AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES AFFAIRE
Bt B RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 032/2017
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES...
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour.
B Sur les autres aspects de la compétence …
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
B Sur les autres conditions de recevabilité
DIR SUR LE FOND
A. Allégation de violation selon laquelle l’acte d'accusation était entaché
B Allégation relative aux éléments de preuve de la plaignante
VIII SUR LES RÉPARATIONS
IX SUR LES FRAIS DE PRO13D13E14D16P17I17F 11
13
13
14
16
17 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Dennis D. ADJEI — Juges ; et
Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
Bt B
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE,
représentée par :
ii Dr Cc By X, Bh Am, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Bl Bq A, Aa Bh Am, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Ap AH, Directrice chargée des droits de l’homme, ministère
des Affaires constitutionnelles et juridiques ;
iv. M. Ao Az Ar, Directeur adjoint, Constitution, Droit de l'homme et
Contentieux électoral, Bureau du Solicitor General ; et
v. Mme Bp Z, Ab Bj, Bureau du Solicitor General ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Bt B Yci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la présente Requête,
était incarcéré à la prison centrale d’Uyui dans la région de B après
avoir été condamné à trente (30) ans de réclusion pour viol. Il allègue la
violation de son droit à un procès équitable dans le cadre des procédures
devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la «
Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée la Déclaration »), par laquelle elle accepte
la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d’individus
et d'organisations non gouvernementales. Le 21 novembre 2019 l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n'avait aucune incidence, ni sur les affaires
pendantes, ni sur de nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise
d’effet un (1) an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22
novembre 2020.?
2 Ah Ac Ag c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020), 4 RICA 219, 88 37 à 39.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le 5 mai 2009, le Requérant a envoyé une jeune
fille de douze (12) ans lui acheter une boîte d’allumettes dans un magasin.
Revenue rapporter l’objet au Requérant, celui-ci a attiré la jeune fille dans
sa chambre et l’a violée. La jeune fille a rapporté l'incident à sa mère qui l’a
signalé à la police. Le Requérant fut arrêté et mis en examen pour viol
devant le Tribunal de district de Nzega. Le 26 mai 2009, il a été reconnu
coupable et condamné à une peine de trente (30) ans de réclusion et à un
(1) coup de fouet.
4. Le 1“ juin 2009, le Requérant a interjeté appel de cette décision qui a été
confirmée par la Haute Cour de Tanzanie, siégeant à B, le 9 août
2011. Le Requérant a, par la suite, saisi la Cour d’appel d’un recours contre
la décision de confirmation. Le 10 mars 2014, ce recours a été rejeté dans
son entièreté.
B. Violations alléguées
5. Le Requérant allègue la violation de son droit à un procès équitable, en ce
que :
ii Il a été condamné sur la base d’un acte d’accusation entaché
d’irrégularité ; et
ii. Il a également été condamné sur la base de preuves peu fiables.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
6. La Requête a été reçue au Greffe le 2 octobre 2017. Le 8 mai 2018, le
Requérant a transmis les actes de la procédure devant les juridictions nationales, à la suite de la demande qui lui avait été faite à cet effet, le 22
février 2018.
7. La Requête a été signifiée à l’État défendeur le 5 septembre 2018. L'État
défendeur a soumis sa réponse le 21 mars 2019 et celle-ci a été
communiquée au Requérant le 25 mars 2019.
8. Les Parties ont déposé leurs autres écritures et pièces de procédure après
avoir bénéficié de plusieurs prorogations de délais par la Cour.
9. Les débats ont été clôturés le 18 avril 2023 et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
10. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur a violé ses droits, d'annuler la
déclaration de culpabilité et la peine prononcée à son encontre et
d’ordonner sa remise en liberté ;
ii. Lui accorder des réparations à concurrence de deux-cent quatre-vingt-
huit millions (288 000 000) de shillings tanzaniens ;
iii. Lui accorder toute autre réparation que la Cour jugera appropriée.
11. L'État défendeur demande à la Cour de se prononcer comme suit, en ce
qui concerne la recevabilité de la Requête :
i. Dire et juger que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
n’est pas compétente pour connaître de la présente Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité prévues aux articles 56(6) de la Charte, 6(2) du Protocole
et 40(6) du Règlement intérieur de la Cour ;
ii. Dire que la Requête est irrecevable ;
iv. Rejeter la Requête avec dépens.
