AFRICAN UNION UNION AFRICAINE
sÉS) SAS UNIAO AFRICANA
AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Au X AN
ET
C AG AJ
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N°045/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
B. Sur les autres aspects de la compétence.
VI SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE 10
A Sur les exceptions d’irrecevabilité 11
! Exception tirée du non-épuisement des recours internes 11
ii. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
13
B Sur les autres conditions de recevabilité … 15
VII SUR LE FOND 16
A Violation alléguée relative à la non-détermination du poids exact du Ab
Cm saisi 17
Allégation de violation relative à la possession du Ab Cm 20
Allégation de violation relative au retard observé dans la transmission du
Ab Cm saisi au chimiste du gouvernement 21
Allégation de violation relative à l’absence d’une Cour suprême dans l’État
défendeur 23
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS 25
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 26
DISPOSITIF 26 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président; Ben Y, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Dennis D. ADJEI — Juges ; et
Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de l'homme
et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
(ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2)* du Règlement intérieur de la Cour
(ci-après désigné le « Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD, Présidente de la Cour et
de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
Au X AN et C AG AJ
assurant eux-mêmes leur défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par
i. Dr. Co Bd AI, By Cg, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bw Cb A, Af By Cg, Bureau du Solicitor
General ;
ii. M. Bt AK, Ambassadeur, Chef de l’Unité juridique, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine ;
iv. Mme Av AL, Directrice adjointe, Droits de l'homme, Principal
Ac Bq ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
v. M. Aj B, Principal Ac Bq, Cabinet de l’Bq Cg ;
et
vi. Mme Cl AM, Conseillé juridique, ministère des Affaires
étrangères et de la Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Les sieurs Au X AN et C AG AJ AHci-après dénommés « les
Requérants») sont des ressortissants tanzaniens qui, au moment de
l'introduction de la présente Requête, étaient incarcérés à la prison de Maweni,
à Ci, après avoir été jugés et condamnés à 20 ans de réclusion pour trafic
de stupéfiants. Ils allèguent la violation de leur droit à un procès équitable dans
le cadre de la procédure devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée « la Charte ») le 21
octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également déposé, le
29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle
elle accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant
d'individus et d’organisations non gouvernementales. Le 21 novembre 2019,
l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que le
retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les affaires pendantes,
ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un an
après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. | ressort du dossier que les Requérants, ainsi qu’un troisième individu qui n’est
pas partie à la procédure devant la Cour de céans, ont été traduits devant la
Haute Cour siégeant à Ci pour l’infraction de trafic de Ab Cm puni
par la loi sur les drogues et la prévention du trafic illicite de drogues (Drugs and
Prevention of Br Ar in Drugs Act). Le 14 mars 2014, ils ont été déclarés
coupables et condamnés à vingt (20) ans de réclusion, tandis que le troisième
co-accusé a été acquitté. Les Requérants ont également été condamnés à
payer une amende totale de quatre-vingt-quinze millions cent quatre-vingt mille
et six-cent sept (95 180 607 ) shillings tanzaniens, chacun d’entre eux devant
payer la moitié de ce montant.
4. Les Requérants ont interjeté appel de la déclaration de culpabilité et de la peine
prononcée à leur encontre devant la Cour d’appel, qui a rejeté leur recours,
dans son intégralité, le 28 juillet 2016.
B. Violations alléguées
5. Sans indiquer une quelconque disposition de la Charte, les Requérants
allèguent la violation de leur droit à un procès équitable en ce que :
? Ak Ae Ai c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 38.
ii La Cour d'appel n’a pas déterminé le poids exact du Ab Cm,
produit par le ministère public comme pièce à conviction P.2, ni indiqué les
types de sacs dans lesquels il a été trouvé ;
ii. La Cour d’appel a commis une erreur de droit en omettant de vérifier si les
Requérants avaient effectivement été appréhendés alors qu’ils étaient en
possession du Ab Cm ;
ii. La Cour d’appel n’a pas interrogé l’État défendeur sur le délai de plus de
trois mois qu’il a observé pour faire analyser le Ab Cm par le
chimiste du gouvernement ;
iv. L’absence d’une Cour suprême dans l’État défendeur a contribué à la
violation des droits des Requérants.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
6. La Requête a été reçue au Greffe le 28 juillet 2016 et communiquée à l’État
défendeur le 29 août 2016. Un délai de soixante (60) jours lui a été fixé pour
déposer son mémoire en réponse.
7. Après plusieurs prorogations de délai, l’État défendeur a déposé sa réponse le
25 mai 2017. Celle-ci a été transmise aux Requérants le 19 juillet 2017. Un
délai de trente (30) jours leur a été fixé pour déposer leur mémoire en réplique.
