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07/11/2023 | CADHP | N°049/2016

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 07 novembre 2023, 049/2016


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
CHRIZANT JOHN
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AJ
REQUÊTE N° 049/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
B. Sur les autres aspects de la compétence

10
VI SUR LA RECEVABILITÉ 11
A Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requ...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
CHRIZANT JOHN
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AJ
REQUÊTE N° 049/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
B. Sur les autres aspects de la compétence 10
VI SUR LA RECEVABILITÉ 11
A Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requête 12
! Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 13
ii. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable 15
B Sur les autres conditions de recevabilité 17
VII SUR LE FOND 19
A. Allégation de violation du droit à ce que sa cause soit entendue 19
! Allégation relative à la clôture des débats en ce qui concerne l’accusation
20
Il Allégation relative à la loi portant Code de procédure pénale 22
iii. Allégation relative aux preuves irrecevables 24
IV Allégation relative à l’identification visuelle 27
V Allégation relative aux preuves à décharge 29
B Violation alléguée du droit à la vie 30
C Violation alléguée du droit à la dignité 33
D Violations alléguées d’autres droits de l'homme 34
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS 35
A Réparations non-pécuniaires 36
! Remise en liberté 36
ii. Fixation d’une autre peine 37
iii. Garanties de non-répétition 39 B. Réparations pécuniaires
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ……….….…………………ccirirrrrecsnsenrennnscnenrrrrnnuee La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges, et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
Chrizant JOHN
représenté par la East Africa Law Society.
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AJ
représentée par :
i. Dr. Xe Xc AK, Az Cc, Bureau du Solicitor
General ;
ii. M. Cx Z, State Cp, Cabinet du Solicitor General ;
ii. Mme Cg AG, State Cp, Cabinet du Solicitor General ;
iv. Mme Bd Ci A, Directrice, Division des Affaires constitutionnelles
et des droits de l'homme, Principal State Cp, Cabinet de l’Cp
Cc ;
+ Article 8 (2) du Règlement de la Cour, 2 juin 2010.
v. M. Xd AH, Ambassadeur, Directeur chargé des affaires juridiques,
Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine, régionale
et internationale ;
vi. Mme An AI, Directrice adjointe de la Division des Affaires
constitutionnelles et des Droits de l'homme, Principal State Cp, Cabinet
de l’Cp Cc ;
vi M. Bw X, Principal State Cp, Cabinet de l’Cp
Cc ; et
vi. Mme Ah C, Juriste, ministère des Affaires étrangères, de la
coopération Est-africaine, régionale et internationale.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt.
I. LES PARTIES
1. Le sieur Chrizant John (ci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant de la République-Unie de AJ. Au moment du dépôt de
la présente Requête, il était incarcéré à la prison centrale de Butimba, à
Mwanza, en attente de l’application de la peine de mort prononcée à son
encontre pour meurtre. Il allègue la violation de ses droits dans le cadre de
la procédure devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de AJ (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la
« Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée la Déclaration »), par laquelle elle accepte
la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d’individus
et d’organisations non gouvernementales (ONG). Le 21 novembre 2019,
l’État défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union africaine un
instrument de retrait de ladite Déclaration. La Cour a décidé que le retrait
de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les affaires pendantes, ni
sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un an
après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier qu’en date du 2 janvier 2010, le Requérant aurait
commis un meurtre sur sa belle-mère en lui infligeant une blessure mortelle
à la tête à l’aide d’une machette suite à un conflit foncier. Le Requérant a
été arrêté le 19 avril 2011 et mis en accusation pour meurtre. Le 26 juin
2015, il a été jugé, reconnu coupable de meurtre et condamné à mort par
la Haute Cour siégeant à Ax (affaire pénale n° 55/2014).
4. Le Requérant a ensuite saisi la Cour d’appel siégeant à Ax d’un
recours (appel pénal n° 313/2015), qui a été rejeté dans son intégralité par
arrêt du 23 février 2016.
B. Violations alléguées
5. Le Requérant allègue la violation de ses droits comme suit :
i. le droit à une totale égalité devant la loi et à une égale protection de la
loi, protégé par l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
it. le droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte ;
ii. le droit à la dignité, protégé par l’article 5 de la Charte ;
iv. le droit à un procès équitable, protégé par l’article 7 de la Charte.
2 By Ac Bs c. République-Unie de AJ (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 38.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
6. La Requête a été reçue au Greffe le 1°" septembre 2016 et communiquée
à l’État défendeur le 26 septembre 2016.
7. Le 18 novembre 2016, la Cour a rendu d'office une ordonnance portant
mesures provisoires, dans laquelle elle a enjoint à l’État défendeur de
surseoir à l’exécution de la peine de mort prononcée à l’encontre du
Requérant, en attendant la décision de la Cour sur la Requête introductive
8. Les Parties ont déposé leurs observations sur le fond et les réparations
dans les délais impartis par la Cour.
9. Les débats ont été clôturés le 22 août 2023 et les Parties en ont dûment
reçu notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
10. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Dire et juger qu'elle est compétente pour connaître de la présente
Requête ;
it. Déclarer la requête recevable ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur a bel et bien violé les droits du
Requérant prévus par la Charte ;
iv. Ordonner à l’État défendeur de surseoir à l'exécution de la peine de mort
prononcée à l’encontre du Requérant et de le retirer du couloir de la
mort ;
v. Ordonner à l’État défendeur de remettre le Requérant en liberté ;
vi. Ordonner à l’État défendeur de verser au Requérant la somme de vingt
millions (20 000 000) de shillings tanzaniens à titre de réparation du
préjudice moral qu’il a subi.
vii. Ordonner à l’État défendeur de verser au Requérant la somme de trente
millions (30 000 000) de shillings tanzaniens à titre de réparation pour la
perte de son revenu ;
vi. Ordonner à l’État défendeur de verser à chacune des victimes indirectes
la somme de dix millions (10 000 000) de shillings tanzaniens à titre de
réparation du préjudice moral qu’elles ont subi ;
ix. Ordonner à l’État défendeur de verser la somme de cent mille (100 000)
shillings tanzaniens en compensation des frais de transport et de
papeterie encourus par le Requérant ;
x. Ordonner à l’État défendeur de modifier ses lois pour prendre en compte
la protection du droit à la vie garanti par l’article 4 de la Charte, par la
suppression de la peine de mort obligatoire, prévue pour les cas de
meurtre ;
xi. Rendre toutes autres mesures que la Cour estimera justes et pertinentes
au regard des circonstances de l’espèce ;
xii. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge
de l’État défendeur.
11. S'agissant de la compétence et de la recevabilité de la Requête, l’État
défendeur demande à la Cour de :
i. Se déclarer incompétente pour connaître de la Requête ;
il. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité prévues à l’article 40(5) du Règlement de la Cour ;*
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à l’article 40(6) du Règlement de la Cour ;*
iv. Déclarer la Requête irrecevable et la rejeter en conséquence.
12. S’agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
inscrits à l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
3 Correspond à la règle 50(2)(e) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
4 Correspond à la règle 50(2)(f) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
inscrits à l’article 7(1) de la Charte ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé les droits du Requérant
inscrits à l’article 7(2) de la Charte ;
iv. Rejeter la requête ;
v. Dire et juger que le Requérant continue de purger sa peine ;
vi. Rejeter la demande de réparations formulée par le Requérant ;
vii. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge
du Requérant.
13. Dans son mémoire en réponse aux observations du Requérant sur les
réparations, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Rejeter les demandes [du Requérant] dans leur intégralité ;
it. Dire et juger que l’interprétation et l'application du Protocole et de la
Charte ne confère pas à la Cour la compétence en matière pénale pour
acquitter le Requérant ;
ii. Dire et juger que l’État défendeur n’a pas violé la Charte africaine ou le
Protocole et que le Requérant a été traité de manière équitable et avec
dignité par l’État défendeur au cours du procès et de la procédure
d’appel devant ses juridictions ;
iv. Ne pas faire droit à la demande de réparations ;
v. @Ordonner toutes autres mesures que la Cour estime justes et
appropriées compte tenu des circonstances de l’espèce.
V. SUR LA COMPÉTENCE
14. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
15. La Cour relève également qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
elle «procède à un examen préliminaire de sa compétence [.…]
conformément à la Charte, au Protocole et au [.…] Règlement ».°
16. Sur la base des dispositions précitées, la Cour est tenue de procéder à
l'appréciation de sa compétence et de statuer sur les éventuelles
exceptions d’incompétence.
