AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” AK
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
LIGUE IVOIRIENNE DES DROITS DE L’HOMME (LIDHO)
ET AUTRES
RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE
REQUÊTE N° 041/2016
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023 … SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE.
A Faits de la cause
B Violations alléguées
It. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS…
IV DEMANDES DES PARTIES
V SUR LA COMPÉTENCE 11
A Sur les exceptions d’incompétence matérielle 11
! Sur l’exception tirée de ce que la Convention d'Alger sur la conservation
de la nature et des ressources naturelles n’est pas un instrument des
droits de l'homme 12
Il Sur l’exception tirée de la non-indication des articles de la Convention
d’Alger 15
iii. Sur l’exception tirée de ce que la Cour n’est pas une juridiction d'appel 16
Sur l’exception d’incompétence temporelle 17
Sur les autres aspects de la compétence 19
VI SUR LA RECEVABILITÉ 20
Sur les exceptions d’irrecevabilité non prévues à l’article 56 de la Charte 20
! Sur l’exception tirée du défaut d’intérêt à agir 20
Il Sur l’exception tirée de la non-production d’une procuration 21
iii. Sur l’exception tirée de la non-identification des victimes 22
IV Sur l’exception tirée de ce que certaines allégations sont soulevées pour
la première fois 23
Sur les conditions de recevabilité prévues à l’article 56 de la Charte 23
! Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 25
Il Sur l’exception tirée de l’introduction de la Requête dans un délai non
raisonnable 27
iii. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du règlement antérieur de l'affaire .29
Sur les autres conditions de recevabilité 31 DIR SUR LE FOND
Violation alléguée du droit à la vie et à l'intégrité physique et morale .
Violation alléguée du droit à un recours effectif
Violation alléguée du droit de jouir du meilleur état de santé physique et
Violation mentale possible alléguée du droit à un environnement satisfaisant et global .
Violation alléguée du droit à l'information... 49
i. — Mesures de réhabilitation ……….……...…..…...…...….eeenenennnnnnnnnnnnns 61
iv. Mesures administratives ……….…...….…..….erenerennenmennünnnnnnnnnnnnnnnn 64
vi. Mise en œuvre et soumission de rapports .………...….….….….…..….….….…..….….….….….….….….…..…s 66 IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ….……….…………………ccirrrrerececennenreenensenrnrerrrenee 66 La Cour, composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Modibo SACKO, Vice-
président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R.
CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B.
NTSEBEZA, Dennis D. ADJEI — Juges ; et de Robert ENO, Greffier.
En l'affaire :
Ligue ivoirienne des droits de l'homme (LIDHO), Mouvement ivoirien des droits
humains (MIDH) et Fédération internationale pour les droits humains (FIDH)
représentés par
i. Maître Drissa TRAORÉ, avocat au barreau de Côte d'Ivoire, Président
honoraire du Mouvement Ivoirien des Droits Humains (MIDH) et Vice-président
de la Fédération Internationale pour les Droits Humains (FIDH) ;
ii. Maître Maryamah BODERÉ, avocate au barreau de Côte d’Ivoire ; et
iii. Maître Emmanuel DAOUD, avocat au barreau de Côte d’Ivoire.
contre
RÉPUBLIQUE DE CÔTE D'IVOIRE
représentée par
Bc & Bc
Société civile professionnelle d’Avocats, barreau de Côte d'Ivoire
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. La Ligue ivoirienne des droits de l'homme (LIDHO), le Mouvement ivoirien
des droits humains (MIDH) et la Fédération internationale pour les droits
humains (FIDH) (ci-après dénommés «les Requérants ») sont des
organisations non gouvernementales (ci-après désignées « ONG »), toutes
dotées du statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits
de l'homme et des peuples (ci-après dénommée « la Commission »).* Ils
allèguent des violations de droits de l'homme consécutivement au
déversement, le 19 août 2006, de déchets toxiques dans le district d’Cq
et sa banlieue.
2. La Requête est dirigée contre la République de Côte d'Ivoire (ci-après
dénommée « l’État défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le
31 mars 1992 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de
l’homme et des peuples (ci-après désigné « le Protocole »), le 25 janvier
2004. Par ailleurs, l’État défendeur a déposé, le 23 juillet 2013, la
déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole (ci-après désignée « la
Déclaration ») par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour
recevoir des requêtes émanant d'individus et d'organisations non
gouvernementales ayant le statut d’observateurs auprès de la Commission.
Le 29 avril 2020, l’État défendeur a déposé auprès du Président de la
Commission de l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration.
La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence,
n sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant
elle avant sa prise d’effet un an après le dépôt de l’instrument y relatif, à
savoir le 30 avril 2021.2
1 Les ONG concernées ont obtenu le statut d’observateur comme suit : LIDHO (9 octobre 1991, 10ème Session ordinaire, Banjul, Gambie) ; MIDH (13 octobre 2001, 30ème Session ordinaire, Banjul, Gambie) ; et FIDH (12 octobre 1990, 8ème Session ordinaire, Banjul, Gambie).
? Suy AI Yb et autres c. République de Côte d'Ivoire (fond et réparations) (15 juillet 2020) 4 RICA 396, 8 2.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort de la Requête introductive d’instance que le 19 août 2006, le navire
M. Yj AJ Z, affrété par la société multinationale AH
Xk,® a accosté au port d'Abidjan, en Côte d'Ivoire, avec à son bord cinq
cent vingt-huit mètres cubes (528 m°) de déchets hautement toxiques. Ils
ont été déchargés du navire et déversés sur plusieurs sites du district
d’Cq et de sa banlieue alors qu’aucun de ces sites ne disposait
d’installations de traitement de déchets chimiques.
4. Suite au déversement desdits déchets, l’air a été pollué et une odeur
pestilentielle s’est répandue dans tout le district d’Cq. Le même jour,
des milliers de personnes ont afflué vers les centres de santé, se plaignant
de nausées, de maux de tête, de vomissements, d’éruptions cutanées et de
saignements du nez. Les Requérants affirment que selon les autorités
ivoiriennes, dix-sept (17) personnes sont décédées des suites d’inhalation
de gaz toxiques. Des centaines de milliers d’autres personnes ont été
infectées et des experts environnementaux ont signalé une grave
contamination de la nappe phréatique.
5. Quelques jours après le déversement des déchets toxiques et à la suite de
plaintes introduites par les populations, le ministère public a ouvert des
enquêtes qui ont abouti à des procédures devant les tribunaux. Le 18
septembre 2006, trois (3) dirigeants de la société AH ont été
arrêtés et inculpés d’infractions prévues et punies par la loi de l’État
défendeur portant « protection de la santé publique et de l’environnement
contre les effets des déchets industriels toxiques et nucléaires et des
substances nocives ».* Le même mois, de hauts responsables de l’État
3 Créée en 1993, l’entreprise privée AH se classe au troisième rang mondial des négociants indépendants en pétrole et en produits pétroliers. Elle compte quatre-vingt-et-un (81) bureaux répartis dans cinquante-quatre (54) pays à travers le monde. Elle gère tous les aspects inhérents à l’approvisionnement et au négoce du pétrole brut, des produits pétroliers, des énergies renouvelables, des métaux, des minerais, du charbon et des concentrés pour des clients du secteur industriel.
# Loi n° 88-651 du 7 juillet 1988 portant protection de la santé publique et de l’environnement contre les 3 défendeur, ainsi que les dirigeants des sociétés impliquées dans le
déversement des déchets ont été suspendus de leurs fonctions. L'État
défendeur a également entrepris des opérations de nettoyage des sites
contaminés.
6. Le 13 février 2007, un protocole d’accord (ci-après désigné « le protocole
d'accord ») a été signé entre l’État défendeur et les filiales de la société
AH Xk, Xx Aw et West Xh Bq Service
Business (WAISB)). Aux termes de ce protocole d’accord, AH
s’est engagée à payer à l’État défendeur la somme de quatre-vingt-quinze
milliards (95.000.000000) de francs CFA, répartie comme suit : soixante-
treize milliards (73.000.000.000) de francs CFA en réparation du préjudice
causé à l’État de Côte d'Ivoire et aux victimes et vingt-deux milliards
(22.000.000.000) de francs CFA pour les opérations de dépollution. Le
protocole d'accord prévoyait également la « renonciation définitive » de
l’État défendeur à toute poursuite, réclamation, action ou instance présente
ou à venir qu’il pourrait faire valoir à l’encontre de l’autre partie ».
7. Le 14 février 2007, les trois (3) dirigeants de AH arrêtés et
inculpés dans le cadre de l’affaire ont été remis en liberté conformément au
protocole d’accord aux termes duquel AH ne transférerait à l’État
défendeur les montants convenus qu’une fois le protocole d'accord signé et
certaines conditions remplies. L'une de ces conditions était la délivrance
des « documents nécessaires » prouvant que l’État défendeur avait
abandonné l’action civile et autorisé le président-directeur général (PDG) et
Chef de la division Afrique de AH ainsi que le directeur général
adjoint de Xx Aw à quitter le territoire.®
effets des déchets industriels toxiques et nucléaires et des substances nocives.
5 Xx Aw est une filiale du groupe AH en Côte d'Ivoire, créée en février 2004, qui gère les investissements de stockage et de distribution de produits pétroliers de AH en Côte 8. Le 19 mars 2008, douze (12) personnes ont été mises en accusation devant
la Cour d’assises d’Cq pour empoisonnement du fait du déversement
des déchets toxiques. Le procès s’est ouvert le 2 septembre 2008 et l’Union
des victimes des déchets toxiques d’Cq et banlieues (ci-après
dénommée « l’Union des victimes ») s’est constituée partie civile. Le 21
octobre 2008, l’Union des victimes a déposé une requête aux fins de
suspension du procès pour cause de suspicion légitime, en application de
l’article 631 du Code de procédure pénaleS. L'Union des victimes dénonçait
les incohérences constatées dans l’enquête et les témoignages, ainsi que
l’ingérence du Gouvernement dans le déroulement du procès.
9. Passant outre cette requête, la Cour d’assises a, dans son arrêt du 22
octobre 2008, déclaré le PDG de la Société Tommy” et un employé de
WAISB,8 qui avait fourni des informations sur la société Tommy à Xx
Aw, coupables, l’un d’empoisonnement et, l’autre de complicité
d’empoisonnement. Ils ont été condamnés aux peines respectives de vingt
(20) ans et de cinq (5) ans d'emprisonnement. En revanche, les
fonctionnaires de l’État défendeur ont été acquittés.
10. Les victimes ont par la suite, engagé plusieurs actions civiles devant
différents tribunaux de l’État défendeur pour obtenir réparation de la part
des entreprises responsables du déversement des déchets toxiques et de
la part de l’État défendeur pour les dommages subis. La plus importante de
ces procédures a été celle initiée devant le Tribunal de première instance
d’Abidjan-Plateau par les familles de onze (11) victimes décédées ainsi que
plus de seize mille (16 000) personnes qui ont été affectées. Le 27 juillet
2010, par jugement n° 2799/2010, le Tribunal de première instance
d’Abidjan-Plateau a déclaré les sociétés AH et Xx Aw
responsables et les a condamnées, chacune, à verser la somme de cent
millions (100 000 000) de francs CFA aux familles de sept (7) des onze (11)
8 L'article 631 du CPP dispose : «
7 La Société Tommy a été créée dans le seul but de disposer des déchets chargés à bord du navire AJ.Z.
8 WAISB est une société ayant service d’interface de AH Ltd à Cq pour les besoins du déversement des déchets toxiques.
victimes décédées, à titre de réparation. Il a débouté tous les autres
requérants de leurs demandes comme mal fondées.
11. Insatisfaites du montant alloué, lesdites familles (celles des sept (7)
victimes) ont interjeté appel du jugement devant la Cour d’appel d’Cq
qui, par arrêt n°2010/359 du 24 décembre 2010, a infirmé le jugement en
ce qui concerne la responsabilité des sociétés AH et Xx
Aw, au motif que l’État défendeur était tenu, en vertu du protocole
d'accord, de « régler toutes les demandes d'indemnisation ». En ce qui
concerne les victimes, elle a, en outre, estimé que seules les familles de
quatre (4) des sept (7) victimes avaient fourni des preuves attestant que les
décès des personnes étaient consécutifs à un empoisonnement dû à une
exposition à des déchets toxiques. La Cour d’appel avait, par conséquent,
confirmé la décision querellée concernant seulement ces quatre (4)
victimes.
12. Les familles des sept (7) victimes ont alors formé un pourvoi en cassation
contre l’arrêt de la Cour d’appel devant la Cour suprême. Le 2 février 2012,
la Cour suprême a cassé l’arrêt de la Cour d’appel et déclaré responsables
AH et Xx Aw, les condamnant à verser des dommages-
intérêts de cinquante millions (50.000 000) de francs CFA aux familles de
l’ensemble des sept (7) personnes décédées qui avaient obtenu gain de
cause devant le tribunal de première instance. En outre, la Cour suprême a
rejeté les demandes d’indemnisation des ayants-droits des quatre (4) autres
victimes.
13. Le 23 juillet 2014, par décision n° 498/2014, les Chambres réunies de la
Cour suprême ont rejeté un deuxième recours déposé par les familles des
autres victimes décédées au motif qu’elles n’ont pas fourni d’éléments
suffisants pour prouver le lien de causalité entre les décès et l’intoxication
par les déchets.
14. En novembre 2015, les autorités de l’État défendeur ont publié un
communiqué annonçant que la décontamination des sites était terminée.
15. Il ressort, par ailleurs, de la présente Requête que l’État défendeur a mis en
place un programme d'indemnisation pour les victimes et les familles des
personnes décédées, mais un grand nombre de victimes n’ont pas été
prises en compte et n’ont donc pas reçu d’indemnités.
B. Violations alléguées
16. Les Requérants allèguent la violation des droits suivants :
ii Le droit à un recours effectif et le droit de demander réparation du
préjudice subi, protégé par l’article 7(1)(a) de la Charte, lu conjointement
avec les articles 26 de la Charte , 2(3) du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (PIDCP), 2(1) du Pacte international relatif aux
droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), 4(1) et 4(4)(a) de la
Convention sur l'interdiction d’importer en Afrique des déchets
dangereux et le contrôle des mouvements transfrontaliers et la gestion
des déchets dangereux en Afrique (ci-après désignée « Convention de
Bamako ») ;
ii. Le droit au respect de la vie et à l’intégrité physique et morale de la
personne, protégé par les articles 4 de la Charte et 6(1) du PIDCP ;
iii. Le droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale, protégé
par les articles 16 de la Charte, 11(1), et 12(1) et (2)(b) et (d) du
PIDESC ;
iv. Le droit des peuples à un environnement satisfaisant et global, propice
à leur développement, protégé par l’article 24 de la Charte ;
v. Le droit à l'information, protégé par les articles 9(1) de la Charte et 19(2)
du PIDCP ;
vi. Les droits protégés par la Convention africaine sur la conservation de la
nature et des ressources naturelles de 1968, révisée en 2003 (ci-après
désignée « Convention d’Alger »).
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
17. La Requête a été déposée au Greffe le 18 juillet 2016 et communiquée à
l’État défendeur le 13 octobre 2016.
