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05/09/2023 | CADHP | N°037/2016

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 05 septembre 2023, 037/2016


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Ax Af
REPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 037/2016
ARRET
5 SEPTEMBRE 2023 avr SORN SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées.
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS..
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle
B Sur les a

utres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours inter...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Ax Af
REPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 037/2016
ARRET
5 SEPTEMBRE 2023 avr SORN SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées.
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS..
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle
B Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 10
B Sur les autres conditions de recevabilité 12
VII SUR LE FOND 13
A Violation du droit de recevoir notification des charges 14
B Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue 16
! Allégation relative à l'identification du Requérant 18
ii. Allégation relative à la non-proportionnalité entre la condamnation et
les preuves 20
C Violation alléguée du droit à la défense 23
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS 25
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 25
DISPOSITIF 26 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole ») et à la règle 9(2)* du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après dénommé « le Règlement »), la juge Imani D. ABOUD,
membre de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’Affaire
Ax Af
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Bs Cw AI, Bb Bz, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme At Bj A, Bt Bb Bz, Bureau du Solicitor
General ;
iii. M. Cy Z, Ambassadeur, Directeur de l'Unité juridique, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est - africaine ;
iv. Mme Ao AG, Directrice adjointe, Droits de l’homme, Principal
State Cn, Cabinet de l’Cn Bz ; et
v. Mme Bp Y, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération avec l’Afrique de l’Est.
+ Article 8(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Ax Af Cci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la Requête, purgeait
deux peines concurrentes de trente (30) ans de réclusion à la prison
centrale de Butimba, à Ag, pour vol à main armée et viol. Le
Requérant allègue la violation de ses droits devant les juridictions
nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la «
Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée « la Déclaration »), par laquelle elle
accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant
d'individus et d'organisations non gouvernementales (ci-après dénommées
« ONG »). Le 21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé auprès de la
Commission de l’Union africaine un instrument de retrait de ladite
Déclaration. La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration n'avait aucune
incidence, ni sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires
introduites devant elle avant sa prise d’effet un an après le dépôt de
l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020?
2 By Ad Bu c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 38.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que, le 21 avril 2013, le Requérant ainsi que d’autres
individus non-parties à la présente Requête, se sont introduits par effraction
au domicile d’une dame et y ont frauduleusement soustrait de l’argent et
des biens. Le Requérant et ses complices ont également commis un viol
sur la dame avant de s'enfuir du lieu du crime.
4. Le Requérant a été ensuite arrêté puis inculpé, seul, de vol à main armée
et de viol, deux infractions punies respectivement par les articles 287A, 130
et 131 du Code pénal.
5. Le 8 avril 2014, dans l’affaire pénale n° 44 de 2013, le tribunal de district a
condamné le Requérant à deux peines concurrentes de trente (30) ans de
réclusion, pour chacune des infractions.
6. Se sentant lésé par cette décision, le Requérant a interjeté appel devant la
Haute Cour de Tanzanie siégeant à Az dans l’affaire pénale n° 45 de
2014. Le 7 mai 2015, la Haute Cour a confirmé la décision de la juridiction
inférieure, rejetant ainsi l’appel du Requérant.
7. Le Requérant a, par la suite, formé un recours devant la Cour d’appel de
Tanzanie siégeant à Az dans l’affaire pénale n° 278 de 2015, l’appel a
été rejeté le 16 février 2016.
8. C’est à la suite de ces procédures que le Requérant a saisi la Cour de
céans, le 29 juin 2016.
B. Violations alléguées
9. Le Requérant allègue ce qui suit :
i. Il n’a pas été informé des charges qui pesaient contre lui au moment de son arrestation, et par ce manquement, l’État défendeur a violé ses
droits fondamentaux protégés par l’article 23 de la Loi portant Code de
procédure pénale (ci-après désigné « CPP ») ainsi que par l’article
15(1)(2) de la Constitution de l’État défendeur (1977) (ci-après désigné
« la Constitution »);
ii. La Cour d’appel de Tanzanie n’a pas correctement tranché les questions
de faits et de droit, violant ainsi les articles 2, 3 et 7(1) de la Charte et
l’article 107A(B) de la Constitution ;
ii. La Cour d’appel a commis une erreur fait et de droit en ne constatant
pas que les témoins à décharge n’ont pas été cités à comparaître,
conformément à l’article 231 du CPP, Chap. 20 RE 2002 et à l’article
13(6)(a) de la Constitution.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
10. La Requête introductive d’instance a été déposée au Greffe le 29 juin 2016
et communiquée à l’État défendeur le 24 août 2016.
11. Les Parties ont déposé leurs mémoires dans le délai fixé par la Cour, après
plusieurs prorogations.
12. Les débats ont été clôturés le 5 novembre 2020 et les Parties en ont dûment
reçu notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
13. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Rétablir la justice là où elle a été foulée au pied et d’ordonner sa remise
en liberté ;
ii. Lui accorder des réparations conformément à l’article 27(1) du Protocole
portant création de la Cour ;
iii. Ordonner toutes autres mesures qu’elle estimera nécessaires au regard des circonstances de l’espèce.