17. La Cour note qu’en l'espèce, l’État défendeur soulève deux exceptions
d’'incompétence matérielle. La Cour statuera sur lesdites exceptions avant
de se prononcer, si nécessaire, sur les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
18. L’État défendeur fait premièrement valoir qu’il est demandé en l’espèce à
la Cour de siéger en tant que juridiction d’appel et de se prononcer sur des
questions de procédure et d’examiner des éléments de preuve déjà
tranchés par la plus haute juridiction de l’État défendeur, à savoir, la Cour
d’appel de AJ. Selon l’État défendeur, la Cour outrepasserait son
mandat et agirait en dehors de son champ de compétence si elle examinait
une telle demande.
19. L’État défendeur fait également valoir que toutes les allégations formulées
devant la Cour de céans ont été soulevées comme moyen devant sa Cour
d'appel. Il soutient en outre que l’allégation relative à la peine de mort a déjà
été tranchée de manière définitive par la Cour d'appel de l’État défendeur
dans l'affaire Mbushuu alias Cw Bv et un autre c. l’État [1995]
TLR 97, dans laquelle ladite juridiction a conclu que « la condamnation
d’une personne à la peine de mort n’est pas arbitraire et qu’il s’agit d’une
5 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
procédure légale prévue à l’article 30(2) de la Constitution » de l’État
défendeur. L'État défendeur en conclut que la Cour n’est pas compétente
pour statuer sur la présente Requête et que celle-ci doit être rejetée.
20. Deuxièmement, l’État défendeur affirme que la Cour n’a pas compétence
pour ordonner la remise en liberté du Requérant. L'État défendeur soutient
que la demande de mise en liberté du Requérant outrepasse le mandat de
la Cour, car celle-ci n’est pas une juridiction d’appel et n’a aucune
compétence d’appel en matière pénale pour annuler la décision des
juridictions nationales de l’État défendeur et remettre les détenus en liberté.
L’État défendeur soutient donc que la demande du Requérant devrait être
rejetée.
21. Le Requérant réfute l’argument de l’État défendeur et affirme que la Cour
est compétente pour statuer sur son affaire dans la mesure où ses
demandes se rapportent directement aux droits garantis par la Charte à
laquelle l’État défendeur est partie. Le Requérant soutient, en outre, que le
fait d’examiner si un État défendeur s’est acquitté de ses obligations
internationales ne fait en rien de la Cour une juridiction d’appel. Le
Requérant ne demande donc pas à la Cour de siéger en tant que juridiction
d'appel, mais invoque, conformément à la Charte, la compétence de la Cour
pour déterminer si le comportement dont il se plaint constitue une violation
de la Charte. En conséquence, le Requérant demande à la Cour de rejeter
les exceptions d’incompétence soulevées par l’État défendeur.
22. La Cour rappelle que, conformément à l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de « toutes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie concernant l'interprétation et l’application de la Charte,
du [...] Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de
l'homme et ratifié par l’État concerné ».ô
23. La Cour souligne que sa compétence matérielle est, ainsi, subordonnée à
l’allégation, par le Requérant de violations de droits de l’homme protégés
par la Charte ou tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
par l’État défendeur.” En l'espèce, le Requérant allègue la violation des
articles 3, 4, 5 et 7 de la Charte.
24. S'agissant de la première exception, la Cour rappelle sa jurisprudence
constante selon laquelle « elle n’est pas une juridiction d’appel en ce qui
concerne les décisions rendues par les juridictions nationales ».8 Toutefois,
« cela n’écarte pas sa compétence pour apprécier la conformité des
procédures devant les juridictions nationales aux normes internationales
prescrites par la Charte ou par les autres instruments applicables des droits
de l’homme auxquels l’État défendeur est partie ».° La Cour ne statuerait
donc pas comme une juridiction d’appel si elle devait examiner les
allégations du Requérant. La Cour rejette, par conséquent, cette exception
et considère qu’elle est compétente en l’espèce.
25. La Cour observe que le deuxième volet de l’exception soulevée par l’État
défendeur concerne le fait que la Cour n'aurait pas compétence pour rendre
une mesure de remise en liberté. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article
27(1) du Protocole, « [orsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de
l’homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées
afin de remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation ». Elle est, en conséquence,
8 Kalebi Ag c. République-Unie de AJ (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18.
7 Ap Ck c. République-Unie de AJ (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 28 ; Cb Be c. République-Unie de AJ (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33 ; Ag Y AJ, ibid., 8 18.
8 Ernest Ba Ch c. République du Malawi (compétence) (15 Mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
9 At Xg c. République-Unie de AJ (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 26 ; Guéhi c. AJ, supra, 88 33.
compétente pour accorder différents types de réparations, y compris la
remise en liberté, pour autant que les violations aient été établies.!°
26. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette les exceptions soulevées par
l’État défendeur et conclut qu'elle a la compétence matérielle pour
connaître de la présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
27. La Cour observe qu'aucune exception n’a été soulevée quant à sa
compétence personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins,
conformément à la règle 49(1) du Règlement, elle doit s’assurer que les
exigences relatives à tous les aspects de sa compétence sont remplies
avant de poursuivre l’examen de la Requête.
28. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent arrêt, que le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa déclaration faite en vertu de l’article
34(6) du Protocole. La Cour rappelle en outre qu’elle a décidé que le retrait
de la déclaration n’avait aucun effet rétroactif et aucune incidence, ni sur
les affaires introduites avant le dépôt de l’instrument de retrait, ni sur les
nouvelles affaires dont elle a été saisie avant que ledit retrait ne prenne
effet.!! Étant donné qu’un tel retrait de la déclaration prend effet douze (12)
mois après le dépôt de l'avis y relatif, la date de prise d’effet du retrait de
l’État défendeur était le 22 novembre 2020.!? La présente Requête,
introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son avis de retrait, n’en
est donc pas affectée. La Cour en conclut qu’elle a la compétence
personnelle pour connaître de la présente Requête.
10 Cd Aq c. République-Unie de AJ, CAfDHP, Requête n° 036/2017, Arrêt du 24 mars 2022 (recevabilité), 8 27.
11 Bs c. AJ (arrêt), 88 35 à 39.
12 Cq Bl Cu c. République-Unie du Rwanda (compétence) (3 juin 2016) 1 RICA 585,
29. S'agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que les violations
alléguées par le Requérant sont survenues après que l’État défendeur est
devenu partie à la Charte et au Protocole. La Cour observe, en outre que
la condamnation du Requérant est maintenue sur la base de ce qu’il
considère comme étant une procédure inéquitable. Elle estime donc que
les violations alléguées peuvent être considérées comme ayant un
caractère continu.!® Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’elle a la
compétence temporelle pour examiner la présente Requête.
30. Quant à sa compétence territoriale, la Cour relève que les violations
alléguées par le Requérant se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur. La Cour en conclut qu’elle a la compétence territoriale.
31. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente
pour connaître de la présente requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
32. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Ia Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
33. Conformément à la règle 50(1) du Règlement,!* « [Ia Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et
au présent Règlement ».
34. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
13 Ayants droit de feu Ao Cm, Bx Cn alias Ablasse, Co Cm, Cj Ak et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Xa Ar (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 88 71 à 77.
14 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
35. La Cour observe en l’espèce que l’État défendeur soulève deux exceptions
d’irrecevabilité de la Requête. La Cour va statuer sur lesdites exceptions
avant de se prononcer, si nécessaire, sur les autres conditions de
recevabilité.
A. Sur les exceptions d’irrecevabilité de la Requête
36. La première exception soulevée par l’État défendeur est relative à
l'exigence de l’épuisement des recours internes et la seconde, à la condition
de dépôt de la Requête dans un délai raisonnable.
i. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
37. L'État défendeur affirme que le Requérant disposait de voies de recours
qu’il pouvait exercer avant d’introduire la Requête devant la Cour de céans,
mais qu’il ne l’a pas fait. I! soutient que le Requérant aurait pu introduire un
recours en révision de la décision de la Cour d'appel en vertu de l’article 66
du Règlement de la Cour d’appel de 2009. L'État défendeur affirme, en
outre que le Requérant avait la possibilité d’introduire un recours en
inconstitutionnalité afin de faire valoir ses droits fondamentaux,
conformément à la loi sur les droits et devoirs fondamentaux.
38. L'État défendeur soutient que la Requête dont la Cour de céans a été saisie
était prématurée, étant donné que des voies de recours étaient toujours
disponibles au Requérant au plan interne. Il en conclut que la condition de
recevabilité prévue à l’article 40(5) du Règlement*® n’est pas satisfaite et
que la Requête devrait être déclarée irrecevable et rejetée en
conséquence.
