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07/11/2023 | CADHP | N°034/2016

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 07 novembre 2023, 034/2016


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION
sÉS) SAS ( * UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
B A
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 034/2016
ARRÊT
7 NOVEMBRE 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS.
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
Sur l’exception d’irr

ecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes 10
Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non ...

AFRICAN UNION
sÉS) SAS ( * UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
B A
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 034/2016
ARRÊT
7 NOVEMBRE 2023 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS.
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes 10
Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable . 12
Sur les autres conditions de recevabilité 14
DIR SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 15
DAIIR DISPOSITIF 15 La Cour composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Dennis D. ADJEI — Juges ; et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné « le Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement de
la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la Juge Imani D. ABOUD, Présidente de
la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
B A
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Bk Ck Cj AJ, By Ax, Bureau du Solicitor
General ;
ii. Mme Bw Bz AH, Aa By Ax, Bureau du Solicitor
General;
ii. M. Bq C, Directeur, Contentieux civil, Principal Ab Bs,
Bureau du Solicitor General;
iv. M. Cm Bj X, Directeur adjoint, Droit de l'homme et contentieux
électoral, Bureau du Solicitor General ;
v. Mme As AG, Ab Bs, Bureau du Solicitor General ;
vi. Mme Av Y, Ab Bs, Bureau du Solicitor General ; et
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
vi. Mme Al AI, Juriste, ministère des Affaires Étrangères et de la
Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur B A (ci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant de la République-Unie de Tanzanie, qui au moment du dépôt
de la Requête, purgeait deux peines concomitantes de cinq (5) et trente
(30) ans de réclusion à la prison centrale de Butimba à Ak,
respectivement pour cambriolage et vol à main armée. Il allègue la violation
de ses droits dans le cadre des procédures devant les juridictions
nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur ») qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. En outre, le 29 mars
2010, l’État défendeur a déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) du
Protocole (ci-après désignée « la Déclaration ») en vertu de laquelle il a
accepté la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des
individus et des organisations non gouvernementales (ONG). Le 21
novembre 2019, l’État défendeur a déposé auprès de la Commission de
l’Union africaine, l'instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé
que ce retrait n’a aucune incidence ni sur les affaires pendantes, ni sur les
nouvelles affaires introduites avant l'entrée en vigueur dudit retrait, un (1)
an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
? Ap Ae An c. Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 88 35 à 39 ; Am Cg Bx Z Ak (compétence) (3 juin 2016) 1 RICA 585, 8 67.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. | ressort du dossier que, dans la nuit du 09 au 10 février 2000, le Requérant
avec d’autres personnes ne comparaissant pas devant la Cour de céans,
se sont introduits par effraction au domicile du sieur Bt Bc sis
au village de Ipala, District de Nzega (Région de Tabora). Ils l’ont forcé à
leur remettre la somme de soixante-quinze mille (75 000) Shilling
tanzaniens.
4. Après qu’ils se sont enfuit, l'épouse de la victime a appelé à l’aide ses
voisins qui ont accouru. Ainsi, la victime et les villageois ont pu rattraper les
agresseurs en possession de l’arme du crime et de l’argent extorqué.
5. Le Requérant et un autre ont, par la suite, été inculpés par le Tribunal de
district de Nzega des chefs d'accusation de vol avec effraction et de vol à
main armée dans l’affaire pénale n° 20 de 2000.
6. Le 14 mai 2001, le Tribunal du District de Nzega a déclaré le Requérant
coupable de vol avec effraction et vol à main armée et l’a condamné à deux
peines concomitantes d’emprisonnement de cinq (5) et trente (30) ans
respectivement.
7. Le Requérant a interjeté un premier appel devant la Haute Cour de Tabora
qui, le 15 juillet 2002, a confirmé la décision du Tribunal de District de
Nzega. Il a, ensuite, interjeté un second appel devant la Cour d’appel de
Ak, qui a rendu un arrêt confirmatif le 16 juillet 2004.
