AFRICAN UNION ( UNION AFRICAINE
AFRICANA AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Z AJ AG Y AM
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 026/2017
ARRÊT SOMMAIRE …
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle.
B Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requête
! Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
ii. Sur l'exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai
raisonnable
B Sur les autres conditions de recevabilité
DIR SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 10
11
11
non
13
16
17 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges, et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
Z AJ AG Y AM
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE,
représentée par :
ii Bc Cg Bt AN, Br Aq, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Aw Ce X, Ab Ag, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Bp B, Aa Ag Aq par intérim et directrice des
Affaires constitutionnelles et des Droits de l'homme, Bureau de l’Ag
Aq ;
iv. M. Ba AI, Bs Ag Aq, Bureau de l’Ag
Aq ;
+ Article 8(2) du Règlement de la Cour, 2 juin 2010.
v. Mme As AK, Principal Ab Ag, Bureau de l’Ag
Aq ;
vi. M. An Bz C, deuxième secrétaire et juriste, ministère des Affaires
étrangères, Communauté de l’Afrique de l’Est, Coopération régionale et
internationale ;
vii. M. Bi AH, Principal Ab Ag, Bureau de l’Ag Aq ; et
viii. M. Cf A, Ab Ag, Bureau de l’Ag General.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Z AJ AG Y AM (ci-après dénommé « le
Requérant ») est un ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la
Requête, purgeait une peine de trente (30) ans de réclusion à la prison
centrale de d’Uyui, à Bn, après avoir été déclaré coupable de vol à main
armée. Il allègue la violation de ses droits dans le cadre des procédures
devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la «
Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée la Déclaration »), par laquelle elle accepte
la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d’individus
et d’organisations non gouvernementales (ci-après désignées « ONG »). Le
21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé auprès de la Commission de
l’Union africaine un instrument de retrait de ladite Déclaration. La Cour a
décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les
affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22
novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. | ressort du dossier que, dans la nuit du 10 avril 2004, le Requérant et deux
autres personnes, qui ne sont pas parties à la procédure devant la Cour de
céans, se sont introduits par effraction dans une boutique sise au village de
Nkuge dans le District de Ai, Région de Bn. Ils auraient, sous la
menace d’une arme, volé de l’argent et de la marchandise après avoir tiré
sur le propriétaire de la boutique qui a été légèrement blessé au cours du
cambriolage.
4. _ Lestrois voleurs ont été arrêtés et reconnus coupables de vol à main armée
et condamnés à trente (30) ans de réclusion par le Tribunal de District de
Ai le 21 septembre 2005 (affaire pénale n° 62/2004).
5. Ils ont ensuite interjeté appel devant la Haute Cour de Bn (affaires
pénales n° 35, 36 et 37 de 2006) qui a ordonné le transfert de cette affaire
au Tribunal du Magistrat résidant de Bn pour qu’elle soit entendue en
appel par un Magistrat résidant à compétence élargie. Le 11 juin 2008, le
Tribunal du Magistrat résidant à compétence élargie de Bn (affaires
pénales n° 42, 43 et 44 de 2006) a rejeté les recours des prévenus.
6. Ils ont ensuite saisi la Cour d'appel siégeant à Bn d’un recours (appel
pénal n° 185, 186 et 187 de 2008) qui, par arrêt du 29 juin 2011, a été rejeté.
2 Al Ae Aj c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 38.
B. Violations alléguées
7. Le Requérant allègue la violation des droits ci-après :
i. Le droit à la non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte ;
it. Le droit à une totale égalité devant la loi et à une égale protection de la
loi, garanti par l’article 3(1) et (2) de la Charte ; et
ii. Le droit à un procès équitable, protégé par l’article 7 de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
8. La Requête a été introduite le 31 août 2017. Le Greffe a demandé au
Requérant de préciser les violations alléguées ainsi que les demandes de
réparations assorties de preuves. Le 6 juin 2018, le Requérant a déposé
une Requête modifiée comportant des informations complémentaires.
9. Le 29 août 2018, le Greffe a communiqué la Requête modifiée à l’État
défendeur.
10. Les Parties ont déposé leurs observations sur le fond et les réparations
dans les délais impartis par la Cour.
11. Les débats ont été clos le 30 septembre 2021 et les Parties en ont dûment
reçu notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
12. Dans sa Requête introductive d’instance, le Requérant demande à la Cour
de :
i. Rétablir la justice là où elle a été bafouée, d’annuler la déclaration de
culpabilité et la peine prononcée à son encontre, et d’ordonner sa remise
en liberté ;
it. Lui accorder des réparations conformément à l’article 27(1) du
Protocole ; et
ii. Lui accorder toutes autres réparations que la Cour jugera justes et
appropriées au regard des circonstances de l’espèce.