39. Le Requérant conteste l’exception soulevée par l’État défendeur et affirme
qu’il a épuisé tous les recours disponibles dans la mesure où son affaire a
été tranchée en dernier ressort par la Cour d'appel, la plus haute juridiction
de l’État défendeur, le 23 février 2016. Le Requérant relève également que
la Cour a conclu dans nombre de ses arrêts qu’un requérant n’est tenu
d’épuiser que les recours ordinaires, et que les recours en révision ou en
constitutionnalité, tels qu’ils s'appliquent dans le système juridique de l’État
défendeur, sont des recours extraordinaires qu’un requérant n’est pas tenu
d’épuiser avant de la saisir. Le Requérant demande donc à la Cour de
rejeter l'exception de l’État défendeur et de conclure que la présente affaire
a été portée devant la Cour de céans après épuisement des recours
internes.
15 Règle 50(2)(e) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
40. La Cour rappelle qu'aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises dans la règle 50(2)(e) du Règlement, toute
requête dont elle est saisie doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des
recours internes. La règle de l’épuisement des recours internes vise à
donner aux États la possibilité de traiter les violations des droits de l'homme
relevant de leur juridiction avant qu’un organe international des droits de
l'homme ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet
41. La Cour rappelle qu’elle a déjà conclu que, dans la mesure où les
procédures pénales à l’encontre d’un requérant ont donné lieu à une
décision de la plus haute juridiction d’appel, l’État défendeur est réputé avoir
eu la possibilité de remédier aux violations qui selon le requérant découlent
42. En l’espèce, la Cour relève que le recours du Requérant devant la Cour
d’appel de AJ, la plus haute juridiction de l’État défendeur a été
tranché lorsque cette juridiction a rendu son arrêt le 23 février 2016, et a
confirmé le jugement de la Haute Cour. L'État défendeur a donc eu la
possibilité de remédier aux violations alléguées par le Requérant comme
découlant de son procès en première instance et en appel.!®
43. En ce qui concerne l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle le
Requérant aurait dû introduire un recours en révision de la décision de la
Cour d'appel, la Cour a conclu dans ses arrêts précédents qu’un tel recours
constitue un recours extraordinaire que les requérants ne sont pas tenus
16 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 88 93 à 94.
17 Cd Aq c. République-Unie de AJ, CAfDHP, Requête n° 036/2017, arrêt du 24 mars 2022 (recevabilité), 8 51.
18 Ibid., 8 52.
19 Cy c. AJ (fond), supra, 8 78.
44. S'agissant de l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle le Requérant
aurait dû introduire un recours en inconstitutionnalité, la Cour a également
conclu que la procédure en inconstitutionnalité, telle qu’elle est appliquée
dans le système judiciaire de l’État défendeur, est un recours extraordinaire
que les requérants ne sont pas tenus d'épuiser.?
45. La Cour estime donc que le Requérant est réputé avoir épuisé les recours
internes dans la mesure où la Cour d'appel de AJ, l’organe judiciaire
suprême de l’État défendeur, a confirmé la déclaration de sa culpabilité et
la peine prononcée à son encontre à l’issue d’une procédure au cours de
laquelle ses droits auraient été bafoués.
46. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception de l’État défendeur tirée
du non-épuisement des recours internes.
ii Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
47. L'État défendeur fait valoir qu’en raison du dépôt de la Requête dans un
délai non raisonnable après épuisement des recours internes, la Cour
devrait conclure qu’elle n’a pas satisfait aux exigences de l’article 40(6) du
48. L'État défendeur rappelle que l’arrêt de la Cour d’appel a été rendu le 23
février 2016 et que la présente Requête a été déposée le 1% septembre
2016. Il note qu’un délai de sept (7) mois s’est écoulé entre le moment où
l’arrêt a été rendu et celui où le Requérant a introduit sa Requête devant la
Cour de céans.
20 Xb c. AJ (fond), supra, 63 à 65.
21 Correspond à la règle 50(2)(f) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
49. Invoquant la décision de la Commission africaine des droits de l’homme et
des peuples dans l’affaire Bh c. Zimbabwe,” l’État défendeur fait valoir
que la jurisprudence internationale en matière de droits de l’homme a établi
qu’une période de six (6) mois est considérée comme un délai raisonnable.
50. L'État défendeur en déduit qu’une période de sept (7) mois ne peut être
considérée comme un délai raisonnable et soutient, en conséquence, que
la présente Requête ne satisfait pas à la condition de recevabilité prévue à
l’article 40(6) du Règlement” et qu’elle devrait être rejetée.
51. Le Requérant conclut au rejet de l’exception soulevée par l’État défendeur
pour défaut de fondement et affirme que la période de sept (7) mois
constitue un délai raisonnable étant donné qu’il est profane en matière de
droit et indigent, et que depuis son arrestation il est resté incarcéré, restreint
dans ses mouvements et n’a eu qu’un accès limité à l’information,
notamment en ce qui concerne l’existence de la Cour de céans. Le
Requérant affirme également qu’il a introduit une requête en révision
auprès de la Cour d’appel et que cette demande est restée pendante à ce
jour. Compte tenu des circonstances de l’espèce, le Requérant soutient
donc que les sept (7) mois qu’il a observés avant de saisir la Cour de céans
étaient raisonnables et demande à la Cour de rejeter l'exception soulevée
par l’État défendeur.
52. Conformément à l’article 56(6) de la Charte dont les dispositions sont
reprises à la règle 50(2)(f) du Règlement, une requête n’est recevable que
si elle est « introduite dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour
comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ».
22 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Communication n° 308/05 — Ay Bh c. Zimbabwe (2008) AHRLR 146 (CADHP 2008).
23 Correspond à la règle 50(2)(f) du Règlement intérieur de la Cour du 25 septembre 2020.
53. En l’espèce, la Cour observe qu’entre le 23 février 2016, date à laquelle la
Cour d'appel a rejeté le recours du Requérant, et le 1% septembre 2016,
date de sa saisine, une période de six (6) mois et neuf (9) jours s’est
écoulée.
54. La Cour observe, en outre, que l’article 56(6) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(f) du Règlement, ne fixe pas de
délai pour sa saisine. Toutefois, la Cour a conclu, dans sa jurisprudence
constante que « [l]e caractère raisonnable du délai de sa saisine dépend
des circonstances particulières de chaque affaire et qu’elle doit le
déterminer au cas par cas ».?*
55. || ressort du dossier que la Cour note que le Requérant affirme qu’il est
profane en matière de droit et indigent, qu’il est incarcéré depuis 2011 et
qu’il n’a eu qu’un accès limité à l’information, y compris sur l’existence de
la Cour de céans. Compte tenu de ces circonstances, la Cour estime que
le délai de six (6) mois et neuf (9) jours dans lequel il a introduit sa Requête
est raisonnable.
56. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la période de six (6)
mois et huit (9) jours constitue un délai manifestement raisonnable au sens
de l’article 56(6) de la Charte et de la règle 50(2)(f) du Règlement. La Cour
rejette donc l'exception d’irrecevabilité soulevée par l’État défendeur.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
57. La Cour observe qu’aucune exception n’a été soulevée quant aux autres
conditions de recevabilité. Néanmoins, conformément à la règle 50(1) du
Règlement, elle doit s’assurer que la requête est recevable avant de
poursuivre son examen.
24 Ayant droits de Feu Ao Cm et autres c. Xa Ar (fond) (28 mars 2014) 1 RICA 226,
AJ (fond), supra, 8 73.
58. Il ressort du dossier que le Requérant a été clairement identifié par son nom,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
59. La Cour relève également que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger ses droits garantis par la Charte. En outre, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son article
3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples.
Par ailleurs, la Requête ne contient aucun grief ou aucune demande qui soit
incompatible avec une disposition dudit Acte. En conséquence, la Cour
considère que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union
africaine et avec la Charte et conclut qu’elle satisfait aux exigences de la
règle 50(2)(b), du Règlement.
60. La Cour note, en outre, que la Requête ne contient pas de termes
outrageants ou insultants à l’égard de l’État défendeur. Elle satisfait donc à
l’exigence de la règle 50(2)(c) du Règlement.
61. La Requête n’est pas fondée exclusivement sur des nouvelles diffusées par
les moyens de communication de masse, mais sur des documents
judiciaires émanant des juridictions nationales de l’État défendeur,
conformément à la règle 50(2)(d) du Règlement.
62. Du reste, la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée par
les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de
l’Acte constitutif de l’Union africaine et des dispositions de la Charte,
conformément à la règle 50(2)(g) du Règlement.
63. La Cour constate donc que toutes les conditions de recevabilité sont réunies
et que la présente Requête est recevable.
