AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Bs Cv
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 033/2017
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 SOMMAIRE … …
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour …
B Sur l’exception d’incompétence temporelle
C Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
B Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
C Sur les autres conditions de recevabilité
DIR SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 10
12
15
15 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
Bs Cv
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Ch Xc AI, Ax Cd, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bc Bf A, Bp Ax Cd, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Ak Z, Directrice chargée des droits de l’homme, ministère
des Affaires constitutionnelles et juridiques ;
iv. Mme Xd As AH, Directrice par intérim de l’Unité juridique,
ministère des Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine ;
v. M. Bm Aq Am, Directeur adjoint, Recours en inconstitutionnalité, Droit de
l'homme et Contentieux électoral, Bureau du Solicitor General ; et
! Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
vi. Mme Ac C, Principal State Cu, Cabinet de l’Cu Cd ;
vii. Mme Cr Y, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Bs Cv Xci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la présente Requête,
était incarcéré à la prison centrale d’Uyui dans la région de Az après
avoir été reconnu coupable de « viol » et condamné à trente (30) ans de
réclusion assortie de douze (12) coups de fouet. Il allègue la violation de
son droit à un procès équitable devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la «
Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée « la Déclaration »), par laquelle elle
accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant
d'individus et d'organisations non gouvernementales. Le 21 novembre 2019
l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les affaires
pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre
2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort de la Requête que le 28 décembre 2000, le Requérant a attiré une
jeune fille de treize (13) ans à son domicile et l’a violée. La jeune fille a
rapporté l’incident à sa grand-mère qui en a également fait part au Village
Executive Officer. Le Village Executive Office a rapporté l’incident à la police
qui a arrêté le Requérant et l’a traduit devant le tribunal de district de Nzega.
Le 17 avril 2001, le Requérant a été reconnu coupable des faits qui lui
étaient reprochés et condamné à une peine de trente (30) ans de réclusion
assortie de douze (12) coups de fouet ainsi qu’à une amende de vingt mille
(20 000) shillings tanzaniens à titre de dommages intérêts pour la victime.
4. Le Requérant a interjeté appel de sa condamnation et de sa peine devant
la Cour d'appel siégeant à Az, qui, le 25 mars 2002, a rejeté son
recours. Il a par la suite saisi la Cour d’appel d’un recours contre la décision
de confirmation. Le 7 mars 2005, ce recours a été rejeté pour défaut de
fondement.
5. Le 30 octobre 2015, le Requérant a introduit une demande de prorogation
de délai pour déposer un recours en révision de la décision de la Cour
d'appel, mais celle-ci a été rejetée le 22 septembre 2017.
B. Violations alléguées
6. Le Requérant allègue ce qui suit :
? Bz Ab Bq c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 37 à 39.
ii Il a été inculpé et condamné sur la base d’un acte d'accusation
entaché d’irrégularités ;
i. Le châtiment corporel prononcé à son encontre constitue une
violation de l’article 13 de la Constitution tanzanienne ; et
iii. Il n’a pas bénéficié d’une assistance judiciaire gratuite.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête a été déposée le 20 octobre 2017 et communiquée à l’État
défendeur le 23 février 2018.
8. Après plusieurs prorogations de délais, les Parties ont déposé leurs
conclusions sur le fond et les réparations dans le temps imparti par la Cour.
9. Les débats ont été clôturés le 17 avril 2023 et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
10. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Accueillir sa Requête et d’ordonner sa remise en liberté ;
ii. Ordonner toutes autres mesures de réparations qu’elle juge pertinentes
dans les circonstances de l’espèce.
11. En ce qui concerne la compétence et la recevabilité, l’État défendeur
demande à la Cour de :
i. Dire et juger qu’elle n’est pas compétente pour connaître de la présente
Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à la règle 50(2)(e) et (f) du Règlement intérieur ;
iii. Déclarer la Requête irrecevable ;
12. S’agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de
dire qu’il n’a pas violé les articles 2, 3(1) et (2), 5 et 7(1) de la Charte.
13. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la Requête avec dépens.
SUR LA COMPÉTENCE
14. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
15. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un
examen préliminaire de sa compétence […] conformément à la Charte, au
Protocole et au [.…] Règlement ».
16. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen de sa compétence et statuer sur les
éventuelles exceptions d’incompétence.
