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05/09/2023 | CADHP | N°057/2016

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 05 septembre 2023, 057/2016


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AL A
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N°057/2016
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023
fé AND 2 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
B. Sur

les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ 10
A. Sur l'exception tirée du n...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AL A
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N°057/2016
ARRÊT
5 SEPTEMBRE 2023
fé AND 2 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
B. Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ 10
A. Sur l'exception tirée du non-épuisement des recours internes 12
B. Sur les autres conditions de recevabilité 15
DIR SUR LE FOND 16
A. Violation alléguée du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection
de la loi 17
B. Violation alléguée du droit au respect de la dignité 19
C. Violation alléguée du droit à un procès équitable 23
VIII SUR LES RÉPARATIONS 31
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 32
DISPOSITIF 33 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),} la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
AL A
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Bu Xf AM, Bc Ck, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bi Bm B, Bv Bc Ck, Bureau du Solicitor
General ;
ii. M. Aq AJ, Ambassadeur, Chef de l'Unité juridique, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine, régionale et
internationale ;
iv. Mme Ap AI, Directrice adjointe, Droits de l'homme, Principal
Bw Cw, ministère de la Justice et des Affaires constitutionnelles, Cabinet
1 Article 8 (2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
v. M. Ce AH, Principal Bw Cw, ministère de la Justice et des
Affaires constitutionnelles, Cabinet de l’Cw Ck ;
vi. M. Bn Cb X, Bf Bw Cw, ministère de la Justice et des
Affaires constitutionnelles, Cabinet de l’Cw Ck ; et
vii. Mme Br Z, Juriste, ministère des Affaires étrangères, de la
Coopération Est-africaine, régionale et internationale.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur AL A Yci-après dénommé «le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la Requête, était
incarcéré à la prison centrale de Butimba, dans la région de Mwanza, dans
l’attente de l’exécution de la peine de mort par pendaison prononcée à son
encontre pour meurtre. || allègue la violation de son droit à un procès
équitable dans le cadre des procédures devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la « Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également
déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34 (6) du
Protocole (ci-après désignée la Déclaration »), par laquelle elle accepte la
compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d'individus et
d'organisations non gouvernementales (ONG). Le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union africaine un
instrument de retrait de ladite Déclaration. La Cour a décidé que le retrait
de la Déclaration n'avait aucune incidence, ni sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet, un
an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le 17 janvier 2010, entre les villages de Kigarama
et de Rutunguru, dans le district de Karagwe, région de Kagera, le
Requérant et ses deux complices, Aq Cr et Mwarabu, ont attaqué
la victime, la frappant à l’arrière de la tête avec une barre de fer et au ventre
à l’aide d’un bâton. Ils ont mutilé son corps en lui sectionnant la langue, une
oreille et ses parties génitales.
4. Dès la découverte du corps, les autorités locales alertées ont procédé à
l’arrestation du Requérant et de ses complices pendant qu’ils étaient
lynchés par la foule en furie. Alors que ses deux complices étaient battus à
mort, le Requérant n’a eu la vie sauve que grâce à l'intervention des forces
de l’ordre qui l’ont aussitôt conduit au poste de police. Pendant son
interrogatoire, il serait passé aux aveux.
5. Le 6 mars 2014, le Requérant a été reconnu coupable de meurtre dans
l'affaire pénale n° 58 de 2010° par la Haute Cour de Tanzanie siégeant à
Ba. Le Requérant a par la suite fait appel de cette décision devant la
Cour d’appel de Tanzanie à Ba. Le 23 février 2015, la Cour d’appel a
rejeté l’appel pour défaut de fondement et a donc confirmé la déclaration de
culpabilité et la peine prononcées par la Haute Cour.
? Cg Ad Aj c. République-Unie de Tanzanie (Arrêt) (26 juin 2020), 4 RICA 219, 88 37 à 39.
3 Crime prévu et réprimé par l’article 196 du Code pénal CAP 16 6. Dans sa Requête, le Requérant a demandé à la Cour d’ordonner des
mesures provisoires à l’effet d'empêcher l’État défendeur d'exécuter la
peine de mort en attendant qu’elle puisse trancher son affaire.
B. Violations alléguées
7. Le Requérant allègue la violation, par l’État défendeur, de ses droits
suivants :
ii Le droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi, garanti
par l’article 3 (1) (2) de la Charte ;
ii. Le droit à la dignité, garanti par l’article 5 de la Charte ;
ii. le droit à un procès équitable, protégé par l’article 7 de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
8. La Requête accompagnée d’une demande de mesures provisoires a été
introduite devant la Cour de céans le 15 septembre 2016 et communiquée
à l’État défendeur le 15 novembre 2016.
9. Le 18 novembre 2016, la Cour a rendu une ordonnance par laquelle elle
enjoint à l’État défendeur de surseoir à l'exécution de la peine capitale
prononcée, jusqu’à ce qu’elle ait statué sur le fond. Les deux Parties ont
reçu notification de l’ordonnance le 5 décembre 2016.
10. La Cour a également examiné la demande d’assistance judiciaire formulée
par le Requérant et l’a rejetée.
11. Les Parties ont déposé leurs mémoires sur le fond après plusieurs rappels
à cet effet. L'État défendeur n’a pas soumis de conclusions sur les
réparations en dépit des -rappels qui lui ont été adressés.
12. Les débats ont été clôturés le 14 juin 2017 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
13. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Déclarer la requête recevable ;
it. Lui accorder une assistance judiciaire gratuite ;
iii. Dire et juger que l’État défendeur a violé ses droits à ce que sa cause
soit entendue, à un procès équitable et à une assistance judiciaire ;
iv. Dire que l’État défendeur a violé son droit à la totale égalité devant la loi
et son droit à une égale protection de la loi telle que consacrés à
l’article 3 de la Charte ;
v. Dire que l’État défendeur a violé son droit à un procès équitable
consacré à l’article 7 de la Charte ;
vi. Annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à son
encontre et, en conséquence, ordonner sa remise en liberté ;
Vii. Lui accorder des réparations ; et
viii. Rendre toute autre ordonnance ou mesure de réparation qu’elle estime
appropriée ».
14. L'État défendeur demande, quant à lui, à la Cour de :
ii Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à la règle 40 du Règlement intérieur de la Cour
ou à l’article 6 (2) du Protocole et la rejeter en conséquence ;
it. Rejeter la Requête au regard de la règle 38 du Règlement intérieur de
la Cour.
ii. Dire et juger que le Gouvernement de la République-Unie de Tanzanie
n’a pas violé les droits du Requérant inscrits aux articles 3 (1) (2), 5 et 7
de la Charte ;
iv. Dire que les aveux du Requérant ont été faits et recueillis sans moindre
contrainte ;
v. Dire que la défense d’alibi du Requérant a été dûment examinée par la
Haute Cour et la Cour d’appel ;
vi. Dire que l’accusation a établi les faits reprochés au Requérant au-delà
de tout doute raisonnable ;
vii. Dire que le procès du Requérant était équitable ;
vi. Rejeter la Requête dans son intégralité au motif qu’elle est dénuée de
tout fondement ; et
ix. Mettre les frais de procédure à la charge du Requérant.