8. Les Parties ont déposé leurs écritures dans les délais fixés par la Cour.
9. Les débats ont été clôturés le 28 mai 2019 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
10. Dans leurs observations sur le fond, les Requérants demandent à la Cour de :
ii Réexaminer les procédures qui ont conduit à leur déclaration de culpabilité
et à leur condamnation, et en tirer ses propres conclusions ;
ii. Annuler la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à leur encontre,
et ordonner leur remise en liberté immédiate ; et
iii. Ordonner toute autre mesure qu’elle jugera juste et appropriée.
11. S'agissant des réparations, les Requérants demandent à la Cour de :
i. Infirmer les décisions de la Haute Cour et de la Cour d’appel ;
ii. Allouer à chacun des Requérants la somme de cent vingt-cinq millions sept-
cent mille (125 700 000) shillings tanzaniens à titre de réparation ; et
iii. Ordonner toute autre mesure ou réparation qu’elle jugera appropriée.
12. L'État défendeur demande à la Cour, en ce qui concerne sa compétence et la
recevabilité de la Requête, de :
i. Dire et juger que la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples n’a
pas compétence pour statuer sur la Requête.
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas à la condition de recevabilité
prévue à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour.
iii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas à la condition de recevabilité
prévue à l’article 40(6) du Règlement intérieur de la Cour.
iv. Déclarer la Requête irrecevable et la rejeter en conséquence.
13. Sur le fond, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger que la République-Unie de Tanzanie n’a pas violé les droits
des Requérants protégés par l’article 7 de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples.
ii. Rejeter la Requête au motif qu’elle est dénuée de tout fondement.
iii. Rejeter dans leur intégralité les demandes des Requérants.
iv. Ordonner que les Requérants continuent à purger leur peine.
14. Sur les réparations, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger que les Requérants n’ont droit à aucun paiement à titre de
réparation ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé la Charte africaine ou le
Protocole et que les Requérants ont été traités de manière équitable et avec
dignité par l’État défendeur ;
ii. Ordonner aux Requérants de payer à l’État défendeur l’amende infligée par
la Cour ;
iv. Rejeter les demandes de réparations ;
v. Ordonner toute autre mesure que la Cour jugera juste et équitable compte
tenu des circonstances de l’espèce.
V. SUR LA COMPÉTENCE
15. La Cour rappelle que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous
les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation et
l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
16. La Cour relève également qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « [lJa
Cour procède à un examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément
à la Charte, au Protocole et au [.…] Règlement ».°
3 Article 39(1) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
17. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer sur
les éventuelles exceptions d’incompétence.
18. La Cour observe qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. La Cour va statuer sur ladite exception avant
d’examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle de la Cour
19. Invoquant l’article 3 du Protocole, l’État défendeur soutient que la Cour n’a pas
compétence pour connaître de la présente Requête. Il estime que « [la
présente Requête exige de l'honorable Cour qu’elle siège en tant que Cour
d'appel et statue sur des questions de preuve et de procédure déjà tranchées
par la Cour d’appel ». || affirme par conséquent que la Cour n’a pas de mandat
ni de compétence pour siéger en tant que juridiction d'appel. À l’appui de cette
affirmation, l’État défendeur invoque la décision de la Cour dans l'affaire Ernest
Bc c. Malawi.
20. Dans leur mémoire en réplique, les Requérants soutiennent que la Cour est
compétente pour connaître de l’espèce. Tout en reconnaissant que la Cour
n’est pas une juridiction d’appel en ce qui concerne les décisions des
juridictions nationales, ils font valoir que « cela ne l'empêche pas d’examiner
les procédures pertinentes devant les instances nationales pour déterminer si
elles sont en conformité avec les normes internationales requise par les
instruments de droits de l’homme applicables ». À l’appui de leur argument, les
Requérants citent la décision de la Cour dans l'affaire Bj Ce c.
Tanzanie.
21. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est compétente
pour connaître de toutes les affaires dont elle est saisie, pour autant qu’elles
portent sur des allégations de violation de droits protégés par la Charte ou par
tout autre instrument relatif aux droits de l’homme et ratifié par l’État concerné.
22. En ce qui concerne l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle la Cour
exercerait une compétence d’appel en examinant les preuves qui ont fondé la
condamnation des Requérants, la Cour réitère qu’elle n’exerce pas de
compétence d'appel à l’égard des décisions des juridictions internes.“
Toutefois, même, sans être une juridiction d'appel vis-à-vis des juridictions
nationales, la Cour conserve le pouvoir d’évaluer la conformité des procédures
internes aux normes énoncées dans les instruments internationaux relatifs aux
droits de l’homme ratifiés par l’État concerné En exerçant une telle
compétence, la Cour ne statue pas en tant que juridiction d’appel.
23. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception de l’État défendeur et
conclut qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de la présente
Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
24. La Cour note que les autres aspects de sa compétence ne sont pas contestés
par les Parties et qu'aucun élément du dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétente en l'espèce. Néanmoins, et conformément à l’article 49(1) du
Règlement, la Cour doit s’assurer que tous les aspects de sa compétence sont
satisfaits.
/ Ernest Bn Bc c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14; Bv Cn c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, $ 26 ; Bb Cj AHBk BmZ et Bi Bb AHBu CfZ c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
Armand Ba c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33; Bs Bf Bs et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 29 et At Ch c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482,
25. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie à la
Charte et a déposé la Déclaration. La Cour rappelle, en outre, que, le 21
novembre 2019, l’État défendeur a déposé un instrument de retrait de sa
Déclaration faite en vertu de l’article 34(6) du Protocole. La Cour réitère, qu’elle
a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucun effet rétroactif et n’a ainsi
aucune incidence, d’une part, sur les affaires pendantes au moment du dépôt
de l'instrument de retrait, et d’autre part, sur les nouvelles affaires introduites
avant l’entrée en vigueur dudit retrait, le 22 novembre 2020. La présente
Requête introduite le 28 juillet 2016, soit avant le dépôt par l’État défendeur de
l'instrument de retrait de sa Déclaration, n’en est donc pas affectée. La
compétence personnelle de la Cour est, par conséquent, établie.
26. S’agissant de sa compétence temporelle, la Cour note que la dernière décision
des juridictions internes que les Requérants invoquent, comme fondement des
violations qu’ils allèguent, est l’arrêt rendu par la Cour d’appel le 16 septembre
2015. La Cour note, en outre, que cette décision a été rendue après que l’État
défendeur a ratifié la Charte et le Protocole. La Cour a donc la compétence
temporelle pour connaître de la présente Requête.
27. La Cour estime qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure où toutes
les violations alléguées se seraient produites sur le territoire de l’État
défendeur.
28. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime qu’elle est compétente pour
examiner la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ DE LA REQUÊTE
29. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Ia Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la
Charte ».
30. Conformément à la règle 50(1) du Règlement «[IJa Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément
aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au [.…] Règlement ».
31. La Cour note que la règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les
dispositions de l’article 56 de la Charte, est ainsi libellée :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l’identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils existent,
à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
8 Article 40, Règlement intérieur du 2 juin 2010.
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
32. En l’espèce, l’État défendeur soulève des exceptions d’irrecevabilité tirées du
non-épuisement des recours internes par les Requérants et du dépôt par ceux-
ci de la Requête dans un délai non raisonnable. La Cour examinera les
exceptions de l’État défendeur et, par la suite, les autres conditions de
recevabilité, si nécessaire.
A. Sur les exceptions d’irrecevabilité
ii Exception tirée du non-épuisement des recours internes
33. L'État défendeur soutient que les Requérants n’ont pas épuisé les recours
internes disponibles avant d'introduire la présente Requête. Il fait valoir que les
Requérants auraient pu saisir la Cour d’appel d’une requête en révision ou
d’une requête en inconstitutionnalité en vertu de la loi sur les droits et devoirs
fondamentaux pour contester la violation présumée de leurs droits, mais ils ne
l’ont pas fait.
34. En réplique, les Requérants soutiennent qu’un recours en révision de la
décision de la Cour d'appel n’était ni nécessaire ni obligatoire, car « en matière
pénale, la procédure d’appel en dernier ressort relève de plein droit de la Cour
d’appel de Tanzanie à laquelle ils ont prouvé avoir accédé ». Les Requérants
font également valoir que « la requête en révision est un recours extraordinaire
en ce que l’obtention de l’autorisation de la Cour d'appel de Tanzanie pour
déposer une requête en révision de sa décision est sujette à des motifs
spécifiques et relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’appel ». À l’appui
de leurs arguments, les Requérants invoquent la décision de la Cour dans
l’affaire Bj Ce c. Tanzanie.
35. La Cour rappelle que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
introduite devant elle doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des recours
internes. La règle de l’épuisement des recours internes vise à donner aux États
la possibilité de traiter les violations des droits de l'homme relevant de leur
juridiction avant qu’un organe international de défense des droits de l’homme
ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet égard.”