14. Pour sa part, l’État défendeur demande à la Cour de se prononcer comme
suit :
iv. Dire et juger qu’elle n’est pas compétente pour connaître de la présente
Requête ;
v. Dire et juger que la Requête ne remplit pas les conditions de recevabilité
prévues par l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ;
vi. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à la règle 40(6) du Règlement intérieur de la Cour
vii. Déclarer la Requête irrecevable et la rejeter, en conséquence.
15. L'État défendeur demande, en outre, à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
inscrits aux articles 2, 3 et 7(1) de la Charte ;
ii. Rejeter la Requête dans son intégralité pour défaut de fondement ;
iii. Rejeter les demandes du Requérant ;
iv. Dire et juger que le Requérant continue de purger sa peine ;
v. Dire et juger que le Requérant n’a droit à aucune réparation.
V. SUR LA COMPÉTENCE
16. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l'application de la Charte, du (...) Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
17. La Cour relève également qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
elle «procède à un examen préliminaire de sa compétence [.….]
conformément à la Charte, au Protocole et au [.…] Règlement ».3
18. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer
sur les éventuelles exceptions d’incompétence qui s’y rapportent.
19. La Cour note qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. La Cour statuera sur ladite exception avant de
se prononcer, si nécessaire, sur les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
20. L'État défendeur fait valoir que la Cour n’a pas la compétence matérielle
pour connaître de la Requête dans la mesure où l’article 3 du Protocole ne
lui reconnaît pas de compétence pour siéger en tant que juridiction
d'instance et d’appel sur des questions de droit et de preuves déjà
tranchées par la plus haute juridiction interne.
21. Citant la jurisprudence de la Cour dans l'affaire Cm Bc Ci AH
Cj, l’État défendeur affirme que la Cour n’a pas compétence d’appel
pour recevoir et examiner des recours concernant des affaires déjà
tranchées par les juridictions internes et/ou régionales.
22. Le Requérant conclut au rejet de l’exception de l’État défendeur en faisant
valoir que la Cour est compétente, en vertu de l’article 3(1) et (2) de la
Charte et de l’article 27 du Protocole, pour connaître de toutes les affaires
dont elle est saisie.
3 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
23. La Cour rappelle que, conformément à l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de « toutes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte,
du [...] Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de
l'homme et ratifié par l’État concerné ».*
24. La Cour rappelle également que, conformément à sa jurisprudence
constante, elle n’exerce pas de compétence d'appel à l’égard des requêtes
déjà examinées par les juridictions nationales.” Toutefois, « cela n’écarte
pas sa compétence pour apprécier la conformité des procédures devant les
juridictions nationales aux normes internationales prescrites par la Charte
ou par les autres instruments applicables des droits de l'homme auxquels
l’État défendeur est partie ».ô
25. La Cour observe, en l’espèce, que le Requérant allègue la violation de droits
garantis aux articles 2, 3 et 7(1) de la Charte, qu’elle a compétence pour
interpréter en vertu de l’article 3(1) du Protocole.”
26. À alumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par l’État
défendeur et conclut qu’elle a la compétence matérielle, en l’espèce.
B. Sur les autres aspects de la compétence
27. La Cour observe que les Parties ne contestent pas sa compétence
personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins, conformément à la règle
49(1) du Règlement,® elle doit s'assurer que les conditions relatives à tous
4 Cq Ah c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18 et Ce Bq Am c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (2014) 1 RICA 413, 8 114.
5 Br Ab As c. République-Unie de Tanzanie, Requête n° 052/2016, Arrêt du ''" décembre 2022 (fond et réparations), 8 25 ; Bw Au Bw et Be Au Bw c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 29 et Cm Bc Ci c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 88 14 à 16.
8 Bu c. Tanzanie (arrêt), supra, 8 32 ; Bw et Bw c. de Tanzanie, ibid., 8 29 ; Alex Cu c. République-Unie de Tanzanie (fond), (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 130.
7 Bd Ac c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (25 septembre 2020) 4 RICA 566, 88 25 à 28 et Actions pour la Protection des Droits de l'Homme (APDH) c. République de Côte d'Ivoire (fond) (18 novembre 2016) 1 RICA 697, 88 47 à 65.
8 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
les aspects de sa compétence sont remplies avant de poursuivre l’examen
de la Requête.
28. Ayant constaté qu'aucun élément dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétente, la Cour conclut qu’elle a :
i. La compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur est
partie à la Charte, au Protocole et a déposé la Déclaration qui permet
aux individus et aux ONG dotées du statut d’observateur auprès de
la Commission de saisir directement la Cour. À cet égard, la Cour
rappelle sa position selon laquelle le retrait par l’État défendeur de
sa Déclaration le 25 mars 2020 n’a pas d'effet sur la présente
Requête, dans la mesure où il a été effectué après le dépôt de la
Requête devant la Cour.
i. La compétence temporelle, du moment que les violations alléguées
par le Requérant sont survenues après que l’État défendeur est
devenu partie au Protocole. En outre, les violations alléguées sont
continues, la condamnation du Requérant étant maintenue sur la
base de ce qu'il considère comme une procédure inéquitable.!°
ii. La compétence territoriale dans la mesure où les violations
alléguées se sont produites sur le territoire de l’État défendeur.