B. Violations alléguées
8. Le Requérant allègue la violation des droits suivants :
i. le droit à la non-discrimination protégé par l’article 2 de la Charte.
ii. le droit à une totale égalité devant la loi et à une égale protection devant
la loi, protégé par l’article 3(1) et (2).
iii. le droit à un procès équitable, garanti par l’article 7(1)(c) de la Charte.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
9. Le8 juin 2016, le Greffe a reçu la Requête introductive d’instance qui a été
communiquée le 3 août 2016 à l’État défendeur, puis aux autres entités
prévues à la règle 42(4) du Règlement, le 8 septembre 2016.
10. Les Parties ont déposé leurs observations sur le fond dans les délais fixés
par la Cour. Cependant, l’État défendeur n’a pas donné suite aux
observations du Requérant sur les réparations bien qu’ayant bénéficié de
plusieurs prorogations de délais à cet effet.
11. Le 26 juillet 2023, les débats ont été clôturés et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
12. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Déclarer la Requête recevable ;
ii. Rétablir la justice, annuler la condamnation prononcée à son encontre
et ordonner sa remise en liberté ; et
iii. Ordonner toute autres mesures qu’elle juge appropriée au regard des
circonstances de l’espèce.
13. Dans ses observations sur les réparation, le Requérant demande à la
Cour de :
ii Ordonner son acquittement conformément à l’article 27(1) du Protocole,
après avoir constaté que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte en ne lui ayant pas commis un avocat de son choix, tant en
instance qu’en appel ; et
ii. Lui accorder des réparations pécuniaires dont le montant sera fixé sur
la base du revenu annuel des citoyens, et ce, pour toute la durée de sa
détention.
14. L'État défendeur demande à la Cour de :
ii Dire et juger que la Cour n’est pas compétente pour statuer sur la
Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité prévues à l’article 56(5) de la Charte ;
iii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité prévues à l’article 56(6) de la Charte ;
iv. Déclarer la Requête irrecevable ;
v. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
protégés par l’article 2 de la Charte ;
vi. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
protégés par l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
vil. Dire et juger que la Requête n’est pas fondée et la rejeter, en
conséquence ; et
viii. Ordonner que le Requérant purge sa peine et qu’il n’a droit à aucune
réparation.
V. SUR LA COMPÉTENCE
15. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
16. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « [Ia Cour procède à un
examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au
Protocole et au [.…] Règlement ».
17. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit procéder à un
examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles exceptions
d’incompétence.
18. La Cour observe qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. La Cour va se prononcer sur ladite exception
avant d’examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
19. L'État défendeur soutient que la compétence de la Cour de céans est régie
par l’article 3 du Protocole et par la Règle 29 de son Règlement intérieur.
20. Il soutient, en outre, que les dispositions des articles susmentionnées ne
donnent pas compétence à la Cour de céans pour statuer en tant que
juridiction d'appel et qu’en conséquence, elle n'a pas compétence pour
examiner la présente Requête, réviser l’arrêt de la Cour d’appel, examiner
les preuves, annuler la condamnation et la peine et ordonner la remise en
liberté du Requérant.
21. Le Requérant conclut au rejet de l'exception en soutenant qu’il n’a pas saisi
la Cour de céans à l’effet qu’elle siège en tant que juridiction d’appel mais
qu’il a plutôt introduit une Requête alléguant des violations des droits de
l’homme.
3 Article 26 du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
22. Il ajoute que pour les raisons susmentionnées, la Cour est compétente pour
examiner la Requête dans la mesure l’État défendeur en l’espèce est un
État partie à la Charte. Le Requérant soutient en outre, que la Cour est
compétente dès lors que la Requête soulève des violations de droits de
l'homme protégés par la Charte, instrument auquel l’État défendeur est
partie.
23. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner « toutes les affaires et tous les différends dont
elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte, du
Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme
et ratifié par les États concernés ».
24. La Cour souligne que sa compétence matérielle est, ainsi, subordonnée à
l’allégation, par le Requérant de violations de droits de l'homme protégés
par la Charte ou tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État défendeur“ En l’espèce, le Requérant allègue la violation des
articles 2, 3(1)(2), et 7(1)(c) de la Charte.
