AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
C A X
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
REQUÊTE N°054/2019
ARRÊT
05 SEPTEMBRE 2023 % SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
Faits de la cause
Les violations alléguées
Ill RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR
VI SUR LA RECEVABILITÉ
Sur l’exception préliminaire d’irrecevabilité
Sur les conditions de recevabilité prévue par la Charte et le Règlement
! Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
ii. Sur les autres conditions de recevabilité
DIR SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 11
14
15 La Cour, composée de : Imani D. ABOUD, Présidente ; Modibo SACKO, Vice-
président, Ben KIOKO, Rafaâ BEN ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R.
CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B.
NTSEBEZA, Dennis D. ADJEI — Juges ; et Robert ENO, Greffier.
En l’affaire :
X C A
Représenté par Maître Renaud Vignilé AGBODJO, Avocat au Barreau du Bénin,
Contre
REPUBLIQUE DU BÉNIN
Représenté par M. Bh B, Agent Judiciaire du Trésor.
après en avoir délibéré,
Rend le présent arrêt :
1 Dame X C A (ci-après dénommée « la Requérante »)
est une ressortissante béninoise. Elle allègue la violation des droits
consécutifs à la répression des manifestations des 1°" et 2 mai 2019 à
Av qui auraient entraîné la mort de son père Ad C
A, (ci-après désigné « la victime »).
2 La Requête est dirigée contre la République du Bénin (ci-après dénommée
« l’État Défendeur »), devenue partie à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples (ci-après, désignée « la Charte ») le 21 octobre
1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et
des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») le 22 août 2014. Le 08
février 2016, l’État défendeur a fait la Déclaration prévue par l’article 34(6)
dudit Protocole (ci-après désignée « la Déclaration ») en vertu de laquelle
il a accepté la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant
des individus et des organisations non gouvernementales. Le 25 mars
2020, l’État défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union
africaine, l’instrument de retrait de ladite Déclaration. La Cour a jugé que
ce retrait est sans effet sur les affaires pendantes ainsi que sur les
nouvelles affaires déposées avant l'entrée en vigueur du retrait, un (1) an
après le dépôt, à savoir le 26 mars 2021*.
I. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3 Il ressort de la Requête que le sieur Ad C A, père de la
Requérante, a décidé de se joindre à la manifestation pacifique qui a eu
lieu, le 1% mai 2019, au domicile de Bd Bg At, ancien Président
de la République, à Cotonou, pour empêcher l’arrestation de ce dernier par
les forces de l’ordre. La Requérante affiime que son père y a été
mortellement touché par des tirs des forces de l’ordre, son corps sans vie
ayant, ensuite, été déposé le lendemain à la morgue du Centre national
hospitalier universitaire de Cotonou (CNHU-Cotonou) avant d’être restitué
à sa famille sans aucun certificat de décès.
4 La Requérante ajoute que ni le Gouvernement ni le procureur de la
République de Cotonou n’ont fait de communiqué sur les circonstances de
la mort de son père ainsi que de toutes les autres personnes qui ont été
« atteintes par balle » lors de ces évènements. Elle déclare également
1 Be Ai As c. République du Benin, CATDHP, Requête n° 003/2020, Ordonnance (mesures provisoires), 5 mai 2020, 88 4-5 et Corrigendum du 29 Juillet 2020.
qu'aucune poursuite pénale n’a été engagée contre les auteurs des coups
de feu.
5 Selon la Requérante, l’État défendeur a, plutôt, procédé à des arrestations
et à des poursuites judiciaires contre des manifestants et responsables de
partis politiques d'opposition.
B. Les violations alléguées
6 La Requérante allègue la violation des droits suivants :
- le droit à la liberté de réunion et de manifestation protégé par les
articles 11 de la Charte, 21 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques (PIDCP) ;
- le droit à la vie protégé par les articles 4 de la Charte et 6 du
PIDCP ;
- le droit au respect du principe de la non-rétroactivité de la loi
pénale, protégé par l’article 7(2) de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7 La Requête introductive d'instance a été déposée au Greffe 18 octobre
2019. Elle a été communiquée à l’État défendeur le 12 décembre 2019, aux
fins de réponse dans un délai de soixante (60) jours à compter de la
réception.