13. Dans son mémoire en réponse, l’État défendeur demande à la Cour de dire
et juger, en ce qui concerne la compétence de la Cour et la recevabilité de
la Requête, que :
i. Elle n'est pas compétente pour statuer sur la présente Requête en tant
que juridiction d’appel des affaires pénales ;
ii. La Requête ne satisfait pas aux conditions de recevabilité prévues à
l’article 56(5) de la Charte, à l’article 6(2) du Protocole et à l’article 40(5)*
et (6)* du Règlement intérieur de la Cour ;
iii. La Requête est irrecevable ;
iv. La Requête est rejetée.
14. S'agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
protégés par les articles 2, 3 et 7 de la Charte ; et
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a violé aucun des droits du
Requérant inscrits dans la Charte.
V. SUR LA COMPÉTENCE
15. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
3 Règle 50(2)(e) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
4 Règle 50(2)(f) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
16. La Cour relève également qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
elle «procède à un examen préliminaire de sa compétence [.…]
conformément à la Charte, au Protocole et au [.…] Règlement ».°
17. Sur la base des dispositions précitées, la Cour est tenue de procéder à
l'appréciation de sa compétence et de statuer sur les éventuelles
exceptions d’incompétence.
18. L'État défendeur soulève une exception d’incompétence matérielle. La
Cour statuera sur ladite exception avant de se prononcer, si nécessaire, sur
les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
19. L'exception d’incompétence matérielle soulevée par l’Etat défendeur
comporte deux branches. L'État défendeur soutient, d’une part, que
conformément à l’article 3(1) du Protocole et à l’article 26(1)° du Règlement
de la Cour, la Cour de céans n’a pas compétence pour annuler la
déclaration de culpabilité et la peine prononcées par les juridictions internes
d’un État partie. L'État défendeur affirme que la présente Requête demande
à la Cour de siéger en tant que cour d'appel suprême nationale, ce qui ne
relève pas du champ de compétence de la Cour de céans.
5 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
8 Règle 29(1) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
20. D'autre part, l’État défendeur affirme que la Cour n’a pas compétence pour
ordonner la remise en liberté du Requérant.
21. En conséquence, l’État défendeur demande que la Requête soit rejetée.
22. Dans sa réplique, le Requérant soutient que la Cour a la compétence
matérielle pour statuer sur cette affaire car les violations reprochées à l’État
défendeur concernent des droits protégés par les articles 2, 3 et 7 de la
Charte.
23. La Cour rappelle que, conformément à l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de « [t]outes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie concernant l'interprétation et l’application de la Charte
[...] et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et
ratifié par l’État concerné ».7
24. La Cour souligne que sa compétence matérielle est, ainsi, subordonnée à
l’allégation, par le Requérant de violations de droits de l’homme protégés
par la Charte ou tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État défendeur. En l'espèce, le Requérant allègue la violation des
articles 2, 3 et 7 de la Charte.
25. En ce qui concerne le premier point, la Cour rappelle sa jurisprudence
constante selon laquelle elle n’est pas une juridiction d'appel en ce qui
concerne les décisions rendues par les juridictions nationales.® Toutefois,
« cela n’écarte pas sa compétence pour apprécier la conformité des
7 Kalebi Elisamehe c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18.
8 Av Bd c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 28 ; Ap Ax c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RJCA 493, 8 33 ; Kalebi Elisamehe c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18.
9 Ernest Bj Az c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
procédures devant les juridictions nationales aux normes internationales
prescrites par la Charte ou par les autres instruments applicables des droits
de l’homme auxquels l’État défendeur est partie ».!° La Cour ne statuerait
donc pas comme une juridiction d’appel si elle devait examiner les
allégations du Requérant. Elle rejette par conséquent l’exception sur ce
point.
26. En ce qui concerne le deuxième point, la Cour relève que l’État défendeur
affirme qu’elle n’a pas compétence pour ordonner la remise en liberté du
Requérant. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 27(1) du Protocole,
« [lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier
à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi
d’une réparation ». Il s'ensuit que la Cour est compétente pour accorder
différents types de réparations, y compris la remise en liberté, dès lors que
les violations sont établies.!! La Cour rejette en conséquence l'exception
sur ce point.
27. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée en ses
deux branches et conclut que sa compétence matérielle est établie en
B. Sur les autres aspects de la compétence
28. La Cour observe qu’aucune exception n’a été soulevée quant à sa
conformément à la règle 49(1) du Règlement, elle doit s'assurer que les
exigences relatives à tous les aspects de sa compétence sont satisfaites
avant de poursuivre l’examen de la Requête.