VII. SUR LE FOND
64. Le Requérant allègue la violation, par l’État défendeur, du droit à un procès
équitable, du droit à la vie, du droit à la dignité, du droit à une totale égalité
devant la loi et à une égale protection de la loi.
65. La Cour observe toutefois que, bien que le Requérant allègue la violation
de divers droits garantis par la Charte, sa Requête invoque principalement
des allégations de violation du droit à ce que sa cause soit entendue,
protégé par l’article 7(1) de la Charte. La Cour examinera d’abord la
violation alléguée de l’article 7(1) de la Charte, avant de se prononcer sur
les allégations de violation des autres droits de l’homme.
A. Allégation de violation du droit à ce que sa cause soit entendue
66. La Cour observe, à la lecture du dossier, que le Requérant soulève cinq (5)
griefs à l’encontre des juridictions internes dont les actions ou omissions
ont, selon lui, violé son droit à ce que sa cause soit entendue, inscrit à
l’article 7(1) de la Charte, en ce que :
i. La juridiction de première instance et la juridiction d'appel ont commis
une erreur de droit et de fait en procédant à l'examen des arguments de
la défense en l’absence d’ordonnance portant clôture des débats en ce
qui concerne l’accusation.
ii. La Haute Cour ne s’est pas conformé à l’article 293(2) de la loi portant
code de procédure pénale ; raison principale pour laquelle la procédure,
après la conclusion de l’affaire, devait être annulée ou ne pas être prise
en compte et qu’il fallait ensuite ordonner que l’affaire soit renvoyée
devant la Haute Cour.
ill. Dans la mesure où le dossier du tribunal était silencieux quant à la
question de savoir si le rapport d’autopsie, pièce à conviction (P1) et le
croquis cartographique, pièce à conviction (P2), ont été montrés et/ou
lus au Requérant afin qu’il en connaisse le contenu, le tribunal de
première instance et la Cour d'appel ont donc condamné à tort le Requérant en se fondant sur lesdites pièces qui auraient dû être
expurgées du dossier.
iv. Le tribunal de première instance et la Cour d'appel ont commis une
erreur de fait et de droit en se fondant sur l'identification visuelle fournie
par Cs Ab (PW), un témoin peu crédible et peu fiable, pour
condamner le Requérant sans tenir compte du fait que la dénommée
Cs Ab (PW) avait conçu son témoignage de manière à impliquer
le Requérant dans ce délit, en représailles à son expulsion de la maison
de la mère du Requérant.
v. La juridiction de première instance et la juridiction d’appel n’ont pas
motivé les raisons pour lesquelles elles ont écarté ou ignoré les
éléments de preuve de la défense.
67. La Cour examinera ces cinq (5) griefs à la lumière de l’article 7(1) de la
Charte.
i. Allégation relative à la clôture des débats en ce qui concerne
l’accusation
68. Le Requérant allègue que la juridiction de jugement et la juridiction d’appel
ont commis une erreur de droit et de fait en procédant à l’examen des
arguments de la défense alors que la Cour n’avait pas clos les débats en
ce qui concerne l'accusation.
69. L'État défendeur fait valoir que le Requérant avait déjà soulevé cette
question comme deuxième moyen d'appel devant la Cour d’appel qui avait
déjà tranché cette question de manière définitive. L’État défendeur fait
référence à la décision de la Cour d'appel, qui a déclaré ce qui suit :
Bien que nous comprenions que le tribunal de première instance n’ait pas
expressément indiqué que les débats étaient clos, nous nous empressons
de dire qu’en fait, qu’il n’est pas exigé dans l’article 293(1) de la loi portant
Code de procédure pénale (CPA) que le tribunal d’instance consigne que les
débats sont clos en ce qui concerne l’accusation, même si nous pensons qu’il est de bonne pratique de procéder ainsi. En tout état de cause, ladite
omission n’a pas entraîné un déni de justice à l’égard de l’appelant, car la
procédure a été menée à son terme et l’appelant a assuré sa défense.
Abstraction faite de la remarque que nous avons formulée, nous estimons
que ce moyen est également dépourvu de tout fondement et le rejetons en
conséquence.
70. L'État défendeur se réfère également au dossier de la procédure devant la
juridiction de jugement, où il a été consigné ce qui suit le 15 juin 2015 :
Je suis convaincu que le ministère public a établi une preuve prima facie, qui
requiert que l’accusé présente ses moyens de défense.
71. L'État défendeur en conclut que la demande du Requérant devrait être
rejetée pour défaut de fondement.
72. L'article 7(1) de la Charte dispose : « [t]oute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue ».
73. La Cour a constamment considéré que :
les juridictions nationales jouissent d’une large marge d’appréciation
dans l’évaluation de la valeur probante des éléments de preuve. En
tant que juridiction internationale des droits de l'homme, la Cour ne
peut pas se substituer aux juridictions nationales pour examiner les
détails et les particularités des preuves présentées dans les
74. Nonobstant ce qui précède, lorsqu’elle examine la manière dont la
procédure interne a été menée, la Cour peut intervenir pour déterminer si
cette procédure, y compris la conduite du procès et l’appréciation des
25 Bt c. AJ (fond), supra, 8 65.
preuves, a été en conformité avec les normes internationales en matière de
droits de l'homme.
75. Il ressort du dossier devant la Cour de céans que la Cour d’appel a examiné
l’allégation soulevée en l’espèce et a estimé qu’elle n’avait pas entraîné de
déni de justice à l’égard du Requérant, le procès ayant été mené à son
terme, et que le Requérant a assuré sa défense. La Cour considère donc
que le Requérant n’a pas démontré ni prouvé que la manière dont le procès
s’est déroulé a entrainé des erreurs manifestes nécessitant son
intervention.
76. La Cour rejette donc cette allégation et considère que l’État défendeur n’a
pas violé le droit du Requérant à ce que sa cause soit entendue, inscrit à
l’article 7(1) de la Charte.
ii. Allégation relative à la loi portant Code de procédure pénale
77. Le Requérant reproche à l’État défendeur la non-observance, par sa
juridiction, de l’article 293(2) de la loi portant code de procédure pénale. Il
soutient, en outre, que ce manquement aurait dû conduire à l’annulation de
la procédure et au renvoi de l’affaire devant la Haute Cour.
78. L'État défendeur conteste l’allégation du Requérant et affirme que ce point
a déjà été tranché par la Cour d’appel dans son arrêt, le Requérant ayant
soulevé la même question comme premier moyen d’appel devant ladite
juridiction.
79. L'État défendeur fait valoir que sa Cour d’appel a dûment pris en compte le
fait que la disposition de l’article 293(2) de la loi portant code de procédure
pénale prévoit les droits de la personne accusée une fois que la juridiction
de jugement estime qu’elle doit répondre des accusations portées à son encontre. Il fait observer que la Cour d’appel a estimé que l'objectif général
visé par cet article est essentiellement de faire savoir à l’accusé qu’il a le
droit de se défendre, en lui indiquant notamment la manière de le faire et lui
signifiant son droit de citer des témoins, le cas échéant.
80. L’État défendeur relève que la Cour d’appel s’est référée à la page 35 du
compte-rendu des audiences où les avocats du requérant ont déclaré :
« [votre honneur, l’accusé va témoigner sous serment et nous allons citer
un témoin. Toutefois, je sollicite une brève suspension d'audience afin de
consulter mon client ».
81. L’État défendeur fait en outre valoir que sa Cour d’appel s’est référée à
l’affaire Ae Bq c. la République, dans laquelle elle a conclu comme
suit : « Nous sommes convaincus que lorsqu’un accusé est représenté par
un avocat et qu’un juge omet de s'adresser à lui conformément à l’article
293 de la CPA, le facteur primordial est de savoir si ladite omission a ou
non entraîné un déni de justice ». L’État défendeur note qu’après avoir
examiné le moyen soulevé par le Requérant, la Cour d’appel l’a rejeté pour
défaut de fondement.
82. Il se réfère également au compte rendu des audiences devant le tribunal de
première instance, où ladite juridiction a consigné le 15 juin 2015 ce qui
suit :
Je suis convaincu que le ministère public a établi une preuve prima facie, qui
requiert que l’accusé présente sa défense.
83. Pour ces raisons, l’État défendeur considère que cette allégation n’est pas
fondée et qu’elle doit être rejetée.
84. La Cour relève, à la lecture du dossier, que la Cour d’appel de l’État
défendeur a examiné le même moyen soulevé en l’espèce par le
Requérant.
85. La Cour relève également la conclusion de la Cour d’appel selon laquelle
aucun déni de justice n’a été constaté au regard des circonstances de la
présente affaire, et qu’il ressort du dossier que le droit du Requérant à se
défendre lui a été communiqué et qu’il l’a exercé.
