AFRICAN UNION
sÉS) SAS Lt UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
IBRAHIM YUSUF CALIST BONGE
ET
2 AUTRES
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N 036/2016
ARRÊT
fé AND 2 SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle
B Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur les exceptions d’irrecevabilité 10
! Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 10
ii. Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable 13
B Sur les autres conditions de recevabilité 15
VII SUR LE FOND 16
A Violation alléguée du droit à la non-discrimination 16
B Violation alléguée du droit à une totale égalité devant la loi et à une égale
protection de la loi 18
Violation alléguée du droit à la vie 20
Violation alléguée du droit à la dignité 22
Violation alléguée du droit à un procès équitable 25
! Défaut de confirmation des déclarations faites par les Requérants… 27
ii. Allégation relative aux déclarations obtenues de manière illégale …. 29
F Violation alléguée du droit à la liberté d'expression 31
G Violation alléguée de l’article premier de la Charte 32
VIII. SUR LES RÉPARATIONS 33
A Réparations pécuniaires 35
! Préjudice matériel 35
ii. Préjudice moral 36
Réparations non-pécuniaires 36 ii. Remise en liberté
IX. SUR ii. iv. LES Mise Publication FRAIS en DE œuvre PROCÉDURE et soumission de rapports …
X. DISPOSITIF La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour“ (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l'affaire :
Au Bg Cs Z
Cv Bi Ay Ch
An Xh An AK
assurant eux-mêmes leur défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Cd Xz AM, Bm Cr, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Br Bv A, Ce Bm Cr, Bureau du Solicitor
General ;
iii Mme Bu X, Directrice adjointe, Division des Affaires
constitutionnelles et des droits de l’homme, Principal State Attorney, Cabinet de
l’Attorney General ;
iv. M. Bw C, Xs State Attorney, Cabinet de l’Xl Cr ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
v. M. Ag AJ, Fonctionnaire chargé des services extérieurs, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine ; et
vi. Mme Xn AG, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Les sieurs Au Bo Cs Z, Cv Bi Ay
Ch et An Xh An AK (ci-après dénommés « les
Requérants ») sont des ressortissants tanzaniens qui, au moment du dépôt
de la présente Requête, étaient incarcérés à la prison centrale d’Xb, à
Dar es Salaam, dans l’attente de l’exécution de la peine de mort prononcée
contre eux pour double meurtre. Ils allèguent la violation de leurs droits dans
le cadre des procédures devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la «
Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. L'État
défendeur a également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à
l’article 34(6) du Protocole, par laquelle il accepte la compétence de la Cour
pour recevoir des requêtes émanant d’individus et d’organisations non
gouvernementales ayant le statut d’observateur auprès de la Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples. Le 21 novembre 2019 l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les affaires
pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre
2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Le 16 décembre 2012, sur la rue Nyerere, à Dar es Salaam, un véhicule
transportant des fonds appartenant à Bi Ak a été pris en
embuscade. Au cours du braquage, un dénommé Av Xx,
comptable de Bi Ak et un agent de police, F.7091 PC
Godwin, ont été abattus.
4. La police a, par la suite, arrêté huit (8) personnes® qui ont été mis en
accusation pour double meurtre devant la Haute Cour siégeant à Dar es
Salaam. Au cours du procès, le ministère public a requis l’abandon des
poursuites à l’égard de trois (3) accusés* et le renvoi des cinq (5) accusés
restants devant la juridiction de jugement. À l'issue du procès, la Haute Cour
a acquitté un des accusés et a déclaré les quatre (4) autres coupables.”
5. Les quatre (4) personnes condamnées ont interjeté appel devant la Cour
d'appel siégeant à Dar es Salaam. La Cour d'appel en a acquitté un (1)° et
confirmé la décision à l’égard des trois (3) autres qui ont, par la suite,
introduit la présente Requête.
? Cm Ad Cf c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020), 4 RICA 219, 8 38.
3 Les huit co-accusés sont les suivants : Au Bo Cs Z, Cv Bi Ay Ch, Ax Cl Ao, Af Be Ao Cc Cx, An Xh An AK, Ao Ct Aq, Bt Ao Bh Xo et Be Ao.
# Le nolle prosequi (abandon formel des poursuites) a été prononcé pour les personnes ci-après : Af Be Ao Cc Cx, Ao Ct Aq et Be Ao.
5 Ax Cl Ao a été acquitté à l'issue du procès devant la Haute Cour.
8 La Cour d’appel a acquitté Bt Ao Bh Xo.
. 3 B. Violations alléguées
6. Les Requérants allèguent qu’en raison des conditions dans lesquelles leur
procès s’est déroulé, l’État défendeur a violé leurs droits garantis par la
Charte, à savoir : le droit à la non-discrimination (article 2) ; le droit à une
totale égalité devant la loi et à une égale protection de la loi (article 3) ; le
droit à la vie (article 4) ; le droit à la dignité (article 5) ; le droit à un procès
équitable (article 7) ; et le droit à la liberté d’expression (article 9). Les
Requérants allèguent également que les agissements de l’État défendeur
constituent une violation de l'obligation générale de respecter la Charte,
énoncée à son article premier.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête introductive d’instance a été reçue au Greffe le 15 juin 2016.
Elle a été communiquée à l’État défendeur, le 27 juillet 2016 aux fins de
réponse, dans les soixante (60) jours.
8. Après avoir bénéficié de plusieurs prorogations de délai, l’État défendeur a,
le 08 mai 2016, déposé son mémoire en réponse qui a été communiqué au
Requérant le 24 mai 2018.
9. Toutes les écritures et pièces de procédure ont été régulièrement déposées
et communiquées.
10. Les débats ont été clôturés le 8 août 2023 et les Parties en ont été dûment
informées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
11. Les Requérants demandent à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur a violé leurs droits protégés par les
articles 1, 2, 3, 4, 5, 7 et 9 de la Charte ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de les remettre en liberté :
iii. Leur accorder les réparations que la Cour de céans jugera appropriées
au regard des circonstances de l’espèce et des demandes formulées ;
iv. Ordonner à l’État défendeur de soumettre à l’honorable Cour de céans,
tous les six (6) mois, un rapport sur la mise en œuvre des éventuelles
mesures qu’elle aura ordonnées en faveur des Requérants ; et
v. Ordonner toutes autres mesures de réparation que la Cour jugera
nécessaire.
12. Sur la compétence et la recevabilité, l’État défendeur demande à la Cour
de :
i. Dire et juger que la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples
n’a pas compétence pour statuer sur la présente Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la
Cour ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas aux conditions de
recevabilité énoncées à l’article 40(6) du Règlement intérieur de la
Cour ; et, en conséquence
iv. Déclarer la Requête irrecevable et condamner les Requérants aux
dépens.
13. Sur le fond, l’État défendeur demande à la Cour de dire qu’il n’a pas violé
les droits des Requérants protégés par les articles 1, 2, 3, 4, 5, 7 et 9 de la
Charte. Il demande également à la Cour de rejeter toutes les demandes de
réparations formulées par les Requérants.
14. L'État défendeur demande, en outre, à la Cour de « rejeter la Requête au
motif qu’elle est sans fondement » et de « mettre les frais de procédure à la
charge des Requérants ».
