AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Be Y AH
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 014/2017
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS..
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
B Sur l’exception d’incompétence temporelle
C Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requête
! Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
ii. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
B Sur les autres conditions de recevabilité
DIR SUR LE FOND
A Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
B Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire gratuite
VIII SUR LES RÉPARATIONS
A Réparations pécuniaires
B Réparations non pécuniaires
! Sur la demande de remise en liberté
ii. Sur la demande de réouverture du procès
iii. Garanties de non-répétiti10
10 13U15L16 16A18 21 22O23D23E24DISPOSITIF 10
10
13
15
16
16
18
21
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23
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25
25 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
Be Y AH
représenté par :
M£ Xe Co AG, M/S Northern Law Chambers.
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Av Bp Xd AI, Az Ca, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Bc Bg A, Bq Az Ca, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme. Ap Z, Directrice chargée des droits de l’homme,
ministère des Affaires constitutionnelles et juridiques ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
iv. M. Bo Au Ar, Directeur adjoint, Constitution, droits de l’homme et
contentieux électoral, Bureau du Solicitor General ;
v. Mme. Cl C, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Be Y AH Bci-après dénommé « le Requérant ») est
un ressortissant tanzanien qui, au moment de l'introduction de la présente
Requête, était incarcéré à la prison centrale de Butimba dans la région de
Mwanza. Il a été reconnu coupable de viol sur une mineure de huit ans et
condamné à la réclusion à perpétuité. Il allègue la violation de ses droits
dans le cadre de la procédure devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la
« Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée « la Déclaration »), par laquelle elle
accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant
d'individus et d’organisations non gouvernementales. Le 21 novembre 2019
l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les affaires
pendantes, ni sur de nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un (1) an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22
novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le 16 avril 2013, le Requérant a attiré une fillette
de huit (8) ans à son domicile, lui promettant un morceau de savon pour sa
grand-mère malade, et l’a, par la suite, violée. Le Requérant a été mis aux
arrêts le 17 avril 2013 et inculpé de viol par le Tribunal de district de Chato,
le 18 avril 2013. Le 3 février 2014, il a été déclaré coupable de ce chef et
condamné à la réclusion à perpétuité.
4. Le 12 février 2014, le Requérant a interjeté appel de cette décision qui a été
confirmée par la Haute Cour de Tanzanie, siégeant à Ay, le 30 octobre
2014. Le 11 novembre 2014, il a saisi la Cour d'appel d’un recours contre
la décision de confirmation. Le 21 février 2016, ce recours a été rejeté pour
défaut de fondement.
B. Violations alléguées
5. Le Requérant allègue la violation de son droit à un procès équitable en ce
que :
ii Son droit à ce que sa cause soit entendue n’a pas été respecté ;
ii. Il n’a pas eu le bénéfice d’une assistance judiciaire gratuite.
? Bw Ao Br c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 88 37 à 39.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
6. La Requête a été reçue au Greffe le 2 mars 2017, mais n’a pas été
communiquée à l’État défendeur du fait qu’elle exigeait davantage de
précisions de la part du Requérant.
7. Le 24 mars 2017, la Cour a fait droit à la demande formulée par le
Requérant pour bénéficier d’une assistance judiciaire dans le cadre du
système d’assistance judiciaire pro bono de la Cour et a désigné M° Xe
AG pour représenter le Requérant devant la Cour.
8. Le 18 septembre 2017, M° Lairumbe a demandé à la Cour de l’autoriser à
déposer une Requête modifiée. Le 19 septembre 2017, la Cour a accédé à
cette demande. La Requête modifiée a été déposée le 20 octobre 2017 et
communiquée à l’État défendeur le 25 octobre 2017.
9. Après plusieurs prorogations de délais, les Parties ont déposé leurs
observations sur le fond et les réparations.
10. Les débats ont été clôturés le 26 juin 2019 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
11. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur a violé les droits du Requérant,
protégés par les articles 1, 3, 5, 6, 7(1) et 9(1) de la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de le remettre en liberté ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de juger à nouveau l'affaire du Requérant ;
iv. Condamner l’État défendeur à lui accorder des réparations ;
v. Ordonner à l’État défendeur de soumettre un rapport à la Cour de céans
tous les six (6) mois afin de rendre compte de l’exécution de son Arrêt ;
vi. Ordonner toutes autres mesures que la Cour de céans jugera
appropriées.
12. En ce qui concerne la compétence et la recevabilité, l’État défendeur
demande à la Cour de :
i. Dire et juger que la Cour de céans n’est pas compétente pour connaître
de la présente Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la
Cour ;
iii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à l’article 40(6) du Règlement intérieur de la
Cour ;
iv. Déclarer la Requête irrecevable et la rejeter en conséquence.