86. La Cour considère donc que le Requérant n’a pas apporté la preuve que la
manière dont la procédure devant les juridictions internes a été menée a
conduit à une erreur judiciaire grave ou à la violation du droit du Requérant
à ce que sa cause soit entendue.
87. La Cour en conclut que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant
à ce que sa cause soit entendue, prévu à l’article 7(1) de la Charte.
iii. Allégation relative aux preuves irrecevables
88. Le Requérant allègue que la juridiction de jugement et la juridiction d’appel
l’ont condamné, à tort, en se fondant sur le rapport postmortem, pièce à
conviction (P1), et le croquis cartographique, pièce à conviction (P2), qu’ils
n’ont ni montré ni donné lecture au Requérant.
89. Il soutient que le fait pour l’avocat de l’accusé d’avoir eu la possibilité de
procéder à un contre-interrogatoire sur ces documents ne satisfait pas à
l'exigence dûment établie par la plus haute juridiction de l’État défendeur,
qui a jugé à plusieurs reprises que le fait de ne pas donner lecture ni
expliquer à l’accusé le contenu de tout document avant de le verser au
dossier constitue une erreur grave. Il soutient que ces documents auraient
dû être expurgés du dossier.
90. Le Requérant se réfère à l’affare Bf Bi Bc c. La
République, appel en matière pénale n° 296 de 2017, dans laquelle la Cour
d'appel a conclu comme suit :
Il est de principe, dans un procès tenu avec l’aide d’assesseurs, que
lorsqu’une déclaration contestée d’un accusé est admise comme preuve,
celle-ci doive être lue à l’audience afin de permettre à l’accusé et à
l’assesseur d’en saisir le contenu.
91. Il cite également l’affaire Bn Bj et un autre c. La
République, Appel en matière pénale n° 122 de 2012 (inédit) où la Cour
d'appel a indiqué que :
le fait de ne pas avoir lu ces déclarations devant la Cour a privé les parties
et les assesseurs, en particulier, de la possibilité d’apprécier les preuves
produites devant elle. Dans une telle situation, il est évident que l’omission a
également constitué une erreur grave équivalant à un vice de procédure et
à un déni de justice.
92. Le Requérant soutient donc que l’État défendeur lui a causé un préjudice
en ne lui ayant pas donné lecture des pièces à conviction.
93. L'État défendeur réfute cette allégation. Il soutient que la Cour d’appel a
tranché cette question, que le Requérant avait soulevée comme troisième
moyen d’appel, de la manière suivante :
Dans les circonstances de l’espèce, nous sommes, toutefois, d’accord avec
M. Cr pour dire que du moment où le ministère public a cité PW4
(Af BrB, le médecin qui a procédé à l’autopsie de la défunte, et
que le témoignage de ce témoin s’est appuyé sur la pièce P1 et qu’elle a
expliqué en détail la cause du décès, et que l’avocat de l’appelant a eu la
possibilité de la contre-interroger, l’on ne saurait conclure que l’appelant a
été privé de la possibilité de prendre connaissance du contenu de la pièce P1. Il en va de même pour la question du croquis cartographique, car PW3,
Cl Ct, a été citer à témoigner et a clairement expliqué le
contenu du document … Ce moyen n’est également pas fondé et est donc
rejeté.
94. L’État défendeur affirme que le Requérant a eu connaissance de la teneur
des pièces P1 et P2, qui ont fait l’objet de discussions approfondies au cours
du procès. Il relève, en outre, que le Requérant bénéficiait des services d’un
avocat commis d’office qui a dûment contre-interrogé les témoins à charge
sur les deux pièces à conviction, comme le prouve le compte rendu des
audiences.
95. L’État défendeur en conclut que la demande du Requérant devrait être
rejetée pour défaut de fondement.
96. La Cour rappelle sa conclusion selon laquelle les juridictions nationales
jouissent d’une large marge d’appréciation dans l'évaluation de la valeur
probante des éléments de preuve.
97. La Cour observe, en outre, que la Cour d’appel a examiné de manière
exhaustive les moyens invoqués par le Requérant et a démontré que le
Requérant n’a pas été privé de la possibilité de prendre connaissance du
contenu des pièces 1 et 2, dans la mesure où les deux pièces et leur
contenu ont fait l’objet d’un examen détaillé au cours de la procédure en
première instance.
98. La Cour rejette donc cette allégation et conclut que l’État défendeur n’a pas
violé le droit du Requérant à ce que sa cause soit entendue, inscrit à l’article
7(1) de la Charte.
iv. Allégation relative à l’identification visuelle
99. Le Requérant soutient que son droit à ce que sa cause soit entendue a été
violé en ce que le tribunal s'était appuyé sur des preuves non corroborées,
non fiables et inappropriées, en se fondant essentiellement sur la déposition
d’un témoin oculaire, Cs Ab (PW1), qui dit l’avoir identifié en pleine
soirée, dans des conditions de visibilité réduite et après avoir été
traumatisée par l'incident.
100. Le Requérant affirme également que l’État défendeur n’a ni produit l’arme
du crime ni apporté la moindre preuve de l'intention présumée du Requérant
de commettre un meurtre, dans la mesure où il ressort du compte rendu
des audiences qu’il n’avait aucun grief contre la défunte et contre le témoin,
et qu’il n’était pas non plus partie au litige foncier qui opposait ses propres
sœurs et la défunte.
101. Le Requérant relève, en outre, qu’un certain nombre d’incohérences, dont
certaines paroles qui auraient été prononcées par le Requérant, ébranlent
la crédibilité du témoin. Il soutient que, le témoin qui a déclaré l’avoir
identifié, a affirmé qu'avant que le Requérant ne commette le crime, il a
prononcé des paroles qu’on ne saurait oublier et qui ont permis de
l'identifier. Toutefois, lors de sa déposition au poste de police, le témoin a
omis de mentionner les paroles qui auraient permis d’identifier le Requérant
et qui seraient inoubliables.
102. Le Requérant soutient également que le témoin a conçu son témoignage
de manière à l’accuser, en représailles à l’expulsion de celle-ci du domicile
de la mère du Requérant.
103. Le Requérant soutient donc que les juridictions nationales ont
irrémédiablement omis de relever de graves erreurs de droit, étant donné
que la supposée identification par le témoin n'avait pas été faite de manière
irréfutable.
104. L'État défendeur réfute cette allégation et déclare que la Cour d’appel a,
dans son arrêt, tranché cette question que le Requérant a soulevée comme
quatrième moyen.
105. L'État défendeur soutient que la Cour d’appel a examiné la question de
l'identification aux pages 16 à 19 de son arrêt, où elle a conclu comme suit :
Sur la base du témoignage ci-dessus, donné par PW1 et corroboré par PW2
et PW7, et en tenant compte des avis des assesseurs, nous partageons le
point de vue de M. Cr et concluons que les conditions sur le lieu du crime
étaient propices à une identification positive.
106. En ce qui concerne l’allégation selon laquelle PW1 n’était pas un témoin
fiable ou crédible, l’État défendeur souligne que la Cour d’appel a examiné
cette question aux pages 21 à 23 de son arrêt et a conclu comme suit :
Après tout, il s’agit de questions, à tout le moins, insignifiantes. Nous
sommes donc convaincus que PW1 est un témoin véridique, crédible et
fiable. Ce moyen est également sans fondement.
107. La Cour d’appel a également statué comme suit :
Dans l’ensemble, nous estimons n’avoir aucune raison de remettre en cause
les conclusions de la juridiction inférieure concernant la crédibilité de
Cs Ab. Nous estimons que le quatrième moyen n’est pas non plus
fondé et le rejetons en conséquence.
108. Au regard de ce qui précède, l’État défendeur estime que cette allégation
n’est pas fondée et qu’elle doit être rejetée.
109. Il ressort du dossier devant la Cour de céans que la Cour d’appel a examiné
de manière exhaustive les éléments de preuves produits dans l’affaire du
Requérant, en particulier en ce qui concerne la crédibilité du témoin et les
conditions de son identification.” La Cour estime donc que le Requérant
n’a pas démontré ni prouvé que la manière dont les juridictions internes ont
apprécié les éléments de preuve a révélé des erreurs manifestes
nécessitant l'intervention de la Cour de céans.
110. La Cour rejette donc cette allégation et conclut que l’État défendeur n’a pas
violé le droit du Requérant à ce que sa cause soit entendue, inscrit à l’article
7(1) de la Charte.
v. Allégation relative aux preuves à décharge
111. Le Requérant soutient que la juridiction de jugement n’a pas accordé au
moyen de la défense avancé par le Requérant l’importance qu’il méritait.