V. SUR LA COMPÉTENCE
15. La Cour note que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
16. La Cour note également qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement, elle
« procède à un examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément
à la Charte, au Protocole et au [.…] Règlement ».”
17. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer,
le cas échéant, sur les exceptions qui s’y rapportent.
18. La Cour note qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. La Cour statuera sur ladite exception avant de
se prononcer, si nécessaire, sur les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
19. L'État défendeur affirme que la Cour n’est pas compétente pour connaître
de la présente Requête dans la mesure où les Requérants lui demandent
de « siéger en tant que juridiction d’appel afin de statuer sur des questions
de droit et de preuve qui ont été tranchées de manière définitive par la Cour
d’appel de Tanzanie dans l’arrêt qu’elle a rendu dans l’appel pénal n° 204
de 2011 ».
7 Article 39(1) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
20. Les Requérants concluent au rejet de l’exception en soutenant que
« conformément à l’article 3 du Protocole et à l’article 26 du Règlement » la
Cour est compétente pour examiner leur Requête « [d]ès lors qu’elle
concerne l’interprétation et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et
tout autre instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par
l’État défendeur ».
21. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié
22. La Cour rappelle qu’il est de jurisprudence constante qu’« elle n’est pas une
juridiction d’appel des décisions rendues par les juridictions nationales ».°
Toutefois, « cela ne l'empêche pas d’examiner la conformité des
procédures nationales aux normes internationales prescrites par la Charte
ou par les autres instruments de droits de l'homme auxquels l’État
défendeur est partie ».!° La Cour ne siègerait donc pas en tant que
juridiction d’appel si elle devait examiner les allégations des Requérants. La
Cour rejette donc l’exception.
23. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère qu’elle a la compétence
matérielle pour connaître de la présente Requête.
8 Xq Ai c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18.
Ernest Bn Cz c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
19 Bq Yc c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 26 ; Cq Xe c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33 ; Cy Cb YBj BlB et Cw Cy YXp BxB c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
B. Sur les autres aspects de la compétence
24. La Cour observe qu'aucune exception n’a été soulevée quant à sa
conformément à la règle 49(1) du Règlement,** elle doit s'assurer que les
conditions relatives à tous les aspects de sa compétence sont remplies
avant de poursuivre l’examen de la présente Requête.
25. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
elle l’a déjà indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt que, le 21 novembre
2020, l’État défendeur a déposé l'instrument de retrait de la Déclaration
prévue à l’article 34(6) du Protocole. La Cour a jugé que le retrait de la
Déclaration n’avait aucun effet rétroactif, et aucune incidence, ni sur les
affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant
la prise d’effet dudit retrait, un an après le dépôt de l’instrument y relatif, à
savoir le 22 novembre 2020.12
26. Laprésente Requête introduite le 15 juin 2016, soit avant le dépôt, par l’État
défendeur, de l’instrument de retrait de sa Déclaration, n’en est donc pas
affectée. La Cour considère donc que sa compétence personnelle est
établie en l'espèce.
27. La Cour a, également, la compétence temporelle, dans la mesure où les
violations alléguées dans la présente Requête ont été commises après que
l’État défendeur est devenu partie à la Charte et au Protocole. Du reste, les
violations alléguées ont un caractère continu dans la mesure où les
Requérants purgent actuellement des peines privatives de liberté
auxquelles ils ont été condamnés sur la base de ce qu’ils considèrent
comme une procédure inéquitable ayant abouti à la violation de leurs droits
inscrits dans la Charte.!*
41 Article 39(1) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
12 Cf c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 88 35 et 39. Voir également Xm Ca Xr c. République du Rwanda (compétence) (3 juin 2016) 1 RICA 575, 8 67.
13 Ayants droit de feu Ba Xi et autres c. Xy Bs (compétence) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 88 71 à 77.
28. La Cour souligne, enfin, qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure
où les violations alléguées ont eu lieu sur le territoire de l’État défendeur.
29. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
30. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, « [l]Ja Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
31. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, « [Na Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole, et au [...]
Règlement ».
32. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
33. L'État défendeur soulève deux exceptions d’irrecevabilité de la Requête.
A. Sur les exceptions d’irrecevabilité
34. L'État défendeur affirme, d’une part, que les Requérants n’ont pas épuisé
les recours internes et, d’autre que la Requête n’a pas été introduite dans
un délai raisonnable. La Cour va statuer sur ces deux exceptions avant
d'examiner, si nécessaire, les autres conditions de recevabilité.
i. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
35. L'État défendeur soutient que les Requérants n’ont pas épuisé les recours
internes. Il estime qu’étant donné que les Requérants allèguent une
violation de leurs droits, ils auraient pu introduire une Requête en
inconstitutionnalité devant sa Haute Cour pour demander réparation sur le
fondement de sa Loi sur les droits et devoirs fondamentaux. En ce qui
concerne particulièrement les allégations des Requérants relatives à la
violation du droit à la liberté sous caution et à l’assistance judiciaire, l’État
défendeur fait valoir que les Requérants auraient pu les soulever comme
moyens d’appel devant ses juridictions internes. Il soutient que du fait du
non-épuisement des recours internes « l’État défendeur n’a pas eu la
possibilité de réparer un préjudice allégué dans le cadre de son système
juridique interne avant que celui-ci ne soit traité au niveau international ».
14 36. Les Requérants concluent au rejet de l’exception en soutenant qu’ils ont épuisé les recours internes avant d’introduire la présente Requête. À l’appui, ils soulignent qu'après leur condamnation, ils ont formé un recours devant la Cour d’appel qui les a déboutés. Les Requérants affirment également avoir introduit un recours en révision de cette décision de rejet, lequel est toujours pendant.
37. La Cour note que, conformément à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête introduite devant elle doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des recours internes, à moins que ceux-ci ne soient indisponibles, inefficaces ou que la procédure pour les exercer ne se prolonge de façon anormale.!* La règle de l'épuisement des recours internes vise à donner aux États, en tant que premiers responsables, la possibilité de traiter les violations des droits de l’homme relevant de leur juridiction avant qu’un organe international de défense des droits de l’homme ne soit saisi à cet égard. Elle renforce également le rôle subsidiaire des organes de protection des droits de l’homme et des peuples. La Cour a constamment jugé que les recours à épuiser sont des recours judiciaires ordinaires.!*
38. En l’espèce, la Cour observe que la Cour d'appel, juridiction suprême de l’État défendeur, a rejeté l’appel des Requérants le 27 mars 2014. Si les Requérants affirment avoir formé un recours en révision de cet arrêt confirmatif, il n’en demeure pas moins que l’arrêt de la Cour d’appel est le dernier recours judiciaire qui leur était disponible. La Cour a, en effet, constamment considéré que la procédure en révision devant la Cour d'appel de l’État défendeur constitue un recours extraordinaire qu’un requérant n’est pas tenu d’exercer avant de la saisir.!°
At Xv c. République-Unie de Tanzanie supra (20 novembre 2015) 1 RICA 518, 8 64 ; Bq Bb Xd et Xw Ci As c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 56 ; Cj Bf Cj et Ya Bf Cj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 40.
15 Am Aw Al et autres c. République-Unie de Tanzanie, (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 322, 8 95.
16 Xv c. Tanzanie (fond), 8 64 ; Xd et As AL Xu (fond), supra, 8 56 ; Cn Bd c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 44.
