AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Ab Y
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AO
REQUÊTE N° 003/2016
ARRÊT
7 NOVEMBRE 2023 % … SOMMAIRE …
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle.
B Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
B Sur les autres conditions de recevabilité
DIR SUR LE FOND
A Violation alléguée du droit à la vie
B Violation alléguée du droit à la dignité
C Violation alléguée du droit à un procès équitable
! Sur le défaut d'assistance judiciaire efficace
Il Sur la déclaration de culpabilité sur des preuves insuffisantes
iii. Sur le jugement du Requérant dans un délai non-raisonnable
iv. Sur le défaut de services d’interprétation
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS
A Réparations pécuniaires
! Préjudice matériel
ii. Préjudice moral subi par le Requérant
Réparations non pécuniaires
! Demande de remise en liberté
ii. Garanties de non-répétition
iii. Publication de l’arrêt
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
DISPOSITIF 10
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50
50
51 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Dennis D. ADJEI — Juges ; et
Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné le « Règlement »),} la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
Ab Y
représenté à titre gracieux par :
Me Achilleus ROMWARD, East Africa Law Zd.
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AO
représentée par :
ii Dr Bq Zv AQ, Bg Za, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Be Yl A, Xm Bg Za, Bureau du Solicitor
General ;
iii. Ambassadeur Zw AG, Chef de l’Unité juridique, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine, régionale et
internationale ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
iv. Mme Aq AM, directrice adjointe, Droits de l'homme, Principal
Xs Cu, ministère des Affaires constitutionnelles et juridiques, Cabinet
de l’Cu Za ;
v. M.Richard Bk AJ, Zq Xs Cu, ministère des Affaires
constitutionnelles et juridiques, Cabinet de l’Cu Za ; et
vi. M. Xn Z, Foreign Service Officer, ministère des Affaires étrangères et
de la Coopération Est-africaine, régionale et internationale.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Ab Y AKci-après dénommé le « Requérant») est un
ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la présente Requête,
était incarcéré à la prison centrale de Butimba à Mwanza, AO. Ayant
été déclaré coupable de meurtre et condamné à mort le 6 août 2010, il est
en attente de l'exécution de sa peine. Le Requérant allègue la violation de
ses droits dans le cadre des procédures devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de AO (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la « Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Le 29 mars 2010, l’État
défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union africaine, la
Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il accepte la
compétence de la Cour pour recevoir des affaires émanant d’individus et
d’organisations non gouvernementales (ci-après désignée «la
Déclaration »). Le 21 novembre 2019, il a déposé auprès du Président de
la Commission de l’Union africaine un instrument de retrait de sa
Déclaration. La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration n'avait aucune
incidence, ni sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un an après le dépôt de
l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que dans la nuit du 31 août 2003, au village de
Bisheshe, sis dans le district de Bx, le Requérant et quatre autres
personnes se sont introduits de force dans la résidence du voisin du
Requérant, un dénommé Cl Ce. Ils l’ont ligoté et ont bâillonné
son épouse lorsque celle-ci a tenté de donner l’alerte. Ils ont exigé qu’ils
leur remettent l’argent provenant de la vente du café qu’il avait récemment
effectuée. S’étant par la suite rendu compte que M. Ce les avait
reconnus, le Requérant a tué ce dernier en lui enfonçant une épée dans la
bouche et l’a traîné à travers la pièce pour s'assurer qu’il était bien mort.
4. La bande s’est ensuite tournée vers la femme du défunt, lui demandant
davantage d'argent de la vente du café. Ils lui ont entaillé le ventre et les
épaules avec une machette et lui ont passé une corde autour du cou. Elle
les a conduits vers la cuisine, où ils ont trouvé le reste de l’argent. Ayant fait
semblant d’être morte pendant qu’ils la battaient, la femme du défunt s’est
précipitée à l'extérieur et a donné l'alerte, après que les assaillant se sont
enfuis du lieu du crime. Les voisins ont pu ainsi venir à son secours et par
après, le Requérant a été arrêté le même jour et co-accusé de meurtre avec
son frère Bz Y. Les deux frères ont plaidé non coupables. Le
troisième suspect, Bt Yu, a été également appréhendé, mais n’a pas
été inculpé. La police n’a pas réussi à retrouver les quatrième et cinquième
suspects.
2 Yy Ac Bs c. République-Unie de AO (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 38.
5. Le 10 novembre 2004, le Requérant et ses co-accusés ont comparu devant
la Haute Cour de AO à Bx pour l’audience de mise en état. Le
procès s’est ouvert devant la Haute Cour de Bukoba le 22 juillet 2010, et, à
l'issue d’une procédure incidente, la déclaration extrajudiciaire faite par
Bz Y a été jugée recevable et versée au dossier.
6. Le procès s’est achevé le 6 août 2010. Le Requérant a été reconnu
coupable de meurtre et condamné à la mort par pendaison, alors que son
co-accusé, Bz Y, a été acquitté. Le 12 août 2010, le Requérant
a saisi la Cour d’appel d’un recours examiné le 25 novembre 2011 et rejeté
le 28 novembre 2011 pour défaut de fondement.
B. Violations alléguées
7. Le Requérant allègue que l’État défendeur a violé ses droits garantis par la
Charte, notamment :
a. L'article 3 sur le droit à une égale protection de la loi du fait qu’il ne lui a
pas fourni :
i. uninterprète pendant les procès, ce qui constitue une discrimination
fondée sur la langue ; et
il. une représentation judiciaire efficace sur la base du «statut de
propriété ».
b. L'article 4 sur le droit à la vie en raison de :
i. l'imposition de la peine de mort obligatoire sans tenir compte de la
situation personnelle de l’auteur de l'infraction ;
ii. l’imposition de la peine de mort en dehors de la catégorie des cas
auxquels elle peut être appliquée ; et
iii. l’imposition de la peine de mort en l’absence d’un procès équitable.
c. L'article 5 sur le droit d’être traité avec dignité :
i. par l'imposition de la peine de mort par pendaison.
d. Article 6 sur le droit à la liberté :
i. du fait de la détention arbitraire du Requérant.
e. L'article 7 sur le droit à un procès équitable :
ii en ne fournissant pas une assistance judiciaire efficace au
Requérant ;
ii. en ne fournissant pas une assistance judiciaire au Requérant à tous
les stades de la procédure interne ;
iii. en ne fournissant pas un interprète au Requérant ;
iv. en ne permettant pas au Requérant de consulter comme, il se doit,
son avocat afin de préparer le procès et de citer les principaux
témoins à décharge ;
v. en condamnant le Requérant sur la base de preuves peu suffisantes
et crédibles ; et
vi. en ne jugeant pas le Requérant dans un délai raisonnable entre son
arrestation et son procès.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
8. La Requête a été reçue au Greffe le 4 janvier 2016 et communiquée à l’État
défendeur le 25 janvier 2016.
9. L'État défendeur a soumis sa réponse le 11 juillet 2016 et le Requérant a
soumis sa réplique le 25 juillet 2016.
10. Le 18 mars 2016, la Cour a rendu suo motu une ordonnance portant
mesures provisoires enjoignant à l’État défendeur de surseoir à l’exécution
de la peine de mort en attendant l'examen de la Requête.
11. Les débats ont été clôturés le 8 mars 2018 et les Parties en ont dûment
reçu notification.
12. Le 16 mai 2018, la Cour a accueilli l’offre de la Cornell University
International Human Rights Law Clinic de fournir au Requérant une
représentation juridique gratuite, sous réserve de la présentation d’une
procuration ou d’une preuve d’acceptation par ce dernier.
13. Le 17 septembre 2018, l’Université a désigné M° Xo Bi pour
représenter le Requérant. Le 5 décembre 2018, le conseil a demandé à
modifier la requête introductive d'instance et à déposer des éléments de
preuve supplémentaires, qu’il a joints à sa demande. La Cour a accédé à
cette demande par ordonnance du 13 février 2020 et la Requête modifiée a
été communiquée à l’État défendeur à la même date.
14. Le 9 avril 2021, l’Université a informé la Cour que M° Xo Bi serait
remplacé par M° Ad Br de la East Africa Law Society.
15. Le Requérant a déposé ses observations sur les réparations dans le délai
imparti par la Cour. Malgré de multiples prorogations de délai, l’État
défendeur n’a pas déposé sa réponse à la Requête modifiée, en ce qui
concerne les réparations.
16. Les débats ont été clôturés le 14 septembre 2021 et les Parties en ont
dûment reçu notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
17. Le Requérant demande à la Cour de :
a. Dire et juger que l’État défendeur a violé les droits du Requérant
protégés par les articles 3, 4, 5, 6 et 7 de la Charte africaine et de
déclarer la Requête recevable ;
b. Ordonner à l’État défendeur de prendre les mesures appropriées pour
remédier aux violations des droits du Requérant protégés par la Charte ;
c. Annuler la peine de mort prononcée à l’encontre du Requérant et le
retirer du couloir de la mort ;
d. Ordonner à l’État défendeur de modifier son code pénal et la législation
connexe relative à la peine de mort afin de les rendre conformes à
l’article 4 de la Charte africaine ;
e. Ordonner la remise en liberté du Requérant ; et f. Ordonner à l’État défendeur de lui verser les réparations que la Cour
jugera appropriées.
18. L'État défendeur demande à la Cour de :
a. Dire et juger qu’il n’a pas violé l’article 13(6)(a) et l’article 107(2) de sa
Constitution ;
b. Dire et juger qu’il n’a pas violé les articles 3(2) et 7(1)(c) et (d) de la
Charte africaine ;
c. Dire et juger que le ministère public a prouvé la culpabilité du Requérant
au-delà de tout doute raisonnable ;
d. Dire et juger que la condamnation du Requérant était fondée sur des
preuves irréfutables et crédibles ;
e. Dire et juger que les procédures dans l’affaire pénale n° 88 de 2004 et
dans l’appel pénal n° 230 de 2010 ont été menées conformément aux
lois et procédures en vigueur ;
f. Dire et juger que la peine prononcée à l’encontre de l’accusé était
conforme à la loi ;
g. Dire et juger que la décision de la Haute Cour n’était pas fondée sur une
grave erreur de droit ;
h. Dire et juger que l’arrêt de la Cour d’appel ne préjuge en rien la décision
qui le révise ;
i. Dire et juger que le Requérant n’a droit à aucune réparation ; et
j. Mettre les frais de procédures relatives à la Requête à la charge du
Requérant.
V. SUR LA COMPÉTENCE
19. L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
20. La Cour relève également qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
elle «procède à un examen préliminaire de sa compétence [...]
conformément à la Charte, au Protocole et au présent Règlement ».°
21. La Cour constate qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève des exceptions
préliminaires d’incompétence matérielle. La Cour statuera donc ces
exceptions avant d’examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa
compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
22. L'État défendeur soulève une exception d’incompétence matérielle de la
Cour pour apprécier les preuves produites dans le cadre du procès du
Requérant en première instance et en appel.
23. L'État défendeur soutient que la Cour n’a pas compétence pour statuer en
tant que juridiction d’appel et que de ce fait, elle n’est pas compétente pour
connaître de la présente Requête.
24. || soutient, en outre, que la Cour n’a pas compétence pour annuler la
déclaration de culpabilité et la condamnation prononcées à l’encontre du
Requérant, celles-ci ayant été confirmées par la Cour d’appel qui est la plus
haute juridiction de l’État défendeur. L'État défendeur soutient, du reste, que
la Cour n’a pas le pouvoir d’ordonner la remise en liberté du Requérant.
25. Le Requérant affirme que la Cour a compétence pour connaître de toutes
les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant
3 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
l'interprétation et l'application de la Charte, du Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États
concernés. Citant l’affaire /siaga c. AO, le Requérant soutient que la
Cour exerce sa compétence sur une requête pour autant que celle-ci porte
sur des violations alléguées de droits protégés par la Charte ou tout autre
instrument international relatif aux droits de l’homme ratifié par l’État
défendeur.