17. La Cour note que l’État défendeur soulève deux exceptions portant l’une,
sur sa compétence matérielle et, l’autre, sur sa compétence temporelle. La
Cour va statuer sur lesdites exceptions avant de se prononcer sur les autres
aspects de sa compétence si nécessaire.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
18. L'État défendeur fait valoir que la Cour n’est pas compétente pour connaître
de la présente Requête dans la mesure où elle soulève des questions de
fait et de droit qui relèvent exclusivement de la compétence de ses
juridictions internes. L’État défendeur soutient également que la Cour n’a
pas compétence pour annuler la déclaration de culpabilité et la
condamnation du Requérant, qui ont été légalement prononcées par la Cour
19. Il affirme que l’annulation d’une condamnation et l’ordonnance de remise
en liberté nécessitent le réexamen des preuves dans une affaire déjà
tranchée par la Cour d’appel. Se référant à la décision de la Cour dans
l’affaire Bb Be et autres c. Tanzanie, l’État défendeur affirme que
la Cour elle-même a déclaré que son rôle consistait uniquement à examiner
si l’État s’est conformé aux normes prévues par les instruments
internationaux qu’il a ratifiés et non à réexaminer des questions de preuve
déjà tranchées par les juridictions nationales.
20. Le Requérant soutient, pour sa part, que la Cour est compétente pour
connaître de la présente Requête en vertu des articles 3 et 27 du Protocole.
21. La Cour note sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, qu’elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État concerné.®
3 Ai Xb c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 45 ; Bb Be Cb et By Aa Bt Ah c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 88 34 à 36 ; At Cj alias Cx et Cf Ay Aj c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 654, 8 18 ; Ap Ct Bg c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 017/2017, Arrêt du 22 septembre 2022 (compétence et recevabilité), 8 21.
22. La Cour rappelle, en outre, que bien qu’il incombe aux juridictions
nationales d’examiner les questions de preuve, comme l’a rappelé l'État
défendeur, le rôle de la Cour consiste à examiner les procédures
pertinentes devant les instances nationales pour déterminer si elles sont en
conformité avec les normes prescrites dans la Charte ou avec tout autre
instrument ratifié par l’État concerné.* La Cour est donc habilitée, au
nombre d’autres mesures prévues par l’article 27(1) du Protocole, à
ordonner la mise en liberté d’un requérant dès lors que la procédure ayant
abouti à sa condamnation est jugée non conforme aux normes
internationales prévues dans la Charte.
23. En l'espèce, la Cour relève que le Requérant allègue la violation du droit à
la défense et du droit à un procès équitable, protégés par la Charte à
laquelle est partie l’État défendeur. La compétence matérielle est donc
établie en l'espèce.
24. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée et conclut
qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de la présente Requête.
B. Sur l’exception d’incompétence temporelle
25. L'État défendeur soutient que la Cour n’a pas la compétence temporelle à
l’égard de la présente Requête étant donné que les violations alléguées se
sont produites avant que l’État défendeur ne ratifie le Protocole et qu’elles
n’ont pas un caractère continu.
26. Le Requérant soutient, quant à lui, que la Cour est compétente pour
connaître de la présente Requête en vertu des articles 3 et 27 du Protocole.
* Bb Xe c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 26 ; Cc Co c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 493, 8 33 ; Ci Bj XAu AwB et Cg Ci XCw BhB c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018), 2 RICA 297, 8 35.
27. La Cour tient à souligner, conformément au principe de non-rétroactivité,
qu’elle ne peut examiner des allégations de violations des droits de l'homme
survenues avant l’entrée en vigueur à l’égard de l’État défendeur de ses
obligations découlant des instruments qu’il a ratifiés, à moins que lesdites
violations ne revêtent un caractère continu.°
28. La Cour note que les violations alléguées en l’espèce se fondent sur la
violation alléguée du droit à un procès équitable devant les juridictions
nationales, qui se serait produite entre les années 2000 et 2005. Les
violations alléguées se seraient donc produites après la ratification de la
Charte par l’État défendeur, mais avant la ratification du Protocole.
Toutefois, les violations alléguées se sont poursuivies au-delà de cette date
dans la mesure où le Requérant purge une peine prononcée par les
juridictions internes à l'issue des procédures qu’il considère comme étant
29. La Cour rejette donc l’exception soulevée par l’État défendeur et conclut
qu’elle a la compétence temporelle.