8 _ Les parties ont déposé leurs écritures dans les délais fixés par la Cour.
9 Les débats ont été clôturés le 5 juin 2023 et les Parties en ont été
informées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
10 La Requérante demande à la Cour de :
i. Se déclarer compétente ;
ii. Déclarer la requête recevable ;
ii. Dire que le Gouvernement du Bénin n’a pas procédé à la protection de
ses citoyens lors des manifestations pré et post électorales du 28 avril
2019 ;
iv. Dire que Ad C A a fait l’objet d’une exécution
extrajudiciaire par l’armée béninoise et que le gouvernement du Bénin
en est responsable ;
v. Dire que l’État du Bénin a violé la liberté de manifester de Ad
C A ;
vi. Dire que le délit d’attroupement non armé est une mesure restrictive de
la liberté de réunion publique pacifique et de manifestation ;
vil. Enjoindre à l’État défendeur de cesser de faire recours à l’armée lors
des manifestations publiques dans le cadre de rassemblements
pacifiques ;
vi. Enjoindre à l’État du Bénin d’engager des poursuites sérieuses et
nécessaires contre ses agents membres des forces armées impliquées
dans le meurtre de Ad C A ;
ix. Enjoindre à l’État du Bénin d’abroger la loi portant code pénal en ce qui
concerne le délit d’attroupement non armé ;
x. Enjoindre à l’État de remettre en liberté toutes les personnes arrêtées
et emprisonnées lors et à l’occasion des évènements liées aux
élections législatives du 28 avril 2019 ;
xi. Ordonner à l’État de faire un rapport à la Cour dans un délai qu’il plaira
à la Cour de fixer ;
xi. Condamner l’État du Bénin à payer la somme de deux cents millions
(200 000 000) Francs CFA à titre de dommages intérêts
xiii. Condamner l'État du Bénin aux dépens.
11 L'État défendeur demande à la Cour de :
ii Constater que la Cour a été saisie à l’initiative de X C
A ;
ii. Constater qu’elle n’a pas été désignée ni par la famille ni par
ordonnance judiciaire pour représenter la famille ;
iii. Dire et juger qu’elle n’a pas pouvoir pour agir devant la Cour ;
iv. Constater qu’au moment de l'examen de la requête, les voies de
recours internes n’étaient pas épuisées avant que dame X
C A ne saisisse la CADHP ;
v. Constater que les voies de recours internes sont existantes, disponibles
et efficaces ;
vi. Dire et juger que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours
internes ;
vil. En conséquence, déclarer la requête de dame X C
A irrecevable.
viii. Constater que l’attroupement était armé ;
ix. Constater que les forces de sécurité publique ont été déployées sur les
lieux de trouble pour y faire cesser les violences et y faire revenir
l’ordre ;
x. Constater que les forces de sécurité publique ont agi conformément
aux textes régissant le maintien de l’ordre public ;
xi. Dire qu’elles n’ont commis aucune faute ;
xii. En conséquence, aucune faute n’est imputable à l’État béninois.
xiii. Constater que le décès du père de la requérant peut - être aussi causé
par les mouvements de foule, les armes blanches et les tirs des
chasseurs ;
xiv. Dire que l’imputation du décès de monsieur C A aux forces
de sécurité publique n’est pas justifiée ;
xv. Dire que les éléments de preuve apportés par la requérante sont
insuffisants ;
xvi. En conséquence, déclarer mal fondées les prétentions de la
requérante.
xvii. Constater la participation du requérant aux manifestations illégales ;
xvili. Dire que le défunt était en situation illégitime ;
xix. Dire et juger qu'il y a faute de sa part ;
xx. Dire et juger que cette faute du défunt exonère l’État de toute
responsabilité ;
xxi. Constater que le montant réclamé par la requérante n’est basé sur
aucun critère ;
xxii. Dire que ce montant est imaginaire ;
xxiii. En conséquence, rejeter les prétentions de la requérante.
V. SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR
12 L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
13 Par ailleurs, aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « la Cour procède
à un examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte,
au Protocole et au […] Règlement »°.
14 Sur la base des dispositions précitées, la Cour doit, pour chaque requête,
procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer, le cas
échéant, sur les exceptions d’incompétence.
15 La Cour observe qu’aucune exception d’incompétence n’a été soulevée.
Néanmoins, conformément à l’article 49(1) du Règlement, la Cour doit
s'assurer que tous les aspects de sa compétence sont remplis.
? Article 39(1) du Règlement de la Cour du 2 juin 2010.
16 Ayant constaté qu’aucun élément du dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétente, la Cour conclut qu’elle a :
i. La compétence matérielle, dans la mesure où la Requérante allègue la
violation de droits de l'homme protégés par la Charte et le PIDCP*,
instruments de protection de droits de l’homme auquel l’État défendeur
est partie.
il. La compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur est
partie au Protocole et a fait la Déclaration. La Cour rappelle, comme
elle l’a indiqué au paragraphe 2 du présent arrêt que le 25 mars 2020,
l'État défendeur a déposé l’instrument de retrait de la Déclaration. À cet
égard, la Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle le retrait par l’État
défendeur de sa Déclaration n’a pas d'effet rétroactif et n’a, non plus,
aucune incidence sur les affaires pendantes au moment dudit retrait, ni
sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant la prise d’effet,
douze (12) mois après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 26
mars 2021. La présente Requête, introduite avant le retrait, par l’État
défendeur, de sa Déclaration, n’en est donc pas affectée“.
iii. La compétence temporelle, dans la mesure où les violations alléguées
se sont produites après que l’État défendeur est devenu partie au
Protocole.
iv. La compétence territoriale, dans la mesure où les faits de la cause se
sont déroulés sur le territoire de l’État défendeur.
17 Au regard de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
examiner la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
18 La Cour relève que l’État défendeur soulève une exception préliminaire. La
Cour examinera d’abord cette exception avant d’examiner, si nécessaire,
les conditions de recevabilité prévues par la Charte et le Règlement.
3 L’État défendeur est partie au PIDCP, le 23 mars 1976.
4 Voir paragraphe 2 du présent arrêt.
A. Sur l’exception préliminaire d’irrecevabilité
19 L'État défendeur soulève une exception préliminaire d’irrecevabilité de la
Requête tirée du défaut de qualité pour agir de la Requérante. I! fait valoir
qu’il résulte du procès-verbal -du conseil de famille que le sieur Bf
A a été désigné tuteur des enfants de la victime, tous mineurs au
moment des faits. Il ajoute que, le 1° septembre 2019, Bf A a
donné mandat à Me Renaud AGBODJO aux fins de saisine de la Cour de
céans.
20 Il affirme que la Requérante a saisi la Cour de céans tant en son nom et
pour son compte personnel que ceux des autres enfants de son père. Il
déclare qu’en agissant de la sorte, la Requérante se comporte comme la
représentante de la famille du défunt alors qu’elle n’a reçu aucun pouvoir
pour agir à ce titre.
21 I fait valoir qu’en tout état de cause, le procès-verbal du conseil de famille
est irrégulier pour défaut d’homologation par les juridictions de sorte que le
mandat lui-même s’en trouve dépourvu d’effet.
22 En réplique, la Requérante conclut au rejet de l’exception en faisant valoir
que les seules conditions de saisine de la Cour par un individu ou une ONG
d’une requête dirigée contre un État sont : la ratification de la Charte et du
Protocole ainsi que le dépôt de la Déclaration par cet État ; le requérant
n’étant pas tenu de démontrer un intérêt personnel.
23 Elle indique, par aileurs, qu’elle n’a pas besoin de mandat de
représentation pour agir pour le compte de la succession de la victime. À
cet effet, elle verse au dossier son acte de naissance, ainsi que le procès-
verbal du conseil de famille dans lequel sont mentionnés les noms de ses
frères et sœurs, ce qui, selon elle, atteste leur filiation avec la victime.