26. Le Requérant soutient que la Requête porte sur des allégations de
violations de droits protégés par la Charte, notamment en ses articles 3, 4,
5, 6 et 7, et qu’à ce titre, la Cour a la compétence matérielle pour connaître
27. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 3(1) du Protocole, elle a
compétence pour connaître de « toutes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte,
du [...] Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de
l'homme et ratifié par les États concernés ».*
28. La Cour réitère sa jurisprudence constante selon laquelle « elle n’est pas
une instance d’appel des décisions rendues par les juridictions nationales.®
Toutefois, cela ne l'empêche pas d’examiner les procédures pertinentes
devant les juridictions nationales afin de déterminer si elles sont en
conformité avec les normes prescrites dans la Charte ou avec tout autre
instrument ratifié par l’État concerné ».° La Cour ne statuerait donc pas
comme une juridiction d’appel si elle devait examiner les allégations du
Requérant, au seul motif qu’elles sont relatives à l’appréciation des
# Voir, par exemple, Bs c. AO (arrêt), supra, 88 37 à 39 ; Cx Ah c. République- Unie de AO (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 266, $ 18; Bf Az c. République-Unie de AO, CAfDHP, Requête n° 056/2016, arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 88 38 à 40.
5 Ernest Bb Ck c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
Mtingwi c. Malawi, ibid. ; Bd Xf c. République-Unie de AO (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, $ 26; Yz Bn AP AO (fonds et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, $ 33 ; Zh Bm AKYh BaAI et Ci Zh AKXy YmAI c. République-Unie de AO (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
éléments de preuve. La Cour rejette donc l’exception soulevée par l’État
défendeur à cet égard.
29. En ce qui concerne l’exception relative à l’annulation de la déclaration de
culpabilité et de la condamnation du Requérant et à la mesure de mise en
liberté, la Cour rappelle que, conformément à l’article 27(1) du Protocole,
elle a compétence pour ordonner des mesures de réparation appropriées
lorsqu'elle constate une violation des droits garantis par la Charte ou par
tout instrument ratifié par l’État défendeur. En outre, la Cour peut prendre
une ordonnance de mise en liberté à titre de mesure de restitution,
lorsqu’elle estime que le Requérant a démontré l’existence de
circonstances spécifiques et impérieuses justifiant une telle ordonnance.”
La Cour estime, en conséquence, que la mesure de remise en liberté,
lorsque les conditions sont satisfaites, relève bien de sa compétence.
30. La Cour rejette, en conséquence, l’exception soulevée par l’État défendeur
et considère qu’elle a la compétence matérielle pour examiner la présente
Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
31. La Cour note que ses compétences personnelle, temporelle et territoriale
ne sont pas contestées par l’État défendeur. Néanmoins, conformément à
la règle 49(1) du Règlement,® elle doit s'assurer que tous les aspects de sa
compétence sont remplis avant de poursuivre l’examen de la Requête.
32. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie
au Protocole et a déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole
auprès du Président de la Commission de l’Union africaine. Il a, par la suite,
7 Voir Jibu Amir alias Xa et Zb Ya alias Cd c. République-Unie de AO (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 654, $ 97 ; Elisamehe c. République-Unie de AO (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 266, $ 112 ; et Ak Bz c. République-Unie de AO (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 415, 8 82.
8 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
déposé, le 21 novembre 2019, l'instrument de retrait de sa Déclaration. La
Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la Déclaration n’a
pas d’effet rétroactif et ne prend effet que douze (12) mois après le dépôt
de l’avis dudit retrait, en l'occurrence le 22 novembre 2020.° La présente
Requête, introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son avis de
retrait, n’en est donc pas affectée. La Cour en conclu qu’elle a la
compétence personnelle en l’espèce.
33. S’agissant de sa compétence temporelle, la Cour note que toutes les
violations alléguées par le Requérant ont trait à des procédures découlant
des décisions rendues par la Haute Cour et par la Cour d’appel le 6 août
2010 et le 28 novembre 2011, respectivement, soit après que l’État
défendeur eut ratifié la Charte et le Protocole, et déposé la Déclaration. En
outre, les violations alléguées ont un caractère continu, la condamnation du
Requérant étant maintenue sur la base de ce qu’il considère comme une
procédure inéquitable. La Cour en déduit qu’elle a la compétence
temporelle en l’espèce.
34. Quant à sa compétence territoriale, la Cour relève que les violations
alléguées par le Requérant se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur. Dans ces conditions, la Cour estime que sa compétence
territoriale est établie.
35. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
36. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, «[la Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
9 Bs c. AO (arrêt), supra, 88 35 à 39.
37. Conformément à la règle 50 du Règlement, « [a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au
[...] Règlement ».
38. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est ainsi libellée :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
39. L’État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité tirée du dépôt de la
Requête dans un délai non-raisonnable. La Cour va statuer sur ladite
exception avant de se prononcer, si nécessaire, sur les autres conditions
de recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
40. L'État défendeur affirme que la décision de la Cour d'appel a été rendue le
28 novembre 2011, alors que la présente Requête a été déposée devant la
Cour le 7 janvier 2016, soit après quatre (4) ans, un (1) mois et dix
(10) jours. Il soutient donc que la Requête n’a pas été introduite dans un
délai raisonnable à compter de la date d’épuisement des recours internes
et qu’elle doit, en conséquence, être rejetée.
41. L'État défendeur soutient en outre que l’article 40(6) ne prescrit, ne définit
ni ne quantifie la période qui constituerait un délai raisonnable, mais que la
« période spécifiée dans la Charte» est de six mois, conformément à
l’évolution de la jurisprudence internationale en matière de droits de
l'homme ». Citant l’affaire Yi Xb c. Zimbabwe, l’État défendeur
affirme que le Requérant n’a pas fait état d’obstacles qui l’auraient empêché
d'introduire la Requête dans un délai de six mois, considéré comme étant
raisonnable. Il en déduit que les conditions de recevabilité énoncées à
l’article 40(5) et (6) du Règlement ne sont pas remplies et que la présente
Requête devrait être déclarée irrecevable et rejetée avec dépens.
42. Le Requérant soutient, pour sa part, que l’article 40(6) ne prescrit pas de
délai spécifique pour l’introduction d’une requête devant la Cour et que la
Cour a conclu que le caractère raisonnable du délai doit être déterminé au
cas par cas. Nonobstant ce qui précède, il a épuisé les recours internes dès
lors que son affaire a été entendue par la Haute Cour et ensuite par la Cour
d'appel, qui est la plus haute juridiction du pays.
43. À cet égard, le Requérant invoque la jurisprudence de la Cour dans l'affaire
Bf Cp et autres c. Zu Au, où la Cour a considéré que sa
saisine après plus de trois ans était raisonnable. Il affirme, en outre, qu’en janvier 2012,"° alors qu'il était incarcéré dans le couloir de la mort, il a
déposé son « avis de requête en révision » et a attendu patiemment que la
Cour examine ladite demande.!*
44. Le Requérant affirme, en outre, que le 10 décembre 2015, après avoir
patienté pendant plus de quatre (4) ans sans aucun résultat, il n’a donc eu
d’autre choix que d’introduire la présente Requête, ne pouvant plus
attendre. Le Requérant soutient en outre que la période observée pour
déposer la Requête devant la Cour est imputable au comportement de l’État
défendeur et non au sien. Il cite l’affaire Yz Bn AP AO, dans
laquelle la Cour a conclu que le délai observé par le requérant pour
introduire la requête était raisonnable.
45. || estime donc que le délai dans lequel il a saisi la Cour ne peut être
considéré comme étant non raisonnable. Le Requérant affirme en outre
qu’au moment du dépôt de sa Requête devant la Cour de céans, il ne
bénéficiait pas d’une assistance judiciaire et ne possédait aucune
qualification juridique, et n'avait aucune connaissance du Règlement de la
Cour, mais qu’il a fait du mieux possible pour suivre les procédures et
formuler les allégations de violation de ses droits.
46. La Cour observe que ni la Charte, ni le Règlement ne précisent le délai dans
lequel les requêtes doivent être introduites, après épuisement des recours
internes. L'article 56(6) de la Charte et la règle 50(2)(f) du Règlement
indiquent uniquement que les requêtes doivent être introduites « … dans un
délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou
depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le
délai de sa saisine ».
10 11 ne donne pas de date précise.
11Le Requérant n’a pas déposé d’exemplaire dudit « Avis de requête en révision ».
47. Dans sa jurisprudence constante, la Cour a considéré que « [.…] le caractère
raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières
de chaque affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».!? Au nombre
des circonstances que la Cour a prises en considération figurent : la durée
de la procédure contentieuse devant les juridictions internes," le fait d’être
incarcéré, d’être indigent, analphabète, et l’exercice de recours
extraordinaires.!* Néanmoins, ces circonstances doivent être prouvées.
Comme la Cour l’a fait remarquer, même les justiciables profanes en droit,
incarcérés ou indigents, sont tenus de démontrer en quoi leur situation
personnelle les a empêchés d’introduire leurs requêtes dans un délai
48. La Cour relève qu’en l’espèce le Requérant a épuisé les recours internes le
28 novembre 2011, lorsque la Cour d’appel à rejeté son recours pour défaut
de fondement. Il affirme, sans produire la moindre preuve, qu’il a déposé un
« avis de requête en révision » de la décision de la Cour d'appel auprès de
la même juridiction deux (2) mois plus tard. Il a ensuite saisi la Cour le
4 janvier 2016. La Cour doit donc déterminer si la période allant du
28 novembre 2011 au 4 janvier 2016, date à laquelle le Requérant l’a saisie,
soit quatre (4) ans, un (1) mois et sept (7) jours, constitue un délai
raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du
Règlement.
49. À l'instar des requérants dans des affaires similaires déjà examinées par la
Cour,!6 le Requérant se trouve dans le couloir de la mort, il est incarcéré,
12 Ayants droits de feus Bf Cp, Yn Cq alias Ablasse, Zn Cp et Zi C c. Zu Au (fond) (24 juin 2014) 1 RICA 226, 8 92. Voir Xj Xc c. République-Unie de AO (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 73.
13 Zn Yx, Cr Ai, Af Xw et 1744 autres c. République -Unie de AO, CADHP, Requête n° 002/2017, Arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), 8 65.
14 Bn AP AO, supra, $ 56; Bv Yd Bv et un autre c. République-Unie de AO (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, $ 49 ; Cr Ax Am c. République du Ghana (fond et réparations) (28 juin 2019) 3 RICA 245, 88 83 à 86.
15 Cv Xg c. République-Unie de AO, CAfDHP, Requête n°024/2017, Arrêt du 1°" décembre 2022 (compétence et recevabilité), 8 67.
16 La Cour a considéré dans ses arrêts précédents qu'une période de quatre (4) ans, neuf (9) mois et vingt-trois (23) jours ; de quatre (4) ans, huit (8) mois et trente (30) jours ; de quatre (4) ans, deux (2) mois et vingt-trois (23) jours et de quatre (4) ans et trente-six (36) jours, observée par des requérants profanes en matière de droit, indigents et incarcérés pour la saisir constituait un délai raisonnable.
restreint dans ses mouvements, n’a qu’un accès limité à l'information et n’a
pas connaissance des procédures devant la Cour. Le Requérant soutient
également qu’il a tenté d’exercer la procédure de révision avant de saisir la
Cour, sans toutefois en apporter la preuve. En tout état de cause, la Cour a
jugé qu’un requérant qui exerce une procédure de révision, même s’il s’agit
d’un recours extraordinaire, ne devrait pas être pénalisé pour l’avoir
exercé.!” Au demeurant, la Cour a jugé dans l’affaire Zr Xa c.
République-Unie de AO,'® que le dépôt d’une demande en révision
d’un arrêt de la Cour d’appel n’est pas pertinent pour évaluer le caractère
raisonnable du délai de dépôt des requêtes devant elle.
50. Dans ces circonstances, la Cour conclut que le délai de quatre (4) ans, un
(1) mois et sept (7) jours observé par le Requérant pour la saisir de sa
Requête est raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la
règle 50(2)(f) du Règlement.