36. La Cour a également jugé dans un certain nombre d’affaires impliquant l’État
défendeur que la saisine de la Haute Cour d’une requête en inconstitutionnalité
et la procédure de révision devant la Cour d'appel, telles qu’elles sont
appliquées dans le système judiciaire de l’État défendeur, sont des recours
extraordinaires qu’un requérant n’est pas tenu d’épuiser avant de la saisir.8
37. La Cour estime donc que les Requérants n'étaient pas tenus d’introduire une
requête en révision de la décision de la Cour d’appel ou une requête en
inconstitutionnalité en vertu de la loi sur les droits et devoirs fondamentaux. En
effet, la Cour d’appel de Tanzanie, la plus haute instance judiciaire de l’État
défendeur, a, par arrêt du 16 septembre 2015, rejeté le recours formé par les
Requérants contre leur condamnation, et ainsi confirmé l'épuisement des
recours internes par ces derniers.
38. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception de l’État défendeur
tirée du non-épuisement des recours internes par les Requérants.
7 Commission africaine des droits de l’homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 88 93 et 94.
8 Voir Ch c. Tanzanie (fond), supra, 8 65 ; Ce c. Tanzanie (fond), supra, 88 66 à 70 ; Al Be c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 44.
ii. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable
39. L'État défendeur affirme que les Requérants ont déposé la présente Requête
dix (10) mois après la décision de la Cour d’appel rejetant leur recours. Tout
en admettant que ni la Charte ni le Règlement ne prescrivent le délai dans
lequel une requête doit être déposée, l’État défendeur soutient que la
jurisprudence internationale en matière de droits de l’homme a « établi qu’un
délai de six (6) mois est considéré comme raisonnable ». Il invoque en cela la
décision de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples dans
l’affaire Ca Cc c. Zimbabwe.
40. Pour leur part, les Requérants soutiennent que la Requête a été déposée dans
un délai raisonnable étant donné qu'ils étaient incarcérés et qu’ils attendaient
de recevoir des copies de l’arrêt de la Cour d’appel. Ils soulignent également
que le délai de dépôt de la Requête a été affecté par leur dépendance à l’égard
des autorités pénitentiaires pour accéder à l’arrêt de la Cour d’appel.
41. L'article 56(6) de la Charte, dont les dispositions sont reprises à la règle 50(2)(f)
du Règlement, indique simplement que les requêtes doivent être déposées
« [d]ans un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes
ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le
délai de sa saisine». Comme la Cour l’a souligné dans sa jurisprudence
constante, ces dispositions ne fixent pas de délai dans lequel elle doit être
saisie d’une requête.
42. La Cour note qu’en l’espèce, la question à trancher est celle de savoir si le
temps observé par les Requérants avant de la saisir constitue un délai
raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte, lu conjointement avec la
règle 50(2)(f) du Règlement. Elle observe à cet égard que la Cour d’appel a
rendu son arrêt, rejetant l’appel des Requérants, le 16 septembre 2015, et que
la présente Requête a été reçue au Greffe de la Cour le 28 juillet 2016. Au
total, les Requérants ont donc observé dix (10) mois et douze (12) jours avant
de déposer leur Requête. C’est ce délai que la Cour doit apprécier au regard
de l’article 56(6) de la Charte.
43. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle : « [le caractère raisonnable
du délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire
et qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».® À cet égard, la Cour a pris en
considération des circonstances telles que l’incarcération et le fait d’être dans
le couloir de la mort, qui ont pour conséquence la restriction des mouvements
et des flux d’informations, dans son appréciation du caractère raisonnable du
délai.!° En tout état de cause, il incombe toujours au requérant de prouver que
sa situation personnelle a eu une incidence sur le délai d’introduction de la
requête.
44. En ce qui concerne l’argument de l’État défendeur selon lequel, en droit
international des droits de l’homme, une période de six (6) mois est considérée
comme un délai raisonnable pour l'introduction d’une requête, la Cour rappelle
la nature non limitative de l’article 56(6) de la Charte, qui est reproduite à la
règle 50(2)(f) du Règlement. Il en résulte qu’aucun délai préétabli ne s'applique
pour déterminer le caractère raisonnable du délai d'introduction d’une requête
devant la Cour. Elle rejette donc, comme étant dénuée de tout fondement
juridique, la thèse de l’État défendeur selon laquelle une période de six (6) mois
9 Ayants droit de feus Bx Bl et autres c. Bg Ap (fond), supra, 8 92. Voir aussi Ch c. Tanzanie (fond), supra 8 73.
19 Bp As c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 020/2017, Arrêt du 1er décembre 2022 (fond et réparations), 88 37 et 38.
devrait être appliquée pour déterminer le caractère raisonnable du délai
d'introduction des requêtes.
45. Étant donné la situation des Requérants en tant qu’individus incarcérés qui ont
dû s’en remettre aux autorités pénitentiaires pour accéder à leurs dossiers
judiciaires et considérant également le délai visé en l’espèce, à savoir, dix (10)
mois et douze (12) jours, la Cour estime que le temps qu’il a fallu aux
Requérants pour déposer leur Requête est manifestement raisonnable au sens
de l’article 56(6) de la Charte, tel que repris à la règle 50(2)(f) du Règlement.