13. S’agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger qu’il n’a pas violé les articles 1, 3, 5, 6, 7(1) et 9(1) de la
Charte ;
ii. Rejeter les demandes formulées par le Requérant ;
iii. Dire et juger que le Requérant continue de purger sa peine ;
iv. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge
du Requérant.
SUR LA COMPÉTENCE
14. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
15. La Cour observe, conformément à la règle 49(1) du Règlement, qu’elle doit
procéder à l’évaluation de sa compétence et statuer sur les éventuelles
exceptions qui s’y rapportent.
16. En l'espèce, l’État défendeur soulève des exceptions d’incompétence
matérielle et temporelle de la Cour. La Cour va statuer sur lesdites
exceptions avant de se prononcer, le cas échéant, sur les autres aspects
de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
17. L’État défendeur soutient que la Cour n’est pas compétente pour ordonner
la remise en liberté du Requérant et qu’elle devrait rejeter la Requête pour
défaut de compétence matérielle.
18. Invoquant, pour sa part, la jurisprudence de la Cour dans les affaires Ac
Xb X Cx et Xc Bn Aa c. Tanzanie, le Requérant
soutient que la Cour est compétente pour connaître de la présente Requête
puisqu’il y allègue la violation de ses droits protégés par la Charte et par
d’autres instruments de protection des droits de l’homme ratifiés par l’État
défendeur.
19. La Cour note, sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, qu’elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État concerné.®
20. Enl’espèce, le Requérant allègue la violation du droit à un procès équitable,
protégé par la Charte à laquelle est partie l’État défendeur. La Cour estime
donc qu’en examinant ces allégations, elle ne fera que s'acquitter de son
mandat qui consiste à interpréter et appliquer la Charte ainsi que d’autres
instruments relatifs aux droits de l’homme.
21. La Cour réitère, en outre, que conformément à l’article 27(1) du Protocole,
elle ordonne des mesures de réparation appropriées lorsqu’elle constate
une violation des droits garantis par la Charte ou par tout instrument ratifié
par l’État défendeur. En outre, si la Cour estime que le requérant a démontré
l’existence de circonstances spécifiques et impérieuses justifiant une
ordonnance de mise en liberté, elle peut rendre une telle mesure.* Par
conséquent, la Cour note que, le cas échéant, la demande de mise en
liberté, par ailleurs une mesure de restitution, relève de sa compétence.
22. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée en
l'espèce et considère qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de
la Requête.
B. Sur l’exception d’incompétence temporelle
23. L'État défendeur soutient que la compétence temporelle de la Cour n’est
pas établie en l’espèce dans la mesure où les violations alléguées n’ont pas
un caractère continu. Il soutient, en outre, que le Requérant purge une peine
régulière pour avoir commis un crime punie par la loi.
3 Ac Xb c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 45 ; Bb Bf Cc et By Ab Bt An c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 88 34 à 36 ; Aw Cg alias Cw et Bm Ba Bz c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 654, 8 18 et Cj Cp Bh c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 017/2017, Arrêt du 22 septembre 2022, 88 21. % Cw et Bz c. Tanzanie (fond et réparations), ibid., 8 97 ; Cu Ae c. République- Unie de Tanzanie (26 juin 2020) (arrêt) 4 RICA 266, 8 112 et Al Bv c. République-Unie de Tanzanie (21 septembre 2018) (fond et réparations) 2 RICA 415, 8 82.
24. Le Requérant soutient qu’il purge une peine irrégulière du fait des violations
qui découleraient de son procès. Il estime donc que la Cour est compétente
pour examiner la Requête.
25. La Cour observe, conformément au principe de non-rétroactivité, qu’elle ne
peut examiner des allégations de violations des droits de l’homme
survenues avant l’entrée en vigueur du Protocole à l’égard de l’État
défendeur, sauf si les violations alléguées ont un caractère continu.°
26. La Cour relève qu’en l’espèce, les violations alléguées se sont produites
entre 2013 et 2016, donc après la ratification, par l’État défendeur, de la
Charte le 21 octobre 1986, du Protocole le 10 février 2006 et le dépôt de la
Déclaration prévue à l’article 34(6) le 29 mars 2010.
27. La Cour rejette donc l’exception d’incompétence soulevée et considère
qu’elle a la compétence temporelle.
C. Sur les autres aspects de la compétence
28. La Cour relève qu'aucune exception n’a été soulevée concernant sa
compétence personnelle ou territoriale. Néanmoins, elle doit s'assurer que
les conditions relatives à ces aspects sont remplies.
29. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour relève, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie
au Protocole et que, le 29 mars 2010, il a déposé auprès de la Commission
de l’Union africaine la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole. Il a
par la suite déposé, le 21 novembre 2019, l’instrument de retrait de sa
Déclaration.
SAyants-droits de feu Bd Cm, Bi Cn alias Ablasse, Cq Cm et Ch Aj & le Mouvement burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Xa At (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RICA 197, 8 68 et /gola lguna c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, requête n° 020/2017, Arrêt du ''" décembre 2022, 8 18.
30. À cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la
Déclaration n’a pas d’effet rétroactif et ne prend effet qu’un (1) an après la
date de dépôt de l'instrument y relatif, en l’occurrence le 22 novembre 2020.
La présente Requête, introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son
instrument de retrait, n’en est donc pas affectée. La Cour considère, en
conséquence, qu’elle a la compétence personnelle, en l’espèce.
31. La Cour souligne, enfin, qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure
où les violations alléguées se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur.
32. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
33. L'article 6(2) du Protocole est libellé comme suit : « [a Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
34. En vertu de la règle 50(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un examen
de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux
articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au [.…] Règlement ».
35. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
36. En l’espèce, l’État défendeur soulève deux (2) exceptions d’irrecevabilité
tirées, l’une du non-épuisement des recours internes et l’autre du dépôt de
la Requête dans un délai non-raisonnable. La Cour va statuer sur lesdites
exceptions avant d'examiner, si nécessaire, les autres conditions de
recevabilité.
A. Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requête
i. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
37. L'État défendeur soutient que le Requérant n’a pas soulevé l’allégation
relative au refus d'assistance judiciaire gratuite dans le cadre des
procédures devant les juridictions nationales. Il en déduit que le Requérant
n’a pas épuisé les recours internes en ce qui concerne cette allégation.
38. L’État défendeur soutient également que, conformément à la décision de la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples dans l'affaire
Article 19 c. Érythrée, il incombe au Requérant de démontrer qu’il a pris
toutes les mesures nécessaires pour épuiser les recours internes et qu’il ne
suffit pas de mettre en doute l'efficacité desdits recours.
39. L’État défendeur affirme, à cet égard, que des recours étaient disponibles
mais le Requérant ne les a pas épuisées. Il soutient, en outre, que le
Requérant aurait dû introduire une requête en révision de la décision de la
Cour d’appel, s’il se sentait lésé par cette décision.
40. L’État défendeur estime, à la lumière de ce qui précède, qu’il n’a pas eu la
possibilité de remédier aux violations alléguées dans le cadre du système
judiciaire interne et qu’en conséquence, la Requête devrait être rejetée pour
non-épuisement des recours internes.
41. Le Requérant affirme qu’il a épuisé les recours internes dès lors que la Cour
d'appel l’a débouté le 21 février 2016.
42. Le Requérant fait valoir, en outre, qu’il n’était pas tenu d’introduire un
recours en révision étant donné que la question aurait été tranchée par la
même juridiction d’appel. Il soutient qu’il a épuisé les recours internes et
qu’il s’est donc conformé à l’article 56(5) de la Charte.
43. La Cour note qu’aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
dont elle est saisie doit satisfaire à la condition de l’épuisement des recours
internes. La règle de l’épuisement des recours internes vise à donner aux
États la possibilité de traiter les violations des droits de l’homme relevant de leur juridiction avant qu’un organe international des droits de l’homme ne
soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet égard.S
44. En outre, la Cour de céans a constamment considéré dans un certain
nombre d’arrêts concernant l’État défendeur que, les recours en révision
des décisions de la Cour d’appel constituent des recours extraordinaires
que le requérant n’est pas tenu d’exercer avant de la saisir.”
45. Enl’espèce, la Cour relève qu’à la suite de sa condamnation par le Tribunal
de District de Chato, le 3 février 2014, le Requérant a interjeté appel de sa
condamnation devant la Haute Cour qui, le 30 octobre 2014, a confirmé la
décision querellée. Il a, ensuite, introduit un recours devant la Cour d'appel
de Tanzanie, l’organe judiciaire suprême de l’État défendeur, qui le 21
février 2016, a également confirmé la décision de la Haute Cour.
46. La Cour note, en outre, que le droit à une assistance judiciaire fait partie du
faisceau de droits et de garanties d’un procès équitable, qui étaient relatifs
à la procédure devant les juridictions internes ou qui en constituaient le
fondementS Par conséquent, l’État défendeur avait la possibilité de
remédier aux violations alléguées ; ce qu’il n’a pas fait. La Cour en déduit
que le Requérant a épuisé les recours internes.
47. En conséquence, la Cour rejette l’exception tirée du non-épuisement des
recours internes.
& Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 88 93 à 94.