51. Auvude ce qui précède, la Cour rejette l'exception d’irrecevabilité soulevée
par l’État défendeur, tirée du dépôt de la présente Requête dans un délai
non raisonnable.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
52. La Cour relève qu’aucune contestation n’a été soulevée concernant le
respect des conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c), (d) et (g) du
Règlement. Néanmoins, elle doit s'assurer que ces conditions sont
satisfaites.
53. Il ressort du dossier que le Requérant a été clairement et nommément
identifié, conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
17 Bv Yd c. AO (fond), $ 49; Cr Ax Am c. République du Ghana, CAfDHP, Requête n° 001/2017, Arrêt du 28 juin 2019 (fond), 88 83 à 86.
18 Zr Xa c. République-Unie de AO, CAfDHP, Requête n° 031/2016, Arrêt du 13 juin 2023 (fond et réparations), 88 47 et 48.
54. La Cour relève que les griefs formulés par le Requérant visent à protéger
ses droits garantis par la Charte. Elle note également que l’un des objectifs
de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son article 3(h),
est la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples. En
outre, il ne résulte du dossier aucun élément indiquant que la Requête est
incompatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine. Elle satisfait donc
aux conditions énoncées à la règle 50(2)(b) du Règlement.
55. Les termes dans lesquels est rédigée la Requête ne sont ni outrageants, ni
insultants à l’égard de l’État défendeur ou de ses institutions ; ce qui la rend
conforme à la règle 50(2)(c) du Règlement.
56. En ce qui concerne l’épuisement des recours internes, la Cour observe que
le recours du Requérant devant la Cour d’appel, la plus haute instance
judiciaire de l’État défendeur, a été tranché lorsque ladite Cour a rendu son
arrêt le 28 novembre 2011. En conséquence, la Cour considère que l’État
défendeur a eu la possibilité de remédier aux violations alléguées par le
Requérant en première instance et en appel.
57. La Cour relève que la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des
nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse, mais sur
des documents judiciaires, conformément à la règle 50(2)(d) du Règlement.
58. En outre, la Requête ne se rapporte pas à une affaire qui a déjà été réglée
par les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies,
de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte ou de
tout instrument juridique de l’Union africaine, conformément à la
règle 50(2)(g) du Règlement.
59. La Cour constate donc que toutes les conditions de recevabilité énoncées
à la règle 50(2) sont réunies et conclut que la Requête est recevable.
VII. SUR LE FOND
60. Le Requérant allègue la violation de ses droits garantis par la Charte, à
savoir : le droit à une égale protection de la loi (article 3(1)(2)) ; le droit à la
vie (article 4) ; le droit à la dignité (article 5) ; le droit à la liberté (article 6) et
le droit à un procès équitable (article 7).
61. La Cour observe que le Requérant allègue des violations similaires relevant
des articles 3 et 7 de la Charte en rapport avec le fait que l’État défendeur
ne lui a pas fourni les services d’un interprète, l'assistance judiciaire
effective et n’a pas garanti ses droits relatifs à la détention préventive ainsi
que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Ces griefs seront
examinés conjointement avec l’allégation de violation du droit à un procès
équitable, garanti par l’article 7 de la Charte.
62. La Cour examinera dans un premier temps les allégations formulées au titre
de l’article 4. Les griefs formulés au titre de l’article 3 seront ensuite
examinés conjointement avec les allégations de violation de l’article 7.
A. Violation alléguée du droit à la vie
63. Invoquant l’article 4 de la Charte, le Requérant fait valoir que tout être
humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa
personne et que nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit. Il allègue
que l’État défendeur a violé son droit à la vie, notamment :
ii en le condamnant à la peine de mort obligatoire sans tenir compte
de la situation personnelle du contrevenant et de la nature de
l'infraction ;
ii. en imposant la peine de mort en dehors de la catégorie des cas
auxquels celle-ci peut légalement s'appliquer ; et
ii. en imposant la peine de mort en l’absence d’un procès équitable.
64. Sur le premier moyen, le Requérant affirme que l’État défendeur a imposé
la peine de mort obligatoire, en violation de l’article 4 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et de l’article 6 de la Charte. Il
soutient que la peine de mort obligatoire écarte la présomption en faveur de
la vie, ne fait aucune distinction entre les catégories de meurtre et viole le
droit à une procédure de personnalisation de la peine. Le Requérant
soutient que dans tous les cas pouvant être sanctionnés par la peine de
mort, la situation personnelle du contrevenant et les circonstances
particulières de l’infraction, notamment ses éléments spécifiques, les
circonstances aggravantes ou atténuantes, doivent être prises en compte
par la juridiction de jugement, comme l’a souligné le Comité des droits de
l’homme des Nations Unies. Il estime que les juridictions nationales doivent
disposer d’un pouvoir discrétionnaire pour décider de l'application ou non
de la peine de mort.!°
65. Le Requérant cite la jurisprudence de la Cour interaméricaine,? la
jurisprudence de la Cour suprême de l’Ouganda?* et celle de la Haute Cour
du Malawi, où les circonstances atténuantes ont été prises en compte. Il
soutient que les circonstances de l’espèce montrent clairement que la peine
de mort n’est pas justifiée dans la mesure où le ministère public n’a pas
établi l'intention de tuer du Requérant et n’a pas tenu compte de sa bonne
moralité et de sa capacité avérée à se réhabiliter, ainsi que d’autres
circonstances atténuantes d'ordre social.
66. Ence qui concerne le deuxième moyen, à savoir l'imposition de la peine de
mort en dehors de la catégorie d’infractions auxquelles elle peut légalement
s'appliquer, le Requérant soutient que pour qu’une peine de mort soit
19 Co c. Zambie, Comité des droits de l'homme, Communication n° 390/1990, (31 oct. 1995) par. 7.2 ; Xg c. Zambie, Comité des droits de l'homme, Communication n° 1132/2002, (18 oct. 2005), 8 7.4 ; Cg c. Philippines, Comité des droits de l'homme, Communication n° 1421/2005, (24 juillet 2006) par. 7.2; At c. Philippines, Comité des droits de l'homme, Communication n° 1077/2002, (9 mai 2003), 8 8.3.
2° Boyce c. Barbade, Cour interaméricaine des droits de l'homme, arrêt du 20 novembre 2007, par. 50 à 53.
21 Cu Za c. Kigula, 88 63 et 64.
2 By c. Cu Za, (Haute Cour), n° 12 de 2005 (27 avril 2007 ; L'État c. Keke (Haute Cour) n° 404 de 2010 (18 juin 2013).
admissible, il faut nécessairement (ce qui n’est pas en soi suffisant) que
l'infraction relève de la catégorie des infractions les plus graves et qu’il
s'agisse d’un cas des plus rares. Se référant à l’article 6 du PIDCP et à
l'affaire Moise c. la Couronne,” le Requérant affirme que « la peine de mort
ne devrait être imposée que dans les cas de meurtre les plus exceptionnels
et les plus extrêmes ». Il étaye son argument en citant la jurisprudence
internationale en matière de droits de l’homme tirée de plusieurs
67. Le Requérant soutient qu’en l’espèce, l’infraction alléguée n’entre pas dans
le cadre très restreint des cas «les plus rares » pour lesquels la peine de
mort peut être légalement appliquée. En sus du fait que la charge de la
preuve incombe à l’État défendeur, les circonstances personnelles du
Requérant montrent qu’il ne méritait pas que la peine de mort soit
prononcée à son encontre. Son droit à la vie a donc été violé. Le Requérant
affirme que le défunt n’a subi ni torture, ni traumatisme prolongé ou
humiliation avant sa mort. De surcroît, le ministère public n’a pas rapporté
la preuve que le meurtre avait été prémédité. Le Requérant fait par
conséquent valoir qu’il n’y a aucune raison de penser qu’il constitue une
menace pour la société.
68. S’agissant du troisième moyen, à savoir l’imposition de la peine de mort à
l’absence d’un procès équitable, le Requérant affirme que la Commission
africaine a souligné que « si, pour quelque raison que ce soit, le système de
justice pénale d’un État ne répond pas, au moment du procès ou de la
condamnation, aux critères de l’article 7 de la Charte ou si la procédure
particulière au cours de laquelle la peine est imposée ne s’est pas
rigoureusement conformé aux normes d’équité les plus élevées,
3 Cour d’appel des Caraïbes orientales, arrêt (15 juillet 2005), Affaire pénale n° 8 de 2003, par. 17.
24 Xg c. Zambie, Comité des droits de l'homme, Communication n° 1132/2002, (18 oct. 2005) 8 7.4; Al c. Jamuson White (Haute Cour du Malawi) (affaire pénale n° 74 de 2008 inédit) ; Cs c. la Couronne [Privy Council] par. 21 ; Ct c. Canada, Communication n° 470/1991. 30 juillet 1993, 8 14.3.
l’application ultérieure de la peine de mort sera considérée comme étant
constitutive d’une violation du droit à la vie ».25
69. Enfin, le Requérant évoque, à l’appui de son argument, le rapport de la
Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires,
sommaires ou arbitraires,? où il est déclaré que les garanties d’un procès
équitable dans les affaires impliquant la peine de mort doivent être mises
en œuvre dans tous les cas, sans exception ni discrimination, comme l’a
réitéré la jurisprudence du Comité des droits de l'homme.” Il affirme que la
procédure à l'issue de laquelle il a été condamné à la peine de mort n’a pas
satisfait aux critères de l’article 7 et n'a même pas atteint le niveau d’équité
élémentaire. Il s’infère de ces manquements que la peine de mort constitue
une violation de son droit à la vie.
70. L'État défendeur a répondu cumulativement aux trois (3) griefs soulevées
par le Requérant. || affirme que l’article 7 de la Charte porte sur la question
de savoir si le Requérant a eu ou non la possibilité de plaider sa cause et
de contester les preuves qu’il considérait comme fallacieuses, et non sur la
question de savoir si les juridictions internes ont rendu la décision qu’il
fallait.
71. L’État défendeur soutient, en outre, que le mandat de la Cour consiste à
vérifier si l’ensemble de la procédure a été mené avec équité. Il estime que
toutes les exigences de l’article 7 ont été satisfaites dans la mesure où le
Requérant a été présumé innocent, qu’il a bénéficié d’une assistance
judiciaire dans le cadre des procédures devant la Haute Cour et devant la
Cour d’appel, qu’il a été jugé et condamné par une juridiction impartiale et
compétente pour un acte qui constituait une infraction punie par la loi au
25 Observations générales sur l’article 4, p. 7 et Int! Pen et autres (au nom de BAI c. Xk, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Communication N°° 137/94, 154/96 and 161/97, (31 oct. 1998), par. 90.
26 Rapport de la Rapporteuse spéciale, document des Nations Unies/CN.4/2002/74, (9 janvier 2002), par. 119.
27 Ci c. Jamaïque (Comité des droits de l'homme), Communication n° 588/1994, (mars 22, 1996), paragraphes 8.8-8.9 ; Yp c. Jamaïque, (Comité des droits de l'homme), Communication n° 588/1994, (mars 22, 1996), paragraphe 11.5.
moment où il l’a commise, qu’il a été condamné conformément aux lois du
pays et qu’il a eu la possibilité de contre-interroger les témoins à charge.
72. Citant l’arrêt de la Cour européenne dans l’affaire Ae c. Allemagne,
l’État défendeur affirme que « les droits de la défense du Requérant et son
droit de ne pas s’auto-incriminer ayant également été respectés, son procès
doit être considéré comme étant équitable dans son ensemble ». || soutient
en outre que, même s'il y a eu des irrégularités dans les procédures, celles-
ci ont été « rattrapées » en application de l’article 387 de la loi portant code
de procédure pénale [Chap. 20 E. R, 2002] et de l’article 30(2) de la
Constitution de la République de AO.
73. La Cour relève que l’article 4 de la Charte dispose : « [a personne humaine
est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité
physique et morale de sa personne : Nul ne peut être privé arbitrairement
de ce droit ».
