24. La Cour rappelle qu’elle a aussi précisé que « la date butoir du 30 avril 2021
ne s'applique qu’à la date de dépôt d’une requête devant elle » et, par
conséquent, sa compétence personnelle est établie chaque fois qu’une
requête aurait été déposée à son greffe avant cette date.“ Ainsi, la
communication d’une requête après la date butoir n’a aucune incidence sur
la compétence personnelle de la Cour.
25. En l’espèce, la Cour relève que la présente Requête a été déposée au
greffe de la Cour le 15 mai 2020, soit onze (11) mois dix-sept (17) jours,
3 Suy Bi Gohoré et 3 autres c. Côte d'Ivoire, supra, 8 67.
4 Ai Bb Ap et An Ab c. République de Côte d'Ivoire, CAÏDHP, Requête n°015/2021, Arrêt du 22 septembre 2022 (fond et réparations), 8 20.
avant la date de prise d’effet du retrait de la Déclaration, fixée au 30 avril
2021.
26. Par conséquent, la Cour rejette l'exception soulevée par l'État défendeur et
considère que sa compétence personnelle est établie.
B. Sur l’exception d’incompétence temporelle
27. L'État défendeur soutient que les prétendues violations du droit de
propriété et du droit à l'information alléguées commises entre 1980 et 1998
sont antérieures à la date d’entrée en vigueur du Protocole à son égard. Il
ajoute qu’il en est de même des autres violations alléguées par les
Requérants et prétendument commises après la date du 25 janvier 2004.
28. Les Requérants n’ont pas conclu sur cette exception.
29. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence, qu‘elle n’a pas
compétence rationae temporis pour examiner les violations résultant d’un
fait « instantané et achevé » survenues avant l’entrée en vigueur du
Protocole à l’égard d’un État défendeur5 En l’espèce, la compétence
temporelle de la Cour n’est établie qu’en ce qui concerne les allégations de
violations commises après le 24 janvier 2004, date d’entrée en vigueur du
Protocole à l’égard de l’État défendeur, sauf si lesdites violations
continues.S Sous ce rapport, la Cour a constamment affirmé que même si
les violations alléguées ont commencé avant qu’un État défendeur ne
devienne partie à la Charte et au Protocole, sa compétence temporelle sera
5 Aj Am Ca c. République de Côte d'Ivoire, CATDHP, Requête n°34/2017, Arrêt du 02 décembre 2021 (fond et réparations), 8 34 ; Af Bs c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N°018/2018, Arrêt du 15 juillet 2020 (fond et réparations), 8 24 ; Bp Bi et autres c. As Az (fond) (28 mars 2014) 1 RICA 204, 88 67 et 68.
ë Am Ca c. Côte d'Ivoire, ibid, 8 32 ; Bi et autres c. As Az (fond), supra, 8 73.
établie pour les violations qui se sont poursuivies après que l’État défendeur
est devenu partie à ces deux instruments.”
30. En l’espèce, la Cour relève que l’État défendeur est devenu partie à la
Charte le 31 mars 1992. Partant de ce constat, la Cour observe qu’en 1980,
au moment de l’expropriation, l’État défendeur n’était tenu d’aucune
obligation en vertu de la Charte.
31. La Cour relève également que l’expropriation de la parcelle de terre des
Requérants qui est intervenue en 1980 est, étant donné sa nature, un acte
instantané puisqu'il ne s’est pas poursuivi après la date d’entrée en vigueur
du Protocole à l’égard de l’État défendeur, le 25 janvier 2004. La Cour
observe, en outre, que la décision d’expropriation prise en 1980 a
définitivement transféré la propriété de la parcelle à l‘État défendeur sans
qu’il ait lieu de considérer une certaine continuité de l’acte.
32. En conséquence, la Cour estime qu’elle n’a pas la compétence temporelle
pour examiner le droit de propriété des Requérants sur la parcelle de terre,
dans la mesure où l’expropriation est un acte instantané.
33. S'agissant des allégations du droit de propriété des Requérants sur la
parcelle de terre n’ayant pas fait l’objet d’expropriation et vendue à des tiers
par l’État défendeur en 2002, la Cour relève qu’à cette période, quand bien-
même l’État défendeur n’était encore partie au Protocole, ce différend a fait
l’objet d’une procédure judiciaire entre les parties devant le tribunal de
première instance d’Al qui a rendu son jugement le 16 février 2016.
La Cour estime que cette allégation de violation a un caractère continu et
conclut que sa compétence temporelle est établie.
34. Par ailleurs, s'agissant du droit au procès équitable et à une juste
indemnisation, il ressort du dossier que par arrêt du 13 juillet 2007, la Cour
d’appel d’Al a ordonné à l’État défendeur de payer aux Requérants la
7 Bs c. Tanzanie, supra, 8 24 ; Am Ca c. Côte d'Ivoire, supra, 8 33.
somme de huit cent douze millions quatre cent quatre-vingt-huit mille
(812 488 000) francs CFA à titre d’indemnité de purge de leurs droits
coutumiers sur la parcelle de terre dont ils ont été expropriés. La Cour note
qu’à la date d'introduction de la présente Requête, l’État défendeur ne s’est
pas encore acquitté du paiement de cette indemnité.
35. La Cour observe qu’en pareille circonstance, les droits des Requérants à
l'indemnisation, nés avant l’entrée en vigueur du Protocole et leur droit à
l’exécution de l’arrêt du 13 juillet 2007 revêtent un caractère continu aussi
longtemps que la créance demeurera inexécutée et qu'aucune instance
n’aura donné suite aux réclamations des Requérants.
36. En conséquence, la Cour rejette la deuxième branche de l’exception
d’incompétence temporelle et conclut qu’elle a compétence temporelle pour
connaître de la présente Requête, en ce qui concerne le droit de propriété
sur la parcelle de terre vendue à des tiers, le droit à ce que sa cause soit
entendue, le droit au respect de sa dignité, le droit à une égalité devant la
loi et le droit de jouir des droits et des libertés sans discrimination aucune.
C. Sur les autres aspects de la compétence
37. La Cour note que l’État défendeur ne conteste pas sa compétence
matérielle et territoriale. Toutefois, la Cour se doit de procéder à un examen
de sa compétence sur ces aspects et s'assurer que conformément à l’article
49(1) du Règlement la Requête est conforme aux conditions prescrites.
38. Ayant constaté qu’aucun élément du dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétence sur ces aspects, la Cour considère qu’elle a :
ii la compétence matérielle étant donné que les Requérants
allèguent la violation de leurs droits garantis et protégés par
la Charte, instrument auquel est partie l’État défendeur.
i. la compétence territoriale puisque les violations alléguées
par les Requérants sont survenues sur le territoire de l’État
défendeur.
39. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
40. Conformément à l’article 6(2) du Protocole, «la Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
41. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole, et au
[présent] Règlement ».
42. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, dispose comme suit :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b) Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Commission que la
procédure de ces recours se prolonge d’une façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
43. La Cour relève que dans la présente affaire l’État défendeur a soulevé deux
exceptions d’irrecevabilité de la Requête tirées du non-épuisement des
recours internes (A) et du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable (B).
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
44. L’État défendeur soutient que les Requérants soulèvent devant la Cour de
céans des violations de leurs droits qu’ils n’ont jamais invoquées devant les
juridictions nationales afin de lui donner l’opportunité d’y remédier. Il affirme
qu’au plan national, les Requérants ont saisi les juridictions nationales pour
voir ordonner la purge des droits coutumiers sur une parcelle de terre qu’ils
estiment leur appartenir alors que la présente Requête concerne des
prétendues violations qui auraient été commises au cours des procédures
internes devant la Cour Suprême et donc détachables de la demande de
purge des droits coutumiers.
45. L'État défendeur demande, par conséquent, à la Cour de déclarer la
Requête irrecevable pour non-respect de l’exigence posée à l’article 56(5)
de la Charte.