7 Voir Xb X Cx (fond) supra, 8 65 ; Ax Cy c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 88 66 à 70 et Bx Bs c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 44.
8 Bz et Cw c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 37 et Cf Cd c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 058/2016, Arrêt du 13 juin 2023, 8 18.
ii. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
48. L'État défendeur affirme que la Requête n’a pas été déposée devant la Cour
dans un délai raisonnable après épuisement des recours internes. Il
soutient que la Cour d’appel a rendu sa décision dans l’affaire du Requérant
le 27 octobre 2014 et que celui-ci a déposé sa Requête le 8 juin 2016. L'État
défendeur estime donc qu’une période d’un (1) an et sept (7) mois s’est
écoulée entre la date de la décision de la Cour d’appel et la date à laquelle
le Requérant a saisi la Cour.
49. L'État défendeur fait valoir que, même si le délai raisonnable est déterminé
au cas par cas, le Requérant a observé une période non raisonnable avant
de saisir la Cour. Il en déduit que la Requête doit être déclarée irrecevable.
50. Le Requérant soutient que la décision de la Cour d’appel a été rendue le 21
février 2016 et non le 27 octobre 2014 comme l’affirme l’État défendeur.
51. Il affirme en outre que la Requête a été introduite le 13 février 2017, soit
moins d’un an après la décision de la Cour d’appel. Il soutient, dès lors, que
la Requête a été déposée dans un délai raisonnable.
52. La Cour relève que la règle 50(2)(f) du Règlement, qui reprend en
substance le contenu de l’article 56(6) de la Charte, exige qu’une Requête
soit déposée dans « un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des
recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant
commencer à courir le délai de sa saisine ».
53. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle « le caractère raisonnable
d’un délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque
affaire et doit être apprécié au cas par cas ». Au nombre des circonstances
que la Cour a prises en considération figurent : le fait d’être incarcéré, d’être profane en matière de droit et de ne pas bénéficier d’une assistance
judiciaire, d’être indigent, d’être analphabète ; ou de ne pas avoir
connaissance de l'existence de la Cour.?
54. En l’espèce, la Cour observe que l’arrêt de la Cour d’appel a été rendu le
21 février 2016 et non le 27 octobre 2014 comme l’a affirmé l’État
défendeur, et que la présente Requête a été introduite le 2 mars 2017. La
Cour note, dans ces circonstances, qu’une période d’un (1) an et dix (10)
jours s’est écoulée entre la date de la décision de la Cour d’appel et
l'introduction de la présente Requête. La question à trancher est donc de
savoir si le temps observé par le Requérant avant de saisir la Cour constitue
un délai raisonnable.
55. La Cour rappelle que, pour apprécier le caractère raisonnable du délai, il
convient de tenir compte de la situation du Requérant, notamment, s’il était
incarcéré, profane en matière de droit et indigent, n’a pas bénéficié d’une
assistance judiciaire"° ou s’il avait une connaissance limitée des procédures
devant la Cour de céans.**
56. En l'espèce, le Requérant est incarcéré, restreint dans ses mouvements et
a un accès limité à l'information. Il n’a, non plus, bénéficié de l’assistance
d’un conseil dans le cadre des procédures devant les juridictions nationales.
Compte tenu de ces circonstances, la Cour estime que la période d’un (1)
an et dix (10) jours est manifestement raisonnable.
57. En conséquence, la Cour rejette l’exception tirée du non-respect de
l’exigence relative au dépôt de la Requête dans un délai raisonnable après
épuisement des recours internes.
° As Ci c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 52 et Ac Xb X Cx (fond), supra, 8 74.
1° Cb c. Tanzanie, supra, 8 35 ; Xb X Cx, supra, 8 73 ; Bs X Cx, supra, 8 54 ; Amir Ak c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 356, 8 83.
11 Cb c. Tanzanie, idem ; Ax Bu Bl c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 014/2016, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 61.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
58. La Cour relève qu'aucune exception n’a été soulevée concernant le
respect des conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c), (d) et (g) du
Règlement. Néanmoins, elle doit s'assurer que ces conditions sont
satisfaites.
59. Il ressort du dossier que le Requérant a été clairement et nommément
identifié, conformément à la règle 50(2)(a), du Règlement.
60. La Cour note que les demandes formulées par le Requérant visent à
protéger ses droits garantis par la Charte. Elle note, en effet, que l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son article
3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples.
Par ailleurs, il ne résulte du dossier aucun élément qui soit incompatible
avec l’Acte constitutif de l’Union africaine. La Cour en conclut que la
Requête satisfait à l’exigence de la règle 50(2)(b) du Règlement.