46. La Cour rejette, en conséquence, l’exception d'’irrecevabilité de l’État
défendeur tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
47. La Cour constate que le respect des conditions énoncées à la règle 50(2)(a),
(b), (c), (d) et (g) du Règlement ne fait l’objet d’aucune contestation.
Néanmoins, elle doit s’assurer que la Requête satisfait à ces exigences.
48. || ressort du dossier que les Requérants ont été clairement identifiés,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
49. La Cour note également que les Requérants cherchent à protéger les droits
que leur garantit la Charte. Elle relève également que l’un des objectifs de
l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son article 3(h) est la
promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples. La Cour en
conclut que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union
africaine et la Charte et qu’elle satisfait à l’exigence de la règle 50(2)(b) du
Règlement.
50. La Cour note, en outre, que la Requête ne contient aucun terme outrageant ou
insultant à l’égard de l’État défendeur, de ses institutions ou de l’Union
africaine. Elle est donc conforme à la règle 50(2)(c) du Règlement.
51. La Cour estime également que la Requête n’est pas fondée exclusivement sur
des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse, mais
plutôt sur des décisions des juridictions internes de l’État défendeur. Elle est
donc conforme à la règle 50(2)(d) du Règlement.
52. La Cour note, enfin, que la Requête ne se rapporte pas à une affaire qui a déjà
été réglée par l’État défendeur conformément aux principes de la Charte des
Am Bh, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la
Charte ou de tout instrument juridique de l’Union africaine, conformément à la
règle 50(2)(g) du Règlement.
53. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que la Requête satisfait à toutes
les conditions énoncées à l’article 56 de la Charte, tel que reprises à la
règle 50(2) du Règlement, et la déclare, en conséquence, recevable.
VII. SUR LE FOND
54. Comme indiqué précédemment, bien que les Requérants n’aient pas cité de
dispositions spécifiques de la Charte, la Cour observe que toutes leurs
allégations se rapportent au droit à un procès équitable protégé par l’article 7
de la Charte.
55. Les Requérants estiment que leur droit à un procès équitable a été violé pour
les motifs suivants: la non-détermination par la Cour d'appel du poids exact du
Ab Cm présenté comme preuve au cours de leur procès (A) ; le fait
qu’il n'aurait pas été établit que les Requérants ont été appréhendés en possession du Ab Cm (B) ; le délai de trois (3) mois observé pour
transmettre le Ab Cm saisi au chimiste du gouvernement aux fins
d'analyse (C) et l'absence d’une Cour suprême dans l’État défendeur (D).
56. La Cour examinera chacune de ces allégations afin de déterminer si le droit à
un procès équitable a été violé ou non.
A. Violation alléguée relative à la non-détermination du poids exact du Ab
Cm saisi
57. Les Requérants affirment que l’État défendeur n’a pas déterminé le poids exact
du Ab Cm qui avait été produit comme preuve au cours de leur
procès, ni précisé le type de sacs qui le contenait. Selon eux, les documents
relatifs à leur arrestation indiquent que le Ab Cm pesait deux cent
quatre-vingt-dix (290) kilogrammes, alors que les preuves produites à la suite
de l'examen effectué par le chimiste du gouvernement indiquent un poids de
trois cent dix-sept mille deux cent soixante-huit virgule soixante-neuf
(317 268,69) grammes. Ils font également valoir que les éléments de preuve
n’ont pas permis d'établir clairement le type de sacs dans lesquels le Ab
Cm avait été conservé.
58. Pour sa part, l’État défendeur conteste les arguments des Requérants et fait
valoir que ceux-ci avaient également soulevé cette question devant la Cour
d'appel, qui après l’avoir examinée, avait rejeté les allégations. Selon l’État
défendeur, «les Requérants étaient représentés par un avocat et lorsque la
Cour d'appel a démontré à l’avocat comment le poids des drogues avait été
déterminé au cours du procès comme étant de trois cent dix-sept mille deux
cent soixante-huit virgule soixante-neuf (317 268,69) grammes, l’avocat de la
défense a abandonné ce moyen d’appel, la question ayant été tranchée ».
59. La Cour rappelle que l’article 7(1) de la Charte dispose :
1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
a. le droit de saisir les juridictions nationales compétentes de tout
acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et
garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes
en vigueur ;
b. le droit à la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa
culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
c. le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un
défenseur de son choix ;
d. le droit d’être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction
impartiale.