46. Les Requérants n’ont pas conclu sur ce point.
47. La Cour note que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, que reprend
en substance la règle 50(2)(e) du Règlement, les requêtes soumises devant
elle doivent satisfaire à l'exigence de l’épuisement des recours internes. La
Cour a également estimé que les recours internes à épuiser sont les recours
de nature judiciaire ordinaires. Ces recours doivent être disponibles, c'est-
à-dire qu’ils peuvent être utilisés sans obstacle par les Requérants ;
efficaces et satisfaisants en ce sens qu’ils sont à même de donner
satisfaction au plaignant ou de nature à remédier à la situation litigieuse®.
48. La question qui se pose dans la présente Requête est de savoir si les
Requérants auraient dû soulever devant les juridictions nationales,
certaines des violations alléguées devant la Cour de céans pour satisfaire
à l’exigence de l'épuisement préalable des recours internes.
49. La Cour relève que les violations alléguées devant elle se rapportent, les
unes, à la vente de la parcelle de terre non expropriée par l’État défendeur
et les autres à la procédure devant les juridictions nationales, en
l’occurrence la procédure d'indemnisation des Requérants.
50. S’agissant des allégations de cession de la partie de terre non expropriée à
des tiers, la Cour note qu’après le jugement rendu le 16 février 2016 par le
Tribunal de première instance d’Al en défaveur des Requérants, ceux-
ci n’ont pas interjeté appel. La Cour conclut que sur ce point, les Requérants
n’ont pas épuisé les recours internes.
51. S'agissant des violations alléguées qui se rapportent à la procédure devant
les juridictions nationales, la Cour note qu'après l'arrêt du 13 juillet 2007
rendu par la Cour d’appel d’Al, l’'AGEF s'est pourvue en cassation
devant la Cour Suprême qui a rejeté ledit pourvoi, par arrêt du 9 avril 2009.
8 Bs c. Tanzanie, supra, 8 36 ; Bn Ar et autres c. République du Rwanda (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 680, 88 65 et 66.
9 Ai Bb et Ab c. Côte d'Ivoire, supra, 8 49 ; Bi et autres c. As Az (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 8 84.
52. Dans ces conditions, le litige qui opposait les Requérants à l’'AGEF a été
porté devant la plus haute instance judiciaire nationale qui a rendu une
décision en faveur des Requérants. Dès lors, ceux-ci n’avaient plus de motif
d’exercer un quelconque recours interne pour se conformer à l’exigence de
l’article 56(5) de la Charte.
53. En conséquence, la Cour accueille l'exception tirée du non-épuisement des
recours internes quant à l’allégation de vente de parcelles n’ayant pas fait
l’objet d’expropriation par l’État défendeur.
54. Quant aux allégations de violation du droit d’être informés de leur droit à
l'indemnisation après expropriation, du droit à ce que leur cause soit
entendue, du droit au respect de leur dignité et du droit à une totale égalité
devant la loi, la Cour rejette l’exception et conclut que la Requête satisfait à
l’exigence de l’épuisement des recours internes prévue à l’article 56(5) de
la Charte.
B. Exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
55. L'État défendeur soutient que, selon les déclarations des Requérants, les
violations alléguées auraient été commises pendant la période comprise
entre le 13 janvier 2003 et le 21 juin 2016. Pour l’État défendeur, le fait pour
les Requérants d’attendre près de quatre (04) ans pour introduire leur
requête constitue un délai très long et non raisonnable. I! demande donc à
la Cour de rejeter la Requête pour manquement à l’exigence posée à
l’article 56(6) de la Charte et à la règle 40(6) du Règlement intérieur de la
Cour.
56. Les Requérants n’ont pas conclu sur cette exception.
57. Il ressort du dossier que suite au rejet de son pourvoi en cassation par arrêt
du 9 avril 2009, l'AGEF a saisi le Garde des Sceaux, ministre de la Justice
de l’État défendeur aux fins de suspension de l’exécution de l'arrêt rendu le
13 juillet 2007 par la Cour d’appel afin que le litige soit réglé sur le
fondement de l’article 32 de la loi sur la Cour suprême."° Par ordonnance
du 14 décembre 2009, l’'AGEF a obtenu la suspension de l'arrêt de rejet
jusqu’à ce que le recours en règlement soit vidé au fond. Le 14 octobre
2010, le ministre de la Justice a instruit le Procureur général près la Cour
suprême de saisir les Chambres réunies de ladite Cour pour le Règlement.
58. Il ressort également du dossier que le Procureur général n’a donné aucune
suite aux instructions du ministre de la Justice et que, le 21 juin 2016, le
Président de la Cour suprême a déclaré caduque l’ordonnance de
suspension de l'exécution de l’arrêt du 9 avril 2009 qui a eu pour effet de
donner à l’arrêt de rejet du pourvoi en cassation son plein et entier effet.
59. La Cour de céans note qu’après cette décision de la Cour suprême, les
Requérants, constatant que l’arrêt rendu en leur faveur était alors devenu
exécutoire, ont, par lettre du 20 novembre 2017 donné ordre à payer à
l’AGEF la somme d’un milliard cinq cent cinquante-quatre millions quatre
cent quatre-vingt-six mille soixante-dix-neuf (1 554 486 079) francs CFA
représentant le montant alloué par la Cour d’appel majorée des intérêts de
droit, des frais d’huissier et des honoraires d’avocats. La Cour note
également que ledit ordre à payer n'ayant pas été exécuté, les Requérants
ont procédé à une saisie-exécution sur les comptes de l’AGEF, le 18 février
2019.
10 L'article 32 de la loi sur la loi n°97-243 du 25 avril 1997 modifiant et complétant la loi n°94-440 du 16 août 1994 déterminant la composition, l’organisation, les attributions et le fonctionnement de la Cour suprême dispose : « Lorsque le pourvoi en cassation est rejeté, la partie qui l'avait formé ne peut plus se pourvoir en cassation dans la même affaire, sous quelque prétexte et par quelque moyen que ce soit. Le procureur général près la Cour suprême sur réquisition qui lui en sera faite par l'autorité supérieure, peut saisir le Président de la Cour suprême lorsque l’exécution d’une décision est susceptible de troubler gravement l’ordre public, notamment en matière économique et social, aux fins de règlement. Les Chambres réunies de la Cour suprême, sur convocation du président et sous la présidence de celui-ci statuent sur les réquisitions du procureur général. La requête du procureur général au président de la Cour suprême suspend provisoirement l’exécution de la décision… » 60. La Cour observe que l’arrêt rendu le 09 avril 2009 par la Cour suprême, la
plus haute instance judiciaire du pays portait une créance en faveur des
Requérants et de ce fait, il ne peut pas leur être reproché d’avoir exercé les
voies d’exécution auxquelles ils ont eu recours jusqu’au 18 février 2019.
Ainsi, la date à prendre en considération pour le décompte du délai de
saisine de la Cour de céans est le 18 février 2019. À cet égard, la Cour
relève qu’elle a été saisie le 15 mai 2020. La Cour note qu’entre cette date
et la date du 18 février 2019, il s’est écoulé un (1) an et deux (2) mois vingt-
cinq (25) jours.
61. En tout état de cause, la Cour rappelle sa jurisprudence dans l’arrêt
Bw Bo Bv c. République du Bénin selon laquelle, lorsque
le délai en cause est relativement court, il y a lieu de considérer qu’il est
manifestement raisonnable. Dans de telles espèces, il n’y a pas lieu d’exiger
que le Requérant en apporte la preuve.**
62. En l’espèce, la Cour estime que la durée d’un (1) an deux (2) mois vingt-
cinq (25) jours est raisonnable.
63. L'’exception soulevée par l’État défendeur est donc rejetée. La Cour
considère donc que la Requête a été déposée dans un délai raisonnable.