112. L’État défendeur réfute cette allégation en indiquant que celle-ci a été
tranchée par la Cour d’appel lorsque le Requérant l’a soulevée comme
cinquième moyen d'appel. L’État défendeur soutient, en outre, que la Cour
d’appel a examiné cette question aux pages 24 et 25 de son arrêt et qu’elle
a statué comme suit :
En résumé, le tribunal d’instance a déclaré ne pas être convaincue par sa
défense d’alibi parce qu’elle ne mettait nullement en doute la thèse de
l’accusation. Nous sommes entièrement d’accord avec la juridiction
inférieure.
26 Voir pages 19 à 23 de l’arrêt de la Cour d’appel (appel pénal n° 313/2015).
27 Voir pages 16 à 19 de l’arrêt de la Cour d’appel (appel pénal n° 313/2015).
113. La Cour d’appel a en outre déclaré ce qui suit :
Même si nous comprenons que l’appelant n’était pas tenu de prouver son
alibi, nous sommes toutefois convaincus que, dans la mesure où a indiqué
que son ami, le dénommé Cv Bb, l’avait accompagné aux îles,
il aurait dû le citer à témoigner en sa faveur afin d’étayer sa défense.
114. Pour ces raisons, l’État défendeur considère que cette allégation n’est pas
fondée et qu’elle doit être rejetée.
115. La Cour relève dans le dossier que les juridictions internes ont examiné les
moyens de défense du Requérant mais les ont rejetés parce qu’ils ne
mettaient pas en doute les arguments de l’accusation.?? La Cour estime
donc que le Requérant n’a pas démontré ni prouvé que la manière dont les
juridictions internes ont apprécié les preuves a révélé des erreurs
manifestes nécessitant l’intervention de la Cour de céans.
116. La Cour rejette donc cette allégation et conclut que l’État défendeur n’a pas
violé le droit du Requérant à ce que sa cause soit entendue, inscrit à l’article
7(1) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la vie
117. Le Requérant allègue que l’État défendeur a violé son droit à la vie en le
déclarant coupable et en le condamnant à la mort par pendaison. Il affirme
qu’une telle décision découle du fait que l’État défendeur applique la peine
de mort obligatoire sans tenir compte des circonstances atténuantes ou des
spécificités de son cas, le privant ainsi de son droit à une peine
personnalisée, conformément aux exigences du droit international.
28 Voir pages 24 à 27 de l’arrêt de la Cour d’appel (appel pénal n° 313/2015).
118. Le Requérant soutient qu’en vertu de l’article 4 de la Charte, l’État
défendeur s’est engagé à respecter et à protéger le droit à la vie et que nul
ne peut en être privé de manière arbitraire.
119. Il affirme donc que le caractère obligatoire de la peine de mort prévue à
l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur constitue une privation
arbitraire du droit à la vie, étant donné qu’elle n’est pas conforme au principe
d’équité et de régularité de la procédure et ne permet pas à une personne
condamnée de faire valoir des circonstances atténuantes.
120. Selon le Requérant, ledit article du Code pénal ne confère pas au tribunal
de première instance le pouvoir discrétionnaire de prendre en compte des
circonstances particulières et déterminantes telles que le degré de
participation de chaque contrevenant au crime, mais d’imposer la peine de
mort, contrairement à la lettre et à l’esprit de l’article 7(1) de la Charte.
121. L’État défendeur affiime que sa Cour d’appel a statué dans l'affaire
Mbushuu alias Cw Bv et un autre c. la République [1995] TLR 97
que l'imposition de la peine de mort n’est pas arbitraire, qu’elle est
raisonnablement nécessaire et qu’elle est imposée à la suite d’une
procédure judiciaire régulière et que, par conséquent, elle n’est pas
contraire à la Constitution.
122. L'État défendeur affirme en outre que sa Cour d’appel a émis des
observations sur la limitation des droits individuels. Dans l'affaire DPP c.
Bp Pete [1993] TLR 22, la Cour d'appel a estimé qu’en raison de la
coexistence entre «les droits fondamentaux de l'individu et les droits
collectifs de la société », il n’est pas anormal de déterminer des limitations
aux droits de l’individu dans toute société.
123. L'État défendeur fait également valoir qu’au cours des vingt dernières
années, il a appliqué un moratoire de facto sur la peine de mort.
124. Il affirme, en outre, que le litige relatif à la condamnation à mort a été
formellement tranché par sa Cour d’appel qui a adopté une position sans
ambages selon laquelle cette condamnation est légale, conforme aux
procédures, à la Constitution et qu’elle est nécessaire. L'État défendeur
soutient donc que la Cour de céans ne serait pas compétente pour
connaître du grief soulevé par le Requérant.
125. L’article 4 de la Charte dispose : « [Ja personne humaine est inviolable.
Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et
morale de sa personne : Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit ».
126. La Cour estime que la seule question qu’elle doit trancher en l’espèce est
celle de savoir si l’imposition de la peine de mort par l’État défendeur
constitue une privation arbitraire du droit à la vie.
127. La Cour rappelle sa jurisprudence bien établie selon laquelle le caractère
obligatoire de la peine de mort prévue à l’article 197 du Code pénal de l’État
défendeur constitue une privation arbitraire du droit à la vie et qu’elle est,
par conséquent, contraire à l’article 4 de la Charte.
128. En l’espèce, la Cour ne trouve aucune raison convaincante de s’écarter de
sa position antérieure et parvenir à une conclusion différente.
29 Bg Cd et autres c. Bm Cz de AJ (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RJCA 562, 8 114 ; Bo Bu c. République Unie de AJ, CAfDHP, Requête n° 024/2016, arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), 8 130 ; Ao Aw c. République Unie de AJ, CAfDHP, Requête n° 056/2016, arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations) 8 150 ; Ae Bk c. République Unie de AJ, CAfDHP, Requête n° 012/2019, arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 8 80.
129. La Cour estime donc que l'État défendeur a violé l’article 4 de la Charte en
raison du caractère obligatoire de la peine de mort prononcée à l’encontre
du Requérant, conformément à l’article 197 de son Code pénal, ce qui
constitue une privation arbitraire du droit à la vie.
C. Violation alléguée du droit à la dignité
130. Le Requérant soutient que le mode d’exécution de la peine de mort, à savoir
la pendaison, est intrinsèquement dégradant. Il affirme que la pendaison fait
partie des actes équivalant à la torture et qu’il s’en infère que quelle que soit
la manière dont elle est exécutée, la pendaison porte atteinte à la dignité
d’une personne et constitue une violation du droit de ne pas être soumis à
la torture et à des traitements cruels, inhumains et dégradants, garanti par
l’article 5 de la Charte.
131. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
132. L'article 5 de la Charte dispose :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d'’avillissement de l'homme notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
30 Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a déclaré que « la condamnation obligatoire et automatique à la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du [PIDCP], dans des circonstances où la peine capitale est prononcée sans qu’il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l'accusé ou les circonstances ayant entouré le crime en question ». La rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a déclaré qu’« en aucun cas la loi ne devrait rendre la peine capitale obligatoire, quels que soient les faits reprochés » et le rapporteur spécial que « la condamnation obligatoire à la peine de mort, qui exclut la possibilité de prononcer une peine plus légère quelles que soient les circonstances, est incompatible avec l'interdiction des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants ». Dans sa résolution 2005/59, adoptée le 20 avril 2005, le Comité des droits de l'homme des Nations unies demande instamment aux États qui continuent d'appliquer la peine capitale de « veiller à ce que [.…] la peine de mort ne soit pas imposée [.…] à titre de peine obligatoire ».
les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont
interdites.
133. La Cour rappelle qu’elle a conclu dans ses arrêts précédents que
l’application de la peine de mort par pendaison, lorsque cette peine est
autorisée, est « dégradante par nature » et « porte … atteinte à la dignité,
eu égard à l'interdiction des traitements cruels, inhumains et
dégradants ».°! La Cour a donc estimé que l'application de telles peines
constitue une violation du droit à la dignité, garanti par l’article 5 de la
Charte, dans la mesure où le Requérant en l’espèce encoure la même
peine.
134. La Cour considère, en conséquence, que l’État défendeur a violé l’article 5
de la Charte.
D. Violations alléguées d’autres droits de l’homme
135. Le Requérant allègue également que l’État défendeur a violé ses droits
garantis par les articles 3(1) et (2), 7(1)(d) et 7(2) de la Charte.
136. L'État défendeur soutient que le Requérant n’a pas démontré en quoi l’État
défendeur a violé ses droits inscrits aux articles 3(1) et (2), 7(1)(d) et 7(2)
de la Charte. Il estime donc que les allégations doivent être rejetées dans
la mesure où elles n’ont pas été prouvées et qu’elles sont dénuées de tout
fondement.
