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07/11/2023 | CADHP | N°033/2016

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 07 novembre 2023, 033/2016


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES Y AI RÉPUBLIQUE-UNIE DE AO
REQUÊTE N° 033/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées…
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
B. Sur les autres aspects de la compétence 10
VI SUR LA RECEVABILITÉ

11
A. Sur l'exception tirée du non-épuisement des recours internes 13
B. Sur l’ex...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES Y AI RÉPUBLIQUE-UNIE DE AO
REQUÊTE N° 033/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées…
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
B. Sur les autres aspects de la compétence 10
VI SUR LA RECEVABILITÉ 11
A. Sur l'exception tirée du non-épuisement des recours internes 13
B. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
15
C. Sur les autres conditions de recevabilité 18
VII SUR LE FOND 19
A. Violation alléguée du droit à un procès équitable 20
! Allégation relative à la condamnation sur la base de preuves
irrecevables et incohérentes 20
Il Allégation de partialité lors du procès 25
iii. Allégation relative au défaut d'assistance judiciaire efficace 27
iv. Allégation de violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable 30
B. Violation alléguée du droit à la vie 33
! Imposition de la peine de mort sans prise en considération de l’état
mental du Requérant 34
ii. Imposition de la peine de mort 37
C. Violation alléguée du droit à la dignité 42
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS 49
A. Réparations pécuniaires 50
! Préjudice matériel 50
ii. Préjudice moral 50 B. Réparations non pécuniaires
iv. Mise en œuvre et soumission de rapports …
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
X. DISPOSITIF ….............rererrcencrs La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour* (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
Y AI
représenté par :
Me Fulgence MASSAWE, avocat désigné par la Cornell University Law School,
Br Cy Xl Law Clinic
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AO
représentée par :
ii M. Yk Xm AK, Bq Xe, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bx Ca A, Cm Bq Xe, Bureau du
Solicitor General ;
iii. Mme Cl Bi AQ, Directrice de l’Unité juridique, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
iv. Mme Ax AN, directrice adjointe, Droits de l’homme, Principal
State Xu, Cabinet de l’Xu Xe ;
v. Mme Bp AH, Yb State Xu, Cabinet de l’Xu Xe; et
vi. Mme Ci AJ, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur Y AI Zci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien qui a été reconnu coupable de meurtre le 10 octobre
2013 et condamné à la peine capitale commuée en réclusion à perpétuité
par une grâce présidentielle en mai 2020. En dépit de la commutation, il
soutient que son droit à un procès équitable a été violé durant les
procédures devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de AO (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la
« Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole, par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour
recevoir des requêtes émanant d’individus et d’organisations non
gouvernementales (ci-après désignée « la Déclaration »). Le 21 novembre
2019 l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de
l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a
décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les
affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un (1) an après le dépôt de l'instrument y relatif?, à savoir le
22 novembre 2020.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le 10 octobre 2013, la Haute Cour de l’État
défendeur a reconnu le Requérant coupable d’un « double meurtre »
commis sur sa femme et son fils dans le village de Chandulu, dans le district
de Magu, région de Mwanza, et l’a condamné à mort. Se sentant lésé, le
Requérant a saisi, le 10 octobre 2013, la Cour d’appel d’un recours en
annulation de la déclaration de sa culpabilité et de la peine prononcées à
son encontre.
4. Le 30 octobre 2014, la Cour d’appel l’a débouté. Par la suite, le 15
décembre 2014, le Requérant a introduit devant la même juridiction un
recours en révision de la décision de rejet, mais s’est ensuite désisté de son
appel avant qu’il ne soit examiné.
5. Le Requérant affirme qu’au mois de mai 2020, la peine capitale a été
commuée en réclusion à perpétuité à la faveur d’une grâce présidentielle.
B. Violations alléguées
6. Le Requérant soutient que l'imposition de la peine de mort constitue une
violation de la Constitution de l’État défendeur (ci-après désignée la
Constitution) et de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH).
Il déclare spécifiquement que l’État défendeur a violé son droit :
i. d’être jugé sans retard excessif ;
? Cz Ae Cn c. République-Unie de AO (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 38.
ii. à un procès équitable et à une procédure régulière, vu qu’il a été
déclaré coupable sur le fondement d’aveux involontaires faits sans
l’assistance d’un avocat et sans tenir compte des circonstances
atténuantes ;
ii. d’être à l’abri de la torture, du fait qu’il se trouve dans le couloir de
la mort ;
iv. à la vie, en violation de l’article 4 de la Charte et de l’article 6 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), en
le condamnant à la peine de mort obligatoire.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête a été reçue au Greffe le 8 juin 2016 et communiquée à l’État
défendeur le 27 juillet 2016.
8. Le 16 avril 2018, l’État défendeur a soumis sa Réponse qui a été
communiquée au Requérant aux fins de réplique le 4 septembre 2018.
9. Le 16 mars 2018, la Cour a accueilli l’offre de la Cornell University de fournir
au Requérant une assistance judiciaire gratuite après avoir reçu une
procuration signée de celui-ci acceptant ladite assistance. La Cornell
University a informé la Cour qu’elle avait désigné M° Fulgence Massawe
pour représenter le Requérant.
10. Le 23 janvier 2019, le Requérant a demandé à modifier sa Requête en
déposant d’autres éléments de preuve et à la compléter en y incluant une
demande en réparations. Le 4 mars 2019, la Cour a accédé à la demande
du Requérant qui, le 9 mai 2019, a déposé lesdites observations et celles-
ci ont été communiquées à l’État défendeur le 20 mai 2019.
11. Le 14 février 2020, l’État défendeur a déposé sa réponse à la Requête
modifiée.
12. Le 10 mai 2020, le Requérant a demandé l’autorisation de présenter de
nouveaux éléments de preuve, ce qui lui a été accordé. Le 8 septembre
2020, le Requérant a fourni des éléments de preuve supplémentaires qui
ont été communiqués à l’État défendeur le 30 novembre 2020.
13. L'État défendeur n’a pas conclu sur les preuves supplémentaires.
14. Les débats ont été clôturés le 8 juin 2022 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
15. Le Requérant sollicite de la Cour qu’elle :
i. Ordonne à l’État défendeur de [le] remettre en liberté ;
ii. Ordonne à l’État défendeur de lui verser des réparations ;
ii. Ordonne à l’État défendeur d’entreprendre des amendements
constitutionnels et législatifs appropriées afin d’éliminer les facteurs
systémiques qui ont conduit à la violation des droits du Requérant.
16. Le Requérant demande en outre à la Cour, à titre subsidiaire, ce qui suit :
ii Ordonner à l’État défendeur de tenir une nouvelle audience de
détermination de la peine au cours de laquelle il pourra être présent et
où la Cour pourra prendre en compte des preuves de circonstances
atténuantes individualisées, conformément aux exigences du droit
international ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de prendre les mesures appropriées pour
remédier aux violations dans un délai raisonnable, et rendre compte à
la Cour dans les six (6) mois suivant la notification de l’arrêt des mesures
prises pour le mettre en œuvre ;
iii. Accorder des réparations pour le préjudice moral qu’il a subi du fait de
la violation de ses droits ;
iv. Ordonner sa remise en liberté ou, à titre subsidiaire, ordonner à l’État
défendeur d'annuler la condamnation à mort prononcée à son encontre,
de le sortir du couloir de la mort et de commuer sa peine en une
réclusion dont la durée sera déterminée en termes d'années ; et
v. Ordonner à l’État défendeur de modifier sa législation afin de garantir le
respect du droit à la vie.
17. L'État défendeur fait valoir ce qui suit :
ii La Cour africaine des droits de l'homme et des peuples n’a pas
compétence pour statuer sur la présente Requête ;
ii. La Requête ne remplit pas les conditions de recevabilité énoncées à
l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ;
iii. La Requête ne remplit pas les conditions de recevabilité énoncées à
l’article 40(6) du Règlement intérieur de la Cour ;
iv. La Requête doit être déclarée irrecevable et rejetée en conséquence.
18. L'État défendeur demande, en outre, à la Cour de :
ii Dire et juger qu’il n’a pas violé les droits du Requérant garantis par
l’article 3(2) de la Charte ;
i. Dire et juger qu’il n’a pas violé les droits du Requérant garantis par
l’article 4 de la Charte ;
iii. Dire et juger qu’il n’a pas violé les droits du Requérant garantis par
l’article 5 de la Charte ;
iv. Dire et juger qu’il n’a pas violé les droits du Requérant garantis par
l’article 7(1)(d) de la Charte ;
v. Rejeter la Requête, car elle est dénuée de tout fondement ;
vi. Dire que les demandes du Requérant sont rejetées ;
vii. Dire que le Requérant continue de purger sa peine ;
viii. Rejeter la demande en réparation formulée par le Requérant ; et de
ix. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge
du Requérant.
SUR LA COMPÉTENCE
19. L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
20. La Cour observe, en outre, qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
elle «procède à un examen préliminaire de sa compétence [.….]
conformément à la Charte, au Protocole et au […] Règlement ».
21. Sur la base des dispositions précitées, la Cour doit s’assurer qu’elle est
compétente et statuer sur les éventuelles exceptions d’incompétence.
22. L'État défendeur soulève une exception d’incompétence matérielle de la
Cour. La Cour va donc se prononcer sur ladite exception avant d’examiner,
si nécessaire, les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
23. L'État défendeur soulève une exception d’incompétence matérielle de la
Cour tirée, d’une part, du fait que la Cour n’est pas compétente pour annuler
les décisions de sa Cour d’appel et, d’autre part, du fait qu’elle est appelée
à siéger en tant que juridiction de première instance.
24. L'État défendeur soutient que la compétence de la Cour de céans est régie
par l’article 3(1) du Protocole et par l’article 26 de son Règlement. Il affirme
qu'aux termes de ces dispositions, la Cour a « compétence pour connaître
de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout
autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États
concernés ».
25. L’État défendeur soutient qu’en premier lieu la Cour n’est pas compétente
pour apprécier les preuves produites au cours du procès et de l'appel
interjeté par le Requérant, dans la mesure où celui-ci demande à la Cour
d’annuler la déclaration de sa culpabilité et la peine prononcée à son
encontre. L'État défendeur affirme que la Cour n’est pas compétente en la
matière, étant donné que la déclaration de culpabilité et la peine ont été
confirmées par la Cour d'appel, qui est sa Juridiction suprême. Selon l’État
défendeur, le mandat de la Cour consiste à rendre des ordonnances
déclaratoires et non à annuler les décisions de la Cour d'appel.
26. L’État défendeur soutient, en outre, que la Cour de céans n’est pas une
juridiction de première instance habilitée à statuer sur des questions qui
n’ont jamais été examinées par les juridictions internes et qui sont
soulevées pour la première fois devant elle. Il affirme donc que la Cour
devrait se déclarer incompétente en l’espèce.
27. Le Requérant affirme pour sa part que la Cour a compétence pour connaître
de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant
l'interprétation et l’application de la Charte, du Protocole et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États
concernés. || soutient que la Cour exerce sa compétence dès lors que l’objet
de la Requête porte sur des violations alléguées de droits protégés par la
Charte ou tout autre instrument international relatif aux droits de l’homme
ratifié par l’État défendeur.
28. Selon le Requérant, la compétence matérielle de la Cour est établie en ce
qui concerne sa Requête puisque celle-ci porte sur des allégations de
violations de droits protégés par la Charte, à savoir le droit à une égale protection de la loi, à la dignité, à la vie et à un procès équitable, qui relèvent
de la compétence matérielle de la Cour.
29. La Cour observe qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État défendeur.
30. La Cour réaffirme que, conformément à sa jurisprudence bien établie, elle
est compétente pour examiner les procédures pertinentes devant les
juridictions internes afin d’évaluer leur conformité avec les normes
énoncées dans la Charte ou tout autre instrument ratifié par l’État
concerné.* Cette révision n’implique pas que la Cour agisse en tant que
juridiction de première instance. Par conséquent, l’exception de l’État
défendeur selon laquelle la Cour agirait en tant que juridiction de première
instance est rejetée.
31. La Cour rappelle, en outre, sa jurisprudence constante selon laquelle « elle
n’est pas une juridiction d'appel en ce qui concerne les décisions rendues
par les juridictions nationales ».” Toutefois, « [c]ela n’écarte pas sa
compétence pour apprécier la conformité des procédures devant les
juridictions nationales aux normes internationales prescrites par la Charte
ou par les autres instruments applicables des droits de l'homme auxquels
l’État défendeur est partie ».° La Cour ne statuerait donc pas comme une
3 Xx Al c. République-Unie de AO (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18.
* Ernest An Xj c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14 ; Bw Ym c. République-Unie de AO (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 26 ; Xd Bd c. République-Unie de AO (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33 ; AL Ch ZBn AiC et Xi AL ZXw CdC c. République-Unie de AO (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
5 Xj c. Malawi (compétence), ibid, 8 14.
© Ym c. AO (fond), ibid, 8 26 ; Bd c. AO (fond et réparations), supra, 8 33 ; Viking et AL c. AO (fond), supra, 8 35.
juridiction d'appel si elle venait à examiner les allégations formulées par le
Requérant. La Cour rejette, en conséquence, l’exception soulevée par l’État
défendeur à cet égard.
32. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’elle a la compétence
matérielle pour connaître de la présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
33. Le Requérant soutient que la Cour a la compétence personnelle, temporelle
et territoriale pour examiner sa Requête. Il précise que l’État défendeur est
partie à la Charte et au Protocole et que les violations de ses droits ont un
caractère continu, dans la mesure où sa condamnation à la peine de mort
et son incarcération dans le couloir de la mort sont maintenues du fait des
violations de ses droits garantis par la Charte africaine. Le Requérant
précise, du reste, que les violations alléguées se sont produites sur le
territoire de l’État défendeur.
34. La Cour observe que l’État défendeur ne conteste pas sa compétence
personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins, conformément à la règle
49(1) du Règlement,” elle doit s'assurer que les conditions sont remplies
concernant tous les aspects de sa compétence avant de poursuivre
l'examen de la présente Requête.
35. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
elle l’a indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt que, le 21 novembre 2020,
l’État défendeur a déposé l’instrument de retrait de la Déclaration prévue à
l’article 34(6) du Protocole. La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration
n’a aucun effet rétroactif. Elle n’a donc aucune incidence, ni sur les affaires
pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise
7 Article 39(1) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
d’effet un an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre
36. La présente Requête introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de
l'instrument de retrait, n’en est donc pas affectée. La Cour en conclut qu’elle
a la compétence personnelle, en l’espèce.
37. La Cour a, par ailleurs, compétence temporelle en l’espèce dans la mesure
où les violations alléguées ont été commises après que l’État défendeur est
devenu partie à la Charte et au Protocole. En outre, les violations alléguées
ont un caractère continu dans la mesure où le Requérant purge
actuellement une peine d'emprisonnement à vie, qu’il considère comme
étant injuste en ce qu’elle constitue une violation de son droit à un procès
38. La Cour souligne, enfin, qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure
où les violations alléguées se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur.
39. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
40. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, « [a Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
41. Aux termes de la Règle 50(1) du Règlement, « [Ia Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
8 Cn c. AO (arrêt), supra, 88 35 à 39. Voir également Xv Cg Xz c. République du Rwanda (compétence) (3 juin 2016) 1 RICA 575, 8 67.
9 By Xt et autres c. Xk Yh (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 88 71 à 77.
conformément aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole, et au
présent Règlement ».
42. La Règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ; et
g. ne pas concerner des affaires qui ont été réglés par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
43. En l’espèce, l’État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la
Requête, tirées l’une du non-épuisement des recours internes et l’autre du
dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable. La Cour va examiner
ces deux exceptions avant de s’assurer, si nécessaire, que les autres
conditions de recevabilité sont satisfaites.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
44. L'État défendeur soutient que le Requérant disposait de recours dans sa
juridiction, qu’il aurait pu exercer avant de déposer sa Requête. I! affirme
que le Requérant n’a pas épuisé les recours internes en ce qu’il n’a pas
introduit un recours en inconstitutionnalité afin de faire valoir ses droits
fondamentaux en vertu de la loi sur les droits et devoirs fondamentaux [Cap
3 REV 2002], recours qui lui était pourtant disponible.
45. L'État défendeur soutient, en outre, que le Requérant a soulevé de
nouvelles allégations devant la Cour de céans, qu’il avait la possibilité de
soulever comme moyens d’appel devant la Cour d’appel, notamment son
affirmation concernant la crédibilité des témoins à charge. L’État défendeur
fait valoir, par conséquent, que la saisine de la Cour de céans était
prématurée.
46. Le Requérant affirme, pour sa part, que la règle 50(2) du Règlement énonce
les conditions de recevabilité des requêtes devant la Cour, notamment, que
toute les requêtes doivent être « postérieures à l’épuisement des recours
internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ». Le Requérant
affirme qu’il a épuisé tous les recours internes ordinaires, puisqu’il a suivi
toutes les procédures pénales requises jusqu’à la Cour d’appel, qui est la
juridiction suprême de l’État défendeur.
47. La Cour observe qu’aux termes de la règle 50(2)(e) de son Règlement,
toute requête introduite devant elle doit satisfaire à l'exigence de
l'épuisement des recours internes, à moins que ceux-ci ne soient
indisponibles, inefficaces et insuffisants ou que la procédure interne ne se
prolonge de façon anormale.!° La règle de l'épuisement des recours
19 Ye c. AO (fond), supra, 8 64 ; Bw Bz Xf et Yg Cq Au c. République-Unie de AO (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 56 ; Cr Bh internes vise à donner aux États la possibilité de remédier aux violations
des droits de l’homme relevant de leur juridiction avant qu’un organe
international des droits de l'homme ne soit appelé à intervenir. La Cour
souligne le rôle subsidiaire des organismes internationaux de défense des
droits de l’homme dans la protection des droits de l’homme et des peuples.
Dans sa jurisprudence constante, la Cour a toujours considéré que pour
que cette condition de recevabilité soit remplie, les recours à épuiser
doivent être des recours judiciaires ordinaires.
48. En l'espèce, la Cour observe que la Cour d’appel, qui est la plus haute
juridiction de l’État défendeur, a rejeté l’appel du Requérant le 27 octobre
2014. Bien que le Requérant soutienne qu’il a déposé une demande en
révision de cette décision, la procédure d’appel par laquelle la Cour d’appel
a confirmé la condamnation et la peine constitue le dernier recours judiciaire
ordinaire accessible au Requérant dans l’État défendeur.
49. En ce qui concerne l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle le
Requérant n’a pas soulevé la question de la crédibilité des témoins à charge
au cours de la procédure interne, la Cour est d’avis que cette violation
alléguée s’est produite au cours de la procédure judiciaire interne qui a
abouti à la déclaration de culpabilité et à la peine prononcée à l’encontre du
Requérant. Cette allégation porte sur «un ensemble de droits et de
garanties » liés au droit à un procès équitable, objet des appels interjetés
par le Requérant.!? Les autorités judiciaires nationales ont eu amplement
l’occasion de répondre à cette allégation, de sorte qu’il n’est pas
raisonnable d'exiger du Requérant qu’il dépose une nouvelle Requête
devant les juridictions internes pour obtenir réparation de ce grief.!*
Cr et Yl Bh Cr c. République-Unie de AO (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 40.
44 Ct Ay Aq et autres c. République-Unie de AO, arrêt (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 322, 8 95.
12? Ye c. AO (fond), supra, 8 60 ; Xf et Au AP AO, supra, 8 68.
13 Ye c. AO, ibid., 88 60 à 65.
50. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que le Requérant a épuisé
les recours internes prévus à l’article 56(5) de la Charte et à la règle 50(2)(e)
du Règlement.
B. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
51. L'État défendeur soutient que si la Cour estime que les recours internes ont
été épuisés, la Requête devrait, tout de même, être rejetée pour n’avoir pas
été déposée dans un délai raisonnable à compter de la date d’épuisement
des recours internes. À cet égard, l’État défendeur déclare que sa Cour
d’appel a rendu sa décision le 27 octobre 2014 alors que la présente
Requête a été déposée devant la Cour de céans le 8 juin 2016, soit après
une période d’un (1) an et sept (7) mois.
52. L'État défendeur soutient que, bien que la règle 50(2)(e) du Règlement ne
précise pas ce qu’est un délai raisonnable, la jurisprudence internationale
en matière de droits de l'homme a évolué, fixant un délai de six (6) mois
comme étant raisonnable. || affirme qu’une fois le délai de six mois écoulé,
« les Cours et les Commissions [européennes/interaméricaines] des droits
de l'homme n’examinent pas la communication ». L'État défendeur soutient
également que le Requérant, en l’espèce, n’a mentionné aucune entrave
l’ayant empêché d'introduire la Requête dans les six mois, période qui est
considéré comme un délai raisonnable, comme indiqué dans l'affaire
Yc Cc c. Zimbabwe.
53. L'État défendeur soutient que la règle générale en matière de recevabilité
s'applique et que, pour qu’une requête soit considérée comme recevable,
toutes les conditions de recevabilité prescrites à la règle 50 (du Règlement
de la Cour) doivent être remplies. L’État défendeur en déduit que la
présente Requête ne remplit pas toutes les conditions et qu’elle devrait être
déclarée irrecevable et rejetée avec dépens.
54. Pour sa part, le Requérant affirme avoir déposé sa Requête dans un délai
raisonnable. Il soutient qu’il a introduit une requête en révision de la décision
de rejet de son recours devant la Cour d'appel le 15 décembre 2014 et qu’il
a saisi la Cour de céans le 8 juin 2016. Au moment de l’introduction de sa
Requête devant la Cour de céans, il n’avait toujours pas reçu de réponse
de la Cour d’appel concernant son recours en révision. Le Requérant
soutient que le temps qu’il a attendu après avoir introduit sa requête en
révision, à savoir un (1) an et sept (7) mois, devrait être pris en compte dans
l’appréciation du délai d’épuisement des recours internes.
55. La Cour reconnaît que la Charte et le Règlement ne prévoient pas de délai
spécifique pour l’introduction des requêtes après épuisement des recours
internes. L'article 56(6) de la Charte et la règle 50(2)(f) du Règlement
indiquent que les requêtes doivent être introduites « dans un délai
raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la
date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ». La non-précision du délai vise à permettre une certaine souplesse
et à s'assurer que la Cour prenne en compte les circonstances individuelles
tout en garantissant des saisines rapides.
56. À cet égard, la Cour a conclu que « le caractère raisonnable du délai de sa
saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire et qu’elle
doit le déterminer au cas par cas ».!* Le caractère raisonnable du délai de
sa saisine dépend donc des circonstances particulières de l’affaire.!*
57. Au nombre des circonstances que la Cour a prises en considération
figurent : le fait d’être incarcéré, profane en droit et de ne pas bénéficier
14 Xt et autres c. Xk Yh (exceptions préliminaires), supra, 8 121.
15 By Xt et autres c. Xk Yh (fond) (24 juin 2014) 1 RICA 226, 8 92. Voir également Ye c. AO (fond), supra, 8 73.
d’une assistance judiciaire," d’être indigent, d’être analphabète, de ne pas
avoir connaissance de l’existence de la Cour,!” ainsi que l'exercice de
recours extraordinaires.!8
58. Nonobstant ce qui précède, la Cour a considéré que la condition préalable
permettant de justifier du caractère raisonnable ne s'applique pas dans les
cas où le délai de dépôt est relativement court et donc manifestement
raisonnable.!?
59. Il ressort du dossier que le Requérant a épuisé les recours internes le
27 octobre 2014 lorsque la Cour d’appel a confirmé sa condamnation. Il a,
par la suite, introduit un recours en révision de ladite décision le 30 octobre
2014 mais s’est désisté. Le Requérant a saisi la Cour de céans le 8 juin
2016.
60. La question à trancher est de savoir si la période allant du 27 octobre 2014,
date à laquelle le Requérant a épuisé les recours internes, au 8 juin 2016,
date à laquelle il a saisi la Cour de céans, soit une période d’un (1) an et
sept (7) mois, est raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte et de
la règle 50(2)(f) du Règlement. ?
61. La Cour relève que le Requérant est indigent, profane en matière de droit
et incarcéré à l'instar des requérants dans des affaires antérieures où la
16 Ye c. AO (fond), supra, 8 73 ; Xa Bf c. République-Unie de AO (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 54 ; Amir As c. République-Unie de AO (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 356, 8 83.
17 As c. AO (fond), supra, 8 50 ; Bf c. AO (fond), supra, 8 54.
18 Bd c. AO (fond et réparations), supra, 8 56 ; Cr et un autre c. AO (fond), supra, 8 49 ; Xo Xn At c. République du Ghana, (fond et réparations) (28 juin 2019) 3 RICA 245, 88 83 à 86
19 Cf Ap Cx c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 065/2019, Arrêt du 29 mars 2021 (fond et réparations), 8 86 et Bk Xg AP X de AO, CAfDHP, Requête n° 058/2016, Arrêt du 13 juin 2023 (fond et réparations), 8 65.
20 À cet égard, la Cour a déjà jugé que les quatre (4) ans, neuf (9) mois et vingt-trois (23) jours, quatre (4) ans, huit (8) mois et trente (30) jours, quatre (4) ans, deux (2) mois et vingt-trois (23) jours et quatre (4) ans et trente-six (36) jours qu’il a fallu aux requérants profanes, indigents et incarcérés pour la saisir demande constituaient des délais raisonnables. Voir Cn c. AO (arrêt), supra, 8 71 ; Ye Cp Az et autre c. République-Unie de AO (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 325, 8 55 ; Bj Ce ZBuC et Ac Bs ZCpC c. République-Unie de AO (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 654, 8 51 et /van c. AO (fond et réparations), supra, 8 53.