18. Après plusieurs prorogations de délai, l’État défendeur a déposé, le 22
novembre 2017, son mémoire en réponse qui a été communiqué aux
Requérants le 27 novembre 2017.
19. Les Parties ont déposé leurs écritures dans les délais fixés par la Cour.
20. Le 15 mars 2020, les débats ont été clôturés et les Parties en ont dûment
reçu notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
21. Les Requérants demandent à la Cour de dire que l’État défendeur a violé
les droits mentionnés au paragraphe 16 ci-dessus et de lui ordonner de :
ii Reconnaître publiquement sa responsabilité à l’égard des violations
évoquées dans la Requête et présenter des excuses publiques, en
particulier auprès des victimes du déversement des déchets toxiques et
des conséquences qui en ont résulté ;
ii. Ouvrir une enquête indépendante et impartiale, afin de déterminer les
responsabilités concernant les déchets et poursuivre les personnes
impliquées afin d’établir leur responsabilité pénale individuelle,
indépendamment de leur statut, du poste qu’ils occupent au sein de
AH ou des fonctions qu’ils exercent dans le pays ;
iii. Garantir une assistance médicale aux victimes, y compris le traitement
des manifestations nouvelles et à long terme des maladies dues à
l'exposition aux déchets toxiques, mettre en place des structures de
santé en nombre suffisant et disposant du personnel qualifié et des
équipements adéquats afin de fournir les soins nécessaires pour
améliorer, à terme, la santé des victimes des déchets toxiques ;
iv. Élaborer immédiatement un programme d'indemnisation adéquat et
efficace pour les victimes des déchets toxiques, en commençant par un
recensement national des victimes du déversement des déchets et en
tenant compte de la présence continue de ces déchets toxiques depuis
près d’une décennie ; veiller à ce que les résultats de ce recensement soient diffusés auprès des populations et consulter les victimes après la
mise en place du programme afin de déterminer, en vue de leur
indemnisation, un montant conforme à leurs attentes et à leurs besoins ;
v. Prendre des mesures immédiates pour préparer une étude nationale
approfondie sur les effets à court, moyen et long terme du déversement
des déchets toxiques sur la santé et l’environnement ; veiller à ce que
l’étude soit largement diffusée et informer le public des mesures prises
pour lutter contre les effets négatifs à court, moyen et long terme des
déchets toxiques sur la santé humaine et sur l’environnement ;
vi. Soumettre un rapport transparent et accessible au public sur l’utilisation
de la somme forfaitaire allouée à la Côte d’Ivoire en vertu du protocole
d'accord signé avec AH ;
vii. Mettre en œuvre des réformes structurelles pour améliorer les capacités
de traitement des déchets dans le port d’Cq en adoptant des
méthodes respectueuses de l’environnement, en mettant en œuvre des
réformes législatives et réglementaires interdisant et punissant
l'importation et le déversement de déchets dangereux et rendre les
sociétés responsables de la protection des droits de l’homme et de
l’environnement.
22. Les Requérants demandent, en outre, à la Cour d’ordonner à l’État
défendeur de :
ii Modifier son Code pénal pour y inclure la responsabilité pénale générale
des personnes morales ;
i. Veiller à ce qu’un ou plusieurs représentants du ministère de
l'Environnement soient affectés à tous ses ports ; et conférer aux
représentants désignés le pouvoir de contrôler les opérations
d'enlèvement des déchets des navires, au même titre que les
représentants du ministère des Transports ;
iii. Organiser des formations à l’intention des fonctionnaires concernés, afin
de les sensibiliser aux problématiques de protection des droits humains
et aux enjeux de la protection environnementale, et intégrer dans le
cursus scolaire et universitaire une sensibilisation au respect des droits
de l’homme ainsi qu’à l’environnement.
iv. Élaborer, après consultation avec les victimes ou les associations de
victimes, un nouveau programme d'indemnisation rapide, efficace et
approprié des victimes du déversement des déchets toxiques, prévoyant
nécessairement la création d’un véritable fonds d'indemnisation et
dresser une liste nationale actualisée et publique des victimes ;
v. Verser un (1) franc CFA symbolique° à chaque Requérant en réparation
du préjudice moral subi ; et
vi. Veiller à ce que la décision de la Cour soit diffusée par les médias
imprimés et électroniques nationaux et à ce qu’elle soit publiée sur le
site Internet officiel du Gouvernement et y reste accessible pendant une
période d’un (1) an à compter de sa date de signification.
23. Dans son mémoire en réponse, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Déclarer la Requête irrecevable ;
ii. Dire et juger que la Requête ne répond pas aux critères de recevabilité,
pour absence d’intérêt des Requérants ;
iii. Dire et juger que la Requête est irrecevable, celle-ci étant frappée de
forclusion ;
iv. Dire et juger que la Requête est irrecevable du fait des autres griefs qui
y sont soulevés ;
v. Dire et juger que la Requête est irrecevable pour cause d’incompétence
matérielle pour connaître de la violation de la Convention d’Alger ;
vi. Dire et juger que la Requête est irrecevable pour motif d’incompétence
temporelle pour connaître des violations alléguées du droit à la vie et à
l'intégrité physique, ainsi que du droit à la santé physique et mentale ;
vil. Dire et juger que l’État défendeur s’est conformé à ses obligations
procédurales à la suite des violations alléguées dans la Requête ;
viii. Dire et juger que la Requête est irrecevable, du fait qu’elle est introduite
au nom de victimes dont les droits font déjà l’objet d'examen par d’autres
juges, c’est-à-dire d’autres organes judiciaires.
ix. Dire et juger que la Requête ne répond pas aux critères de recevabilité ;
x. Dire qu’aucun préjudice n’a été subi du fait de la violation alléguée des
droits garantis par la Charte ; et
xi. Rejeter la demande d’indemnisation formulée par les Requérants.
2 Voir le mémoire fond et réparations du 2 novembre 2018, page 24, paragraphe 5, feuille n°001120.
V. SUR LA COMPÉTENCE
24. L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
25. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement,!° «la Cour procède à un
examen préliminaire de sa compétence et de la recevabilité d’une requête
conformément à la Charte, au Protocole et au […] Règlement ».
26. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer
sur les éventuelles exceptions d’incompétence.
27. La Cour note que l’État défendeur a soulevé des exceptions
d’incompétence matérielle et temporelle. La Cour va statuer sur lesdites
exceptions avant d’examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa
compétence.
A. Sur les exceptions d’incompétence matérielle
28. L'État défendeur soulève trois (3) exceptions d’incompétence matérielle de
la Cour tirées de ce que premièrement, la Convention d’Alger sur la
conservation de la nature et des ressources naturelles (ci-après désignée
« la Convention d'Alger ») n’est pas un instrument des droits de l'homme ;
deuxièmement, les Requérants n’ont pas indiqué les articles de ladite
Convention dont ils allèguent la violation ; et, troisièmement, la Cour n’est
1° Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
pas une juridiction d’appel. La Cour procédera à l’examen de chacune des
exceptions soulevées par l’État défendeur.
i. Sur l’exception tirée de ce que la Convention d’Alger sur la conservation
de la nature et des ressources naturelles n’est pas un instrument des
droits de l’homme
29. L'État défendeur soutient que la Convention d’Alger n’est pas un instrument
de droits de l'homme. À cet effet, il fait observer que la notion de droits de
l’homme se réfère exclusivement à des droits subjectifs, dans la mesure où
il s’agit de prérogatives dont bénéficient les individus. Or, selon l’État
défendeur, les dispositions de la Convention d'Alger ne s'appliquent qu’aux
États et ne relèvent donc pas de la compétence matérielle de la Cour.
30. En réplique, les Requérants soutiennent que la Convention d’Alger impose
aux États parties l’obligation de protéger les ressources naturelles, ce qui
est étroitement lié aux intérêts des individus, étant donné qu’en son article
2, la Convention a défini son objet.**
31. Les Requérants relèvent, en outre, qu’en son article 24, la Charte prévoit le
droit des peuples à un environnement satisfaisant et global, propice à leur
développement. Ils soutiennent, que la Cour de céans a la compétence
matérielle pour interpréter la Convention d'Alger dans la mesure où,
conformément à la jurisprudence des mécanismes régionaux des droits de
l’homme, la préservation des ressources naturelles fait partie intégrante des
droits de l'homme.
11 L'article 2 de la Convention d’Alger dispose : « Les États contractants s'engagent à prendre les mesures nécessaires pour assurer la conservation, l’utilisation et le développement des sols, des eaux, de la flore et des ressources en faune en se fondant sur des principes scientifiques et en prenant en considération les intérêts majeurs de la population. » 32. La Cour observe que, pour déterminer si une Convention est un instrument
des droits de l'homme, elle considère qu’il y a lieu de se rapporter
principalement à son objet qui est décliné, soit par une énonciation
expresse de droits subjectifs au profit des individus ou groupes d’individus,
soit par la prescription, pour les États parties d'accomplir une action
particulière.!? La Cour rappelle sa jurisprudence dans l'affaire APDH c.
République de Côte d'Ivoire selon laquelle les obligations incombant à un
État partie d’accomplir certaines actions visent à mettre en œuvre les droits
subjectifs correspondants garantis aux individus.!*
33. La question qui se pose, en l’espèce, est celle de savoir si la Convention
d'Alger est un instrument des droits de l’homme.
34. La Cour note que l’État défendeur est partie à la Convention d’Alger dont
les dispositions ne sont pas formulées en termes de droits spécifiques
reconnus aux individus. Toutefois, certaines dispositions de ladite
Convention imposent aux États parties des obligations dont le but est de
mettre en œuvre les droits reconnus aux individus ou groupes d’individus
dans divers traités relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État
défendeur.
35. La Cour observe, en effet, que l’article 2 de la Convention d’Alger, intitulé
« principes fondamentaux », prescrit que les États parties s’obligent :
(.…) à prendre les mesures nécessaires pour assurer la conservation,
l’utilisation et le développement des sols, des eaux, de la flore et des
ressources en faune en se fondant sur des principes scientifiques et en
prenant en considération les intérêts majeurs de la population.
36. La Cour observe, en outre, que dans la Convention d’Alger révisée,
notamment son article 3, les États parties s'engagent à être liés par les
12 Actions pour la Protection des Droits de l'Homme c. République de Côte d'Ivoire (fond) (18 novembre 2016) 1 RICA 697, 8 57.
13 Ibid., 8 63.
principes suivants :
1. le droit de tous les peuples à un environnement satisfaisant et
propice à leur développement ;
2. le devoir des États, individuellement et collectivement, d’assurer
la jouissance du droit au développement ;
3. le devoir des États de veiller à ce que les besoins en matière de
développement et d'environnement soient satisfaits de manière
durable, juste et équitable.
37. Ces dispositions révèlent un engagement sans équivoque des États à agir
pour prévenir les effets nocifs sur l’environnement, notamment ceux
résultant des déchets toxiques et des déchets dangereux.
38. En liant un tel engagement à des droits individuels ou collectifs, la Cour
rappelle qu’aux termes de l’article 16 de la Charte, « [toute personne a le
droit de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit
capable d'atteindre ». En outre, l’article 24 de la Charte stipule : « [t]ous les
peuples ont droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur
développement ».
39. Il ressort d’une lecture de ces différentes dispositions qu’à travers la
Convention d’Alger, les États parties ont souscrit à des obligations dont le
but est de garantir l’exercice des droits prévus aux articles 16 et 24 de la
Charte, à savoir le droit de jouir du meilleur état de santé physique et
mentale et le droit à un environnement satisfaisant et global, propice au
développement.
40. En conséquence, la Cour confirme que la Convention d'Alger est bel et bien
au regard de ses dispositions pertinentes, un instrument de droits de
l’homme au sens de l’article 3 du Protocole.
41. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’exception et considère, en
conséquence, qu’elle a la compétence matérielle pour interpréter et appliquer la Convention d’Alger.
ii. Sur l’exception tirée de la non-indication des articles de la Convention
d’Alger
42. L'État défendeur fait valoir que les Requérants allèguent la violation de la
Convention d’Alger sans toutefois spécifier quelles dispositions de ladite
Convention auraient été violées. Selon l’État défendeur, cela est contraire
à l’esprit de l’article 56 de la Charte et empêche, dès lors, la Cour d’exercer
sa compétence matérielle. L'État défendeur fait observer, en outre, que
l’article 13 de la Convention d’Alger ne comporte pas d’alinéa 3 et que son
alineal n’a aucun rapport avec l’objet de la Requête.
43. Dans leurs observations en réplique, les Requérants font valoir que les
articles 5, 6(3)(c) et 13(1) de la Convention d'Alger ont été violés par l’État
défendeur. Ils soutiennent que la Cour est compétente, en l’espèce, étant
donné que l’objectif des dispositions susmentionnées est de conserver la
nature et les ressources naturelles en Afrique.
44. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence constante, qu’il n’est
pas exigé que les requérants indiquent de façon spécifique ou expresse les
articles dont la violation est alléguée. || suffit, en effet, que l’objet de la
requête se rapporte à des droits garantis par la Charte ou tout autre
instrument de droits de l'homme ratifié par l’État concerné!“
45. En l’espèce, les Requérants allèguent la violation de plusieurs droits
protégés par la Charte, le PIDCP, le PIDESC et la Convention d’Alger,
14 Bb AL Yc, supra, S 33; Cn Bg Cn et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, $ 29 ; Bp Cm Ct et autres c. République- Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RICA 371, $ 74 ; Yg Cg Av c. République- Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RICA 413, $ 118 ; Ae Xt c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 45 ; APDH c. Côte d'Ivoire (fond), supra, 88 48 à 65.
instruments des droits de l’homme ratifiés par l’État défendeur.
46. La Cour rejette donc l'exception de l’État défendeur.
iii. Sur l’exception tirée de ce que la Cour n’est pas une juridiction d’appel
47. L'État défendeur soutient qu’à la suite du déversement des déchets
toxiques, des enquêtes ont été menées et les personnes impliquées ont été
poursuivies devant les juridictions nationales compétentes. Selon l’État
défendeur, la Cour de céans n’étant pas une juridiction d’appel, les
Requérants ne sont pas fondés à porter devant elle des décisions rendues
par les juridictions compétentes d’un État souverain et indépendant, pour
réexamen.
48. Les Requérants n’ont pas conclu sur ce point.
49. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence constante, qu’« elle n’a
pas la compétence d’appel pour recevoir et examiner des recours portant
sur des questions tranchées par les juridictions internes (…) ».!* Toutefois,
comme la Cour l’a également conclu, « cela ne l'empêche pas d'examiner
les procédures devant les juridictions nationales pour déterminer si elles
sont en conformité avec les normes prescrites dans la Charte ou tout autre
instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par l’État concerné ».!°
50. La Cour note qu’en l’espèce, les Requérants allèguent que certains actes
de l’État défendeur ne sont pas conformes à la Charte, au PIDCP, au
PIDESC, ainsi qu’à la Convention d’Alger. La présente Requête ne vise
donc pas à saisir la Cour pour qu’elle statue comme juge d’appel des
15 Xp Bp Ca c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
16 Cp Ym c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 26; Cv Bb c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, $ 33 ; Xc Cd CBl BnB et Xb Xc CXu BzB c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
décisions rendues par les juridictions nationales, mais plutôt pour qu’elle
examine la conformité desdites décisions avec les instruments
internationaux de protection de droits de l’homme auxquelles l’État
défendeur est partie.
51. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par
l’État défendeur.
52. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence constante, qu’elle a la
compétence matérielle dès lors que le requérant allègue la violation des
droits protégés par la Charte ou par tout autre instrument des droits de
l'homme auquel l’État défendeur est partie. En l'espèce, la Cour note que
les Requérants allèguent la violation des droits ci-après, protégés par la
Charte, la Convention d’Alger, le PIDCP et le PIDESC : le droit à un recours
effectif et de demander des réparations, le droit au respect de la vie et à
l'intégrité physique et morale, le droit de jouir du meilleur état de santé, le
droit à un environnement satisfaisant et global, le droit à l'information et le
droit à la conservation de la nature et des ressources naturelles. Par
conséquent, la Cour déclare qu’elle a la compétence matérielle pour
connaître de la présente Requête.
B. Sur l’exception d’incompétence temporelle
53. L'État défendeur soulève l’exception d’incompétence temporelle de la Cour
au moyen que la Déclaration n’a pas d’effet rétroactif et les violations
alléguées dans la Requête n’ont pas un caractère continu.
54. L'État défendeur précise que la Déclaration qu’il a déposée en 2013 ne peut
s'appliquer à des faits survenus en 2006, et ne peut donc concerner les
violations alléguées du droit à la vie et à l'intégrité physique, du droit à un
recours effectif, du droit à la santé, du droit à un environnement sain et du
droit à l'information.
55. Pour leur part, les Requérants font observer que l’État défendeur a ratifié la
Charte le 6 janvier 1992 et est devenu partie au Protocole le 7 janvier 2003,
et qu’ainsi, il a l'obligation de se conformer aux dispositions de ces
instruments, même s’il n’a déposé la Déclaration qu’en 2013. Les
Requérants soutiennent que dans son arrêt Yg Cg Av c.
Tanzanie, la Cour a précisé que l’obligation pour l’État de protéger les droits
de l’homme garantis par la Charte prend effet immédiatement après la
ratification. Ainsi, selon eux, l’État est responsable de la violation du droit à
la vie, du droit à un recours effectif, du droit à la santé, du droit à un
environnement sain et du droit à l’information.
56. Les Requérants soutiennent, en outre, que la compétence de la Cour à
l'égard des États parties ne commence pas à s’exercer qu’à compter de la
date du dépôt de la Déclaration dans la mesure où cette disposition ne se
rapporte pas à la compétence temporelle de la Cour, mais plutôt à sa
compétence personnelle. Selon les Requérants, la compétence temporelle
de la Cour s'étend à toutes les violations survenant après la ratification de
la Charte.
57. À cet égard, les Requérants affirment que, dans son arrêt sur les exceptions
préliminaires rendu dans l'affaire Bv Xm et autres c. Cw Bw,
la Cour a considéré que sa compétence découle de la ratification du
Protocole qui l’a créée et non de la Déclaration.
58. La Cour souligne que sa compétence temporelle est déterminée à partir de
la date d’entrée en vigueur du Protocole qui l’a créée et non à partir de celle
du dépôt de la Déclaration, celle-ci ne se rapportant qu’à sa compétence
personnelle.
59. En l'espèce, la Cour note que le déversement des déchets toxiques a eu
lieu le 18 août 2006, après que l’État défendeur est devenu partie au
Protocole, le 25 janvier 2004. Les faits ayant eu lieu postérieurement à cette date, la notion de violation continue ne s'applique pas au fait originel du
déversement des déchets, encore moins aux effets dudit déversement.
60. Par conséquent, la Cour a compétence temporelle pour examiner toutes les
violations alléguées par les Requérants et rejette l’exception.
C. Sur les autres aspects de la compétence
61. La Cour observe qu'aucune exception n’a été soulevée quant à sa
compétence personnelle et territoriale. Néanmoins, conformément à la
règle 49(1) du Règlement, elle doit s'assurer que les conditions relatives à
ces aspects de sa compétence sont remplies avant de poursuivre l'examen
de la Requête.
62. Ayant constaté qu’aucun élément du dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétente, la Cour conclut qu’elle a :
ii la compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur a
déposé la Déclaration. Le 29 avril 2020, l’État défendeur a déposé,
auprès du Président de la Commission de l’Union africaine, un
instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a, toutefois, décidé que
le retrait de la Déclaration n’a aucune incidence, sur les affaires
pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites un (1) an avant la
prise d’effet de l'instrument y relatif, à savoir le 30 avril 2021.!7
i. a compétence territoriale, dans la mesure où les violations alléguées
par les Requérants se sont produites sur le territoire de l’État défendeur,
qui est partie au Protocole et à la Charte.
63. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
17 Suy AI Yb Cz et autres c. Côte d’Ivoire, CAÏDHP, Requête n° 044/2019, Arrêt du 15 juillet 2020 (fond), 8 2.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
64. La Cour note que l’État défendeur soulève des exceptions d’irrecevabilité
de la Requête qui ne sont pas expressément prévues à l’article 56 de la
Charte.
65. La Cour statuera sur lesdites exceptions avant d'examiner, si nécessaire,
celles prévues par l’article 56 de la Charte.
A. Sur les exceptions d’irrecevabilité non prévues à l’article 56 de la Charte
66. La Cour note que l’État défendeur soulève des exceptions d'’irrecevabilité
de la Requête tirés de ce que i) les Requérants n’ont pas intérêt à agir ; ii)
les Requérants n’ont pas fourni de procuration des victimes leur permettant
de les représenter devant la Cour ; iii) les Requérants n’ont pas identifié
lesdites victimes ; et iv) certaines allégations de violations sont soulevées
pour la première fois devant la Cour de céans.
i. Sur l’exception tirée du défaut d’intérêt à agir
67. L'État défendeur affime qu’en l’espèce, les Requérants n’ont pas
suffisamment démontré leur intérêt à agir et que la Requête devrait donc
être déclarée irrecevable.
68. Les Requérants affirment qu’étant des ONG de défense des droits de
l’homme, elles ont intérêt à agir, dès lors qu’elles le font au nom et pour le
compte de l’Union des victimes des déchets toxiques d’Cq et banlieues
(UVDTAB).
69. S'agissant de l'exception tirée du défaut d'intérêt à agir ou du défaut de
qualité de victime des Requérants, la Cour rappelle sa jurisprudence selon
laquelle « [les articles 5(3) et 34(6) du Protocole] n’obligent pas les individus ou les ONG à démontrer un intérêt personnel dans une requête
pour saisir à la Cour ».!® La Cour observe que cette jurisprudence est
fondée, entre autres, sur le fait qu’eu égard à leur mandat et à la nature
même de leurs activités, les ONG sont habilitées à ester en justice dans la
mesure où elles agissent pour une cause d'intérêt public.!?
70. En l’espèce, la Cour note que les Requérants sont des ONG intervenant
dans le domaine de la protection des droits de l'homme en Afrique et ayant,
au surplus, le statut d’observateur auprès de la Commission. Dès lors, il n’y
a pas lieu de leur exiger de prouver un intérêt personnel pour introduire une
requête devant la Cour.
71. La Cour rejette donc cette exception.
ii. Sur l’exception tirée de la non-production d’une procuration
72. L'État défendeur soutient, en outre, que les victimes n’ont donné aux
Requérants aucune procuration ou autorisation pour les représenter devant
un quelconque organe international.
73. Les Requérants n’ont pas conclu sur cette exception.
74. La Cour considère que la qualité d'ONG de défense des droits de l'homme
des organisations requérantes les autorise à intenter des actions au nom
des victimes lorsque l'intérêt public est en cause et qu’elles ne sont donc
pas tenues de fournir une procuration de leur part pour les représenter. Au
surplus, la jurisprudence de la Cour sur l'intérêt à agir des ONG
18 AM c. République du Bénin, CAfDHP, Requête no 010/2020, Arrêt du 27 novembre 2020 (fond et réparations), 88 47 et 48.
19 Bj Aq Ac c. République du Bénin et autres, CAfDHP, Requête n° 028/2018, Arrêt du 22 septembre 2022, 8 120 ; AM c. Bénin, 54 à 56 ; Be Cs Yh Yl c. République- Unie de Tanzanie (fond) (14 juin 2013) 1 RICA 34, 81.
s'appliquent à la présente exception.
75. La Cour rejette donc l’exception de l’État défendeur.
iii. Sur l’exception tirée de la non-identification des victimes
76. L'État défendeur allègue que les Requérants ont saisi la Cour au nom de
l’Union des victimes des déchets toxiques d’Cq et banlieues (UVDTAB)
et de toutes les victimes du déversement de déchets toxiques ; or la
Requête était censée être déposée par les individus en leur propre nom.
Par ailleurs, selon l’État défendeur, toutes les victimes des déchets toxiques
ne sont pas membres de l'UVDTAB.
77. L'État défendeur considère que la présente Requête aurait dû être
personnalisée et individualisée.
78. Les Requérants affirment pour leur part qu’ils sont des ONG de défense des
droits de l'homme dotées du statut d’observateur auprès de la Commission.
Ils soutiennent, en outre, qu’ils ont qualité pour saisir la Cour étant donné
que l’État défendeur a déposé, le 19 juin 2013, la Déclaration par laquelle il
accepte la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des
individus et des ONG.
79. La Cour note que les allégations des Requérants relèvent du contentieux
d'intérêt public dans la mesure où les dispositions légales contestées
concernent tous les citoyens dont l'intérêt est directement affecté.?°
80. La Cour rejette donc l’exception à cet égard.
2 Be Cs Yh Yl c. République-Unie de Tanzanie, (fond) (14 juin 2013), 1 RICA 34, 81.
iv. Sur l’exception tirée de ce que certaines allégations sont soulevées pour
la première fois
81. L'État défendeur soutient que les violations alléguées du droit à un recours
effectif, du droit à la réparation du préjudice subi, du droit à la vie, du droit
de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible, du droit à
un environnement satisfaisant et du droit à l’information n’ont jamais été
soulevées durant les procédures nationales. Selon l’État défendeur, la
justice nationale n’a donc pas eu la possibilité d’y remédier.
82. En réponse, les Requérants soutiennent que l’argument de l’État défendeur
n’est pas fondé dans la mesure où les griefs qu’ils ont soulevés devant la
Cour de céans ont également été invoqués au cours de la procédure
judiciaire interne.
83. La Cour considère que cette exception est relative à l’épuisement des
recours internes et entend, par conséquent, l’examiner dans la partie
relative aux conditions de recevabilité prévues par la Charte.
B. Sur les conditions de recevabilité prévues à l’article 56 de la Charte
84. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, «la Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ». Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, « [Ia Cour procède
à un examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au
[...] Règlement ».
85. La règle 50(2) du Règlement! qui reprend, en substance, les dispositions
de l’article 56 de la Charte, dispose :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ; et
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
86. La Cour note que l’État défendeur soulève des exceptions d’irrecevabilité
de la Requête tirées du non-épuisement des recours internes, du dépôt de
la Requête dans un délai non raisonnable et du règlement antérieur de
l’affaire.
87. La Cour va examiner ces exceptions avant de se prononcer sur les autres
conditions de recevabilité si nécessaire.
21 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
i. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
88. L'État défendeur fait valoir que le dépôt de la Requête est prématuré dans
la mesure où ses auteurs avaient encore la possibilité d’épuiser les recours
disponibles dans le système judiciaire interne. Selon l’État défendeur, les
États ne devraient pas être tenus responsables de l’échec des requérants
qui saisissent les tribunaux internationaux avant de chercher à obtenir
réparation dans le cadre de leur système juridique national.
89. En réplique, les Requérants font valoir que l’État défendeur n’a pas
pleinement exécuté son obligation d’enquêter sur le déversement des
déchets toxiques. Ils soutiennent, en effet, que l’immunité dont il a fait
bénéficier les dirigeants de AH a eu pour effet de les soustraire à
la compétence de la Commission d’enquête nationale.
90. Les Requérants soutiennent, en outre, que devant la justice nationale,
l’Union des victimes des déchets, qui s'était constituée partie civile avait
demandé le renvoi de l’affaire devant une autre juridiction pénale. Malgré
l'effet suspensif de ladite demande, la décision a été rendue le même jour.
Les Requérants ajoutent que les représentants de l’État défendeur ont
d’ailleurs contacté, à plusieurs reprises, le président de l’Union des victimes
avant le retrait de sa plainte.
91. Les Requérants font, par ailleurs, valoir qu’ils allèguent des violations
flagrantes et généralisées des droits de l’homme. Selon eux, l’exception de
l’État devrait être rejetée, étant donné le grand nombre de victimes ainsi
que la gravité et la multiplicité des violations. Ils soutiennent que le fait
d'exiger de chaque victime qu’elle exerce les recours internes rendrait
presque impossible le recours à la Commission ou la saisine de la Cour, ce
qui constitue une entrave pour ces mécanismes régionaux à
l’accomplissement de leur mandat de protection des droits prévus par la
Charte.
92. La Cour note que conformément à l’article 56(5) de la Charte et à la
règle 50(2)(c) de son Règlement, les requêtes doivent être postérieures à
l'épuisement des recours internes, s’ils existent, à moins qu’il ne soit
manifeste que la procédure de ces recours se prolonge d’une façon
anormale.
93. La Cour rappelle, en outre, que l’exigence de l’épuisement des recours
internes est une règle internationalement reconnue et acceptée.??
94. La Cour souligne que les recours internes à épuiser sont les recours de
nature judiciaire, ces recours devant être disponibles, c’est-à-dire qu’ils
peuvent être utilisés sans obstacle par le requérant,” efficaces et
satisfaisants en ce sens qu’ils sont à «même de donner satisfaction au
plaignant ou de nature à remédier à la situation litigieuse ».2*
95. La Cour note qu’à l’appui de son exception, l’État défendeur fait valoir que
les recours internes n’ont pas été épuisés en ce qui concerne les allégations
relatives au droit à un recours effectif, au droit à la réparation du préjudice
subi, au droit à la vie, au droit de jouir du meilleur état de santé physique et
mentale possible, au droit à un environnement satisfaisant et au droit à
l'information. I! précise que ces allégations ont été soulevées pour la
première fois devant la Cour de céans.
96. La Cour observe qu’au nombre des cent mille (100 000) victimes reconnues
par l’État défendeur lui-même, au moins seize mille (16 000) ont
effectivement été parties aux procédures devant les juridictions nationales.
La Cour note que seules les familles de quatre (4) des dix-sept (17) victimes
22 Yl c. Tanzanie, supra, $ 82.1 ; Bv Xm et autres c. Cw Bw (fond) (28 mars 2014), 1 RICA 226, 8 68.
23 Ah Bx c. République-Unie de Tanzanie, Requête n° 018/2018, Arrêt du 15 juillet 2020 (fond et réparations), 88 38 ; APDH c. Côte d'Ivoire (fond), supra, 8 94.