V. SUR LA COMPÉTENCE
15. La Cour rappelle que l’article 3 de la Charte dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
16. Conformément à la règle 49 (1) du Règlement, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer
sur les éventuelles exceptions d’incompétence.*
17. La Cour observe que l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle en l’espèce. Elle va donc se prononcer sur ladite
exception avant d'examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa
compétence.
4 Article 39 (1) du Règlement de la Cour du 2 juin 2010.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
18. L'État défendeur soutient que la compétence de la Cour est définie à
l’article 3 du Protocole, qui ne lui confère pas le pouvoir de statuer sur des
questions de preuve et de procédure qui ont déjà été tranchées et réglées
par la Cour d’appel, qui est la plus haute juridiction de l’État défendeur.
L'État défendeur fait, en outre, valoir que les faits reprochés au Requérant
ont été établis au-delà de tout doute raisonnable et que la Cour de céans
n’est pas une juridiction d’appel pour réexaminer les faits de la cause.
19. L'État défendeur affirme, également, que le Requérant en l'espèce
demande à la Cour de siéger en tant que juridiction de première instance et
de statuer sur des questions qu’il n’a jamais soulevées au cours du procès.
L'État défendeur fait relever que le Requérant n’a soulevé que deux moyens
d’appel devant la Cour d’appel, lesquels ont été dûment examinés et
rejetés, à savoir que le juge de première instance a commis une erreur de
droit et de fait en omettant de donner des instructions à l’assesseur, et s’est
lourdement trompé en droit et en fait en fondant son jugement de culpabilité
sur la déposition de police.
20. L'État défendeur soutient, enfin, que la Cour de céans est habilitée à rendre
des décisions de constatation et non à infirmer des décisions de la Cour
d’appel. L’État défendeur estime que le Requérant demande à la Cour de
faire office de juridiction d’appel en cassant la décision de la Cour d’appel
en ce qui concerne sa conclusion sur la question de la déclaration de police
sur laquelle la Cour d’appel s’est déjà prononcée aux pages 15 à 17 de son
arrêt.
21. Le Requérant soutient quant à lui que les articles 3 et 5 (3) du Protocole,
lus conjointement avec l’article 26° du Règlement de la Cour, confèrent à
cette dernière la compétence de statuer sur les violations de ses droits
5 Règle 29 du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
humains fondamentaux tels que garantis par la Constitution de la
République-Unie de Tanzanie et consacrés par les articles 3, 5, 6, 7 (1), 14
et 26 de la Charte. Le Requérant considère, en outre, que l’État défendeur
étant partie au Protocole et à la Charte, et ayant également fait la
déclaration prévue à l’article 34 (6) du Protocole, cette Cour a compétence
matérielle pour connaître de l'espèce.
22. La Cour note que sur le fondement de l’article 3 (1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de « toutes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie, concernant l'interprétation et l’application de la Charte,
du [.…] Protocole et de tout autre instrument relatif aux droits de l'homme et
ratifié par les États concernés ».$
23. En l’espèce, la Cour note que le Requérant allègue la violation de
dispositions de la Charte, en particulier les articles 3(1)(2) sur le droit à
l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, 5 sur le droit à la
dignité et 7 sur le droit à un procès équitable. La Cour fait observer que ces
droits sont protégés par la Charte et le Pacte international sur les droits
civils et politiques (ci-après, le « PIDCP ») auxquels l’État défendeur est
partie.
24. S'agissant de l'argument selon lequel la Cour statuerait comme juridiction
de première instance si elle venait à se prononcer sur des questions que le
Requérant n’a jamais soulevées au cours du procès, à savoir sur la
déclaration de police, la Cour rappelle que l’un des deux moyens d’appel
soulevés par le Requérant devant la Cour d'appel était que « le juge de
première instance a commis une erreur grossière en droit et en fait en
fondant sa décision de culpabilité sur la déclaration de police». On ne
saurait donc affirmer que ces questions sont soulevées devant la Cour pour
8 Voir, par exemple, Aj c. Tanzanie, supra, SS 37 à 39 ; Ch Ag c. République-Unie de Tanzanie (Arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 266, $ 18 ; By Bg c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 88 38 à 40.
la première fois, la Cour d’appel s'étant déjà prononcée sur ce point aux
pages 15 à 17 de son arrêt. La Cour rejette, en conséquence, l’exception
soulevée par l’État défendeur à cet égard.
25. S’agissant, enfin, de l’argument selon lequel elle siégerait en tant que
juridiction d’appel, la Cour rappelle qu’elle a conclu, dans sa jurisprudence
constante, qu’« elle n’est pas une juridiction d’appel des décisions rendues
par les juridictions nationales ».” Toutefois, «cela ne l'empêche pas
d’examiner les procédures pertinentes devant les juridictions nationales
pour déterminer si elles sont en conformité avec les normes prescrites dans
la Charte ou dans tout autre instrument des droits de l'homme ratifié par
l'État concerné ».8 La Cour ne statuerait donc pas comme une juridiction
d’appel si elle devait examiner les allégations du Requérant, au seul motif
qu’elles sont relatives à l'appréciation des éléments de preuve. La Cour
rejette, en conséquence, l’exception soulevée par l’État défendeur à cet
égard.
26. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a la compétence
matérielle pour connaître de la présente Requête et rejette en conséquence
l'exception soulevée par l’État défendeur.
B. Sur les autres aspects de la compétence
27. La Cour note que sa compétence personnelle, temporelle et territoriale n’est
pas contestée par l’État défendeur. Néanmoins, conformément à la
règle 49(1) du Règlement,* elle doit s'assurer que les exigences relatives à
tous les aspects de sa compétence sont remplies avant de poursuivre
l’examen de la Requête.
7 Ernest Bd Cp c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
8 Cp c. Malawi, ibid. ; Bh Xh c. République-Unie de Tanzanie (fonds et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, $ 26; Cj Bq c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, $ 33; Co Bp YAz BbC et Cm Co YCy BlC c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
© Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
28. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie
au Protocole et a déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole
auprès du Président de la Commission de l’Union africaine. Il a par la suite
déposé, le 21 novembre 2019, l'instrument de retrait de sa Déclaration. La
Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la Déclaration n’a
pas d'effet rétroactif et ne prend effet que douze (12) mois après le dépôt
de l’avis dudit retrait, en l'occurrence le 22 novembre 2020.!° La présente
Requête, introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son avis de
retrait, n’en est donc pas affectée. En conséquence, la Cour estime que sa
compétence personnelle est établie en l'espèce.