C. Sur les autres conditions de recevabilité
64. La Cour note qu’aucune contestation n’a été soulevée concernant le respect
des conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c), (d), (e), (f) et (g) du
Règlement. Néanmoins, la Cour est tenue de s'assurer que ces conditions
sont remplies.
65. La Cour relève que les Requérants sont clairement identifiés, ce qui satisfait
à l’exigence de la règle 50(2)(a) du Règlement.
11 Bw Bo Bv c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 065/2019, Arrêt du 29 mars 2021 (fond et réparations), 88 86 et 87 ; Aw Au c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête no 058/2016, Arrêt du 13 juin 2023 (fond et réparations), 88 53-56.
66. La Cour relève également que les demandes formulées par les Requérants
visent à protéger leurs droits garantis par la Charte et par d’autres
instruments auxquels l’État défendeur est partie. Elle note, en outre, que
l’un des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine est la promotion et
la protection des droits de l'homme et des peuples. La Cour en conclut que
la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte puisqu'elle satisfait à l’exigence de l’article 50(2)(b) du Règlement.
67. La Cour souligne, en outre, que la Requête ne contient aucun terme
outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur, de ses institutions ou
de l’Union africaine ; ce qui la rend conforme à l’exigence de la règle
50(2)(c) du Règlement.
68. La Cour note, du reste, que les Requérants ont produit des pièces de
procédure comme éléments de preuve, établissant ainsi que la Requête
n’est pas fondée des nouvelles diffusées par les moyens de communication
de masse. La Requête satisfait donc à l’exigence de la règle 50(2)(d) du
Règlement.
69. Par ailleurs, la Cour constate que la Requête ne concerne pas une affaire
qui a déjà été réglée conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l'Union africaine ou des dispositions de la
Charte.
70. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que toutes les conditions de
recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte, telles que reprises à la
règle 50(2) du Règlement sont remplies et déclare la Requête recevable.
VII. SUR LE FOND
71. Les Requérants allèguent la violation, par l’État défendeur, de leur droit
d’être informés de leur droit à l'indemnisation après expropriation, du droit à ce que leur cause soit entendue, du droit au respect de leur dignité et
l'interdiction de toutes formes d’avilissement, le droit de tous les citoyens à
une égalité devant la loi, et du droit de jouir des droits et libertés. La Cour
examine ces allégations successivement.
A. Violation alléguée du droit à l’information
72. Les Requérants soutiennent que selon le décret 96-884 du 25 octobre 1996,
la purge des droits coutumiers comporte deux composantes, à savoir
l'indemnisation en argent ou en nature, d’une part et la compensation,
d'autre part. Ils soutiennent qu’au moment des négociations pour un
règlement amiable de l'affaire, l’État défendeur aurait dû les informer qu’en
plus de leur droit à l'indemnisation, ils avaient également droit à une
compensation, ce qui selon eux, leur aurait permis de mieux évaluer leurs
droits. Les Requérants affirment qu’en s'abstenant de les informer de la
plénitude de leurs droits, l’État défendeur a violé leur droit d’être informés,
protégé par l’article 9(1) de la Charte.
73. L'État défendeur fait valoir que l’obligation d’informer prévue à l’article 9(1)
de la Charte signifie que l’État ne doit pas mettre des entraves à l’accès à
l'information. Il soutient qu’après la signature du décret n°96-884 du 25
octobre 1996, il a été publié au journal officiel et qu’il appartenait aux
Requérants d’en prendre connaissance pour la détermination de leurs
droits. L'État défendeur prie la Cour de rejeter cette allégation.
74. L'article 9 (1) de la Charte dispose comme suit :
1. Toute personne a droit à l'information 75. La Cour observe que le droit à l'information, protégé par l’article 9(1) de la
Charte repose sur le principe de connaissance, de réception, d’accès et de
diffusion les informations souvent nécessaires pour promouvoir les autres
droits ou les exercer. Il implique ainsi l’obligation proactive pour celui qui
détient l'information de la rendre publique afin de permettre aux individus
d'évaluer la qualité de leurs actes.!?
76. En l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir si au moment de
l’évaluation des droits de purge, l’information sur les droits à indemnisation
et à la compensation était ou non disponible et accessible aux Requérants
pour leur permettre d'évaluer, sans se tromper, leurs droits garantis par le
décret n° 96-884 du 25 octobre 1996.
77. La Cour note que le décret n° 96-884 du 25 octobre 1996 sur les droits de
purge a été publié au journal officiel le 14 novembre 1996. La Cour note
également que le montant de la purge des droits des Requérants a d’abord
été fixé par le Tribunal de première instance de Yopougon dans son
jugement du 13 janvier 2003 au bout d’une procédure judiciaire où les
Requérants étaient assistés de deux avocats. À cet égard, la Cour fait
remarquer qu’entre la date de publication du décret du 25 octobre 1996 et
le jugement du Tribunal de première instance de Yopougon, il s'est écoulé
au moins une période de sept (7) ans. La Cour estime que l'information que
les Requérants réclament étaient disponible et accessible à tous,
notamment à leurs avocats, qu’il n’est plus nécessaire de tenir l’État
défendeur responsable des conséquences de la non-invocation de leur droit
à la compensation devant les juridictions nationales.
78. Par conséquent, la Cour considère que l’État défendeur n’a pas violé le droit
des Requérants à l'information, protégé par l’article 9(1) de la Charte.
12 AI Bx Bq c. République du Rwanda (fond) (2017) 2 RICA 171, 8 132.
B. Violation alléguée du droit à ce que leur cause soit entendue
79. Les Requérants allèguent qu'après la décision judiciaire rendue en leur
faveur le 13 juillet 2007 et le rejet du pourvoi en cassation intenté par
l'AGEF, le 9 avril 2009, l’État défendeur s’est investi dans une série d'actes
dans le but de faire échec à l’exécution de la décision qui reconnaissait leur
droit à indemnisation. Ils soutiennent que l’inexécution de la décision
judiciaire qui leur accordait une indemnité de huit cent douze millions quatre
cent quatre-vingt-huit mille (812 488 000) francs CFA est imputable à l’État
défendeur dont les agents en l’occurrence le Procureur général, n’ont rien
fait pendant plus de sept (7) ans pour provoquer une décision des chambres
réunies de la Cour Suprême sur la demande de l’'AGEF.
80. Les Requérants affirment que, quand bien même ils n’étaient pas
demandeurs à ce stade de la procédure, ils auraient voulu défendre leur
cause devant les chambres réunies de la Cour Suprême dans un délai
raisonnable, puis, passer à l'exécution de l’arrêt du 13 juillet 2007. Ils prient
la Cour de constater la violation de leur droit d’être jugés dans un délai
raisonnable et à l'exécution d’une décision rendue en leur faveur protégés
par l’article 7 de la Charte.
81. L'État défendeur soutient que la saisine du Président de la Cour Suprême
par le Procureur général près ladite Cour aux fins de règlement, sur le
fondement de l’article 32 de la Loi sur la Cour suprême, est une faculté et
n'est assortie d’aucun délai. || affirme que le fait pour le Procureur général
de ne pas saisir le Président de la Cour suprême pour convoquer les
Chambres réunies ne peut être considéré comme une violation des droits
des Requérants, puisqu’en 2016 ils ont obtenu la décision qui a déclaré
caduque la demande de suspension de l’exécution de l'arrêt du 9 avril 2009.
82. La Cour observe que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ainsi que
celui à l’exécution d’une décision constitue deux aspects du droit à ce que
sa cause soit entendue garanti à l’article (7)(1) de la Charte. La Cour les
examine successivement.
i. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable
83. La Cour rappelle qu’elle a établi que la prolongation indue d’une procédure
est contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 7(1)(d) de la Charte et
lorsqu’elle est saisie d’une allégation de violation du droit d’être jugé dans
un délai raisonnable, son analyse tient compte de la nature et des
circonstances propres à chaque affaire.