24 Yl c. Tanzanie (fond), supra, $ 82.3 ; Ad Bk Ak c. Cw Bw (fond) (5 décembre 2014), 1 RICA 324, 8112.
décédées ayant obtenu une décision favorable ont bénéficié de l’allocation
de dommages et intérêts suite à la condamnation des entreprises en cause.
Il convient de relever que par l’arrêt du 23 juillet 2014, les Chambres
réunies de la Cour suprême de l’État défendeur ont débouté toutes les
autres victimes pour défaut de preuve du lien de causalité entre le
déversement des déchets et les préjudices subis par les victimes.
97. En tout état de cause, les Chambres réunies de la Cour suprême, la plus
haute juridiction de l’État défendeur, s’étant déjà prononcée sur une action
ayant le même objet que celui de la présente Requête, il n’est pas
raisonnable d'exiger des ONG Requérantes qu’elles intentent la même
action, puisque le résultat est connu à l’avance du fait du caractère
irrévocable qui s'attache à l’arrêt desdites chambres.
98. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les recours internes doivent
être considérés comme avoir été épuisés concernant l’ensemble des
victimes du déversement des déchets toxiques.
99. En conséquence, la Cour rejette l’exception de l’État défendeur tirée du non-
épuisement des recours internes.
ii. Sur l’exception tirée de l’introduction de la Requête dans un délai non
raisonnable
100. L'État défendeur fait valoir que, le 19 juin 2013, il a déposé la Déclaration
et que les Requérants ont saisi la Cour le 14 juillet 2016. Il estime donc
qu’une période de trois (3) ans et vingt-cinq (25) jours s’est écoulée entre la
date du dépôt de la Déclaration et celle du dépôt de la présente Requête.
101. L'État défendeur soutient que, conformément à la jurisprudence de la Cour,
les Requérants ne peuvent nullement invoquer, ni la Cour accueillir,
l’illettrisme, l’indigence ou l'ignorance des victimes pour justifier la saisine
de la Cour dans un délai non raisonnable.
* 102. En réplique, les Requérants citent la jurisprudence de la Cour dans l’affaire
Bv Xm et autres c. Cw Bw et soutiennent que l’obligation
d'introduire une Requête dans un délai raisonnable devrait être levée
lorsque la date d’épuisement des recours internes ne peut être déterminée.
103. Les Requérants soutiennent, en outre, que l’existence de violations graves
et massives de droits de l’homme, comme c’est le cas, en l'espèce,
constituent une exception à l’exigence d’introduction de la requête dans un
délai raisonnable.
104. La Cour note que ni la Charte, ni le Règlement ne précisent le délai dans
lequel les requêtes doivent être introduites, après épuisement des recours
internes. L'article 56(6) de la Charte et la règle 50(2)(f) du Règlement
indiquent seulement que les requêtes doivent être déposées « [d]ans un
délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou
depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le
délai de sa saisine ».
105. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence, que « [l]e caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire … ».?° Il est de principe général que la charge de la
preuve du caractère raisonnable du délai incombe au requérant.?é
106. Conformément à sa jurisprudence, la Cour estime que le délai
d'introduction d’une requête devant elle est manifestement raisonnable
lorsqu'il est relativement court. En pareille occurrence, l’exigence de
démontrer le caractère raisonnable du délai ne s'applique pas.?”
25 Bv Xm et autres c. Cw Bw (fond) (24 juin 2014) 1 RICA 226, 8 92. Voir Xt AL Yc (fond), supra, 8 73.
26 Ya Yd c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 028/2017, Arrêt du 2 décembre 2021 (recevabilité), $ 48 ; Ba AL Yc, supra, 8 65.
27 Ci Bm c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 058/2016, Arrêt du 13 juin 2023 (fond et réparations), 8 56 ; Cb Bu Cr c. République du Bénin, CAfDHP, Requête no. 065/2019, Arrêt du 29 mars 2021 (fond et réparations), 88 86 et 87.
107. En l’espèce, la Cour note, comme elle l’a jugé dans le présent arrêt, que les
recours internes ont été épuisés par l’arrêt du 23 juillet 2014 rendu par les
Chambres réunies de la Cour suprême de l’État défendeur. Il s’ensuit que,
la présente Requête ayant été introduite le 18 juillet 2016, un délai d’un (1)
an, onze (11) mois et vingt-cinq (25) jours s’est écoulé après l’épuisement
des recours internes. Dans ces circonstances, la Cour considère que le
délai en cause est manifestement raisonnable.
108. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’exception et considère que la
présente Requête a été introduite dans un délai raisonnable après
l'épuisement des recours internes.
iii. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du règlement antérieur de l’affaire
109. L'État défendeur soutient qu’un article de presse du 3 février 2018 rapporte
qu’au nom des mêmes victimes de déchets toxiques, la Coordination
nationale des victimes des déchets toxiques de Côte d'Ivoire (CNVDT), une
deuxième association représentant les victimes, a introduit divers recours
devant des juridictions nationales aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en
France pour obtenir des mesures de réparation dans la même affaire. Selon
l’État défendeur, ces procédures rendent la présente Requête irrecevable.
110. En réplique, les Requérants soutiennent que l’objet de la Requête n’a pas
été porté devant un tribunal international ou tout autre mécanisme régional
ou international.
111. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 56(7) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2) g) du Règlement, les requêtes
dont elle est saisie sont examinées à condition qu’elles « ne portent pas sur
des affaires qui ont été réglées, conformément aux principes de la Charte
des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions de la [.…] Charte ».
112. Conformément à la jurisprudence de la Cour, les dispositions précitées
exigent de vérifier si l’affaire examinée n’a pas été réglée, mais également
qu’elle ne l’a pas été conformément aux principes édictés par les
instruments y mentionnés.”
113. Il est également de jurisprudence qu’au sens de l’article 56(7) de la Charte,
la notion de «règlement » exige la combinaison de trois conditions : (i)
l'identité des parties; (ii) la similitude des requêtes ou leur nature
alternative, complémentaire ou consécutive ; et (ii) l’existence d’une
décision sur le fond?
114. Sur la condition relative à l'identité des Parties, la Cour relève que l’État
défendeur ne prouve pas que les victimes représentées par les deux
associations de victimes sont les mêmes dans les différentes procédures
menées devant les juridictions étrangères concernées. La Cour note, en
effet, que les parties défenderesses ne sont pas les mêmes dans les
différentes procédures. Dans les procédures précitées, l’État défendeur et
la société AH sont les parties défenderesses tandis que dans la
présente Requête, seul l’État défendeur est en cause. L’exigence relative à
l’identité des Parties n’est donc pas vérifiée.
115. S'agissant ensuite de la condition relative à la similitude des requêtes, la
Cour rappelle, comme elle l’a conclu dans le présent arrêt, que la cause des
Requérants en l’espèce est relative au défaut de recours et de réparation
en faveur des victimes. Aucune des Parties à la présente Requête ne
soutient que les victimes ont été dûment et pleinement indemnisées de
sorte que, bien que les recours internes pour tenter d’obtenir réparation
aient été épuisés, il n’est pas démontré que les questions concernées ont
28 X An Bv c. République de Côte d'Ivoire (compétence et recevabilité) (22 mars 2018) 2 RICA 280, 8 44 ; Bf Az Xb c. République du Ghana (compétence et recevabilité) (28 mars 2019) 3 RICA 104, 8 55.
29 Tike Mwambipile et Ag Cc c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 042/2020, Arrêt du 1°’ décembre 2022 (compétence et recevabilité), 8 48 ; Bf Az Xb c. République du Ghana (compétence et recevabilité) (28 mars 2019) 3 CAfDHP 99, 8 48.
été intégralement réglées. La condition liée à la similitude des requêtes n’est
donc pas remplie.
116. Concernant la condition relative à l'existence d’une décision au fond, la Cour
note que, bien qu’il résulte du dossier que les deux Parties s'accordent sur
l’existence de décisions de justice dans les affaires portées devant des
juridictions internes des Pays-Bas, du Royaume-Uni et de la France, il reste
qu’il n’est pas établi que ces procédures ont été conduites conformément
aux principes de la Charte et des autres instruments pertinents visés à
l’article 56(7) de la Charte. La Cour en conclut que cette condition n’est pas
non plus remplie.
117. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception et considère, en
conséquence, que la présente Requête n’a pas été réglée au sens de
l’article 56(7) de la Charte.
C. Sur les autres conditions de recevabilité
118. La Cour note conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement, que l'identité
des Requérants a été clairement indiquée.
119. Elle note, également, que les demandes formulées par les Requérants
visent à protéger leurs droits consacrés par la Charte. En outre, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé à son
article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des
peuples. Par ailleurs, il ne résulte du dossier aucun élément indiquant que
la Requête est incompatible avec une quelconque disposition de l’Acte
constitutif de l’Union africaine. La Cour estime donc que la Requête est
conforme à l’Acte constitutif de l’Union africaine et à la Charte. La Cour en
conclut que la Requête satisfait à l’exigence de l’article 50(2)(b) du
Règlement.
120. La Cour constate que la Requête ne contient pas de termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État défendeur, de ses institutions ou de l’Union africaine, ce qui la rend conforme à l’exigence de la règle 50(2)(c) du
Règlement.
121. La Cour estime, en outre, que la Requête satisfait à la condition énoncée à
la règle 50(2)(d) du Règlement, celle-ci ne reposant pas exclusivement sur
des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse.
122. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que la Requête remplit
toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte et
à la règle 50(2) du Règlement, et la déclare recevable.
VII. SUR LE FOND
123. Les Requérants allèguent que l’État défendeur a violé le droit au respect de
la vie et de l'intégrité physique et morale (A), le droit à un recours effectif et
à une indemnisation adéquate des dommages (B), le droit à la santé
physique et mentale (C) et le droit à un environnement général satisfaisant
(D). Ils allèguent, en outre, que l’État défendeur a violé le droit à l'information
(E). La Cour va examiner chacune de ces allégations.
A. Violation alléguée du droit à la vie et à l’intégrité physique et morale
124. Les Requérants allèguent que l’État défendeur savait ou aurait dû savoir
que la vie et l’intégrité physique des habitants d’Cq pouvaient être
menacées du fait du déversement des déchets toxiques mais qu’il n’a pas
pris les mesures qui auraient permis d’atténuer ce risque.
125. Les Requérants soutiennent, également, qu’en pleine connaissance des
risques encourus, l’État défendeur a omis de faire tout ce qu’il était
raisonnablement possible de faire pour empêcher la matérialisation d’un
risque certain et immédiat sur le droit à la vie. Ils ajoutent que les autorités
ivoirennes ont octroyé un agrément a une entreprise qui n’avait
manifestement pas les compétences, ni les capacités de traiter des déchets tels que ceux transportés par le navire AJ Z. Ils soutiennent
également que l’État défendeur n’a pas pris les mesures adéquates pour
faire appliquer la loi interne, ni ses obligations qui lui incombe découlant de
la Convention de Bamako qui interdit l'importation et le déversement des
déchets toxiques.
126. Les Requérants soutiennent, enfin, que le manque de mesures appropriées
de prévention, d’enquête, de sanction et de réparation est constitutif, dans
la présente affaire, d’une violation du droit à la vie.
127. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
128. L'article 4 de la Charte est libellé comme suit :
La personne humaine est inviolable. Tout autre humain a droit au
respect de sa vie et de l'intégrité physique et morale de sa personne.
Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit.
129. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence, que le droit à la vie est
le fondement de tous les autres droits et libertés. II s'ensuit que priver une
personne de la vie revient à nier ses droits et libertés. Il importe de rappeler
à cet égard que, contrairement aux autres instruments de protection des
droits de l'homme, l’article 4 de la Charte établit un lien entre le droit à la
vie, d’une part, et l’inviolabilité et l'intégrité de la personne humaine, d’autre
part. La Cour considère que cette formulation du droit à la vie reflète la
corrélation entre ces deux droits.S!
3 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA, 8 8 94-152.
31 Ibid 8 70 Voir également, Comité des droits de l'homme, Observations no. 36 $ 2.
130. La Cour observe que les États africains reconnaissant l’impact que
l'importation et le déversement de déchets toxiques peut avoir sur la vie
humaine. Dans le préambule de la Convention de Bamako les États
déclarent être pleinement conscients de «la menace croissante que
représentent, pour la santé humaine, [...] la production de déchets
dangereux et [...]des dommages que les mouvements transfrontières de
ces déchets risquent de causer à la santé humaine ».°° Tel qu’indiqué à
l’annexe 2 auquel renvoie l’article 2(1)(c) de la Convention de Bamako, ces
déchets dangereux incluent les matières toxiques définies comme des
« matières ou déchets qui, par ingestion, inhalation ou pénétration cutanée,
peuvent causer la mort ou une lésion grave ou nuire à la santé humaine ».
131. La Cour rappelle en outre que le droit international des droits de l'homme
impose aux États parties une quadruple obligation de respecter, protéger,
promouvoir et mettre en œuvre les droits garantis par les conventions
auxquelles ils souscrivent.3* Alors que l'obligation de respecter exige de
l’État partie qu’il s’abstienne de commettre les violations, l’obligation de
protéger lui impose de protéger les titulaires des droits contre la violation
par les tiers. Quant aux obligations de promouvoir et mettre en œuvre, elles
exigent de l’État qu'il prenne les mesures nécessaires à une vulgarisation
et à une jouissance effective des droits concernés.
132. Cette quadruple obligation de garantir le droit à la vie est confirmée par le
Comité des droits de l'homme des Nations Unies (ci-après désigné « le
Comité » qui, dans son Observation générale n° 36, souligne que :
L’obligation de prendre des mesures positives pour protéger le droit à la vie
découle de l’obligation générale de garantir les droits reconnus dans le
Pacte, établie au paragraphe 1 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 6,
3 L’État défendeur est devenu partie à la Convention de Bamako, le 16 septembre 1994.
33 Convention de Bamako, Préambule, points 1 et 3.
34 The Social and Cl AK Action Center and the Center for Economic and Social AK c. République Fédérale du Af, CADHP, Communication 155/96 (2001) RADH 60 (CADHP 2001), 8 44 ; The Au Xd of the Socio-Economic AK and Xj Ye CAB c. République Fédérale du Af, Arrêt avant dire droit n° ECW/CCJ/APP/07/10, 10 décembre 2010, 8 10.
ainsi que de l’obligation spécifique de protéger le droit à la vie par la loi,
énoncée dans la deuxième phrase de l’article 6.
133. L'obligation qu’impose aux États la reconnaissance du droit à la vie dépasse
donc le seul engagement de s'abstenir d’enfreindre à la vie pour inclure
celui de prévenir et d'empêcher toute atteinte à ce droit par les tiers.°é
Comme le souligne également le Comité, les États ont le devoir « d’exercer
la diligence voulue pour protéger la vie humaine contre toute atteinte de la
part des personnes ou entités dont le comportement n’est pas imputable à
l’État».7 Cette obligation s'étend aux menaces raisonnablement
prévisibles et donc aux situations potentiellement mortelles* même si elles
n’ont pas effectivement abouti à la perte de la vie.