39. La Cour de céans a également considéré que le recours en
inconstitutionnalité devant la Haute Cour, tel qu’appliqué dans le système
judiciaire de l’État défendeur, est un recours extraordinaire que les
Requérants ne sont pas tenus d’épuiser avant de la saisir.*”
40. En ce qui concerne l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle les
Requérants n’ont pas invoqué le refus d'assistance judiciaire et la liberté
sous caution dans le cadre des procédures devant les juridictions
nationales, la Cour estime que cette violation alléguée s’est produite à
l’occasion de la procédure judiciaire interne ayant abouti à la condamnation
des Requérants. Ces allégations font donc partie du « faisceau de droits et
de garanties » liés au droit à un procès équitable et qui constituaient le
fondement des moyens soutenus en appel par les Requérants.!® Les
autorités judiciaires de l’État défendeur ont amplement eu la possibilité
d’examiner lesdites allégations, même si les Requérants ne les ont pas
soulevées explicitement. Il ne serait donc pas raisonnable d’exiger des
Requérants qu’ils introduisent une nouvelle requête devant les juridictions
internes pour demander réparation de ce grief.!°
41. La Cour estime qu’en l'espèce, les Requérants ont épuisé les recours
internes dès lors que la Cour d’appel de Tanzanie, qui est la plus haute
juridiction de l’État défendeur, a confirmé leur condamnation.
42. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’exception et considère que
les Requérants ont épuisé les recours internes conformément à l’article
56(5) de la Charte et à la règle 50(2)(e) du Règlement.
17 Bi Xj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016), 1 RICA 624, 8 72 et Xd et As AL Xu (fond), supra, 8 56.
18 Xv c. Tanzanie (fond), supra, 8 60 et Xd et As AL Xu, ibid, 8 68.
19 Ibid, 88 60 à 65.
ii Sur l’exception tirée du dépôt de la Requête dans un délai non
raisonnable
43. L'État défendeur soutient que les Requérants n’ont pas déposé leur
Requête dans un délai raisonnable, comme le prévoit l’article 56(6) de la
Charte. Selon l’État défendeur, l’arrêt de la Cour d’appel concernant les
Requérants a été rendu le 27 mars 2014, mais ceux-ci n’ont introduit la
présente Requête que le 15 juin 2016. L'État défendeur souligne que les
Requérants ont observé deux (2) ans, deux (2) mois et dix-huit (18) jours,
après l’arrêt de la Cour d’appel avant de saisir la Cour.
44. L'État défendeur fait valoir que même si le Règlement ne fixe pas « le délai
raisonnable de saisine de la Cour, la jurisprudence internationale en matière
de droits de l'homme a établi qu’un délai de six (6) mois est considéré
comme étant raisonnable ». À l’appui de cette affirmation, l’État défendeur
cite la décision de la Commission africaine des droits de l’homme et des
peuples dans l’affaire Xt c. Zimbabwe. || demande donc à la Cour de
déclarer la Requête irrecevable, celle-ci n'ayant pas été déposée dans un
délai raisonnable.
45. Les Requérants n’ont pas conclu sur l’exception.
46. La Cour relève que, conformément à l’article 56(6) de la Charte et à la règle
50(2)(f) du Règlement, pour être recevable, une requête doit être déposée
dans un délai raisonnable.
47. La Cour rappelle que ni la Charte ni le Règlement ne fixent le délai dans
lequel les requêtes doivent être déposées après épuisement des recours
internes. L'article 56(6) de la Charte et la règle 50(2)(f) du Règlement
indiquent uniquement que les requêtes doivent être introduites « … dans
un délai raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour comme faisant commencer à courir le
délai de sa saisine ».
48. La Cour a constamment considéré que « le caractère raisonnable du délai
de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire et
qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».?° Aussi, la Cour a-t-elle tenu
compte de circonstances telles que le fait d’être incarcéré, d’être profane
en droit et de ne pas bénéficier d’une assistance judiciaire,” d’être indigent,
analphabète ainsi que l'exercice de recours extraordinaires.?? En tout état
de cause, il incombe au requérant de prouver les circonstances qui l’ont
empêché d'’introduire sa requête en temps opportun.
49. En l'espèce, les Requérants ont épuisé les recours internes le 27 mars
2014, date de la décision de rejet de la Cour d'appel. Ils ont introduit la
présente Requête devant la Cour le 15 juin 2016, soit deux (2) ans, deux
(2) mois et dix-neuf (19) jours après la date d’épuisement des recours
internes. À la lumière de sa jurisprudence, et procédant au cas par cas, la
Cour estime qu’une période de deux (2) ans, deux (2) mois et dix-neuf (19)
jours est raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte, lu
conjointement avec la règle 50(2)(f) du Règlement. Elle rejette donc
l'exception soulevée par l’État défendeur.
20 Ba Xi et autres c. Xy Bs (réparations) (24 juin 2014) 1 RICA 265, 8 92. Voir également Xv c. Tanzanie (fond), supra 8 73.
2! Bd AL Xu (fond), supra, 8 54 ; Amir Ao c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 356, 8 83.
2? Xe c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 56 ; Cj et Cj c. Tanzanie (fond), supra, 8 49 ; Xf Xc Ar c. République du Ghana (fond et réparations) (28 juin 2019) 3 RICA 245, 88 83 à 86.
23 Bd AL Xu (fond), supra, 8 55 — cinq (5) ans, un (1) mois et douze (12) jours ; Ao c. Tanzanie (fond), supra, 8 49 — cinq (5) ans, un (1) mois et treize (13) jours ; Cf c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 71 — quatre (4) ans, neuf (9) mois et vingt-trois (23) jours ; Xv Cg Aq et Az Xa Aq c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 325, 8 55 — quatre (4) ans, huit (8) mois et trente (30) jours.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
50. La Cour relève qu’aucune contestation n’a été soulevée par les Parties
concernant le respect des conditions énoncées aux alinéas (a), (b), (c), (d),
(e) et (g) de la règle 50(2) du Règlement. Néanmoins, elle est tenue de
s'assurer que ces conditions sont remplies avant de poursuivre l'examen
de la Requête.
51. Il ressort du dossier que les Requérants ont été clairement identifiés,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
52. La Cour relève également que les demandes formulées par les Requérants
visent à protéger leurs droits garantis par la Charte. Elle note, en outre, que
l’un des objectifs de l’Union africaine, tel qu’énoncé à l’article 3(h) de son
Acte constitutif, est la promotion des droits de l’homme et des peuples. Par
ailleurs, la Requête ne contient aucun élément incompatible avec une
quelconque disposition dudit Acte. La Cour considère donc que la Requête
est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte, et
qu’elle satisfait à l’exigence de la règle 50(2)(b) du Règlement.
53. La Cour relève, en outre, que la Requête ne contient aucun terme
outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur, de ses institutions ou
de l’Union africaine, conformément à la règle 50(2)(c) du Règlement.
54. Parailleurs, la Cour souligne que la Requête satisfait à la condition énoncée
à la règle 50(2)(d) puisqu’elle n’est pas fondée exclusivement sur des
nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse, mais sur
des documents judiciaires de l’État défendeur.