24 La Requérante affirme que la Cour n’est pas tenue par les règles
restrictives de droit interne en ce qui concerne la validité des preuves et peut décider qu’un moyen de preuve exigé par le droit interne n’est pas
nécessairement requis devant elle.
25 La Cour observe qu’aux termes de l’article 5(3) du Protocole, « la Cour
peut permettre aux individus ainsi qu’aux ONG dotées du statut
d’observateur auprès de la Commission africaine d’introduire des requêtes
directement devant elle conformément à l’article 34(6) de ce Protocole ».
26 La Cour note que ces dispositions n’exigent pas d’un Requérant qu’il
dispose d’un titre quelconque pour agir devant la Cour. La Cour a jugé que
la seule condition préalable est que l'État défendeur, en plus d'être partie
à la Charte et au Protocole, ait déposé la Déclaration permettant aux
individus et aux ONG d'introduire des requêtes devant la Cour, ce qui est
le cas en l’espèce®.
27 La Cour souligne qu’en l’espèce, l’État défendeur est partie à la Charte et
au Protocole. Au surplus, il a fait la Déclaration au moment du dépôt de la
Requête. Dès lors, la Requérante peut valablement saisir la Cour.
28 La Cour relève au surplus qu’il n’est pas contesté que la Requérante est la
fille de la victime. La Cour estime que cette filiation fonde sa qualité à agir
devant la Cour de céans.
29 Par conséquent, la Cour rejette l’exception préliminaire soulevée.
B. Sur les conditions de recevabilité prévue par la Charte et le Règlement
30 L'article 6(2) du Protocole dispose : « la Cour statue sur la recevabilité des
requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la
Charte».
5 XYZ c. République du Bénin (fond et réparations) (27 novembre 2020) 4 RICA 85, 88 54-55.
31 Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [Ia Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole et au
présent Règlement ».
32 La règle 50(2) du Règlement qui reprend, en substance, l’article 56 de la
Charte, dispose :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a) Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b) Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c) Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d) Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e) Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu'il ne soit manifeste à la Cour que la procédure
de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f) Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g) Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
33 L'État défendeur soulève une exception tirée du non-épuisement préalable
des recours internes sur laquelle la Cour va statuer avant d’examiner, si
nécessaire, les autres conditions de recevabilité.
8 Article 40 du Règlement du 02 juin 2010.
i. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
34 L'État défendeur affirme que la condition de l'épuisement des recours
internes vise à éviter que la juridiction internationale des droits de l’homme
devienne une Cour de première instance et contribue à renforcer sa
fonction de complémentarité et de subsidiarité.
35 | allègue que sa législation a la spécificité, d’avoir fait de la Cour
constitutionnelle, une juridiction compétente en matière de violations des
droits de l’homme tel que précisé par l’article 117 de la loi n°2019-40 du 07
novembre 2019 portant révision de la loi n°90-32 du 11 décembre 1990
portant Constitution.
36 Il déclare qu’il ne peut être retenu à son encontre aucune violation des
droits de l'homme alors que la Requérante n’a pas cru devoir exploiter les
dispositifs juridictionnels prévus pour faire constater et sanctionner ses
prétentions en la matière.
37 L'État défendeur sollicite, en conséquence, que la Cour déclare la Requête
irrecevable.
38 Pour sa part, la Requérante fait valoir qu’elle n’a pas exercé les recours
internes en raison d’une part, de leur inaccessibilité du fait des menaces et
intimidations dont les parents des victimes sont l’objet et, d’autre part pour
leur inefficacité puisque l’État défendeur n’a pas ouvert d'enquête
concernant les actes ayant engendré la mort de son père. Elle fait valoir
qu’il ne peut être exigé des victimes ou de leurs familles, qu’elles prennent
en charge la responsabilité de l'épuisement des recours internes puisqu'’il
incombe à l’État d’enquêter sur les faits et de traduire en justice les
personnes en cause.
39 La Cour rappelle que conformément à la règle 50(2)(e) du Règlement et
l’article 56(5) de la Charte, les requêtes doivent être postérieures à l’épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit
manifeste que la procédure de ces recours se prolonge de façon
anormale”.
