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05/09/2023 | CADHP | N°027/2016

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 05 septembre 2023, 027/2016


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Ag A Bl
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 027/2016
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
Sur l'exception d’incompétence matérielle
Sur les autres aspects de la compétence.


VI SUR LA RECEVABILITÉ
Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes.
Sur l’except...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Ag A Bl
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 027/2016
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
Sur l'exception d’incompétence matérielle
Sur les autres aspects de la compétence.
VI SUR LA RECEVABILITÉ
Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes.
Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
Sur les autres conditions de recevabilité
VI. SUR LE FOND
Violation alléguée du droit à l'égalité devant la loi et à une égale protection de la loi
Violation alléguée du droit à l’assistance judiciaire gratuite
VII. SUR LES RÉPARATIONS
Réparations pécuniaires
Réparations non pécuniaires
IX SUR LES FRA12 14 15O18D20E21D22P23I24F 10
12
14
15
18
20
21
22
23 La Cour composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Dennis D. ADJEI — Juges ; et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »)*, la Juge Imani D. ABOUD,
membre de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
Ag A Bl
assurant lui-même sa défense
Contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Ay Bu Xe AL, Bc Ce, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Bj Bm Z, Bv Bc Ce, Bureau du Solicitor
General ;
ii. M. Be C, Directeur, Contentieux civil, Principal Bw Cr,
Bureau du Solicitor General ;
iv. M. Bt Ax AI, Directeur adjoint, Droit de l'homme et contentieux
électoral, Bureau du Solicitor General ;
v. Mme Cq B, Bw Cr, Bureau du Solicitor General ;
1 Article 8(2) du Règlement de la Cour du 2 juin 2010.
vi. Mme Cc Y, Bw Cr, Bureau du Solicitor General ; et
vii. Mme Ah AG, Juriste, Ministère des affaires étrangères et de la
coopération Est-africaine.
Après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Ag A Bl Xci-après dénommé « le Requérant ») est
un ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la Requête, purgeait
une peine de trente (30) ans de réclusion à la prison centrale de Butimba à
Af, après avoir été déclaré coupable de vol à main armée. Il conteste
la violation de ses droits dans le cadre des procédures internes.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. En outre, le 29 mars
2010, l’État défendeur a déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) du
Protocole en vertu de laquelle il a accepté la compétence de la Cour pour
recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non
gouvernementales (Ci-après dénommées ONG”). Le 21 novembre 2019,
l'État défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union africaine
l'instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a jugé que ce retrait n’a
aucune incidence sur les affaires pendantes ni sur les nouvelles affaires
introduites avant l’entrée en vigueur dudit retrait, un (1) un après le dépôt
de l’instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020. ?
? By Ad Am c. Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 88 35 à 39 ; Cs Bp Cu AJ Af (compétence) (3 juin 2016) 1 RICA 585, 8 67.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le 13 juin 2004, dans le District de Cf,
Région de Af, le Requérant et trois (3) autres personnes ne
comparaissant pas devant la Cour de céans se sont introduites, par
effraction, dans la maison du Sieur Cx Co. Ils ont volé un poste
téléviseur et un lecteur vidéo propriété de la victime. Le 15 novembre 2006,
le Tribunal dudit District a déclaré le Requérant coupable de vol à main
armée et l’a condamné à une peine d’emprisonnement de trente (30) ans.
4. Le Requérant a interjeté un premier appel devant la Haute Cour de Af
qui, le 10 août 2011, a confirmé la décision du Tribunal de District de
Cf. Il a, ensuite, interjeté un second appel devant la Cour d’appel
de Tanzanie, siégeant à Af qui a également rendu une décision de
rejet, le 1°" août 2013.
B. Violations alléguées
5. Le Requérant allègue la violation des droits suivants :
i. le droit à l'égalité devant la loi et à l’égale protection devant la loi, protégé
par l’article 3(1) et (2).
il. le droit à un procès équitable, protégé par l'article 7(1)(c) de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
6. Le 10 mai 2016, le Greffe a reçu la Requête introductive d’instance qui a
été communiquée le 7 juin 2016 à l’État défendeur, puis aux autres entités
prévues à la règle 42(4) du Règlement, le 14 juin 2016.
7. Les Parties ont déposé les écritures et les pièces dans les délais fixés par
la Cour.
8. Le 29 mai 2023, les débats ont été clôturés et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
9. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Déclarer la Requête recevable ;
ii. Restaurer la justice là où elle a été foulée aux pieds, d’annuler aussi
bien la déclaration de culpabilité que la peine qui lui a été infligée et
d’ordonner sa remise en liberté.
ii. Rendre toutes autres ordonnances ou d’ordonner toutes autres mesures
qu’elle juge appropriée au regard des circonstance de l'espèce.