55. Du reste, la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée par
les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de
l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte ou de
tout instrument juridique de l’Union africaine, ce qui est donc conforme à la
règle 50(2)(g) du Règlement.
56. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que la Requête remplit
toutes les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte,
dont les dispositions sont reprises à la règle 50(2) du Règlement, et la
déclare, en conséquence, recevable.
VII. SUR LE FOND
57. Les Requérants allèguent la violation du droit à la non-discrimination (article
2 de la Charte) ; du droit à une totale égalité devant la loi et à l’égale
protection de la loi (article 3 de la Charte) ; du droit à la vie (article 4 de la
Charte) ; du droit à la dignité (article 5 de la Charte) ; du droit à un procès
équitable (article 7 de la Charte) ; du droit à la liberté d’expression (article 9
de la Charte) ; et du devoir général de respecter la Charte (article premier).
La Cour va donc examiner successivement les allégations relatives à
chacune des dispositions sus-indiquées de la Charte.
A. Violation alléguée du droit à la non-discrimination
58. Les Requérants affirment, sans plus de précision, que l’État défendeur a
violé leur droit à la non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte.
59. L'État défendeur soutient, pour sa part, que les Requérants ont été arrêtés,
jugés et condamnés conformément à ses lois et qu’ils « n’ont fait l’objet
d'aucune discrimination de la part d’une quelconque personne ou autorité
de l’État défendeur ».
60. L'article 2 de la Charte dispose :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte sans discrimination aucune,
notamment, de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation.
61. La Cour rappelle que dans l’affaire AI c. République de Côte d'Ivoire,
elle a considéré que la discrimination est « une différenciation entre des
personnes ou des situations sur la base d’un ou plusieurs critère(s)
illicite(s) ».?* Toutefois, comme elle l’a souligné dans l'affaire Ah
Bz c. République Unie de Tanzanie, cette conception de la
discrimination renvoie à la discrimination directe.” Dans les cas de la
discrimination indirecte, l’élément clé n’est pas nécessairement un
traitement différent basé sur des critères visibles ou illégaux mais l’effet
disparate sur des groupes ou des individus du fait de mesures ou d’actions
62. La Cour a constamment souligné que l’article 2 de la Charte vise
essentiellement à interdire tout traitement différencié entre des justiciables
se trouvant dans la même situation, sur la base de motifs injustifiés.?”
Toutefois, lorsqu’un traitement différencié est allégué pour des motifs
proscrits par la Charte, il incombe à la personne qui formule cette allégation
d’en apporter la preuve. En l’espèce, les Requérants allèguent qu’ils ont fait
l’objet d’une discrimination sans fournir d’éléments à l’appui.
63. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que l’allégation des
Requérants n’est pas fondée et la rejette, en conséquence.
24 Actions pour la protection des droits de l'homme (AI) c. République de Côte d'Ivoire (fond) (18
novembre 2016) 1 RICA 697, 88146 et 147.
25 Ah Bz c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (15 juillet 2020) 4 RICA 466, 8 68.
26 Ibid.
Z7Ibid., 8 95.
B. Violation alléguée du droit à une totale égalité devant la loi et à une égale
protection de la loi
64. Les Requérants soutiennent que l’État défendeur a violé leurs droits dans
la mesure où les agents de police qui ont enquêté sur l’affaire étaient les
mêmes que ceux qui ont procédé à leur arrestation, leur ont notifié leurs
droits et enregistré leurs déclarations. Ils estiment que la conduite des
agents de police était partiale « puisqu’elle a violé et dénié aux Requérants
leurs droits à une totale égalité devant la loi et à une égale protection de la
loi ».
65. En réponse, l’État défendeur fait valoir que « les agents de police sont
habilités par la loi à mener des enquêtes sur les crimes, de même qu’à
arrêter un suspect, à l’interroger et à enregistrer ses déclarations ». Il
affirme que l’arrestation des Requérants et l'enquête ont été menées
conformément à l’article 10 alinéas 1 et 3 de la loi portant Code de
procédure pénale (CPP) qui autorise les agents de police à mener des
enquêtes, à arrêter des suspects et à enregistrer des déclarations. En
outre, l’État défendeur souligne que les déclarations faites par les
Requérants après notification de leurs droits étaient non seulement
conformes à la CPP, mais ont également été versées au dossier devant la
Haute Cour sans que les Requérants ou leurs avocats n’aient soulevé une
quelconque exception à cet égard.
66. L'État défendeur en déduit que les Requérants ont été condamnés pour les
actes criminels qu’ils ont commis et que leurs droits protégés à l’article 3 de
la Charte n’ont pas été violés. Il demande donc à la Cour de constater que
2 La loi portant Code de procédure pénale dispose : Article 10(1) : Lorsque, d’après les informations reçues ou de toute autre manière, un agent de police a des raisons de suspecter la perpétration d’une infraction ou une atteinte à la paix, il doit, si nécessaire, se rendre en personne sur les lieux pour enquêter sur les faits et les circonstances de l'affaire et prendre les mesures nécessaires afin d’identifier et d'arrêter l’auteur de l’infraction lorsque celle-ci peut donner lieu à une arrestation sans mandat ; et Article 10(3) : Tout agent de police menant une enquête peut, sous réserve des autres dispositions de cette section, interroger toute personne supposée connaître les faits et les circonstances de l'affaire et doit consigner par écrit toute déclaration faite par la personne ainsi interrogée.
leurs allégations sont « fallacieuses et sans fondement, et de les rejeter en
conséquence ».
67. La Cour rappelle que l’article 3 de la Charte dispose :
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes les personnes ont droit à une égale protection de la loi.
68. Dans l'affaire At Xv c. République Unie de Tanzanie, la Cour a
souligné, en ce qui concerne les allégations de violation du droit à une totale
égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, que des allégations
d'ordre général ne sont pas suffisantes.” Il incombe à la partie qui formule
les allégations d’en apporter la preuve.
69. En l'espèce, les Requérants remettent en cause l’impartialité des agents de
police qui ont procédé à leur arrestation, au motif qu’ils ont également
participé à l'enregistrement de leurs déclarations. À cet égard, la Cour
relève qu’en vertu de l’article 10 de la CPP, il est permis à un agent de
police de participer aussi bien à l’arrestation d’un suspect qu’à
l'enregistrement de sa déclaration après lui avoir notifié ses droits. La Cour
observe que les Requérants n’ont avancé aucun argument établissant que
la procédure prévue à l’article 10 de la CPP est contraire à la Charte. Étant
donné que la charge de la preuve d’une violation incombe, en principe, à la
partie qui l’allègue, la Cour considère que les Requérants n’ont pas prouvé
que la manière dont les policiers se sont comportés lors de leur arrestation
et de l’enregistrement de leurs déclarations était illégale. Par ailleurs, la
Cour estime que les Requérants n’ont pas, non plus, démontré que la
manière dont ils ont été traités par l’État défendeur était contraire à l’article
3 de la Charte.
29 Xv c. Tanzanie, supra, 8 140.
70. Dans ces circonstances, la Cour considère que les Requérants n’ont pas
prouvé la violation de l’article 3 de la Charte et rejette, en conséquence, les
allégations qu’ils ont formulées à cet égard.