74. La Cour observe que le Requérant soulève trois (3) moyens distincts relatifs
à la violation alléguée du droit à la vie et à la condamnation obligatoire à la
peine de mort. Il s’agit notamment de : i) la non-prise en compte de la
situation personnelle du contrevenant, ii) la non-prise en compte de
l'ilégalité de la peine et iii) le non-respect des garanties d’une procédure
régulière au cours du procès. Tous ces moyens invitent la Cour à
déterminer si la condamnation obligatoire à la peine de mort constitue une
privation arbitraire du droit à la vie.
75. En outre, la Cour rappelle qu’elle a déjà relevé la tendance mondiale à
l’abolition de la peine de mort, qui se traduit en partie par l’adoption du
Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (PIDCP).?® La Cour observe, toutefois, que la peine
28 Cv Yw c. République-Unie de AO, CAfDHP, Requête n° 024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), 8 122 et Ya Ch et autres c. République-Unie de AO, (fond et de mort reste inscrite dans la législation de certains États et qu'aucun traité
relatif à l’abolition de la peine de mort n’a enregistré une ratification
universelle.”° La Cour note également qu’au 28 juin 2023, le Deuxième
protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits
civils et politiques a été ratifié par quatre-vingt-dix (90) États parties sur les
cent soixante-treize (173) États parties au PIDCP.®
76. En ce qui concerne les dispositions de l’article 4 de la Charte, la Cour
observe que, malgré une tendance mondiale à l’abolition de la peine de
mort, et à l’adoption du Deuxième protocole facultatif au Pacte international
relatif aux droits civils et politiques, l’interdiction de la peine de mort en droit
international n’est toujours pas absolue.*!
77. La Cour rappelle la jurisprudence internationale bien établie en matière de
droits de l'homme sur les critères à appliquer pour évaluer le caractère
arbitraire d’une condamnation à mort? Il s’agit de savoir i) si la
condamnation à mort est prévue par la loi, ii) si la condamnation a été
prononcée par un tribunal compétent, et iii) si la procédure ayant abouti à
cette sentence a été conforme aux garanties d’une procédure régulière. La
Cour procèdera donc à une évaluation sur la base de ces critères.
78. En ce qui concerne le premier critère qui exige que la peine de mort soit
prévue par la loi, la Cour observe que ladite peine est prévue à l’article 197
du Code pénal (CAP 16. RE. 2002) de l’État défendeur comme peine
obligatoire en cas de meurtre.*° Cette condition est donc remplie.
réparations) (28 novembre 2019) 1 RICA 562, $ 96. Il est à noter que l’État défendeur n’est pas partie au Deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 29 Pour une déclaration complète sur l’évolution de la situation concernant la peine de mort, voir : Assemblée générale des Nations Unies-Moratoire sur l'application de la peine de mort-A/77/247 : Rapport du Secrétaire général sur un moratoire sur l’application de la peine de mort, publié le 8 août 2022. Disponible à l'adresse https://www.ohchr.org/en/node/103842.
# https://indicators.ohchr.org/
31 Rajabu et autres c. AO, supra, 8 96.
2 Voir International Pen et autres (au nom de BAI c. Xk, Communications 137/94 139/94, 154/96, 161/97 (2000) AHRLR 212 (CADHP 1998), 88 1 à 10 et $ 103 ; Xp of Conscience c. As Yt, Communication 223/98 (2000) 293 (CADHP 2000), 8 20 ; voir article 6 (2), PIDCP et Zm Cy c. St. Vincent & Grenades, Comm. n° 806/1998, U.N. Doc. CCPR/C7010/806/1998 (2000) (U.N.H.C.R.), 8 8.2 ; voir également Rajabu et autres c. AO, supra, 8 104.
33 « Toute personne reconnue coupable de meurtre sera condamnée à la peine de mort ».
T9. S'agissant du deuxième critère exigeant que la peine soit prononcée par
une juridiction compétente, la Cour note que la Haute Cour de l’État
défendeur est la juridiction interne compétente pour connaître des
infractions passibles de la peine de mort. La Haute Cour a, en effet, une
compétence de première instance et d’appel en matière civile et pénale,
conformément à l’article 3(2)(a) du Code de procédure pénal et à l’article
107(1)(a) de la Constitution Tanzanienne. Il s’ensuit que la peine a été
prononcée par la juridiction compétente et que ce deuxième critère est
également rempli.
80. En ce qui concerne le troisième critère qui exige que la procédure
d'imposition de la peine de mort soit conforme aux règles du procès
équitable, la Cour note que selon le Requérant, la procédure engagée à son
encontre n’a pas été régulière en ce qu’il était présumé coupable avant le
procès, qu’il était représenté par un conseil qui assurait également la
défense de son co-accusé dont le témoignage l’impliquait dans le meurtre
et, en outre, que sa situation n’a pas été prise en compte au moment de sa
condamnation à la peine capitale.
81. Pour sa part, l’État défendeur affirme que le Requérant a bénéficié d’une
procédure régulière, qu’il a été représenté à tous les stades, qu’une
procédure incidente a été menée afin d’examiner la déclaration
extrajudiciaire faite par le co-accusé du Requérant, qu’il a été jugé par un
tribunal impartial et qu’il a eu la possibilité de plaider sa cause et de contre-
interroger les témoins.
82. La Cour observe que le Requérant a bénéficié d’une assistance judiciaire
gratuite dans les procédures devant la Haute Cour et la Cour d'appel et
qu’un conseil autre que celui du co-accusé lui a été commis afin de régler
la préoccupation soulevée par son conseil quant à un possible conflit
d'intérêt dans la représentation des deux frères co-accusés. Le Requérant
a donc eu la possibilité de se défendre, d’interroger les témoins et de faire
appel. Il s’ensuit que la manière dont les juridictions internes ont jugé l’affaire du Requérant ne révèle pas d’erreur apparente ou manifeste, ayant
entraîné un déni de justice.
83. La Cour rappelle toutefois, comme elle l’a conclu dans l’arrêt Rajabu, que
la peine de mort telle qu’imposée par les juridictions de l’État défendeur
dans les cas de meurtre, comme en l’espèce, n’est pas conforme aux règles
du procès équitable en ce qu’elle ne permet pas au juge de prendre en
considération des peines alternatives.**
84. En conséquence, la Cour conclut que l’imposition de la peine de mort par
l’État défendeur constitue une violation du droit à la vie, garanti par l’article
4 de la Charte.*5
B. Violation alléguée du droit à la dignité
85. Le Requérant soutient que l’État défendeur a violé son droit à être traité
avec dignité en le condamnant à la mort par pendaison en violation de
l’article 5 de la Charte. Invoquant la jurisprudence de la Commission
africaine,®é le Requérant allègue que le mode d’exécution de cette peine
cause une souffrance extrême ; ce qui constitue un traitement cruel,
inhumain et dégradant.
86. Le Requérant affirme également que les conditions de détention qu’il
endure à la prison de Butimba constituent une torture et une violation de
34 Rajabu et autres c. AO, supra, 8 110.
35 Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a déclaré que « la condamnation obligatoire et automatique à la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du [PIDCP], dans des circonstances où la peine capitale est prononcée sans qu'il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l'accusé ou les circonstances ayant entouré le crime en question ». La rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a déclaré qu’« en aucun cas la loi ne devrait rendre la peine capitale obligatoire, quels que soient les faits reprochés » et le rapporteur spécial que « l'imposition obligatoire de la peine de mort, qui exclut la possibilité d'imposer une peine plus légère quelles que soient les circonstances, est incompatible avec l'interdiction des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants ». Dans sa résolution 2005/59, adoptée le 20 avril 2005, le Comité des droits de l'homme des Nations unies demande instamment aux États qui continuent d'appliquer la peine capitale de « veiller à ce que [.…] la peine de mort ne soit pas imposée [.…] à titre de peine obligatoire ».
36 Interights & Cw c. République du Botswana, Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Communication n° 319/06 (18 novembre 2015), 8 57.
l’article 5 de la Charte. En effet, la prison est surpeuplée, les condamnés à
mort ne peuvent interagir qu'avec d’autres condamnés à mort, ils ne sont
pas autorisés à pratiquer du sport, à suivre des cours et des formations ni
à recevoir des journaux.
87. L'État défendeur a, en réponse à cette allégation fait valoir en des termes
généraux que, tout au long du procès, le Requérant a été traité
conformément aux procédures prévues par ses lois. Il a été accusé,
reconnu coupable et condamné conformément aux lois du pays, par un
tribunal impartial et compétent, pour un acte qui constituait une infraction
punie par la loi au moment où il l’a commise.
88. L'article 5 de la Charte est ainsi libellé :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d'’avillissement de l'homme notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont
interdites.
89. La Cour note que le Requérant allègue que son droit à la vie a été violé en
raison du mode d’exécution de sa peine, à savoir la mort par pendaison, qui
constitue un traitement cruel, inhumain et dégradant.
90. À cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence?” selon laquelle l’application
de la peine de mort par pendaison, lorsqu’elle est prévue par la loi, est
« dégradante par nature » et « porte [...] atteinte à la dignité, eu égard à
l'interdiction des traitements cruels, innumains et dégradants». Elle
37 Rajabu et autres c. AO, supra, 88 119 et 120; Bf Az c. République-Unie de AO, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 8 169.
considère donc que la mort par pendaison constitue une violation du droit à
la dignité protégé par l’article 5 de la Charte.
91. La Cour observe qu’en l’espèce, le Requérant encourt la même peine et fait
face au même mode d’exécution, ce que l’État défendeur n’a pas contesté.
92. La Cour considère donc que l’État défendeur a violé le droit à la dignité
protégé par l’article 5 de la Charte.
C. Violation alléguée du droit à un procès équitable
93. Comme indiqué aux paragraphes 57 à 61 ci-dessus, la Cour examinera les
violations alléguées par le Requérant relativement au droit à un procès
équitable, au droit à une égale protection de la loi et au droit à la liberté.
Celles-ci sont formulées comme suit :
ii Manquement à l’obligation de garantir une assistance judiciaire efficace ;
ii. Condamnation sur la base de preuves insuffisantes ;
ii. Manquement à l’obligation de le juger dans un délai raisonnable ; et
iv. Absence de services d'interprétation.
i. Sur le défaut d’assistance judiciaire efficace
94. Le Requérant soutient que le droit à une représentation judiciaire efficace
fait partie intégrante du droit à un procès équitable, surtout lorsque la vie
d’un individu est en jeu. Il soutient que le droit à une procédure régulière est
consacré par l’article 7 de la Charte et l’article 14(1) du PIDCP, qui
établissent le droit à l’assistance d’un avocat et le droit de disposer du temps
et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et de
communiquer avec le défenseur de son choix. Il fait également valoir que
l’article 14(3)(d), établit le droit de toute personne accusée à « être présente
au procès et à se défendre elle-même ou à avoir l’assistance d’un défenseur
de son choix ; si elle n’a pas de défenseur, à être informée de son droit d’en
avoir un, et, chaque fois que l’intérêt de la justice l’exige, à se voir attribuer d'office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le
rémunérer ».
95. Citant la jurisprudence du Comité des droits de l'homme,‘ le Requérant
soutient qu’il incombe à l’État partie de veiller à ce que l’accusé bénéficie
d’une assistance judiciaire efficace à tous les stades de la procédure
pénale.
96. Le Requérant soutient, en ce qui le concerne, qu’il n’a pas bénéficié d’une
assistance judiciaire adéquate aux différents stades de la procédure pénale.
Au stade de l’audience de mise en état, il s’est vu assigner le même avocat
que son frère Bz Y, également co-accusé, dont les aveux ont
servi de preuve principale contre le Requérant au procès. Il s’agit là d’un
conflit d’intérêts flagrant et de taille. Le Requérant soutient, en outre, que le
fait qu’il ait été initialement représenté conjointement par le même avocat a
pu augmenter la probabilité qu’il soit condamné.