137. La Cour observe que le Requérant n’a ni présenté d’observations
spécifiques ni fourni de preuves qu’il n’a pas été traité de manière égale
31 Rajabu et autres c. AJ, supra, 88 119 à 120 ; Aw Y AJ, supra, 88 169 à 170 ; Bu Y AJ, CAfDHP, supra, 88 135 à 136.
devant la loi ou qu’il n’a pas bénéficié d’une égale protection de la loi (article
3(1) et (2) de la Charte), qu’il n’a pas été jugé dans un délai raisonnable par
une juridiction impartiale (article 7(1)(d) de la Charte) ou qu’il a été
condamné pour un acte ou une omission qui ne constituait pas, au moment
où elle a eu lieu, une infraction légalement punissable (article 7(2) de la
138. Au regard de ce qui précède, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de constater
une violation et conclut, en conséquence, que l’État défendeur n’a pas violé
les articles 3(1) et (2), 7(1)(d) et 7(2) de la Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
139. La Cour relève qu’aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « [l]orsqu’elle
estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y
compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d'une
réparation ».
140. Conformément à la jurisprudence de la Cour, pour que des réparations
soient accordées, la responsabilité de l’État défendeur doit être établie au
regard du fait illicite. Deuxièmement, le lien de causalité doit être établi entre
l’acte illicite et le préjudice allégué. En outre, et lorsqu’elle est accordée, la
réparation doit couvrir l’intégralité du préjudice subi.
141. La Cour rappelle qu’il incombe au Requérant de fournir des éléments de
preuve pour justifier ses demandes.® En ce qui concerne le préjudice
32 Ad Am Cf c. République-Unie de AJ, CAfDHP, Requête n° 035/2017, arrêt du 22 septembre 2022 (fond), 8 82.
33 At Ca et autres c. Rwanda (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 680, 8 139 ; Voir également As Bz Ce Xf c. AJ (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 40 ; Aj Av Ai c. Xa Ar (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 8 15(d) et Ag Y AJ (arrêt), supra, 8 97.
moral, la Cour a décidé que la règle de la preuve n’est pas aussi rigide, car
le préjudice moral est présumé en cas de violation.**
142. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l'homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
143. Comme la Cour de céans l’a précédemment établi, l’État défendeur a violé
le droit du Requérant à la vie et à la dignité, garanti par les articles 4 et 5 de
la Charte. La Cour en conclut que la responsabilité de l’État défendeur a été
établie. Elle va donc examiner les demandes de réparation formulées par
le Requérant.
A. Réparations non-pécuniaires
i. Remise en liberté
144. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de le
remettre en liberté.
145. L'État défendeur conclut au débouté. Il soutient que la Cour n’est pas une
juridiction d’appel et qu’elle n’a aucune compétence en matière d’appel
pénal pour annuler la décision des juridictions nationales de l’État défendeur
et ordonner la remise en liberté des prisonniers.
34 Rajabu et autres c. AJ (fond et réparations), supra, 8 136 ; Cb Be c. AJ (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 55 ; Al Aa Au c. République-Unie de AJ (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 13, 8 119 ; Ao Cm et autres c. Xa Ar (réparations), 8 55.
35 Cq Bl Cu c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 20. Voir également Ag Y AJ (fond), supra, 8 96.
146. En ce qui concerne la remise en liberté du Requérant, la Cour a conclu
qu’elle n’ordonnerait une telle mesure que « si le Requérant démontre à
suffisance ou si la Cour elle-même établit à partir de ses conclusions que
l’arrestation ou la condamnation du Requérant est entièrement fondée sur
des considérations arbitraires et que son maintien en détention entraînerait
un déni de justice ».36
147. En l’espèce, la Cour estime que les circonstances permettant d’ordonner la
remise en liberté du Requérant n’ont pas été réunies et rejette en
conséquence la demande du Requérant.
ii. Fixation d’une autre peine
148. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur d'annuler
la peine de mort prononcée à son encontre et de le retirer du couloir de la
mort.
149. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
150. Ayant conclu que la condamnation du Requérant la peine de mort
obligatoire constitue une violation de l’article 4 de la Charte, la Cour ordonne
à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires, par le biais
de ses processus internes et dans un délai d’un (1) an à compter de la
notification du présent Arrêt, pour juger à nouveau l’affaire en ce qui
concerne la condamnation du Requérant par le biais d’une procédure qui
ne permet pas l'imposition de la peine de mort et qui maintient le pouvoir
36 Bu Y AJ, supra, 8 165.
37 Rajabu et autres c. AJ, supra, 8 171 (xvi) ; Bu Y AJ, ibid., 8 174 (xvii) ; Aw Y AJ, supra, 8 217 (xvi) ; Bk Y AJ, supra, 8 184 (xviii).
iii. Garanties de non-répétition
151. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de modifier
ses lois afin de garantir la protection du droit à la vie, inscrit à l’article 4 de
la Charte, en supprimant la peine de mort obligatoire, prévue pour les cas
de meurtre.
152. Le Requérant demande, en outre, à la Cour de rendre toutes autres
mesures qu’elle estimera justes et pertinentes au regard des circonstances
de l’espèce.
153. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
154. La Cour a examiné des questions similaires dans ses arrêts précédents et
a ordonné à l’État défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires
pour abroger la disposition de son Code pénal prévoyant l'imposition de la
peine de mort.° La Cour réitère donc cette mesure dans la présente affaire.
155. S'agissant de la conclusion de la Cour relative au caractère intrinsèquement
dégradant du mode d’exécution de la peine de mort par pendaison et dans
la logique même de l'interdiction des méthodes d’exécution assimilables à
la torture ou à des traitements cruels, inhumains et dégradants, il
conviendrait de prescrire, dans les cas où la peine de mort n’est pas abolie,
que les méthodes d’exécution excluent la souffrance ou entraînent le moins
de souffrance possible. En conséquence, la Cour ordonne à l’État
défendeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour supprimer de
sa législation la « pendaison » comme mode d'exécution de la peine de
mort.
38 Rajabu et autres c. AJ, supra, 8 163 ; Bu Y AJ, ibid., 8 170 ; Aw Y AJ, supra, 8 207 ; Bk Y AJ, supra, 8 166.
39 Rajabu et autres c. AJ, supra, 8 118.
B. Réparations pécuniaires
156. Le Requérant sollicite de la Cour des réparations pécuniaires pour le
préjudice matériel et moral qui, selon lui, résulte des violations subies du
fait de l’État défendeur.
i. Préjudice matériel
157. En ce qui concerne le préjudice matériel, le Requérant demande à la Cour
d’ordonner à l’État défendeur de lui verser trente millions (30 000 000) de
shillings tanzaniens pour la perte de ses revenus.
158. Le Requérant affirme qu’il avait des entreprises et des sources de revenus
qui ont été affectées par la longueur de son procès et de son incarcération.
Il affirme qu’il a entrepris des activités agricoles et de pêche et que sa famille
a dû mettre en vente toutes ses plantations pour l’assister lors de son
procès et durant son incarcération, car elle n’avait pas d’autre source de
revenus. Le Requérant affirme en outre qu’à l’heure actuelle, tous ses biens
ont été vendus, laissant sa famille en proie à des difficultés financières.
159. Le Requérant affirme que ses activités de pêche et de vente de bois lui
procuraient par semaine des revenus minimales de deux cent mille shillings
tanzaniens qui lui permettaient de subvenir aux besoins de sa famille. Le
Requérant soutient qu’en raison de sa condamnation, ses entreprises se
sont depuis effondrées, faute de personne capable de les gérer.
160. Le Requérant demande, en outre, à la Cour de lui accorder des réparations
à hauteur de cent mille (100 000) shillings tanzaniens pour les frais
encourus au titre du transport, des fournitures de bureau, de
l’affranchissement, des impressions et photocopie.
161. L'État défendeur soutient que cette demande de réparation pécuniaire n’est
pas fondée dans la mesure où le Requérant n’a pas établi de lien entre les
violations alléguées et le préjudice qu’il a subi.
162. La Cour rappelle que lorsqu’un requérant demande la réparation d’un
préjudice matériel, un lien de causalité doit non seulement exister entre la
violation constatée et le préjudice subi. Il doit également préciser la nature
du préjudice et en apporter la preuve.*°
163. La Cour observe que le Requérant n’a pas établi le lien entre la violation
constatée de ses droits et les revenus qu’il allègue avoir perdus ainsi que
les frais de fournitures et de transport encourus dans le cadre de la
procédure judiciaire à son encontre. Le Requérant a plutôt invoqué sa
condamnation et son incarcération, que la Cour n’a pas jugées illégales.