10. Dans sa demande en réparation, le Requérant prie la Cour :
i. D’ordonner son acquittement, en vertu de l’article 27 du Protocole, après
avoir constaté que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte
en ne lui ayant pas commis d’office un avocat, tant en instance qu’en
appel ; et
ii. De lui accorder des réparations pécuniaires dont le montant sera fixé en
fonction du revenu annuel des citoyens, et ce pendant sa période de
détention.
11. L'État défendeur demande à la Cour ce qui suit :
ii Dire et juger que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur la
Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité prévues à l’article 56(5) de la Charte ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité prévues à l’article 56(6) de la Charte ;
iv. Déclarer la Requête irrecevable ;
v. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
garantis à l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
vi. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
garantis à l’article 7(1)(c) de la Charte ;
vii. Dire et juger que la Requête n’est pas fondée et, par conséquent, la
rejeter.
V. SUR LA COMPÉTENCE
12. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et tous les
différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l'application
de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme ratifié par les États concernés.
2. Encas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide.
13. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « [Na Cour procède à un
examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au
Protocole et au présent Règlement ».
14. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit procéder à un
examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles exceptions
15. La Cour note qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. La Cour va se prononcer sur ladite exception
avant d'examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle 16. L'État défendeur soutient que la compétence de la Cour de céans est régie
par l’article 3 du Protocole et par la règle 29 de son Règlement intérieur. Il
soutient que les dispositions susmentionnées ne confèrent pas à la Cour de
céans la compétence de statuer comme une juridiction d’appel.
17. L'État défendeur soutient en outre que l'article 3 du Protocole ne confère
pas à la Cour de céans de siéger en tant que Cour d'appel et, en
conséquence, d'examiner l'affaire, de réviser l'arrêt de la Cour d'appel,
d'évaluer les preuves, d'annuler la condamnation et la peine et de remettre
le Requérant en liberté.
18. Dans sa Réplique, le Requérant soutient, que sa requête repose
principalement sur le fait qu'il a été injustement reconnu coupable et
condamné à trente (30) ans d'emprisonnement, et que la hiérarchie
judiciaire de l'État défendeur l’a privé à tort et illégalement de ses droits.
19. Il ajoute que pour les raisons susmentionnées, puisque l'État défendeur est,
en l'espèce, un État partie à la Charte, la Cour est compétente pour
examiner la requête. En outre, il soutient que dans la mesure où la Requête
soulève des éléments matériels qui constituent des droits de l'homme en
vertu de la Charte, l'État défendeur est engagé à respecter lesdits droits et
à les protéger.
20. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner « toutes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte,
du Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de
l'homme et ratifié par les États concernés ».
3 Article 26 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
21. La Cour souligne que sa compétence matérielle est, ainsi, subordonnée à
l’allégation, par le Requérant de violations de droits de l'homme protégés
par la Charte ou tout autre instrument relatif aux droits de l'homme ratifié
par l’État défendeur*. En l’espèce, le Requérant allègue la violation des
articles, 3(1)(2), et 7(1)(c) de la Charte.
22. La Cour rappelle en outre, selon sa jurisprudence constante, qu’elle n’est ni
une juridiction de première instance ni une juridiction d’appel des décisions
rendues par les juridictions nationales*. Toutefois, « cela n’écarte pas sa
compétence pour apprécier la conformité des procédures devant les
juridictions nationales aux normes internationales prescrites par la Charte
ou par les autres instruments applicables des droits de l'homme auxquels
l'État défendeur est partie“ ». La Cour ne statuerait donc pas comme une
juridiction d'appel ni de première instance si elle devait examiner les
allégations du Requérant. Elle rejette par conséquent cette exception et
conclut qu’elle a la compétence matérielle pour examiner la présente
Requête.
23. Au regard de ce qui précède, la Cour estime qu’elle a la compétence
matérielle pour examiner la présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
24. La Cour relève que l’État défendeur ne conteste pas sa compétence aux
plans personnel, temporel et territorial. Néanmoins, conformément à la
règle 49(1) du Règlement”, elle doit s'assurer que les conditions relatives à
tous les aspects de sa compétence sont remplies avant de poursuivre
l’examen de la présente Requête.
4 Au Cl c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 28 ; Cd Br c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33 ; Kalebi Elisamehe c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18.
5 Ernest Bd Bn c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
€ Bi Cq c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 26 ; Br AJ Cz, AK, 88 33.