84. À cet effet, la Cour tient compte, en particulier, de la complexité de l’affaire
ou de la procédure y relative, du comportement des parties elles-mêmes
pour examiner si celles-ci ont apporté leur concours à la célérité de ladite
procédure. La Cour examine, également, le comportement des autorités
judiciaires pour déterminer si elles n’ont pas « affiché une passivité ou une
négligence certaine »** ainsi que l’enjeu du litige pour les Parties.
85. En l’espèce, la Cour relève qu’après la suspension des effets de l'arrêt de
rejet du pourvoi exercé par l’AGEF, le ministre de la Justice a, par lettre du
14 octobre 2010, instruit le Procureur général près la Cour suprême de
saisir les Chambres réunies de ladite Cour pour un règlement. La Cour note
également que le Procureur général n’a jamais entamé la procédure de
convocation des Chambres réunies jusqu’à la date du 21 juin 2016, date à
laquelle sur saisine des Requérants, le Président de la Cour suprême a
déclaré caduque l’ordonnance de suspension de l’exécution de l’arrêt du 9
avril 2009.
13 Bl Ay c. République-Unie de Tanzanie, AfCHPR, Requête N°024/2017, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 8 66, Bm Bb et Ac Aq c. République du Mali, (compétence et recevabilité) (2018) 2 RICA 246, 8 38 ; Ad By c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 73 ; Bp Bi et autres c. As Az (fond) surpa, 8 92.
86. La Cour estime qu’une durée de cinq (5) ans, huit (8) mois et sept (7) jours,
passée sans que le Procureur général ait mis en œuvre la procédure de
saisine des Chambres réunies est une durée anormalement longue pour
cette procédure puisque l’article 32 de la Loi sur la Cour suprême ne pose
aucune exigence qui rendrait la procédure complexe de manière à justifier
cette durée .
87. La Cour considère, en conséquence, que l’État défendeur a violé le droit
des Requérants d’être jugés dans un délai raisonnable garanti à l’article
7(1)(d) de la Charte.
ii. Le droit à l’exécution d’une décision de justice
88. La Cour observe que, même si l’article 7(1) de la Charte n’énonce pas
expressément le droit à l'exécution d’une décision de justice, un tel droit
découle des exigences du procès équitable. La Cour se réfère à cet égard
aux principes F(2)(g) et P(f)(5) des Directives et Principes sur le droit à un
procès équitable adoptés par la Commission africaine des droits de
l’homme et des peuples aux termes desquels, les autorités juridictionnelles
des États parties ont l’obligation de garantir la supervision de l’exécution
des décisions de justice et d'éviter les délais inutiles dans l'exécution des
décisions accordant réparation aux victimes.!*
89. La Cour note qu’après le rejet du pourvoi de l'AGEF contre l’arrêt de la Cour
d'appel du 13 juillet 2007, celui-ci était exécutoire et les Requérants étaient
en droit d'exiger le paiement à leur profit de la somme de huit cent douze
millions quatre cent quatre-vingt-huit mille (812 488 000) francs CFA.
90. La Cour note également, qu’à cause de l’inaction du Procureur général, les
Requérants ont dû attendre plus de cinq (5) ans jusqu’à la décision qui a
rendue caduque la suspension de l'exécution de l’arrêt du 13 juillet 2007
pour entamer, sans suite satisfaisante, le processus de réclamation de leur
14 Directives et Principes sur le Droit à un Procès Équitable et à l’Assistance Judiciaire en Afrique, 1999.
créance. La Cour estime que cette situation a contribué à l’inexécution de
l’arrêt de la Cour d’appel du 13 juillet 2007 et donc, au non-paiement de la
créance des Requérants sur l'AGEF, entre temps, devenue insolvable.
91. En conséquence, la Cour conclut que l’État défendeur a violé le droit des
Requérants à l’exécution d’une décision de justice, protégé par l’article 7(1)
de la Charte.
C. Violation alléguée du droit au respect de la dignité et l’interdiction de
toutes formes d’avilissement
92. Les Requérants soutiennent que le fait pour l'État défendeur de leur
opposer de nombreuses difficultés contre le paiement de leurs droits
reconnus par la loi et liquidés par les juridictions est une atteinte à leur
dignité. Ils ajoutent que le comportement de l’État défendeur constitue une
forme d'avilissement et de torture morale à leur égard puisque cette
situation les traumatise et les déprime gravement. Pour les Requérants,
l’inexécution de la décision du 9 avril 2009 depuis plus de treize (13) ans
est une forme de torture morale et une atteinte à leur dignité. Ils soutiennent
que certains membres de la famille sont morts dans cette très longue
attente.
93. L'État défendeur conclut au débouté. Il soutient que les Requérants ne
peuvent pas le tenir responsable des prétendues atteintes à leur dignité en
lieu et place de l’'AGEF qui n’a fait qu’user des procédures légales pour
contester une décision judiciaire.
94. L'article 5 de la Charte dispose comme suit :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne et
à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes formes
d'exploitation et d’avilissement de l'homme, notamment l’esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale et les peines ou
traitements cruels, innumains ou dégradants sont interdits.
95. La Cour rappelle qu’elle a établi que pour apprécier si le droit au respect de
la dignité inscrit à l’article 5 de la Charte a été violé, elle tient compte de
trois facteurs principaux. Le premier est que l’article 5 ne comporte aucune
clause restrictive. L'interdiction de l'atteinte à la dignité à travers un
traitement cruel, inhumain et dégradant est donc absolue. Selon le
deuxième facteur, cette interdiction doit être interprétée comme visant la
protection, la plus large possible, contre les abus physiques ou
psychologiques. Troisièmement, la souffrance personnelle et l’atteinte à la
dignité peuvent prendre diverses formes et leur appréciation dépend des
circonstances de chaque affaire.!*
96. La Cour estime, en outre, que les actes d’exploitation, d’avilissement, de
tortures, de traitements cruels, inhumains ou dégradants qui portent atteinte
à la dignité humaine doivent atteindre un certain niveau de gravité et avoir
pour but et effet de causer à la victime des souffrances aigues ou une
humiliation qui amène celle-ci à avoir honte.!$ La distinction repose donc
sur la différence de l'intensité de la douleur ou le seuil de souffrance
intolérable infligée intentionnellement à la victime.!”
97. En l'espèce, les Requérants ne démontrent pas comment le non-paiement
du montant de l'indemnisation de purge de leurs droits était pour eux une
source d’humiliation, de honte ou de douleur aigue de nature à briser leur
résistance physique ou morale. Ils ne démontrent pas, non plus, comment
le décès allégué des membres de la famille était lié à ce non-paiement de
l'indemnité qui leur était allouée par la justice.
15 Ao Aa Bf c. République Unie de Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 13, 8 88 ; Voir aussi Ak Bc C Br, Communication No. 97/93 (2000) AHRLR 30 (CADHP 2000), para 91.
16 Bw Bo Bv c. République du Bénin (fond) (2019) 3 RICA 136, 8 254. Voir aussi Bh Bd Ah C Bj, Communication No. 224/98 (2000) AHRLR 262 (CADHP) 2000), para 71.
98. La Cour considère, par conséquent, que l’État défendeur n’a pas violé le
droit des Requérants au respect de leur dignité, protégé par l’article 5 de la
Charte.
D. Violation alléguée du droit à une égalité devant la loi
99. Les Requérants s'appuient sur la loi no.71.-340 du 12 juillet 1971 et son
décret d'application no.71-341 du 12 juillet 1971 sur l’expropriation et le
décret n°2013-224 du 22 mars 2013 et font valoir qu’ils ont été discriminés
par rapport à d’autres citoyens ayant fait l’objet d’expropriation de la part de
l’État défendeur. Ils citent, en exemple, le cas des propriétaires des terres
ayant servi à la construction du barrage hydraulique de Soubré ainsi que
ceux des terres ayant servi à la construction du quatrième pont sur la lagune
Ebrié à Al et affirment que ceux-ci ont été relogés sur d’autres terres
et ont reçu les montants de l'indemnisation avant la réalisation des travaux
de construction.