12. En ce qui concerne le fond de la Requête, l’État défendeur prie la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant,
protégés par l’article 2 de la Charte ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a violé aucun des droits du
Requérant, protégés par la Charte.
V. SUR LA COMPÉTENCE
13. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
14. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « [Ia Cour procède à un
examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au
Protocole et au [.…] Règlement ».
15. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit procéder à un
examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles exceptions
d’incompétence.
16. En l’espèce, l’État défendeur soulève une exception d’incompétence
matérielle de la Cour. La Cour statuera sur ladite exception avant de se
prononcer, le cas échéant, sur les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
17. L'État défendeur soutient que la Cour n’est pas compétente pour connaître
de la présente Requête dans la mesure où elle n’est pas une juridiction
d’appel en matière pénale.
18. Citant l’affaire Bx Bz An c. Tanzanie, le Requérant soutient,
quant à lui, que la Cour est compétente en l’espèce dès lors qu’elle fait état
de violations alléguées de la Charte.
19. La Cour note, sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, qu’elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme
ratifié par l’État concerné 3
20. La Cour rappelle, en outre, qu’elle n’a pas la compétence d’appel pénale
ou autre compétence à l’égard des décisions rendues par les juridictions
nationales, mais qu’elle peut, en vertu de l’article 3(1) du Protocole,
examiner les procédures pertinentes devant les instances nationales pour
déterminer si elles sont en conformité avec les normes prescrites dans la
Charte ou avec tout autre instrument ratifié par l’État concerné. En
l'espèce, le Requérant allègue la violation du droit à un procès équitable,
protégé par la Charte à laquelle est partie l’État défendeur.
3 Alex Bw c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 88 45 ; Af Bn Ak et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RJCA 67, 8 34 à 36 ; Bb Aw AG Bo et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019), 3 RICA 654, 8 18 ; Ax Bi Br c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 017/2017, Arrêt du 22 septembre 2022 (compétence et recevabilité), ss 21.
* Af Cb c. République-Unie de Tanzanie (fond) (mars 2019), 3 RICA 51, 8 26 ; Al Au c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RCJA 493, 8 33 ; Av Ay YBd BgC et As Av YBk BuC c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018), 2 RICA 297, 8 35.
21. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’exception d’incompétence et
conclut qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de la présente
Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
22. La Cour relève qu’aucune exception n’a été soulevée concernant sa
compétence personnelle, temporelle ou territoriale. Néanmoins, elle doit
s'assurer que tous ces aspects de sa compétence sont réunis.
23. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour relève, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie
au Protocole et que, le 29 mars 2010, il a déposé auprès de la Commission
de l’Union africaine la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole. Il a
par la suite déposé, le 21 novembre 2019, l’instrument de retrait de sa
Déclaration.
24. À cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la
Déclaration n’a pas d’effet rétroactif et ne prend effet qu’un (1) an après la
date de dépôt de l’instrument y relatif, en l’occurrence le 22 novembre
2020. La présente Requête, introduite avant le dépôt, par l’État défendeur,
de son avis de retrait n’en est donc pas affectée. La Cour conclut qu’elle a
la compétence personnelle, en l’espèce.
25. S’agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que les violations
alléguées sont intervenues après que l’État défendeur est devenu partie à
la Charte et au Protocole et qu’il a déposé la Déclaration prévue à l’article
34(6) dudit Protocole. La Cour en conclut que sa compétence temporelle
est établie.
5 Ag c. Tanzanie (fond), supra, 88 37 à 39 26. La Cour souligne, en outre, qu’elle a la compétence territoriale dans la
mesure où les violations alléguées se sont produites sur le territoire de
l’État défendeur.
27. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
28. L'article 6(2) du Protocole est libellé comme suit : « La Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
29. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et
au présent Règlement ».
30. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et
la Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue
par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
31. L'État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité de la Requête au
motif qu’elle n’a pas été déposée dans un délai raisonnable. La Cour va
donc statuer sur ladite exception avant de se prononcer sur les autres
conditions de recevabilité, si nécessaire.
A. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
32. L'État défendeur soutient que la Requête n’a pas été déposée dans un délai
raisonnable et devrait donc être déclarée irrecevable dans la mesure où
elle n’est pas conforme à l’article 40(6) du Règlements et à l’article 56(6) de
la Charte.