134. Dans sa jurisprudence, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH)
a rappelé, quant à elle, que les mesures positives pour garantir le droit à la
vie doivent consister, notamment en la mise en place d’une législation
pénale concrète s'appuyant sur un mécanisme d’application*° et en la
conduite d’enquêtes judiciaires visant à assurer l’application effective des
lois internes qui protègent le droit à la vie, y compris dans le cadre d’affaires
mettant en cause la responsabilité des agents ou organes de l’État.
135. La Cour rappelle que les États parties doivent prendre des mesures
appropriées pour protéger les personnes contre la privation de la vie par
d’autres États, des organisations internationales et des entreprises
étrangères agissant sur leur territoire“? ou dans d’autres zones sous leur
juridiction. Ils doivent également prendre des mesures législatives ou autres
pour veiller à ce que toute activité ayant lieu sur tout ou partie de leur
35 Comité des droits de l'homme, Observation générale n° 36 sur l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, concernant le droit à la vie, 120ème Session (3-22 juillet 2017), 8 25.
36 Co Bi, Am By, Xi Bh et Bt Ar (représenté par Xf Yf AK Y Ai c. Zimbabwe, CADHP, Communication n° 295/04, 2 mai 2012, 8 139; CEDH, affaire L.G.B. c. Royaume-Uni, 9 juin 1998, 8 36.
37 CDH, Observation générale no. 36, supra, 8 7.
38 Ibid, 22, 26.
3° Ibid., 7.
#9 CEDH, affaire Bs c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, 8 115.
#1 CEDH, affaire Xn c. Bulgarie, 21 octobre 2010, 8 137.
# CDH, Observation générale no 36, supra, 8 22.
territoire ou dans d’autres lieux sous leur juridiction ‘* soit compatible avec
l’article 6 de la Charte. Une telle obligation s'applique à tous les actes ayant
une incidence directe et raisonnablement prévisible sur le droit à la vie de
personnes se trouvant en dehors de leur territoire, y compris si elle est
menée par une entreprise ayant son siège sur leur territoire ou sous leur
juridiction.
136. La Cour note que l'article 4 de la Convention de Bamako interdit
l'importation et le déversement de déchets dangereux. Ce texte prévoit
également que « [t]outes les parties prennent les mesures juridiques,
administratives et autres appropriées sur les territoires relevant de leur
juridiction en vue d’interdire l'importation, en Afrique, de tous les déchets
dangereux pour quelque raison que ce soit, en provenance des parties non
contractantes ».
137. Il ressort de cette disposition de la Convention de Bamako qu'il pèse sur un
l’État défendeur qui l’a ratifiée l'obligation de prévenir et d’empêcher
l'importation sur son territoire, de déchets toxiques dont il a pu ou aurait dû
savoir l’impact sur la vie humaine. Dans l’hypothèse d’une présence desdits
déchets sur son territoire, l’État a l’obligation d’agir pour limiter et réparer
les conséquences néfastes de leur déversement sur la vie humaine.
138. En l’espèce, il ressort du dossier, notamment des écritures des Parties que
l’État défendeur qui avait connaissance que le navire AJ Z
transportait des déchets chimiques industriels, a autorisé la société
AH à décharger la cargaison** à condition de trouver une société
spécialisée pour le traitement de son contenu. La Cour estime qu’une telle
autorisation constitue en elle-même une violation de l’obligation de ne pas
enfreindre l'interdiction d’importation des déchets dangereux prescrite par
la Convention de Bamako. En l’espèce, l’État défendeur avait l’obligation
d’empêcher le déchargement de la cargaison mais ne l’a pas fait.
8 Ibid, 8 22.
44 Voir le mémoire en défense de l'État défendeur reçu au greffe le 22 novembre 2017, page 5, 88 3 à 5 et la réplique des Requérants reçue le ''" août 2018, page 5, 8 3.
139. Par ailleurs, l’État défendeur a manqué à son obligation de s'assurer que la
société Tommy à laquelle il avait été confié le traitement des produits
concernés disposait des compétences et d’équipements adéquats, et avait
effectivement pris toutes les mesures idoines pour exécuter son contrat
dans des conditions qui garantissent la sauvegarde du droit à la vie des
personnes riveraines des sites de déversement. À cet égard, l’obligation de
protéger qui pesait sur l’État défendeur requérait de sa part une diligence
absolue eu égard à la nature des substances concernées et aux risques
potentiels sur le droit à la vie.
140. La Cour observe, en outre, qu’après que les déchets eurent été déversés,
l’État défendeur n’a pas pris toutes les mesures nécessaires en vue d’en
atténuer les effets et en limiter les dommages causés sur la vie humaine.
Cette défaillance de l’État défendeur est constitutive de la violation de
nombreuses dispositions de la Convention de Bamako qui prescrivent des
mesures spécifiques auxquelles les États s'engagent à cet égard.*
141. Sur la question de la portée du droit à la vie en l’espèce, la Cour rappelle
que le déversement des déchets toxiques a conduit au décès d’au moins
dix-sept (17) personnes et à l’intoxication de plus de cent mille (100.000)
autres. Il n’y a donc pas de contestation sur le fait que le déversement a
causé une atteinte au droit à la vie. En outre, la Cour estime que l'obligation
de prévenir la violation du droit à la vie s'applique non seulement aux cas
de décès effectivement survenus mais également à l’ensemble des
victimes. En effet, bien qu'ayant eu des effets divers sur les victimes, les
déchets toxiques ont automatiquement porté atteinte au droit à la vie de
toutes les personnes qui y ont été exposées. L'obligation qu’ont les États
parties de respecter et de garantir le droit à la vie subsiste en effet face aux
menaces et situations mettant la vie en danger même si lesdites menaces
n’aboutissent pas à un décès.
#5 Voir Convention de Bamako, article 4.
142. Sous ce rapport, la Cour observe que, même si la responsabilité, entre
autres, de respecter les obligations en droit international incombe
primordialement aux États, il n'en demeure pas moins qu’elle pèse sur les
entreprises, en l’occurrence les multinationales. À cet égard, la Cour se
réfère aux Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises
et aux droits de l'homme pour rappeler que «la responsabilité des
entreprises en matière de respect des droits de l'homme est indépendante
des capacités ou de la détermination des États de remplir leur obligation de
protéger les droits de l’homme ».* Une telle responsabilité des entreprises
leur impose un engagement de politique publique en matière de prévention
et de réparation, une diligence raisonnable dans l’identification continue de
l'incidence de leurs activités et, enfin, la mise en place de procédures visant
à remédier à cette incidence.”
143. En tout état de cause, la Cour considère qu’en l'espèce, même si la
multinationale AH Xk, qui a affrété le navire MV AJ Z,
se trouvait à l’origine des violations dénoncées, la responsabilité principale
des violations des droits de l'homme résultant du déversement des déchets
toxiques à Cq incombe en dernier ressort à l’État défendeur.
144. Au vu de tout ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur a violé
l’article 4 de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à un recours effectif
145. Les Requérants allèguent que l’État défendeur a violé le droit à un recours
effectif et le droit à réparation du préjudice subi en n'ayant pas veillé à ce
que les dirigeants de AH soient effectivement traduits en justice,
mais en ayant plutôt préféré conclure un accord avec eux, empêchant, ainsi,
les victimes de les poursuivre.*
#6 Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations unies, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, 2011.
‘8- Requête, 88 114 à 120.
146. Les Requérants font également valoir que l’État défendeur n’a pas, non
plus, poursuivi tous ses agents impliqués dans le déversement des déchets
toxiques à Cq. Ils affirment que seuls deux employés ont été jugés et
147. Les Requérants soutiennent, en outre, que l’État défendeur a violé le droit
d’obtenir réparation dès lors que les victimes n’ont pas bénéficié de
réparations adéquates, effectives et rapides. Ils affiiment que l’État
défendeur a certes mis en place un programme d'indemnisation des
victimes, mais ledit programme n’a été assorti d’aucune mesure
complémentaire de garantie de non-répétition, de satisfaction ou de
réhabilitation. Les Requérants en concluent que le programme
d'indemnisation s’est avéré inadéquat et n’a pas atteint son objectif, dans la
mesure où certaines victimes n’ont pas reçu d’indemnisation pour le
préjudice subi.
148. Les Requérants allèguent, enfin, que les victimes d’empoisonnement n’ont
pas été entièrement et dûment identifiées. En effet, selon eux, la première
liste de victimes a été établie par les autorités après l'incident de 2006 et
incluse dans le protocole d’accord du 13 février 2007, alors que les sites
sont toujours contaminés à ce jour. Par conséquent, les personnes qui ont
été empoisonnées ou qui ont souffert des conséquences de
l’empoisonnement ne se sont pas toutes vu accorder, par la suite, le statut
de victime et n’ont pas toutes été incluses dans la liste des victimes.
149. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
#9 Requête, 88 121 à 123.
150. La Cour note que bien qu’aucun de ses articles ne garantisse expressément
le droit à un recours effectif, la Charte dispose en son article premier :
Les États membres de l’Organisation de l’Unité africaine, parties à la
présente Charte reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés
dans cette Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou
autres pour les appliquer.
151. La Cour relève, en outre, qu’aux termes de l’article 7(1) de la Charte :
[toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue [.…] Ce droit
comprend : a) Le droit de saisir les juridictions nationales compétentes
de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et
garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en
vigueur.
152. La Cour estime, comme elle l’a jugé dans l'affaire Xw AL Bo,*° que
le droit à un recours découle d’une lecture conjointe des dispositions
prévues aux articles premier et 7(1)(a) de la Charte. Ces dispositions sont,
par ailleurs, conformes au principe général de droit selon lequel, à la
garantie de tout droit est innérent au principe d’un recours en cas de
violation.
153. La Cour rappelle que, conformément à la jurisprudence internationale
constante en matière de droits de l’homme, le droit au recours inclut non
seulement l’accès aux recours institutionnels, mais aussi la restitution,
l'indemnisation, la non-répétition et la réhabilitation.°! L'essence du droit à
un recours effectif est que les individus doivent avoir accès à des
mécanismes nationaux, qui peuvent être utilisés pour remédier à une
violation alléguée des droits de l'homme. Pour être efficaces, ces
mécanismes doivent être capables de répondre pleinement aux allégations
50 Xw AL Bo, supra, 88 101 à 102.
51 Voir par exemple, Ao Xv c. Pérou, CIADH, Arrêt sur les réparations, 27 novembre 1998, Série C N° 42, 8 85 ; Xl Ch c. Honduras, CIADH, Arrêt sur les réparations, 21 juillet 1989, Série C No7, 8 25 ; Papamichalopoulos et autres c. Grèce, CEDH, 31 octobre 1995, Série A N° 330-B, 8 36.
de violations des droits de l'homme.°? En rappelant sa jurisprudence
constante, la Cour observe que pour être effectif, un recours doit être, au
moins, disponible, efficace et satisfaisant.
154. Dans le cadre particulier des dommages causés par le déversement de
déchets dangereux, l’obligation de garantir un recours effectif, tel qu’il
découle de la Charte, est repris à l’article 4(a) de la Convention de Bamako
qui stipule :
Les Parties s'engagent à faire appliquer les obligations de la présente
Convention et à poursuivre en justice les auteurs de violations
conformément à leur législation nationale et/ou au droit international.
155. La Cour estime que le but de cette obligation de poursuite est de mettre en
œuvre le droit des victimes de bénéficier d’un recours effectif. Le droit au
recours effectif tel qu’il ressort du droit et de la jurisprudence en matière des
droits de l’homme doit aboutir à l’effectivité du droit à restitution ou, lorsqu’il
n’est pas applicable, du droit à une compensation pour la perte subie ainsi
qu’à d’autres mesures nécessaires.
156. En l’espèce, la Cour note que les victimes n’ont fait face à aucun obstacle
pour accéder aux juridictions nationales comme en témoignent les
nombreuses décisions rendues par lesdites juridictions, dont la dernière est
l’arrêt du 23 juillet 2014 rendu par les Chambres réunies de la Cour
suprême. Il ne peut, dès lors, être contesté que le droit au recours effectif a
été garanti puisque les recours internes étaient disponibles. Par ailleurs, les
Parties s'accordent sur le fait que, par le protocole d’accord qu’il a signé à
cet effet, l’État défendeur a organisé, au bénéfice de la société AH
et de toutes les autres personnes impliquées, un régime d’impunité par
immunité de poursuite. Il ne fait aucun doute que ledit Protocole a rendu les
recours internes indisponibles, tout au moins pour les victimes autres que
celles ayant entrepris des procédures devant les juridictions nationales.
5? Ap Yi c. Gambie (2000) RADH 98 (CADHP 2000).
58 Voir Ay c. Mali, (recevabilité et compétence) (28 septembre 2017), 2 RICA 122, 8 41 ; Ad Bk Ak c. Cw Bw, (fond) (5 décembre 2014), 1 RICA 324, 8 41 157. En outre, alors que l’État défendeur ne conteste pas qu’au moins cent mille
(100 000) victimes ont été affectées par le déversement des déchets, les
juridictions internes ont accordé une compensation à sept (7) des plus de
seize mille (16 000) victimes ayant participé aux procédures nationales.
Toutes les autres victimes ont été déboutées, faute d’avoir pu établir le lien
de causalité entre le déversement des déchets et le préjudice subi. La Cour
estime que s'agissant d’un phénomène d’une telle envergure, les
d'appréciation afin de prendre en compte le cas de toutes les victimes et
leur accorder les réparations qu’elles étaient en droit d'attendre.
158. En tout état de cause, le protocole d’accord prouve, sans équivoque, non
seulement la responsabilité des personnes impliquées mais également le
préjudice causé aux victimes puisque l’État défendeur y consent à garantir
limmunité et recevoir des fonds par lui évalués aux fins de
dédommagement des victimes. L'État défendeur, qui n’a pas conclu sur ce
point, ne produit pas non plus la preuve que les fonds reçus en vertu du
protocole d'accord avec AH ont effectivement été versés aux
victimes.
159. Sur le même point, la Cour note que certains aspects du droit à un recours
effectif tels que l’identification exhaustive des victimes et la décontamination
des sites pollués n’ont pas été pris en compte durant les procédures
nationales n. La Cour estime que même si l’État reconnaît que plus de cent
mille (100 000) personnes ont été affectées, il n’a pas produit une liste
exhaustive des victimes, puisqu'il n’a pas conclu sur le fond concernant
l’allégation examinée.
160. Par ailleurs, il résulte du dossier que, si des opérations de décontamination
ont effectivement été effectuées, elles étaient insuffisantes pour permettre
la décontamination de tous les sites. De plus, la décontamination en
l'espèce n’a pas garanti la cessation totale et définitive des conséquences
du déversement, étant donné que des victimes ont continué à être
empoisonnées au-delà de la date à laquelle l’État défendeur a officiellement déclaré le nettoyage terminé, soit en novembre 2015.
161. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur n’a pas
garanti le droit à un recours effectif sur les aspects relatifs à l'identification
exhaustive des victimes et à la décontamination des sites concernés par le
déversement des déchets.