C. Violation alléguée du droit à la vie
71. Hormis le fait d’avoir indiqué, dans leur Requête, que leur droit à la vie avait
été violé, les Requérants n’ont pas soumis d’observations quant à la
manière dont cette violation s'était traduite.
72. L'État défendeur fait valoir que la Cour d’appel a confirmé la décision de la
Haute Cour condamnant les Requérants à la peine de mort pour avoir privé
arbitrairement Av Xx et F7091 PC Godwin de leur droit à la vie, et
que la peine de mort est une peine prévue en droit tanzanien. À l'appui de
son argument, l’État défendeur renvoie la Cour à l’article 6 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques (ci-après dénommé le
« PIDCP ») et fait valoir qu’au « regard du PIDCP, la peine de mort n’a pas
été complètement interdite ».
73. L'État défendeur souligne également que « les Requérants ont été déclarés
coupables de meurtre, qui est un crime grave, par un tribunal compétent. Ils
ont interjeté appel devant la Cour d’appel de Tanzanie, juridiction suprême
de son système judiciaire, qui a confirmé leur condamnation ». L'État
défendeur soutient donc qu’il n’y a eu aucune violation des droits des
Requérants protégés par l’article 4 de la Charte.
74. La Cour rappelle que l’article 4 de la Charte dispose :
La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au
respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne :
Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit.
75. Il est incontestable que l’article 4 garantit à chacun le droit à la vie et à
l'intégrité de sa personne. Comme l’a déclaré la Cour, « le droit à la vie est
le fondement dont dépend l’exercice de tous les autres droits et libertés.
Priver quelqu'un de la vie revient à éliminer le titulaire même de ces droits
et libertés. C’est pour cette raison que l’article 4 de la Charte interdit
strictement la privation arbitraire de la vie ».°°
76. La Cour a constamment affirmé la tendance mondiale en faveur de
l’aboliton de la peine de mort, illustrée, en partie, par l’adoption du
deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (PIDCP) visant à abolir la peine de mort. Elle note,
toutefois, qu’en dépit des progrès enregistrés aux plans international et
régional, la peine de mort figure toujours dans les textes de loi de certains
États et qu'aucun traité, sur l’abolition de la peine de mort, n’a fait l’objet
d’une ratification universelle.? La Cour relève que le Deuxième Protocole
facultatif se rapportant au PIDCP compte, à ce jour, quatre-vingt-dix (90)
États parties sur les cent soixante-treize (173) États parties au PIDCP.
77. Ence qui concerne spécifiquement l’Afrique, la Cour surveille l’évolution de
la situation sur le continent en matière d’application de la peine de mort. À
titre d’illustration, en 1990, un seul pays (Cabo Verde) a aboli la peine de
mort. Toutefois, au fil des ans, le nombre de pays africains ayant aboli la
peine de mort ne cesse de croître, de même que le nombre de pays ayant
instauré un moratoire de longue durée sur les exécutions.
3° Commission africaine des droits de l'Homme et des Peuples c. Bc (26 mai 2017), 2 RICA 9, 8 152.
31 Xk Ck c. République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), 8 122 et Bt Cv et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 562, 8 96. Il est à noter que l’État défendeur n’est pas partie au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques. 32 Pour des informations plus exhaustives sur les développements relatifs à la peine de mort, voir, Assemblée générale des Nations Unies, Moratoire sur l’application de la peine de mort — Rapport du Secrétaire général 8, août 2022.
78. Au regard de l’article 4 de la Charte et de l’évolution de la situation en droit
international en ce qui concerne la peine de mort, la Cour réitère sa position
selon laquelle ce type de peine ne devrait être réservé, à titre exceptionnel,
qu’aux infractions les plus odieuses commises dans des circonstances
particulièrement aggravantes. Toutefois, étant donné que les circonstances
dans lesquelles la peine de mort peut être justifiée ne peuvent être
catégorisées avec exactitude, il convient de laisser aux juridictions internes
le soin de déterminer, au cas par cas, les infractions relevant de cette peine.
79. Il ne résulte des faits de la cause et particulièrement des conclusions
concordantes de la Haute Cour et de la Cour d’appel, que les Requérants
n’ont pas contestées, aucun élément sur le fondement duquel la Cour
pourrait interférer dans la décision prononcée de manière définitive à
l'encontre des Requérants.
80. Nonobstant ce qui précède, la Cour relève que les Requérants ont été
condamnés à la peine de mort obligatoire toujours en vigueur dans l’État
défendeur. Conformément à la jurisprudence de la Cour, le caractère
obligatoire de la peine de mort est contraire à la Charte.
81. Dans ces conditions, la Cour considère que l’État défendeur a violé le droit
à la vie des Requérants en raison de l'application de la peine de mort
obligatoire qui constitue une privation arbitraire du droit à la vie.
D. Violation alléguée du droit à la dignité
82. Les Requérants soutiennent que l’État défendeur a violé les droits du
premier Requérant « et l’a soumis à la torture lorsque sa déclaration a été
enregistrée en dehors du délai obligatoire de quatre heures ».
33 Ap By c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 012/2019, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 8 122 ; Ck AL Xu (fond et réparations), supra ; et Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations), supra.
83. L’État défendeur affirme qu’« à aucun moment au cours des enquêtes, des
poursuites, du procès ou de l’appel, les Requérants n’ont été soumis à des
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». En ce qui
concerne la peine de mort, il affirme que les Requérants ont été condamnés
à la peine de mort en tenant compte des « restrictions nationales et
internationales imposées aux droits de l’homme qui ne les rendent pas
absolus ».
84. L’État défendeur soutient également que les « Requérants n’ont jamais été
traités de manière indigne mais ont été soumis aux procédures judiciaires
prévues en cas de meurtre à l'instar de toutes les autres personnes
reconnues coupables et condamnées pour le même chef ». En ce qui
concerne les allégations de torture, l’État défendeur soutient que les
Requérants, qui étaient représentés par un avocat durant toutes les
procédures internes, n’ont jamais soulevé cette allégation devant la Haute
Cour ou la Cour d’appel. Il estime donc qu’aucun des droits des Requérants
protégés par l’article 5 de la Charte n’a été violé.
85. La Cour relève que l’article 5 de la Charte dispose :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d’avillissement de l'homme notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
les peines ou les traitements cruels innumains ou dégradants sont
interdites.
86. La Cour rappelle que, conformément à sa jurisprudence, pour apprécier si
le droit au respect de la dignité a été violé, elle prend en compte trois (3)
facteurs principaux : « le premier tient au fait que l’article 5 ne comporte
aucune clause de limitation. L’interdiction de l'atteinte à la dignité à travers
un traitement cruel, innumain ou dégradant est donc absolue. Selon le deuxième facteur, cette interdiction doit être interprétée comme visant la
protection, la plus large possible, contre les abus physiques ou
psychologiques. Quant au troisième facteur, il est lié au fait que la
souffrance personnelle peut prendre diverses formes et son appréciation
dépend des circonstances de chaque affaire ».3*
87. La Cour observe que pour examiner la question de la violation alléguée du
droit à la dignité du premier Requérant en raison de la prise de sa déposition
en dehors du délai de quatre (4) heures, il convient d’abord de se référer
aux articles 50 et 51 de la CPP de l’État défendeur qui fixe les délais dans
lesquels les personnes détenues doivent être interrogées.*5
88. Il ressort du dossier que cette question a été examinée par la Haute Cour
et par la Cour d’appel. Plus précisément, la Cour d’appel a confirmé qu’en
vertu de la CPP de l’État défendeur, le tribunal de première instance
34 Ae Aa Xg c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 13,
35 À titre d’exemple, l’article 50 dispose :
(1) Aux fins de la présente loi, le délai imparti pour procéder à l’interrogatoire d’une personne mise en détention pour une infraction est le suivant :
(a) sous réserve du point (b), le délai initial prévu pour procéder à l’interrogatoire de la personne est de quatre heures à compter du moment où elle a été mise en détention pour l’infraction ;
(b) lorsque le délai initial prévu pour procéder à l’interrogatoire de la personne est prorogé en vertu de l’article 51, il en sera ainsi.