29. Au regard de ce qui précède, la Cour considère qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
9 Bu c. Tanzanie (arrêt), supra, 8 38.
19 As c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 30 et Ae Bh c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (15 juillet 2020), 4 RICA 466, 88 23 et 24.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
30. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Ja Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
31. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6 (2) du Protocole, et au [...]
Règlement ».
32. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
33. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité de
la Requête tirée du non-épuisement des recours internes. La Cour va
statuer sur ladite exception avant de se prononcer,, le cas échéant, sur les
autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
34. L'État défendeur affirme que la Requête ne satisfait pas à la condition de
l'épuisement des recours internes, du moment que le Requérant n’a pas
tenté d’exercer les autres recours disponibles en ne saisissant pas, par
exemple, la Haute Cour d’une requête en inconstitutionnalité.
35. Le Requérant demande, pour sa part, conclut à la recevabilité de la
Requête, conformément aux articles 5(3), 6(1) et 7 du Protocole.
36. La Cour rappelle que l’exigence de l’épuisement des recours internes est
un principe internationalement reconnu et repris à l’article 56(5) de la Charte
et à la règle 50(2)(e) du Règlement.** Conformément à la jurisprudence
constante de la Cour, les recours à épuiser sont des recours judiciaires
37. La Cour a également conclu que le recours en inconstitutionnalité, tel que
conçu dans le système judiciaire de l’État défendeur, est un recours
extraordinaire qu’un requérant n'est pas tenu d’épuiser.!* En conséquence,
11 Bm Bg Bx c. République du Bénin (arrêt) (4 décembre 2020) 4 RICA 134, 8 85 et Époux Aq c. République du Mali (compétence et recevabilité) (28 septembre 2017) 2 RICA 122, 8 41.
1? Laurent Al c. République du Rwanda, CAfDHP, Requête n° 023/2015, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 74 et Cu c. Tanzanie (fond), supra, 8 64.
13 Bv Ay c. République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022, 8 61 ; Ah c. Tanzanie (arrêt), supra, 88 35 et 36 ; Cv Bl An c.
dès lors que le Requérant a franchi les étapes du système judiciaire, allant
jusqu’à la Cour d’appel, qui est la plus haute juridiction de l’État défendeur,
il a épuisé les recours requis.!*
38. La Cour observe qu’en l’espèce, le recours du Requérant a été tranché par
un arrêt rendu le 16 février 2016 par la Cour d'appel siégeant à Az, la
plus haute juridiction de l’État défendeur. Le recours en constitutionnalité
n’étant pas un recours que le Requérant aurait dû exercer, la Cour
considère donc que les recours internes ont été épuisées, en l’espèce.
39. La Cour relève, en outre, l’argument de l’État défendeur selon lequel
l’allégation du Requérant selon laquelle il a été empêché de citer des
témoins est soulevée pour la première fois, et que de ce fait, les recours
internes n’ont pas été épuisés à cet égard.
40. La Cour observe qu'il ressort du dossier que la question relative à la citation
des témoins a été soulevée devant la Haute Cour, lors de l’examen du
recours en appel de la décision du tribunal de district.” Dans ladite
procédure, la Haute Cour a rejeté l’allégation en soulignant que lors de la
procédure devant le tribunal de district, le 27 janvier 2014, le Requérant a
informé le tribunal qu’il témoignerait sous serment et qu’il n’avait ni témoin
à citer, ni pièce à présenter.
41. || ressort de ce qui précède que la question de la citation des témoins a été
examinée en appel par la Haute Cour et qu’elle n’est pas soulevée pour la
première fois devant la Cour de céans. Les recours internes ont donc été
épuisés en ce qui concerne cette question.
République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 570, 8 46 et Ai Ap Ak et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (18 mars 2016) 1 RICA 526, 8 95.
14 Ck Aa dit Ck Cg c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 026/2015, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 51 et Aw Ct c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 8 76.
15 Ax Af c. l’État, Appel pénal n° 45 de 2014, Arrêt de la Haute Cour de Tanzanie, 7 mai 2015, pages 7 et 8.
42. En conséquence, la Cour rejette l'exception de l’État défendeur et considère
que le Requérant a épuisé les recours internes prévus à l’article 56(5) de la
Charte et à la règle 50(2)(e) du Règlement.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
43. La Cour note que les Parties ne contestent pas la conformité de la Requête
aux exigences des alinéas (1), (2), (3), (4), (6) et (7) de l’article 56 de la
Charte, reprises aux alinéas (a), (b), (c), (d), (f) et (g) de la règle 50(2).
Toutefois, la Cour doit s'assurer que ces exigences ont été remplies.
44. || ressort du dossier que la condition énoncée à règle 50(2)(a) est remplie,
le Requérant ayant clairement indiqué son identité.