97. || soutient également que l’avocat commis d’office par la Cour n’a pas
suffisamment représenté ses intérêts, en partie parce qu’il ne l’a pas
consulté pendant la phase de préparation et ne l’a rencontré qu’au début
du procès, qu’il n’a pas soulevé des questions factuelles et juridiques
essentielles aux fins de réexamen, qu’il n’a pas soulevé d’exception quant
à l’admission de preuves telles que le rapport des enquêteurs et le rapport
post-mortem et qu’il n’a pas cité à comparaître deux témoins à décharge.
98. Il soutient que l’issue de son procès aurait pu être différente si son avocat
l’avait rencontré avant le début du procès. Il allègue, enfin, n’avoir bénéficié
d'aucune assistance judiciaire dans le cadre de sa demande de réexamen.
Ainsi, chaque étape de sa défense a été fortement compromise par des
manquements qui, seuls ou conjointement, sont constitutives de l’absence
38 Yq AP Xu, Comité des droits de l'homme, Communication n° 838/1998, (28 oct. 2002, par. 6,4 ; Bw c. Jamaïque, Comité des droits de l'homme, Communication n° 775/1997, (11 mai 1999, par. 6,6; Bh AH Aj, Comité des droits de l'homme, Communication n° 985/2001, arrêt, (16 nov. 2005), 8 6,4; Yc AP Aj, Comité des droits de l'homme, Communication n° 964/2001, arrêt (29 août 2003), 8 7.3, etc.
manifeste d’une assistance judiciaire efficace et équivaut à une absence
99. L'État défendeur réaffiime que la procédure a été menée de manière à
satisfaire aux conditions d’un procès équitable dans la mesure où toutes les
exigences énoncées à l’article 7 de la Charte ont été respectées. De plus,
si toute erreur était survenue, elle aurait été corrigée par la Cour d’appel
lors de son examen de la procédure et dans l’arrêt de la Haute Cour. En fin
de compte, la Cour d'appel a estimé qu'il n’était pas nécessaire d’interférer
avec la décision de la Haute Cour dans la mesure où la condamnation du
Requérant était régulière, et a donc conclu qu'aucune erreur judiciaire
n’avait été commise à l’égard du Requérant.
100. L'État défendeur soutient également que la demande de réexamen est un
recours extraordinaire, qui n’a causé aucun préjudice au Requérant, son
affaire ayant été tranchée de manière concluante par la Cour d’appel. Il
soutient, en outre, qu’il n’y a pas eu de retard dans l’examen du recours en
révision.
101. L'article 7(1)(c) de la Charte dispose :
1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
[.-.] c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par
un défenseur de son choix.
102. La Cour a considéré dans ses arrêts précédents que l’article 7(1)(c) de la
Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, garantit à toute
personne accusée d’une infraction pénale grave, le droit de se voir attribuer
d'office un défenseur, sans frais, si elle n’a pas les moyens de le rémunérer,
chaque fois que l'intérêt de la justice l’exige.*°
39Alex Xc c. République-Unie de AO (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 124.
103. Dans l’affaire Commission africaine des droits de l'homme et des peuples
c. Libye, la Cour rappelle que le droit de « tout accusé à être effectivement
défendu par un avocat, au besoin commis d’office, figure parmi les éléments
fondamentaux du procès équitable ».”° La Cour a déjà examiné le grief
relatif à la représentation efficace dans l’affaire Av Zt c.
République-Unie de AO,** où elle a conclu que le droit à une
assistance judiciaire gratuite comprend le droit de se faire assister par un
avocat. La Cour souligne, toutefois, que le droit de se faire assister par un
défenseur de son choix n’est pas absolu, lorsqu’un conseil est fourni dans
le cadre d’un système d'assistance judiciaire gratuite.‘? Dans ce cas, ce qui
importe, c’est de savoir si l'accusé a bénéficié d’une assistance judiciaire
efficace et non s'il a pu se faire représenter par un défenseur de son choix.*
104. La Cour considère que « l’assistance effective d’un avocat » comporte deux
aspects. Tout d’abord, l’avocat de la défense ne devrait pas être limité
dans l’exercice de sa mission de représentation de son client. En deuxième
lieu, l'avocat ne devrait pas priver son client d’une assistance efficace en
omettant de le représenter de manière compétente et adéquate afin de
garantir un procès équitable ou, plus généralement, une issue juste.“
105. La Cour a conclu dans ses arrêts antérieurs qu’un État ne saurait être tenu
pour responsable de tout manquement de la part d’un avocat désigné pour
apporter une assistance judiciaire. La qualité de la défense est
essentiellement une affaire entre le client et son représentant et l’État ne
devrait y intervenir que lorsqu'il est informé de l’incapacité manifeste de
l'avocat à assurer une représentation effective.‘
#0 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (fond) (2016) 1 RICA 158, 8 95. #1 Av Zt c. République-Unie de AO, CAÏDHP, Requête n° 004/2016, Arrêt du 26 février 2021 (fond et réparations), 8 73.
# CEDH, Croissant c. Allemagne (1993), Requête n° 13611/89, 8 29 ; Kamasinski c. Autriche (1989), Requête n° 9783/82, 8 65.
# CEDH, Zp c. Suède (2003), Requête n° 26891/95, 88 54 à 56.
#4 HRI/GEN/1/Rev.9 (Vol. 1) page 256, 88 333 à 335.
#5 CEDH, Bc c. Washington, 466 U.S. 668 336 ; 686 (1984), 336 ; Bp c. Cooper, 566 n°10- 209 slip. op. (2012) (conseil erroné lors de la négociation de la peine).
46 CEDH, Vamvakas c. Grèce (n° 2), 2870/11, 8 36 ; Bj c. Portugal, 88 65 et 71 ; Bj c. Portugal, Requête n° 38830/97, CEDH 2002-VIII).
106. La Cour de céans note, en ce qui concerne la représentation judiciaire
efficace par le biais d’un système d'assistance judiciaire gratuite, qu’il ne
suffit pas que l’État mette à disposition un représentant judiciaire. Les États
doivent également veiller à ce que les personnes fournissant une
assistance judiciaire disposent de suffisamment de temps et de moyens
pour préparer une défense adéquate et pour assurer une représentation
efficace à tous les stades de la procédure judiciaire, et ce, depuis
l'’interpellation de l'individu à qui cette représentation est fournie.
107. La Cour relève que, lors de la mise en état, la Haute Cour a accédé à la
demande formulée par M° AIli Chamani, avocat du Requérant, à l’effet qu’un
autre avocat soit désigné pour représenter le Requérant et le co-accusé,
après avoir décelé un conflit d'intérêts entre deux frères accusés. Le
Requérant était donc représenté par M° Ya Ag lors de la mise en état
et par AN Xl Ay Aa lors du procès. La Cour observe qu’il ne résulte
du dossier aucun élément démontrant que l’État défendeur a empêché le
conseil d'accéder au Requérant et de le consulter sur la préparation de sa
défense ou qu’il n’a pas accordé au conseil désigné le temps et les moyens
nécessaires pour permettre au Requérant de préparer sa défense.
108. La Cour a considéré dans ses arrêts antérieurs que les allégations relatives
au fait que le conseil n’a pas soulevé certaines questions de preuve ou n’a
pas soulevé d'exception à cet égard dans le cadre de la défense de son
client ne devraient pas, dans ces circonstances, être imputées à l’État
défendeur.” Qui plus est, il ne ressort du dossier aucun élément
démontrant que le Requérant a informé les juridictions nationales des
manquements allégués dans la conduite du conseil en ce qui concerne sa
défense. Le Requérant avait la latitude de faire part aux juridictions
respectives de son mécontentement quant à la manière dont il a été
représenté.
47 Bf Az c. République-Unie de AO, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 8 113.
109. Au vu de ce qui précède, la Cour constate que l’État défendeur s’est acquitté
de son obligation de fournir au Requérant une assistance judiciaire gratuite
et effective et en conclut que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c)
de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP.
ii. Sur la déclaration de culpabilité sur des preuves insuffisantes
110. Le Requérant affirme que l’État défendeur avait incontestablement
l’obligation d'identifier les faiblesses critiques dans les éléments de preuve
produits par le ministère public contre le Requérant et de chercher à
consolider les preuves avant de le déclarer coupable. En lieu et place, il l’a
déclaré coupable sur le fondement de témoignages douteux concernant son
identification et d’aveux extorqués à un enfant, éliminant ainsi toute
présomption d’innocence et violant, en conséquence, son droit à un procès
équitable.
111. Il fait valoir que l’article 7(1)(b), énonce le droit à la présomption d’innocence
jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente.
Citant la jurisprudence de la Cour européenne, le Requérant soutient
qu’une déclaration de culpabilité fondée sur des preuves non convaincantes
porte atteinte à la présomption d’innocence et donc au droit à un procès
équitable. En outre, la Cour de céans a conclu dans les affaires Zs
AP AO et Cm c. AO qu’une condamnation devrait être fondée
sur des preuves solides et crédibles et qu’une condamnation pénale doit
être « établie avec certitude ».
112. Le Requérant allègue qu’il a été condamné sur la base de preuves non
corroborées, partielles et peu fiables, violant ainsi son droit à la présomption
d’innocence. Il fait valoir que l’accusation portée à son encontre reposait
essentiellement sur le témoignage d’un témoin oculaire, qui aurait identifié
le Requérant de nuit, dans des conditions de visibilité limitée et dans un
contexte de stress lié à des événements traumatisants. En outre, le
ministère public n’a ni corroboré ni évalué correctement les preuves
d'identification, somme toute peu fiables et contradictoires, sur la base desquelles le Requérant a été identifié comme étant l’agresseur de la
victime. Le Requérant affirme également, par exemple, qu’il y avait des
divergences entre les témoignages du témoin oculaire et ceux d’autres
témoins quant aux vêtements que le Requérant portait, au fait de savoir s’il
s’est introduit par effraction au domicile du défunt ou s’il y a accédé en
passant par la porte qui était ouverte, ainsi qu’aux mots qui auraient été
prononcés. || affirme que tout doute concernant la crédibilité du témoin
oculaire aurait dû être levé en sa faveur.
113. Une autre question soulevée par le Requérant à cet égard tient au fait que
la juridiction d'instance a admis comme preuve une déclaration du co-
accusé, son frère Bz Y, qui n’était âgé que de quinze ans à
l’époque, mais qui a, par la suite, affirmé que son témoignage avait été
obtenue sous la contrainte et enregistrée de force après qu’il a été battu par
la police à l’aide d’une matraque, et qu’il avait ensuite rétracté ledit
témoignage. Le Requérant soutient, en outre, que l’État défendeur n’a
produit aucune preuve de l’existence de l’arme du crime ni apporté la
preuve de l’intention du Requérant de commettre le meurtre. Le Requérant
en déduit que, l’État défendeur ne s’est pas acquitté de la charge de la
preuve au-delà de tout doute raisonnable, et a, par là même, violé son droit
à la présomption d’innocence.
114. Enfin, le Requérant soutient qu’il a été arrêté, privé de la compagnie de sa
femme et de ses enfants pendant 17 ans sur la base d’une déclaration de
culpabilité et d’une condamnation inappropriées, ce qui, selon lui, a foulé
au pied « son droit à la présomption d’innocence ».
115. L’État défendeur fait valoir que la Cour de céans n’a pas pour mandat
d’examiner ou d’établir si le ministère public a ou non prouvé la culpabilité
du Requérant, mais que sa fonction consiste plutôt à vérifier si la procédure,
prise dans son ensemble, a été équitable. Elle n’est pas habilitée à imposer
sa propre appréciation des faits et des preuves, cet exercice incombant aux juridictions nationales. L'État défendeur affirme que l’article 7 de la Charte
implique l'examen de l’équité de la procédure à tous les stades et non
l’évaluation des éventuels vices de procédure. Il fait valoir que, en l’espèce,
il n’existe aucun élément de preuve indiquant que le procès n’a pas été
équitable ni que les procédures ont été entachées d'’irrégularités.