(2) Lors du décompte du délai prévu pour procéder à l’interrogatoire de la personne mise en détention pour une infraction, il n’est pas tenu compte du temps durant lequel l’agent de police chargé de l'enquête sur l'infraction s’est abstenu d'interroger la personne ou de lui faire poser tout acte lié à l'enquête sur l'infraction, soit :
(a) au moment du transport de la personne, suite à sa détention, vers un poste de police ou tout autre lieu à des fins liées à l'enquête ;
(b) afin de :
(i) permettre à la personne de prendre des dispositions ou de tenter de prendre des dispositions afin de bénéficier de l’assistance d’un avocat ;
(ii) permettre à l’agent de police de communiquer ou de tenter de communiquer avec toute personne qu’il est tenu de contacter en vertu de l’article 54 dans le cadre de
(ii) permettre à la personne de communiquer ou de tenter de communiquer avec toute personne avec laquelle elle a, en vertu de la présente loi, le droit de communiquer ; ou
(iv) organiser ou tenter de prendre des dispositions afin de permettre à une personne qui, en vertu des dispositions de la présente loi, doit être présente lors d’un entretien avec la personne détenue ou pendant que la personne détenue pose un acte en rapport avec l'enquête ;
(c) en attendant l’arrivée d’une personne visée au point b) iv) ; ou
(d) pendant que la personne détenue consulte un avocat.
dispose du pouvoir discrétionnaire de se prononcer sur la recevabilité de
tout moyen de preuve supposé avoir été obtenu illégalement. La Cour
d’appel a, en outre, estimé que la Haute Cour avait exercé son pouvoir
discrétionnaire en accueillant les moyens de preuve. Elle a ainsi confirmé
les conclusions de la Haute Cour.
89. En l’espèce, le premier Requérant s’est contenté de réitérer le même
argument que celui invoqué devant la Cour d’appel. Il n’a pas démontré en
quoi la Haute Cour et la Cour d’appel ont commis une erreur en accueillant
les moyens de preuve qui auraient été obtenus illégalement. Le Requérant
a donc simplement formulé une allégation d’ordre général sans en apporter
la moindre preuve. En pareilles circonstances, la Cour rejette les allégations
du premier Requérant relatives à une violation de son droit à la dignité, en
raison du temps observé par l’oficier de police avant d’enregistrer sa
déclaration après lui avoir lu ses droits.
90. Toutefois, la Cour prend acte du fait que tous les Requérants ont été
condamnés à la peine de mort par pendaison. Dans ces circonstances, la
Cour réitère sa jurisprudence établie selon laquelle la pendaison, en tant
que mode d'application de la peine de mort, constitue une violation du droit
à la dignité, protégé par l’article 5 de la Charte.Sé
91. La Cour estime donc que l’État défendeur a violé l’article 5 de la Charte, en
retenant la pendaison comme mode d'exécution de la peine de mort.
E. Violation alléguée du droit à un procès équitable
92. La Cour note que les Requérants ont formulé un certain nombre
d’allégations concernant le droit à un procès équitable.
93. La Cour rappelle que l’article 7(1)(c) de la Charte prévoit que « [t]oute
personne a droit à ce que sa cause soit entendue ». La Cour a constamment
36 Rajabu et autres c. Tanzanie, ibid., 88 119 et 120 ; Bk AL Xu, ibid., 88 169 et 170 et Ck AL Xu, ibid., 88 135 et 136.
considéré que*” cet article peut être interprété à la lumière des dispositions
de l’article 14(1) du PIDCP aux termes duquel : « [t]ous sont égaux devant
les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal
compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du
bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit
des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil ». Il ressort
de la lecture conjointe des deux dispositions que toute personne a droit à
un procès équitable.
94. Avant d’examiner séparément les allégations des Requérants, la Cour
réitère sa position sur l’appréciation des allégations relatives à l'examen,
par les juridictions nationales, des questions soulevées devant elles, en
particulier les questions de preuve. Dans l’affaire At Xv c.
République-Unie de Tanzanie, la Cour a jugé que :
Elle n’est pas une instance d’appel des décisions rendues par les
juridictions nationales, mais cela ne l'empêche pas d'examiner les
procédures devant les juridictions nationales afin de déterminer si elles
sont en conformité avec la Charte ou avec tout autre instrument ratifié
par l’État concerné. S'agissant des erreurs manifestes dans les
procédures devant les juridictions nationales, la Cour de céans
examine si celles-ci ont appliqué les principes appropriés et les normes
internationales pour rectifier ces erreurs. Cette approche a été adoptée
par les instances internationales similaires.
95. La Cour a constamment maintenu cette approche.® À titre d'exemple, dans
Les juridictions nationales jouissent d’une large marge d’appréciation
dans l’évaluation de la valeur probante des éléments produits. En tant
37 Bd AL Xu, supra, 88 64 et 65.
38 Xv c. Tanzanie, supra, 8 130.
39 Voir par exemple, Bd AL Xu, supra, 8 69.
0 (fond) (21 mars 2018) 2 RICA 218, 88 65 et 66.
que juridiction internationale des droits de l'homme, la Cour ne peut
pas se substituer aux juridictions nationales pour examiner les détails
et les particularités des preuves présentées dans les procédures
internes. Toutefois, le fait qu’une allégation soulève des questions sur
la manière dont les preuves ont été examinées par les juridictions
nationales n’empêche pas la Cour de déterminer si la procédure
interne a été conforme aux normes internationales relatives aux droits
96. En effet, la Cour est, en général, peu encline à revenir sur les conclusions
tirées par les juridictions nationales sur les questions de fait et de preuve,
sauf en cas d’irrégularité manifeste entraînant un déni de justice. En
l'espèce, les Requérants formulent plusieurs allégations évoquant
essentiellement la violation de leur droit à un procès équitable du fait de la
manière dont les procédures ont été menées devant la Haute Cour et la
Cour d’appel. La Cour examinera chacune desdites allégations.
i. Défaut de confirmation des déclarations faites par les Requérants
97. Les Requérants soutiennent que la Haute Cour et la Cour d’appel « ont
commis une erreur de fait et de droit en n'ayant pas tenu compte du fait que
les déclarations qu’auraient fait les Requérants après la notification de leurs
droits n'avaient jamais été corroborées, et en ayant tout de même
condamné les Requérants et confirmé leur condamnation sur le fondement
desdites déclarations ».