45. La Cour relève également que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger ses droits garantis par la Charte. Elle note, en effet, que
l’un des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en
son article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et
des peuples. Par ailleurs, la Requête ne contient aucun grief et aucune
demande qui soit incompatible avec une disposition dudit Acte. La Cour en
conclut que la Requête satisfait à l'exigence de la règle 50(2)(b) du
Règlement.
46. La Cour constate que la condition énoncée à la Règle 50(2)(c) est
également remplie, dans la mesure où la Requête ne contient aucun terme
injurieux ou insultant à l'égard de l'État concerné et de ses institutions. .
47. En ce qui concerne la condition énoncée à la Règle 50(2)(d), la Cour note
qu’il n’est pas établi que les arguments de fait et de droit développés dans
la Requête se fondent exclusivement sur des informations diffusées par les
moyens de communication de masse. Cette exigence est donc satisfaite.
48. S'agissant de la règle 50(2)(f) du Règlement relative à l’introduction de la Requête
dans un délai raisonnable après l'épuisement des recours internes, la Cour observe que la Cour d’appel a rejeté le recours introduit par le Requérant par
décision du 16 février 2016. La présente Requête ayant été introduite le 29
juin 2016, une période de quatre (4) mois et treize (13) jours s’est donc
écoulée entre les deux actes. Conformément à sa jurisprudence*S, la Cour
considère ce délai comme étant raisonnable et en conclut que le critère
énoncé à la règle 50(2)(f) du Règlement est rempli.
49. S'agissant, enfin, de la condition énoncée à la règle 50(2)(g) du Règlement,
la Cour constate que la présente Requête ne concerne pas une affaire qui
a déjà été réglée conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l'Union africaine ou des dispositions de la
Charte. La Requête satisfait donc à cette exigence.
50. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que la Requête remplit
toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte, tel
que repris à la règle 50(2) du Règlement, et la déclare recevable.
VII. SUR LE FOND
51. Le Requérant allègue la violation de ses droits comme suit :
i. La police ne lui a pas notifié les charges qui pesaient sur lui au moment
de son arrestation ;
ii. La Cour d’appel de Tanzanie n’a pas correctement tranché les questions
de fait et de droit, violant ainsi les articles 2, 3 et 7(1) de la Charte et
l’article 107A(B) de la Constitution de l’État défendeur (1977) ;
ii. La Cour d’appel a commis une erreur de fait et de droit en ne constatant
pas que les témoins à décharge n’ont pas été cités à comparaître,
conformément à l’article 231 du CPP, Chap. 20 RE 2002 et à l’article
13(6)(a) de la Constitution de l’État défendeur.
16 Cd Cb c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Application No. 058/2016, Arrêt du 13 juin 2023 (fond et réparations), 88 56 à 58; et Bx c. Benin (arrêt), supra, 88 89 à 91.
52. La Cour observe que les allégations formulées par le Requérant portent sur
la violation de son droit de recevoir notifier les charges qui pesaient sur lui
(A), le droit à ce que sa cause soit entendue, lu conjointement avec le droit
à l’égalité devant la loi (B) et le droit à la défense (C). La Cour examinera
successivement ces allégations.
A. Violation du droit de recevoir notification des charges
53. Le Requérant allègue qu’il n’a pas été informé des charges qui pesaient sur
lui au moment de son arrestation, et par ce manquement, l’État défendeur
a violé ses droits fondamentaux inscrits aux articles 23 du CPP et 15(2) de
la Constitution de l’État défendeur ;
54. L'État défendeur réfute cette allégation et fait valoir que s’il estimait que ses
droits avaient été violés, le Requérant avait la possibilité d’introduire un
recours en inconstitutionnalité en vertu de la Loi sur les droits et devoirs
fondamentaux [Chap 3 RE 2002] pendant que la procédure était en cours
devant le tribunal de district.
55. L'État défendeur affirme, en outre, que le Requérant n’a jamais soulevé
cette allégation devant la juridiction de jugement ou comme moyen devant
la Haute Cour ou devant la Cour d’appel. Il estime donc qu’elle est dénuée
de fondement et doit être rejetée en conséquence.
56. L'article 7(1)(c) de la Charte prévoit que toute personne a « le droit à la
défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son
choix ».
57. La Cour observe que l’article 7(1)(c) de la Charte ne prévoit pas
explicitement le droit de recevoir notification des charges qui pèsent sur une
personne. Toutefois, l’article 14(3)(a) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ci-après désigné « PIDCP ») comporte une telle
disposition comme relevant du droit à la défense.!”
58. La Cour rappelle que dans l’affaire Bm Bg Bx c.
République du Bénin, elle a considéré que le droit d’être informé des motifs
de l’accusation constitue un aspect important du droit à la défense protégé
par l’article 7(1)(c) de la Charte.!® S'agissant en particulier des procédures
pénales, la notification à l’accusé des charges qui pèsent sur lui, a pour but
de lui permettre de mieux préparer sa défense.*!°
59. C’est également le but visé dans le CPP, Chap 20 RE 2002, de l’État
défendeur. L'article 23(1) de ladite loi dispose : « toute personne procédant
à une arrestation doit, au moment de ladite arrestation, informer la personne
arrêtée de l'infraction qui lui est reprochée ».