116. L'État défendeur affirme, en particulier, que les preuves produites ont
incontestablement conduit à la conclusion que c’est le Requérant et nulle
autre personne qui a ôté la vie au dénommé Clement Ce. En outre, la
juridiction d'instance et la Cour d'appel ont apprécié les preuves et ont été
convaincues de la culpabilité du Requérant. I! conclut en affirmant que la
question de la recevabilité des preuves en justice est un point sur lequel
l’État partie doit se voir accorder une marge d’appréciation.
117. L'article 7(b) de la Charte dispose :
« [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
a. le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout
acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et
garantis par les conventions, les lois, règlements et
coutumes en vigueur ;
b. le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa
culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
c. le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un
défenseur de son choix ;
d. le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une
juridiction impartiale.
118. La Cour relève que l’article 14(2) du PIDCP dispose :
« Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente
jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».
119. Elle observe également que l’article 14(3)(e) du PIDCP prévoit que :
« toute personne accusée d’une infraction pénale a droit, en pleine égalité,
à interroger ou faire interroger les témoins à charge et à obtenir la
comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes
conditions que les témoins à charge ».
120. La Cour a conclu que, même si elle ne peut se substituer aux juridictions
nationales pour évaluer les particularités des preuves utilisées lors des
procédures internes, elle conserve le pouvoir discrétionnaire d’apprécier si
la manière dont ces preuves ont été examinées est en conformité avec les
normes internationales pertinentes en matière de droits de l’homme.“ L'une
des préoccupations principales, à cet égard, consiste à veiller à ce que
l’examen des faits et des preuves par les juridictions nationales ne soit pas
manifestement arbitraire ni ne conduise à un déni de justice au détriment
121. À cet égard, la Cour observe que le Requérant soutient qu’il n’a pas été
présumé innocent en violation de la Charte, sans en apporter la moindre
preuve. La Cour relève, toutefois, que lors de la mise en état, le Requérant
a été invité à plaider sa cause et qu’il a ensuite été jugé, qu’une procédure
de voire dire a été menée afin déterminer le caractère volontaire de la
déclaration de son co-accusé dont le témoignage a entraîné la déclaration
de culpabilité du Requérant, qu’il a bénéficié d’une assistance judiciaire
gratuite, qu’il a témoigné pour sa propre défense et qu’il a exercé son droit
d'appel jusque devant la Cour d’appel. À la lumière de ce qui précède, et
en l’absence de toute preuve convaincante du contraire, la Cour conclut que
son droit à la présomption d’innocence n’a pas été violé.
# Voir Ys Zs c. République- Unie de AO (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 88 26 et
61 ; Cb Bo c. République-Unie de AO (fond) (2019) 3 RICA 87, 88 52 à 63 ; Bn AP AO, supra, 88 105 à 111 ; Bv Yd Bv et un autre c. AO (fond), 88 59 à 64. #9 Voir Zs AP AO (fond), 88 26 et 173 ; et Zj et un autre c. AO (fond), 8 38.
122. En ce qui concerne l’identification de nuit par un témoin oculaire et dans
des conditions de visibilité réduite, la Cour note au regard du comptes rendu
des audiences que le Requérant a été clairement identifié par sa voisine,
épouse du défunt, comme étant l’agresseur qui a passé son enfance avec
ses fils et avait l'habitude de jouer avec eux. Elle a clairement identifié trois
(3) des cinq (5) bandits qui ont saccagé sa résidence, volé le couple,
commis un homicide sur son mari dans la foulée et l’ont rouée de coups.
123. Le 23 juillet 2010, la Haute Cour, après avoir entendu les quatre (4) témoins
à charge et examiné les cinq (5) pièces à conviction produites, a constaté
que les moyens produits constituaient des preuves prima facie de la
culpabilité des accusés. Ensuite, la Cour a informé le Requérant et ses co-
accusés de leur droit de témoigner et de citer des témoins à décharge,
conformément à l’article 293(2)(a) et (b) de la CPA. Son avocat a répondu
que le Requérant témoignerait sous serment et qu’il n'avait pas de témoins
à citer.
124. La Cour observe qu’à l'issue du procès, les trois (3) assesseurs ont émis
un avis commun indiquant que le ministère public avait prouvé ses
arguments au-delà de tout doute raisonnable et que le Requérant était
l’auteur du meurtre de M. Cl Ce et nulle autre personne. Les
assesseurs ont fondé leur décision sur le fait que l’épouse du défunt a
précisément décrit les vêtements que le Requérant portait le jour fatidique,
l’agression de son mari, la conversation qui a eu lieu au cours du vol et le
fait que le Requérant était au courant de la vente du café, qu’il a admis
pendant le procès avoir aidé le couple à effectuer.
125. La Cour observe que le témoignage sur les vêtements que portait le
Requérant a été corroboré par deux autres témoins, à savoir PW2 et PW3.
Par ailleurs, la preuve de l’identité du Requérant a été corroborée par son
propre frère, le co-accusé Bz Y, qui a affirmé dans sa déclaration
extrajudiciaire enregistrée par le juge de paix le 8 septembre 2003, que
c’était le Requérant qui l’avait convaincu de se joindre à lui pour le cambriolage. La Cour estime que l’allégation du Requérant selon laquelle il
a été déclaré coupable au motif de preuves insuffisantes doit être étayée.
126. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle la déclaration de culpabilité
était fondée sur des témoignages incohérents des témoins à charge, la
Cour observe que la Haute Cour a admis qu’il y avait effectivement des
incohérences, mais que celles-ci n’étaient pas déterminantes et n’avaient
aucune incidence sur la culpabilité et la condamnation du Requérant. Elle a
également constaté que la défense du Requérant n’avait pas soulevé de
doute raisonnable sur le dossier du ministère public. En outre, le Requérant
avait prémédité le meurtre du défunt. La Cour de céans observe également
que la conclusion de la Haute cour relative à l’identification du Requérant a
été confirmée par la Cour d’appel.
127. Au regard de ce qui précède, la Cour de céans considère que la manière
dont les juridictions internes, notamment la Cour d’appel, ont apprécié les
éléments de preuve ne révèle aucune erreur apparente ou manifeste ayant
entraîné un déni de justice et que la condamnation n’était pas fondée sur
des preuves insuffisantes comme le prétend le Requérant.
128. Elle en conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable, consacré par les articles 7(b) et (c) de la Charte, lus
conjointement avec les articles 14(2) et 14(3)(e) du PIDCP, en ce qui
concerne les preuves sur le fondement desquels le Requérant a été
condamné.
iii. Sur le jugement du Requérant dans un délai non-raisonnable
129. Le Requérant affirme que l’État défendeur l’a détenu en toute illégalité
pendant une période anormalement longue de sept (7) ans entre son
arrestation et son procès, ce qui, selon lui, constitue une violation majeure
équivalant à une détention arbitraire et une violation de son droit à la liberté.
Il soutient que le retard excessif accusé avant l’ouverture de son procès n’était nullement justifié, surtout qu’il ne semble pas y avoir eu d’enquêtes
policières approfondies sur le crime.
130. L'État défendeur n’a pas spécifiquement conclu sur cette question, mais a
formulé des observations générales en soutenant qu’il n’avait pas violé
l’article 7 de la Charte, dans la mesure que les procédures afférentes au
procès ont été équitables et que toutes les exigences énoncées dans ledit
article ont été satisfaites. Par ailleurs, les procédures en première instance
dans l’affaire pénale n° 8 de 2004 et en appel dans l’appel pénal n° 230 de
2010 ont été menées conformément aux lois et aux procédures en vigueur.
131. La Cour observe que l’article 7(1)(d) de la Charte prévoit que toute
personne a « le droit d’être jugée dans un délai raisonnable par une
juridiction impartiale ».
132. La Cour note qu’en l’espèce, le délai contesté par le Requérant est la
période qui s’est écoulée entre son arrestation et l’ouverture du procès. Il
résulte du dossier qu'après l’arrestation du Requérant, le 31 août 2003, il a
été inculpé pour meurtre. Le 10 novembre 2004, le Requérant et ses co-
accusés ont comparu devant la Haute Cour de AO à Bx dans
le cadre de l’audience de mise en état. Le procès s'est ouvert devant la
Haute Cour siégeant à Bukoba le 22 juillet 2010, et un voire dire (procédure
incidente) a été menée afin de déterminer le caractère volontaire ou non de
la déclaration extrajudiciaire faite par le dénommé Bz Y, frère et
co-accusé du Requérant. La Cour a conclu que la déclaration extrajudiciaire
était recevable et a ainsi ordonné qu’elle soit versée au dossier. Le procès
s’est achevé le 6 août 2010. Le 12 août 2010, le Requérant a saisi la Cour
d’appel d’un recours. La Cour d’appel a connu dudit recours le 25 novembre
2011 et l’a rejeté le 28 novembre 2011 pour défaut de fondement.
133. La Cour observe que la période précédant le procès s’est étendue depuis
l’arrestation du Requérant, le 31 août 2003, jusqu’à la date d'ouverture du
procès, le 22 juillet 2010, soit une période de six (6) ans, dix (10) mois et
vingt-deux (22) jours. La Cour doit donc déterminer si ce délai peut être
considéré comme raisonnable, compte étant tenu des facteurs pertinents.
134. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, lorsqu’un requérant est
détenu, l’État défendeur a l’obligation de veiller à ce que l'affaire soit traitée
avec la diligence voulue et avec célérité, en particulier lorsqu’il n’y a pas
d'obstacles imputables au Requérant et que le retard n’est pas dû à la
complexité de l’affaire.° En outre, la Cour rappelle que divers facteurs sont
pris en compte pour établir si justice a été rendue ou non dans un délai
raisonnable au sens de l’article 7(1)(d) de la Charte. Ces facteurs
comprennent la complexité de l'affaire, le comportement des parties et celui
des autorités judiciaires qui ont un devoir de diligence raisonnable dans des
circonstances où une peine sévère est encourue.S-
135. La Cour relève, en l’espèce, que le Requérant est resté en détention sur
une période de six (6) ans, dix (10) mois et vingt-deux (22) jours avant
l'ouverture du procès. Elle observe que l’État défendeur n’a pas fourni
d'explications quant au fait que le procès du Requérant s’est ouvert six (6)
ans, dix (10) mois et vingt-deux (22) jours après son arrestation. I! déclare
de manière générale que « les procédures afférentes au procès ont été
équitables et que toutes les exigences énoncées dans ledit article ont été
satisfaites et que les poursuites ont été menées conformément aux lois et
aux procédures en vigueur ».
136. La Cour observe également qu’il ne ressort du dossier aucun élément
indiquant que le Requérant a fait obstruction au déroulement des enquêtes
avant sa comparution devant la Haute Cour, ni que l'affaire était complexe,
5° Voir Bn AP AO, supra, 88 122 à 124. Voir également Xj Xc AP AO (fond), 8 104 ; Cr Ar Xt et autres c. République-Unie de AO (fond) (2016) 1 RICA 526, 8 155 ; et Bf Cp et autres c. Zu Au (fond) (2014) 1 RICA 226, 88 92 à 97, 152 ; Az AP AO, supra, 8 86.
51 Az AP AO, ibid., 8 85.
que des requêtes multiples ont été déposées ni que des ajournements ont
été sollicités. La Cour, estime donc que la période de six (6) ans, dix (10)
mois et vingt-deux (22) ne saurait être considérée comme raisonnable.
137. La Cour en conclut que l’État défendeur a violé le droit du Requérant d’être
jugé dans un délai raisonnable, inscrit à l’article 7(1)(d) de la Charte.
iv. Sur le défaut de services d’interprétation
138. Le Requérant allègue que l’État défendeur ne lui a pas fourni d’interprète
lors de la procédure de mise en état et du procès, bien que sa langue
maternelle soit le kinyambo. || affirme que le procès s’est déroulé en
kiswahili et en anglais, ce qui a créé une barrière linguistique, d'autant plus
qu’il ne comprenait pas l’anglais à l’époque. Il affirme, notamment, qu’il n’a
pas pu participer utilement à son procès car il ne comprenait pas ce que
disaient les témoins, le juge et les assesseurs, et qu’il rencontrait également
des difficultés à communiquer avec son avocat. || affiime que si un
interprète avait été mis à sa disposition, il aurait soulevé des exceptions et
demandé que les observations de son avocat qui s’écartaient de sa position
ne soient pas prises en compte par la Cour.