33. Pour sa part, citant l'affaire Bc Ai Ca c. Tanzanie, le
Requérant affirme qu’il n’y a pas de délai fixe pour introduire une requête
devant la Cour. Il soutient en outre qu’il n’a eu connaissance de l'existence
de la Cour qu’en 2017, lorsque le sieur Ax Bi Br a
introduit sa requête devant elle. Il soutient donc que, compte tenu de son
incarcération et de son manque de connaissance antérieure de l’existence
de la Cour, la Cour devrait estimer qu’il a déposé sa Requête dans un délai
raisonnable.
8 Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
34. La Cour relève que la règle 50(2)(f) du Règlement, qui reprend en
substance les dispositions de l’article 56(6) de la Charte, exige qu’une
Requête soit déposée dans « un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour
comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ».
35. La Cour a conclu dans ses arrêts précédents que « … le caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».” Au nombre
des circonstances que la Cour a retenu figurent : le fait d’être incarcéré,
profane en matière de droit et de ne pas bénéficier d’une assistance
judiciaire, d’être indigent et analphabète.®
36. La Cour observe, en l’espèce, que l’arrêt de la Cour d'appel a été rendu le
10 mars 2014 et que la présente Requête a été déposée le 2 octobre 2017.
La Cour note, dans ces circonstances, que trois (3) ans, six (6) mois et
vingt-trois (23) jours se sont écoulés entre la date du prononcé des
décisions de la Cour d’appel et l'introduction de la présente Requête. La
question à trancher est donc de savoir si le délai dans lequel le Requérant
a saisi Cour de sa Requête est raisonnable.
37. La Cour rappelle sa jurisprudence établies dans les affaires dans lesquelles
elle a conclu que le délai de cinq (5) ans et un (1) mois était raisonnable
parce que les requérants étaient emprisonnés, restreints dans leurs
mouvements et n'avaient qu’un accès limité à l'information ; ils étaient
profanes en droit, indigents, n'avaient pas bénéficié de l’assistance d’un
avocat lors de leurs procès devant la juridiction nationale et étaient
7 Bm Bf et autres c. Bv Aq (fond) (28 mars 2014), 1 RICA 226, 8 92. Voir également Bw c. Tanzanie (fond), supra, 8 73.
8 Bw c. Tanzanie (fond), supra, 8 73 ; Ai Ba c. Tanzanie (fond) (28 septembre 2017), 2 RICA 105, 8 54 et Aw Aj c. Tanzanie (fond) (11 mai 2018), 2 RICA 356, 8 83.
9 Ba c. Tanzanie (fond), supra, 8 54 ; Aj c. Tanzanie (fond), supra, 8 50.
38. En l’espèce, le Requérant est incarcéré, restreint dans ses mouvements et
n’a qu’un accès limité à l'information. Compte tenu de ces circonstances,
la Cour estime que la période de trois (3) ans, six (6) mois et vingt-trois (23)
jours constitue un délai raisonnable.
39. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception tirée du dépôt de la
Requête dans un délai non raisonnable et estime que la Requête est
conforme à la règle 50(2)(f) du Règlement.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
40. La Cour relève qu'aucune exception n’a été soulevée concernant le respect
des conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c), (d), (e) et (g) du
Règlement. Néanmoins, elle doit s'assurer que ces conditions sont
remplies.
41. || ressort du dossier que le Requérant a été clairement identifié par son
nom, conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
42. En outre, la Cour relève que les griefs formulés par le Requérant visent à
protéger ses droits garantis par la Charte. Elle note, en effet, que l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son
article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des
peuples. Il ne résulte du dossier aucun élément qui soit incompatible avec
l’Acte constitutif. La Cour en conclut que la Requête satisfait à l’exigence
de la règle 50(2)(b) du Règlement.
43. Du reste, les termes dans lesquels est rédigée la Requête ne sont ni
outrageants, ni insultants à l'égard de l'État défendeur et de ses institutions
ou de l’Union africaine, ce qui la rend conforme à la règle 50(2)(c) du
Règlement.
44. La Cour note, s'agissant de la condition prévue par la règle 50(2)(d) du
Règlement, que la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse, mais sur
des documents judiciaires émanant des juridictions nationales de l’État
défendeur. Elle satisfait donc à cette exigence.
45. S'agissant de la règle 50(2)(e) du Règlement, la Cour relève qu’elle exige
que tous les requérants épuisent les recours internes avant de la saisir.