60. La question qui se pose, en l’espèce, est celle de savoir si le Requérant
avait été informé des charges qui pesaient sur lui au moment de son
arrestation. Il convient de rappeler qu’en pareille occurrence, la charge de
la preuve incombe au requérant.”
61. Il ressort du témoignage fait sous serment lors du procès devant le tribunal
du district que le Requérant a été arrêté le 20 avril 2013 à son domicile. Le
Requérant a également confirmé qu’il a été informé par les policiers venus
procéder des charges de vol et de viol qui pesaient sur lui.?* Il s’infère de
ce qui précède que l’allégation du Requérant, selon laquelle il n'avait pas
été informé des charges qui pesaient contre lui, n’est pas fondée.
1 Ratifié par l’État défendeur le 11 juin 1976.
18 Bx c. Bénin (arrêt), supra, 8 161. Voir également, Ch Bo CCl BaB et Av Ch CCp BkB c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 88 76 à 82.
19 Bx c. Bénin, ibid.
2 Viking (Cl BaB et Ch CCp BkB c. Tanzanie (fond), supra, 8 71 et Bu c. Tanzanie (arrêt), supra, 8 129.
21 L'État c. Ax X Af, Affaire pénale n° 44/2013, Arrêt du Tribunal de district de Cf, 8 avril 2014, page 22.
62. La Cour rejette donc l’allégation du Requérant selon laquelle l’État
défendeur a violé son droit à être informé des infractions qui lui étaient
reprochées. La Cour considère, en conséquence, qu’en l'espèce, l’État
défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte lu conjointement avec
l'Article 14(3) du PIDCP.
B. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
63. Le Requérant allègue que la décision de la Cour d’appel a violé les articles
2, 3 et 7(1) de la Charte, faute d’avoir tranché correctement les questions
de fait et de droit.
64. L'État défendeur réfute cette allégation en soutenant qu’elle est vague et
imprécise. L'État défendeur affirme que la Cour d’appel a examiné toutes
les questions de fait et de droit en bonne et due forme et a rejeté les moyens
du Requérant comme mal fondés.
65. La Cour observe qu’il ressort des prétentions du Requérant que celui-ci
allègue la violation des articles 2, 3 et 7(1) de la Charte. Le Requérant
soutient que les juridictions internes n’ont pas respecté de son droit à la
non-discrimination, à l’égalité devant la loi, à l’égale protection de la loi et
son droit à ce que sa cause soit entendue lors de l'examen des questions
d'identification et de preuve. La Cour va donc examiner ces allégations
conjointement.
66. L'article 2 de la Charte dispose :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune,
notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation.
67. L'article 3 de la Charte dispose :
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
68. L'article 7(1) de la Charte dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue.
69. En ce qui concerne le droit à la non-discrimination protégé par l’article 2 de
la Charte, la Cour rappelle qu’elle a conclu dans l’affaire Action pour la
protection des droits de l'homme (APDH) c. République de Côte d'Ivoire
que la discrimination est « une différenciation de personnes ou de situations
sur la base d'un ou plusieurs critère(s) non légitime(s) ».2?
70. Pour ce qui est de l’article 3, l’égalité devant la loi et l’égale protection de la
loi supposent que la loi protège toute personne sans discrimination, tant
dans ses dispositions que dans son application.?* À cet égard, la Cour
rappelle sa jurisprudence selon laquelle, la violation de l’article 3 de la
Charte est établie lorsqu’il existe des preuves que le requérant a été traité
différemment par rapport à d’autres personnes se trouvant dans une
situation similaire à la sienne.2*
71. Quant au droit à ce que sa cause soit entendue, la Cour a conclu dans
l’affaire Ae Bh c. République-Unie de Tanzanie que, tel qu’il est
consacré par l’article 7(1) de la Charte, ce droit confère aux individus
plusieurs prérogatives relatives à la régularité de la procédure, notamment
le droit de bénéficier de la possibilité d'exprimer son point de vue sur les
affaires et les procédures ayant une incidence sur leurs droits, le droit de
préparer correctement sa défense, le droit de présenter ses arguments et
2? APDH c. Côte d'Ivoire (fond et réparations), supra, 88 146 et 147.
23 Cx Cz Cs c. République du Malawi, CAfDHP, Requête n° 022/2017, Arrêt du 23 juin 2022 (fond et réparations), 8 81 et APDH c. Côte d'Ivoire, ibid.
24 Aj Bq c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 mars 2019) 3 RICA 87, 8 73 et An c. Tanzanie (fond), supra, 8 69.
de soumettre des preuves ainsi que le droit de répondre aux arguments et
preuves produits par la partie adverse.