139. Invoquant l’article 14(3)(f) du PIDCP et bien d’autres affaires,*? le Requérant
soutient que dans la mesure où il ne comprenait pas la langue utilisée au
cours de la procédure pénale, il avait droit à l’assistance gratuite d’un
interprète, même s'il n’en avait pas spécifiquement fait la demande.** Il fait
valoir que le droit à un interprète découle du droit à un procès équitable et
s’étend au-delà du procès pénal ainsi qu’à tous les stades de la procédure
judiciaire, notamment en ce qui concerne les documents et les procédures
lors de la détention provisoire.**
5? Bu c. Turkménistan, Comité des droits de l'homme, Communication n° 1530/2006, (27 octobre 2010), 8 72 ; Yg AP Zg, Comité des droits de l'homme, Communication n° 1870/2009, (27 juillet 2010), 8 72.
53 Cj c. Italie, CEDH, Arrêt, Requête n° 18114/02 (18 octobre 2007), 8 70.
54 Ze c. Suède, CEDH, Arrêt, Requête n° 13205/07 (5 janvier 2010), 8 23 ; Luedicke, Belkacem et Xx c. Allemagne, CEDH, Arrêt, Requête n° 13205/07 (28 novembre 1978), 8 48.
140. L'État … défendeur n’a pas apporté de réponse spécifique à cette allégation, mais a affirmé de manière générale que le procès du Requérant s’était déroulé conformément à l’article 3(2) de la Charte et que le Requérant n’avait fait l’objet d’aucune discrimination. En outre, il a été représenté par un avocat lors de ses deux procès, devant la Haute Cour et devant la Cour 141. L'article 3 de la Charte garantit le droit à une égale protection de la loi et à l’égalité devant la loi, comme suit :
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi. 2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
142. La Cour a examiné la question de la fourniture de services d’interprétation et a conclu dans ses arrêts précédents que « même si l’article 7(1)(c), de la Charte ne prévoit pas expressément le droit de se faire assister par un interprète, il peut être compris à la lumière de l’article 14(3)(a), du PIDCP, qui prescrit que :
« toute personne accusée d’une infraction pénale a le droit … a) à être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle et f) à se faire assister gratuitement d’un interprète si elle ne comprend
pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience ».°°
143. Il ressort donc d’une lecture conjointe des deux dispositions que tout accusé
a droit à un interprète s’il n’est pas à même de comprendre la langue dans
laquelle se déroule le procès. En outre, la Cour a estimé qu’il est
pratiquement nécessaire, lorsqu’un accusé est représenté par un avocat,
que le besoin d'interprétation soit porté à la connaissance de la Cour ».°6 Si
55 Bn AP AO, supra, 8 73 ; Az AP AO, supra, 88 126 à 127 ; Yj Bl An c. République-Unie de AO, CAÏDHP, Requête n° 023/2016, Arrêt du 25 juin 2021 (fond et réparations), 8 93.
56 Makame c. AO, ibid, 8 93.
un requérant ne s'oppose pas à la poursuite de la procédure dans une
langue autre que la sienne, il sera réputé avoir compris les procédures et
avoir accepté la manière dont elles se sont déroulées.*”
144. En l’espèce, la Cour observe qu'il ressort du compte rendu des audiences
qu’à l’audience préliminaire du 10 novembre 2004, le Requérant a bénéficié
des services d’un interprète, en la personne de M. Ao Bo, qui a
interprété les débats de l’anglais vers le kiswahili et vice versa, et qu’il était
représenté par M° Katabalwa. L’infraction et les détails ont été lus au
Requérant et au co-accusé dans leur « propre langue » et tous deux ont
plaidé non coupable en ces termes : « Siyo kweli », ce qui en kiswahili
signifie « ce n’est pas vrai ». Par la suite, un plaidoyer de non-culpabilité a
été enregistré. La Cour observe que les accusés ont plaidé en kiswahili et
qu’à aucun moment de la procédure le Requérant ne s’est opposé à la
poursuite des débats. Il n’a pas expressément soulevé d’exception, ni
informé la Cour ou son conseil qu’il ne comprenait pas la langue employée
au cours de la procédure et n’a pas demandé à bénéficier des services d’un
145. Dans ces circonstances, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas violé
l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(a) du
PIDCP, en ce qui concerne le défaut allégué de services d’interprétation au
cours de son procès.
146. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que la seule violation établie
à l’égard du Requérant en ce qui concerne le droit à un procès équitable se
rapporte à son droit à être jugé dans un délai raisonnable, protégé par
l’article 7(1)(d) de la Charte.
57 Bn AP AO, supra, 8 77.
58 Ibid, 8 77.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
147. Le Requérant demande à la Cour d’annuler la déclaration de culpabilité et
la peine prononcée à son encontre, d’ordonner sa remise en liberté et de
lui octroyer des réparations pour la perte de ses moyens de subsistance.
148. Pour sa part, l’État défendeur demande à la Cour de rejeter dans leur
intégralité les demandes de réparation formulées par le Requérant au motif
qu’elles sont dénuées de tout fondement étant donné que la Cour n’a pas
compétence pour annuler la condamnation prononcée à l'encontre du
Requérant.
149. La Cour relève qu’aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « [I]orsqu’elle
estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y
compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d'une
réparation ».
150. La Cour considère, conformément à sa jurisprudence constante, que pour
qu’une réparation soit accordée, l’État défendeur reconnu coupable d’un fait
internationalement illicite est tenu de réparer intégralement le préjudice
causé à la victime.5° Deuxièmement, le lien de causalité doit être établi entre
l’acte illicite et le préjudice allégué. En outre, et lorsqu’elle est accordée, la
réparation doit couvrir l’intégralité du dommage subi. Il est également clair
qu’il incombe au Requérant de justifier les demandes formulées.®°
59 Yv Xq Zl c. République-Unie de AO, CAfDHP, Requête n° 005/2016, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 88 ; Cr Ar Xt et 9 autres c. République-Unie de AO (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 322, 8 13 ; Zo Yo Cz c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 19 ; Yb c. République du Malawi, précité, 8 108. 60 Bf Cp et autres c. Zu Au (réparations) (5 juin 2015) 1 RICA 265, 88 20 à 31 ; Xi Zk Zc AP Zu Au (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 88 52 à 59 et Yf Ca Zf Xe c. République-Unie de AO (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 88 27 à 29.
151. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État pourrait prendre
afin de réparer une violation des droits de l'homme peuvent inclure la
restitution, l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures
propres à garantir la non-répétition des violations, compte étant tenu des
circonstances de chaque affaire.6!
152. La Cour rappelle qu’il incombe au Requérant de fournir des éléments de
preuve pour justifier ses demandes.? En ce qui concerne le préjudice
moral, la Cour a décidé que la règle de la preuve n’est pas rigide,°° car le
préjudice moral est présumé en cas de violation.“
153. En l’espèce, la Cour a constaté que l’État défendeur a violé le droit du
Requérant d’être jugé dans un délai raisonnable, prévu à l’article 7(1)(d) de
la Charte, en raison du retard accusé dans l’ouverture de son procès. La
Cour a également constaté qu’en imposant la peine de mort au Requérant,
l’État défendeur a violé son droit à un procès équitable, prévu à l’article 7(1)
de la Charte, son droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte et son
droit à la dignité, inscrit à l’article 5 de la Charte.
154. La Cour examinera les demandes de réparation du Requérant au regard de
ces conclusions.
A. Réparations pécuniaires
i. Préjudice matériel
155. Le Requérant demande à la Cour d’accorder à son épouse Xr Ab
Y et à ses trois enfants survivants, Cf Ab Y, Eric John
81 Cz c. Rwanda (réparations), ibid., 8 20. Voir également Ah AP AO, supra, 8 96. 82 Bd Xu et autres c. République du Rwanda, CAfDHP, Requête n° 017/2015, Arrêt du 28 novembre 2019, 8 139 ; voir également Xe AP AO (réparations), supra, 8 40 ; Zc AP Zu Au, ibid., 8 15(d) ; et Ah AP AO, supra, 8 97.
8 Cp et autres c. Zu Au (réparations), 8 55. Voir également Ah AP AO, supra, 8 97.
84 Rajabu et autres c. AO, supra, 8 136 ; Bn AP AO, supra, 8 55 ; Cn Xh Ye c. République-Unie de AO, CAÏDHP, Requête n° 009/2015, Arrêt du 28 mars 2019 (fond et réparations), 8 119 ; Cp et autres c. Zu Au, ibid., 8 55 ; et Ah AP AO, ibid., 8 97.
Y et Yk Ab Y, des réparations matérielles. Il affirme
qu’avant son arrestation, il tirait un revenu annuel équivalent à douze
millions, six cent cinquante mille (12 650 000) shillings tanzaniens de ses
activités de menuisier et d’agriculteur. En conséquence directe des actions
de l’État défendeur, il a perdu ce revenu au cours des dix-sept (17)
dernières années. Par conséquent, il sollicite des dommages et intérêts à
concurrence de deux-cent quinze millions, cinquante mille (215 050 000)
shillings tanzaniens pour la perte de revenus pendant son incarcération. Il
affirme également que sa famille a dépensé onze mille (11 000) shillings
pour lui rendre visite en prison et demande le remboursement des frais de
déplacement.
156. L'État défendeur conclut au rejet de la demande.
157. La Cour rappelle que pour qu’il soit accordé des réparations au titre du
préjudice matériel, le Requérant doit démontrer l’existence d’un lien de
causalité entre la violation établie et le préjudice subi et produire les pièces
justificatives de ce préjudice.®° En outre, le Requérant est tenu de justifier
les montants réclamés.°° Le Requérant doit également fournir des preuves
acceptables des dépenses qu’il allègue avoir encourues, telles que les
reçus des paiements.87
158. En l’espèce, la Cour observe que le Requérant n’a fourni aucune pièce
justificative à l’appui de sa demande et n’a pas établi de lien entre les
allégations de violations et les dommages subis. En conséquence, la Cour
rejette cette demande.
85 Voir Bn AP AO, supra, 8 181 ; Cp et autres c. Zu Au, supra, 8 62 ; Az AP AO, supra, 8 180.
86 Cp et autres c. Zu Au, supra, 8 81 et Xe AP AO, supra, 8 40.
87 Ca Aw c. République-Unie de AO, Requête n° 0011/2015, Arrêt du 25 septembre 2020 (réparations), 8 20 et Bn AP AO, supra, 8 18.
ii. Préjudice moral subi par le Requérant
159. Le Requérant affirme avoir enduré de graves souffrances, en raison de la
violation de ses droits protégés par la Charte, lors de son arrestation et du
fait de sa condamnation et des 16 années qu’il a passées en réclusion, dont
neuf (9) dans le couloir de la mort. Il soutient, en outre, que les années
d’incarcération lui ont causé une détresse et une angoisse considérables
graves et ont sérieusement affecté son bien-être physique et mental. Il fait
valoir que, pendant son incarcération, il a été traité pour un certain nombre
d’affections liées au traumatisme et à la détresse provoqués par la violation
de ses droits fondamentaux et demande à la Cour d’ordonner que des
réparations lui soient versées à concurrence d’un montant qu’elle jugera
approprié.
160. Le Requérant fait valoir que dans l'affaire Konaté, la Cour a alloué vingt
mille (20 000) dollars EU au requérant à titre de réparation du préjudice
moral, celui-ci ayant été détenu pendant douze (12) ans. Le Requérant
soutient qu’il a passé plus de dix-sept (17) ans en prison et qu’il devrait donc
se voir accorder dix-sept fois plus que le montant accordé à Konaté. Il
demande donc à la Cour de lui accorder trois-cent quarante mille (340 000)
dollars EU, soit sept-cent quatre-vingts million six-cent dix mille six-cent
vingt (788 610 620) shillings tanzaniens.