100. Les Requérants affirment qu’en ce qui les concerne, l’État défendeur n'a
procédé ni à leur indemnisation, ni à leur recasement préalables. Les
Requérants demandent à la Cour de constater qu’ils ont été traités
différemment que d’autres se trouvant dans une situation analogue par
l’État défendeur qui a ainsi violé l’article 3 de la Charte.
101. L'État défendeur soutient que la situation des Requérants n’est pas
assimilable à une procédure d’expropriation mais plutôt relative à
l’exécution d’une décision de justice. Il soutient, en outre, que la procédure
d’expropriation prévue par les textes a été appliquée à tous ceux qui ont été
impactés par les investissements étatiques qui ont été indemnisés selon les
procédures en vigueur.
102. La Cour rappelle que l’égale protection de la loi et la non-discrimination
suppose que la loi dispose pour tous et qu’elle s'applique à tous de la même
manière sans discrimination. Elle rappelle aussi que l’égale protection de la
loi et l’égalité devant la loi suppose que des personnes se trouvant dans
une situation semblable ou identique aient été traitées différemment.!ê
103. En l'espèce, la Cour relève que l’expropriation des Requérants est
intervenue en 1988 sous la loi n°71-340 du 12 juillet 1971 et son décret
d'application n°71-341 du 12 juillet 1971 tandis que les situations auxquelles
ils comparent leur cas sont intervenues ultérieurement, en décembre 1997
et en mars 2020, en application du décret n°96-884 du 25 octobre 1996.
Sur ce point, la Cour estime que les conditions d’expropriation des
Requérants ne sont pas identiques à celles auxquelles ils comparent les
leurs, puisque le décret n°71-341 du 12 juillet 1971, contrairement au décret
n° 96-884 du 25 octobre 1996 ne prévoyait pas de disposition expresse sur
la purge des droits coutumiers.
104. S'agissant de la purge des droits coutumiers sur les terres expropriées, la
Cour relève qu’après le décret n°96-884 du 25 octobre 1996, la Commission
administrative, prévue à l’article 5 dudit décret et chargée d'identifier les
terres expropriées et leurs détenteurs afin de déterminer les indemnités et
compensations, a engagé des pourparlers avec les Requérants en vue de
leur indemnisation. Le 13 janvier 2003, le Tribunal de première instance de
Yopougon a rendu son jugement et a fixé le montant de leur indemnisation.
105. La Cour fait observer que même si les Requérants n’ont pas été indemnisés
avant les constructions de 1988, par la suite ils ont été indemnisés après le
décret de 1996, sur la base des dispositions de ce décret.
106. En conséquence, la Cour considère que l’État défendeur n’a pas violé les
droits des Requérants à une totale égalité devant la loi et le droit à une
égale protection de la loi, protégés par l’article 3 de la Charte.
2 RICA 226, 8 85.
E. Violation alléguée du droit de jouir des droits et libertés
107. Les Requérants allèguent que non seulement l’État défendeur leur « a pris
de force » leurs terres en les empêchant de les mettre en valeur ou de les
vendre, mais aussi, il refuse de payer la somme de l'indemnité qui leur est
allouée par la justice après l’échec de toutes les tentatives pour se
soustraire à l’obligation de payer ladite somme. Ils soutiennent que de tels
agissements équivalent à une violation de l’article 2 de la Charte.
108. L'État défendeur soutient que les Requérants ont obtenu de la justice la
contrepartie de l’expropriation de leurs terres en leur accordant une juste
indemnité de huit cent douze millions quatre cent quatre-vingt-huit milles
(812 488 000) francs CFA. Pour l’État défendeur, les Requérants ont eu
toute la latitude pour faire exécuter la décision de justice rendue en leur
faveur puisqu’ils ont, le 18 février 2019, opéré une saisie-attribution de
créance sur les comptes de l’AGEF. L'État défendeur demande à la Cour
de rejeter cette prétention des Requérants.
109. L'article 2 de la Charte dispose :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune,
notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation.
110. La Cour rappelle qu’elle a déjà estimé que l’article 2 de la Charte interdit
strictement toute distinction, toute exclusion ou préférence fondée sur la
race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’origine nationale ou sociale, qui a pour effet d’annuler ou de compromettre l’égalité de chances
ou de traitement dans la jouissance des droits. La Cour a également estimé
que le droit de ne pas être discriminé est lié aux droits à une totale égalité
devant la loi et à une égale protection de la loi, protégés par l’article 3 de
111. La Cour observe que dans la présente affaire et contrairement aux
allégations des Requérants, elle a relevé que l’expropriation en cause a été,
en fin de compte, suivie d’une indemnisation au terme d’une procédure
judiciaire à laquelle ils ont pris part. La Cour rappelle également qu’elle a
jugé que l’État défendeur n’a pas violé les droits des Requérants à une
totale égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, protégés par
l’article 3 de la Charte.
112. Par conséquent, la Cour n'ayant relevé aucun traitement discriminatoire à
l’égard des Requérants dans la jouissance de leurs droits, elle considère
que l'État défendeur n’a pas violé l’article 2 de la Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
113. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de leur
payer l'indemnité de purge des droits coutumiers majorée des intérêts de
droit, une compensation en numéraire, les frais de procédures devant les
juridictions nationales ainsi que la réparation du préjudice moral subi.
114. L'État défendeur, quant à lui, demande à la Cour de rejeter les demandes
de réparations formulées par les Requérants.
19 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (2017) 2 RICA 9, 88 137 et 138.
115. L'article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
116. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, « pour examiner les
demandes en réparation des préjudices résultant des violations des droits
de l’homme, elle tient compte du principe selon lequel l’État reconnu auteur
d’un fait internationalement illicite a l’obligation de réparer intégralement les
conséquences de manière à couvrir l’ensemble des dommages subis par la
117. En l'espèce, la Cour a jugé que l’État défendeur a violé les droits des
Requérants protégés par l’article 7(1)(d) de la Charte.
118. La Cour rappelle également que les réparations doivent « … autant que
possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état
qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis ».?!
119. La Cour souligne que les mesures qu’un État peut prendre pour réparer une
violation des droits de l’homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
chaque affaire ».??
120. La Cour rappelle qu’en matière de préjudice matériel, il est de principe qu’il
doit exister un lien de causalité entre la violation établie et le préjudice subi
20 Bg Bu c. République-Unie de Tanzanie, (réparations) (2019) 3 RICA 349, 8 19 ; Ad By c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (2019) 3 RICA 299, 8 11 ; Ao Aa Bf c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 13, 8 19 ; AI Bx Bq c. République du Rwanda (réparations) (2018) 2 RICA 209, 8 19.
21 Bu c. Tanzanie (réparations), supra, 8 20 ; By c. Tanzanie (réparations), supra, 8 12 ; Bq c. Rwanda (réparations), supra, 8 20 ; Bf c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 118. 2? Bu c. Tanzanie (réparations), supra, 8 21 ; By c. Tanzanie (réparations), supra, 8 13 ; Bq c. Rwanda (réparations), supra, 8 20.
par le requérant et qu’il incombe à celui-ci de fournir des éléments de
preuve pour justifier ses demandes.?*
121. En outre, la Cour a constamment considéré que s'agissant du préjudice
moral, il n’est pas nécessaire de le prouver, puisque qu’en cas de violation
constatée, des présomptions sont faites en faveur du requérant et que la
charge de la preuve contraire incombe à l’État défendeur.
122. C’est à la lumière de cette jurisprudence constante que la Cour examinera
les demandes de réparation formulées par les Requérants.