7 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
25. S’agissant de sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme indiqué
au paragraphe 2 du présent arrêt, que le 21 novembre 2019, l'État
défendeur a déposé l'instrument de retrait de sa Déclaration faite en vertu
de l’article 34(6) du Protocole. La Cour a décidé que ledit retrait n’a aucun
effet rétroactif et n’a, non plus, aucune incidence sur les affaires pendantes
devant elle avant le dépôt de l'instrument de retrait de la Déclaration, ni sur
les nouvelles affaires introduites avant que le retrait ne prenne effet, soit un
(1) an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 20208.
La présente Requête introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de
l'instrument de retrait de sa Déclaration, n’est donc pas affectée. La Cour
en conclut qu’elle a la compétence personnelle pour connaître de la
présente Requête.
26. La Cour a, par ailleurs, compétence temporelle, en l'espèce, dans la mesure
où les violations alléguées ont été commises après que l’État défendeur est
devenu partie à la Charte et au Protocole. En outre, les violations alléguées
ont un caractère continu, la condamnation du Requérant ayant été
maintenue en dépit de ce qu’il considère comme une procédure
inéquitable®.
27. Enfin, la Cour estime que sa compétence territoriale est également établie
étant donné que les violations alléguées ont été commises sur le territoire
de l’État défendeur.
28. Au vu de ce qui précède, la Cour est compétente pour connaître de la
présente Requête.
8 Am c. Cz, AK, 88 33 à 39 ; voir également Cu AJ Af, supra, 8 67.
9 Bk Cp et autres c. Ck Xb (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 8 77.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
29. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Na Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la
Charte ».
30. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux
articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au présent Règlement ».
31. En outre, la règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les
dispositions de l’article 56 de la Charte, dispose comme suit :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions ci-
après :
a) indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b) être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institution ou de l’Union
africaine ;
d) ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f) être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date de sa
saisine ; et
g) ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union Africaine ou des
dispositions de la Charte.
32. La Cour relève que l’État défendeur soulève deux exceptions
d’irrecevabilité. La première objection est fondée sur le non-épuisement des
recours internes et la seconde sur le fait que la requête n’a pas été déposée
dans un délai raisonnable. La Cour va statuer sur lesdites exceptions avant
d’examiner, si nécessaire, les autres conditions de recevabilité.
A. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours
internes
33. L'État défendeur fait valoir que le Requérant disposait d’une voie légale
consistant à former un recours en révision de la décision de la Cour d'appel,
en vertu de l'article 66 du règlement de la cour d'appel, tel que modifié, s'il
pensait avoir des motifs suffisants et convaincants, mais il n’a pas exercé
ce recours. || affirme, qu’au lieu d'exercer le recours disponible, le
Requérant s'est précipité prématurément devant la Cour de céans pour
obtenir réparation. L'Etat défendeur estime que certaines allégations sont
soulevées devant la Cour de céans pour première fois.
34. L'État défendeur affiime qu’il reconnaît l'importance et la signification du
principe de l’épuisement des recours internes. Il ajoute que la Commission
africaine des droits de l'homme et des peuples a observé dans l'affaire
Article 19 c. Érythrée qu'il fallait au moins tenter d’épuiser les recours
disponibles. Le simple fait de mettre en doute le bien-fondé de l’épuisement
des recours internes ne suffit pas. Qu'il incombe au Requérant de prendre
toutes les mesures nécessaires pour épuiser, ou au moins tenter d’épuiser
les recours internes.
35. Le Requérant soutient quant à lui que les réponses de l’État défendeur sont
contestées et avance que, tous les recours judiciaires pertinents ont été
épuisés en l’espèce, c'est-à-dire la Haute Cour et la Cour d’appel, qui est la
plus haute juridiction de l’État défendeur.
36. Il ajoute que les raisons exposées par l’État défendeur ne sont pas
convaincantes dans la mesure où il existait en l'espèce une possibilité de
réparer le préjudice dans le cadre du système juridique national. !| affirme
aussi que quoi qu’il en soit, la demande de révision de la décision de la Cour
d’appel suggérée par l’État défendeur dans sa réponse n’est pas juste et
que, sa requête rempli cette condition de recevabilité.
37. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises dans la règle 50(2)(e) du Règlement, toute
requête dont elle est saisie doit satisfaire à l'exigence de l'épuisement des
recours internes. En ce qui concerne les recours à épuiser, la Cour a
considéré qu’ils doivent être des recours ordinaires et judiciaires.!°
38. Par ailleurs, conformément à sa jurisprudence, la Cour souligne que, dans
le système judiciaire de l’État défendeur, les Requérants ne sont pas tenus
d’exercer le recours en inconstitutionnalité pour violation des droits
fondamentaux devant la Haute cour après que la Cour d’appel a été saisie
de l'affaire, ledit recours ayant été jugé par la Cour de céans comme un
recours extraordinaire*!.Dans la présente requête, la Cour observe qu'en
l'espèce, la Cour d'appel a statué sur le recours du Requérant le 1°" août
2013. Le Requérant est donc réputé avoir épuisé les recours dès lors qu’il
a franchi les différentes étapes du système judiciaire jusqu’à la Cour
d'appel, qui est la plus haute juridiction du pays**.