25. La Cour rappelle, en outre, conformément à sa jurisprudence constante,
qu’elle n’est pas une juridiction d'appel des décisions rendues par les
juridictions nationales.° Toutefois, « cela n'écarte pas sa compétence pour
apprécier la conformité des procédures devant les juridictions nationales
aux normes prescrites par la Charte ou par les autres instruments de
protection des droits de l’homme auxquels l’État défendeur est partie ».° La
Cour ne statuerait donc pas comme une juridiction d’appel si elle venait à
examiner les allégations du Requérant.
4 Be Bm c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 28 ; Aw Bg c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33 ; Kalebi Elisamehe c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18.
5 Ernest Bp Bi c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
8 Bv As c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 26 ; Guéhi c. Tanzanie, supra, 88 33.
26. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par l’État
défendeur et considère qu’elle a la compétence matérielle pour examiner la
présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
27. La Cour relève que l’État défendeur ne conteste pas sa compétence
personnel, temporel et territorial. Ayant constaté qu’aucun élément du
dossier n’indique qu’elle n’est pas compétente sur ces aspects, la Cour
considère qu’elle a :
ii La compétence personnelle dans la mesure où, comme indiqué
au paragraphe 2 du présent Arrêt, l’État défendeur a fait la
Déclaration. Le 21 novembre 2019, l’État défendeur a déposé
l'instrument de retrait de sa Déclaration faite en vertu de l’article
34(6) du Protocole. La Cour a décidé que ledit retrait n’a aucun
effet rétroactif et n’a, non plus, aucune incidence ni sur les affaires
pendantes devant elle avant le dépôt de l'instrument de retrait de
la Déclaration, ni sur les requêtes introduites avant que le retrait
ne prenne effet, soit un (1) an après le dépôt de l’instrument y
relatif, à savoir le 22 novembre 2020.” La présente Requête
introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de l’instrument de
retrait de sa Déclaration, n’en est donc pas affectée.
i. La compétence temporelle, dans la mesure où les violations
alléguées ont été commises après que l'État défendeur est
devenu partie à la Charte. En outre, les violations alléguées ont
un caractère continu, la condamnation du Requérant ayant été
maintenue en dépit de ce qu’il considère comme une procédure
7 An c. Tanzanie, supra, 88 33 à 39 ; voir également Bx Z Ak, supra, 8 67.
8 Ag Bo et autres c. Cf Ba (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 8 77.
iii. La compétence territoriale, dans la mesure où les violations
alléguées ont été commises sur le territoire de l’État défendeur.
28. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
29. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [a Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
30. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au
[...] Règlement ».
31. En outre, la règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les
dispositions de l’article 56 de la Charte, dispose :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l'égard de l’État concerné et ses institution ou de l’Union
africaine ;
d. ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date de sa
saisine ; et
g. ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union Africaine ou des
dispositions de la Charte.
32. La Cour note que l’État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité
tirées, l’une du non-épuisement des recours internes et, l’autre du dépôt de
la Requête dans un délai non raisonnable. La Cour va statuer sur lesdites
exceptions avant d'examiner, si nécessaire, les autres conditions de
recevabilité.
A. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours
internes
33. L'État défendeur soutient que le Requérant avait la possibilité de soulever
ses griefs lors du contre-interrogatoire des témoins et comme motifs d’appel
devant la Haute Cour et la Cour d'appel.
34. Il fait valoir, en outre, que le Requérant disposait d’une voie légale
consistant à former un recours en révision de la décision de la Cour d’appel,
en vertu de l’article 66 du Règlement de la Cour d'appel de 1979, tel que
modifié, s’il estimait qu’il disposait de moyens suffisamment convaincants.
Il affirme, qu’au lieu d’exercer le recours disponible, le Requérant a saisi
prématurément la Cour de céans afin d’obtenir réparation.
35. L'État défendeur affirme également que le Requérant aurait pu, en vertu de
la loi sur les droits et devoirs fondamentaux (Au Bl and duties
enforcement Act, Cap 3), introduire un recours en inconstitutionnalité afin de
faire valoir les droits qui, selon lui, auraient été violés.