Cour a estimé que les périodes plus longues observées, dans des
circonstances similaires, avant de la saisir constituaient des délais
raisonnables.?! La Cour reconnaît également que le Requérant, avant la
commutation de sa peine en réclusion à perpétuité, était un détenu dans le
couloir de la mort, isolé de la population générale, ayant un accès limité à
l'information et qu’il était restreint dans ses mouvements.
62. Au regard de ces circonstances, la Cour estime que le délai d’un (1) an et
sept (7) mois observé par le Requérant avant d'introduire sa Requête est
raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du
Règlement. En conséquence, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité
soulevée par l’État défendeur, tirée du dépôt de la présente Requête dans
un délai non raisonnable.
C. Sur les autres conditions de recevabilité
63. La Cour relève qu’aucune contestation n’a été soulevée concernant le
respect des conditions énoncées à la règle 50(2)(a), (b), (c), (d), et (g) du
Règlement. Toutefois, la Cour doit s'assurer que ces conditions sont
remplies.
64. || ressort du dossier devant la Cour que le Requérant a été clairement et
nommément identifié, conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement. En
outre, la Cour relève que les griefs formulés par le Requérant visent à
protéger ses droits garantis par la Charte. Elle note également que l’un des
objectifs de l’Union africaine, tel qu’énoncé à l’article 3(h) de son Acte
constitutif, est la promotion et la protection des droits de l'homme et des
peuples. En conséquence, la Cour considère que la Requête est compatible
avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte, et conclut qu’elle
satisfait aux exigences de la règle 50(2)(b) du Règlement.
21 Ibid.
65. Par ailleurs, les termes dans lesquels la Requête est rédigée ne sont ni
outrageants ni insultants à l’égard de l’État défendeur ; ce qui la rend
conforme aux exigences de la règle 50(2)(c) du Règlement.
66. La Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais sur des documents
judiciaires émanant des juridictions nationales de l’État défendeur,
conformément à la règle 50(2)(d) du Règlement.
67. La Cour constate également que la Requête ne concerne pas une affaire
qui a déjà été réglée par les Parties conformément aux principes de la
Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des
dispositions de la Charte ou de tout instrument juridique de l’Union africaine.
Elle satisfait donc à l’exigence de la règle 50(2)(g) du Règlement.
68. Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que la Requête est recevable.
VII. SUR LE FOND
69. Le Requérant allègue la violation du droit à un procès équitable, faute
d'assistance judiciaire efficace et du fait de sa déclaration de culpabilité
fondée sur des preuves peu fiables ; du droit à la vie en raison de
l'imposition de la peine de mort en l’absence d’un procès équitable ; et du
droit à la dignité/à la protection contre la torture et les traitements inhumains
en raison de son incarcération dans le couloir de la mort, en violation
respectivement des articles 4, 5 et 7 de la Charte et des dispositions
correspondantes du PIDCP. Le Requérant allègue également que son droit
d’être jugé dans un délai raisonnable a été violé.
70. La Cour examinera chacune de ces allégations.
A. Violation alléguée du droit à un procès équitable
71. Le Requérant soulève de nombreux arguments concernant des atteintes à
son droit à un procès équitable. Il affirme, en particulier, que l’État défendeur
l’a déclaré coupable sur la base de preuves douteuses et d’aveux obtenus
sous la contrainte, et ce, en l’absence d’un avocat. Le Requérant affirme
que la durée du procès a été excessivement longue, qu’il n’a pas bénéficié
d’une assistance judiciaire adéquate et que son procès a été entaché de
partialité, que ce soit dans les faits ou dans la perception qui s’en est
dégagée. La Cour va donc examiner ces allégations.
i. Allégation relative à la condamnation sur la base de preuves irrecevables
et incohérentes
72. Le Requérant allègue avoir été déclaré coupable sur la base d’éléments de
preuve incohérents et peu crédibles.
73. | soutient qu’il a été condamné sur la base d’aveux involontaires qu’il a faits
sans la présence d’un avocat. Le Requérant déclare avoir été interrogé par
la police sans la présence d’un avocat au moment de ces aveux. Il soutient,
en outre que, lors de cet interrogatoire, il était en proie à une angoisse
physique et mentale extrême due aux tortures qui lui ont été infligées par la
police et au décès de son épouse et de son fils. Le Requérant affirme que
le magistrat qui a recueilli ses aveux a, certes, mené une enquête brève et
superficielle sur son état de santé, mais celle-ci n’était pas suffisante pour
déterminer si sa douleur physique et sa détresse psychologique avaient
altéré sa capacité de renoncer à son droit de garder le silence. I| souligne
que son état mental était fragile et qu’une fois en prison, quelques jours
après avoir commis l'infraction, il a tenté de se suicider.
74. Le Requérant déclare, en outre, qu’aucun soin rapide et complet ne lui a
été administré après sa tentative de suicide. Il affirme que ses blessures
physiques non pansées et sa détresse mentale ont créé les conditions
propices à son exploitation et à sa manipulation par les fonctionnaires de police qui ont procédé à son arrestation et par le magistrat qui a enregistré
ses aveux/déclarations.
T5. Il ressort d’un rapport établi par un psychologue, qui a été soumis par le
Requérant conjointement avec sa Requête modifiée, que celui-ci souffrait
d’une réaction de stress aiguë après la commission de l’infraction. Le
Requérant en déduit qu’il se trouvait dans une situation de vulnérabilité au
moment de son interrogatoire et qu’il n’était donc pas en état de renoncer à
son droit de garder le silence. Il affirme que les conditions dans lesquelles
ses aveux ont été recueillis ont pour effet de les rendent involontaires et de
violer son droit à un procès équitable.
T6. Le Requérant affirme également que la Haute Cour, lors de l’examen de la
procédure incidente afin de conclure à la recevabilité ou non de ses aveux,
a manqué de s’enquérir de ses blessures physiques, de son état mental et
de tout traitement médical qu’il avait reçu. Il soutient, en outre, que la Haute
Cour n’a pas cherché à savoir dans quelle mesure ses blessures physiques
et son état mental avaient contribué à son incapacité à appréhender son
droit de garder le silence. Par ailleurs, il indique que la Haute Cour a déclaré
que même si les aveux du Requérant lui avait été extorqués sous l’effet de
la torture, cela n’avait aucune incidence sur lesdits aveux. Le Requérant
déclare qu’en s'appuyant sur ses aveux involontaires pour le déclarer
coupable et le condamner à mort, l’État défendeur a violé les articles 7 et
14 du PIDCP et les articles 5 et 7 de la Charte.
TT. Il affirme également qu’en l’absence de témoins directs des meurtres, la
Haute Cour s’est appuyée sur des preuves fondées sur des ouï-dire et non
fiables pour le déclarer coupable. Il précise, en particulier, qu’il ressort des
preuves fondées sur des ouï-dire qu’il se serait disputé avec sa femme la
veille du jour où il a commis l’infraction.
T8. Le Requérant déclare également que le ministère public s’est appuyé sur
d’autres preuves par ouï-dire faisant état d’une autre querelle, pour
renforcer sa thèse selon laquelle le Requérant avait l'intention de tuer sa femme. Il soutient, du reste, que les preuves fondées sur des ouï-dire, à
savoir les observations et l’opinion de Cb Aj (témoin à charge)
ont davantage renforcé la théorie du ministère public selon laquelle il avait
T9. L’État défendeur soutient que la cour d’appel a examiné les arguments
concernant l’allégation relative aux aveux extorqués au Requérant et a
conclu que le Requérant n’avait pas été contraint de faire des aveux et qu’il
avait compris son droit de garder le silence. L'État défendeur soutient, en
outre, que la déclaration du Requérant a été corroborée par des témoins à
charge.
80. L’État défendeur affirme, en ce qui concerne l’allégation selon laquelle les
témoins à charge ont rapporté des faits incohérents et que leur témoignage
n’est donc pas crédible, que ceux-ci étaient crédibles. Il soutient, en outre,
que le Requérant n’a, à aucun moment, soulevé cette question devant la
cour d’appel. L’État défendeur soutient également que devant la Cour de
céans, le Requérant n’a pas indiqué précisément les faits présentés par les
témoins à charge et qui seraient incohérents. Les témoins à charge ont
déposé sur différentes questions (faits). Il n’était donc pas possible que ces
faits soient incohérents.
81. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle les aveux admis par le
Tribunal l’ont été bien que le magistrat n’ait pas suivi la procédure légale
appropriée, l’État défendeur soutient que le magistrat a suivi la procédure
légale en vigueur lorsqu’il a consigné la déclaration/les aveux du Requérant.
Il précise que le magistrat a demandé au Requérant s’il avait subi une
agression ou un préjudice et que ce dernier ne lui a parlé que de la blessure
au niveau de ses organes génitaux, et rien d'autre à propos d’une agression
dont il aurait fait l’objet.
82. L’État défendeur affiime également que le magistrat a demandé au
Requérant s’il avait compris ou non ses droits au moment de sa déclaration.
Il affirme que la Cour d’appel a analysé la procédure légale suivie par le
magistrat et a conclu qu’elle était conforme à la loi. Il fait également valoir
que le Requérant a bénéficié de l’assistance d’un avocat pendant toute la
durée de la procédure, depuis la détention provisoire jusqu’au procès.
83. La Cour observe que l’article 7(1) de la Charte consacre les principes
fondamentaux du droit à un procès équitable en prescrivant, entre autres,
que tout individu a le droit à ce que sa cause soit entendue et le droit d’être
présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie par une cour
ou un tribunal compétent. Le respect du droit à un procès équitable
« requiert que la condamnation d’une personne à une sanction pénale et
particulièrement à une lourde peine de prison, soit fondée sur des preuves
84. En l’espèce, le Requérant allègue principalement qu’il a été reconnu
coupable de meurtre et condamné à la peine de mort sur la base de preuves
par ouï-dire non fiables et d’aveux faits involontairement, ce que l’État
défendeur conteste.
85. Il ressort du dossier que les juridictions internes ont déclaré le Requérant
coupable sur la base des dépositions de quatre (4) témoins à charge, et de
quatre pièces à conviction, dont les aveux du Requérant. Il convient de
noter que les déclarations des témoins à charge présentaient un degré de
similitude et de cohérence, étayant un récit cohérent de la perpétration du
crime. Bien qu’aucun des témoins ne fût présent au moment des faits, à
savoir lors de la commission du crime, les juridictions internes ont estimé
que leurs témoignages concordaient largement avec les aveux du
Requérant.
(2018) 2 RICA 226, 8 67.
86. En ce qui concerne le caractère involontaire que le Requérant attribue à ses
aveux, en affirmant qu’il avait été torturé avant de les faire, la Haute Cour a
examiné cette question dans le cadre d’une procédure incidente et a conclu
que le Requérant avait fait ces aveux de son plein gré, sans contrainte ou
coercition, et après avoir été dûment mis en garde par le Juge de paix qui
a enregistré sa déclaration. La mise en garde comprenait la notification que
ses déclarations pourraient être utilisées contre lui au cours du procès et
qu’il avait le droit de garder le silence. Qui plus est, la Cour d’appel a
également confirmé ce verdict après un examen méticuleux des subtilités
de l'affaire en appel.
87. S'agissant de l’allégation du Requérant selon laquelle ses aveux auraient
dû être écartés parce qu’ils ont été faits à un moment où il était en proie à
de graves douleurs physiques et à une détresse psychologique et où il
n’était pas assisté par un avocat, il convient de souligner que cette
allégation porte essentiellement sur le caractère volontaire des aveux,
question qui a été tranchée de manière définitive par la Haute Cour.
88. Quant au fait qu'aucun avocat n’était présent lors des aveux, le Requérant
n’a pas soulevé cette question devant les juridictions internes. En tout état
de cause, la Cour note que si le Requérant avait le droit d’être informé du
droit de se faire assister par un avocat depuis son arrestation et sa
détention, il n’a pas fait valoir que cela n’avait pas été le cas. Le nœud de
son argumentation se limite plutôt à la validité des aveux qui, selon lui, ont
été faits sans la présence d’un avocat. À cet égard, la Cour tient à souligner
que le fait de n’avoir pas bénéficié d’une assistance judiciaire ou de
l’assistance d’un avocat lors d’un aveu ne rend pas automatiquement l’aveu
invalide, dès lors qu’il a été fait volontairement. L’argument du Requérant à
cet égard est donc sans fondement.