39. De ce qui précède, la Cour conclut que le Requérant a épuisé les recours
internes prévus à l’article 56(5) de la Charte et la règle 50(2)(e) du
10 Ae Ap c. République du Rwanda, CAfDHP, Requête n° 023/2015, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 74 ; Aq Xc c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 64.
14 Bk Bh c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022, 8 61 ; Xd Bx Ar c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 570, 8 46, Bb Xa c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 88 66 à 70 ; Xc AJ Cz, AK, 88 63 à 65.
1? Cn Ab dit Cn Ci c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 026/2015, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 51 ; Xa c. Tanzanie (fond), supra, 8 76.
Règlement. Elle rejette donc l’exception d’irrecevabilité tirée du non-
épuisement des recours internes soulevée par l’État défendeur.
B. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
40. L’État défendeur soutient que la Requête n’a pas été introduite dans un
délai raisonnable. Selon l’État défendeur, l’affaire a été conclue par la Cour
d’appel le 31 juillet 2013. La requête a été déposée devant la Cour de céans
le 10 mai 2016, soit après une période de près de vingt (20) mois. D’après
l’État défendeur ce délai ne correspond pas à la définition d’un délai
raisonnable.
41. L’État défendeur précise que malgré le fait que la règle 50(2)(f) du
Règlement ne prescrit pas le délai dans lequel les individus sont tenus de
déposer les requêtes, par référence à d’autres mécanismes régionaux
similaires à ceux de l’Union africaine, une période de six (6) mois a été
considérée comme un délai raisonnable. À cet égard, il se réfère à la
décision de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples
dans l’affaire Cw c. Zimbabwe.
42. Le Requérant pour sa part, fait valoir que sa requête doit être abordée et
considérée avec une attention particulière dans la mesure où l’État
défendeur a déposé la Déclaration le 29 mars 2010, mais que le Requérant
n'a eu connaissance de l'existence de la Cour de céans qu'entre la fin de
l'année 2015 et le début de l'année 2016, après une longue exploration hors
des institutions juridiques de l'État défendeur.
43. Le Requérant précise que la période de six (6) mois devrait être appliquée
avec une grande prudence sans oublier que le Requérant est un prisonnier
qui n'a pas de représentation légale. I! soutient que la Cour de céans peut
examiner toutes les requêtes déposées devant elle par des individus, en
particulier les prisonniers détenus à la prison centrale de Butimba à
Af, ce qui révélera que la création et l'existence de la Cour de céans ont été portées à leur connaissance entre la fin de 2015 et le début de 2016.
En conséquence, il affirme que la présente requête a été déposée dans un
délai raisonnable et devrait être examinée.
44. La Cour note que la question qu’elle doit trancher est celle de savoir si le
délai observé par le Requérant avant de la saisir est raisonnable, au sens
de l’article 56(6) de la Charte lu conjointement avec la règle 50(2)(f) du
Règlement.
45. Aux termes de l’article 56(6) de la Charte, repris à la règle 50(2)(f) du
Règlement, une requête n’est recevable que si elle est « introduite dans un
délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou
depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le
délai de sa saisine ». Il est important de noter que ces dispositions ne fixent
pas de délai dans lequel la Cour doit être saisie.
46. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle : « … le caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire … ».!® La Cour rappelle que pour déterminer si le délai
de sa saisine est raisonnable ou non, elle tient compte de certains facteurs,
dont la situation du requérant, le fait d’être incarcéré, profane en matière de
droit, de ne pas bénéficier d’une assistance judiciaire, d’être indigent ou
analphabète.
47. En l'espèce, la Cour relève que les recours internes ont été épuisés le 1°"
août 2013, lorsque la Cour d’appel, siégeant à Af, a rejeté l’appel du
Requérant. La présente Requête ayant été déposée le 10 mai 2016, il s’est
écoulé une période de deux (2) ans, neuf (9) mois et neuf (9) jours après
l’épuisement des recours internes. La question à trancher est donc de
13 Bk Cp et autres c. Ck Xb (fond) (24 juin 2014) 1 RICA 226, 8 92. Voir Xc AJ Cz (fond), supra, 8 73.
savoir si le temps qu’il a fallu au Requérant pour saisir la Cour de sa
Requête constitue un délai raisonnable.