98. L'État défendeur conclut au rejet des allégations pour défaut de fondement.
Pour étayer ses observations, il souligne que la pièce P10 « a été versée
au dossier sans qu'aucune exception n’ait été soulevée en première
instance, comme l’a relevé la Cour d’appel à la page 7 de son arrêt. Le
tribunal de première instance a estimé que les auteurs des aveux n’ont fait
que dire la vérité à la page 53 de l’arrêt de la Haute Cour et à la page 16 de
l’arrêt de la Cour d’appel ».
99. L'État défendeur soutient également qu’il ressort clairement de la
déclaration du deuxième Requérant qu’il était informé du crime planifié mais
n’a pris aucune mesure pour l'empêcher et que, même après la commission
du crime, il n’a entrepris aucune démarche afin de le signaler, confirmant
ainsi sa connivence avec les autres auteurs du crime. L'État défendeur
souligne en outre que dans sa déclaration, le troisième Requérant a fourni
des détails sur son degré d’implication dans le crime, notamment en
indiquant la manière dont il a tiré sur la victime. L’État défendeur soutient
donc que « les pièces à conviction P7, P9 et P10 ne reflétaient rien d'autre
que la vérité et qu’il n’était donc pas nécessaire de les corroborer ». Il en
déduit que les Requérants ont été condamnés à juste titre sur la base des
éléments de preuve versés au dossier.
100. La Cour observe que la Haute Cour et la Cour d’appel ont dûment pris en
compte la nécessité de confirmer la crédibilité des déclarations avant de s’y
fier. À titre d'exemple, il convient de citer la page 57 de l'arrêt de la Haute
Cour, où elle s’est prémunie contre le risque inhérent à une condamnation
fondée sur des déclarations de co-accusés, et également les pages 16 à 21
de l'arrêt de la Cour d’appel. De toute évidence, ces deux juridictions ont
confirmé, sur la base des éléments de preuve dont elles disposaient, que
les Requérants avaient commis le braquage avec préméditation.
101.11 ne résulte du dossier aucune irrégularité manifeste nécessitant
l'intervention de la Cour pour remettre en cause les décisions de la Haute
Cour ou de la Cour d'appel. En effet, hormis leur plainte relative à
l’application de l’exigence de corroboration qui a été traitée par les
juridictions nationales, les Requérants eux-mêmes n'ont ni relevé ni prouvé
l’existence d’erreurs manifestes que les tribunaux nationaux auraient
commises en se fondant sur les déclarations faites postérieurement à la
lecture de leurs droits.
102. En conséquence, la Cour estime que l’État défendeur n’a pas violé le droit
des Requérants à un procès équitable en s’appuyant sur lesdites
déclarations.
ii. Allégation relative aux déclarations obtenues de manière illégale
103. Les Requérants soutiennent que la Haute Cour et la Cour d’appel ont
commis une erreur en se fondant uniquement sur l’article 169 de la CPP*
lorsqu’elles ont décidé d’accueillir leurs déclarations. Les Requérants
soutiennent, en outre, qu’ils n’ont pas eu la possibilité d’être entendus ni de
formuler des observations sur lesdites déclarations avant que celles-ci ne
soient versées au dossier.
104. L'État défendeur soutient que cette « allégation est fallacieuse et sans
fondement, étant donné que la pièce à conviction 7 contenant la déclaration
a été accueillie et versée au dossier conformément à la loi». L'État
défendeur soutient également que l’article 169 de la CPP n’est pas pertinent
#1 Article 169(1) : Lorsque, dans le cadre d’une procédure judiciaire relative à une infraction, il est fait objection à l'admission d’une preuve au motif que celle-ci a été obtenue par suite d’une infraction ou d’un manquement à une disposition de la présente loi ou de toute autre loi concernant une personne, le tribunal, à son entière discrétion, n’admet pas la preuve à moins qu’il ne soit convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l’admission de la preuve servirait spécifiquement et substantiellement l’intérêt public sans porter indûment atteinte aux droits et à la liberté d’une personne quelconque.
(2) Les éléments qu’une juridiction peut prendre en considération pour décider si, dans le cadre d’une procédure relative à une infraction, elle est convaincue des conditions prévues au paragraphe (1) sont notamment les suivants-
(a) la gravité de l’infraction au cours de l'enquête dont la disposition a été enfreinte ou n’a pas été respectée, l'urgence et la difficulté de détecter l’auteur de l'infraction et l’urgence ou la nécessité de conserver les preuves du fait ;
(b) la nature et la gravité de la contravention ou du manquement ;
(c) la mesure dans laquelle les preuves obtenues en violation ou en conséquence de la violation ou du non-respect d’une disposition légale auraient pu être obtenues légalement ; et
(d) toutes les circonstances de l’infraction, y compris les circonstances dans lesquelles les preuves ont été obtenues.
(3) La charge de convaincre le tribunal que les preuves obtenues par suite d’une infraction, d’une violation ou d’un manquement à une disposition de la présente loi doivent être admises dans une procédure incombe à la partie qui demande l’admission de ces preuves.
(4) Avant d’exclure un élément de preuve dans les conditions prévues au paragraphe 1, la juridiction doit être convaincue que le manquement ou la violation était important et substantiel et que son exclusion est nécessaire pour garantir l'équité de la procédure.
(5) Lorsque la juridiction exclut des preuves sur la base de cette disposition, elle motive sa décision.
(6) Le présent article s'ajoute, sans y déroger, à toute autre loi ou règle en vertu de laquelle une juridiction peut refuser d'admettre des preuves dans le cadre d’une procédure.
en l’espèce dans la mesure où les éléments de preuve contestés n’ont pas
été obtenus illégalement. L'article 169 ne s'applique que lorsqu’il s’agit
d'éléments de preuve obtenus illégalement. L'État défendeur souligne
également que la Cour d'appel, à la page 12 de son arrêt, a examiné la
question de l’applicabilité de l’article 169 de la CPP et n’a rien reproché à la
démarche adoptée par la Haute Cour.
105. L'État défendeur soutient que les déclarations des deuxième et troisième
Requérants n’ont pas été admises de manière irrégulière. À l’appui, il fait
valoir que «la loi permet de fonder une condamnation sur la seule
déclaration de l’accusé, si la Cour estime que les lois dictant la manière
dont cette déclaration a été enregistrée ont été respectées et si elle estime
que les informations contenues dans la déclaration sont véridiques ».
106. S'agissant du deuxième Requérant, l’État défendeur fait valoir qu’il a admis,
dans sa déclaration, qu’il était informé du complot visant à braquer le
véhicule transportant les fonds de Bi Ak, qu’il a signé ladite
déclaration et qu’il n’a pas contesté sa signature au cours du procès. En ce
qui concerne le troisième Requérant, l’État défendeur soutient qu’il a admis
avoir tiré sur les victimes lors du braquage, comme indiqué à la page 20 de
l’arrêt de la Cour d’appel.
107. Il soutient donc que les pièces à conviction P7, P9 et P10 ont toutes été
reçues dans le respect de la procédure établie et que tant la Haute Cour
que la Cour d'appel étaient fondées à « condamner les Requérants sur la
base des déclarations après avoir été convaincues [.…] par les arguments
du ministère public ».