89. Dans l’ensemble, la Cour ne perçoit pas d’erreur ou d’anomalie manifeste,
qui justifierait son intervention, dans l’appréciation faite par la juridiction
interne des éléments de preuve sur lesquels elle a fondé la déclaration de
culpabilité prononcée à l’encontre du Requérant. La Cour réitère sa position établie selon laquelle elle n’est pas une juridiction d’appel et que, par
principe, il appartient aux juridictions nationales de décider de la valeur
probante des éléments de preuve.” Elle ne saurait se substituer aux
juridictions nationales pour examiner les détails et les particularités des
preuves présentées dans les procédures internes.“
90. En conséquence, la Cour rejette cet aspect de l’allégation formulée par le
Requérant.
ii. Allégation de partialité lors du procès
91. Le Requérant allègue que son procès s’est déroulé avec des préjugés réels
ou perçus comme tels. Il affirme que les assesseurs ont joué le rôle d’un
second procureur, en procédant au contre-interrogatoire des témoins, en
recherchant des éléments à charge, en violation de leur obligation de
réserve et de neutralité. Selon le Requérant, cela foule aux pieds les
principes fondamentaux d’un procès équitable et les règles établies de la
procédure pénale, y compris le droit interne de l’État défendeur. Il souligne
que les assesseurs se sont engagés illégalement dans un contre-
interrogatoire d’une manière qui a clairement montré qu’ils avaient adopté
une position défavorable à son égard et qu’ils s'étaient transformés en
second procureur.
92. L'État défendeur n’a pas répondu directement à cette allégation. Toutefois,
il a réaffirmé que le procès du Requérant s’était déroulé dans le respect
absolu des règles régissant les procédures pénales internes.
93. La Cour note que l’article 7(1)(d) de la Charte consacre le droit de tout
accusé d’être jugé par un tribunal impartial. Elle observe que le concept
d’impartialité est un élément important du droit à un procès équitable. Il
24 Ibid.
signifie l’absence de parti pris ou de préjugé, réel ou apparent, et que « les
juges ne doivent pas entretenir d'idées préconçues sur l’affaire qui leur est
soumise et qu’ils ne doivent pas agir de manière à promouvoir les intérêts
de l’une des parties ».?*
94. Enl’espèce, l’allégation de partialité formulée par le Requérant ne concerne
pas les juges qui ont conduit son procès et son appel, mais les assesseurs
qui ont participé à la procédure.
95. La Cour note que dans le système de l’État défendeur, les assesseurs
jouent un rôle en aidant les juges à parvenir à des conclusions factuelles
exactes. Ils sont eux aussi tenus par l’obligation d’impartialité. Toute
apparence de partialité chez les assesseurs est susceptible de jeter le doute
sur l’impartialité des juges et la crédibilité générale des juridictions.
96. Il importe également de noter que, dans le système juridique de l’État
défendeur, le rôle des assesseurs se limite à poser des questions pour
obtenir des éclaircissements et qu’ils «ne sont pas statutairement
mandatés pour contre-interroger les témoins ».°°
97. La Cour note qu’en l'espèce, le procès du Requérant s’est déroulé en
présence de trois assesseurs, ce que la Haute Cour a approuvé, car « ni
l’accusé ni le ministère public n’ont laissé transparaître un quelconque
doute » et que leurs devoirs leur ont été signifiés.?” Il ressort du dossier que
le Requérant n’a contesté l’impartialité des assesseurs ni à ce stade ni plus
tard au cours de son procès ou de ses recours. À aucun moment il n’a
prétendu que les assesseurs avaient outrepassé leur mandat et s’étaient
livrés à un contre-interrogatoire.
25XYZ c. République du Bénin, arrêt (fond) (2020) 4 RICA 85, 88 81 et 82.
26 Ya Ah et un autre V.R, affaire pénale n°147 de 2008 et Bm Xh B, affaire pénale n° 126 de 2014 ; Ao Xq Yi c. La République, affaire pénale n° 96 de 2016.
27 Voir les archives de la Haute Cour de AO, affaire pénale n° 12 de 2012, p. 3.
98. En tout état de cause, la Cour note qu’il résulte du dossier et des propres
aveux du Requérant, que les questions posées par les assesseurs n’ont
pas été enregistrées. Seules les réponses fournies par le conseil du
Requérant au nom de son client ont été consignées. En pareille
circonstance, la Cour estime que le Requérant n’a pas apporté d’éléments
prouvant à suffisance que les assesseurs se sont livrés à un contre-
interrogatoire et ainsi outrepassé le rôle qui leur avait été assigné et que
l’impartialité de la Haute Cour a été compromise de ce fait.
99. En conséquence, la Cour conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit
du Requérant d’être jugé par un tribunal impartial en vertu de l’article 7(1)(d)
de la Charte.
iii. Allégation relative au défaut d’assistance judiciaire efficace
100. Le Requérant reproche à l’État défendeur de lui avoir fourni une assistance
judiciaire inefficace, ce qui constitue selon lui une violation de l’article 14 du
PIDCP et de l’article 7 de la Charte. Le Requérant déclare que son conseil
n’a eu ni le temps ni les facilités pour préparer sa défense. Il affirme avoir
vu son conseil pour la première fois au tribunal le jour de l’ouverture de son
procès, neuf (9) ans après son arrestation. Il soutient que son conseil n’était
pas suffisamment préparé pour le procès, ce qui a été aggravé par la perte
inévitable de preuves du fait de la longue période qui s’est écoulée entre
son arrestation et son procès. || réaffirme que le droit à l’assistance
judiciaire n’est pas satisfait par la nomination formelle d’un avocat, mais
exige que l'assistance judiciaire soit efficace et que l’État prenne des
mesures positives pour s'assurer que le Requérant exerce effectivement
son droit à l’assistance judiciaire.
101. L’État défendeur soutient qu’une assistance judiciaire a été fournie au
Requérant tout au long de son procès et que les services rendus par le
conseil ont été efficaces. || affirme que, s’il y avait eu le moindre signe
d’inefficacité, il aurait immédiatement pris des mesures pour garantir que justice soit rendue aussi bien à l'égard de la défense que du ministère
public.
102. En outre, l’État défendeur affirme que, bien qu’il reconnaisse le droit de tout
accusé à un avocat pour les crimes passibles de la peine de mort, il estime
qu’il n’est peut-être pas possible de satisfaire aux exigences de tous les
accusés et que, par conséquent, il ne peut être tenu pour responsable de
tout manquement d’un avocat désigné pour fournir une assistance
judiciaire.
103. La Cour observe que l’article 7(1)(c) de la Charte prévoit que « [t]oute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend [...]
le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur
de son choix ».
104. La Cour rappelle sa position constante selon laquelle l’article 7(1)(c) de la
Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, garantit à toute
personne accusée d’une infraction pénale grave, le droit de se voir attribuer
d'office un conseil à titre gracieux, lorsqu’elle n’a pas les moyens de le
rémunérer, chaque fois que l'intérêt de la justice l'exige.
105. La Cour rappelle, en outre, qu’elle a déjà examiné la question de
l’assistance judiciaire efficace précédemment et qu’elle a conclu que le droit
à l’assistance judiciaire gratuite englobait le droit d’être défendu par un
avocat.?° Toutefois, ce droit de choisir son propre avocat n’est pas absolu
lorsqu’il est exercé dans le cadre d’un programme d'assistance judiciaire
gratuite. La Cour a également souligné que la préoccupation principale tient
à la fourniture d’une assistance judiciaire efficace, plutôt qu’à la possibilité
de choisir un avocat selon ses préférences personnelles.“
2 Ye c. AO (fond), 8 124, Bc c. AO (fond), supra, 8 72; Xf et Au AP AO (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 104, Xc c. AO (fond), supra, 8 121.
29 Cv c. AO, arrêt (fond), supra, 8 73.
3° Ibid.
106. À cet égard, la Cour affirme qu’il est du devoir de l’État défendeur de fournir
une assistance adéquate à un accusé et de n’intervenir que lorsque celle-
ci n’est pas adéquate.*! Toutefois, s’il existe des allégations d'assistance
judiciaire inefficace, il importe que toutes ces allégations soient étayées par
des éléments de preuve.°?
107. Comme la Cour l’a reconnu dans sa jurisprudence,3 un État ne peut être
tenu pour responsable de tout manquement d’un avocat désigné aux fins
de fournir une assistance judiciaire. La qualité de la défense assurée
dépend fondamentalement de la relation entre le client et son représentant.
L’intervention de l’État n’est justifiée que lorsque l’avocat n’est
manifestement pas en mesure d'assurer une assistance efficace.
108. Néanmoins, la Cour souligne, s'agissant de la garantie d’une assistance
judiciaire efficace par le biais d’un système d’assistance judiciaire gratuite,
qu’il ne suffit pas qu’un État commette un avocat. Il doit également veiller à
ce que les prestataires de services d’assistance judiciaire dans le cadre
d’un tel système disposent de suffisamment de temps et de ressources pour
préparer et assurer une défense appropriée à tous les stades de la
procédure judiciaire.
109. En l’espèce, la question qui se pose est de savoir si l’État défendeur s’est
acquitté ou non de son obligation d’assurer au Requérant le bénéfice d’une
assistance judiciaire gratuite et efficace et s’il a veillé à ce que le conseil
dispose du temps et des facilités adéquats à la préparation de la défense
du Requérant.
110. La Cour observe, à la lecture du dossier, que l’État défendeur a fourni au
Requérant un conseil à ses propres frais tout au long de la procédure tant
devant la Haute Cour que devant la Cour d’appel. Il convient de noter qu’au
cours de l’audience préliminaire et du procès devant la Haute Cour, le
31 Ibid, 8 74, Xc c. AO (fond), supra, 8 122.
32 Ibid.
3 Bo AP AO (fond et réparations), 88 108 et 109 et Xc c. AO (fond), supra, 8 123.
Requérant était représenté par M° Nasimire et M° Mushobozi. De plus,
devant la Cour d'appel, M° Ai Cu, un avocat compétent également
commis par l’État défendeur, a fourni une assistance judiciaire au
Requérant.
111. La Cour observe également qu’il ne résulte du dossier aucun élément
indiquant que l’État défendeur a entravé l’accès du conseil au Requérant à
des fins de consultation et de préparation de la défense ; ni que l’État
défendeur a refusé au conseil du Requérant le temps et les ressources
nécessaires à la préparation d’une défense complète.
112. Par ailleurs, la Cour constate que rien ne permet de penser que le
Requérant a informé la Haute Cour ou la cour d’appel d’éventuels
manquements dans la défense assurée par son conseil. Le Requérant avait
la latitude de faire part aux juridictions internes de ses préoccupations
concernant l’assistance judiciaire qui lui était fournie, mais il ne résulte du
dossier aucun élément indiquant qu’il l’ait fait.
113. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas
violé le droit du Requérant à une assistance judiciaire efficace et qu’il n’a,
en conséquence, pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte.
iv. Allégation de violation du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
114. Le Requérant affirme qu’il a attendu pendant une période anormalement
longue avant d’être déclaré coupable et condamné, l’État défendeur l’ayant
maintenu en détention préventive pendant plus de dix (10) ans. Il ajoute que
la période de détention provisoire excède de loin les périodes jugées « non
raisonnables » dans des affaires examinées par la Cour, telles que l'affaire
Av Ye c. AO.
115. Le Requérant affirme que le retard n’est d'autant pas justifié que l'affaire
n’était pas une affaire complexe exigeant une enquête poussée. Il affirme
qu’il s'agissait d’une allégation de meurtre, fondée sur les éléments de preuve produits par les témoins et sur ses aveux, et qu'aucun élément de
preuve complexe ou sophistiqué, tel des échantillons d'ADN, n’a été produit.
Le Requérant soutient que l’État défendeur n’a pas expliqué pourquoi il a
été arrêté le 30 avril 2003 et que son procès ne s’est ouvert que le
26 septembre 2013, date à laquelle le ministère public a appelé son premier
témoin à la barre. || affirme qu’à ce moment-là, l’affaire s’était d'autant plus
complexifiée qu’avec le temps les témoins clés avaient déménagé.
116. Le Requérant soutient également que le retard ne lui est pas imputable, car
ni lui ni son avocat n’ont retardé la procédure. Il affirme que la première
action judiciaire documentée n’a eu lieu que le 14 septembre 2012, date à
laquelle il a été officiellement informé des charges retenues à son encontre
et qu’il s’est vu signifier l’acte d’accusation. Il rappelle qu’une audience
préliminaire s’est tenue le 21 novembre 2012 et que la Haute Cour a par la
suite fait des observations sur le retard accusé indiquant que son affaire
était « pendante de longue date » et qu’elle nécessitait une action
immédiate. Nonobstant ce qui précède, aux dires du Requérant, il a fallu dix
(10) autres mois avant que le procès ne s'ouvre le 26 septembre 2013.