40 La Cour souligne que les recours internes à épuiser sont les recours de
nature judiciaire. Ils doivent être disponibles, c'est-à-dire qu’ils peuvent être
utilisés sans obstacle par le requérant et efficaces en ce sens qu’ils sont à
« même de donner satisfaction au plaignant ou de nature à remédier à la
situation litigieuse »°.
41 La Cour précise qu’il ne suffit pas à un requérant de douter de la
disponibilité ou de l'efficacité des recours internes. Il lui appartient, plutôt,
d’entreprendre toutes les démarches nécessaires pour épuiser, ou à tout le
moins, essayer d’épuiser les recours internes®.
42 La Cour note qu'au regard de la législation de l’État défendeur, la
Requérante disposait de l’action civile devant les autorités judiciaires ou les
juridictions pénales*° et pouvait, alternativement, exercer deux recours en
relation avec le « meurtre » de son père.
43 Premièrement, elle pouvait, en vertu de l’article 38 du code de procédure
pénale (CPP)! saisir, d’une plainte, le procureur de la République
territorialement compétent qui apprécierait la suite à lui donner.
? Ac Ay et Am Ay c. République du Benin, CAfDHP, Requête n° 008/2020, arrêt du 23 juin 2022 (compétence et recevabilité), 8 49 ; Be Ai As c. République du Benin, CAfDHP, Requête n° 032/2020, arrêt du 22 septembre 2022 (compétence et recevabilité), 8 38.
8 Ayants — droit de feu Ar Ak, Ag Bi dit Ablassé, Ao Ak et Ae Ap et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Ax Aw, Arrêt (fond) (5 décembre 2014), 1 RICA 226, 8 68 ; /bid. Ba c. Ax Aw (Fond) 8108.
° Be Ai As c. République du Bénin, CATDHP, Requête n°032/2020, arrêt du 22 septembre 2022 (compétence et recevabilité) 840.
1° L'article 2 du CPP béninois dispose : « L'action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l'infraction ». L'article 4 al. 3 du CPP dispose : « L'action civile est recevable pour tous chefs de dommages, aussi bien matériels que corporels ou moraux, se rattachant aux faits qui font l’objet de la poursuite »
11 L'article 38 CPP dispose : « Le procureur de la République reçoit les plaintes et dénonciations et apprécie la suite à leur donner ».
Deuxièmement, l’article 90 du CPP“? lui permettait de déposer une plainte
avec constitution de partie civile devant le président du tribunal
territorialement compétent qui en saisirait, sans délai, un juge d’instruction.
44 La Cour souligne qu’en tout état de cause, si la Requérante estime que des
droits fondamentaux ont été violés, elle disposait d’un recours devant la
Cour constitutionnelle de l’État défendeur pour y soulever les griefs qu’elle
vient invoquer devant la Cour de céans. || résulte, en effet, des articles
114'3, 120** de la Constitution que la Cour constitutionnelle « garantit les
droits fondamentaux de la personne humaine » et peut, dans ce sens être
saisie par toute personne « d’une plainte en violation des droits de la
personne humaine et des libertés publiques ».
45 La Cour a constamment jugé que ce recours devant la Cour
constitutionnelle de l’État Défendeur est disponible et efficace puisque les
décisions de la Cour constitutionnelle « s'imposent aux pouvoirs publics et
à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles »**.
46 La Cour note que la Requérante reconnaît qu’elle n’a exercé aucun recours
internes. Elle justifie cependant cette inaction d’une part, par leur
inaccessibilité en raison des menaces et intimidations à son encontre, et
d’autre par leur inefficacité puisque l’Etat défendeur n’a pas engagé
d’investigations ni de poursuite à l’encontre des auteurs des tirs meurtriers.