29. La Cour estime qu’elle a la compétence temporelle dans la mesure où les
violations alléguées se sont produites après que l’État défendeur a ratifié la
Charte et le Protocole et fait la Déclaration.
30. La Cour relève, en ce qui concerne sa compétence territoriale, que les
violations alléguées par le Requérant se sont produites sur le territoire de
l'État défendeur. La Cour estime donc que sa compétence territoriale est
établie.
31. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
32. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, « [I|a Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l'article 56 de
la Charte ».
19 Aj c. Tanzanie (Arrêt), supra, 88 35 à 39.
33. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, «[I] a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au
présent Règlement ».!!
34. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
35. L'État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité de la Requête tirée
du non-épuisement des recours internes. La Cour va donc statuer sur ladite
11 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
exception avant de se prononcer, le cas échéant, sur les autres conditions
de recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
36. L'État défendeur conclut au rejet de la Requête, conformément à la décision
de la Cour dans les affaires Aw Ai AK Bk et Xe Bs
An c. Tanzanie, le Requérant n'ayant pas rempli les conditions de
recevabilité prévues à la règle 40 (5) du Règlement, dans la mesure où il
n’a pas épuisé les recours internes avant d'introduire sa Requête devant la
Cour de céans. En outre, citant la jurisprudence de la Commission africaine
des droits de l'homme et des peuples dans l’affaire Article 19 c. Érythrée,
l'État défendeur affirme que le Requérant n’a jamais tenté d’épuiser les
recours devant les juridictions nationales, ce qui est également contraire à
l’article 56 (5) de la Charte.
37. L'État défendeur affirme, par ailleurs, que le Requérant n’a pas formulé
devant la Cour d’appel l’allégation selon laquelle il a été reconnu coupable
sur la base de preuves circonstancielles. En outre, il se garde de préciser
les preuves circonstancielles auxquelles il fait allusion devant cette
honorable Cour. L'État défendeur soutient également que le Requérant
soulève pour la première fois une défense d’alibi, alors qu’il a eu l’occasion
de le faire au cours de la procédure devant la Haute Cour et la Cour d’appel.
Selon l’État défendeur, après la décision de la Cour d’appel, le Requérant
avait la possibilité d'introduire un recours en révision en vertu de l’article 66
du Règlement de la Cour d'appel, en invoquant comme moyen l’argument
selon lequel la décision était fondée sur une erreur manifeste ayant entraîné
un déni de justice.
38. Dans sa réplique, le Requérant maintient avoir épuisé tous les recours
internes en interjetant appel de l’arrêt de la Haute Cour de Tanzanie auprès
de la Cour d’appel, qui est la plus haute juridiction du pays. Il précise que la
Cour d’appel ayant déjà rendu une décision sur son appel, il n'aurait pas été indiqué d'introduire une nouvelle requête concernant son droit à un
procès équitable devant la Haute Cour, qui est une juridiction inférieure
comparée à la Cour d'appel.
39. La Cour note que, conformément à l’article 56 (5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50 (2)(e) du Règlement, toute requête
introduite devant elle doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des recours
internes, à moins que ceux-ci ne soient indisponibles, inefficaces et
insuffisants ou que la procédure interne ne se prolonge de façon
anormale.!? La règle de l’épuisement des recours internes vise à donner
aux États, la possibilité de traiter les violations des droits de l'homme
relevant de leur juridiction avant qu’un organe international des droits de
l'homme ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet
égard.!® En outre, les recours internes ne peuvent être réputés avoir été
épuisés que lorsque les griefs soulevés par le requérant devant la Cour l’ont
été, tout au moins au fond, devant les juridictions internes.
40. La Cour tient à rappeler sa jurisprudence selon laquelle :
lorsqu'une violation alléguée des droits de l'homme se produit au cours
de la procédure judiciaire interne, les juridictions internes ont ainsi
l’occasion de se prononcer sur d’éventuelles violations des droits de
l'homme. Le motif en est que les violations alléguées des droits de
l'homme font partie du faisceau des droits et garanties qui étaient liés
à la procédure devant les tribunaux nationaux ou qui en constituaient
le fondement. Dans une telle situation, il ne serait donc pas raisonnable
d'exiger des Requérants qu'ils introduisent une nouvelle Requête
devant les juridictions internes pour demander réparation de ces
12 Xe Bs An c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RICA 413, 88 142 à 144 ; Xg Ay Cu et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 030/2017, Arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), 8 43.
13 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 88 93 à 94.
14 Jibu Amir (XaC et un autre c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°014/2015 (28 novembre 2019), $ 37 ; Alex Xd c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 41. La Cour observe que les griefs soulevés, en l’espèce, par le Requérant ont
également, été portés, en substance, devant les juridictions nationales,
dans la mesure où il avait également contesté la procédure ayant abouti à
sa condamnation. L'État défendeur a donc eu la possibilité de remédier aux
violations alléguées.
42. La Cour souligne, en outre, qu’en l’espèce, les allégations du Requérant
relatives, d’une part, à la déclaration de culpabilité qui serait fondée sur des
preuves circonstancielles et, d’autre part à sa défense d’alibi, portent sur
des questions qui relèvent de la procédure devant les juridictions
nationales. La Haute Cour et la Cour d'appel ont toutes deux examiné la
question des preuves circonstancielles et se sont prononcées à ce sujet.
De plus, la question de la défense d’alibi a certes été soulevée par le
Requérant, mais il a été établi que celui-ci n’avait pas suivi les procédures
légales applicables pour faire valoir ce moyen. En tout état de cause, même
si les questions prétendument soulevées pour la première fois devant la
Cour n’ont pas été examinées par les juridictions nationales, celles-ci
devraient en avoir eu connaissance dans la mesure où elles ont été
suscitées par les procédures devant ces juridictions.
43. Dans ces circonstances, les questions qui seraient soulevées pour la
première fois devant la Cour de séant doivent, par conséquent, être
considérées comme faisant partie du « faisceau de droits et de garanties »
relatifs au droit à un procès équitable qui a fondé l’appel du Requérant.
Ainsi, il ne lui aurait pas été utile de retourner devant la Haute Cour, puisque
l'État défendeur avait déjà eu l’occasion de remédier aux éventuelles
violations des droits de l’homme devant ses juridictions.!*
1 RICA 482, $$ 60 à 65 ; Bh At Cs et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, $ 54; Cv Aq, Cz Ah, Af Ar et 1744 autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°002/2017 (30 septembre 2021) (fond et réparations), 8 57.