162. Enfin, concernant l’obligation de poursuivre qui résulte du droit à un recours
effectif, la Cour note que seuls deux dirigeants de la société AH
ont été condamnés à des peines d’emprisonnement pour empoisonnement
et tentative d’empoisonnement. Par ailleurs, aucun agent ou fonctionnaire
de l’État défendeur n’a été déclaré coupable à l'issue des procédures
judiciaires internes. En tout état de cause, aux termes du protocole d'accord
du 13 février 2017, l’État défendeur s’est engagé à garantir aux entités et
personnes impliquées l’immunité de poursuite. C’est en application de cette
clause que les responsables de AH ont été remis en liberté et
autorisés à quitter le territoire national. En conséquence, la Cour estime que
l’État défendeur n’a pas garanti le droit à un recours effectif relativement à
la poursuite et la sanction des auteurs du déversement des déchets
toxiques.
163. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur a violé
le droit des victimes à un recours effectif protégé à l’article 7(1) lu
conjointement avec l’article 1 de la Charte.
C. Violation alléguée du droit de jouir du meilleur état de santé physique et
mentale possible
164. Les Requérants soutiennent qu’en n’ayant pas mis en application les
dispositions légales nationales ou internationales qui interdisent
l'importation de déchets toxiques, l’État défendeur ne s’est pas conformé à
son obligation d’éliminer et d'empêcher toute entrave à l’exercice et à la
jouissance du droit à la santé physique et mentale.
165. Les Requérants soulignent que les victimes souffrent de problèmes de
santé depuis le déversement des déchets toxiques, notamment de
vomissements, de flatulences, d’engourdissement des yeux voire de cécité,
de malformations, de céphalées et de troubles respiratoires. Ils soutiennent
que les effets de ces problèmes de santé se prolongent dans le temps et
continuent de se manifester dans la mesure où les sites de déversement
n’ont pas été complètement dépollués.
166. Les Requérants affirment, en outre, que les mesures sanitaires d'urgence
prises par l’État défendeur étaient inadéquates, inefficaces et inopérantes.
Ils font valoir qu’aucune étude n’a été menée sur les conséquences à long
terme du déversement de déchets sur la santé. Selon eux, une telle étude
est d’autant plus importante que la mise en œuvre des mesures de lutte
contre la pollution a pris du retard.
167. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
168. La Cour relève que l’article 16 de la Charte dispose :
1. Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de santé
physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre.
2. Les États parties à la présente Charte s'engagent à prendre les
mesures nécessaires en vue de protéger la santé de leurs
populations et de leur assurer l’assistance médicale en cas de
maladie.
169. La Cour note, en outre, que dans l’affaire Purohit et Xo AL Xg, la
Commission a relevé l'importance du droit à la santé dans la jouissance des
autres droits. La Commission avait, en effet, estimé que « [Ja jouissance du
droit à la santé est essentielle dans tous les aspects de la vie et du bien-
être d’une personne, mais aussi dans la réalisation de tous les autres droits humains et libertés fondamentales. Ce droit comprend le droit à des
structures de santé, l’accès aux biens et services de santé qui doit être
garanti à tous, sans discrimination d’aucune sorte ».5* La Commission a
réitéré ce principe dans sa décision dans l’affaire Aa Aj for
Ce AK et Interights c. Égypte.®5
170. De même, dans l’affaire Social and Cl AK Action Bf
(A) c. Af portant sur la pollution environnementale, la
Commission a estimé que « [l]es Gouvernements ont le devoir de protéger
leurs citoyens, non seulement en adoptant des mesures législatives
appropriées et en les appliquant effectivement, mais également contre les
activités préjudiciables qui peuvent être perpétrées par les parties
171. La Cour considère que le droit à la santé suppose l'existence des éléments
essentiels et interdépendants suivants : disponibilité, accessibilité,
acceptabilité et qualité.” L’État enfreint son obligation s’il manque de
prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les personnes
relevant de sa juridiction contre des atteintes au droit à la santé imputables
à des tiers »,°8
172. En l’espèce, la Cour relève qu’à la suite du déversement des déchets
toxiques et de ses effets sur la santé de milliers de personnes, l’État
défendeur a pris des mesures urgentes pour que les victimes reçoivent des
soins médicaux.5° Cependant, ces mesures ont été, soit insuffisantes, soit
inappropriées pour répondre aux besoins de toutes les victimes et à
l'ampleur des conséquences du déversement.®°
54 CADHP, communication n° 241/01, Purohit et Xo AL Xg, 29 mai 2003, 8 80.
55 CADHP, communication n° 233/06, Initiative égyptienne pour les droits de la personne et INTERIGHTS c. Égypte, 16 décembre 2011, 8 261.
56 CADHP, communication n° 155/96 - Social and Cl AK Action Bf CA) et Center for Economic and Social AK (CESR) c. Af, 27 octobre 2001, 8 57.
57 Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observation générale n° 14, Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint (article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels), 11 août 2000, 8 12.
59 Rapport d'Amnesty International et de Greenpeace, septembre 2012, p. 65.
89 Dans un rapport conjoint, Greenpeace et Xe Bq ont relevé ce qui suit : « si les soins 45 173. La Cour note également que le Rapport 2008 du Rapporteur spécial des
Nations Unies indique que «de nombreuses personnes, en particulier,
celles qui vivaient à proximité des sites pollués, souffrent encore de
problèmes de santé. Des effets néfastes sur les femmes enceintes et sur
les enfants, notamment des fausses couches et des naissances d'enfants
mort-nés ont également été signalés » 6!
174. La Cour considère, en conséquence, que l’État défendeur a violé le droit à
la santé protégé par l’article 16 de la Charte, d’une part, en n’ayant pas
empêché le déversement des déchets toxiques et, d’autre part, en n’ayant
pas pris toutes les mesures nécessaires pour que les personnes affectées
par cette catastrophe aient pleinement accès à des soins de santé de
qualité.
D. Violation alléguée du droit à un environnement satisfaisant et global
175. Les Requérants allèguent que l’État défendeur a manqué à son obligation
de respecter, protéger et donner effet au droit à un environnement
satisfaisant et inclusif pour des milliers de personnes gravement affectées
par le déversement des déchets toxiques.
176. Les Requérants soutiennent également que le manquement de l’État
défendeur à appliquer et à faire respecter ses dispositions du droit interne
et ses obligations internationales relatives à la prévention de l’importation
de déchets toxiques sur son territoire constitue une violation de son
obligation de protéger le droit à un environnement satisfaisant et global dont
gratuits prodigués à des dizaines de milliers de personnes dans des centres d'accueil répartis dans toute la ville sont à mettre au crédit du gouvernement, force est de constater que, dans certains cas, ce dernier n’a donné suite aux demandes d'assistance qu’au bout de plusieurs semaines. Il a fallu par exemple attendre le milleu du mois de septembre pour que des unités sanitaires mobiles soient envoyées à At, alors que le chef de ce village avait alerté les autorités dans les heures qui avaient suivi le déversement, en indiquant que la population était très sérieusement touchée. De même, les permanences de santé mises en place pour dispenser gratuitement des soins de santé aux victimes n’étaient pas toujours équipées du matériel et des médicaments nécessaires pour traiter les patients ». 81 Rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des droits de l'homme (ci- après désigné « Rapport de mission du Rapporteur spécial »). Mission effectuée en Côte d’Ivoire du 4 au 8 août 2008) et aux Pays-Bas (du 26 au 28 novembre 2008) 8 60.
bénéficient les personnes relevant de sa juridiction.
177. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
178. L'article 24 de la Charte est libellé ainsi qu’il suit : « [t]ous les peuples ont
droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur
développement ».
179. La Cour note que dans l’affaire A c. Af, la Commission a observé
que :
Le droit de jouir d’un environnement satisfaisant en vertu de l’article 24 de la
Charte, (...) impose des obligations claires à tout Gouvernement. Il exige de
l’État qu’il prenne des mesures raisonnables et autres pour prévenir la
pollution et la dégradation de l’environnement, promouvoir la conservation et
assurer un développement et une utilisation écologiquement durables des
180. De même, dans son Observation générale n° 14, le Comité des droits
économiques, sociaux et culturels des Nations unies (ci-après désigné
« CDESC ») a défini le droit à un environnement sain comme incluant, entre
autres, la prévention et la réduction de l’exposition de la population à des
substances nocives telles que les radiations et les produits chimiques
dangereux ou d'autres facteurs environnementaux nocifs ayant une
incidence directe ou indirecte sur la santé des individus.
181. La Cour relève qu’aux termes de l’article 2 de la Convention d’Alger à
laquelle est partie l’État défendeur :
82 Social and Cl AK Action Centre (A) et un autre c. Af (2001) AHRLR 60 (CADHP 2001), 88 52 à 53.
Les États contractants s'engagent à prendre les mesures nécessaires pour
assurer la conservation, l’utilisation et le développement des sols, des eaux,
de la flore et des ressources en faune en se fondant sur des principes
scientifiques et en prenant en considération les intérêts majeurs de la
population.
182. Dans la présente Requête, il ne fait aucun doute que le déversement des
déchets toxiques a entraîné des conséquences considérables sur
l’environnement, telles que la dégradation de la nappe phréatique. De plus,
l’État défendeur a formellement déclaré avoir pris des mesures pour
nettoyer les sites contaminés. La Cour rappelle, comme elle l’a déjà indiqué
dans le présent arrêt, que les obligations de l’État relevant du droit
international incluent le devoir de respecter, protéger, promouvoir et mettre
en œuvre les droits consacrés par les instruments auxquels il est partie.
183. Ces obligations s'appliquent au droit à un environnement satisfaisant étant
entendu que l’État défendeur avait le devoir d’agir non seulement pour
empêcher le déversement de déchets lorsque les conditions requises ne
sont pas en place, mais également pour s'assurer d’une décontamination
totale et efficace une fois les déchets déversés.
184. La Cour relève qu’en l’espèce, les autorités de l’État défendeur ont omis de
prendre les mesures juridiques, administratives et autres mesures
appropriées afin d’interdire l'importation de déchets dangereux sur son
territoire comme l’exige la Convention de Bamako. Elle estime, en outre,
que ces autorités avaient l’obligation de veiller à ce que le déversement de
la cargaison sur le territoire de l’État défendeur soit effectué en prenant en
compte la protection de l’environnement des effets néfastes qui pourraient
résulter de ces déchets toxiques. Comme la Cour l’a jugé concernant le
droit à la vie, la défaillance des entreprises auxquelles ont été délégués le
déversement et le traitement des déchets ne saurait exonérer l’État
défendeur de sa responsabilité de garantir la protection de l’environnement.
185. Enfin, l’État défendeur n’a pas apporté la preuve qu’il a fait nettoyer
efficacement et rapidement les sites pollués. Dans ces circonstances, il ne
peut être considéré que l’État défendeur s’est conformé à son obligation de
protéger et de donner effet au droit à un environnement satisfaisant et
global, propice au développement.
186. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur a
violé l’article 24 de la Charte.
E. Violation alléguée du droit à l’information
187. Les Requérants allèguent que l’État défendeur n’a pas informé les
communautés exposées aux substances dangereuses de la nature des
déchets et de leurs effets néfastes sur la population. Ils soutiennent
également que le programme d'indemnisation des victimes mis en place par
l’État défendeur était caractérisé par un manque de transparence et
d’information. À titre d’exemple, ils soulignent que de nombreuses victimes
n’avaient pas été informées de leur droit à être indemnisées, ni des moyens
et délais d’enregistrement, ce qui les a empêchées de bénéficier du
programme.
188. Les Requérants, soutiennent qu’un grand nombre de victimes n’ont pas été
informées, jusqu’au dépôt de la présente Requête, des processus
permettant de réclamer l'indemnité de cinquante millions (50.000.000) de
francs CFA allouée à chaque victime en vertu du protocole d'accord de
2007.
189. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
190. L'article 9 du Protocole dispose :
1. Toute personne a droit à l’information.
2. Toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions
dans le cadre des lois et règlements.
191. La Cour relève que, dans son acception objective, le droit à l’information tel
que prescrit à l’article 9 de la Charte présuppose une garantie que toute
personne a le droit d’accéder à toute information relevant du domaine
public. Ainsi, la Cour considère qu’au-delà de cette prérogative générale, le
droit à l'information implique, dans son acception subjective, une
prérogative pour son titulaire d'accéder à toute information relative à toute
question ou procédure le concernant.
192. C’est cette seconde acception que rappelle la Cour dans l’arrêt Cb
Bu Cr AL Ck dans laquelle elle à jugé que le Requérant a droit
à l’information concernant les procédures judiciaires pendantes à son
encontre, notamment le droit pour lui d’accéder au dossier et d’en prendre
connaissance qui constitue un aspect important du droit à un procès
équitable.’ De même, dans l'arrêt Br c. Rwanda, la Cour a jugé
que, dans le cadre de son droit à la défense, le Requérant avait le droit de
recevoir l’ensemble des informations nécessaires à sa préparation.8*
193. La Cour note, par ailleurs, que cette interprétation du droit à l’information
est conforme aux normes internationales en vigueur en matière de
déversement de déchets toxiques et ses conséquences sur les personnes
et l’environnement. En effet, avant, pendant et après le déversement, les
États ont le devoir d’apporter aux personnes concernées ou courant le
risque d’être affectées, des informations disponibles, accessibles, pratiques
et fournies sur une base égale et non discriminatoire.65
194. La Cour relève, en outre, que l’État est tenu de s'acquitter de cette
obligation, notamment en fournissant, en recueillant, en évaluant et en
83 Cb Bu Cr c. République du Bénin (fond) (29 mars 2019) 3 RICA 136, 88 161 à 163. 84 Léon Br c. République du Rwanda (fond) (27 novembre 2020) 4 RICA 831, 88 42 à 47.
65 Document (HRC/30/40), rapport du Rapporteur spécial sur les conséquences de la gestion et de l'élimination écologiquement rationnelles des substances et déchets dangereux sur les droits de l'homme, $$ 32 à 37.
mettant à jour des informations. Une telle obligation implique que l’État
étudie les incidences réelles et potentielles des substances et déchets
dangereux sur les droits de l’homme durant leur cycle de vie et à fournir au
public et parties prenantes concernées des données sur lesdites
195. Dans cette même perspective, les États ont également l’obligation de mettre
à la disposition des citoyens des informations sur la santé publique et
d’autres affaires publiques, et de permettre à chacun d’exercer son droit à
l'information. À cet égard, dans l'affaire Cf et autres c. Italie, la CEDH
a conclu que l’État avait enfreint son obligation de « fournir les informations
essentielles qui auraient permis aux populations riveraines d’évaluer les
risques auxquels les individus et leurs familles pouvaient s’exposer s'ils
continuaient de vivre dans [.…] une ville particulièrement à risque en cas
d'accident à l’usine chimique ».87
196. En l’espèce, après le déversement des déchets toxiques, les autorités de
l’État défendeur ont pris certaines mesures visant à sensibiliser le grand
public sur les conséquences de ce déversement, notamment en mettant à
disposition des numéros verts, en diffusant des messages dans les médias
et en créant un site Internet consacré à la catastrophe. S'agissant des
mesures correctives prises après le déversement des déchets, un comité
de crise a été mis en place sous la direction du ministère de
l'Environnement, des Eaux et Forêts tout comme une annonce officielle a
été diffusée afin d’informer le grand public de l'emplacement exact des sites
pollués, de souligner la nécessité de rester à l’écart de ces sites et de
donner des indications concernant les centres de soins auxquels il était
possible de se rendre pour faire des examens médicaux .S°
66 Ibid., 8 50.
67 CEDH, (116/1996/735/932), Cf et autres c. Italie, 19 février 1998, 8 59.
68 Rapport d'Amnesty International et de Greenpeace, septembre 2012, p. 65.
89 Rapport du Rapporteur spécial sur les conséquences néfastes des mouvements et déversements de produits et déchets toxiques et nocifs pour la jouissance des droits de l'homme.