61. Du reste, les termes dans lesquels est rédigée la Requête ne sont ni
outrageants, ni insultants à l’égard de l’État défendeur, de ses institutions
ou de l’Union africaine ; ce qui est conforme à la règle 50(2)(c) du
Règlement.
62. La Cour note, s'agissant de la condition prévue à la règle 50(2)(d) du
Règlement, que la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des
nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse, mais sur
des actes de procédure émanant des juridictions nationales de l’État
défendeur. Elle satisfait donc à cette exigence.
63. Par ailleurs, la Requête ne se rapporte pas à une affaire qui a déjà été
réglée par les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte
ou de tout instrument juridique de l’Union africaine. Elle est donc conforme
à la règle 50(2)(g) du Règlement.
64. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que toutes les conditions
de recevabilité sont remplies et déclare, en conséquence, la Requête
recevable.
VII. SUR LE FOND
65. Le Requérant allègue la violation de la Charte en ce que :
ii Son droit à ce que sa cause soit entendue n’a pas été respecté ;
ii. Il a été privé de son droit à une assistance judiciaire gratuite.
A. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
66. Le Requérant allègue que la Cour d’appel n’a pas examiné tous les moyens
qu’il a présenté. Il étaye son argument en invoquant la décision de la Cour
d'appel comme suit :
M. Ct, pour des raisons évidentes, s’est opposé très fermement à
l’appel. Tout d’abord, il a souligné que les premier et troisième moyens
n’avaient pas été soulevés devant la première juridiction d’appel et
qu’ils étaient portés pour la première fois devant cette cour. Nous
souscrivons à ses conclusions selon lesquelles il s'agirait d’allégations
soulevées à postériori.
67. Le Requérant soutient, en outre, que le refus par la Cour d’appel d’examiner
les premier et troisième moyens d'appel était fondé sur une raison « peu
convaincante » qui l’a privé du droit à ce que sa cause soit entendue. Selon
le Requérant, la Cour d’appel aurait dû examiner la « défense
d'intoxication » qu’il a invoquée comme troisième moyen d'appel.
68. L'État défendeur réfute les allégations du Requérant. Il fait valoir, en effet,
que la Cour d'appel a examiné les moyens d’appel du Requérant et les a rejetés. Selon l’État défendeur, le fait que la Cour d’appel ait rejeté les
moyens du Requérant ne signifie pas qu’ils n’ont pas été examinés.
69. En outre, l’État défendeur réaffirme que le Requérant aurait dû introduire un
recours en révision de la décision de la Cour d'appel s’il se sentait lésé.
70. L'article 7(1) de la Charte dispose : « [t]oute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue ».
71. La Cour a, dans sa jurisprudence constante, considéré « … qu’un procès
équitable requiert que la condamnation d’une personne à une sanction
pénale et particulièrement à une lourde peine d'emprisonnement, soit
fondée sur des preuves solides. C’est tout le sens du droit à la présomption
d'innocence également consacré par l’article 7 de la Charte ».*?
72. Enl’espèce, le Requérant allègue que la Cour d’appel n’a pas examiné tous
ses moyens d’appel, ce qui a entraîné un préjudice à son encontre. Il
soutient en particulier que la « défense d’intoxication » n’a pas été prise en
compte.
73. La Cour observe que la Cour d'appel a examiné trois (3) moyens d’appel
soulevés par le Requérant, à savoir que l’âge de la victime n’a pas été établi,
que la pénétration n’a pas été prouvée et, enfin, que le Tribunal de District
et la Haute Cour n’ont pas pris en compte sa défense d’intoxication. Se
référant à sa jurisprudence dans l'affaire Bj Ax c. la République,
la Cour d’appel a estimé que les moyens d’appel relatifs à l’âge de la victime
et à la défense d’intoxication n'avaient pas été soulevés devant la Haute
Cour et qu’elle ne pouvait donc pas déterminer si la Haute Cour avait
commis une erreur dans l’examen du recours.
1? Cy c. Tanzanie (fond), supra, 8 174 ; Ci c. Tanzanie (fond), supra, 8 72. Majid Goa c. alias Vedastus République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 septembre 2019) 3 RICA 520, 8 72.
74. La Cour d’appel a, en outre, observé que non seulement l’âge de la victime
était mentionné dans l’acte d’accusation, mais qu’il existait également des
preuves médicales produites par le médecin qui avait examiné la jeune fille
et qui prouvaient qu’elle était âgée de huit (8) ans.
75. Encce qui concerne la « défense d'intoxication », la Cour d’appel a estimé
qu’elle n’avait pas été soulevée au cours du procès du Requérant et, qu’en
tout état de cause, une telle défense ne peut être invoquée en cas de viol.