60. La Cour note que les garanties énoncées à l’article 7 de la Charte visent à
assurer l’équité pour tous les individus devant les juridictions du système de
justice pénale. Comme la Cour l’a relevé, l’article 7 de la Charte peut être lu
conjointement avec l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (ci-après dénommé « le PIDCP »), en particulier à l’égard des États
ayant ratifié cet instrument.!! Il est donc du devoir de chaque État de veiller à
ce que les protections garanties par l’article 7 de la Charte soient respectées
lors de la conduite des procès.
61. La Cour note, en outre, qu’en l'espèce, les Requérants fondent leur
argumentation sur la détermination du poids du Ab Cm saisi.
62. Il ressort du dossier que, devant la Cour d’appel, le premier moyen d’appel des
Requérants portait sur la différence de poids du Ab Cm qui avait été
*+ Ah Aw Az et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (18 mars 2016) 1 RICA 526, 8 165. L'État défendeur est devenu partie au PIDCP le 11 juin 1976.
produit comme pièce à conviction P2. À la page 8 de l’arrêt de la Cour d'appel,
il est indiqué ce qui suit :
Lorsque nous avons montré à M. Bo l’original de l’acte d'appel, qui indique
que le poids figurant dans la pièce P2 est de 317 268, 69, et également dans le
jugement du tribunal de première instance, il a abandonné le moyen d’appel
relatif à cette différence.
63. La Cour d'appel indique également, à la page 13 de son arrêt :
que les différences relevées par les assesseurs, au sujet du poids indiqué dans
la pièce à conviction P2, sont bien prises en compte dans l’acte d’accusation lui-
même, dans le témoignage de PWS9 et dans le rapport détaillé du chimiste du
gouvernement qui a pesé et effectué une analyse chimique de chaque sac. Le
travail effectué par le chimiste du gouvernement a permis de peser et de tester
chaque sac séparément et, en fin de compte, le poids total a été recueilli. En
outre, à la page 42 du dossier, PW2 témoigne qu’au moment de l’arrestation, la
pièce à conviction P2 n’a pas été pesée. La pesée a été effectuée par PW9 qui
a témoigné dans le même sens [..] Il ressort du dossier que tout au long de la
procédure d’incarcération, de l’audience préliminaire et du procès, il a été
expliqué aux appelants qu’ils étaient accusés de trafic de 317 268,69 grammes
de bhang et non de 290 kilogrammes.
64. Il ressort clairement de ce qui précède que l'argument des Requérants devant
la Cour de céans a déjà été examiné par la Cour d’appel. Comme indiqué
précédemment, le conseil des Requérants a abandonné le moyen d’appel
après que la Cour d'appel a établi que ce moyen n’était pas fondé.
Conformément à sa jurisprudence établie, la Cour ne peut se substituer aux
juridictions nationales, en particulier en ce qui concerne les questions relatives
à l'appréciation des preuves!” En l'espèce, les Requérants réitèrent
simplement les arguments qu’ils avaient déjà avancés devant la Cour d’appel
12 An Bz c. République-Unie de Tanzanie (fonds) (28 mars 2019) 3 RICA 87, 8 52.
et n’ont porté devant la Cour aucun élément lui permettant de déceler une
quelconque erreur d'appréciation qu’aurait commise la Cour d'appel.
65. Dans ces conditions, la Cour estime que les Requérants n’ont pas apporté la
preuve d’une violation de leur droit à un procès équitable quant à la manière
dont la Cour d’appel a traité la question du poids du Ab Cm saisi. Elle
rejette donc l’allégation des Requérants sur ce point.
B. Allégation de violation relative à la possession du Ab Cm
66. Les Requérants soutiennent que la « Cour d’appel a commis une erreur de
droit en n’examinant pas si les Requérants étaient réellement en possession
de la drogue alléguée au moment de leur arrestation ». Selon eux, il n’a
nullement été prouvé qu’ils avaient chargé les drogues saisies dans le camion.
Ils estiment donc qu’il s’agit d’une « erreur flagrante au regard de la justice »
qui justifie leur acquittement.
67. L'État défendeur n’a pas conclu sur cet aspect des arguments des Requérants.
68. L’argument des Requérants sur ce point porte sur leur présence présumée sur
le lieu du crime et sur la question de savoir s’ils ont été surpris en possession
du Ab Cm.
69. La Cour observe que cette question a été examinée dans différentes parties
de l’arrêt de la Cour d’appel. Par exemple, à la page 15 de son arrêt, la Cour
d'appel a conclu comme suit :
Nous souhaitons également préciser que les quatorze (14) sacs que PW9 a
reçus de PW8 sont du bhang dont il a été établi que les appelants en avaient
fait le trafic, tel qu’il ressort des témoignages de PW2, PW3, PW4, PWS5 et PW7
qui ont participé à l’arrestation des appelants, à la fouille et à la saisie des
produits incriminés au poste de contrôle de la police de Hale avant qu’ils ne
soient emmenés au poste de police de Ci en ville.