46. En l'espèce, la Cour relève que, à la suite de sa condamnation par le
Tribunal de district de Nzega, le Requérant a interjeté appel de sa
déclaration de culpabilité et de la peine prononcées à son encontre devant
la Haute Cour qui, le 9 août 2011, a confirmé la décision contestée. Il a,
ensuite, formé un recours devant la Cour d’appel de Tanzanie, l’organe
judiciaire suprême de l’État défendeur qui, le 10 mars 2014, a confirmé la
décision de la Haute Cour.
47. La Cour note, en outre, que les griefs soulevés par le Requérant ont
également été portés, en substance, devant les juridictions nationales,
dans la mesure où il avait également contesté la procédure ayant abouti à
sa condamnation. L'État défendeur a donc amplement eu la possibilité de
remédier aux violations alléguées. La Cour en déduit que le Requérant a
épuisé les recours internes. Elle estime donc que la Requête est conforme
à la règle 50(2)(e) du Règlement.
48. Par ailleurs, la Requête ne se rapporte pas à une affaire qui a déjà été
réglée par les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l'Union africaine, des dispositions de la Charte
ou de tout instrument juridique de l’Union africaine. Elle est donc conforme
à la règle 50(2)(g) du Règlement.
49. La Cour en conclut que toutes les conditions de recevabilité sont remplies
et déclare la Requête recevable.
VII. SUR LE FOND
50. Le Requérant allègue la violation de la Charte relativement aux points
suivants :
ii Il a été condamné sur la base d’un acte d'accusation entaché
d’irrégularité ; et
i. Il a été condamné sur la base de preuves peu fiables.
A. Allégation de violation selon laquelle l’acte d’accusation était entaché
d’irrégularité
51. Le Requérant affirme qu’il n’a pas compris la nature de l’infraction dont il
était accusé. || soutient qu’il a été poursuivi pour viol, en application des
articles 130 et 131 du Code pénal de 2002, mais que l’acte d’accusation ne
précisait pas la catégorie de viol dont il était accusé.
52. Citant la jurisprudence tanzanienne dans l’affaire Be Bs c.
République, le Requérant soutient qu’il n’a pas été accusé d’une infraction
prévue par la loi dans la mesure où l’acte d'accusation manque de
précision.
53. L'État défendeur soutient, pour sa part, que le Requérant a été déféré
devant le Tribunal de district pour viol et qu’il aurait donc dû soulever le
caractère irrégulier de l’acte d’accusation lors de ses recours devant la
Haute Cour et la Cour d’appel.
54. En outre, l’État défendeur soutient que, la Cour n’étant pas une juridiction
d’appel en matière pénale, le Requérant n’est pas en droit de soulever la
question de l’acte d’accusation devant elle.
55. L'’article 7(1) de la Charte dispose : « [t]oute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue ».
56. Dans sa jurisprudence, la Cour a interprété l'article 7(1) de la Charte*° à la
lumière des dispositions de l’article 14(1) du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (ci-après dénommé « PIDCP »),!! qui dispose :
« Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et
publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par
la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale
dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de
caractère civil … ».
57. En l'espèce, il ressort du dossier que la Cour d’appel a conclu que l’acte
d'accusation initial était entaché d’irrégularités car le Requérant était
accusé de viol et non de détournement de mineur, infraction définie comme
le viol d’une fille âgée de moins de dix-huit (18) ans.!? La Cour d’appel a
toutefois indiqué que le tribunal de district avait corrigé l’erreur en
prononçant la peine requise à l’encontre du Requérant. Le Requérant a
donc été condamné sur la base du chef d'accusation approprié.
58. Par conséquent, le tribunal de première instance et les juridictions d'appel
ont respecté les normes prescrites par la Charte en matière de procès
équitable. La Cour rejette donc l’allégation du Requérant sur ce point.
B. Allégation relative aux éléments de preuve de la plaignante
59. Le Requérant soutient que c’est à tort que la déposition de la plaignante a
été recueillie sous serment et invoquée, dans la mesure où la victime avait
douze (12) ans et il ne lui a pas été demandé si elle comprenait la nature
d’un serment.
19 Voir Ba c. Tanzanie (fond), supra, 8 64.
11 L’État défendeur a ratifié le PIDCP le 11 juin 1976.
12 Article 130(2) du Code pénal (2002).
60. L'État défendeur soutient que le Tribunal de district a mené la procédure
de voir-diret$ comme l’exige l’article 127(2) et (3) de la loi de 2002 sur les
moyens de preuve et a constaté que la plaignante était capable de faire la
distinction entre la vérité et le mensonge. L'État défendeur affirme que, bien
que les juridictions d'appel n'aient pas été convaincues que la procédure
de voir-dire avait été correctement menée, elles ont estimé que les autres
preuves produites étaient suffisantes pour condamner le Requérant.