La Cour d’appel a ensuite examiné les preuves produites par les témoins
au cours du procès du Requérant et estimé que les charges retenues contre
lui avaient été prouvées au-delà de tout doute raisonnable et que, de ce fait,
la peine était légale.
76. La Cour estime donc que la manière dont la Cour d'appel a apprécié le
recours du Requérant ne révèle aucune erreur manifeste et n’est pas
constitutive d’un déni de justice à l’égard de celui-ci.
77. La Cour rejette donc cette allégation et conclut que l’État défendeur n’a pas
violé les dispositions de l’article 7(1) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire gratuite
78. Le Requérant soutient que l’article 3 de la loi sur l’assistance judiciaire
(procédure pénale) (loi 21 de 1969) impose à « l’autorité de certification »
l’obligation d’accorder l’assistance judiciaire lorsqu’il est de bonne justice
de le faire ou lorsque le prévenu n’a pas les moyens de s'attacher les
services d’un avocat. Il estime, par conséquent, qu’il ne résulte d’aucune
disposition de la loi sur l’assistance judiciaire (procédure pénale) (loi 21 de
1969) que le prévenu est tenu de solliciter une assistance judiciaire pour
que celle-ci lui soit accordée.
79. Invoquant l’affaire Cs Cz Am c. Gouvernement de
Zanzibar, le Requérant affirme que l'interprétation téléologique de l’article 3
de la loi sur l’assistance judiciaire (procédure pénale) (loi 21 de 1969) est comme suit : « … un prévenu indigent est légalement en droit de bénéficier
d’une assistance judiciaire gratuite et d’en être informé par le tribunal ». Le
Requérant affirme dès lors que son droit à l’assistance judiciaire gratuite a
été violé par l’État défendeur.
80. L'État défendeur réfute l’allégation du Requérant et soutient que celui-ci n’a
pas soulevé le refus d’une assistance judiciaire gratuite devant les
juridictions nationales et qu’il le fait pour la première fois devant la Cour de
céans.
81. L'État défendeur fait valoir, en outre, que l’assistance judiciaire gratuite n’est
légalement obligatoire que dans les cas où le prévenu a été déclaré
coupable d’homicide involontaire, de meurtre ou de trahison. L’État
défendeur soutient dès lors que pour toute autre infraction, le Requérant est
tenu de solliciter une assistance judiciaire gratuite aux fins d’examen par le
tribunal d'instance, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce. Il demande par
conséquent à la Cour de rejeter cette allégation.
82. L'article 7(1)(c) de la Charte dispose : « [t]oute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue. Ce droit comprend : [...] c) le droit à la défense, y
compris celui de se faire assister par un conseil de son choix ».
83. La Cour relève que l’article 7(1)(c) de la Charte ne prévoit pas explicitement
le droit à une assistance judiciaire gratuite. Toutefois, la Cour a interprété
cette disposition à la lumière de l’article 14(3)(d) du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques (ci-après désigné le PIDCP)'* et
considère que le droit à la défense inclut le droit de bénéficier d’une
assistance judiciaire gratuite.“ La Cour a également considéré que toute
personne accusée d’une infraction pénale a le droit, chaque fois que l'intérêt
13 L'État défendeur est devenu un État partie au PIDCP le 11 juin 1976.
(fond) 2 RICA 226, 8 72 et Cc et An c. Tanzanie (fond), supra, 8 104.
de la justice l’exige, de bénéficier d'office de l’assistance judiciaire gratuite
d’un défenseur, et ce, sans avoir à en faire la demande. Il en va de même
lorsqu’une personne indigente est poursuivie en matière pénale pour une
infraction grave passible d’une peine sévère.!°
84. En l'espèce, la Cour observe que le Requérant n’a pas bénéficié d’une
assistance judiciaire gratuite durant toute la procédure devant les
juridictions nationales. La Cour note, en outre, que l’État défendeur ne
conteste pas la gravité de l’infraction reprochée au Requérant ni la sévérité
de la peine encourue. Cependant, il se contente de soutenir que
l’assistance judiciaire gratuite n’est accordée qu’à un prévenu inculpé
d’homicide involontaire, de meurtre et de trahison, et que le Requérant
aurait dû en faire la demande.
85. La Cour observe, toutefois, que le Requérant était accusé d’une infraction
grave, à savoir le viol, passible d’une peine de réclusion à perpétuité, et
qu’en conséquence, il était dans l’intérêt de la justice que celui-ci bénéficie
d’une assistance judiciaire gratuite sans qu'il en fasse la demande.!6
86. La Cour considère, en conséquence, que l’État défendeur a violé l’article
7(1)(c) de la Charte lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP pour
n’avoir pas assuré au Requérant le bénéfice d’une assistance judiciaire
gratuite.