C. Sur les autres aspects de la compétence
30. La Cour relève qu'aucune exception n’a été soulevée concernant sa
compétence personnelle ou territoriale. Néanmoins, elle doit s'assurer que
tous ces aspects sont satisfaits.
31. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour relève, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie
au Protocole et que, le 29 mars 2010, il a déposé auprès de la Commission
de l’Union africaine, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole. Il a
5 Bl Ce c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 020/2017, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 8 18.
8 Ad Bi c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (15 juillet 2020) 4 RICA 466, 8 24 ; Cy Cq c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RJCA 728, 8 28(ii) ; Bd Cs et autres c. Xa Ao (exceptions préliminaires) (25 juin 2013) 1 RICA 204, 88 71 à 77.
par la suite déposé, le 21 novembre 2019, l’instrument de retrait de sa
Déclaration.
32. À cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la
Déclaration n’a pas d’effet rétroactif et ne prend effet qu’un (1) an après la
date de dépôt de l'instrument y relatif, en l’occurrence le 22 novembre 2020.
La présente Requête, introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son
avis de retrait, n’en est donc pas affectée. La Cour en conclut qu’elle a la
compétence personnelle, en l'espèce.
33. La Cour souligne, enfin, qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure
où les violations alléguées se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur.
34. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
35. L'article 6(2) du Protocole est libellé comme suit : « [a Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
36. En vertu de la règle 50(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un examen
de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux
articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au [...] Règlement. »
37. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, dispose comme suit :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure
de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
38. Dans la présente Requête, l’État défendeur soulève deux exceptions
d’irrecevabilité tirées l’une du non-épuisement des recours internes et
l’autre du dépôt de sa Requête dans un délai non-raisonnable. La Cour va
statuer sur ladite exception avant de se prononcer, le cas échéant, sur les
autres conditions de recevabilité si nécessaire.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
39. L'État défendeur affirme que le Requérant n’a pas porté devant les
juridictions nationales les allégations spécifiques qu’il soulève devant la
Cour de céans. Il soutient que le Requérant aurait dû soulever devant les
juridictions nationales, l’allégation de violation relative à « l’omission dans
l’acte d’accusation » et au défaut d'assistance judiciaire gratuite et que ne
l’ayant pas fait, le Requérant n’a pas épuisé les recours internes.
40. Le Requérant fait valoir, pour sa part, que sa Requête devrait être jugée
recevable conformément aux « articles 6(1) et 6(2) et 10 du Protocole ».
41. La Cour note qu’aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
dont elle est saisie doit satisfaire à la condition de l’épuisement des recours
internes. La règle de l’épuisement des recours internes vise à donner aux
États la possibilité de traiter les violations des droits de l’homme relevant de
leur juridiction avant qu’un organe international des droits de l'homme ne
soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet égard.”
42. En l’espèce, la Cour relève que, à la suite de sa condamnation par le
Tribunal de District de Nzega, le Requérant a interjeté appel de la
déclaration de culpabilité et de la peine prononcées à son encontre devant
la Haute Cour qui, le 25 mars 2002, a confirmé la décision contestée. Il a,
ensuite, formé un recours devant la Cour d’appel de Tanzanie, l’organe
judiciaire suprême de l'État défendeur, qui le 7 mars 2005, a, également,
confirmé la décision de la Haute Cour. La Cour note, en outre, que les griefs
soulevés par le Requérant ont également été portés, en substance, devant
les juridictions nationales, dans la mesure où il avait également contesté la
procédure ayant abouti à sa condamnation. L'État défendeur a donc eu la
possibilité de remédier aux violations alléguées. La Cour en déduit que le
Requérant a épuisé les recours internes.
43. Elle rejette, en conséquence, l’exception tirée du non-épuisement des
recours internes.
7 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 88 93 à 94.
B. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
44. L'État défendeur soutient que la Cour d’appel a rendu son arrêt le 7 mars
2005, alors que le Requérant a saisi la Cour le 20 octobre 2017. En outre,
l’État défendeur, rappelant qu’il a déposé sa Déclaration prévue à l’article
34(6) du Protocole le 29 mars 2010, affirme que le Requérant a donc
déposé sa Requête « sept (7) ans et sept (7) mois » plus tard.