19 Bo Ci c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 26 ; Ax AL Bx, supra, 8 33.
11 At Bl c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 036/2017, Arrêt du 24 mars 2022 (recevabilité), 8 27.
29. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration faite en vertu de l’article
34(6) du Protocole. La Cour rappelle en outre qu’elle a décidé que le retrait
de la Déclaration n'avait aucun effet rétroactif et aucune incidence, ni sur
les affaires introduites avant le dépôt de l’instrument de retrait, ni sur les
nouvelles affaires dont elle a été saisie avant que ledit retrait ne prenne
effet.!? Étant donné qu’un tel retrait de la Déclaration prend effet douze (12)
mois après le dépôt de l’avis y relatif, la date de prise d'effet du retrait de
l’État défendeur était le 22 novembre 2020.13 La présente Requête,
introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son avis de retrait, n’en
est donc pas affectée. La Cour en conclut qu’elle a la compétence
personnelle pour connaître de la présente Requête.
30. S'agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que les violations
alléguées par le Requérant sont survenues après que l’État défendeur est
devenu partie à la Charte et au Protocole. La Cour observe, en outre, que
la condamnation du Requérant est maintenue sur la base de ce qu’il
considère comme étant une procédure inéquitable. La Cour estime donc
que les violations alléguées peuvent être considérées comme ayant un
caractère continu.!%* Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’elle
a la compétence temporelle pour examiner la présente Requête.
31. Quant à sa compétence territoriale, la Cour relève que les violations
alléguées par le Requérant se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur. La Cour en conclut qu’elle a la compétence territoriale.
12 Aj c. Tanzanie (arrêt), supra, 88 35 à 39.
13 Bm Cb Bq c. République-Unie du Rwanda (compétence) (3 juin 2016) 1 RICA 585,
14 Ayants droit de feu Bg Bh, Ak Bf alias Ablassé, Af Bh, Bb Am et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Ca Ao (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 88 71 à 77.
32. Eu égard à tout ce qui précède, la Cour considère qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
33. Conformément à l’article 6(2) du Protocole, « [Ia Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
34. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement! « [Ia Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au
présent Règlement ».
35. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
15 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
36. La Cour observe, en l’espèce, que l’État défendeur soulève deux exceptions
d’irrecevabilité de la Requête. La Cour va statuer sur ces exceptions avant
d'examiner, si nécessaire, les autres conditions de recevabilité.
A. Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requête
37. La première exception soulevée par l’État défendeur est relative à
l'exigence de l’épuisement des recours internes et la seconde, à la condition
d'introduction de la Requête dans un délai raisonnable.
i. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
38. L'État défendeur affirme que la Requête soulève devant la Cour de céans
une question qui n’a jamais été évoquée devant les juridictions nationales.
Il fait valoir que le Requérant soulève pour la première fois devant la Cour
de céans le grief selon lequel il n’aurait pas bénéficié d’une assistance
judiciaire.
39. L'État défendeur soutient que le Requérant aurait pu soulever cette
question devant les juridictions internes de l’État défendeur, lesquelles
auraient pu alors y apporter une solution idoine, conformément à la
Constitution et au code de procédure pénale de l’État défendeur. L'État
défendeur considère donc que, dans la mesure où le Requérant n’a pas
suivi cette voie, il ne peut à présent soulever cette question devant la Cour
de céans.
40. Dans sa réplique, le Requérant réfute les arguments de l’État défendeur. Il
affirme avoir exercé tous les recours disponibles dans le système judiciaire
de l’État défendeur. Le Requérant soutient que la Cour d’appel, la plus
haute juridiction de l’État défendeur, a rejeté son appel dans son intégralité
le 29 juin 2011, mettant ainsi un terme aux recours judiciaires internes qui
lui étaient disponibles.
41. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises dans la règle 50(2)(e) du Règlement, toute
requête dont elle est saisie doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des
recours internes. La règle de l’épuisement des recours internes vise à
donner aux États la possibilité de traiter les violations des droits de l’homme
relevant de leur juridiction avant qu’un organe international des droits de
l'homme ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet
42. La Cour a constamment considéré que, dans la mesure où les procédures
pénales à l’encontre d’un requérant ont donné lieu à une décision de la plus
haute juridiction d’appel, l’État défendeur est réputé avoir eu la possibilité
de remédier aux violations qui selon le requérant découlent desdites
43. En l'espèce, la Cour relève que le recours du Requérant devant la Cour
d'appel de Tanzanie, la plus haute juridiction de l’État défendeur a été
tranché lorsque cette juridiction a rendu son arrêt le 29 juin 2011. L'État
défendeur a donc eu la possibilité de remédier aux violations alléguées
découlant du procès du Requérant en première instance et en appel.!ê
16 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017), 2 RICA 9, 88 93 à 94.