15 Xd c. Tanzanie (fond), supra, 8 60.
44. En ce qui concerne le dépôt d’un recours en inconstitutionnalité devant la
Haute Cour, comme le prévoit l’article 13 de la Constitution, la Cour a
constamment indiqué que, dans le système judiciaire tanzanien, ce recours
est un recours extraordinaire que le Requérant n’est pas tenu d’épuiser
avant de saisir la Cour de céans.!6
45. Au vu de ce qui précède, la Cour considère que les recours internes prévus
à l’article 56 (5) de la Charte et à la règle 50 (2)(e) du Règlement ont été
épuisés et rejette, en conséquence, l’exception soulevée par l'État
défendeur à cet égard.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
46. La Cour note qu'aucune exception n’a été soulevée concernant le respect
des conditions énoncées à l’article 50 (2)(a), (b), (c), (d) et (g) du
Règlement. Néanmoins, elle doit s'assurer que ces conditions sont
satisfaites.
47. 1|ressort du dossier que le Requérant a été clairement identifié par son nom,
conformément à la règle 50 (2)(a) du Règlement.
48. En outre, la Cour relève que les griefs formulés par le Requérant visent à
protéger ses droits garantis par la Charte. Elle note, en outre, que l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l'Union africaine, tel qu’énoncé en son
article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l’homme et des
peuples. Par ailleurs, il ne résulte du dossier aucun élément qui soit
incompatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine.
49. La Cour note, en outre, que, du fait que la Requête ne contenant pas de
termes outrageants ou insultants, elle satisfait à l’exigence de la règle 50
(2)(c) du Règlement.
16 Xd c. Tanzanie, supra, S$ 60 à 62 ; Ay Xb c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, $S 66 à 70; Ci Au c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 44.
50. La Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par
des moyens de communication de masse, mais sur des documents
judiciaires, conformément à la règle 50(2)(d) du Règlement.
51. En ce qui concerne le délai raisonnable d’introduction de la Requête, la
Cour note que le Requérant a saisi la Cour le 15 septembre 2016 après le
rejet de son appel par la Cour d’appel le 23 février 2015, soit un (1) an, six
(6) mois et vingt-trois (23) jours plus tard. La question est donc celle de
savoir si la période écoulée entre l'épuisement des recours internes et la
saisine de la Cour constitue un délai raisonnable au sens de
l’article 50(2)(e) du Règlement. Conformément à sa jurisprudence,!” La
Cour estime que la période observée avant sa saisine constitue un délai
manifestement raisonnable et conforme à l’article 50(2)(f) de son
Règlement.
52. En outre, la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée par
les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de
l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte ou de
tout instrument juridique de l’Union africaine ; elle est donc conforme à la
règle 50(2)(g) du Règlement.
53. La Cour constate donc que toutes les conditions de recevabilité prévues à
la règle 50 (2)(b) du Règlement sont satisfaites et que la présente Requête
est recevable.
VII. SUR LE FOND
54. Le Requérant allègue la violation de ses droits garantis par la Charte,
notamment le droit à l’égalité devant la loi et à l’égale protection de la loi,
"Ax Cc c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 026/2016, Arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations) ; Ct Ac alias Ct Cn c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 026/2015, Arrêt du 2 décembre 2021 (fond et réparations), 88 59 à 60 ; Xa Am c. République-Unie de Tanzanie, Requête n° 022/2016, Arrêt du 26 février 2021 (fond et réparations), 8 44.
prévu à l’article 3(1)(2), le droit à la dignité prévu à l’article 5, et le droit à un
procès équitable prévu à l’article 7. La Cour entend à présent examiner ces
allégations l’une après l’autre.
A. Violation alléguée du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection
de la loi
55. Le Requérant allègue simplement que l’État défendeur a violé son droit
d’être traité en toute égalité devant la loi et de bénéficier d’une égale
protection de la loi.
56. L'État défendeur, pour sa part, affirme que l’article 13 (1) de la Constitution
de la République-Unie de Tanzanie dispose que toutes les personnes sont
égales devant la loi et ont droit sans discrimination à la protection et à
l’égalité devant la loi. Il soutient en outre que les droits du Requérant prévus
à l’article 3 de la Charte et à l’article 13 de la Constitution de la République-
Unie de Tanzanie de 1977 n’ont pas été violés.
57. Selon l’État défendeur, le Requérant a été inculpé de meurtre dans le cadre
d’un procès lors duquel, il a bénéficié de la présomption d’innocence. Il a
pris part à son procès et a été assisté à titre gracieux par deux avocats
devant la Haute Cour et un avocat devant la Cour d’appel. Le Requérant a
également eu la possibilité, par l'intermédiaire de son conseil, de contre-
interroger les témoins à charge et a déposé au cours du procès.
58. L'État défendeur affirme, en outre, qu’en vertu de l’égale protection de la
loi, la procédure devant la Haute Cour s'est déroulée en présence de trois
assesseurs de la Cour. Il en déduit donc que les allégations du Requérant
qui prétend n'avoir pas été traité sur un pied d'égalité ou protégé par la loi
sont dénuées de fondement et doivent être dûment rejetées.
59. L'article 3 de la Charte est ainsi libellé :
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
60. La Cour a établi dans sa jurisprudence que l’égalité et la non-discrimination
sont des principes fondamentaux du droit international en matière de droits
de l'homme et que toute personne devrait en jouir, sans distinction.!8 La
Cour rappelle également que la violation des droits à une égale protection
de la loi et à la non-discrimination présuppose que des personnes se
trouvant dans une situation similaire ou identique ont été traitées
61. En l'espèce, la Cour observe que le Requérant se borne à déclarer que
l'État défendeur a violé son droit à une égale protection de la loi et à l’égalité
devant la loi, sans démontrer de quelle manière il l’a fait. Toutefois, il ressort
des pièces versées au dossier que le Requérant était présent à son procès
et qu’il était assisté d’un avocat devant la Haute Cour et la Cour d'appel.
Par ailleurs, une audience de voir-dire® a été conduite pour déterminer si
la déclaration de police avait été recueillie de plein gré, que le Requérant a
eu la possibilité, par l'intermédiaire de son avocat, de contre-interroger les
témoins à charge et de déposer en son nom propre et, enfin, que le procès
s’est déroulé en présence de trois assesseurs.
62. La Cour rappelle sa conclusion dans l’affaire Ak Cf c. République-
Unie de Tanzanie selon laquelle « des affirmations d’ordre général selon
lesquelles son droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des preuves plus
concrètes sont requises ».?! Toute allégation de violation de l’article 3 de la
Charte doit donc être étayée à suffisance.??
18 APDH c. Côte d'Ivoire (fond) (18 novembre 2016) 1 RICA 697, 8 142.
19 Xd c. Tanzanie (fond), supra, 8 140 et As c. Tanzanie (fond), supra, 8 85.
20 || s’agit d’un examen préliminaire entrepris durant le procès, afin de s'assurer de la véracité des propos d’un témoin ou de la recevabilité des éléments de preuve.
2! Alex Xd c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 8 140 ; Bt Av Cd c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018), 2 RICA 381, 8 51.