117. Le Requérant affirme que le retard était imputable aux autorités nationales.
Il soutient que ce retard excessif n’est nullement justifié et qu’il ne peut
qu’être attribué à l’inertie, à l’inefficacité ou à la négligence dont ont fait
preuve les autorités judiciaires.
118. L'État défendeur n’a pas conclu sur l’allégation du Requérant relative au
retard excessif accusé dans l’organisation de son procès.
119. La Cour note que l’article 7(1)(d) de la Charte prévoit que toute personne a
«le droit d’être jugée dans un délai raisonnable par une juridiction
impartiale ». Cette disposition incarne l’un des principes fondamentaux d’un procès équitable, dont l'essence est parfaitement résumée dans le vieil
adage juridique : « justice différée est justice niée ».
120. La Cour observe qu’un procès diligent est crucial pour diverses raisons,
notamment pour éviter à l’accusé de subir de longues périodes d’incertitude
et de détention provisoire, qui peuvent lui infliger des souffrances
physiques, émotionnelles et psychologiques. En outre, une procédure
diligente joue un rôle essentiel dans le maintien de l’intégrité des preuves
et de la mémoire des témoins, ce qui facilite une description plus précise
des événements et accroît la crédibilité globale de la procédure judiciaire.
121. Néanmoins, la Cour reconnaît que la détermination d’un délai raisonnable
pour la tenue d’un procès n’a pas de modèle spécifique, car elle dépend
des caractéristiques propres à chaque affaire. Conformément à sa
jurisprudence, la Cour rappelle que l’évaluation de la question de savoir si
la justice a été administrée dans un délai raisonnable au sens de
l’article 7(1)(d) de la Charte tient compte d’un éventail de facteurs, parmi
lesquels la complexité de l’affaire, le comportement des parties impliquées
et les actions des autorités judiciaires, qui ont une responsabilité de
diligence indéniable, en particulier lorsque les auteurs de l’infraction
encourent de lourdes peines d’emprisonnement.**
122. En l’espèce, la Cour relève au regard du dossier que le Requérant a été
arrêté le 30 avril 2003 et interrogé par la suite par la police, ce qui l’a conduit
à faire des aveux le 2 mai 2003. Ce n’est que neuf (9) ans plus tard soit le
19 septembre 2012 qu’il a été formellement informé des charges retenues
à son encontre. L’audience préliminaire du Requérant s’est tenue le
21 novembre 2012 et son procès s’est ouvert neuf (9) mois plus tard, le
26 septembre 2013, et le verdict de condamnation a été prononcé le
10 octobre 2013.
34 Bd c. AO (fond et réparations), supra, 88 122 à 124. Voir aussi Ye c. AO (fond), supra, S 104; Ct Ay Aq et autres c. République -Unie de AO (fond) (2016) 1 RICA 526, 8 155 et Xt et autres c. Xk Yh (fond), supra, 88 92 à 97 et 152; Bo AP AO (fond), supra, 8 82.
123. La Cour relève que la longue chronologie des événements a entraîné un
délai excessif entre le moment de l'arrestation et l’ouverture du procès, soit
dix (10) ans, quatre (4) mois et vingt-sept (27) jours, période au cours de
laquelle le Requérant était en détention provisoire. Malheureusement, l’État
défendeur n’a fourni aucune justification pour ce retard, et les circonstances
de l’affaire n’offrent aucune explication claire à ce retard anormal.
124. Il ressort du compte-rendu des audiences devant la juridiction de jugement
qu’au moment où le procès s’ouvrait, certains témoins n’étaient pas en
mesure de se souvenir de certains des détails relatifs à l'incident qui s'était
produit de longue date.°5 Il ne fait aucun doute que cette situation a
considérablement influé sur l’exactitude et la fiabilité des éléments de
preuve produits par les témoins, entraînant un certain degré d’effritement
de l’intégrité du procès. Il importe de noter que la détresse émotionnelle
endurée par le Requérant pendant la période prolongée d'’incertitude dans
l’attente de son procès a davantage aggravé la situation.
125. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que la détention provisoire du
Requérant pour une durée supérieure à dix (10) ans était indéniablement
déraisonnable, constituant ainsi une violation de son droit d’être jugé dans
un délai raisonnable, garanti par l’article 7(1)(d) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la vie
126. Le Requérant soutient que l’État défendeur a enfreint son droit à la vie,
protégé par l’article 4 de la Charte. Il estime que la violation est double :
premièrement, il a été déclaré coupable et condamné à mort sans que les
juridictions internes n’aient tenu compte de son état de santé mentale au
moment de la commission du crime. Deuxièmement, la procédure de
fixation de la peine n’a pas suffisamment pris en compte les facteurs
susceptibles de constituer des circonstances atténuantes, notamment sa
35 Voir par exemple le témoignage de PW2, compte-rendu des audiences devant la Haute Cour, p. 13.
santé mentale et sa bonne moralité. La Cour examinera ces deux
allégations séparément ci-dessous.
ii Imposition de la peine de mort sans prise en considération de l’état
mental du Requérant
127. Le Requérant affirme que la Commission africaine des droits de l'homme et
des peuples a souligné que « si, pour quelque raison que ce soit, le système
de justice pénale d’un État ne répond pas, au moment du procès ou de la
condamnation, aux critères de l’article 7 de la Charte africaine ou si la
procédure particulière au cours de laquelle la peine est imposée n’a pas
rigoureusement respecté les normes d’équité les plus élevées, l’application
ultérieure de la peine de mort sera considérée comme une violation du droit
à la vie ».°° Le Requérant soutient qu’il y a eu plusieurs violations de son
droit à un procès équitable qui ont, à leur tour, donné lieu à l’imposition de
la peine de mort au Requérant, violant ainsi son droit à la vie.
128. Le Requérant affirme avoir été condamné à mort à l’issue d’une procédure
qui n’a pas respecté les normes fondamentales du droit à un procès
équitable.
129. Il affirme qu’il croit en la sorcellerie et qu’avant de commettre les crimes en
question, il a consulté deux guérisseurs traditionnels qui ont confirmé qu’il
avait été ensorcelé ou maudit. Il a été informé que ses anciens beaux-
parents l’avaient maudit et que cette malédiction pouvait entraîner sa mort.
Lorsqu’il a découvert qu’il était maudit, il a commencé à vivre avec une peur
irrationnelle qui a affecté son état mental.
130. Le Requérant déclare, en outre, qu’au moment de la commission de
l'infraction, il traversait une crise mentale, il avait peur et paniquait à l’idée
que sa famille agissait en complicité avec ses ex-beaux-parents, qui sont
des sorciers notoires, pour le tuer.
36 Observations générales n° 3 sur la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : le droit à la vie (article 4), p. 10.
131. À l’appui de son allégation de maladie mentale, le Requérant a fait une
déclaration sous serment et a également déposé des déclarations de deux
experts, un médecin et un psychologue clinicien, ainsi qu’une déclaration
sous serment d’un certain Xh An, qui a expliqué la culture de
la croyance en la sorcellerie dans la communauté Sukuma, à laquelle
appartenait le Requérant. Les déclarations professionnelles des experts
suggèrent que les symptômes ressentis par le Requérant étaient cohérents
avec la croyance de sa communauté en la sorcellerie et que sa tentative de
suicide après l’incident montrait qu’il souffrait d’un stress aigu, c’est-à-dire
d’un « ensemble de symptômes émotionnels, cognitifs et comportementaux
qui surviennent à la suite d’une exposition à un événement traumatisant ».
132. L'État défendeur n’a pas spécifiquement conclu sur la question de l’état
mental soulevée par le Requérant. Il affirme que « la Cour d’appel n’a pas
violé l’article 13(6)(a) de sa Constitution et l’article 7(1)(c) de la Charte, le
premier Requérant étant représenté par un avocat à la fois devant la Haute
Cour et devant la Cour d'appel, il n’y a donc pas eu de violation du droit à
un procès équitable et l’arrêt est conforme aux lois nationales ».
133. L'État défendeur cite l’article 27 de la Charte et soutient qu’en ôtant la vie
aux défunts, le Requérant a plutôt négligé son devoir de respecter le droit à
la vie et à la dignité des défunts. Selon l’État défendeur, le Requérant a
brutalement mis fin à la vie des défunts, et c’est donc lui qui n’a pas reconnu
les droits et les devoirs consacrés par la Charte. Enfin, l’État défendeur
soutient que, en tout état de cause, le Requérant n’a pas démontré en quoi
son droit d’être traité avec respect et dignité a été violé.
134. La Cour rappelle que l'imposition de la peine de mort doit être considérée
comme une mesure exceptionnelle, justifiant un examen approfondi de
toutes les circonstances aggravantes et atténuantes disponibles. Le caractère sacré du droit à la vie exige que la peine de mort ne soit pas
considérée comme une option par défaut parmi les sanctions pénales.”
Toutefois, si elle doit être envisagée, elle doit être strictement limitée aux
cas impliquant les crimes les plus graves et tous les doutes concernant la
culpabilité de l’accusé doivent être rigoureusement examinés et levés. Cette
précaution permet de faire en sorte que la gravité de la peine de mort soit
proportionnelle à celle du crime et que les personnes n’ayant pas de
pouvoirs volitifs ou cognitifs ne soient pas soumises à cette peine.
135. Dans ce contexte, la Cour note que si un accusé soulève des motifs
concernant sa santé mentale ou s’il existe des circonstances qui jettent un
doute sur sa capacité mentale, il est essentiel que les juridictions internes
examinent cette question de manière approfondie avant d’engager le
procès, de procéder à la déclaration de culpabilité ou au prononcé de la
peine. L'évaluation correcte de la santé mentale d’une personne est cruciale
au stade approprié de la procédure judiciaire, en fonction du moment où la
question est portée à l'attention des juridictions. Cela permet de faire en
sorte que la justice soit administrée en toute équité et que soient fournis aux
personnes souffrant de troubles mentaux potentiels un soutien nécessaire
pour préserver leurs droits tout au long de la procédure judiciaire.°ê
136. En l’espèce, la Cour note qu'aucun élément du dossier n’indique que l’état
de santé mentale du Requérant a été évoqué par celui-ci ou par ses
représentants, à l’audience préliminaire, en première instance ou en appel.
De toute évidence, le Requérant n’a pas spécifiquement soutenu, dans la
procédure interne, qu’il avait commis le crime par superstition, comme il l’a
affirmé devant la Cour.
137. La Cour note également que le Requérant n’a pas explicitement affirmé que
son incapacité mentale, au moment du crime ou pendant le procès, était
37 Ghati Xc c. République-Unie de AO, Requête n° 012/2019, Arrêt du 1° décembre 2022 (fond), 8 66.
38 Cj Ad Be c. République-Unie de AO, Requête n° 052/2016, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond), 88 72 à 77.
apparente pour la juridiction de jugement. Si le fait que le Requérant ait
déclaré s'être coupé les organes génitaux juste après l’incident peut dénoter
une certaine détresse mentale, cela n’indique pas de manière concluante
qu’il a commis le crime parce qu’il souffrait de troubles mentaux.
138. Après un examen minutieux des déclarations sous serment et des avis
d’experts présentés, la Cour n’a trouvé aucun élément justifiant qu’elle
reproche aux juridictions internes de n’avoir pas pris en compte de la santé
mentale du Requérant, qui ne serait pas au beau fixe, au moment du
procès, de la déclaration de culpabilité et de la condamnation.*®
139. La Cour considère donc que l’État défendeur n’a pas violé l’article 4 de la
Charte en ce qui concerne l'affirmation du Requérant selon laquelle les
juridictions internes l’ont condamné sans tenir compte de ses problèmes de
santé mentale.
ii. Imposition de la peine de mort
140. Le Requérant soutient que l’article 4 de la Charte et l’article 6 du PIDCP
établissent l’inviolabilité des êtres humains, affirmant le droit de chaque
individu au respect de sa vie et de l'intégrité de sa personne. En outre, il fait
valoir que ces dispositions interdisent strictement toute privation arbitraire
de ce droit fondamental.
141. Le Requérant affirme que la peine de mort obligatoire dans l’État défendeur
contrevient à l’article 6 du PIDCP et à l’article 4 de la Charte, ainsi qu’à la
DUDH. Il soutient que la peine de mort obligatoire oblitère la présomption
en faveur de la vie, la distinction entre les catégories de meurtre et viole le
droit à une procédure de personnalisation de la peine. Il soutient, en outre,
que si la peine de mort n’avait pas été obligatoire, la Haute Cour aurait pris
en considération les circonstances atténuantes lors de sa condamnation.
39 Xc c. AO (fond), supra, 8 85.
142. À cet égard, le Requérant se réfère à la décision de la Cour dans l'affaire
Bs Ba et autres c. AO, qui a établi que la peine de mort
obligatoire constitue une violation des articles 4 et 7 de la Charte. Il affirme
que la Haute Cour, comme dans l’affaire Rajabu, n’a pas été en mesure de
prendre en compte des preuves de circonstances atténuantes significatives
qui auraient permis de préserver sa dignité humaine et de prouver son
potentiel de réinsertion.