A. Préjudice matériel
123. Les Requérants demandent à la Cour de leur accorder des réparations pour
le préjudice matériel comme suit: l’indemnité de purge des droits
coutumiers majorée des intérêts de droits (i), une compensation en
numéraire (ii), les frais de procédure dans les procédures internes (iii), les
frais d’exécution des décisions de justices (iv) et les frais d’expert (v).
ii L’indemnité de purge des droits coutumiers et les intérêts de droits
124. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l'État défendeur de leur
payer la somme nette de huit cent douze millions quatre cent quatre-vingt-
huit mille (812 488 000) francs CFA représentant l'indemnité de purge des
droits coutumiers qui leur était allouée par la Cour d’appel d’Al en 2007
et confirmé par la Cour suprême en 2009.
125. Par ailleurs, les Requérants font valoir, qu’en droit ivoirien, la loi autorise
tout plaideur à demander qu’un intérêt de droit soit appliqué à une somme
d'argent qui lui est acquise et dont le débiteur a retardé le paiement, soit
par décision de justice, soit de toute autre manière. Ils prient donc la Cour
23 Révérend Christopher R. Cb c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 40 ; Av Be Ba c. As Az (réparations) (3 juin 2016), 1 RICA 358, 8 15. Bu c. Tanzanie (réparations), supra, 8 22 ; By c. Tanzanie (réparations), supra, 8 14.
d’ordonner à l’État défendeur de leur payer, en sus du montant de
l'indemnité de purge des droits coutumiers, la somme de quatre cent vingt
-huit millions quatre-vingt-quatorze mille sept cent quatre-vingt-neuf (428
094 789) francs CFA représentant le montant total des intérêts moratoires
calculés sur la base du taux d’escompte de la Banque centrale des États
de l’Afrique de l'Ouest (BCEAO) pour la période de 2007 à 2020, date de
soumission de la présente Requête.
126. La Cour rappelle, qu’en l’espèce elle a conclu que l’État défendeur, par ses
agissements et son inertie qui ont eu pour conséquence le non-paiement
de l'indemnité de purge des droits coutumiers sur les terres expropriées, a
violé le droit des Requérants à l’exécution d’une décision de justice. La Cour
note également que le montant de ladite indemnité était fixé à la somme
huit cent douze millions quatre cent quatre-vingt -huit mille (812 488 000)
francs CFA tel qu’il ressort des affirmations des Requérants, confirmé par
l’État défendeur et mentionné sur les copies des arrêts de la Cour d’appel
d’Al et de la Cour suprême.
127. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur devrait
exécuter l'arrêt de la Cour d'appel du 13 juillet 2007 et payer aux
Requérants la totalité du montant de la purge de leurs droits coutumiers.
128. S'agissant des intérêts de retard, la Cour observe que le défaut de paiement
d’une créance dans les délais, oblige le débiteur à payer, en plus de la
créance principale, des intérêts moratoires calculés sur la base du taux
d’escompte de la Banque Centrale, en l'occurrence la BCEAO. Ainsi, « en
cas de condamnation au paiement d'intérêt au taux d’intérêt légal, celui-ci
est majoré de moitié [...] à compter du jour où la décision de justice est
devenue exécutoire ».?* Dans la présente affaire, la Cour estime que les
24 Voir l’article 2 de la loi n°77-523 du 30 juillet 1977 modifié par la loi n°2005-555 du 2 décembre 2005 portant fixation du taux d'intérêt légal, limitation du taux d’intérêt conventionnel et répression des opérations usuraires.
intérêts moratoires dus aux Requérants par l’État défendeur courent à
compter du 9 avril 2009, date de rejet du pourvoi contre l’arrêt de la Cour
d’appel, rendant celui-ci exécutoire jusqu’à la date du présent arrêt.
129. La Cour note, en outre, qu’entre 2009 et 2023, le taux d’escompte de la
BCEAO a varié comme suit : 3,75% pour les années 2009, 2015 à 2017 ;
3,72% pour les années 2010 et 2011 ; 3,55 pour les années 2012-2013-
2014-2018 ; 4,505% pour 2019 -2020 et 2021 ; 4% en 2022-2023. Ces
différents taux d'intérêt appliqués à la créance de 812 488 000 francs CFA
impliquent une majoration de la moitié des intérêts soit la somme de deux
cent trente-cinq millions trois cent soixante et six mille huit cent cinq
(235 366 805) francs CFA.
130. En conséquence, la Cour estime que les Requérants ont droit au paiement
de la somme de deux cent trente-cinq millions trois cent soixante et six mille
huit cent cinq (235 366 805) francs CFA au titre des intérêts de retard sur
la créance principale.
ii. La compensation
131. Les Requérants soutiennent que la purge des droits coutumiers sur leur
terre n’a pris en compte que l'indemnisation sans considérer leur droit à
compensation qui doit être déterminé en fonction de leur niveau
d'équipement futur, conformément à l’article 6 du décret n° 2013-224 du 22
mars 2013. Ils soutiennent qu’à dire d’expert, la valeur actuelle desdites
terres est en moyenne de cent mille (100 000) francs CFA, le mètre carré.
Ils demandent, ainsi, à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de leur payer
la somme de vingt-neuf milliards trois cent quarante-neuf millions cent mille
(29 349 100 000) francs CFA.
132. L'État défendeur soutient que le rapport d'expertise sur lequel se fondent
les Requérants n’a pas été ordonné par une juridiction et ne revêt aucun caractère contradictoire pour lui être opposable. Il ajoute que les
Requérants ne sont pas fondés à réclamer le paiement des droits à
compensation qu’ils n’ont pas daigné réclamer devant les juridictions
nationales.
133. La Cour rappelle qu’en l’espèce, elle a jugé que les Requérants qui étaient
assistés de deux avocats devant les juridictions nationales ne peuvent tenir
l’État défendeur responsable de l’absence de prise en compte de leurs
droits à compensation dans la procédure d’indemnisation.
134. Par conséquent, la Cour rejette la demande des Requérants tendant à
ordonner à l’État défendeur de leur payer la somme de vingt-neuf milliards
trois cent quarante-neuf millions cent mille (29 349 100 000) francs CFA est
rejetée.
iii. Les frais de procédures nationales
135. Les Requérants soutiennent que le 23 septembre 2019, ils ont conclu avec
le cabinet de maître Benoit Aké, avocat, une convention d'honoraires
portant sur la somme de quatre-vingts millions (80 000 000) de francs CFA
pour les recours internes et demandent à la Cour de leur accorder le
bénéfice de leur remboursement par l’État défendeur.
136. L'État défendeur prie la Cour de rejeter la demande des Requérants au
moyen qu’en saisissant les juridictions sans recourir à l’assistance judiciaire
ceux-ci démontraient par là qu’ils avaient suffisamment de ressources
financières.
137. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le remboursement des
frais de procédure fait partie du concept de réparation de sorte que lorsqu'’il est établi que ces frais ont été exposés, elle peut ordonner à l'État
défendeur d'octroyer une compensation au Requérant.?*
138. En l’espèce, la Cour note qu’il ressort des pièces du dossier que le 23
septembre 2019, une convention d'honoraires avec engagement de
paiement a été signée entre les Requérants et l’un des avocats ayant plaidé
leur cause devant les juridictions nationales. Aux termes de cette
convention d’honoraires, les Requérants s’engageaient à lui payer la
somme de quatre-vingts millions (80 000 000) de francs CFA.
139. La Cour note cependant qu’il ressort des pièces du dossier que devant la
Cour d’appel en 2007 et devant la Cour suprême en 2009, les Requérants
ont été assistés par deux cabinets d'avocats or, la convention d'honoraires
pour des services rendus depuis déjà en 2007 et 2009 date du 23
septembre 2019, soit douze (12) ans plus tard. Par ailleurs, la Cour observe
que les Requérants n’ont soumis aucune pièce justifiant que les avocats,
depuis 2007 ont, au moins, reçu une provision sur honoraires.