36. À l’appui de son argument, l’État défendeur cite la décision de la
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (la
Commission) dans l’affaire Sharingon et autres c. Tanzanie où la
Commission a affirmé qu’il est nécessaire tout au moins de tenter d’épuiser
les recours disponibles et qu’il ne suffit pas de mettre en doute le bien-fondé
de l’épuisement des recours internes. Il ajoute qu’il incombe au Requérant
de prendre toutes les mesures nécessaires pour épuiser ou au moins tenter
d’épuiser les recours internes.
37. Le Requérant conclut au rejet de l’exception. Il soutient que tous les recours
judiciaires pertinents, ouvertes notamment par la Haute Cour et par la Cour
d'appel, qui est la plus haute juridiction de l’État défendeur, ont été épuisés
38. Le Requérant ajoute que les arguments de l’État défendeur ne sont pas
fondés dans la mesure où ses juridictions avaient la possibilité de régler les
questions soulevées et réparer le préjudice. Il soutient, enfin, qu’il n’est pas
nécessaire de former un recours en révision de la décision de la Cour
d'appel, contrairement à l’affirmation de l’État défendeur.
39. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
dont elle est saisie doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des recours
internes. En ce qui concerne les recours à épuiser, la Cour a considéré
qu’ils doivent être des recours judiciaires ordinaires.®
9 Af Cc c. République du Rwanda, CAfDHP, Requête n° 023/2015, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 74 ; Ay Ch c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 64.
40. Par ailleurs, conformément à sa jurisprudence, la Cour souligne que, dans
le système judiciaire de l’État défendeur, les Requérants ne sont pas tenus
de saisir la Haute Cour d’un recours en inconstitutionnalité pour faire valoir
leurs droits, après que la Cour d’appel s’est prononcée sur l’affaire, un tel
recours ayant été jugé par la Cour de céans comme étant un recours
extraordinaire.!°
41. La Cour observe qu’en l’espèce, la Cour d’appel a statué sur le recours du
Requérant le 16 juillet 2004. Le Requérant a donc épuisé les recours
internes dès lors qu’il a franchi les différentes étapes du système judiciaire
jusqu’à la Cour d’appel, qui est la plus haute juridiction de l’État défendeur.!!
42. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l'exception de l’État défendeur
et conclut que le Requérant a épuisé les recours internes conformément
aux exigences de l’article 56(5) de la Charte et de la règle 50(2)(e) du
Règlement.
B. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
43. L'État défendeur soutient que la Requête n’a pas été introduite dans un
délai raisonnable.
44. Le Requérant n’a pas conclu sur cette exception.
45. La Cour note que la question qu’elle doit examiner est celle de savoir si le
délai observé par le Requérant avant de la saisir est raisonnable, au sens
19 Ag Bu c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022, 8 61 ; Ci Ce Az c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 570, 8 46, Bn Cd c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 88 66 à 70 ; Ch c. Tanzanie, supra, 88 63 à 65.
14 At Ai dit At Bb c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 026/2015, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 51 ; Cd c. Tanzanie (fond), supra, 8 76.
de l’article 56(6) de la Charte lu conjointement avec la règle 50(2)(f) du
Règlement.
46. Aux termes de l’article 56(6) de la Charte, repris à la règle 50(2)(f) du
Règlement, une requête n’est recevable que si elle est « introduite dans un
délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou
depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le
délai de sa saisine ».
47. La Cour note que ces dispositions ne fixent pas le délai dans lequel elle doit
être saisie. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle : « … le
caractère raisonnable du délai de sa saisine dépend des circonstances
particulières de chaque affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par
cas ».!? La Cour rappelle que pour déterminer si le délai de sa saisine est
raisonnable ou non, elle tient compte de certains facteurs, dont notamment
la situation du requérant, le fait d’être incarcéré, profane en droit, de ne pas
bénéficier d’une assistance judiciaire, d’être indigent ou analphabète.