48. La Cour note que le Requérant est un paysan et n’a pas pu s'offrir les
services d’un avocat au cours des procédures devant les juridictions
internes. Le Requérant étant ainsi un profane en matière de droit, incarcéré,
indigent et non assisté d’un conseil afin de comprendre les subtilités de la
procédure devant la Cour de céans, la période de deux (2) ans, neuf (9)
mois et neuf (9) jours qu’il a mis pour introduire la présente Requête doit
être considérée comme raisonnable.
49. Eu égard à ces considérations, la Cour conclut que la Requête a été
introduite dans un délai raisonnable tel que prescrit à l’article 56(6) de la
Charte et repris à la règle 50(2)(f) du Règlement. La Cour rejette en
conséquence l’exception soulevée par l'Etat défendeur sur ce point.
C. Sur les autres conditions de recevabilité
50. La Cour note que les Parties ne contestent pas la recevabilité de la Requête
relativement aux conditions énoncées à la règle 50(2)(a), (b), (c), (d), et (g)
du Règlement. Néanmoins, la Cour doit s'assurer que ces conditions sont
également satisfaites.
51. Il ressort du dossier que le Requérant a clairement indiqué son identité,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
52. La Cour relève également que les demandes qui ont été formulées par le
Requérant visent à protéger ses droits garantis par la Charte. En outre, l’un
des objectifs de l’Acte constitutif de l'Union africaine, tel qu’énoncé à son
article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des
peuples. Par ailleurs, la Requête ne contient aucun grief ou demande qui
soit incompatible avec une disposition dudit acte. Par conséquent, la Cour
considère que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l'Union africaine et la Charte, et estime qu’elle satisfait aux exigences de la règle
50(2)(b) du Règlement.
53. En outre, les termes dans lesquels la Requête est rédigée ne sont ni
outrageants, ni insultants à l’égard de l’État défendeur ou de ses institutions,
la Requête étant fondée sur des informations contenues dans des
documents officiels tels que les décisions de justice rendues par les
juridictions nationales. Par conséquent, la Cour conclut que la Requête est
conforme aux exigences de la règle 50(2)(c) du Règlement.
54. Enfin, la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée
conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte
constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte ou de tout
instrument juridique de l’Union africaine. Elle est donc conforme à la règle
50(2)(g) du Règlement.
55. Eu égard à toutes ces considérations, la Cour conclut que la Requête
remplit toutes les conditions de recevabilité prévues à l’article 56 de la
Charte, lu conjointement avec la règle 50(2) du Règlement et la déclare, en
conséquence, recevable.
VII. SUR LE FOND
56. Le Requérant allègue que l’État défendeur a violé i) ses droits à l’égalité
devant la loi et à une égale protection devant la loi, et ii) son droit à une
assistance judiciaire gratuite.
A. Violation alléguée du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection
de la loi
57. Le Requérant allègue que la Cour d’appel a confirmé sa déclaration de
culpabilité en l’absence des éléments essentiels de la cause, en violation
de l’article 3(1) et (2) de la Charte. Il ajoute que ladite Cour a complètement omis de prendre en compte l'importance d’un élément de preuve essentiel
au dossier, à savoir la question de l'identification visuelle par le premier
témoin à charge (PW1). Selon le Requérant, ceci n’a pas permis d’établir
clairement si l'identification a été effectuée dans des conditions
météorologiques et des circonstances propices à une identification correcte
et fiable des agresseurs.
58. Il allègue que la Cour d’appel n’a pas examiné tous ses moyens d’appel,
mais les a plutôt regroupés en sept motifs, le privant ainsi de ses droits.
59. L'État défendeur fait valoir que ladite Cour a condamné le Requérant sur la
base d’une déclaration corroborée et retractée, puis a conclu que l'infraction
a été prouvée à l’encontre du Requérant.
60. L'État défendeur ajoute que la Cour d’appel a bien réglé les questions
d'identification visuelle. I! précise qu’à la page 5 de l'arrêt de la Cour d’appel,
ladite Cour a estimé qu’elle était convaincue que les conditions
d'identification étaient adéquates et le PW3 connaissait le Requérant avant
la date de l'incident. Elle a également pris en compte la distance entre le
témoin et le Requérant et le fait que le témoin pouvait couper la main du
Requérant. Elle a conclu que l'incident s'était déroulé sur une période assez
longue, ce qui ne laisse aucun doute sur l’identification.
61. Aux termes de l’article 3 de la Charte
« 1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi ».