197. La Cour note que, nonobstant ces mesures importantes, l’État défendeur a
manqué d'informer le grand public sur de nombreux éléments cruciaux dans
les circonstances d’une catastrophe de cette ampleur et dont les effets sur
la santé et l’environnement continuent de se faire sentir dans la vie d’un
grand nombre de personnes.
198. Plus particulièrement, l’État défendeur n’a pas fourni au grand public des
informations utiles sur les conséquences, à long terme, du déversement des
déchets toxiques, ni sur les circonstances de ce déversement sur la
composition exacte des déchets, sur l'impact éventuel sur d’autres zones
ou sur le nombre de personnes touchées. La Cour relève que l’État
défendeur n’a pas, non plus, fourni d’information sur les risques sanitaires
auxquels les populations ont été exposées, notamment celles qui se
trouvaient à proximité des sites contaminés entre le 19 août 2006 et le 15
novembre 2016 notamment.
199. De même, aucune information officielle, ni aucune donnée actualisée sur le
nombre de personnes décédées ou contaminées par suite du déversement
des déchets toxiques n’étaient disponibles. Si les sources officielles ont fait
état de dix-sept (17) décès, ce chiffre ne concerne que ceux survenus
immédiatement après la catastrophe, et ne tient donc pas compte des
personnes décédées plusieurs semaines, mois, voire des années plus tard,
du fait du déversement des déchets. Il en est de même concernant les
informations relatives aux indemnisations prévues aux termes du protocole
d'accord conclu entre l’État défendeur et AH.
200. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que l’État défendeur a violé le droit
à l’information protégé par l’article 9(1) de la Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
201. L'article 27 du Protocole est libellé comme suit :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
202. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence que, pour examiner les
demandes en réparation des préjudices résultant des violations des droits
de l’homme, elle tient compte du principe selon lequel l’État responsable
d’un fait internationalement illicite a l’obligation de réparer intégralement les
conséquences de manière à couvrir l’ensemble des dommages subis par la
203. La Cour rappelle, en outre, que le but de la réparation étant la restitution
intégrale, elle doit « [ajutant que possible, effacer toutes les conséquences
de l’acte illicite et rétablir l’état qui aurait vraisemblablement existé si ledit
acte n'avait pas été commis ».”!
204. Par ailleurs, les mesures qu’un État doit prendre pour réparer une violation
des droits de l’homme incluent la restitution, l’indemnisation, la réadaptation
de la victime et des mesures de satisfaction ainsi que celles qui sont propres
à garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances
de chaque affaire.”?
205. En examinant les demandes de réparation, la Cour retient également
comme principe, l’existence d’un lien de causalité entre la violation alléguée
et le préjudice causé, étant précisé que la charge de la preuve incombe au
70 Bd Xq Xs c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 005/2016, Arrêt du 2 décembre 2021, S$ 88; Al As Cx et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019), 3 RICA 322, $ 13; Xr Xa Xy c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 209, $ 19 ; Xw c. République du Malawi, supra, 8 108. 74 Cj Yk c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019), 3 RICA 349, 8 20; Ae Xt c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019), 3 RJCA 299, $ 12; Al As Cx et autres c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019), 3 RICA 322, $ 16 ; Xy c. Rwanda (réparations), supra, $ 20 ; Ab AL Yc, supra, 8 118 ; Xw AL Bo, supra, 8 109.
7? Yk AL Yc (réparations), ibid, & 21; Xt AL Yc, ibid, & 21; Xt AL Yc, ibid., 8 13. Xy c. Rwanda, ibid., 8 20 ; Xw AL Bo, ibid., 8 110.
requérant.”$ Toutefois, en ce qui concerne le préjudice moral, il existe une
présomption au profit du requérant de sorte qu’il appartient à l’État
défendeur d’apporter la preuve contraire de l’existence d’un tel préjudice.
206. Dans le présent arrêt, la Cour a jugé que l’État défendeur a violé le droit à
la vie, protégé par l’article 4 de la Charte, le droit à un recours effectif prévu
par l’article 1°", lu conjointement avec l’article 7(1)(a) de la Charte, le droit
de jouir du meilleur état de santé physique et mentale, le droit à un
environnement satisfaisant et global, propice au développement et le droit
à l'information, prévus respectivement aux articles 16, 24 et 9(1) de la
Charte.
207. La Cour note que les Requérants demandent à la Cour d'accorder des
réparations pécuniaires et non pécuniaires.
A. Réparations pécuniaires
208. La Cour relève que les Requérants ont sollicité l'indemnisation de toutes les
victimes et l’allocation d’un franc symbolique en réparation du préjudice
matériel et du préjudice moral.
209. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de créer
un fonds d’indemnisation et de procéder à un recensement exhaustif de
toutes les victimes aux fins de leur indemnisation en tenant compte de la
gravité des préjudices subis.
210. La Cour observe que dans le présent arrêt, elle a établi des violations à la
charge de l’État défendeur qui a autorisé le déversement des déchets avec
73 Be Cs Yh Yl c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014), 1 RICA 74, 8 40 ; Ad Bk Ak c. Cw Bw (réparations) (3 juin 2016), 1 RICA 358, 8 15 ; Yk AL Yc, Ibid, 8 22 ; Xt AL Yc, S$ 14; Xm et autres c. Cw Bw (réparations) supra, S$ 24 ; Xw c. République du Malawi, supra, 8 111.
l'implication de ses fonctionnaires et qui a également manqué à son
obligation de diligence dans le contrôle du degré de toxicité des déchets,
des opérations de déchargement et de nettoyage. En outre, la Cour note
que, selon les chiffres reconnus par l’État défendeur, le nombre des victimes
affectées par l’incident”* est d’environ cent mille (100.000) et que le
protocole d'accord a été conclu sur la base de ces chiffres.
211. Il convient, toutefois, de relever que, quelle que soit la forme de
l'indemnisation, celle-ci ne saurait être évaluée sans la prise en compte des
différentes catégories de victimes, à savoir les familles des personnes
décédées, les personnes directement affectées par le déversement des
déchets et ayant subi un impact immédiat et enfin, les victimes éloignées,
moins touchées que les autres. Il ressort du dossier que dix-sept (17)
personnes sont décédées du fait du déversement des déchets, tandis
qu’aucune indication du nombre des victimes n’a été donnée s'agissant des
deux autres catégories.
212. La Cour considère, eu égard à sa décision sur la recevabilité de la présente
Requête, qu’outre les victimes ayant participé aux procédures devant les
juridictions nationales, que des dommages et intérêts doivent être accordés,
à hauteur du préjudice subi, à toutes les victimes sans exclusive. Dans les
circonstances de l’espèce, la Cour estime qu’il est approprié de mettre en
place un fonds d’indemnisation des victimes, en consultation avec celles-ci
et ordonne, en conséquence, une telle mesure à la charge de l’État
défendeur.
213. S'agissant des sommes devant alimenter le fonds d'indemnisation, la Cour
rappelle, comme elle l’a indiqué au paragraphe 162 du présent arrêt, que
c’est par l’effet du protocole d’accord que l’État défendeur a violé le droit
des Requérants à un recours effectif. En outre, le protocole d'accord est
74 Comme indiqué précédemment dans le présent Arrêt, les seize mille (16.000) victimes mentionnées sont celles qui ont participé aux procédures devant les tribunaux nationaux ou qui ont formé des associations de victimes. Pourtant, au total, le gouvernement de l'État défendeur a identifié environ cent mille (100.000) victimes.
inopposable aux victimes dans la mesure où elles n’ont pris part, ni de près,
ni de loin, aux négociations ayant abouti à sa conclusion. La Cour rappelle
également qu’aux termes dudit protocole, la société AH s'était
engagée à verser à l’État défendeur la somme de quatre-vingt-quinze
milliards (95.000.000.000) de francs CFA répartie comme suit : soixante-
treize milliards (73.000.000.000) de francs CFA au titre du préjudice causé
à l’État de Côte d'Ivoire et pour l'indemnisation des victimes ; et vingt-deux
milliards (22.000.000.000) de francs CFA au titre du coût des opérations de
dépollution.
214. La Cour note qu’en dépit du fait que ce protocole d'accord est, en son
principe, inopposable aux victimes, rien n'empêche que les sommes reçues
par l’État et donc, déjà dans son patrimoine, soient reversées dans le fonds
d'indemnisation. Une telle mesure, juste et appropriée, se fonde sur le fait
que l’État défendeur ne peut, en toute équité, continuer à bénéficier des
avantages d’un accord par lequel il a violé le droit des Requérants à un
recours effectif. Par ailleurs, en cas de nécessité, le fonds d'indemnisation
devra être alimenté par des ressources de l’État défendeur, compte tenu du
nombre actualisé des victimes et de l’ampleur du préjudice subi par chacune
215. En conséquence, compte tenu de ce qui précède, la Cour ordonne à l’État
défendeur de mettre en place un fonds d'indemnisation des victimes, en
consultation avec celles-ci, d’y verser les fonds reçus de AH et en
cas d’insuffisance desdites sommes AH, d'alimenter ce fonds par
ses propres ressources compte tenu du nombre actualisé des victimes, de
l’ampleur du préjudice subi par chacune d'elles.
ii. Préjudice moral
216. Les Requérants demandent à la Cour de condamner l’État défendeur à leur
verser un (1) franc CFA symbolique en réparation du préjudice moral subi.
217. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
218. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l'existence d’un
préjudice moral est présumée en cas de violation des droits de l’homme.”
En effet, le préjudice moral peut être considéré comme une conséquence
automatique de la violation, sans qu'il soit besoin de l’établir autrement.”6
219. La Cour note également que les montants à allouer en réparation du
préjudice moral sont déterminés en équité, compte tenu des circonstances
propres à chaque instance.”
220. La Cour estime que les violations ayant été établies en l'espèce, rien ne
s'oppose à ce qu’elle n’accorde pas le franc symbolique sollicité par les
Requérants en réparation du préjudice moral.
221. Par conséquent, la Cour fait droit à la demande d’un (1) franc CFA aux
Requérants, en réparation du préjudice moral subi et ordonne à l’État
défendeur de payer à chacun ledit franc symbolique.
B. Réparations non pécuniaires
222. Les Requérants ont formulé plusieurs demandes, y compris des mesures
de satisfaction, de réhabilitation, des garanties de non-répétition et des
mesures administratives.
ii Mesures de satisfaction
223. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de
présenter des excuses publiques aux victimes du déversement des déchets
75 Bb, supra, $ 55 ; Konaté (réparations), supra, 8 58.
76 Xm (réparations), supra, 8 55 ; Konaté (réparations), supra, 8 58.
77 Xm, ibid., 8 55 ; Konaté, ibid., 8 58 ; Bb, ibid., 8 55.
toxiques.
224. Ils demandent également à la Cour d’ordonner l’ouverture d’une enquête
indépendante et impartiale sur les incidents allégués afin d’établir les
responsabilités des personnes impliquées et de les poursuivre, quels que
soient leurs statuts ou fonctions au sein de l’entreprise AH ou de
l’État défendeur.
225. Les Requérants demandent, en outre, qu’il soit ordonné à l’État défendeur
de rendre compte publiquement de l’utilisation des fonds qui lui ont été
alloués dans le cadre du protocole d'accord signé avec AH.
226. Les Requérants sollicitent, enfin, de la Cour qu’elle ordonne à l'État
défendeur de mettre en place, après consultation des victimes ou des
associations de victimes, un nouveau programme de réparation rapide,
efficace et adéquat en faveur des victimes du déversement, lequel doit
nécessairement inclure la création d’un véritable fonds d’indemnisation et
la tenue d’un registre actualisé et exhaustif des victimes.
227. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
228. S'agissant de la mesure tendant à ordonner à l’État défendeur de
reconnaître sa responsabilité et de présenter des excuses publiques, la
Cour réitère sa position constante selon laquelle «un arrêt, en soi, peut
constituer une forme suffisante de réparation du préjudice moral ainsi
qu’une mesure suffisante de satisfaction ».”8 En l'espèce, la Cour considère
que le présent arrêt constitue une forme suffisante de satisfaction et qu’il
78 Yl c. Tanzanie (réparations), supra, 8 45 ; Bb AL Yc, supra, 8 194 et Xt Cu Ax et un autre c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 005/2015, Arrêt du 2 décembre 2021 (fonds et réparations), 8 106.
n’y a donc pas lieu pour l’État défendeur de présenter des excuses
publiques.
229. En ce qui concerne la demande visant l’ouverture d’une enquête
indépendante et impartiale sur les faits allégués en vue de poursuivre les
personnes impliquées et d’établir leurs responsabilités, la Cour observe que
les commissions d’enquête nationale et internationale, mises en place à la
suite des événements de 2006, ont permis de faire la lumière sur les faits
et d'engager des poursuites contre un groupe d’agents de l’État ainsi que
des responsables de AH et d’autres sociétés. Toutefois, l’accord
conclu le 13 février 2007 entre l’État défendeur et AH a rendu
impossibles toutes poursuites à l'encontre de certaines de ces personnes.
230. La Cour note, en outre, que « le programme d'indemnisation doit également
être mis en œuvre en conjonction avec d’autres mesures judiciaires.
Lorsqu’un programme d'indemnisation est mis en place sans autres
mesures judiciaires, on ne peut s'empêcher de considérer que les
avantages qu’il offre constituent un moyen de monnayer le silence et
l’acceptation des victimes ainsi que de leurs familles. Il est donc très
important de veiller à ce que les initiatives de réparation soient conjuguées
avec d’autres mesures judiciaires, notamment les poursuites pénales ayant
pour but la sanction des personnes impliquées et, en tout état de cause, la
manifestation de la vérité mais également les réformes institutionnelles ».”°
231. La Cour rappelle, comme elle l’a établi plus haut, que les personnes et
entités impliquées dans le déversement des déchets ont bénéficié d’une
impunité par suite du protocole d'accord. Cette impunité a été consacrée
par une immunité de poursuite à l’encontre de toutes les autres personnes
et entités impliquées dont seuls deux agents de la société AH ont
été condamnés à des peines d’emprisonnement avant d’être remis en
liberté et autorisés à quitter le territoire de l’État défendeur. Il s'ensuit que
79 Conseil économique et social, Protection et promotion des droits de l'homme — Impunité — Rapport de l’Experte indépendante chargée de mettre à jour l'Ensemble de principes pour la protection et la promotion des droits de l'homme par la lutte contre l'impunité, Cy Xz, 18 février 2005.
d’autres personnes dont la responsabilité pourrait être engagée n’ont jamais
fait l’objet de poursuites pour répondre de leurs actes en application des
obligations internationales de l’État défendeur, notamment sur le droit à un
recours effectif et à la non-répétition.