143. Dans cet ordre d’idées, le Requérant soutient que les juridictions nationales
auraient pu tenir compte de son caractère respectueux de la loi, de sa
jeunesse et de sa bonne moralité, de sa croyance profonde en la sorcellerie,
de ses remords et de son bon comportement en prison. Il affirme que cela
aurait fourni un contexte crucial sur son état d’esprit, lorsqu’il a commis les
meurtres et tenté de se suicider. Il estime que si la Haute Cour avait pris en
considération ses circonstances atténuantes, il n’aurait pas été condamné
à la peine de mort.
144. Pour sa part, l’État défendeur réfute l’argument du Requérant selon lequel
la peine de mort transgresse la Constitution et le droit à la vie consacré par
la Déclaration universelle des droits de l'homme et le PIDCP. Il affirme que
la peine de mort est compatible avec sa Constitution, la DUDH et le PIDCP.
Selon l’État défendeur, sa Cour d'appel a jugé que la peine de mort était
conforme à sa Constitution. Il souligne, en outre, que l’article 6 du PIDCP
n’abolit pas la peine de mort et, qu’en conséquence, l'imposition de cette
peine pour des crimes graves, tels que le meurtre, est légale.
145. La Cour note que le droit à la vie est le droit le plus sacré et fondamental de
tous les droits, car il constitue le fondement de la dignité humaine et
l'essence même de l’existence.“’ Sans ce droit, tous les autres droits
#0 Bs Ba et autres c. AO (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 562, 8 112.
perdent leur pertinence et leur faisabilité.** Il constitue le fondement même
sur lequel les individus peuvent chérir leurs libertés, les exercer et
poursuivre leurs rêves et leurs aspirations. Reconnaissant l'importance
primordiale de ce droit, les principales conventions internationales et
régionales relatives aux droits de l’homme protègent le caractère sacré de
la vie en interdisant explicitement que l’on n’en soit privé de façon
arbitraire.*? L'article 4 de la Charte associe également le droit à la vie à
l'inviolabilité de l’être humain, en interdisant strictement toute privation
arbitraire de la vie.
146. Dans la présente Requête, le Requérant invoque plusieurs motifs à l’appui
de son allégation de violation de l’article 4 de la Charte et de la disposition
correspondante du PIDCP. L’argument central, cependant, est que la peine
de mort obligatoire entraîne une privation arbitraire du droit à la vie,
principalement en raison de la restriction du pouvoir discrétionnaire de la
juridiction de jugement. Les motifs spécifiques du Requérant ont trait à
l’affirmation selon laquelle les juridictions internes auraient dû prononcer
une sentence individualisée tenant compte de son cas.
147. Pour apprécier le caractère arbitraire de la condamnation à mort du
Requérant, la Cour s'appuie sur sa jurisprudence constante concernant les
critères pour une telle appréciation.‘ Ces critères consistent, notamment,
à chercher à établir s’il existe une base juridique pour la condamnation à
mort, si celle-ci a été prononcée par un tribunal compétent et si une
procédure régulière a été observée tout au long de la procédure qui a abouti
à l’imposition de la peine de mort.“
#1 Commission africaine des droits de l'Homme et des Peuples c. Xs (fond) (2017) 2 RICA 9, 8 152. #2 Voir l’article 6 du PIDCP, l’article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme (1950), l’article 4 de la Convention américaine des droits de l'homme (1969) et l’article 7 de la Charte arabe des droits de l’homme (2004).
# Xc c. AO, supra, 8 75.
#4 CADHP, International Pen et autres (au nom de AMC c. Af, Communications n°° 137/94, 139/94, 154/96, 161/97 (2000) AHRLR 212 (CADHP 1998), 88 1 à 10 et 8 103 ; Ak of Conscience c. Ag Co, Communication n° 223/98 (2000) 293 (CADHP 2000), 8 20. Voir article 6(2), PIDCP ; et Xr Xy c. Saint-Vincent & les Grenadines, Communication n° 806/1998, U.N. Doc. CCPR/C7010/806/1998 (2000) (U.N.H.C.R.), 8.2 ; voir également Bs Ba et autres c. AO, (arrêt), supra, 8 104.
148. S'agissant du premier critère, la Cour note que la peine de mort est prévue
par l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur. Cette condition est donc
remplie.
149. Pour ce qui est du deuxième critère, la Cour note que l’argument du
Requérant n’est pas fondé sur l’incompétence des juridictions de l’État
défendeur à connaître des procédures ayant abouti à sa condamnation à
mort, mais sur le fait que la Haute Cour ne pouvait que prononcer une telle
peine qui est la seule prévue par la loi en cas de meurtre, privant ainsi le
juge du pouvoir discrétionnaire de prononcer une autre peine.*°
150. Au regard du dossier, et cela n’a pas été contesté par le Requérant, il est
évident que les juridictions internes n’ont ni agi au-delà de leur compétence
ni outrepassé leur autorité dans le traitement de l’affaire contre le
Requérant. La Cour conclut donc que la peine de mort a été prononcée par
une juridiction compétente.
151. S'agissant du respect de la procédure régulière, la Cour estime que le
caractère obligatoire de la peine de mort, tel que prévu par l’article 197 du
Code pénal de l’État défendeur, ne laisse aux juridictions internes d’autre
choix que de prononcer automatiquement la peine de mort dès lors que
152. La peine de mort obligatoire prive les juges du pouvoir discrétionnaire de
tenir compte, lors de la détermination de la peine, de la proportionnalité et
de la situation personnelle de l’accusé, facteur essentiel pour garantir une
procédure régulière dans les procédures pénales. Le fait de priver un juge
du pouvoir discrétionnaire de prononcer une peine en appliquant le principe
de la proportionnalité et en tenant compte de la situation particulière d’une
#5 Rajabu et autres c. AO, supra, 8 106 ; By Bo c. République-Unie de AO, CAfDHP, Requête n° 004/2015, arrêt du 10 janvier 2022, 8 147.
46 Cs c. AO (fond et réparations), supra, 8 130 ; Rajabu et autres c. AO, ibid., 8 109 ; Bo AP AO (arrêt), ibid., 8 148.
personne reconnue coupable, rend la peine de mort obligatoire non
conforme aux exigences d’une procédure pénale régulière.*”
153. La Cour estime que, si les juridictions internes de l’État défendeur étaient
dotées d’un pouvoir discrétionnaire pour prononcer une peine à l’encontre
des personnes reconnues coupables de meurtre, la Haute Cour, à titre
d’exemple, aurait pu légitimement prendre en compte tous les facteurs que
le Requérant a soulevés devant elle pour éventuellement alléger sa peine.
154. Dans ces circonstances, la Cour estime que la peine de mort obligatoire,
telle que prescrite par l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur, ne
satisfait pas au troisième critère d’appréciation du caractère arbitraire de la
peine.
155. Elle en conclut, conformément à sa jurisprudence constante, que la peine
de mort obligatoire constitue une violation du droit à la vie et contrevient à
l'interdiction de la privation arbitraire de la vie humaine.“
156. La Cour rappelle que la condamnation à mort du Requérant a ensuite été
commuée en une peine de réclusion à perpétuité par une grâce
présidentielle accordée en mai 2020, mais que cette mesure est intervenue
après que le Requérant a enduré six (6) années de souffrances dans le
couloir de la mort. Il importe de souligner que cette commutation n’enlève
rien à la violation du droit du Requérant à la vie en raison de la peine de
mort obligatoire qui a été initialement prononcée à son encontre et qui était
toujours en vigueur au moment de la saisine de la Cour. La Cour affirme
que la peine de mort obligatoire, qui prive les juges de leur pouvoir
d'appréciation, demeure contraire à l’essence du droit à la vie,
indépendamment de toute mesure de clémence ultérieure.
#8 Rajabu et autres c. AO, supra, 8 114.
157. La Cour considère donc que l’État défendeur a violé les articles 4 de la
Charte et 6 du PIDCP en condamnant le Requérant à la peine de mort
obligatoire.
C. Violation alléguée du droit à la dignité
158. Le Requérant soutient que l’État défendeur a violé son droit d’être protégé
contre la torture et les traitements cruels, inhumains et dégradants en le
plaçant dans le couloir de la mort. Le syndrome du couloir de la mort,
affirme-t-il, est le terme utilisé pour décrire l’anxiété, la crainte, la peur et
l’angoisse psychologique qui accompagnent souvent l’incarcération de
longue durée dans le couloir de la mort. Il affirme que le « syndrome du
couloir de la mort » est une forme de torture.
159. Il affirme également que les conditions de détention qu’il endure dans la
prison de Butimba sont constitutives d’actes de torture incompatibles avec
l’article 5 de la Charte. À cet égard, il mentionne que la prison est
surpeuplée et que les condamnés à mort ne peuvent interagir qu’avec
d’autres condamnés à mort ; ils ne sont pas autorisés à pratiquer du sport,
à suivre des cours, à suivre des formations ou à recevoir des journaux.
160. En outre, le Requérant affirme que l’État défendeur ne lui a pas assuré le
traitement médical nécessaire pour ses blessures, alors qu’il était évident
qu’il avait besoin d’une aide médicale. Il affirme que le refus de lui fournir
des soins rapides et complets a enfreint l’interdiction de traitements cruels
et inhumains énoncée dans la Charte.
161. Le Requérant déclare, en outre, qu’une peine de réclusion à perpétuité
alternative à la peine de mort n’est pas acceptable car elle équivaut à un
traitement cruel, inhumain et dégradant. La réclusion à perpétuité, souligne-
t-il, viole le droit inhérent à la dignité protégé par l’article 5 de la Charte et
l’article 10 du PIDCP. Il soutient donc que la Cour devrait ordonner à l’État
défendeur de ne pas imposer la peine de réclusion à perpétuité comme une
solution alternative aux violations qu’il a subies.
162. L’État défendeur tout en ne donnant pas de réponse exhaustive à ces
allégations, souligne que, tout au long du procès, il a reconnu et respecté
la dignité du Requérant, qui a été traité conformément à la loi au cours de
ses procès devant la Haute Cour et la Cour d’appel. L'État défendeur a
également souligné que la peine imposée au Requérant était justifiée au
regard de la gravité du crime dont il a été reconnu coupable.
163. En ce qui concerne l'affirmation du Requérant selon laquelle il n’a pas reçu
de traitement médical pour ses blessures, l’État défendeur soulève des
exceptions et insiste sur le fait que l’affirmation doit être étayée par des
preuves concrètes. Selon l’État défendeur, le Requérant n’a jamais été
soumis à une quelconque forme de mauvais traitement par la police et qu’il
s’est lui-même infligé ses blessures physiques car il a tenté de se suicider
après avoir commis le crime. En outre, l’État défendeur affirme que, pendant
la détention provisoire, le Requérant a reçu le formulaire d’examen médical
de la police (PF 3) pour le traitement des blessures graves alléguées.
Cependant, le Requérant n’a ni révélé ses blessures au Juge de paix ni
indiqué avoir besoin d’un traitement médical.
164. La Cour relève que l’article 5 de la Charte dispose :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d'’avillissement de l'homme notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont
interdites.
165. La Cour observe que le concept de dignité humaine revêt une signification
profonde dans le domaine des droits individuels. Il constitue la pierre angulaire sur laquelle repose l'édifice des droits de l'homme. Le droit à la
dignité exprime l’essence même de la valeur inhérente à chaque individu,
indépendamment de sa situation, de ses antécédents ou de ses choix. Il
incarne et défend fondamentalement le principe du respect du caractère
humain intrinsèque de chaque personne et constitue le fondement de ce
que signifie être véritablement humain. C’est en ce sens que l’article 5
interdit strictement toute forme de traitement portant atteinte à la dignité
inhérente à la personne.
166. En l'espèce, le Requérant soutient que l’État défendeur a enfreint son droit
à la dignité par une série d’actions : premièrement, en le plaçant dans le
couloir de la mort ; deuxièmement, en l’enfermant dans des conditions
carcérales inhumaines ; troisièmement, en lui imposant une peine de
réclusion à perpétuité sans la possibilité d’une libération conditionnelle et
quatrièmement, en ne lui fournissant pas de traitement médical pour les
blessures physiques qu’il a subies, selon lui, de la part de la police.
167. En ce qui concerne le premier argument, la Cour rappelle sa position établie
selon laquelle le couloir de la mort peut induire une détresse psychologique
importante, en particulier lorsque l'attente de l’exécution perdure.*° La Cour
affirme que la détention dans le couloir de la mort fait fondamentalement fi
des principes d'humanité et viole la dignité des personnes. La Cour de
céans reconnaît que la détresse ressentie pendant la détention dans le
couloir de la mort résulte de la peur inhérente de la mort imminente à
laquelle les condamnés doivent faire face. L’incertitude perpétuelle qui
entoure l’exécution potentielle de la peine de mort et à laquelle sont
confrontés les condamnés à mort porte atteinte à l'essence même de leur
humanité.