47 S'agissant de l'argument relatif à l’inaccessibilité, la Cour observe que la
Requérante n'apporte pas les preuves des menaces et intimidations qui la
12 L’article 90 CPP dispose : « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut adresser une plainte avec constitution de partie civile au président du tribunal qui en saisit, sans délai le juge d’instruction »
13 « La Cour Constitutionnelle est la plus haute juridiction je l'État en matière constitutionnelle. Elle est juge de la constitutionnalité de la loi et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. Elle est l'organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l'activité des pouvoirs publics »
14 « La Cour Constitutionnelle doit statuer dans le délai de quinze jours après qu'elle a été saisie d'un texte de loi ou d'une plainte en violation des droits de la personne humaine et des libertés publiques ». 15 Af Bb et autres c. République du Benin, CATDHP, Requête n° 031/2018, Arrêt (compétence et recevabilité), 24 mars 2022, 88 63.
visait en particulier et qui l’auraient empêché d’user des recours internes.
La Cour relève au demeurant et que rien n’empêchait la Requérante de
constituer un avocat pour exercer les recours disponibles comme elle l’a
fait devant la Cour de céans.
48 Concernant l’argument tiré de l’inefficacité des recours du fait de l’inaction
de l’Etat défendeur à poursuivre les auteurs des tirs, la Cour constate que
la Requérante préjuge simplement de l'efficacité du recours et n'apporte
aucune preuve à ses affirmations. Or la Cour a jugé que « des affirmations
d’ordre général ne sont pas suffisantes. Des preuves plus concrètes sont
49 La Cour estime donc que les arguments de la Requérante pour justifier le
non exercice des recours internes sont inopérants et qu’elle aurait dû initier
les recours devant les juridictions internes avant de déposer la Requête
devant elle. La Cour en déduit que la Requérante n'a pas épuisé les recours
internes disponibles.
50 En conséquence, la Cour conclut que la Requête ne satisfait pas à
l’exigence de la règle 50(2)(e) du Règlement.
ii. Sur les autres conditions de recevabilité
51 Ayant conclu que la Requête ne satisfait pas à l'exigence de la règle
50(2)(e) du Règlement et au regard du caractère cumulatif des conditions
de recevabilité”, la Cour n’a pas à se prononcer sur les conditions de
recevabilité énoncées aux alinéas 1, 2, 3, 4, 6 et 7 de l’article 56 de la
16 Ah Aa c République du Rwanda, Arrêt (compétence et recevabilité) (4 juillet 2019), 3 RJCA 407, 815 ; Aq Az & autres c. République du Rwanda, (fonds et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 680, 8120. Alex Bd c. République de Tanzanie (Fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 140.
17 Aj Ab et An Au c. République du Mali (compétence et recevabilité) (21 mars 2018), 2 RICA 246, 8 63 ; Bc Al c. République du Rwanda (compétence et recevabilité) (11 mai 2018), 2 RICA 373, 8 48 ; Collectif des anciens travailleurs ALS c. République du Mali, CATDHP, Requête n° 042/2015, Arrêt du 28 mars 2019 (compétence et recevabilité), 8 39.
Charte telles que reprises par la règle 50(2)(a)(b)(c)(d)(f) et (g) du
52 La Cour déclare, par conséquent, la Requête irrecevable.
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
53 Chaque Partie demande que l’autre supporte les frais de procédure.
54 Aux termes de l’article 32(2) du Règlement,!° « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
55 La Cour constate que rien dans les circonstances de l’espèce ne justifie
qu’elle déroge à cette disposition.
56 La Cour déclare donc que chaque partie doit supporter ses frais de
procédure.
VIII. DISPOSITIF
57 Par ces motifs
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence :
18 Ibid.
19 Article 30(2) du Règlement du 02 juin 2010.
Sur la recevabilité :
ii. Reçoit l'exception d’irrecevabilité soulevée par le l’État défendeur, tirée du non-épuisement des recours internes.
ii. Déclare la Requête irrecevable.
Sur les frais de procédure :
iv. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Imani D. ABOUD, Président ;-——_— ‘
Modibo SACKO, Vice-président ; fait. fausse
Ben KIOKO, Juge ; NES
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge PL Oyaailan
Blaise TCHIKAYA, Juge gs
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eur am |
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ; pa Æ œ.
Dennis D. ADJEI, Juge.
et Robert ENO, Greffier.