48. La Cour a, en outre, constamment considéré que le non-dépôt d’une
requête dans un délai raisonnable du fait de l’indigence et de l’incarcération
doit être prouvé et ne peut être justifié par des affirmations générales ou
des hypothèses.!® La Cour a, en particulier, considéré que bien qu'étant
incarcéré et restreint dans ses mouvements, le Requérant n’a pas apporté
la preuve qu’il est analphabète, profane en droit ou qu’il ignorait l’existence
de la Cour.“
49. La Cour observe qu’en l’espèce, le décompte du délai de saisine devrait,
en principe se faire à partir de la date de l'arrêt la Cour d’appel, à savoir le
16 juillet 2004. Toutefois, le Requérant ne pouvait pas saisir la Cour à cette
12 Ag Bo et autres c. Cf Ba (fond) (28 mars 2014) 1 RICA 226, 8 92. Voir Ch c. Tanzanie (fond), supra, 8 73.
13 Aj Ac Cb et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 017/2017, Arrêt du 22 septembre 2022, 8 51 ; Bd Br Aq c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 016/2018, Arrêt du 22 septembre 2022, 8 57.
14 Cb et autres c. Cl, supra, 8 52.
date étant donné que l’État défendeur n’avait pas encore fait la Déclaration.
Dès lors, la date à prendre en compte est celle à laquelle l’État défendeur a
déposé ladite Déclaration, soit le 29 mars 2010, dans la mesure où ce n’est
qu’à partir de cette date que les individus pouvaient saisir la Cour de
requêtes dirigées contre l’État défendeur. La Requête ayant été déposée le
8 juin 2016, le délai à prendre en compte est de six (6) ans, deux (2) mois
et dix (10) jours. La question à trancher est donc de savoir si ce délai est
raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du
Règlement.
50. La Cour note qu’en l'espèce, bien qu’il ressorte du dossier que le Requérant
était incarcéré, ce dernier ne justifie pas la période de six (6) ans, deux (2)
mois, et dix (10) jours observée avant de déposer la Requête. En l’absence
d’une telle justification et au regard de sa jurisprudence invoquée plus haut,
la Cour estime que la Requête n’a pas été déposée dans un délai
raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du
Règlement.
51. La Cour accueille donc l’exception de l’État défendeur et considère que la
Requête n’a pas été déposée dans un délai raisonnable.
C. Sur les autres conditions de recevabilité
52. Ayant constaté que la Requête ne satisfait pas à la condition prévue à la
règle 50(2)(f) du Règlement, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire de se
prononcer sur la conformité de celle-ci aux conditions de recevabilité
énoncées à l’article 56(1), (2), (3), (4) et (7) de la Charte, telles que reprises
à la règle 50(2)(a), (b), (c), (d) et (g) du Règlement, ces conditions étant
15 At Bf c République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 024/2017, Arrêt du 1°" décembre 2022 (compétence et recevabilité), 875 ; Bh Ao Ad Ag c. Côte d'Ivoire (compétence et recevabilité) (22 mars 2018) 2 RICA 280, 8 61 ; Ar Ca Ah c. République du Ghana (compétence et recevabilité) (28 mars 2019) 3 RICA 104, 8 57.
53. Au regard de ce qui précède, la Cour déclare la Requête irrecevable.
VII. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
54. Aucune des Parties n’a conclu sur les frais de procédure.
55. Aux termes de l’article 32(2) du Règlement de la Cour, « [à] moins que la
Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de
56. La Cour considère qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce,
de déroger à la disposition précitée. En conséquence, elle ordonne que
chaque Partie supporte ses frais de procédure.
57. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
16 Article 30 du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
Sur la recevabilité
ii. Rejette l’exception tirée du non-épuisement des recours internes ; iv. Reçoit l'exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable,
v. Déclare, en conséquence, la Requête irrecevable.
Sur les frais de procédure
vi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédures.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fait. fause -
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; Me he)
Chafika BENSAOULA, Juge La ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ges
Stella |. ANUKAM, Juge : Eu am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge g ; 4} #
Dennis D. ADJEI, Juge ; N et Robert ENO, Greffier.
Fait à Alger, ce septième jour du mois de novembre de l’an deux mille vingt-trois, en
anglais et en français, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 034/2016
Date de la décision : 07/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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