140. En définitive, la Cour estime que cette dépense n’est pas prouvée et rejette
la demande de son remboursement.
iv. Les frais d’exécution des décisions et les dépens
141. Les Requérants font valoir qu’à plusieurs reprises des commissaires de
justice ont tenté en vain d’amener l’AGEF ou l’État défendeur à leur payer
le montant de la purge des droits coutumiers mis à leur charge. Ils
demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de leur payer la somme
(96 858 373) francs CFA représentant les frais d’exploit, y compris de
signification de l’arrêt de la Cour suprême ainsi que les dépens.
142. L'État défendeur s'oppose à la demande des Requérants et soutient que
l’exécution de la décision incombait à l'AGEF qui est une société à
25 Bq c. Rwanda (réparations), supra, 8 37.
participation financière publique et dotée de personnalité morale et de
l’autonomie financière.
143. La Cour rappelle que les dépens et les frais d’exécution des décisions font
partie des frais dits de procédure et peuvent être remboursés que s’il est
établi qu’ils ont été exposés, et s’il existe un lien de causalité avec la
violation constatée par la Cour. En l’espèce la Cour relève qu’elle a jugé
que l’État défendeur a violé le droit des Requérants à l'exécution de la
décision rendue en leur faveur.
144. La Cour relève qu’il ressort des pièces du dossier que les frais d’exploits
d’'huissier se présentent comme suit : (i) signification de l’arrêt de la Cour
d’appel d’Al du 13 juillet 2007 : quatre-vingt mille (80 000) francs CFA ;
(ii) signification de l’arrêt du 9 avril 2019 le 11 avril 2019 : quatre-vingt mille
(80 000) francs CFA ; (ii) saisie-attribution de créances auprès des
banques sur les comptes de l’'AGEF du 18 février 2019 : cent cinquante-six
mille (156 000) francs CFA et (iv) signification de l’ordre à payer adressé à
l’AGEF : six cent quarante-sept mille (647 000) francs CFA.
145. La Cour note que le montant total des exploits d’huissier est de neuf cent
soixante-trois mille (963 000) francs CFA.
146. Par conséquent, la Cour ordonne à l’État défendeur de rembourser aux
Requérants la somme de neuf cent soixante-trois mille (963 000) francs
CFA représentant les frais d’huissier.
v. Les frais d’expert
147. Les Requérants soutiennent qu’ils ont commis un expert qui a procédé à
l’évaluation des terrains dont les Requérants ont été expropriés et pour
lesquels ils n’ont pas reçu de compensation conformément aux dispositions
légales. Ils soutiennent que les honoraires de l’expert s’élèvent à cent six millions deux cent milles (106 200 000) francs CFA et demandent à l’État
défendeur de payer ladite facture.
148. L'État défendeur soutient que cette expertise unilatérale ne lui est pas
opposable et prie la Cour de rejeter les prétentions des Requérants.
149. La Cour rappelle que toute demande de réparation doit avoir un lien avec
la violation d’un droit de l’homme constatée par la Cour. En l'espèce la Cour
relève qu’elle a jugé que l’État défendeur n’a pas violé le droit des
Requérants d’être informés de leur droit à compensation tel que prévu par
le décret de 1996.
150. Par conséquent, la Cour rejette la demande de paiement des honoraires de
l’expert est rejetée.
vi. Le manque d’opportunité d’investir
151. Les Requérants soutiennent que si en 2007, ils avaient effectivement reçu
la somme de huit cent douze millions quatre cent quatre-vingt mille (812
488 000) francs CFA, ils l’auraient investie dans divers projets rentables,
par exemple des projets immobiliers sur les dix hectares (10 ha) qui restent
de leurs terres. Pour eux, cette somme aurait constitué une bonne surface
financière dans leurs banques qui leur auraient accordé avec confiance des
prêts importants pour des projets immobiliers d'envergure. Les Requérants
ajoutent que l'État défendeur leur a ainsi fait perdre cette opportunité et prie
la Cour de leur accorder en réparation des préjudices résultant de cette
perte d'opportunité la somme de deux milliards (2 000 000 000) de francs
CFA.
152. L'État défendeur soutient que pour le paiement de la somme de huit cent
douze millions quatre cent quatre-vingt mille (812 488 000) francs CFA, les
Requérants ont déjà effectué une saisie attribution de créance sur les comptes de l’'AGEF et qu’il n’est, en rien, concerné par la suite infructueuse
de cette saisie. Il demande à la Cour de rejeter la demande des Requérants.
153. La Cour rappelle qu’elle a déjà considéré que la perte d'une opportunité
implique la privation d'une potentialité et non d’un gain certain et qu’il faut,
à cet effet, que le dommage subi ait fait disparaitre la probabilité qu'un
évènement positif intervienne…?° Dans la présente affaire, la Cour a conclu
que l’État défendeur qu’en faisant obstruction au paiement de la créance
des Requérants, l’État défendeur a violé leur droit à l’exécution d’une
décision de justice, protégé par l’article 7(1)(d) de la Charte.
154. En l’espèce, la question qui se pose est celle de savoir s’il y avait des
éléments attestant que les Requérants avaient réellement l’intention
d'investir ou de placer en banque le montant de l'indemnité de purge de
droit coutumier qui leur avait été allouée par les juridictions nationales.
155. La Cour note que pour justifier le préjudice allégué, les Requérants se
contentent d’affirmer qu’ils auraient investis les huit cent douze millions
quatre cent quatre-vingt -huit mille (812 488 000) francs CFA dans des
projets rentables comme des projets immobiliers sans justifier si dans
l'intervalle de temps qui a séparé la décision de la Cour suprême en 2009
au jour de la saisine de la Cour de céans ils ont élaboré ou conçu un plan
d'investissement qui serait probablement rentable.
156. La Cour relève en outre, que les Requérants présentent une liste de treize
(13) membres de leur famille qui sont décédés dans la longue attente du
paiement de la créance sans jamais jouir de leurs parts dans leurs droits
familiaux. !| découle de cette affirmation que même si les Requérants
avaient reçu le montant de la purge de droit, il est peu probable qu’ils
investissent ou placent en banque la totalité de la créance. Toutefois, la
26 Bw Bo Bv c. République du Bénin (réparations) (2019) 3 RICA 205, 8 56.
Cour estime que la possibilité d'investissement d’au moins une partie de la
créance, même si elle n’est pas certaine, existe avec une probabilité
raisonnable.
157. Au regard de ce qui précède, la Cour considère qu'en l’espèce les
Requérants ont droit à une réparation compensatrice pour perte
d’opportunité d’investissement.
158. S'agissant du quantum de cette réparation, la Cour rappelle que les
Requérants sollicitent la somme de deux milliards (2 000 000 000) de
francs CFA.
159. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle pour apprécier le montant
de la réparation pour perte d’opportunité, elle tient compte du montant
réclamé par les Requérants, du moment où elle est due et des bases de
calcul ayant abouti à la somme réclamée.?”
160. En l'espèce, les Requérants n’ont fourni à la Cour aucune base de calcul
du montant réclamé. Toutefois, la Cour fait observer qu’à supposer même
que les Requérants plaçaient les huit cent douze millions quatre cent
quatre-vingt -huit mille (812 488 000) francs CFA en banque, le montant
cumulé des intérêts dont les taux d’escompte varient entre 3,55 % à 4,5 %
applicables dans les banques qui opèrent dans l’espace UEMOA, dont est
membre l’État défendeur, sur une période de treize (13) ans ne peut
atteindre les deux milliards (2 000 000 000) de francs CFA réclamé.’