70. La Cour d'appel a également abordé la question de l'identification des
Requérants. À la page 19 de son arrêt, elle a accueilli l'argument des
Requérants selon lequel les conditions de leur identification visuelle, par PW6,
n’étaient pas appropriées. Elle a néanmoins indiqué que « même si le
témoignage de PW6 a été expurgé du dossier, les autres témoignages fournies
par PW2, PW3, PW4, PWS5, PW7 et PW8 démontrent cumulativement que les
Requérants ont été arrêtés à Hale pour trafic de stupéfiants, confirmés par
PW9 comme étant du bhang ».
71. Il ressort dès lors du dossier qu’il y a eu un cumul de preuves établissant la
présence des Requérants sur le lieu du crime en possession du Ab
Cm qui a été saisi, même si le témoignage de PW6 a été écarté. Devant la
Cour de céans, les Requérants n’ont pas présenté d’arguments remettant en
cause les conclusions de la Cour d'appel.
72. La Cour ne trouve aucune raison d’infirmer les conclusions des juridictions
internes. Elle rejette par conséquent les allégations des Requérants.
C. Allégation de violation relative au retard observé dans la transmission du
Ab Cm saisi au chimiste du gouvernement
73. Les Requérants soutiennent que la Cour d'appel n’a pas examiné les raisons
sous-tendant le retard plus de trois (3) mois enregistré par la police avant de
faire analyser le Ab Cm saisi, par le chimiste de l’État. Ils estiment que ce retard est contraire à la loi de l’État défendeur sur les drogues et qu’il a
entraîné une violation de leurs droits.
T4. L’État défendeur souligne que cette question a été examinée et tranchée par
la Cour d’appel. Il ajoute que, lorsque le conseil des Requérants a soulevé
cette question devant la Cour d'appel, il a rappelé la déposition de PW7 devant
le tribunal de première instance et a approuvé l'explication qu’il avait donnée
pour justifier le retard pris dans l’acheminement des stupéfiants au chimiste de
l’État. Il soutient que le retard dans l’acheminement des stupéfiants au chimiste
était dû à des problèmes de transport, étant donné que l’ensemble du lot saisi
devait être transporté en même temps. I! demande donc à la Cour de déclarer
infondée l’allégation des Requérants et la rejeter.
T5. La Cour note que le grief soulevé par les Requérants est relatif au temps qu’il
a fallu à l’État défendeur pour transporter le Ab Cm saisi de Ci,
où elle était stockée, au laboratoire chimique de l’État à Dar es-Salaam.
T6. La Cour note, en outre, que la question du retard dans le transport du
Ab Cm à Dar es-Salaam a été soulevée au cours de la procédure
devant la Cour d’appel. Il ressort du dossier qu’il a fallu au total trois (3) mois
pour que le Ab Cm saisi soit envoyé au laboratoire chimique de l’État.
Après avoir examiné tous les éléments de preuve, la Cour d’appel a conclu
qu’aucune autre personne n’avait manipulé ce Ab Cm « jusqu’à ce
qu’il soit remis à PW8 pour être transporté à PW9, le chimiste du
gouvernement … ». Dans l’ensemble, la Cour d'appel a estimé que « compte
tenu du fait que la pièce à conviction P2 a été scellée et stockée par PW7 avant
d’être transportée, la période de trois mois qui s’est écoulé avant le transport vers le chimiste en chef du gouvernement ne pouvait pas entraîner de mélange
77. La Cour d’appel a donc estimé que le retard pris dans la transmission du
Ab Cm au chimiste du gouvernement était justifié, d’autant plus que
«la substance incriminée ne pouvait pas être transportée en plusieurs
cargaisons, ce qui augmenterait le risque que la pièce à conviction n 2 soit
manipulée ou mélangée ». Elle a également indiqué que la chaîne de garde
n’avait pas été rompue entre le moment où la police a interpelé les Requérants
et saisi le Ab Cm et le moment où il a été remis au chimiste du
gouvernement pour être analysé.
78. Il ne résulte du dossier aucun élément permettant à la Cour de remettre en
cause la manière dont la Cour d'appel a traité la question du retard dans la
transmission du Ab Cm au chimiste du gouvernement. Plus important
encore, les Requérants n’ont pas démontré qu’il y avait eu une quelconque
manipulation des pièces à conviction une fois qu’elles avaient été confisquées
par les agents de l’État défendeur.
79. La Cour rejette par conséquent les allégations des Requérants relatives à la
violation de leur droit à un procès équitable.