168. Comme indiqué plus haut, le Requérant, en l’espèce, a enduré l'incertitude
angoissante d’une exécution imminente pendant une période prolongée de
près de six ans. Ce n’est qu’à la suite d’une grâce présidentielle que sa
#9 Xc c. AO (fond), supra, 8 87.
condamnation à mort a finalement été commuée en peine de réclusion à
perpétuité. Certes, l’exécution immédiate des personnes condamnées à la
peine de mort n’est, en général, pas encouragée eu égard à la possibilité
qu’elle renferme de créer une situation irréversible, mais la Cour reconnaît
que le séjour prolongé dans le couloir de la mort a infligé une détresse
considérable au Requérant. Cette situation a inévitablement porté
gravement atteinte à son droit fondamental à la dignité humaine. La Cour
conclut par conséquent que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à
la dignité humaine.
169. En ce qui concerne le deuxième argument, la Cour note que le Requérant
dénonce la violation de son droit à la dignité en raison de ce qu’il appelle
des conditions de détention « déplorables», notamment des cellules
surpeuplées, le manque de nourriture appropriée et l’isolement du reste de
la population carcérale, ainsi que l'impossibilité de participer à des activités
sportives, à des cours, à des formations ou de recevoir des journaux.
170. La Cour observe qu’en fonction de la nature du crime et de leur situation
personnelle, telle que l’âge, le sexe et les antécédents judiciaires, les
détenus condamnés peuvent être soumis à des conditions
d’emprisonnement différentes.
171. Cependant, ces conditions ne doivent, en aucun cas, être innumaines ou
dégradantes pour les détenus. || est impératif que les conditions
d'emprisonnement évitent d’exacerber l’angoisse résultant déjà de la
privation de liberté, tout en préservant également l’estime de soi et le sens
de la responsabilité personnelle des détenus. Il conviendrait de réduire au
minimum, et dans la mesure du possible, la surpopulation des cellules. Des
installations sanitaires adéquates, une alimentation appropriée, des soins
médicaux, un engagement physique, des possibilités d’éducation et la
possibilité de maintenir et de cultiver des liens avec la famille et le monde extérieur sont essentiels.5° Il est essentiel de souligner que même les
personnes passibles de la peine de mort ne perdent leur humanité ni n’y
renoncent et qu’elles ont donc droit aux conditions humaines de base en
prison.
172. En l’espèce, le Requérant formule de graves allégations relatives à ses
conditions de détention inhumaines sans toutefois apporter la moindre
preuve à l’appui de ses allégations. Conformément au principe juridique
bien établi selon lequel la charge de la preuve incombe à la partie qui
formule une allégation, la Cour a constamment considéré que «les
affirmations d’ordre général selon lesquelles [un] droit a été violé ne sont
pas suffisantes. Des preuves plus concrètes sont requises ».°! En
conséquence, la Cour rejette l’allégation du Requérant selon laquelle il
aurait été soumis à des conditions de détention inhumaines. Elle considère
donc que l’État défendeur n’a pas violé son droit à la dignité à cet égard.
173. S'agissant du troisième argument du Requérant, la Cour tient à souligner
que l’imposition de la peine de réclusion à perpétuité pour les infractions les
plus graves ne peut, en soi, nécessairement constituer un traitement
inhumain ou dégradant, surtout lorsqu'il est possible de bénéficier d’une
libération conditionnelle.
174. La Cour observe, en l’espèce, que la condamnation initiale du Requérant
était la peine capitale, qui a plus tard été commuée en réclusion à perpétuité
à la suite d’une grâce présidentielle. Cette commutation a été effectuée
conformément aux pouvoirs dont est investi le chef de l’État défendeur en
5° Voir Déclaration de Kampala sur les conditions de détention en Afrique de 1996 ; Lignes directrices et mesures relatives à l'interdiction et à la prévention de la torture et des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Lignes directrices de Yj Yf) ; la Déclaration et le Plan d'action de Ouagadougou sur l'accélération de la réforme pénitentiaire et pénale en Afrique de 2003; Lignes directrices sur les conditions d’arrestation, de garde à vue et de détention provisoire en Afrique et l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Aw Bv) de 2015; Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Résolution sur les prisons et les conditions de détention en Afrique — ACHPR/Res. 466 (LXVII) 2020.
51 Ck Bg Cw c. République Unie de AO (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 381, 8 51.
vertu de l’article 45(1) de la Constitution.°? L’argument du Requérant porte
sur le fait que la commutation de la peine en réclusion à perpétuité n’offre
aucune possibilité de libération conditionnelle, ce qui revient en effet à lui
refuser toute possibilité de remise en liberté même en cas de réadaptation
et de réhabilitation réussie. Cependant, la Cour observe qu’aux termes de
cette disposition de la Constitution de l’État défendeur, le Président a le
pouvoir d’accorder une mesure de clémence, qui comprend le droit de
gracier toute personne reconnue coupable d’une infraction, d’accorder un
sursis à l’exécution de toute peine, d'imposer des peines moins sévères à
toute infraction en guise de substitution et de remettre tout ou partie des
175. En l’espèce, il ne résulte du dossier aucun élément indiquant que le
Requérant ne peut bénéficier d’une libération conditionnelle. Son allégation
selon laquelle il n’a pas la possibilité d’être remise en liberté n’est donc pas
fondée. Par conséquent, la Cour considère que la peine d’emprisonnement
à perpétuité qui lui a été imposée à titre de commutation de la peine de mort
ne viole pas son droit à la dignité.
176. Quant au quatrième argument du Requérant, selon lequel l’État défendeur
aurait omis de lui assurer des soins médicaux adéquats, l'examen du
dossier par la Cour révèle que le préjudice physique subi par le Requérant
au niveau de son organe reproducteur résulte de ses propres actes. À la
52 L'article 45(1) dispose : « Sous réserve des autres dispositions contenues dans le présent article, le Président peut prendre l’une ou l’autre des mesures suivantes :
(a) accorder une grâce à toute personne condamnée par un tribunal pour une infraction, et il peut, sous réserve de la loi, accorder cette grâce à titre inconditionnel ou conditionnel ;
(b) accorder à toute personne un sursis, soit indéfiniment, soit pour une période déterminée, de l'exécution de toute peine imposée à cette personne pour toute infraction ;
(c) substituer une peine moins sévère à toute peine infligée à une personne pour une infraction ; et
(d) remettre tout ou partie de toute peine infligée à une personne pour une infraction, ou remettre tout ou partie de toute peine d'amende ou de confiscation de biens appartenant à une personne condamnée qui serait autrement due au gouvernement de la République unie en raison d’une infraction ».
58 Ibid.
suite de l'événement tragique du meurtre de sa femme et de son fils, le
Requérant a tenté de mettre fin à ses jours, ce qui a entraîné la blessure
qu’il s’est infligée. Malgré cela, il incombait à l’État défendeur de lui fournir
une assistance médicale essentielle, en particulier lorsqu’il s’est rendu
compte que le Requérant avait besoin de traitement.
177. Il ressort clairement du dossier que le Juge de paix, fonctionnaire chargé
d’enregistrer les aveux du Requérant, a consigné dans son rapport qu’il
avait examiné ce dernier et qu’il avait observé des blessures sur ses parties
intimes. Cependant, lors du procès, la Haute Cour a choisi de rejeter cet
élément du rapport du fonctionnaire, soutenant que si le Requérant avait
réellement souffert de douleurs nécessitant un traitement, il en aurait fait
part à un professionnel de santé pour obtenir l’assistance nécessaire.
178. Comme la Cour l’a déjà reconnu, les juridictions internes sont mieux
placées pour apprécier les subtilités factuelles d’une affaire. En l’absence
d'erreurs flagrantes ou d'erreurs judiciaires, la Cour ne juge pas impératif
de donner la prééminence à sa propre évaluation et de parvenir à une
conclusion factuelle différente. En outre, aucun élément du dossier ne
donne à penser que le Requérant s’est vu refuser une assistance médicale
après l’avoir sollicitée. En effet, dans ses déclarations sous serment, le
Requérant admet que quelques jours, après son arrivée à la prison, il a été
« ramené » à l'hôpital afin de réparer le cathéter qui lui a été posé afin de
soigner ses blessures.** En tout état de cause, le traitement médical refusé
au Requérant pour sa blessure n’est pas d’une gravité telle qu’il constitue
un traitement cruel et inhumain tel qu’allégué par celui-ci.°* Par conséquent,
la Cour rejette cet aspect de l’allégation du Requérant.
179. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l’État défendeur a violé
le droit du Requérant à la dignité, tel que garanti par l’article 5 de la Charte,
en plaçant celui-ci dans le couloir de la mort pendant une longue période.
54 Pièce A, Déclaration sous serment de Y AI, signée le 25 octobre 2019, para. 29.
55 Voir, par exemple, /rlande c. Royaume-Uni (1978), CEDH, $ 162 ; Ab c. Turquie (2005), CEDH, 88 180 et 181.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
180. La Cour note qu’aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « [Horsqu’elle
estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y
compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
181. La Cour a constamment considéré que pour que des réparations soient
accordées, la responsabilité internationale de l’État défendeur doit être
établie au regard de l’acte illicite. Deuxièmement, le lien de causalité doit
être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. En outre, et lorsqu'elle
est accordée, la réparation devrait couvrir l’intégralité du préjudice subi.
182. La Cour rappelle qu’il incombe au Requérant de fournir des éléments de
preuve pour justifier ses demandes, en particulier pour les dommages
matériels.°° En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour a décidé que la
règle de la preuve n’est pas rigide,*” car le préjudice moral est présumé en
cas de violation.58
183. La Cour réitère également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l'homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétiton des violations, en tenant compte des
circonstances de chaque affaire.°°
56 Bw Bi et autres c. République du Rwanda, arrêt (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 680, $ 139 ; Voir également Bl Xa Am Yd c. République-Unie de AO arrêt (réparations), $ 40; Bb Bt Xb c. Xk Yh, arrêt (réparations) (3 juin 2016) 1 RJCA 358, $ 15(d) ; et Xx Al c. République-Unie de AO (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 97.
57 By Xt et autres c. Xk Yh (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 265, 8 55. Voir également Al c. AO (arrêt), ibid., 8 97.
58 Rajabu et autres c. AO, supra, & 136 ; Bd c. AO (fond et réparations), supra, 8 55 ; Ar Aa Xp c. République-Unie de AO, (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 13, $ 119 ; Xt et autres c. Xk Yh, ibid., 8 55 et Al c. AO (arrêt), ibid., 8 97.
59 Xv Cg Xz c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 20. Voir également Al c. AO (arrêt), ibid., 8 96.
184. En l'espèce, la Cour a établi que l’État défendeur a violé le droit à la vie du
Requérant, garanti par l’article 4 de la Charte, en le condamnant à la peine
de mort obligatoire, ainsi que son droit à la dignité, garanti par l’article 5 de
la Charte, en le plaçant dans le couloir de la mort. En outre, la Cour estime
que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à un procès équitable en
ne le jugeant pas dans un délai raisonnable comme le prévoit l’article 7(1)(d)
de la Charte.
A. Réparations pécuniaires
185. La Cour rappelle que pour qu’elle accorde une réparation pour préjudice
matériel, il doit y avoir un lien de causalité entre la violation constatée par
la Cour et le préjudice causé. Le requérant doit également préciser la nature
du préjudice et en apporter la preuve.®°
186. En l’espèce, le Requérant s’est contenté de demander à la Cour de lui
accorder des réparations conformément à l’article 27 du Protocole, sans
préciser la nature des réparations pécuniaires sollicitées. Il n’a pas indiqué
la nature du préjudice matériel qu’il a subi et son lien avec la violation de
ses droits, notamment de son droit à la vie, de son droit à la dignité et de
son droit à un procès équitable, protégés par les articles 4, 5 et 7(1)(d) de
la Charte.
187. Dans ces circonstances, la Cour ne fait pas droit à la demande de
réparations pour préjudice matériel.
ii. Préjudice moral
188. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations pour
préjudice moral. Il lui demande de présumer l’existence d’un lien de
(réparations), 8 20.
causalité entre les violations établies de ses droits et tout préjudice moral
subi, sans autre élément de preuve concret.
189. L’État défendeur soutient que la déclaration de culpabilité et la peine
subséquente prononcées à l’encontre du Requérant sont le résultat direct
de ses propres actions coupables. Il affirme ainsi que celui-ci ne devrait pas
avoir droit à une quelconque forme de réparation.
190. Conformément à sa jurisprudence établie selon laquelle le préjudice moral
est présumé dans les cas de violations des droits de l’homme, la Cour note
que le montant des dommages-intérêts à cet égard est évalué sur une base
d'équité, en tenant compte des circonstances de l’affaire.8!