62. La Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence constante, l’égale
protection de la loi suppose que la loi protège toutes personnes sans distinction!*. Il en découle que, pour établir la violation de ce droit, il y a lieu
de prouver que le demandeur a été traité différemment par rapport à
d’autres personnes qui se trouvaient dans une situation semblable à la
63. La Cour considère que, dans le contexte d’une violation alléguée du droit à
un procès équitable, il incombe au Requérant de prouver que la manière
dont les juridictions nationales compétentes ont évalué les preuves révèle
une erreur apparente ou manifeste qui a entraîné une erreur judiciaire au
préjudice de la partie qui invoque ladite violation par opposition à d’autres
parties dans la même situation.!°
64. La Cour note qu’en l’espèce, et tel qu’il ressort du dossier, aucune
disposition du droit interne applicable ne prévoit un traitement différent pour
des justiciables se trouvant dans une situation similaire.
65. Par ailleurs, la Cour note que les juridictions internes ont examiné
convenablement les allégations du Requérant. En particulier, la Cour
d'appel a entendu cinq (5) témoins au cours du procès du Requérant et
conclu qu’il avait été dument identifié de façon qu’aucun doute ne subsistait
quant à sa culpabilité. En tout état de cause, aucun élément du dossier
n’indique que la Cour d’appel a commis une erreur manifeste ayant résulté
en un déni de justice pour le Requérant et qui justifierait l'intervention de la
Cour de céans.
66. Au surplus, le Requérant n’a pas prouvé que les juridictions internes ont,
dans la conduite de leurs procédures, observé une différenciation indue
entre le Requérant et les autres accusés dans une situation similaire.
14 Xg Xh Ct c. République du Malawi, CAfDHP, Requête n° 022/2017, Arrêt du 23 juin 2022 (fond et réparations), 8 81 ; Action pour la Protection des Droits de l'Homme c. République de Côte d'Ivoire (fond) (18 novembre 2016) 1 RICA 697, 8 146.
15 Ak Cv c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 mars 2019) 3 RICA 87, 8 73 ; Ar AJ Cz, AK, 8 70.
16 Cv c. Cz, AK, 8 73.
67. En conséquence, la Cour rejette l’allégation du Requérant et conclut que
l'État défendeur n’a pas violé les alinéas 1 et 2 de l’article 3 de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à l’assistance judiciaire gratuite
68. Le Requérant allègue qu’il n'a pas bénéficié d’une assistance judiciaire
gratuite ors des procédures engagées à son encontre devant les juridictions
internes, et que l’État défendeur a, par là même, violé l’article 7(1)(c) de la
Charte.
69. Il soutient que ses griefs concernant principalement la violation alléguée du
droit à l’assistance judiciaire gratuite, sont sources d’atteinte à la justice non
seulement pour le Requérant mais aussi pour de nombreux citoyens
tanzaniens. Il estime que le devoir du Procureur de l’État défendeur est de
s'abstenir de recourir à des méthodes inappropriées visant à produire la
condamnation injustifiée que d’utiliser toutes les méthodes légitimes pour
parvenir à une condamnation juste.
70. L'État défendeur soutient que ce droit a été accordé au Requérant. Il
explique que le 20 septembre 2006, le Requérant a commencé sa défense
et qu'il a eu l’occasion de se défendre. Il ajoute que le Requérant a eu la
possibilité de demander une aide judiciaire en vertu de l’article 3 de la loi
sur l’aide judiciaire (procédures pénales) (CAP 21 RE 2002). Que le
Requérant aurait également pu demander l’aide judiciaire lors de son appel
devant la Cour d'appel en vertu de la Partie || Règle 31(1) de la Cour d’appel
de l’État défendeur de 2009.
71. L'État défendeur précise que l’article 13(6) de sa Constitution prévoit
l’obligation d'assurer l'égalité devant la loi ainsi que le droit de faire appel
ou d’exercer un autre recours contre la décision de la Cour concernée. || fait
valoir que le Requérant a été autorisé sur demande, à faire appel en dehors
des délais devant la Cour d’appel. Et que compte tenu des circonstances
en l’espèce, une période de deux (2) ans et trois (3) mois (durée du procès)
est un délai raisonnable.
72. Aux termes de l’article 7(1)(c) de la Charte, le droit à ce que sa cause soit
entendue comprend « le droit à la défense, y compris celui de se faire assister
par un défenseur de son choix ».