45. Selon l’État défendeur, même si la Charte ne fixe pas de délai dans lequel
les requérants peuvent la saisir, la Cour a conclu qu’elle examinerait le
caractère raisonnable du délai de sa saisine au cas par cas. L'État
défendeur soutient que la Cour ne devrait pas considérer la présente
Requête comme ayant été introduite dans un délai raisonnable, car un
retard de « sept (7) ans et quatre (7) mois » est loin d’être raisonnable.
46. Le Requérant n’a pas conclu spécifiquement sur cette exception mais s’est
contenté d’affirmer que la Requête est recevable conformément aux articles
6(1), (2) et 10 du Protocole.
47. La Cour relève que la règle 50(2)(f) du Règlement, qui reprend en
substance le contenu de l’article 56(6) de la Charte, exige qu’une Requête
soit déposée dans : « un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des
recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant
commencer à courir le délai de sa saisine ».
48. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle : « … le caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire et devrait être apprécié au cas par cas ».8 Au nombre des
circonstances que la Cour a prises en considération, figurent : le fait d’être
incarcéré, profane en matière de droit et de ne pas bénéficier d’une
8 Bd Cs et autres c. Xa Ao (fond) (28 mars 2014) 1 RICA 226, 8 92. Voir également Xb c. Tanzanie (fond), supra, 8 73.
assistance judiciaire,® d’être indigent, d’être analphabète, de ne pas avoir
connaissance de l’existence de la Cour, de subir des intimidations et de
craindre des représailles,"° ainsi que l'exercice de recours extraordinaires.!!
49. La Cour observe que la date à laquelle la Cour d’appel a rendu son arrêt, à
savoir le 7 mars 2005, devrait, en principe, servir de point de référence dans
l’appréciation du caractère raisonnable du délai de dépôt de la Requête. Or,
en l'espèce, la date à retenir pour le décompte du délai est le 29 mars 2010,
c’est-à-dire la date à laquelle l’État défendeur a déposé sa Déclaration, car
ce n’est qu’à partir de cette date que les individus pouvaient attraire l’État
défendeur devant la Cour. La Requête ayant été soumise le 20 octobre
2017, le délai visé est donc de sept (7) ans, six (6) mois et vingt-deux (22)
jours. La question à trancher est par conséquent celle de savoir si ce délai
est raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f)
du Règlement.
50. À cet égard, la Cour a conclu que le non-dépôt d’une requête dans un délai
raisonnable du fait de l’indigence et l’incarcération doit être prouvé et ne
peut être justifié par des affirmations ou des hypothèses d'ordre général.!?
51. La Cour rappelle, comme elle l’a conclu dans l’arrêt Bo Bk c.
République Unie de Tanzanie qu’une période de cinq (5) ans et quatre (4)
mois ne constituait pas un délai raisonnable pour la saisir d’une requête, au
motif que les requérants, même s'ils étaient incarcérés et que leurs
mouvements sont, en conséquence, restreints, ils n’ont ni affirmé ni fourni
9 Xb c. Tanzanie (fond), supra, 8 73 ; Ca Br c. Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 54 ; Amir Ae c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 356,
19 Association pour le Progrès et la Défense des Droits des Femmes maliennes et Institute for Cz Bx and Development in Cn c. République du Mali (fond) (11 May 2018) 2 RICA 393, 8 54.
14 Cc Co c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 56 ; Bv Ar c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 49 et Cp An Ag c. République du Ghana (fond et réparations) (28 juin 2019) 3 RICA 245, 88 83 à 86.
12 Ap Ct Bg c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 017/2017, Arrêt du 22 septembre 2022 (Arrêt), 8 51.
la moindre preuve qu’ils sont illettrés, profanes en matière de droit ou qu’ils
ignorent l'existence de la Cour.!*
52. En l’espèce, le Requérant n’a soumis aucune observation sur le fait qu’il
avait déposé la Requête dans un délai raisonnable. À l'inverse, l’État
défendeur soutient que le Requérant n’a pas saisi la Cour dans un délai
raisonnable.
53. La Cour observe que, même s'il ressort du dossier que le Requérant était
incarcéré, aucun élément ne prouve que son incarcération ait constitué un
obstacle à l’introduction de la Requête en temps opportuns. Le Requérant
n’a donc pas justifié pourquoi il lui a fallu sept (7) ans, six (6) mois et vingt-
deux (22) jours pour saisir la Cour de sa Requête.