87. Ayant conclu à la violation de l’article 7(1)(c) de la Charte, la Cour note qu’en
sus de la demande spécifique relative à la constatation d’une violation du
droit à l’assistance judiciaire, le Requérant sollicite de la Cour qu’elle
ordonne toutes autres mesures qu’elle jugerait appropriée. À cet égard, la
Cour observe que, si la Loi de 2017 sur l’assistance judiciaire (ci-après
désignée « LAJ 2017 ») prévoit l’assistance judiciaire pour les prévenus sur
autorisation du juge, ladite Loi ne règle pas l’exigence relevée dans les
15 Xb X Cx (fond), ibid., 8 123 ; voir également Cy c. Tanzanie (fond), supra, 88 138 à 139.
16 Ibid.
arrêts précédents de la Cour de céans,!” à savoir que l'assistance soit
d'office accordée aux personnes accusées d’infractions graves
sanctionnées par des peines lourdes. Par conséquent, la Cour considère
que la LAJ 2017 n’est pas en pleine conformité avec sa jurisprudence et la
Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
88. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Ordonner à l’État défendeur de le remettre en liberté ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de juger à nouveau son affaire ;
ill. Prendre toutes autres mesures qu’elle juge appropriée.
89. L'État défendeur conclut au rejet.
90. L'article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
91. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle, « pour
examiner les demandes en réparation des préjudices résultant des
violations des droits de l’homme, elle tient compte du principe selon lequel
l’État reconnu auteur d’un fait internationalement illicite a l’obligation de
17 Xb X Cx, supra, 8 159 ; Cy c. Tanzanie (fond), supra, 8 236.
réparer intégralement les conséquences de manière à couvrir l’ensemble
des dommages subis par la victime ».!ê
92. La Cour rappelle également que les réparations doivent « [ajutant que
possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état
qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n'avait pas été commis ».!°
93. Les mesures qu’un État peut prendre pour réparer une violation des droits
de l’homme peuvent inclure la restitution, l’indemnisation, la réadaptation
de la victime et des mesures propres à garantir la non-répétition des
violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire.?°
94. La Cour rappelle, enfin que la règle générale en matière de préjudice
matériel est qu’il doit exister un lien de causalité entre la violation constatée
et le préjudice subi par le requérant et qu’il incombe à celui-ci d'apporter la
preuve de ses allégations.?! En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour
exerce son pouvoir d'appréciation en toute équité.
A. Réparations pécuniaires
95. Le Requérant n’a pas conclu sur ce point.
96. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter les demandes de réparations
formulées par le Requérant.
18 Cy c. Tanzanie (fond), 8 242 (ix), Cr Bk Cv c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 19.
19 Ax Cy c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 349, 8 21 ; Ac Xb c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 299, 8 12 ; Ag Aq Ai et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 322, 816.
20 Cv c. Rwanda (réparations), supra, 8 20.
21 Christopher R. Xf c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 40 ; Ah Ck Af c. Xa At (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 8 15.
97. La Cour note que l’objectif de la réparation est d’effacer les conséquences
de l’acte illicite et de rétablir la victime dans la situation qui était la sienne
avant ladite violation.
98. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a uniquement constaté que l'État
défendeur avait violé le droit du Requérant à une assistance judiciaire
gratuite en ne lui garantissant pas les services d’un avocat dans le cadre
des procédures devant les juridictions nationales.
99. La Cour observe que la violation établie a causé un préjudice moral au
Requérant et, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation en toute équité,
lui alloue la somme de trois cent mille (300 000) shillings tanzaniens à titre
de juste compensation.
B. Réparations non pécuniaires
100. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de :
ile remettre en liberté ;
ii. juger à nouveau son affaire ; et de
iii. prendre toutes autres mesures que la Cour juge appropriées.
101. L'État défendeur soutient, pour sa part, que la Cour n’a pas compétence
pour ordonner la remise en liberté du Requérant et conclut au rejet de cette
demande.