232. En conséquence, la Cour ordonne à l’État défendeur de rouvrir une enquête
indépendante et impartiale sur les violations alléguées afin d’établir la
responsabilité pénale et individuelle de toutes les personnes et entités
impliquées en vue de leur poursuite et de leur sanction. À cet égard, il
convient de rappeler que les dernières procédures nationales remontent à
l’arrêt rendu le 23 juillet 2014 par les Chambres réunies de la Cour suprême.
233. Quant à la demande des Requérants visant à ordonner à l’État défendeur
de rendre compte publiquement et de manière transparente de l’utilisation
des fonds qui lui ont été alloués en vertu du protocole d’accord, la Cour
constate que le programme d'indemnisation des victimes manquait non
seulement de transparence et n’était pas exhaustif. Il s’y ajoute que des
centaines de victimes ont dénoncé son inefficacité. Ce programme a été
conçu sans que les victimes ou leurs représentants n’aient été
préalablement consultés. Il en a résulté de nombreuses irrégularités dans
les procédures de dénombrement des victimes habilitées à prétendre à une
234. La Cour rappelle qu’elle a ordonné la création d’un fonds d'indemnisation,
le versement de la somme reçue de AH ou de toute autre somme
nécessaire pour ce fonds et l’établissement d’une liste exhaustive de toutes
les victimes. La Cour estime que la mise en œuvre des mesures déjà
ordonnées sur cette question va inévitablement inclure l’établissement d’un
statut de victime, d’une liste de toutes les victimes et d’un rapport public
transparent sur l’utilisation des fonds qui lui ont été alloués en vertu du
protocole d'accord.
80 Contenu du rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies et des rapports des organisations non gouvernementales.
235. S'agissant de la mise en place d’un nouveau programme d’indemnisation,
la Cour estime, compte tenue de ce qui précède, il n’est pas nécessaire
d’ordonner la mise en place d’un autre programme d’indemnisation.
236. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner, à titre de réparation, le
bénéfice d’une assistance médicale aux victimes, notamment pour la prise
en charge des nouveaux symptômes et des maladies chroniques causés
par les déchets toxiques. Ils sollicitent également la mise en place de
structures sanitaires adéquates, dotées d’un personnel qualifié et d’un
équipement approprié, afin que les soins de santé puissent permettre
d'améliorer l’état de santé des victimes des déchets toxiques.
237. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
238. La Cour note qu’en l’espèce, les victimes ont un besoin urgent d'assistance
médicale sous la forme d’une prise en charge sanitaire et psychologique de
la part de l’État défendeur. Cette mesure qui aurait été d’une plus grande
utilité immédiatement après le déversement des déchets demeure
importante étant donné que les conséquences des violations perdurent.
239. La Cour ordonne donc à l'État défendeur de veiller à ce que les victimes
bénéficient d’une assistance médicale et psychologique adéquate et
appropriée.
iii. Garanties de non-répétition
240. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de
mettre en œuvre des réformes législatives et réglementaires pour interdire l'importation et le déversement de déchets dangereux. Ils sollicitent
également de la Cour qu’elle ordonne à l’État défendeur d’engager la
responsabilité des entreprises en matière de protection des droits de
l’homme et de l’environnement.
241. Les Requérants demandent, en outre, à la Cour d’ordonner à l’État
défendeur de modifier sa loi pénale afin d’instaurer une responsabilité
pénale générale pour les personnes morales.
242. Les Requérants sollicitent de la Cour qu’elle ordonne à l’État défendeur
d’organiser des formations à l’intention des fonctionnaires concernés afin
de les sensibiliser aux problématiques des droits de l’homme et aux enjeux
de la protection environnementale. Ils demandent, enfin, que l’État
défendeur intègre la sensibilisation au respect des droits de l’homme et de
l’environnement dans les programmes scolaires et universitaires.
243. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
244. La Cour rappelle que les garanties de non-répétition visent à assurer
qu’aucune autre violation ne se reproduise. En tant que forme de réparation,
elles servent à prévenir les violations futures, à mettre fin aux violations en
cours et à rassurer les victimes de violations passées que le préjudice
qu’elles ont subi ne se reproduira plus. L'objectif des garanties de non-
répétition est d’éliminer les causes structurelles de la violence dans la
société, qui sont souvent propices à un environnement dans lequel des
expériences déshumanisantes telles que les actes de torture et autres
mauvais traitements ont lieu et ne sont pas publiquement condamnés ou
punis de manière adéquate ».8!
81 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples — Observation générale n° 4 portant sur la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : Le droit de réparation pour les victimes de la 62 245. Dans la présente affaire, la Cour ordonne à l’État défendeur de mettre en
œuvre des réformes législatives et réglementaires visant à interdire
l'importation et le déversement de déchets dangereux sur son territoire
conformément à ses obligations au titre de la Convention de Bamako et des
autres instruments applicables.
246. La Cour a jugé dans le présent arrêt qu'après le déversement des déchets
toxiques, les autorités de l’État défendeur n’ont pas pris toutes les mesures
adéquates pour éviter une telle situation. Il n’est pas prouvé, non plus, que
l’État défendeur a entrepris des mesures pour s'assurer qu’une telle
catastrophe ne se reproduise plus, en particulier, des réformes
institutionnelles et juridiques permettant aux victimes d’engager la
responsabilité civile ou pénale des personnes morales, telles que la société
AH, devant les tribunaux de l’État défendeur. Le protocole
d'accord conclu avec AH prouve qu’en dépit des obligations
découlant des conventions internationales auxquelles l’État défendeur est
partie, les garanties de non-répétition ne sont pas établies.
247. La Cour ordonne donc à l’État défendeur de modifier sa législation en vue
de garantir la responsabilité des personnes morales, y compris les
multinationales, pour les actes touchant l’environnement et le déversement
des déchets toxiques.
248. S'agissant des programmes de formation, la Cour note qu’il n’y a pas de
preuve que l’État défendeur ait pris des mesures appropriées pour assurer
la formation des fonctionnaires chargés de l’application des lois sur la
protection des droits économiques, sociaux et culturels et, en particulier, sur
la responsabilité des institutions en matière de protection des droits de
l’homme et de l’environnement.
249. La Cour ordonne donc à l’État défendeur d’une part, d’organiser des
formations à l’intention des fonctionnaires concernés afin de les sensibiliser
aux problématiques de droits de l'homme et aux enjeux de la protection de
torture et autres peines ou traitements cruels, innumains ou dégradants (Article 5), 8 45.
l’environnement ; et, d’autre part, d'intégrer ces cours dans les programmes
scolaires et universitaires.
iv. Mesures administratives
250. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de
mettre en œuvre toute réforme structurelle permettant d'améliorer les
capacités de traitement des déchets au port d’Cq suivant des
méthodes respectueuses de l’environnement.
251. Les Requérants demandent également à la Cour d’ordonner à l’État
défendeur de garantir la présence, dans l’ensemble de ses ports, d’un ou
plusieurs représentants du ministère de l’Environnement, et de leur conférer
le pouvoir de contrôler les déchets à bord des navires, au même titre que
les représentants du ministère des Transports.
252. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
253. La Cour note qu’en sus des demandes précédemment examinées au titre
des réparations, les mesures administratives demandées par les
Requérants sous la présente section relèvent spécifiquement de la
compétence directe du gouvernement et il sied dès lors de les examiner
séparément.
254. La Cour estime que l’action des Requérants devant elle contribuera à
renforcer la capacité de l’État défendeur à faire face à de telles violations
de manière plus efficace à l’avenir. La Cour ordonne, en conséquence, à
l’État défendeur de mettre en œuvre des réformes structurelles visant à
améliorer les capacités de traitement des déchets au port d’Cq.
255. La Cour ordonne également à l’État défendeur de garantir la présence d’un
ou plusieurs représentants du ministère de l'Environnement dans tous ses
ports en leur donnant le pouvoir de contrôler l’enlèvement des déchets sur
les navires.
v. Publication
256. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de
veiller à ce que la décision de la Cour soit publiée par voie de presse écrite
nationale et électronique ainsi que sur un site Internet officiel du
gouvernement où il restera accessible sur une période d’un an à compter
de la date de notification du présent arrêt.
257. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
258. La Cour estime que, conformément à sa jurisprudence constante qui
s'applique aux circonstances de l’espèce, la publication du présent arrêt se
justifie. Il s’y ajoute que rien n’indique que des mesures sont prises pour
rendre les lois de l’État défendeur conformes à ses obligations
internationales en matière de droits de l'homme. Les garanties prévues par
la Charte restant incertaines pour les justiciables, la Cour estime qu’il y a
lieu d’ordonner la publication de l’Arrêt.
259. La Cour ordonne donc à l’État défendeur de publier le résumé officiel en
français du présent arrêt en même temps que l'arrêt, dans un délai de six
(6) mois à compter de sa signification. Aux fins de l’exécution de cette
mesure, le résumé de l’arrêt sera également notifié à l’État en même temps
que l’arrêt. Le résumé doit être publié, une fois, dans le Journal officiel de
l’État défendeur et une fois dans un organe de presse national à large
diffusion. L'État défendeur est également tenu, dans le délai de six (6) mois susmentionné, de publier l’arrêt, ainsi que le résumé, sur le site Internet
officiel du gouvernement et de faire en sorte qu’il y reste accessible sur une
période minimale d’un (1) an.
vi. Mise en œuvre et soumission de rapports
260. Les Parties n’ont pas conclu sur la mise en œuvre du présent arrêt et la
soumission de rapports à cet égard.
261. En ce qui concerne la soumission de rapports, la Cour estime qu’elle relève
du droit applicable devant elle et de sa pratique judiciaire constante. En
l'espèce, la Cour estime qu’il convient d'accorder à l’État défendeur un délai
qui corresponde à celui du début de la mise en œuvre des premières
mesures spécifiques ordonnées. Le délai de six (6) mois est approprié dans
les circonstances de l’espèce.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
262. Aucune des Parties n’a conclu sur ce point.
263. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « [à]
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais
de procédure ».8?
264. En l’espèce, la Cour n’a aucune raison de déroger au principe posé par
cette disposition et ordonne que chaque Partie supporte ses frais de
procédure.
82 Article 30 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
265. Par ces motifs,
LA COUR,
À la majorité de dix (10) voix pour et une voix (1) contre, le Juge Blaise
TCHIKAYA ayant émis une opinion dissidente,
Sur la compétence
i. Rejette les exceptions d’incompétence ;
i. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
ii. — Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la vie, protégé par l’article
4 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur a violé le droit à un recours effectif,
protégé par l’article 7(1)(a) de la Charte, lu conjointement avec
l’article premier de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur a violé le droit de jouir du meilleur état de
santé physique et mentale possible, protégé par l’article 16 de la
Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur a violé le droit à un environnement
satisfaisant et global, propice au développement, protégé par
l’article 24 de la Charte ;
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit à l'information, protégé par
l’article 9(1) de la Charte.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
x. Ordonne à l’État défendeur de créer, dans un délai d’un (1) an à
compter de la signification du présent arrêt, un fonds
d'indemnisation, en consultation avec les victimes, qui sera
alimenté par les sommes reçues de AH et des
ressources additionnelles suffisantes à mobiliser par l’Etat
défendeur en tenant compte du recensement ordonné dans le
présent Arrêt ;
xi. Condamne l’État défendeur à verser, à chacun des Requérants,
la somme d’un (1) francs CFA symbolique au titre du préjudice
moral.
Réparations non pécuniaires
xii. Rejette la demande des Requérants visant à ordonner à l’État
défendeur de présenter des excuses publiques ;
xii. Ordonne à l’État défendeur d'ouvrir, dans un délai d’un (1) an à
compter de la signification du présent arrêt, une enquête
indépendante et impartiale sur les faits allégués afin d’établir la
responsabilité pénale et individuelle des auteurs, et d’engager des
poursuites en leur encontre ;
xiv. Ordonne à l’État défendeur de soumettre, dans un délai de six (6)
mois à compter de la signification du présent arrêt, un rapport
public transparent concernant l’utilisation des fonds qui lui ont été
alloués aux termes du protocole d'accord signé avec
AH ;
xv. Ordonne à l'État défendeur de procéder, dans un délai de six (6)
mois à compter de la signification du présent arrêt, à un
recensement national général et actualisé des victimes ;
xvi. Ordonne à l’État défendeur de s'assurer, dans un délai de six (6)
mois à compter de la signification du présent arrêt, que les
victimes bénéficient d’une assistance médicale et psychologique ;
xvii. Ordonne à l’État défendeur d’entreprendre, dans un délai d’un (1)
an à compter de la signification du présent arrêt, des réformes
législatives et réglementaires visant à mettre en œuvre
l'interdiction de l'importation et du déversement de déchets
dangereux sur son territoire en conformité avec les conventions
internationales applicables auxquelles il est partie ;
xviii. Ordonne à l’État défendeur de modifier sa législation, dans un
délai d’un (1) an à compter de la signification du présent arrêt, en
vue de garantir la responsabilité des personnes morales, y
compris les multinationales pour les actes touchant
l’environnement et le versement des déchets toxiques ;
xix. Ordonne à l’État défendeur d’organiser des formations à l’intention
des fonctionnaires concernés pour les sensibiliser à la protection
des droits de l'homme et de l’environnement, et d’intégrer ces
formations dans les programmes scolaires et universitaires afin de
promouvoir le respect des droits de l’homme et de
l’environnement ; ces mesures devront être mises en œuvre dans
un délai d’un (1) an à compter de la signification du présent arrêt ;
xx. Ordonne à l’État défendeur de garantir, dans un délai d’un (1) an
à compter de la signification du présent arrêt, la présence d’un ou
plusieurs représentants du ministère de l’Environnement dans
tous ses ports en leur donnant le pouvoir et les moyens de
contrôler l'enlèvement des déchets des navires ;
xxi. Ordonne à l’État défendeur, dans un délai de six (6) mois à
compter de la signification du présent Arrêt, de publier le résumé
officiel en français du présent arrêt élaboré par le Greffe de la Cour
en même temps que l’arrêt. Ce résumé devra être publié une fois
dans le Journal officiel et une fois dans un organe de presse national à large diffusion. L'État défendeur est également tenu,
dans le même délai, de publier l’Arrêt, ainsi que les résumés
fournis par le Greffe, sur le site Internet officiel du gouvernement
et de s'assurer qu’il y reste accessible pendant une période
minimale d’un (1) an ;
xxii. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la signification du présent arrêt, un rapport
sur l’état de mise en œuvre des mesures qui y sont ordonnées et,
par la suite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que la Cour estime
qu’elles ont été pleinement mises en œuvre.
Sur les frais de procédure
xxiii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Imani D. ABOUD, Présidente ;-=
Modibo SACKO, Vice-président ; fait. fausse
Ben KIOKO, Juge ; MES
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Lys Orpea lan
Blaise TCHIKAYA, Juge 5 Stella . ANUKAM, Juge Éuk am
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge Sa F2 œ.
Dennis D. ADJEI, Juge ;
Et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l'opinion
dissidente du Juge Blaise TCHIKAYA est jointe au présent arrêt.
Fait à Arusha, ce cinquième jour du mois de septembre de l’an deux mille vingt-trois,
en anglais et en français, le texte français faisant foi.