D. Allégation de violation relative à l’absence d’une Cour suprême dans l’État
défendeur
80. Les Requérants soutiennent qu’ils sont victimes du système judiciaire répressif
de l’État défendeur. Ils estiment que les lacunes qu’ils ont relevées dans la
procédure de la Cour d’appel auraient été résolues en leur faveur si l’État
défendeur disposait d’une Cour suprême.
81. L'État défendeur conteste cette allégation des Requérants et soutient que
« lorsqu’un requérant s'estime lésé par une décision de la Cour d’appel, il a la
possibilité de déposer une requête en révision de ladite décision ». Selon l’État
défendeur, le « Requérant ne saurait mettre en cause le système judiciaire
sans avoir épuisé tous les recours disponibles ». Il affirme par conséquent que
cette allégation est dénuée de tout fondement et qu’elle doit être rejetée.
82. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 7(1)(a) de la Charte, toute personne a
le droit à ce que sa cause soit entendue, ce qui inclut le droit d’introduire un
recours auprès des organes nationaux compétents contre les actes qui portent
atteinte à ses droits.
83. Comme la Cour l’a indiqué précédemment, le droit de recours exige que les
individus aient la possibilité de saisir les organes compétents pour faire appel
d’une décision ou d’un acte qui porte atteinte à leurs droits.!? Les États ont
donc l’obligation de mettre en place des mécanismes de recours et de prendre
les mesures nécessaires pour faciliter l’exercice de ce droit par les individus,
notamment en leur communiquant dans un délai raisonnable le jugement ou
les décisions qu’ils souhaitent contester.
84. L'État défendeur doit donc veiller à ce qu’il y ait au moins un double degré de
juridiction pour toutes les affaires pénales, c’est-à-dire la possibilité de faire
appel de toutes les décisions rendues en première instance. ** Comme l’a noté
le Comité des droits de l'homme des Am Bh, le droit d’appel en matière
pénale ne prescrit pas un nombre particulier de niveaux auxquels un appel doit
être interjeté, pour autant qu’il y ait une possibilité de recours contre une
décision de première instance.!® Comme la Cour l’a déjà indiqué, ce droit
13 Cd Ay Ao c. République-Unie de Tanzanie (26 septembre 2019) 3 RICA 504, 8 43.
14 Cf. Ag Aa Ad c. République du Bénin (29 mars 2019) 3 RICA 205, 8 212.
15 Comité des droits de l’homme, Observation générale n° 32, 8 45.
consiste essentiellement à ce que les décisions d’une juridiction de première
instance puissent faire l’objet d’un réexamen par une autre juridiction.!°
85. En l’espèce, l’absence d’une juridiction supérieure à la Cour d’appel dans le
système de l’État défendeur ne constitue pas une violation des droits des
Requérants. La Cour estime donc que l’argument des Requérants n’est pas
fondé et le rejette en conséquence.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
86. Les Requérants demandent à la Cour d’annuler leur condamnation, d’ordonner
leur remise en liberté et de leur accorder cent vingt-cinq millions sept-cent mille
(125 700 000) shillings tanzaniens à titre de réparation. Ils demandent, en
outre, à la Cour d’ordonner toute autre mesure ou réparation qu’elle jugera
appropriée.
87. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter les demandes des Requérants
et de dire qu’il n’a pas violé la Charte ou le Protocole. Il demande à la Cour
d’ordonner toute autre mesure qu’elle jugera appropriées compte tenu des
circonstances de l’espèce.
88. L'article27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier
à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi
d’une réparation.
16 Ax Aq Ck et trois autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 023/2026, Arrêt du 25 juin 2021 (fond et réparations), 8 74.
89. || en résulte que la Cour peut ordonner des réparations lorsque des violations
des droits de l'homme ont été établies.
90. La Cour n'ayant, en l'espèce, constaté aucune violation de la part de l’État
défendeur, elle rejette toutes les demandes de réparation formulées par les
Requérants.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
91. Aucune des Parties n’a conclu sur les frais de procédure.
92. La Cour observe qu'aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à moins
que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de
93. La Cour estime, en l’espèce, qu’il n'y a aucune raison de s’écarter du principe
posé par cette disposition. En conséquence, la Cour décide que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
X. DISPOSITIF
94. Par ces motifs :
LA COUR,
17 Article 30(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
Sur la compétence
ii. Dit qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité
iii. Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à un
procès équitable, protégé par l’article 7 de la Charte.
Sur les réparations
vi. Rejette les demandes de réparation.
Sur les frais de procédure
vii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-Président ; fra «
Ben Y, MS Juge ;
Suzanne MENGUE, Juge ; Ps +=
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Li Oran la
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ges
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge 9 ; Æ
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Alger, ce septième jour du mois de novembre de l’an deux mille vingt-trois, en français et en anglais, le texte anglais faisant foi.