i. Sur la demande de remise en liberté
102. En ce qui concerne la demande de remise en liberté, la Cour a déclaré
qu’une telle mesure ne peut être ordonnée que dans des circonstances
spécifiques et impérieuses, notamment « si un Requérant démontre à
suffisance ou si la Cour elle-même établit, à partir de ses constatations, que
22 Ad Ce c. République-Unie de Tanzanie (21 septembre 2018) 2 RICA 461, 8 107 ; Bv c. Tanzanie (fond), supra, 8 85.
l’arrestation ou la condamnation du Requérant repose entièrement sur des
considérations arbitraires et que son incarcération continue résulterait en
un déni de justice ».2°
103. En l’espèce, la Cour rappelle qu’elle a déjà conclu que l’État défendeur a
violé le droit du Requérant à un procès équitable en ne lui garantissant pas
une assistance judiciaire gratuite. Sans en minimiser la gravité, la Cour
estime que la nature de la violation en l'espèce ne révèle aucune
circonstance indiquant que l’inculpation du Requérant était fondée sur des
considérations arbitraires ou que son maintien en détention était constitutif
d’un déni de justice à son égard. Le Requérant n’a pas, non plus, démontré
l’existence d’autres raisons exceptionnelles et impérieuses pouvant justifier
sa remise en liberté.2*
104. La Cour rejette, en conséquence, la demande de remise en liberté formulée
par le Requérant.
ii. Sur la demande de réouverture du procès
105. En ce qui concerne la demande du Requérant tendant à ce que l'affaire soit
jugée à nouveau, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle une telle
mesure peut être ordonnée dans une situation où les violations constatées
ont eu un impact significatif sur le droit à un procès équitable. En l'espèce,
bien que la Cour ait constaté la violation du droit à une assistance judiciaire
gratuite, elle n’a pas conclu à la non-conformité des procédures nationales
aux règles applicables. Dès lors, la Cour considère que rien ne justifie que
l’affaire du Requérant soit jugée à nouveau.
106. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette la demande du Requérant
tendant à sa remise en liberté ou à la réouverture de son procès.
23 Bv c. Tanzanie (fond), ibid., 8 82.
24 Cw et Bz c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 97 ; Ae c. Tanzanie (arrêt), supra, 8 112 et Bv c. Tanzanie (fond), ibid., 8 82.
25 Ci c. Tanzanie (réparations), supra, 8 105.
iii. Garanties de non-répétition
107. La Cour note, comme elle l’a conclu dans le présent Arrêt, que la LAJ 2017
n’est pas en pleine conformité avec la Charte et avec ses arrêts précédents
relativement au droit à l'assistance judiciaire gratuite.?° La Cour estime, dès
lors, qu’il est nécessaire de rendre une mesure à cet égard et ordonne en
conséquence à l’État défendeur de prendre toutes les mesures législatives
en vue de modifier la loi sur l’assistance judiciaire de 2017 de manière à la
rendre entièrement conforme à ses obligations internationales visées dans
la Charte et dans le PIDCP.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
108. L'État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge du Requérant.
109. Le Requérant n’a pas conclu sur ce point.
110. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses
frais de procédure ».
111. La Cour estime qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du principe énoncé
dans cette disposition. La Cour ordonne donc que chaque Partie supporte
ses frais de procédure.
26 Voir paragraphe 87 ci-dessus.
112. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
i. Rejette les exceptions d’incompétence ;
Sur la recevabilité :
iii. Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à ce
que sa cause soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte,
dans le cadre de l'examen des moyens qu’il a soumis devant la
Cour d'appel ;
vi. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la défense du Requérant,
protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte lu conjointement avec
l’article 14(3)(d) du PIDCP en ne lui ayant pas assuré le bénéfice
d’une assistance judiciaire gratuite.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires vii. Ordonne à l’État défendeur de verser au Requérant la somme de
trois cent mille (300 000) shillings tanzaniens en franchise d'impôt,
à titre de juste compensation, dans un délai de six (6) mois à
compter de la date de notification du présent Arrêt, faute de quoi
il sera tenu de payer des intérêts moratoires calculés sur la base
du taux applicable de la Banque centrale de Tanzanie pendant
toute la période de retard de paiement jusqu’au paiement intégral
des sommes dues.
Réparations non-pécuniaires
viii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
législatives et constitutionnelles nécessaires, dans un délai
raisonnable, et en tout état de cause ne dépassant pas deux (2)
ans, afin de modifier sa loi sur l’assistance judiciaire de 2017 et de
la rendre conforme aux dispositions de la Charte et du PIDCP ;
ix. Rejette la demande du Requérant tendant à sa remise en liberté
et à la reprise de son procès.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
x. Ordonne à l'État défendeur de soumettre à la Cour, dans un délai
de six (6) mois à compter de la date de notification du présent
Arrêt, un rapport sur l’état de la mise en œuvre des paragraphes
(vii) et (viii) du présent dispositif et, par la suite, tous les six (6)
mois jusqu’à ce que la Cour considère toutes ses décisions
entièrement mises en œuvre.
Sur les frais de procédure
xi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fran fausse
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; Me pl oh
Suzanne MENGUE, Juge ; Ps +=
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Lys Grip la
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ge
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am ;
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Alger, ce septième jour du mois de novembre de l’année deux-mille vingt-trois, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.