22 Ak Cf c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018), 2 RICA 415, 8 75.
63. La Cour en conclut donc que le Requérant manque d’arguments et n’a pas
réussi à démontrer en quoi son droit à l’égalité devant la loi et à l’égale
protection de la loi a été violé.
64. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’allégation de violation de droits du
Requérant à une totale égalité devant la loi et à une égale protection de la
loi, protégés par l’article 3(1) et (2) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit au respect de la dignité
65. Le Requérant affirme que la déclaration de culpabilité dont il a fait l’objet
était fondée sur une déposition de police, mais qu’il s’est rétracté par la
suite. Il affirme, en outre, s'être rétracté parce que cette déposition avait été
recueillie contre son gré et au moyen de la violence, y compris des gifles,
des coups de poing, des bastonnades et des menaces. Au cours de
l’audience de voir-dire, il a également indiqué à la Cour qu’il avait été passé
à tabac par la foule avant son arrestation puis, une fois conduit au poste de
police, fouetté à l’aide d’une matraque [kirungu]». Au cours de sa
comparution en première instance, le Requérant a déclaré avoir subi, lors
de son arrestation, des blessures sur tout le corps, y compris à la tête et au
visage, qui lui ont été infligées par les individus l'ayant interpellé.?*
66. Le Requérant soutient en outre que lors de la procédure de voir-dire, la
Haute Cour n’a pas tenu compte de tous les facteurs pertinents, tels que le
fait que cette déposition a été obtenue alors qu’il était admis à l'hôpital,
après avoir été attaqué par une foule en furie bien déterminée à le tuer. Il
ne jouissait donc pas de son libre-arbitre au moment où sa déposition a été
recueillie.
67. L'État défendeur affirme que le Requérant a été traité lors de son procès
conformément à la Constitution et aux lois du pays. Si son droit au respect
23 Voir procès-verbal de l'audience du voir-dire devant la Haute Cour, page 51.
de la dignité avait été violé comme il le prétend, il aurait dû s’en plaindre
devant les juridictions internes. Il demande donc à la Cour de rejeter cette
allégation comme étant dénuée de tout fondement.
68. L'article 5 de la Charte, dont le Requérant allègue la violation, est libellé
comme suit :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d'’avilssement de l'homme notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont
interdites.
69. La Cour rappelle qu’elle a déjà établi que pour déterminer si le droit au
respect de la dignité a été violé, trois facteurs principaux doivent être pris
en compte. Le premier étant que l'article 5 ne comporte aucune clause
restrictive. L'interdiction de l’atteinte à la dignité à travers un traitement
cruel, innumain et dégradant est donc absolue. Le deuxième facteur veut
que cette interdiction soit interprétée comme visant la protection la plus
large possible contre les abus physiques ou mentaux. Enfin, la souffrance
personnelle et l’atteinte à la dignité peuvent prendre diverses formes et leur
appréciation dépend des circonstances de chaque affaire.?*
70. En l’espèce, la Cour note que le Requérant conteste la validité de sa
déposition à la police admise comme preuve par la Haute Cour au motif
que, selon lui, elle a été recueillie contre son gré et sous le coup de
menaces et de la contrainte. La Cour estime que le Requérant n’a fourni
aucune preuve à l'appui de l’allégation de torture ou d’intimidation par les
autorités policières. En fait, il ressort des pièces versées au dossier que le
24 Ae Aa Cq c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA203,
11 février 2014, la Haute Cour a tenu une audience de voir-dire pour
déterminer si le Requérant avait librement fait sa déposition de police ou si
elle lui avait été extorquée sous la contrainte au moyen de menaces et
d’actes de violence.
71. Le 17 février 2014, la Haute Cour a estimé que la déposition de police avait
été recueillie avec le consentement volontaire du Requérant et l’a ensuite
retenue comme un élément de preuve. Pour en arriver à cette conclusion,
la Haute Cour a examiné l’allégation du Requérant selon laquelle il n'avait
fait que signer le formulaire qui lui avait été remis sans en connaître le
contenu, après avoir reçu des gifles et des coups de poing. La Haute Cour
a fait observer que les détails spécifiques contenus dans la déposition de
police et la narration de la planification et de l’exécution du meurtre étaient
très précis et n'auraient pu être connus que du Requérant. La Haute Cour
a également considéré le fait que si la police avait voulu faire porter le
chapeau au Requérant, la déposition aurait indiqué que celui-ci avait
commis le meurtre seul plutôt que d’impliquer les deux complices décédés.
En outre, la Haute Cour a pris en compte le court laps de temps qu’il a fallu
au Requérant pour faire sa déposition au poste de police avant d’être
transféré à l’hôpital pour y recevoir un traitement médical et enfin, l’attitude
de reconnaissance du Requérant envers la police pour l’avoir sauvé de la
foule qui était déterminée à le tuer comme elle l’a fait pour les deux
complices. C’est sur la base de toutes ces considérations que la Haute Cour
est parvenue à la conclusion selon laquelle le Requérant n'avait pas été
violenté par la police, mais plutôt par la foule, et que sa déposition de police
avait été faite de manière volontaire.
72. La Cour observe que le procès-verbal de la procédure devant la Haute Cour
indique que le Requérant a dit avoir été passé à tabac par une foule en
furie, puis au poste de police.?* Toutefois, au cours du contre-interrogatoire
mené par les assesseurs, le Requérant a déclaré : « Il y avait beaucoup de
monde sur les lieux de l'incident. Pas moins de trois-cents personnes se
25 Voir page 24 du procès-verbal des débats devant de la Haute Cour.
sont déchainées sur nous ».?$ Au vu de tout ce qui précède, la Cour estime
que les allégations du Requérant ne satisfont pas de manière probante les
trois critères susmentionnés.
73. La Cour observe que, bien que le Requérant n’ait pas allégué la violation
du droit à la vie, il a été reconnu coupable de meurtre et condamné à la
peine de mort par pendaison. Dans sa jurisprudence constante,*” la Cour a
reconnu la tendance universelle à l’abolition de la peine de mort, illustrée
en partie par l’adoption du deuxième protocole facultatif se rapportant au
pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP).?® Dans le
même temps, elle note que la peine de mort reste inscrite dans la législation
de certains États et qu’aucun traité sur l’abolition de la peine de mort n’a fait
l’objet d’une ratification universelle.’ En ce qui concerne le deuxième
Protocole facultatif se rapportant au PIDCP, la Cour note qu’au 28 juin 2023,
quatre-vingt-dix (90) sur les cent soixante-treize (173) États parties au
Pacte international relatif aux droits civils et politiques l'ont ratifié.
74. Compte tenu de l’article 4 de la Charte et de l’évolution plus générale du
droit international en matière de peine de mort, la Cour a estimé que ce type
de peine ne devait être réservé qu’exceptionnellement aux infractions les
plus odieuses commises dans des circonstances extrêmement graves.