73. Dans sa jurisprudence, la Cour a interprété l’article 7(1)(c) de la Charte à la
lumière de l’article 14(3)(d) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (PIDCP)"/ et conclu que le droit à la défense comprend le droit
de bénéficier d’une assistance judiciaire gratuite.!®
74. La Cour a également conclu que toute personne accusée d’une infraction
grave, passible d’une peine sévère a le droit de bénéficier d’office et
gratuitement, de l’assistance d’un conseil pour assurer sa défense, et ce,
sans avoir à en faire la demande."° De plus, l’obligation de faire bénéficier
l’assistance judiciaire gratuite aux personnes indigentes faisant face à des
accusations graves et passibles d’une lourde peine s'applique tant en
première instance qu’en appel.?°
75. La Cour observe que, bien que le Requérant ait été accusé de vol à main
armée, une infraction grave passible d’une peine minimale de trente (30)
ans de réclusion, aucun élément du dossier n'indique qu’il a été informé de
son droit à une assistance judiciaire. Par ailleurs, le Requérant n’a pas été
informé qu’il pouvait bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite s’il n’avait
pas les moyens d’y faire face. La Cour note, en outre, que l’État défendeur
n’a pas contesté le fait que le Requérant était indigent.
17 L’État défendeur est devenu partie au PIDCP le 11 juin 1976.
18 Xc AJ Cz (fond), supra 8 114 ; Bl At c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 mars 2018) 2 RICA 226, 8 78 ; Bi Av Cm et un autre c. Tanzanie (fond) (28 septembre 2017)
19 Xc AJ Cz, AK, 8 123 ; At AJ Cz, AK, 8 78 ; Cm et un autre c. Cz, AK, 88 104 et 106.
20 Cj Ac Aj c.République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 013/2016, Arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), 8 70 ; Xc AJ Cz, AK, 8 123 ; At AJ Cz, AK, 8 78 ; Cm et un autre c. Cz, AK, 8 111.
76. La Cour estime que, dans les circonstances de la cause, l'intérêt de la
justice aurait dû être invoqué afin de permettre au Requérant de bénéficier
d’une assistance judiciaire gratuite durant la procédure en première
instance et en appel.
77. Eu égard à ces considérations, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas
respecté ses obligations découlant de l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, en ne faisant pas bénéficier
au Requérant d’une assistance judiciaire gratuite à l’occasion des
procédures devant les juridictions nationales.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
78. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations en raison
des violations qu’il a subies, d’annuler la condamnation et la peine
prononcées à son encontre et d’ordonner sa remise en liberté.
79. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparations
formulée par le Requérant.
80. La Cour observe qu’aux termes de l’article 27(1) du Protocole :
[Iorsqu’elle estime qu’il y a violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
81. Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour considère que, pour
que des réparations soient accordées, la responsabilité internationale de
l’État défendeur doit, d’abord, être établie au regard du fait illicite. Ensuite,
le lien de causalité doit être établi entre l'acte illicite et le préjudice allégué.?!
Enfin, et lorsqu'elle est accordée, la réparation doit couvrir l'intégralité du
préjudice subi.
82. La Cour rappelle qu’il incombe au Requérant d’apporter des éléments de
preuve pour justifier ses demandes, notamment en matière de préjudice
matériel? En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour estime que
l'exigence de preuve n’est pas stricte”*, dans la mesure où l'existence d’un
préjudice est présumée dès lors que des violations sont établies?*.
83. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l'homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
84. En l'espèce, le Requérant sollicite des réparations pécuniaires (A) et non
pécuniaires (B). La Cour va examiner ces deux catégories de mesures de
réparation demandées par le Requérant.
A. Réparations pécuniaires
85. Le Requérant sollicite des réparations pécuniaires en réparation du fait du
préjudice matériel qui, selon lui, résulte des violations subies du fait de l’État
défendeur. À ce titre, il demande que le paiement de sommes d'argent
21 Bs Xf Aw c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 052/2016, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 8 120.
22 Bi Cb et autres c. Rwanda (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 646, 8 139 ; voir également Ao Bz Ch Cy c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 40 ; As Bg Ai c. Ck Xb (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 8 15(d) et Bq AJ Cz, AK, 8 97.
23 Bk Cp et autres c. Ck Xb (réparations) (5 juin 2015) 1 RICA 265, 8 55 ; voir également Bq AJ Cz, AK, 8 97.
24 Bf Cg et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RJCA 562, 8 136 ; Cd Br c. République-Unie de Cz AK, 8 55 ; Al Aa Ba AJ Cz AK, 8 119 ; Cp et autres c. Ck Xb (réparations) supra, 8 55 et Bq AJ Cz AK, 8 97.
25 Cs Bp Cu c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 20 ; Bq AJ Cz, AK, 8 96.
puissent être considérées et évaluées par la Cour en prenant en compte le
revenu annuel moyen d’un citoyen et la période de sa détention.
86. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter les demandes de réparation
du Requérant, y compris le paiement d’une compensation équitable ou
d’une réparation prévue à l’article 27 du Protocole. || demande à la Cour
que le Requérant continue à purger sa peine.