191. En l’espèce, la Cour a conclu à la violation du droit à la vie, du droit à la
dignité et du droit à un procès équitable du Requérant, protégés par les
articles 4, 5 et 7(1)(d) de la Charte. Le Requérant a donc droit à des
réparations pour préjudice moral, car il existe une présomption qu’il a subi
une certaine forme de préjudice moral du fait desdites violations.S?
192. La Cour rappelle que la Haute Cour a condamné le Requérant à la peine
de mort le 10 octobre 2013, peine qui a ensuite été confirmée par la Cour
d’appel le 30 octobre 2014. Il est évident que le Requérant a subi un
préjudice moral considérable pendant son séjour dans le couloir de la mort,
depuis le moment de sa condamnation jusqu’à la commutation de sa peine
de mort en peine de prison à perpétuité en mai 2020. L’incertitude
concernant l’issue du recours, associée à la possibilité imminente de son
exécution a notamment aggravé la détresse psychologique endurée par le
Requérant. De plus, ce préjudice a été exacerbé par le retard considérable
81 By Xt et autres c. Xk Yh (réparations), supra, $ 55; Xz c. Rwanda (réparations), supra, $ 59; Xa Bf c. République-Unie de AO (réparations) (25 septembre 2020) 4 RICA 550, 8 23.
82 Cn c. AO (arrêt), supra, 8 151.
qu’il a subi avant l’ouverture de son procès. Dans ces circonstances, il ne
fait aucun doute que le Requérant a subi un traumatisme considérable.
193. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le Requérant a enduré des
souffrances morales et psychologiques en raison des violations subies et
décide de lui accorder des réparations pour préjudice moral à hauteur de
cing-cents mille (500 000) shillings tanzaniens.
B. Réparations non pécuniaires
i. Garanties de non-répétition
194. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de modifier
ses lois afin d’assurer la protection du droit à la vie garanti par l’article 4 de
la Charte, en supprimant la condamnation obligatoire à la peine de mort en
cas de meurtre.
195. L’État défendeur réitère que la peine de mort est une forme légale de
punition et que sa loi prévoyant la peine de mort est compatible avec le
PIDCP qui permet l'imposition de la peine de mort pour les crimes graves
tels que le meurtre.
196. La Cour rappelle que, dans des arrêts antérieurs portant sur la peine de
mort obligatoire et concernant le même État défendeur, elle avait ordonné
que les dispositions de son code pénal prévoyant la peine de mort
obligatoire soient supprimées pour s’algner sur les obligations
internationales du pays.® La Cour fait le constat judiciaire de ce que, près
de quatre (4) ans après la prise du premier arrêt de ce type, l’État défendeur
n’a pas, à la date du présent Arrêt, exécuté ladite ordonnance. Il convient
de noter que des mesures identiques ont également été ordonnées dans
deux autres arrêts rendus en 2021 et 2022, dont aucune n’a été mise en
œuvre jusqu’à présent.
88 Rajabu et autres c. AO (fond), supra, 8 163, Bo c. République-Unie de AO, arrêt (fond), supra, 8 207 ; Cs c. AO (fond), supra, 8 170.
197. || résulte du non-respect par l’État défendeur des décisions antérieures de
la Cour que des personnes se trouvant dans une situation similaire à celle
du Requérant, soit avant que sa peine ne fut commuée en réclusion à
perpétuité, risquent toujours d’être exécutées si elles sont reconnues
coupables ou d’être condamnées à la peine de mort obligatoire si elles sont
jugées.
198. Afin de garantir la non-répétition des violations établies, la Cour réitère ses
décisions antérieures et ordonne donc à l’État défendeur de prendre toutes
les mesures nécessaires pour abroger de son code pénal la disposition
prévoyant la peine de mort obligatoire.
ii. Remise en liberté
199. Le Requérant demande à la Cour d’annuler la déclaration de sa culpabilité
et la peine prononcées à son encontre et d’ordonner sa remise en liberté. Il
demande à la Cour d'annuler la peine de mort qui lui a été imposée et
d’ordonner sa remise en liberté.
200. Le Requérant soutient que sa remise en liberté est le moyen le plus pratique
de lui accorder une réparation adéquate, compte tenu des conditions
carcérales pénibles qu’il endure.
201. Subsidiairement, à titre de mesure de restitution, il demande à la Cour
d’ordonner à l’État défendeur de tenir une nouvelle audience de fixation de
la peine et d'examiner les circonstances atténuantes en ce qui le concerne.
202. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de remise en
liberté du Requérant, étant donné que celui-ci purgeait une peine légale qui
lui avait été imposée conformément à ses lois. Il soutient également que la
prise de mesure de mise en liberté ne relève pas du mandat de la Cour.
203. En ce qui concerne la demande du Requérant tendant à l’annulation de la
déclaration de sa culpabilité, à l’annulation de la peine de mort prononcée
à son encontre et à la prise d’une mesure de remise en liberté, la Cour
rappelle qu’elle n’a pas compétence pour annuler les décisions rendues par
les juridictions nationales.“ Toutefois, cela n’écarte pas sa compétence
pour apprécier la conformité des procédures devant les juridictions
nationales aux normes internationales prescrites par la Charte ou par les
autres instruments des droits de l'homme ratifiés par l’État concerné.65
204. En l’espèce, la Cour estime que les violations établies dans le présent Arrêt
n’ont pas eu d’incidence sur la condamnation du Requérant. Par
conséquent, elle rejette la demande du Requérant tendant à l’annulation de
sa condamnation.
205. La Cour rappelle, en outre, que la peine de mort a déjà été commuée en
une peine de réclusion à perpétuité. Il en résulte que cette demande
spécifique est devenue caduque et donc sans objet.
206. Dans le même ordre d'idées, la Cour estime que la demande du Requérant
tendant à ce qu’il soit ordonné à l’État défendeur de tenir une nouvelle
audience de fixation de peine et de prendre en compte les circonstances
atténuantes n’est pas justifiée. Par conséquent, elle rejette également cette
demande.
iii. Publication
207. Aucune des Parties n’a présenté d'observations concernant la publication
du présent Arrêt.
84 Ernest An Xj c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
85 Xj c. Malawi, ibid. ; Bw Ym c. République-Unie de AO (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 26 ; Xd Bd c. AO (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RJCA 493, 8 33 ; AL Ch ZBn AiC et Xi AL ZXw CdC c. République-Unie de AO (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
208. La Cour estime cependant que, pour des raisons désormais bien établies
dans sa pratique, et compte tenu des circonstances particulières de cette
affaire, la publication du présent Arrêt se justifie. À l’état actuel du droit dans
l’État défendeur, les menaces à la vie et à la dignité liées à la peine de mort
obligatoire persistent. Rien n’indique non plus que des mesures sont prises
de manière à modifier et aligner le Code pénal sur les obligations
internationales de l’État défendeur en matière de droits de l’homme. Il en
résulte que les garanties prévues par la Charte ne sont toujours pas
certaines pour les justiciables. La Cour estime donc qu’il y a lieu de rendre
une ordonnance de publication du présent Arrêt.
iv. Mise en œuvre et soumission de rapports
209. À part une demande générique sollicitant de la Cour qu’elle accorde toute
autre mesure qu’elle jugerait appropriée, aucune des Parties n’a formulé de
demande spécifique en ce qui concerne la mise en œuvre de l’Arrêt et la
soumission de rapports.
210. La justification fournie précédemment en ce qui concerne la décision de la
Cour d’ordonner la publication de l’Arrêt malgré l’absence de demande
expresse de la part des Parties s'applique également à la mise en œuvre
des décisions et à la soumission de rapports. S’agissant plus
particulièrement de la mise en œuvre, la Cour note que, dans ses arrêts
précédents ordonnant l’abrogation de la disposition relative à la peine de
mort obligatoire, il avait été ordonné à l’État défendeur de mettre en œuvre
les décisions dans un délai d’un (1) an à compter de la date de leur
211. Compte tenu du non-respect des décisions énoncées plus haut, la Cour
estime que réitérer le même délai dans la présente Requête nuirait à
l'urgence de faire supprimer la disposition contestée du Code pénal de l’État
6 Ba AP AO, ibid, 8 171(xv et xvi) ; Bo AP AO, ibid, 8 203.
défendeur. Dans ces circonstances, la Cour décide de fixer le délai de mise
en œuvre à six (6) mois à compter de la date du présent Arrêt en ce qui
concerne la mesure législative que l’État défendeur devrait prendre pour
abroger les dispositions relatives à la peine de mort obligatoire de son Code
pénal.
212. En ce qui concerne la soumission de rapports, la Cour estime qu’il s’agit
d’une pratique judiciaire. En ce qui concerne plus particulièrement les
délais, la Cour note que les délais prévus dans les arrêts en attente
d’exécution ont atteint trois (3) ans au total. Pour les mêmes raisons que
celles exposées lors de l'examen des ordonnances de publication et
d’exécution, un rapport devrait être soumis dans un délai plus court que
celui fixé dans les différents arrêts. La Cour estime que le délai approprié
devrait donc être de six (6) mois, au regard des circonstances.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
213. Le Requérant demande à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge de l’État défendeur.
214. L'État défendeur demande, pour sa part, que les frais de procédure liés à
la présente Requête soient mis à la charge du Requérant.
215. La règle 32(2) du Règlement dispose : « [à] moins que la Cour n’en décide
autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».87
216. La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle les réparations peuvent
inclure les frais de justice et autres frais engagés dans le cadre de la
87 Article 30(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
procédure internationale. En outre, il incombe au Requérant de fournir des
justifications et des preuves de tous les frais encourus, ce qu’il n’a pas fait.
217. La Cour estime donc qu’il n’y a pas lieu de s’écarter des dispositions de
l’article 30 du Règlement et décide, en conséquence, que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
DISPOSITIF
218. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence :
ii. Dit qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à la
dignité, garanti par l’article 5 de la Charte, en ne lui fournissant
pas de traitement médical pour les blessures physiques qu’il
s’était lui-même infligées ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable, garanti par l’article 7 de la Charte, en le déclarant coupable sur la base de preuves non fiables et d’aveux
involontaires.
À la majorité de huit (8) voix pour et deux voix (2) contre, les Juges Blaise
TCHIKAYA et Dumisa B. NTSEBEZA étant dissidents,
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à la
dignité, garanti par l’article 5 de la Charte, en le plaçant, selon lui,
dans des conditions carcérales inhumaines et dans le couloir de
la mort ;
viii. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à la vie en le
condamnant à la peine de mort obligatoire, en violation de l’article
4 de la Charte, indépendamment de la commutation ultérieure de
ladite peine en réclusion à perpétuité ;
À l’unanimité
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant d’être jugé
dans un délai raisonnable, garanti par l’article 7(1)(d) de la Charte.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
x. Fait droit à la demande formulée par le Requérant au titre du
préjudice moral et lui alloue la somme de cing-cents mille
(500 000) shillings tanzaniens ;
xi. Ordonne à l’État défendeur de payer le montant indiqué au point
(x) ci-dessus, en franchise d'impôt et à titre de juste
compensation, dans un délai de six (6) mois à compter de la date
de notification du présent Arrêt, faute de quoi il sera tenu de payer
des intérêts moratoires calculés sur la base du taux en vigueur de
la Banque centrale de AO pendant toute la période de retard
jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
Réparations non pécuniaires
xii. Rejette la demande du Requérant tendant à l'annulation de sa
condamnation et à sa remise en liberté ;
xiii. Déclare la demande du Requérant tendant à l’annulation de la
peine de mort prononcée à son encontre, sans objet ;
xiv. Ordonne, toutefois, à l’État défendeur de prendre toutes les
mesures nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de
la notification du présent Arrêt, pour supprimer de ses lois la
condamnation obligatoire à la peine de mort ;
xv. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dans un
délai de trois (3) mois à compter de la date de sa notification, sur
le site Internet du ministère de la Justice et du ministère des
Affaires constitutionnelles et juridiques, et de veiller à ce qu’il y
reste accessible pendant au moins un (1) an après la date de sa
publication ;
xvi. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre un premier rapport
sur la mise en œuvre du présent Arrêt, dans un délai de (6) mois,
à compter de sa notification, puis des rapports selon la même
périodicité jusqu’à l’exécution totale de toutes ses décisions ;
Sur les frais de procédure
xvii.Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; Jrdte fausse -
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge : pe, leo) Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; H « On la
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ge
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eur am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge Rs
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la Règle 70(1) et (3) du Règlement, l'opinion dissidente du Juge Blaise TCHIKAYA et la déclaration du Juge Dumisa B. NTSEBEZA sont jointes au présent arrêt.
Fait à Alger, ce septième jour de novembre de l’an deux mille vingt-trois en français et en anglais, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 033/2016
Date de la décision : 07/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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