Toutefois, étant donné que les circonstances dans lesquelles la peine de
mort peut être appropriée ne peuvent être qualifiées avec exactitude, la
définition des crimes justifiant l’application de la peine de mort doit être
laissée à l’appréciation des juridictions nationales, au cas par cas.
26 Voir page 55 du procès-verbal des débats devant de la Haute Cour.
27 Al Bo c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 012/2017, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 88 64 à 66.
28 Ao Ca c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), 8 122 et Be Cl et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°007/2015, Arrêt du 28 novembre 2019 (fond et réparations), 8 96. Il convient de relever que l'État défendeur n’est pas partie au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
29 Pour une déclaration complète sur les développements relatifs à la peine de mort, voir, Assemblée générale des Nations Unies, Moratoire sur l'application de la peine de mort — Rapport du Secrétaire général 8 août 2022.
75. Enl’espèce, la Cour estime que le Requérant a été jugé, reconnu coupable
et condamné pour une infraction pénale par la législation nationale
conformément aux normes internationales en matière de droits de l'homme
pour une infraction érigée. || a également bénéficié de toutes les garanties
d’un procès équitable. Il n’y a donc aucune raison de remettre en cause les
motifs sur lesquels les juridictions internes ont fondé leurs décisions.
76. La Cour considère, en conséquence, que l’État défendeur n’a pas violé le
droit du Requérant à la dignité, protégé par l’article 5 de la Charte.
C. Violation alléguée du droit à un procès équitable
77. Le Requérant allègue, à ce titre, que :
ii L'État défendeur s’est fondé sur des preuves circonstancielles et
contradictoires pour le déclarer coupable.
ii. Il a subi des actes de violence de la part des forces de l’ordre visant à
lui extorquer sous la contrainte sa déposition de police.
ii. Les preuves du ministère public n’ont pas permis d’asseoir la culpabilité
du Requérant au-delà de tout doute raisonnable.
iv. La défense d’alibi n’a pas été dûment examinée par la Haute Cour et la
78. La Cour observe que le Requérant utilise les mêmes arguments dans ses
allégations reprises au paragraphe 75(i), (ii) et (iii) ci-dessus, à savoir que
l’État défendeur s’est fondé sur des preuves circonstancielles et
contradictoires, ainsi que sur une déposition de police recueillie sous la
contrainte au moyen d’actes de violence pour le déclarer coupable, sans
pour autant apporter la preuve des faits reprochés au-delà de tout doute
raisonnable. Ces trois allégations seront donc examinées conjointement. Il
convient de noter que certaines des conclusions formulées par les parties
à cet égard sont également présentées dans une section précédente
consacrée à la violation alléguée du droit au respect de la dignité. La Cour examinera à présent les trois (3) allégations conjointement, avant de se
pencher sur l’allégation de non-prise en compte de la défense d'’alibi.
ii Allégation relative au non-examen de l’affaire au-delà de tout doute
raisonnable
79. Le Requérant affirme que les éléments de preuve présentés par l'État
défendeur au cours de son procès reposaient sur une déposition après mise
en garde qui n’a pas été obtenue avec son consentement volontaire, mais
plutôt sous la contrainte, alors qu’il recevait des soins à l'hôpital après avoir
été agressé par une foule déchaînée.
80. Le Requérant soutient qu’il a été déclaré coupable non seulement sur la
base de preuves circonstancielles et d’une déposition de police dont il s’est
rétracté, mais aussi parce qu’il était suspecté d’être un voleur récidiviste. Il
allègue que si les juridictions « avaient mené des enquêtes appropriées »,
elles auraient établi la vérité et avoir la preuve que les faits qui lui étaient
reprochés n’avaient pas été démontrés au-delà de tout doute raisonnable
et ne l’auraient donc pas reconnu coupable d’une infraction aussi grave que
le meurtre, passible de la peine capitale.
81. En ce qui concerne l’utilisation de preuves circonstancielles, l’État
défendeur soutient que la déposition de police a été faite de manière
volontaire, qu’elle est véridique et qu’elle est étayée par les éléments de
preuve fournis par PW4, l’officier de police Ahmed, matricule D7759 D/CP
qui a procédé à l'arrestation et qui a témoigné comme suit : « C’est à la même
date, à savoir le 29 janvier 2010, lorsque nous étions à l'hôpital, qu’il m’a raconté
comment tout l'incident avait commencé et ce qui s'était passé. Ayant réalisé
l'importance de ses propos, j'ai décidé de les enregistrer afin qu’ils puissent servir plus tard. Je lui ai fait part de mon intention de recueillir sa déposition. Il a marqué
son accord ».31
82. L'État défendeur soutient que les aveux du Requérant ont été recueillis
dans les conditions prévues à l’article 27 de la loi sur les preuves (Evidence
Act) [Cap 6 R.E. 2002], puisqu'ils ont été faits volontairement, comme l’a
démontré l’accusation au-delà de tout doute raisonnable, et que le juge s’est
assuré que ces aveux n’avaient pas été obtenus au moyen de menaces, de
promesses ou de toute autre forme d'influence.* Il affirme, en outre, que la
déposition de police a été enregistrée conformément à l’article 54 (1) de la
loi de procédure pénale [Cap 20 R.E 2002] qui fait obligation à un officier
de police de notifier à la personne arrêtée son droit d’appeler un avocat, un
parent ou un ami pour qu’il soit présent lors de l’enregistrement de la
déposition, ce qu’a fait PW4. Le Requérant a été informé de ce droit, mais
a refusé la présence de quiconque et, après l'enregistrement de la
déposition par PW4, celle-ci lui a été relue et il a accepté de la signer.
83. L'État défendeur soutient que la décision du Requérant de se rétracter ou
de récuser ses propres déclarations lors du procès a été prise a posteriori
parce que celles-ci décrivent avec force détails la manière dont le meurtre
odieux a été planifié et exécuté. En tout état de cause, il soutient que des
aveux même rétractés peuvent être invoqués à bon escient, comme l’a jugé
la Cour d'appel de Tanzanie dans l'affaire Bj Ca Bz et
autres c. la République [1992] TLR, 100. L’État défendeur fait, en outre,
valoir que le simple fait que la déposition ait été recueillie dans un hôpital
n’enlève rien à son caractère volontaire puisque le Requérant n’a pas été
forcé ou induit à la faire, comme l’a établi la Haute Cour lors de l’audience
de voir-dire. Il demande donc à la Cour de rejeter cette allégation au motif
qu’elle est dénuée de tout fondement.
s. Voir page 11 du jugement de la Haute Cour/page 96 des actes de la Cour d'appel (joints à la requête). 3 À la page 16 de l'arrêt de la Cour d’appel, celle-ci déclare : « Nous convenons avec le juge de première instance que le requérant a fait sa déposition de son plein gré ».