87. La Cour note que le Requérant demande la réparation d’un préjudice
matériel résultant d’une perte de gain sans pour autant en apporter la
preuve. La demande est par conséquent rejetée.
88. En revanche, la Cour a, dans la présent Arrêt, conclu à la violation par l’État
défendeur du droit à une assistance judiciaire gratuite pour n’avoir pas
fourni au Requérant les services d’un conseil pendant les procédures
devant les juridictions internes.
89. La Cour relève que la violation constatée a causé un préjudice moral au
Requérant et en conséquence, dans l’exercice de sa discrétion judiciaire,
accorde au Requérant la somme de trois-cent mille (300 000) shillings
tanzaniens à titre de compensation équitable.
B. Réparations non pécuniaires
90. Le Requérant demande l’annulation de sa condamnation et sa mise en
liberté.
26 Cj Ac Aj c. République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 013/2016, Arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), 8 85 ; Anaclet Paulo c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 461, 8 107 ; An Ca AJ Cz (fond et réparations) (28 novembre 2018) 2 RICA 415, 8 85.
91. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter les demandes du Requérant
dans leur intégralité et de dire que le Requérant continue de purger sa
peine.
92. La Cour rappelle qu’en l’espèce, elle a conclu que l’État défendeur a violé
le droit du Requérant à un procès équitable du fait de ne pas lui fournir une
assistance judiciaire gratuite. Sans en minimiser la gravité, la Cour note
qu’elle n’a pas conclu qu’une telle violation a eu un effet sur la culpabilité
du Requérant ni sa condamnation”.
93. Par ailleurs, la Cour estime que la nature de la violation en l'espèce ne
révèle aucune circonstance de nature à considérer le maintien en détention
du Requérant comme un déni de justice ou une décision arbitraire. Le
Requérant n’a pas, non plus, démontré l’existence d’autres circonstances
exceptionnelles et impérieuses pouvant justifier la mesure de mise en
94. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette la demande du Requérant
tendant à faire annuler sa condamnation et ordonner sa mise en liberté.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
95. Les Parties n’ont pas conclu sur les frais de procédure.
27 Xc AJ Cz AK, 8 157 ; Ar AJ Cz, AK, 8 84 ; At AJ Cz, AK, 8 96, Br AJ Cz, AK, 8 164.
2 Jibu Amir alias Be et Az Bf alias Bo c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 654, 8 97, Bq AJ Cz, AK, 8 112 ; et Ca AJ Cz, AK, 8 82.
96. Aux termes de l’article 32(2) du Règlement de la Cour, « [à] moins que la
Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de
97. La Cour considère qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances, de déroger à
la disposition précitée. En conséquence, elle ordonne que chaque partie
supporte ses frais de procédure.
X. DISPOSITIF
98. Par ces motifs,
LA COUR,
Sur la compétence
i. Rejette l'exception d’incompétence soulevée par l’État défendeur ;
ii. Dit qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à l’égalité
devant la loi et la protection égale devant la loi, protégé
respectivement par l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
29 Article 30 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
vi. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant garanti à
l’article7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d)
du PIDCP, pour ne lui avoir pas fait bénéficier d’une assistance
judiciaire gratuite.
Sur les réparations pécuniaires
vii. Alloue au Requérant la somme de trois-cent mille (300 000) shillings
tanzaniens, au titre du préjudice moral subi du fait de la violation de
son droit à une assistance judiciaire gratuite.
viii. Ordonne à l’État défendeur de payer le montant indiqué au point vii
ci-dessus, en franchise d’impôt, à titre de juste compensation dans
un délai de six (6) mois à compter de la date de notification du
présent arrêt, à défaut, il sera tenu de payer des intérêts de droit
calculés sur la base du taux en vigueur de la Banque centrale de
Tanzanie pendant toute la période de retard jusqu’au paiement
intégral des sommes dues.
Sur les réparations non pécuniaires
ix. Rejette la demande d'annulation de la condamnation du Requérant
et de sa mise en liberté.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
x. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six (6)
mois à compter de la date de notification du présent arrêt, un
rapport sur la mise en œuvre de la mesure qui y est ordonnée et,
ce, tous les six (6) mois, jusqu’à ce qu’elle considère que toute la
décision est entièrement exécutée.
Sur les frais de procédure
xi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédures.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président fra ruse
Ben KIOKO, Juge ; MES
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; Hs yhee),
Tujilane R. Chizumila, Juge ; Li Oran la
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ge
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge Sare7 Æ a.
Dennis D. ADJEI, Juge : Me
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce cinquième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt-trois, en anglais et en français, le texte en anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 027/2016
Date de la décision : 05/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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