17 At Bl c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 036/2017, Arrêt du 24 mars 2022 (recevabilité), 8 51.
18 Ibid., 8 52.
44. En ce qui concerne l’affimation de l’État défendeur selon laquelle le
Requérant n’a pas soulevé la question de l’assistance judiciaire lors des
procédures internes, la Cour estime que cette violation alléguée est
intervenue au cours de la procédure judiciaire interne, qui a abouti à la
condamnation du Requérant et à la peine de trente (30) ans
d'emprisonnement prononcée à son encontre. Cette allégation fait partie
intégrante du « faisceau de droits et de garanties » lié au droit à un procès
équitable, qui constituait le fondement des appels interjetés par le
Requérant.!° Les autorités judiciaires nationales ont donc amplement eu
l’occasion d’examiner cette question, et ce, sans même que le Requérant
ne l’ait explicitement soulevée. Il ne serait donc pas raisonnable d’exiger
que le Requérant introduise une nouvelle requête concernant son droit au
procès équitable devant la Haute Cour, juridiction inférieure à la Cour
45. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception de l’État défendeur tirée
du non-épuisement des recours internes.
ii. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
46. L'État défendeur fait valoir qu’en raison du dépôt de la Requête dans un
délai non raisonnable après l’épuisement des recours internes, la Cour
devrait conclure qu’elle n’a pas satisfait aux exigences de l’article 40(6) du
Règlement?! Il en conclut que la Cour devrait déclarer la Requête
irrecevable et la rejeter en conséquence.
47. Dans sa Réplique, le Requérant soutient que s’il est vrai que cette Requête
a été introduite devant la Cour de céans près de six (6) ans après
19 Ar Cc c. République Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 62.
2 Ibid., 88 60 à 65.
21 Règle 50(2)(f) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
l'épuisement des recours internes le 29 juin 2011, elle a néanmoins été
introduite dans un délai raisonnable compte tenu de sa situation et, en
particulier, de son incarcération.
48. Le Requérant affirme, en outre, que la Cour de céans, la Charte, son
Protocole, son Règlement et ses Instructions de procédure étaient tous
inconnus à la prison centrale d’Uyui, à Bn, où le Requérant est
incarcéré, avant mai 2017, date à laquelle la Cour et ses instruments ont
été portés à la connaissance du public.
49. Le Requérant affirme que la première Requête à être déposée au Greffe de
la Cour de céans, depuis la prison centrale d’Uyui, l’a été le 13 juin 2017.
Des preuves en attestant peuvent être trouvées au Greffe de la Cour de
céans.
50. Pour ces raisons, le Requérant soutient que la présente Requête, appréciée
au cas par cas, a été déposée dans un délai raisonnable après que les
pensionnaires de la prison d’Uyui à Bn ont eu connaissance de
l’existence de la Cour et de ses instruments, en mai 2017. Le Requérant en
conclut que la Requête satisfait aux conditions de recevabilité et devrait de
ce fait être déclarée recevable.
51. Conformément à l’article 56(6) de la Charte dont les dispositions sont
reprises à la règle 50(2)(f) du Règlement, une requête n’est recevable que
si elle est « introduite dans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement
des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant
commencer à courir le délai de sa saisine ».
52. La Cour observe, en l’espèce, qu’entre la date de l'arrêt de rejet de la Cour
d'appel le 29 juin 2011, et celle du dépôt de la Requête, le 13 août 2017,
une période de six (6) ans, deux (2) mois et deux (2) jours s’est écoulée.
53. La Cour relève, en outre, que l’article 56(6) de la Charte dont les
dispositions sont reprises dans la règle 50(2)(f) ne fixe pas de délai pour sa
saisine. Toutefois, elle a conclu dans sa jurisprudence constante que « le
caractère raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances
particulières de chaque affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par
54. À cet égard, la Cour a considéré les facteurs suivants comme étant
pertinents : le fait qu’un requérant soit incarcéré” et indigent, le temps mis
pour exercer les recours en révision devant la Cour d’appel, ou le temps
mis pour accéder aux pièces du dossier,?* la connaissance limitée de
l’existence de la Cour, le temps nécessaire pour réfléchir à l’opportunité de
saisir la Cour et pour déterminer les griefs à soumettre.?*
55. Il importe de relever que la Cour a déjà conclu que le fait pour un requérant
de faire valoir, par exemple, qu’il était incarcéré, profane en matière de droit
et indigent ne constitue pas une raison suffisante pour justifier qu’il n’ait pas
déposé sa requête dans un délai raisonnable.?° En effet, même les
justiciables profanes en droit, incarcérés ou indigents, sont tenus de
démontrer en quoi leur situation personnelle les a empêchés de déposer
leur requête dans les délais.