61. L'article 7(1) de la Charte dispose : « [t]oute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue ».
62. La Cour a, dans sa jurisprudence constante, considéré « … qu’un procès
équitable requiert que la condamnation d’une personne à une sanction
pénale et particulièrement à une lourde peine d’emprisonnement, soit
fondée sur des preuves solides. C’est tout le sens du droit à la présomption
d’innocence également consacré par l’article 7 de la Charte ».!4
63. La Cour rappelle, en outre, que :!*
[s]’agissant en particulier des preuves qui ont servi de base à la
condamnation du Requérant, la Cour estime qu’il ne lui revient pas en
effet de se prononcer sur leur valeur aux fins de revoir cette
condamnation. Toutefois, elle considère que rien ne lui
interdit d’examiner ces preuves, comme éléments du dossier qui lui
est soumis, afin de voir si de façon générale, la manière dont le juge
national les a appréciées a été conforme aux exigences d’un procès
équitable au sens notamment de l’article 7 de la Charte.
13 Il s’agit d’une procédure menée par un tribunal visant à déterminer si un enfant en bas âge est capable de comprendre la nature du serment et les obligations qui en découlent.
14 Ae c. Tanzanie (fond), supra, 8 174 ; At Ad c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 72 ; Majid Goa c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 520, 8 72.
15 Ae c. Tanzanie (fond), supra, 8 26.
64. En l’espèce, le Requérant conteste la manière dont la procédure du voir
dire a été conduite. Il ressort du dossier que la Cour d’appel a estimé que
la procédure de voir-dire n'avait pas établi que la victime comprenait la
signification du serment et l’obligation de dire la vérité, de sorte que sa
déposition serait traitée comme une déposition sans serment et
nécessiterait une corroboration. À cette fin, la Cour d’appel a estimé que la
déposition sans serment de la plaignante était corroborée par le
témoignage de la mère de la victime, à qui elle avait rapporté l'incident et
qui avait déclaré qu’elle pleurait en tenant ses sous-vêtements après
l'incident de viol. En outre, le témoin à charge n° 3 (le père de la plaignante)
et le témoin à charge n° 4 (le chef du village) ont déclaré que le Requérant
avait avoué le crime et demandé pardon. La Cour d’appel a donc estimé
que le Requérant avait été condamné sur la base d’une preuve au-delà de
tout doute raisonnable.
65. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que la manière dont les
juridictions internes ont apprécié les preuves et condamné le Requérant ne
révèle aucune erreur manifeste et n’est pas constitutive d’un déni de justice
à l’égard de celui-ci. Par conséquent, la Cour rejette cette allégation.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
66. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner l’annulation de la déclaration
de culpabilité et la peine prononcées à son encontre ; d’ordonner sa remise
en liberté, de lui accorder des réparations à concurrence de deux-cent
quatre-vingt-huit millions (288 000 000) de shillings tanzaniens ainsi que
toute autre réparation qu’elle jugera appropriée.
67. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparation
formulée par le Requérant.
68. L'article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
69. La Cour n'ayant retenu aucune violation en l'espèce, la demande de
réparation n’est pas justifiée. La Cour rejette donc cette demande.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
70. L'État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge du Requérant. Le Requérant n’a pas conclu sur les frais de
procédure.
71. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses
frais de procédure ».
72. La Cour estime qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du principe posé par
cette disposition. La Cour ordonne donc que chaque Partie supporte ses
frais de procédure.
DISPOSITIF
73.Par ces motifs,
LA COUR,
Sur la compétence
ii. Dit qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable ;
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la défense, protégé
par l’article 7(1) de la Charte, en ce qui concerne la régularité de
l’acte d'accusation ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à un procès
équitable, protégé par l’article 7(1) de la Charte, en ce qui
concerne les éléments de preuve sur la base desquels le
Requérant a été condamné.
Sur les réparations
vii. Rejette la demande de réparations formulée par le Requérant.
Sur les frais de procédure
viii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président Jrdte ; fausse - Ben KIOKO, Juge ; 2;
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge MG 1ale-
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge Las Cirpous la,
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ge
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge 2 œ.
Dennis D. ADJEI, Juge ;
Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce cinquième jour du mois de septembre de l’année deux-mille vingt- trois, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.