54. Il résulte, en outre, du dossier devant la Cour que la Cour d’appel a tranché
le recours du Requérant le 7 mars 2005 et que celui-ci a, le 7 septembre
2015, introduit une demande de prorogation de délai à l'effet de se pouvoir
en révision, soit dix (10) ans après la décision de rejet de ladite Cour. La
Cour relève que le Requérant n’a pas donné de raisons justifiant qu’il n’ait
pas pu saisir la Cour entre 2010 et septembre 2015, avant qu’il n’exerce le
recours en révision. Cette période n’a pas été prise en compte.
55. Certes, la Cour ne doit pas pénaliser les requérants qui tentent d’exercer la
procédure de révision, mais l’exercice d’un tel recours doit se faire
conformément aux exigences du droit interne afin de pouvoir justifier le
retard dans la saisine de la Cour. À cet égard, le règlement de la Cour
d'appel prévoit qu’une demande de révision de son arrêt doit être introduite
dans un délai de soixante (60) jours à compter de l’ordonnance dont la
révision est sollicitée.!* La Cour observe que la Cour d’appel a estimé que
le Requérant n’avait pas avancé de raisons convaincantes afin d’expliquer
pourquoi il lui a fallu dix ans pour déposer une demande de prorogation du
13 Bo Bk et Cm Bn c. République-Unie de Tanzanie (26 septembre 2019) (recevabilité) 3 RICA 491, 8 48.
14 Règle 66(3) du Règlement de la Cour d’appel de Tanzanie 2009.
délai à l’effet d'introduire une requête en révision de son arrêt. Par
conséquent, le Requérant ne peut se prévaloir de son propre retard excessif
devant les juridictions nationales pour justifier le retard de sa saisine de la
Cour.
56. À la lumière de ce qui précède, le Requérant n’a pas donné la raison pour
laquelle il lui à fallu sept (7) ans, six (6) mois et vingt-deux (22) jours pour
déposer sa Requête. La Cour en conclut que la Requête n’a pas été
déposée dans un délai raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte
et de la règle 50(2)(f) du Règlement.
C. Sur les autres conditions de recevabilité
57. Ayant constaté que la Requête ne satisfait pas à la condition prévue à la
règle 50(2)(f) du Règlement, la Cour n’a pas à se prononcer sur la
conformité de celle-ci aux autres conditions de recevabilité énoncées à
l’article 56(1), (2), (3), (4) et (7) de la Charte, telles que reprises à la règle
50(2)(a), (b), (c), (d) et (g) du Règlement,!® ces conditions étant
cumulatives.!6
58. Au regard de ce qui précède, la Cour déclare la Requête irrecevable et la
rejette en conséquence.
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
59. L'État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge du Requérant. Le Requérant n’a pas conclu sur les frais de
procédure.
16 Ba Cl et Bw Af c. République du Mali (compétence et recevabilité) (21 mars 2018) 2 RICA 246, 8 63 ; Al Av c. République du Rwanda (compétence et recevabilité) (11 mai 2018) 2 RICA 373, 8 48 ; Collectif des anciens travailleurs du laboratoire ALS c. République du Mali (Compétence et recevabilité) (28 mars 2019) 3 RICA 77, 8 39.
60. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses
frais de procédure ».
61. La Cour estime qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du principe posé par
cette disposition. La Cour ordonne donc que chaque Partie supporte ses
frais de procédure.
VIII. DISPOSITIF
62. Par ces motifs,
LA COUR,
Sur la compétence
i. Rejette les exceptions d’incompétence ;
ii. Dit qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des
recours internes ;
À la majorité de neuf (9) voix pour et une (1) voix contre, la Juge Chafika
BENSOULA ayant émis une déclaration,
iv. Reçoit l’exception d’irrecevabilité tirée du dépôt de la Requête
dans un délai non raisonnable ;
v. Déclare en conséquence — la Requête irrecevable.
Sur les frais de procédure
vi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fait. fausse
Ben KIOKO, Juge SSSS
Bu Ck AG, BENSAOULA, Juge Juge: ; — (+
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, la déclaration de la Juge Chafika BENSAOULA est jointe au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce cinquième jour du mois de septembre de l’an deux-mille vingt-trois,
en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.