84. Invoquant sa propre jurisprudence dans l’affaire Cx Ab c. la
République [2006] devant la Cour d'appel, l’État défendeur estime que le
ministère public a démontré les faits reprochés au Requérant au-delà de
tout doute raisonnable étant donné que tous les témoins à charge étaient
crédibles et fiables et qu’il n’y avait donc pas lieu de ne pas croire leurs
dépositions. En outre, la loi n’interdit pas de fonder une déclaration de
culpabilité sur des preuves circonstancielles si celles-ci permettent de
conclure à la responsabilité de la personne inculpée dans la commission
des faits pour lesquels il est poursuivi. L'État défendeur soutient également
que le Requérant n’a pas été déclaré coupable uniquement sur la base de
preuves circonstancielles, mais aussi au regard de la déposition de police
corroborée par le témoignage de PW1, un certain Liberius Pastory.°8 Pour
ces raisons, il y a lieu de rejeter cette allégation pour défaut de fondement.
85. La Cour constate que les questions soulevées par le Requérant, à savoir
que l’État défendeur s’est fondé sur des preuves circonstancielles et
contradictoires pour le déclarer coupable, sans démontrer les faits au-delà
de tout doute raisonnable, relèvent du droit à ce que sa cause soit entendue,
en particulier des articles 7(b) et (c) de la Charte et des articles 14(2) et
14(3)(e) du PIDCP.
86. L'article 7(b) et (c) de la Charte dispose :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
b. le droit à la présomption d’innocence, jusqu'à ce que sa
culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
c. le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un
défenseur de son choix.
3 Voir pages 11/12 et 97/98 des actes de la procédure devant la Cour d'appel, ainsi que les pages 12/13 du jugement de la Haute Cour.
87. L'article 14(2) du PIDCP dispose : « Toute personne accusée d’une infraction
pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement
établie ».
88. L'article 14(3)(e) du PIDCP dispose :
Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au
moins aux garanties suivantes : … À interroger ou faire interroger les
témoins à charge et à obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins
à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge .
89. Comme déjà indiqué précédemment au paragraphe 79 ci-dessus, les
parties ont présenté les mêmes arguments que pour l’allégation de violation
du droit au respect de la dignité. La Cour ne procédera donc pas à l’examen
de ce grief. Elle se contentera de rappeler que le dossier de l'affaire devant
elle révèle que la cour d'appel de Tanzanie s'est assurée, au moyen d’une
procédure de voir-dire, que la déposition de police du Requérant a été faite
de manière volontaire, sans recours à la force, et qu’elle a été corroborée
par les déclarations des témoins. Le voir-dire a abouti à l’admission de la
déposition de police comme élément de preuve.
90. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l'affaire Ay Xb c.
République Unie de Tanzanie, où elle a jugé qu’un procès équitable
requiert, lorsqu’une personne encourt une lourde peine de réclusion, que
sa culpabilité et sa condamnation soient fondées sur des éléments de
preuve solides et crédibles.*
91. La Cour note que les pièces versées au dossier montrent que les éléments
de preuve sur lesquels s'est appuyée la Haute Cour sont la déposition de
police, les témoignages concordants de quatre témoins et trois pièces à
conviction, parmi lesquelles le rapport d’examen médical ainsi que la
déposition du Requérant. Elle relève que la Haute Cour et la Cour d'appel
ont conclu que les preuves étaient suffisantes pour établir, au-delà de tout
34 Xb c. Tanzanie (fond), supra, 88 191 à 192.
doute raisonnable, que le Requérant avait commis le crime dont il était
accusé.
92. La Cour constate, sur la base du dossier, que la question des preuves
circonstancielles fournies par PW1 a été dûment analysée par la Haute
Cour.°5 La Haute Cour a fait remarquer que les contradictions soulevées
par le Requérant concernant la date de disparition et la date de décès du
défunt ont permis de remettre en question sa maîtrise singulière des
événements ayant conduit au meurtre et ont jeté un doute sur son
innocence, le compromettant en fait. La Cour observe également que
l’allégation selon laquelle les faits n’ont pas été prouvés au-delà de tout
doute raisonnable en raison des antécédents de voleur du Requérant n’est
pas justifiée car cette question n’a jamais été soulevée au cours du procès.
La Cour estime, par conséquent, que le Requérant n’a pas démontré en
quoi l’État défendeur l’a déclaré coupable à tort sur la base de ses
antécédents de voleur et de preuves circonstancielles, au-delà de tout
doute raisonnable.
93. La Cour considère, en conséquence, que l’État défendeur n’a pas violé le
droit du Requérant à un procès équitable protégé par l’article 7 (b) et (c) de
la Charte, lu conjointement avec les articles 14 (2) et 14 (3)(e) du PIDCP,
du fait des poursuites et la déclaration de culpabilité dont le Requérant a fait
l’objet.
ii. Allégation relative à la non prise en compte de la défense d’alibi
94. Le Requérant affime que l’État défendeur ne s’est pas conformé aux
dispositions de l’article 194(4), (5) et (6) de la loi sur la procédure pénale
[Cap 20 R.E 2002] en ne prenant pas en considération sa défense d’alibi
qu’il a présentée devant le tribunal.
35 Voir pages 14 à 16 du jugement de la Haute Cour.
95. Il affirme, en outre, qu’au moment de son arrestation, il prenait part à la
cérémonie funéraire du défunt et ne se trouvait donc pas sur les lieux du
crime.
96. L'État défendeur fait valoir que l’article 194(4), (5) et (6) de la loi sur la
procédure pénale [Cap 20 R.E 2002] énonce les conditions auxquelles doit
se conformer une personne accusée si elle souhaite invoquer une défense
d’alibi.° Il soutient que la Cour d'appel de Tanzanie, dans l'affaire Xc
Ca Bl c. La République [1994] TLR 206, a statué que : «La
notification préalable de la défense d’alibi est une exigence de la loi. Le
requérant n’a cependant pas observé les dispositions de l’article 194(4), (5)
et (6) de la loi de procédure pénale. Lors de l’audience préliminaire du 25
novembre 2011, le requérant et son avocat n’ont pas indiqué qu’ils
invoqueraient la défense d’alibi. L'avocat s'est contenté d'informer le
tribunal de son intention de faire comparaître le requérant à la barre et
97. L'État défendeur affirme que la raison d’être de la notification d’une défense
d’alibi est de permettre au ministère public d’enquêter sur cette défense, de
faire toute la lumière sur les allégations et de disposer d’un délai suffisant
pour vérifier où se trouvait la personne accusée si elle prétend qu’elle était
ailleurs et non pas sur la scène du crime. Il soutient que le ministère public
a achevé son réquisitoire le 17 février 2014 et que le Requérant a procédé
à la présentation de ses moyens de défense. Ce n’est qu’à ce moment qu’il
a révélé à la Cour qu’il se trouvait au village de Kigarama le jour des faits et
qu’il entendait faire comparaître un témoin qui était admis à l’hôpital.3 L’État
défendeur conteste les arguments du Requérant selon lesquels il se trouvait
36 194(4) lorsqu’une personne accusée a l'intention d’invoquer un alibi pour sa défense, elle en notifie le tribunal et le ministère public avant l’audience de l'affaire, 194(5) lorsqu'une personne accusée ne notifie pas son intention d’invoquer un alibi pour sa défense avant l'audience de l'affaire, elle est tenue de communiquer au ministère public les détails de l’alibi, à tout moment avant qu’il ne clôture son réquisitoire et 194(6) si la personne accusée invoque une défense d’alibi sans en avoir au préalable informé le ministère public conformément au présent article, le tribunal peut, à sa discrétion, ne pas accorder une quelconque valeur probante à cet alibi.