56. La Cour relève en l’espèce l’affirmation du Requérant selon laquelle,
jusqu’au mois de mai 2017, la Cour de céans, son Protocole, son
Règlement et ses Instructions de procédure, étaient tous inconnus à la
prison d’Uyui, où il purgeait sa peine privative de liberté avant le dépôt de
la Requête.
22 Ayant droits de Feu Bg Bh et autres c. Ca Ao (fond) (28 mars 2014) 1 RICA 226,
Cc c. Tanzanie (fond), 8 73.
23 Av Bd c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 52 ; Ar Cc c. Tanzanie (fond), 8 74.
24 Ay Cd et Au Ay c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 861.
25 Ayants droit de Feu Bg Bh et autres c. Ca Ao (exceptions préliminaires), 122.
26 Bv By c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 028/2017, Arrêt du 2 décembre 2021 (recevabilité), 8 48.
57. La Cour prend également note de l’observation du Requérant selon laquelle
la première requête émanant de la prison d’Uyui à Bn était la requête
n° 017/2017 — Be Bk Ch et autres c. République-Unie
de Tanzanie et que la présente Requête a été déposée deux (2) mois et
dix-huit (18) jours après celle-ci.
58. La Cour estime, toutefois, qu’un tel argument ne prouve pas à suffisance
que le Requérant a poursuivi son affaire avec diligence et qu’il ne pouvait
pas avoir eu connaissance de l’existence de la Cour avant le dépôt de la
requête n° 0017/2017 — Be Bk Ch et autres c.
République-Unie de Tanzanie. La Cour considère donc que cet état de fait
ne constitue pas un facteur déterminant qui justifierait un délai aussi long
pour la saisir.
59. Enl’espèce, et bien que le Requérant fût, à l’époque des faits, incarcéré, il
n’a pas fourni à la Cour d’arguments décisifs et de preuves suffisantes pour
démontrer que sa situation personnelle l’a empêché de soumettre la
Requête en temps plus opportun.
60. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que la période de six (6)
ans, deux (2) mois et deux (2) jours qui s’est écoulée avant le dépôt de la
Requête après l’épuisement des recours internes ne constitue pas un délai
raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du
Règlement. La Cour accueille donc l’exception soulevée par l’État
défendeur sur ce point.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
61. Ayant constaté que la Requête n’a pas satisfait à la condition prévue à la
règle 50(2)(f) du Règlement, la Cour n’a pas à se prononcer sur la
conformité de celle-ci aux conditions de recevabilité énoncées à l’article 56(1), (2), (3), (4) et (7) de la Charte, reprises à la règle 50(2)(a), (b), (c),
(d) et (g) du Règlement, ces conditions étant cumulatives.?”
62. Au regard de ce qui précède, la Cour déclare la Requête irrecevable.
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
63. Le Requérant et l’État défendeur n’ont pas soumis d'observations sur les
frais de procédure.
64. La Cour relève qu’aux termes de la règle 32(2)?° de son Règlement, « [à]
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais
de procédure ».
65. La Cour note, en l’espèce, qu’il n’y a aucune raison de déroger à ce principe.
En conséquence, la Cour décide que chaque Partie supporte ses frais de
procédure.
VIII. DISPOSITIF
66. Par ces motifs,
LA COUR,
27 Bw Bu Ad Bg c. Côte d’Ivoire (compétence et recevabilité) (22 mars 2018) 2 RICA 280, 8 61 et Ac Ah Au c. République de Ghana, CAfDHP, Requête n° 016/2017, Arrêt du 28 mars 2019 (compétence et recevabilité), 8 57.
28 Article 30(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
Sur la compétence
Sur la recevabilité
ii. Rejette l'exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des
recours internes ;
À la majorité de neuf (9) voix pour et une (1) voix contre (Juge Chafika
BENSAOULA)
iv. Dit que la Requête n’a pas été déposée dans un délai raisonnable ;
v. Déclare la Requête irrecevable.
À l’unanimité,
Sur les frais de procédure
vi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fr fausse
Ben KIOKO, Juge ; MES
Suzanne MENGUE, Juge ; 2e 5 Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ges
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge 90: ; 2Y a.
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Alger, ce septième jour du mois de novembre de l’année deux-mille vingt-trois, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.