161. L'État défendeur conclut au rejet de la demande.
162. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Yz Bn c.
République-Unie de AO, où, en raison d’un retard accusé dans
l’ouverture du procès du Requérant, elle a conclu comme suit : « dans les
circonstances de l’espèce, où le requérant était accusé de meurtre et
risquait la peine capitale, ce retard pouvait lui causer des souffrances morales. Le préjudice qui en a résulté justifie l’octroi d'indemnisation dont
l'évaluation sur la base de l'équité relève de la discrétion de la Cour ».6ê
163. La Cour rappelle, en outre, sa jurisprudence en l’affaire Ya Ch et
autres c. République-Unie de AO,®° dans laquelle elle a fait observer
que :
la longue détention préventive dans l’attente de l'exécution faisait subir
aux personnes condamnées « une anxiété mentale grave s’ajoutant à
d’autres circonstances, notamment : … la manière dont la peine avait
été inflgée ; le défaut de considération des caractéristiques
personnelles de l’accusé ; la disproportionnalité entre le châtiment et
le crime commis ; … Le fait que le juge ne tienne pas compte de l’âge
ou de l’état mental du condamné ; ainsi qu’une anticipation continue
sur les manières possibles de les exécuter.”°
164. En ce qui concerne l’allégation du Requérant selon laquelle les années
d’incarcération lui ont causé une détresse et une angoisse considérables,
et ont sérieusement affecté son bien-être physique et mental, la Cour
observe que ces souffrances alléguées se sont produites pendant la
période de détention provisoire de six (6) ans, dix (10) mois et vingt-deux
(22) jours. La Cour estime que si le Requérant avait été jugé plus
promptement, compte tenu de son statut d’accusé encourant la peine de
mort, la détresse mentale et l’angoisse qu’il a ressenties auraient été
atténuées. Le préjudice qui en découle justifie des réparations que la Cour
a le pouvoir discrétionnaire d'évaluer sur la base de l’équité.
165. Compte tenu des circonstances de l'espèce et à la lumière de la
jurisprudence de la Cour selon laquelle un jugement en faveur d’une victime
constitue en soi une forme de satisfaction et de réparation du préjudice
moral,”* la Cour, dans l’exercice de son pouvoir d'appréciation, accorde au
68 Bn AP AO, ibid., 8 181.
9 Rajabu et autres c. AO, supra, 88 149 et 150.
70 Yw c. AO, supra, 8 15.
71 Xe AP AO (réparations), supra, 8 45.
Requérant la somme de cinq cent mille (500 000) shillings tanzaniens, en
réparation du préjudice moral.
B. Réparations non pécuniaires
ii Demande de remise en liberté
166. Le Requérant demande à la Cour d'annuler sa condamnation à mort et
d’ordonner sa remise en liberté. Il soutient que la remise en liberté constitue
le moyen le plus réaliste de lui octroyer une réparation adéquate, compte
tenu des conditions carcérales pénibles auxquelles il est soumis.
167. L'État défendeur conclut au rejet de la demande.
168. La Cour considère, en ce qui concerne ces demandes, que bien qu’elle
n’exerce pas de compétence d’appel à l’égard des juridictions nationales,
elle dispose du pouvoir d’ordonner toute réparation appropriée, lorsqu'elle
constate que les procédures nationales n’ont pas été menées dans le
respect des normes internationales. ”?
169. En ce qui concerne l’ordonnance d'annulation de la condamnation du
Requérant, la Cour note qu’elle n’a pas établi si la condamnation du
Requérant était ou non justifiée. La Cour s’intéresse plutôt à la conformité
des procédures devant les juridictions nationales avec les dispositions des
instruments relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État défendeur.73
7? Voir Bn AP AO, supra, 8 33 ; Bz AP AO, supra, 8 81 ; Zs AP AO (fond), supra, 8 28.
73 Xv Yr c. République-Unie de AO, CATDHP, Requête n° 047/2016, Arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), 8 56 ; Bz AP AO, ibid, 8 54. Voir également Ernest Bb Ck c. AO (compétence), 8 14 ; Xc AP AO, supra, 8 130 ; Zs AP AO, supra, 88 25 et 26 ; Xz AP AO, supra, 8 65.
170. La Cour rappelle sa jurisprudence établie selon laquelle elle ne peut
ordonner la remise en liberté que « [s]i un requérant démontre à suffisance
ou si la Cour elle-même établit, à partir de ses constatations, que
l’arrestation ou la condamnation du Requérant repose entièrement sur des
considérations arbitraires et que son maintien en détention résulterait en un
déni de justice.“
171. En l'espèce, la Cour rappelle qu’elle a conclu que l’État défendeur a violé le
droit du Requérant à un procès équitable, protégé par l’article 7(1)(d) de la
Charte en ce qui concerne le droit d’être jugé dans un délai raisonnable et
qu’elle a ordonné une réparation à cet égard.
172. En ce qui concerne la demande de remise en liberté, la Cour renvoie à sa
jurisprudence constante selon laquelle une mesure telle que la libération du
Requérant ne peut être ordonnée que dans des circonstances spécifiques
ou impérieuses.”* En outre, le vice de procédure sous-tendant la demande
d’une mesure particulière doit avoir fondamentalement affecté les
procédures nationales pour justifier une telle demande.”6
173. En l’espèce, et comme elle l’a observé dans une affaire similaire concernant
une demande de mise en liberté, la Cour estime que les violations
constatées n’ont pas affecté les processus qui ont conduit à la déclaration
de culpabilité et à la condamnation du Requérant dans la mesure où il aurait
été dans une position différente si lesdites violations ne s’étaient pas
produites.”” En outre, le Requérant n’a pas démontré à suffisance, ni la
Cour établi, que la déclaration de culpabilité et sa condamnation étaient
fondées sur des considérations arbitraires et que son maintien en détention
74 Bz AP AO, supra, 8 82 ; Voir également Xa et Cd AP AO, supra, 8 96 ; Xd Cc Ap c. République-Unie de AO (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 570, 8 84 ; Ah AP AO, supra, 8 111 et Requête n° 047/2016, Xv Yr c. République-Unie de AO CAfDHP, Requête n° 047/2016, Arrêt du 30 septembre 2021, 8 93.
75 Voir par exemple Xc AP AO, supra, 8 157.
76 Bn AP AO, supra, 8 164.
77 Ibid, 8165.
78 Voir Bz AP AO, supra, 8 82.
174. La Cour considère que cette demande n’est pas fondée et la rejette en
conséquence.
175. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de modifier
ses lois pour prendre en compte le respect du droit à la vie, protégé par
l’article 4 de la Charte africaine, en supprimant la peine de mort obligatoire,
prévue pour les cas de meurtre.
176. L'État défendeur conclut au débouté.
177. La Cour a examiné cette question dans ses arrêts précédents et a ordonné
à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires afin de
supprimer de son code pénal la disposition prévoyant l’imposition
obligatoire de la peine de mort.”° La Cour réitère donc cette ordonnance en
l’espèce.
iii. Publication de l’arrêt
178. Bien que le Requérant n’ait pas sollicité de mesure en vue de la publication
du présent Arrêt, conformément à l’article 27 du Protocole et aux pouvoirs
inhérents de la Cour, elle examinera cette mesure.
179. La Cour rappelle sa position selon laquelle « un arrêt, peut constituer, en
soi, une forme suffisante de réparation du préjudice moral ».8 Néanmoins,
79 Rajabu et autres c. AO, supra, 8 136 ;Bn AP AO, supra, 8 171 (xv et xvi) ; Az AP AO, supra, 8 217 (xvi).
80 Voir Xe AP AO (réparations), supra, 8 45.
dans ses arrêts antérieurs, la Cour a ordonné suo motu la publication de
ses arrêts lorsque les circonstances le requièrent.8!
180. La Cour observe que, en l’espèce, la violation du droit à la vie par la
disposition relative à l'imposition obligatoire de la peine de mort va au-delà
du cas individuel du Requérant et revêt un caractère systémique. La Cour
note, en outre, que sa conclusion dans le présent Arrêt porte sur un droit
suprême consacré par la Charte, à savoir le droit à la vie.
181. À la lumière de ce qui précède, la Cour ordonne la publication du présent
Arrêt sur les sites web du pouvoir judiciaire et du ministère des Affaires
constitutionnelles et juridiques.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
182. Le Requérant n’a formulé aucune demande relative aux frais de procédure.
183. L'État défendeur demande, quant à lui, que les frais de procédure soient
mis à la charge du Requérant.
184. Aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
185. La Cour estime qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du principe posé par
cette disposition et ordonne, en conséquence, que chaque Partie supporte
ses frais de procédure.
81 Voir Bn AP AO, supra, 8 194 ; Xe AP AO, ibid., 8 45 et 46(5) et Cp et autres c. Zu Au (réparations), supra, 8 98.
186. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
i. Rejette l’exception d’incompétence matérielle ;
i. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
ii. — Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte,
lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, en ce qui
concerne le défaut d'assistance judiciaire effective ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable, protégé par l’article 7(b) et (c) de la Charte, lu
conjointement avec les articles 14(2) et 14(3)(e) du PIDCP, en
ce qui concerne la condamnation du Requérant sur la base de
preuves insuffisantes ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte,
lu conjointement avec l’article 14(3)(a) du PIDCP, en ce qui
concerne le défaut de services d'interprétation lors du procès du
Requérant ;
vii. Dit que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(d) de la Charte pour
n’avoir pas jugé le Requérant dans un délai raisonnable.
À la majorité de huit (8) voix pour et deux (2) contre, les Juges Blaise
TCHIKAYA et Dumisa B. NTSEBEZA étant dissidents sur la question de la
peine de mort,
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la vie, protégé par
l’article 4 de la Charte, en ce qui concerne la disposition de son
Code pénal prévoyant la condamnation obligatoire à la peine de
mort ;
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant d’être traité
avec dignité, protégé par l’article 5 de la Charte, en ce qui
concerne le mode d’exécution de la peine de mort, à savoir la
pendaison.
À l’unanimité,
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
xi. Rejette la demande de réparation formulée par le Requérant au
titre du préjudice matériel ;
xii. Fait droit à la demande de réparations formulée par le Requérant
au titre du préjudice moral et lui alloue la somme de cing-cent-
mille (500 000) shilling tanzaniens ;
xiii. Ordonne à l’État défendeur de verser la somme indiquée au point
(iii) ci-dessus, en franchise d'impôt, à titre de juste
compensation dans un délai de six (6) mois à compter de la
signification du présent arrêt, faute de quoi il sera tenu de payer
des intérêts moratoires calculés sur la base du taux en vigueur
de la Banque centrale de AO pendant toute la période de
retard jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
Réparations non-pécuniaires
xiv. Ordonne à l’État défendeur de prendre immédiatement toutes les
mesures nécessaires, dans un délai de douze (12) mois à
compter de la signification de l'arrêt, pour supprimer l'imposition
de la peine de mort obligatoire de son code pénal, étant donné
qu’elle empiète sur le pouvoir discrétionnaire des juges dans
l'imposition des peines ;
xv. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dès sa
signification, sur les sites internet du pouvoir judiciaire et du
ministère des Affaires constitutionnelles et juridiques, et de
veiller à ce qu’il y reste accessible pendant au moins un an à
compter de sa date de publication.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xvi. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la signification du présent Arrêt, un rapport
sur l’état de la mise en œuvre des mesures qui y sont contenues
et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que la Cour estime
que celle-ci a été pleinement mise en œuvre.
Sur les frais de procédure
xvii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; Jrdte fausse -
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; TN GE plezk,
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; H. : On + la
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ge
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge 30 ;
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(1) du Règlement, les
opinions dissidentes des Juges Blaise TCHIKAYA et Dumisa B. NTSEBEZA sont
jointes au présent Arrêt.
Fait à Alger, ce septième jour du mois de novembre de l’année deux-mille vingt-trois,
en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.