72. La Cour observe, en l'espèce, que les allégations soulevées par le
Requérant portent sur deux griefs, à savoir s’il a été correctement identifié
sur le lieu du crime et si sa condamnation est proportionnelle aux preuves
versées au dossier. La Cour examinera conjointement l’allégation de
violation du droit à la non-discrimination, à l’égalité devant la loi et du droit
à ce que sa cause soit entendue dans son appréciation des deux griefs
soulevés.
i. Allégation relative à l’identification du Requérant
73. Le Requérant allègue qu’il a été condamné sur la base de preuves montées
de toutes pièces, car il n’a pas été correctement identifié par premier témoin
à charge (PW1) sur le lieu du crime. Il soutient qu’un tel manquement
constitue une violation de son droit à la non-discrimination, à l’égalité devant
la loi, à l’égale protection de la loi et au droit à ce que sa cause soit
entendue.
74. L'État défendeur conclut au rejet de cette allégation en faisant valoir que la
Cour d’appel a examiné la question de l'identification du Requérant et a
conclu qu’il a bel et bien été identifié. L’État défendeur soutient, en outre,
que la victime a identifié nommément le Requérant dès les premières
heures auprès de deuxième témoin à charge (PW2), son amie, ainsi
qu’auprès de la police, ce qui a permis d’asseoir la crédibilité du témoignage
de PW2.
75. La Cour observe que le Requérant soulève la question de son identification
correcte, en alléguant que la manière dont elle a été examinée a conduit à
une violation de son droit à la non-discrimination, à l’égalité devant la loi et
25 Bh c. Tanzanie (arrêt), supra, 88 96 et 97 et Bw et Bw c. Tanzanie (fond), supra, 88 68 et 69.
à une égale protection de la loi, ainsi que de son droit à ce que sa cause
soit entendue. Notant que la violation alléguée concerne le droit à un procès
équitable, la Cour examinera si la procédure en l’espèce a été menée
conformément à l’article 7(1) de la Charte avant d’aborder les allégations
de violation des articles 2 et 3 de la Charte.
76. Dans sa jurisprudence constante, la Cour a considéré que lorsque
l'identification visuelle ou vocale est utilisée comme moyen de preuve pour
condamner une personne, toutes les circonstances ouvrant la voie à de
possibles erreurs doivent être écartées et l'identité du suspect doit être
établie avec certitude. De même, l'identification utilisée comme preuve doit
être corroborée par d’autres preuves par indice et décrire le lieu du crime
de manière cohérente et logique.”
77. La Cour relève que le ministère public s’est appuyé sur quatre (4) témoins
pour asseoir son accusation. Il ressort des décisions du tribunal du district,
de la Haute Cour et de la Cour d'appel?” que la victime, PW1, a été prise à
partie par trois (3) personnes qui, en entrant dans la pièce, ont déclenché
l’alumage automatique de la lampe à énergie solaire. Ces trois (3)
décisions font également état de ce que PW1 a donné un compte-rendu
précis des événements qui se sont déroulés au moment où le Requérant et
ses deux complices sont entrés par effraction dans la pièce et a clairement
identifié le Requérant qui était son voisin et qu’il connaissait bien.? La Cour
relève, en outre, que PW1 a nommément identifié le Requérant dès les
premières heures auprès de PW2, son amie, ainsi qu’auprès de la police.
78. Il ressort de ce qui précède que les juridictions nationales ont évalué les
circonstances dans lesquelles le crime a été commis, afin d’ exclure toute
éventuelle erreur d’identification, et qu’elles ont établi que le Requérant
avait été identifié avec certitude comme étant l’auteur du crime.
26 Bf Xa c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 64. 27 L'État c. Ax X Af, Affaire pénale n° 44/2013, supra, pages 25 à 28 ; Ax Af c. L'État, Affaire pénale n° 45 de 2014, supra, pages 2 et 3 et Ax Af c. L'État, Affaire pénale n° 278 de 2015, 16 février 2016, pages 3 à 5.
79. S'agissant de l’allégation de violation de l’article 3 de la Charte, la Cour
relève que le Requérant n’a pas apporté la preuve de l’application, dans la
procédure interne le concernant, d’une autre loi contraire au droit à la non-
discrimination, à l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi. Il
n’a pas démontré, non plus, en quoi il a été traité différemment par rapport
à d’autres personnes se trouvant dans une situation similaire à la sienne.
La Cour note également, qu’en l’espèce, s'agissant du droit à ce que sa
cause soit entendue, il n'existe aucun élément indiquant que la procédure
interne était fondée sur une loi ou un règlement qui comporte des
dispositions différentes pour le Requérant par rapport à d’autres
justiciables.
80. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette les allégations du Requérant
selon lesquelles il n’a pas été correctement identifié et qu’il a fait l’objet
d’une discrimination et d’une inégalité de traitement dans la procédure
devant les juridictions internes. La Cour considère, en conséquence, en ce
qui concerne l'identification du Requérant, que l’État défendeur n’a pas violé
les articles 2, 3 et 7(1) de la Charte, lus conjointement.
ii. Allégation relative à la non-proportionnalité entre la condamnation et les
preuves
81. Le Requérant allègue que les juridictions nationales l’ont condamné sur le
fondement de preuves à charge fabriquées, contradictoires, inappropriées
et dénuées de sens. Il affirme que les juridictions internes ont fait
abstraction de faits essentiels, notamment qu’il n'avait pas été trouvé en
possession d'objets volés, que le ministère public n’avait pas cité à
comparaître de témoins , que le témoignage de PW4 lors de son contre-
interrogatoire était fondé sur des ouï-dire et que les preuves de PW4
contredisaient ceux de PW3.