164. La Cour rejette donc les demandes formulées par le Requérant au titre du
préjudice matériel.
ii. Préjudice moral
165. En ce qui concerne le préjudice moral, le Requérant demande à la Cour
d’ordonner à l’État défendeur de lui octroyer des réparations d’un montant
de vingt millions (20 000 000) de shillings tanzaniens à titre de réparation
du préjudice moral qu’il a subi.
166. Le Requérant soutient qu’il a subi les effets traumatisants de plus de six (6)
années de réclusion ainsi que la perturbation complète de son plan de vie
du fait de son incarcération. Le Requérant affirme avoir éprouvé d’atroces
(réparations), 8 20.
souffrances émotionnelles en raison de la manière dont l’ensemble du
procès et de sa condamnation s’est déroulé, en violation de la Charte.
167. Le Requérant affirme en outre que les nombreux renvois qu’il a supportés
l’ont brisé sur le plan mental et émotionnel. Son association à un crime aussi
grave a non seulement abaissé le statut social dont il jouissait avec sa
famille. Le Requérant affirme avoir souffert d’une terrible gêne en sachant
que toutes les personnes qu’il connaissait l’associaient désormais à un
crime aussi grave. Il affirme que ses proches sont également associés à ce
crime terrible. La stigmatisation et la victimisation dont les membres de sa
famille étaient l’objet continuent de les affecter.
168. Le Requérant soutient, en outre, qu’il a passé environ six ans dans le couloir
de la mort depuis sa condamnation. Il affirme que le fait d’être détenu dans
le couloir de la mort est une expérience traumatisante unique et qu’il est de
notoriété qu’elle provoque de l’anxiété, de la peur et de l’angoisse
psychologique. Le Requérant affirme, en outre, qu’en raison des conditions
de vie difficiles en prison, sa santé s’est détériorée au fil des années. I! fait
également valoir que sa vie privée a été irrémédiablement perturbée en
raison de la longue durée de son incarcération et que la conséquence
directe de son emprisonnement est qu’il n’a pas pu établir un quelconque
contact avec ses épouses, ses enfants et ses collègues.
169. Le Requérant affirme également que plusieurs personnes sont victimes
indirectes de la violation de ses droits, à savoir ses sept (7) enfants, ses
trois (3) épouses, sa mère et sa belle-mère, et demande à la Cour de
considérer que ces personnes ont également enduré des souffrances
émotionnelles et ont en conséquence droit à des réparations pour préjudice
moral.
170. Le Requérant soutient que les victimes indirectes sont très affectées sur le
plan émotionnel suite à l’emprisonnement de leurs proches. Il affirme que
les interminables procès ont été épuisants sur le plan émotionnel et que la stigmatisation qui fait suite à la condamnation d’un parent pour un tel crime
est inimaginable. I! précise, du reste, que ses enfants ont été très affectés
par l’absence de leur père. En outre, les fréquents déplacements pour
rendre visite à leur proche en prison étaient épuisants non seulement sur le
plan financier, mais également sur le plan émotionnel. Pour cette raison, le
Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de verser à
chaque victime indirecte une compensation à concurrence de dix millions
(10 000 000) de shillings tanzaniens pour préjudice moral.
171. L'État défendeur soutient que cette demande de réparation pécuniaire n’est
pas fondée, car le Requérant n’a pas établi le lien entre les violations
alléguées et le préjudice qu’il aurait subi.
172. La Cour observe que la plupart des demandes formulées par le Requérant
en sa faveur et à la faveur de sa famille au titre du préjudice moral sont
directement liées à sa condamnation et à son incarcération, que la Cour de
céans n’a pas jugées illégales. Elle rejette donc la demande formulée par
le Requérant au titre du préjudice moral qu’aurait subi les membres de sa
famille du fait de son incarcération, que la Cour n’a, par ailleurs, pas jugée
173. En ce qui concerne les réparations pour préjudice moral réclamées par le
Requérant pour lui-même du fait des violations des droits de l'homme
établies, la Cour réitère qu’elle s'est déjà prononcée en faveur de la mesure
de restitution sollicitée par le Requérant à l’effet d’annuler la condamnation
à mort et de le retirer du couloir de la mort, ainsi que de la garantie de non-
répétition sollicitée à l’effet d’ordonner à l’État défendeur de modifier ses
lois afin d'assurer le respect du droit à la vie inscrit à l’article 4 de la Charte,
par la suppression de la peine de mort obligatoire en cas de meurtre, sans oublier la satisfaction que procure l’établissement des violations des droits
de l’homme reconnus par les articles 4 et 5 de la Charte. Dans ces
circonstances, la Cour accorde au Requérant la somme de cinq cent mille
(500 000) shillings tanzaniens à titre de réparation du préjudice moral subi
du fait des souffrances psychologiques qu’il a endurées.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
174. Le Requérant demande à la Cour de mettre les frais de procédure relatifs à
la présente Requête à la charge de l’État défendeur.
175. L’État défendeur, quant à lui, demande que les frais soient mis à la charge
du Requérant.
176. La Cour relève qu’aux termes de la règle 32(2)** de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais
de procédure ».
177. La Cour note, en l’espèce, qu’il n’existe aucune raison de déroger à ce
principe. En conséquence, la Cour décide que chaque Partie supporte ses
frais de procédure.
X. DISPOSITIF
178. Par ces motifs,
LA COUR,
#1 Article 30(2) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
Sur la compétence
i. Rejette l'exception d’incompétence ;
i. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
ii. — Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à ce
que sa cause soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à une
totale égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, inscrit
à l’article 3(1) et (2) de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant d’être
jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale, inscrit
à l’article 7(1)(d) de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant de ne
pas être condamné pour une action ou une omission qui ne
constituait pas au moment où elle a eu lieu, une infraction
légalement punissable, protégé par l’article 7(2) de la Charte.
À la majorité de huit (8) voix pour, et deux (2) voix contre, les Juges Blaise
TCHIKAYA et Dumisa B. NTSEBEZA ayant émis une opinion dissidente
concernant la peine de mort,
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la vie du Requérant,
protégé par l’article 4 de la Charte en raison de l’imposition de la
peine de mort ;
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à la dignité,
protégé par l’article 5 de la Charte en raison du mode d’exécution
de la peine de mort, à savoir la pendaison.
Sur les réparations
Réparations non-pécuniaires
xi. Rejette la demande du Requérant tendant à sa remise en liberté ;
xi. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, par le biais de ses processus internes et dans un
délai d’un (1) an à compter de la notification du présent Arrêt, pour
juger à nouveau l’affaire en ce qui concerne la condamnation du
Requérant par le biais d’une procédure qui ne permet pas
l'imposition de la peine de mort et qui maintient le pouvoir
d'appréciation du juge ;
xii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois, pour supprimer de ses
lois la peine de mort obligatoire ;
xiv. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la date de
notification du présent Arrêt, afin de supprimer de ses lois la
« pendaison » comme mode d’exécution de la peine de mort.
Réparations pécuniaires
xv. Rejette la demande de réparation formulée par le Requérant au
titre du préjudice matériel ;
xvi. Rejette la demande de réparation formulée au titre du préjudice
moral subi par les victimes indirectes ;
xvii. Alloue la somme de cinq cent mille (500 000) shillings tanzaniens
à titre de réparation du préjudice moral subi ;
xviii. Ordonne à l’État défendeur de verser le montant indiqué au point
(xvii) ci-dessus en franchise d’impôts, dans un délai de six (6) mois
à compter de la date de notification du présent arrêt, faute de quoi
il sera tenu de payer des intérêts moratoires calculés sur la base
du taux en vigueur de la Banque centrale de la République-Unie
de AJ pendant toute la période de retard jusqu’au paiement
intégral des sommes dues.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xix. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de notification du présent Arrêt, un
rapport sur la mise en œuvre des mesures qui y sont ordonnées
et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que la Cour
considère toutes ses décisions pleinement mises en œuvre.
Sur les frais de procédure
xx. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fra ant i
Ben KIOKO, Juge ; VS
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; H : On La Chafika BENSAOULA, Juge ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ges
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am .
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge g ; Æ
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la Règle 70(1) et (3) du Règlement,
l'opinion dissidente du Juge Blaise TCHIKAYA et la déclaration du Juge Dumisa B.
NTSEBEZA sont jointes au présent arrêt.
Fait à Alger, ce septième jour du mois de novembre de l’année deux-mille vingt-trois,
en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 049/2016
Date de la décision : 07/11/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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