161. Au regard de ce qui précède, la Cour, tenant compte de l'équité et de son
pouvoir inhérent accorde aux Requérants une réparation forfaitaire de cinq
millions (5 000 000) de francs CFA, en franchise d'impôts pour perte
27 Bv c. Bénin (réparations) (2019), supra, 8 61.
28 Cet intérêt serait de 470 733 610 francs CFA en compte DAT sur 13 ans.
B. Le préjudice moral
162. Les Requérants soutiennent que treize (13) ans de procédure devant les
tribunaux, leur ont causé un préjudice moral important. Ils affirment que
leur adversaire était l'État qui utilisait tous les moyens de puissance
publique pour les décourager, les humilier, les frustrer et les intimider. Les
Requérants ajoutent que l'État défendeur a montré un profond mépris pour
eux dans cette affaire, alors qu’ils réclamaient et défendaient simplement
leurs terres ancestrales et familiales.
163. Les Requérants font valoir qu'aujourd'hui, ils ont tous pris de l’âge, ils sont
fatigués et frustrés à cause de la mauvaise foi de l'État défendeur. Pour tous
ce préjudicie moral, ils demandent à la Cour d’allouer à chacun d’entre eux
la somme de cinq cents millions (500 000 000) de francs CFA.
164. L'État défendeur soutient qu’il n’a violé aucun droit des Requérants et, dès
lors, ceux-ci n’ont subi aucun préjudice. Il demande à la Cour de rejeter la
demande de réparation pour préjudice moral subi.
165. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle il y a une présomption de
préjudice moral souffert par le requérant dès lors que la Cour a constaté la
violation des droits de celui-ci, de sorte qu'il n'est plus nécessaire de
rechercher les éléments de preuve pour établir le lien entre la violation et le
préjudice subi. La Cour a également jugé que l'évaluation des montants à
octroyer au titre de la réparation du préjudice moral devrait être faite sur la
base de l'équité, en tenant compte des circonstances de chaque affaire.?°
29 Bv c. Bénin (réparations) (2019), supra, 8 89 ; Am Ca c. Côte d'Ivoire (fond et réparations), supra, 8 102.
166. En l’espèce, le préjudice subi par les requérants résulte de la constatation
par la Cour de la violation de leur droit à l’exécution d’une décision judiciaire,
protégé par l’article 7(1)(d) de la Charte.
167. Par conséquent, la Cour accorde à chacun des Requérants la somme
forfaitaire de trois millions (3 000 000) de francs CFA en réparation du
préjudice moral qu’ils ont subi.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
168. Les Requérants font valoir que pour la procédure devant la Cour de céans
ils ont engagé des frais en termes d'honoraires d’avocats, de voyage par
avion à Ag pour le dépôt de la Requête, des frais d'hôtel, de location
de voiture et de commodité. Pour toutes ces dépenses ils demandent à la
Cour d’ordonner à l’État défendeur de leur rembourser la somme de quatre-
vingt-deux millions six cent mille (82 600 000) francs CFA.
169. Les Requérants demandent, en outre, à la Cour d’ordonner à l’État
défendeur de leur payer la somme de quatre-vingt-seize millions huit cent
cinquante-huit mille trois cent soixante-treize (96 858 373) francs CFA au
titre des dépens.
170. L'État défendeur soutient qu’en saisissant la Cour sans recourir à
l’assistance judiciaire, les Requérants démontrent qu’ils sont
financièrement pourvus. || demande à la Cour de rejeter les prétentions des
Requérants et de les condamner aux dépens.
171. Aux termes de la règle 32(2) du Règlement « à moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
172. Comme la Cour l’a rappelé plus haut dans le présent arrêt, toute demande
de réparations de préjudice matériel ou de remboursement de frais de
procédure doit être soutenue par des pièces justificatives. En l'espèce, la
Cour note que même si les Requérants ont exposé des frais pour les
besoins de la présente procédure, ils n’ont fourni aucune pièce justificative
desdits frais.
173. Par conséquent, la demande de remboursement des frais de procédure
devant la Cour de céans est rejetée, faute de justifications desdits frais.
174. S'agissant de la demande de paiement de la somme de quatre-vingt-seize
millions huit cent cinquante-huit mille trois cent soixante-treize (96 858 373)
francs CFA au titre des dépens, la Cour fait observer que la procédure
devant elle est gratuite et les parties ne sont jamais invitées à constituer
une sorte de caution.
175. Partant de cette observation, la Cour rejette de la demande des
Requérants.
176. En conséquence, la Cour décide que chaque Partie supporte ses frais de
procédure.
X. DISPOSITIF
177. Par ces motifs :
LA COUR,
À l’unanimité,
3 Bv c. Bénin (réparations), supra, 8 142 ; Bq c. Rwanda (réparations), supra, 8 40 et Bi et autres c. As Az (réparations), supra, 8 81.
Sur la compétence
i. Rejette les exceptions d’incompétence personnelle et temporelle ;
Sur la recevabilité
iii. Accueille l’exception du non-épuisement des recours quant à la
violation alléguée du droit de propriété sur la parcelle de terre
vendue aux tiers ;
iv. Rejette les autres exceptions d’irrecevabilité de la Requête ;
v. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à
l'information, protégé par l’article 9(1) de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à la
dignité, protégé par l’article 5 de la Charte ;
viii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à
une égalité devant la loi protégé par l’article 3 de la Charte ;
ix. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants de
jouir des droits et des libertés, protégé par l’article 2 de la Charte ;
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants d’être jugés
dans un délai raisonnable, protégé par l’article 7(1)(d) de la
Charte ;
xi. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants à
l'exécution d’une décision judiciaire protégé par l’article 7(1) de la
Charte.
Sur les réparations Sur le préjudice matériel
xii. Rejette la demande de compensation ;
xiii. Rejette la demande de remboursement des honoraires d’avocat
devant les juridictions nationales ;
xiv. Rejette la demande de remboursement des frais d’expert ;
xv. Ordonne à l’État défendeur d'exécuter l’arrêt n°407 de la Cour
d’appel d’Al du 13 juillet 2007 rendu dans l’affaire : AGEF c.
AK AG Ax et autres ;
xvi. Accorde aux Requérants la somme de deux cent trente-cinq
millions trois cent soixante et six mille huit cent cinq (235 366 805)
francs CFA au titre des intérêts de retard pour créance non due
dans le délai ;
xvii. Accorde aux Requérants la somme de neuf cent soixante-trois
mille (963 000) francs CFA en remboursement des frais
xVviii. Accorde aux Requérants la somme de cinq millions (5 000
000) de francs CFA en compensation de la perte d'opportunité
d'investir.
Sur le préjudice moral
xix. Ordonne à l’État défendeur de payer à chacun des Requérants la
somme de trois millions (3 000 000) de francs CFA en réparation
du préjudice moral qu’ils ont subi.
Sur les frais de procédure
xx. Rejette la demande de remboursement des frais de procédure ;
xxi. Dit que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xxii.Ordonne à l'État défendeur de payer tous les montants nets indiqués aux points (xv, xvi, xvii, xviii et xix) du présent dispositif,
en franchise d'impôts, dans un délai de six (6) mois à compter de
la date de notification du présent arrêt, faute de quoi il aura à payer
également des intérêts moratoires calculés sur la base du taux
d’escompte de la Banque Centrale des États de l'Afrique de
L’Ouest (BCEAO) pendant toute la période de retard et jusqu'au
paiement intégral des sommes dues ;
xxiii. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de notification du présent arrêt, un
rapport sur la mise en œuvre des décisions qui y sont contenues
et par la suite, tous les six (6) mois, jusqu’à ce qu’elle considère
sa décision comme ayant été entièrement exécutée.
Ont signé :
Imani D. ABOUD, Présidente ;-—
Ben KIOKO, Juge ; MES
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ME les)
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Las Aion lan
Blaise TCHIKAYA, Juge ges
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eur am ;
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Ag, ce cinquième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt et trois,
en anglais et en français, le texte français faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 019/2020
Date de la décision : 05/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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