82. L'État défendeur soutient que l’allégation du Requérant à cet égard n’est
pas fondée et affirme que sa condamnation était fondée sur la preuve de
l'identification et qu’il ressort clairement des éléments de preuve versés au dossier que … le Requérant a été correctement identifié. L’État défendeur soutient également que la Cour d’appel a évalué toutes les questions de fait et de droit et qu’elle a rejeté le recours du Requérant comme mal fondé.
83. La Cour observe que bien que le Requérant soulève une question relative à l’appréciation des moyens de preuve par les juridictions internes, son allégation repose sur le fait que la manière dont les preuves ont été examinés a conduit à une violation de ses droits à la non-discrimination, à l’égalité devant la loi, à une égale protection de la loi et de son droit à ce que sa cause soit entendue.
84. La Cour réitère sa position dans l’affaire Bi Ar c. République-Unie de Tanzanie” selon laquelle :
les juridictions nationales jouissent d’une large marge d'appréciation
dans l’évaluation de la valeur probante des éléments de preuve. En
tant que juridiction internationale des droits de l'homme, la Cour ne
peut pas se substituer aux juridictions nationales pour examiner les
détails et les particularités des preuves présentées dans les
procédures internes.
85. La Cour rappelle également sa position dans l’affaire Bf Xa c.
République-Unie de Tanzanie selon laquelle elle n’a pas le pouvoir
d'apprécier les questions relatives aux preuves déjà tranchées par les
juridictions nationales. Toutefois, la Cour a le pouvoir de déterminer si
l’évaluation des preuves par les juridictions nationales s’est faite
conformément aux dispositions pertinentes des instruments internationaux
relatifs aux droits de l'homme.
3 Xa c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 61 et Ct c. Tanzanie (fond), supra, 88 26 et 173.
86. En l’espèce, il ressort des décisions des juridictions nationales que le
tribunal de district, la Haute Cour et la Cour d’appel se sont fondés sur le
témoignage de quatre (4) témoins et qu’ils ont évalué les preuves à charge
en toute équité.3!
87. Les trois juridictions ont conclu, en ce qui concerne les preuves produites
par PW1, que la victime a, dès les premières heures et sans ambages,
nommément identifié le Requérant auprès de PW2 ainsi qu’auprès de la
police, et confirmé que PW2 était un témoin crédible. Pour ce qui est de la
déposition des trois autres témoins, les trois (3) juridictions ont conclu que
les preuves examinées étaient suffisamment solides pour maintenir la
condamnation. En tout état de cause, lors de l’examen du grief soulevé
par le Requérant quant à son identification, la Cour a déjà conclu que
l'identification du Requérant au cours de la procédure n’avait entraîné
aucune violation des droits procéduraux.
88. La Cour note que le Requérant a mentionné d’autres facteurs qui, selon lui,
auraient dû être pris en compte par les juridictions internes dans
l’appréciation des preuves produites devant elles. En ce qui concerne
lesdites questions, la Cour souligne que la Haute Cour et la Cour d’appel
ont examiné les arguments et les preuves qui leur ont été présentés et
estimé qu’il n'existait aucune contradiction matérielle dans les preuves à
charge produites. Il ressort donc clairement des arrêts de la Haute Cour et
de la Cour d’appel que les faits reprochés au Requérant ont été prouvés
au-delà de tout doute raisonnable.**
89. Dans ces circonstances, la Cour conclut que les preuves produites dans le
cadre du procès du Requérant ont été appréciées à l’aune des exigences
d’un procès équitable et que les procédures suivies par les juridictions
81 L'État c. Ax X Af, Affaire pénale n° 44/2013, supra, pages 26 à 34 ; Ax Af c. L'État, Affaire pénale n° 45 de 2014, supra, pages 2 et 3 et Ax Af c. L'État, Affaire pénale n° 278 de 2015, supra, pages 1 à 3.
32 Ibid.
3 Ax Af c. l’État, Affaire pénale n° 45 de 2014, supra, pages 8 et 9 et Ax Af c. l’État, Affaire pénale n° 278 de 2015, supra, page 7.
nationales pour connaître des appels du Requérant étaient conformes à
l’article 7(1) de la Charte. La Cour constate également que l’appréciation
des preuves par les juridictions internes ne révèle aucune discrimination à
l’égard du Requérant par rapport à d’autres justiciables se trouvant dans
une situation similaire. Par ailleurs, le Requérant n’a pas apporté la preuve
de l’application, dans la procédure interne le concernant, d’une autre loi ou
règlement contraire au droit à la non-discrimination, à l’égalité devant la loi
et à une égale protection de la loi qui serait constitutive d’une violation des
articles 2 et 3 de la Charte.
90. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que la manière dont les juridictions
internes ont apprécié les faits et les preuves ainsi que le poids qu’elles leur
ont accordé ne révèlent aucune erreur manifeste et n’ont entraîné aucun
déni de justice à l’égard du Requérant.
91. La Cour rejette donc l’allégation du Requérant selon laquelle sa
condamnation était disproportionnelle au poids des moyens de preuves
versés au dossier. La Cour considère, en conséquence, sur l'examen des
preuves ayant fondé la condamnation du Requérant, que l’État défendeur
n’a pas violé les articles 2, 3 et 7(1) de la Charte, lus conjointement.
C. Violation alléguée du droit à la défense
92. Le Requérant allègue que la Cour d’appel a commis une erreur de fait et de
droit en ne constatant pas que les témoins à décharge n’ont pas été cités à
comparaître, en violation de l’article 231 du CPP, Chap. 20 RE 2002 et de
l’article 13(6)(a) de la Constitution de l’État défendeur. Le Requérant affirme
qu’il n’a pas été autorisé à citer son épouse, nommée Ca Cc, à
témoigner, bien que l'ayant identifiée comme témoin à décharge.
93. L'État défendeur conclut au rejet de l’allégation en faisant valoir que ce
même argument avait été rejeté par la Cour d’appel du moment que
l’appelant avait indiqué, et cela avait été enregistré comme tel, qu’il
donnerait son témoignage sous serment et qu’il n’entendait citer aucun témoin ni produire de preuve. L'État défendeur affirme, en outre, que cette
allégation a été faite à posteriori et est en totale contradiction avec les faits
tels qu’ils se sont déroulés devant la juridiction de jugement.
94. L'article 7(1)(c) de la Charte dispose :
« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend [.…] le droit à la défense, y compris celui de se faire assister
par un défenseur de son choix ».
95. La Cour de céans a constamment considéré que le droit à la défense, tel
qu’énoncé à l’article 7(1)(c) de la Charte est une composante essentielle du
droit à un procès équitable et reflète la capacité d’un processus judiciaire à
offrir aux parties la possibilité de formuler leurs demandes et de soumettre
leurs preuves. La Cour a, en outre, estimé dans l'affaire Co Bn
Cr c. République du Rwanda que le droit d'appeler des témoins à sa
défense constitue un aspect essentiel du droit à la défense.*5
96. La Cour observe qu’il ne résulte du dossier aucun élément indiquant que le
Requérant ait fait une demande de citation de témoins à décharge ni que
les tribunaux aient refusé d’y faire droit. Au contraire, bien qu’il ait indiqué
que sa femme pouvait confirmer son alibi, le Requérant n’a, à aucun
moment, manifesté l’intention de la citer à comparaître devant le tribunal en
tant que témoin. Il est même inscrit dans le dossier que le Requérant n'avait
pas l'intention de citer de témoin.
97. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette donc l’allégation du Requérant
selon laquelle les juridictions d’appel ont violé son droit à la défense en
n’ayant pas convoqué les témoins à décharge. La Cour considère, en
conséquence, s'agissant de la citation des témoins à décharge, que l’État
34 Bx c. Bénin (arrêt), supra, 8 141.
35 Co Bn Cr c. République du Rwanda (fond) (24 novembre 2017) 2 RICA 171, 8 93.
défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte, en ce qui concerne la
citation des témoins.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
98. Le Requérant sollicite de la Cour qu’elle lui accorde des réparations pour
les violations qu’il a subies, notamment en annulant l’arrêt de la Cour
d'appel, en ordonnant sa remise en liberté ainsi que toutes autres mesures
de réparation qu’elle jugera nécessaires.
99. L'État défendeur, quant à lui, demande à la Cour de rejeter les demandes
de réparations du Requérant.
100. L'article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
101. En l’espèce, la Cour n’ayant constaté aucune violation, la demande de
réparation n’est pas justifiée. La Cour rejette donc cette demande.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
102. Les Parties n’ont pas conclu sur les frais de procédures.
103. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses
frais de procédure ».
104. En l’espèce, la Cour estime qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du principe
posé par cette disposition et ordonne, en conséquence, que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
DISPOSITIF
105. Par ces motifs,
LA COUR,
Sur la compétence
Sur la recevabilité
iii. Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte,
en ce qui concerne le droit du Requérant à être informé des
charges qui pèsent sur lui ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant inscrits aux articles 2, 3 et 7(1) de la Charte, en ce qui concerne
l’identification du Requérant ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé les articles 2, 3 et 7(1) de la
Charte, en ce qui concerne la proportionnalité de la condamnation
du Requérant avec les preuves produites ;
vil. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte,
en ce qui concerne la citation à comparaître les témoins à
décharge.
Sur les réparations
ix. Rejette la demande de réparations formulée par le Requérant.
Sur les frais de procédure
x. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fr fruse
Ben KIOKO, Juge ASS
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge AMG les)
Blaise TCHIKAYA, Juge ges Stella . ANUKAM, Juge Eur am .
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ;
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce cinquième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt-et-
trois, en français et en anglais, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 037/2016
Date de la décision : 05/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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