37 Pages 7/8 des actes de la procédure devant la Cour d'appel.
38 Pages 49 et 50 des actes de la procédure devant la Cour d’appel.
au village de Kigarama le 17 janvier 2010, lorsque le crime a été commis,
car il ne s’agit que d’une idée venue après coup ; en tout état de cause, le
Requérant était tenu de faire comparaître un témoin pour prouver dans quel
lieu il se trouvait le jour où le crime a été commis. Pour ces raisons, il y a
lieu de rejeter ces allégations pour défaut de fondement.
98. La Cour observe que la question soulevée quant au fait que la juridiction
interne n’a pas examiné la défense d’alibi du Requérant se rapporte au droit
à ce que sa cause soit entendue, prévu à l’article 7 de la Charte, qui dispose
que :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
c. Le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un
défenseur de son choix ;
99. La Cour a considéré dans l'affaire Xb citée plus haut, qu’un alibi est
un élément de preuve important pour la défense d’une personne, qui doit
être examiné minutieusement avant qu’un verdict de culpabilité ne soit
prononcé.*° De plus, lorsqu'un alibi est établi avec certitude, il peut être
décisif sur la question de la culpabilité de la personne poursuivie.
100. Il ressort de l’exploitation des pièces versées au dossier que le conseil du
Requérant a informé le tribunal, lors de l’audience préliminaire du 25
novembre 2011, de son intention de ne citer qu’un seul témoin, à savoir
l’accusé lui-même. Par la suite, au cours du procès principal, le Requérant
a informé le tribunal de son intention de citer un témoin, qui était admis à
l’hôpital, mais son avocat a fait savoir au tribunal qu’il citerait le médecin qui
avait prodigué des soins au Requérant et qui avait rempli le formulaire PF3.
L'avocat a fait remarquer que le médecin ne figurait pas sur la liste des
témoins fournie lors de l’audience préliminaire et a sollicité l’indulgence du
39 Xb c. Tanzanie (fond), supra, 88 191 à 192.
# Ibid, 8 191.
tribunal pour le citer à comparaître. La demande a été acceptée et une
ordonnance a été rendue par le tribunal à cet effet.
101. La Cour observe que le tribunal de première instance a pris en compte la
demande du Requérant d'interroger des témoins dont les noms ne
figuraient pas sur la liste des témoins appelés à comparaître au cours de
l’audience préliminaire. Le tribunal a ordonné que le témoin proposé par
l'avocat du Requérant soit cité à comparaître, ce qu’il a fait. Étant donné
que le Requérant était représenté par un avocat, il est présumé que ce
dernier était au courant des faits et de l'affaire et qu’il agissait dans le
meilleur intérêt de son client. De surcroît, le Requérant ne s’est pas plaint
que l’avocat ait agi contrairement à ses souhaits. La Cour observe
également que l’État défendeur dispose d’une loi bien établie, à savoir la loi
de procédure pénale [Cap 20 R.E 2002] de Tanzanie notamment en son
article 194(4), (5) et (6), qui prévoit le recours à la défense d’alibi dans le
cadre de son système national, ce dont le Requérant ne s’est pas prévalu.
Les pièces du dossier révèlent que le Requérant et encore moins son
avocat n’ont pas fourni de justification sur le non-respect des procédures et
des délais prévus en matière d’invocation de la défense d’alibi.
102. La Cour rejette cette allégation et considère, en conséquence, et conclut
que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à la défense,
protégé par l’article 7(c) de la Charte du fait de la non prise en compte de
la défense d’alibi.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
103. Le Requérant demande à la Cour d'annuler la déclaration de culpabilité et
la peine prononcées à son encontre et de lui accorder des réparations.
104. L'État défendeur n’a pas conclu sur les réparations.
105. L'article 27(1) du Protocole dispose : « [Bx'’elle estime qu’il y a eu
violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les
mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement
d’une juste compensation ou l'octroi d’une réparation ».
106. En l’espèce, la Cour a établi que l’État défendeur n’a violé aucun des droits
du Requérant tel qu’allégué.
107. Au vu de ce qui précède, les demandes de réparations du Requérant sont
rejetées.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
108. Le Requérant n’a formulé aucune demande relative aux frais de procédure.
109. L'État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge du Requérant.
110. La Cour relève qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à moins
que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de
procédure ».
111. La Cour estime qu’il n’y a aucune raison de s’'écarter du principe posé par
cette disposition. La Cour ordonne donc que chaque Partie supporte ses
frais de procédure.
112. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
Sur la recevabilité
ii. Rejette l'exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des
recours internes ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant à une
totale égalité devant la loi et à une égale protection de la loi
protégés par l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable, protégé par l’article 7(b) et (c) de la Charte, lu
conjointement avec les articles 14(2) et 14(3)(e) du PIDCP, du fait
des poursuites et de la déclaration de culpabilité dont le Requérant
a fait l’objet ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la défense du
Requérant, protégé par l’article 7 de la Charte, du fait de l’exercice
de la défense d'’alibi.
À la majorité de sept (7) voix pour et deux (3) voix contre, le Juge Blaise
TCHIKAYA et le Juge Dumisa B. NTSEBEZA ayant émis une opinion
dissidente conjointe et la Juge Chafika BENSAOULA ayant émis une déclaration,
viii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit au respect de la dignité
du Requérant, protégé par l’article 5 de la Charte du fait de la
déclaration de culpabilité.
Sur les réparations
ix. Rejette la demande de réparations formulée par le Requérant.
Sur les frais de procédure :
x. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président fra fause
Ben KIOKO, Juge ; VS
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge M jplee)-
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge La (CN
Blaise TCHIKAYA, Juge ges Stella |. ANUKAM, Juge EU am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge 008 cu 1
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, l’opinion
dissidente conjointe des Juges Blaise TCHIKAYA et Dumisa B. NTSEBEZA ainsi que
la déclaration de la Juge Chafika BENSAOULA sont jointes au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce cinquième jour du mois de septembre de l’année deux mille vingt-
trois, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 057/2016
Date de la décision : 05/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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