108. La Cour observe que la question de la recevabilité des déclarations des
Requérants a longuement été examinée tant par la Haute Cour que par la
Cour d'appel, tel qu’il ressort clairement aux pages 52 et 53 de l'arrêt de la
Haute Cour. En outre, aux pages 55 et 56 de l’arrêt de la Haute Cour, le juge d'instance a expliqué les fondements juridiques sous-tendant la
décision d’accueillir les déclarations des Requérants.
109. Il ressort également du dossier qu’aux pages 10 à 12 de son arrêt, la Cour
d’appel a examiné la recevabilité des déclarations des Requérants. Dans
son appréciation, la Cour d’appel a confirmé qu’en vertu de l’article 169 de
la CPP, tout élément de preuve obtenu en violation de la loi peut être
contesté, mais que la juridiction de première instance dispose d’un pouvoir
discrétionnaire absolu pour accueillir ou écarter un tel élément de preuve.
Compte tenu de la latitude offerte par l’article 169 pour accueillir ou non des
éléments de preuve, la Cour d’appel a estimé que son rôle était de
déterminer si le tribunal de première instance avait régulièrement exercé
son pouvoir discrétionnaire dans le traitement de ces éléments de preuve.
110. La Cour de céans estime que la Haute Cour et la Cour d’appel ont toutes
deux pris les précautions nécessaires afin d’écarter les erreurs qui
découleraient éventuellement d’une admission sans circonspection des
déclarations des Requérants et dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire
qui leur est conféré par la loi, ont décidé de recevoir lesdites déclarations.
La Cour estime qu’il ne résulte du dossier aucun élément indiquant que les
juridictions nationales ont abusé de leur pouvoir d’appréciation en versant
les déclarations des Requérants au dossier.
111. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que les Requérants n’ont pas
prouvé leurs allégations relatives à la violation de leur droit à un procès
équitable du fait de l’admission des déclarations qu’ils ont faites
postérieurement à la notification de leurs droits, et les rejette en
conséquence.
F. Violation alléguée du droit à la liberté d’expression
112. Les Requérants allèguent la violation de leur droit à la liberté d’expression,
sans autre explication.
113. L'État défendeur soutient que « cette allégation est sans fondement dans la
mesure où aucune explication n’a été fournie sur la manière dont le droit
des Requérants à recevoir des informations pour exprimer et diffuser leurs
opinions dans le cadre de la loi a été violé ». Il affirme, en outre, que « les
Requérants n’ont pas indiqué les informations auxquelles ils n’ont pu avoir
accès, ni comment ils ont été empêchés de s'exprimer. Aucune indication
n’a été fournie sur la nature des informations ou sur les personnes qui les
ont empêchés d’exercer ce droit ». L'État défendeur en déduit que l’article
9 de la Charte n’a pas été violé.
114. L'article 9 de la Charte est libellé comme suit :
1. Toute personne a droit à l’information.
2. Toute personne a le droit d'exprimer et de diffuser ses opinions
dans le cadre des lois et règlements.
115. En l’espèce, la Cour constate que les Requérants se sont contentés de
formuler une allégation d’ordre général faisant état de la violation de l’article
9 de la Charte sans en apporter la moindre preuve. Dans ces circonstances,
la Cour estime que l’allégation des Requérants n’est pas fondée et la rejette
en conséquence.
G. Violation alléguée de l’article premier de la Charte
116. Les Requérant n’ont donné aucune explication sur ce point.
117. L'État défendeur soutient qu’il « reconnaît les droits, devoirs et libertés
énoncés dans la Charte et qu’il a adopté des mesures législatives en vue
de les concrétiser ». À l’appui de ses observations, il rappelle que la
présomption d’innocence est consacrée dans sa Constitution et que sa loi
sur les questions de preuve exige l’existence de preuves au-delà de tout doute raisonnable dans toutes les affaires pénales. L'État défendeur
souligne, en outre, qu’en vertu de sa loi portant code de procédure pénale,
tout « accusé jouit du droit à la défense et peut contre-interroger les
témoins ». L'État défendeur en conclut qu’ « il n’y a pas eu de violation de
l’article premier de la Charte car il n’a violé aucun des droits des Requérants
prévus par ladite Charte ».
118. L'article premier de la Charte est libellé comme suit :
Les États membres de l’Organisation de l'Unité Africaine, parties à la
présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés énoncés
dans cette Charte et s'engagent à adopter des mesures législatives ou
autres pour les appliquer.
119. La Cour rappelle que dans des affaires où la violation de l’article premier de
la Charte a été invoquée, elle a constamment jugé que lorsqu’elle «
constate que l’un(e) quelconque des droits, devoirs ou libertés inscrit(e)s
dans la Charte a été restreint(e), violé(e) ou non appliqué(e), elle en déduit
que l’obligation énoncée à l’article premier de la Charte n’a pas été
respectée ou qu’elle a été violée. »*?
120. En l’espèce, la Cour a établi que le caractère obligatoire de la peine de mort
dans l’État défendeur constitue une violation de l’article 4 de la Charte. En
conséquence, la Cour considère également que l’État défendeur a violé
l’article premier de la Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
121. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de leur
accorder des réparations pour la violation de leurs droits protégés par les
#2 Cy Cb c. Tanzanie (réparations), supra, 8 135.
articles 1, 2, 3, 4, 5, 7 et 9 de la Charte. Ils demandent également à la Cour
de leur accorder toutes autres réparations qu’elle jugera appropriées.
122. L’État défendeur conclut, quant à lui, au « rejet de toutes les demandes
formulées par les Requérants ».
123. L'article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
124. La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « pour que des
réparations soient accordées, la responsabilité internationale de l’État
défendeur doit être établie au regard du fait illicite. Deuxièmement, le lien
de causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. Par
ailleurs, lorsqu'elle est accordée, la réparation doit couvrir l’intégralité du
préjudice subi ».
125. La Cour rappelle qu’il incombe toujours au Requérant d'apporter des
éléments de preuve pour justifier ses demandes, notamment en matière de
préjudice matériel.‘° En ce qui concerne le préjudice moral, la Cour estime
que l'exigence de preuve n’est pas rigide** dans la mesure où l’existence
d’un préjudice est présumée dès lors que des violations sont établies.“
#3 Bq Co et autres c. République du Rwanda (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RJCA 680, 8 139 ; Voir également Ac Cn Aj Yb c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 40 ; Ab Bp Cu c. Xy Bs (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 8 15(d) et Ai c. Tanzanie (fond et réparations), 8 97.
34 Ba Xi et autres c. Xy Bs (réparations) (3 juin 2016),1 RICA 265, 8 55. Voir également Ai c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 97.
#5 Rajabu et autres c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 136 ; Xe c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 55 ; Ae Aa Xg c. République-unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 13, 8 119 ; Xi et autres c. Xy Bs, ibid, 8 55 et Ai c. Tanzanie (fond et réparations), ibid, 8 97.
126. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l'homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
127. En l’espèce, la Cour a établi que l’État défendeur a violé les articles premier,
4 et 5 de la Charte en maintenant le caractère obligatoire de la peine de
mort dans son droit pénal et en prescrivant la pendaison comme mode
d’exécution de cette peine. C’est au regard de ces violations que les
réparations doivent être déterminées, toutes les autres allégations des
Requérants ayant été rejetées.
A. Réparations pécuniaires
128. La Cour rappelle que lorsqu’un Requérant demande la réparation d’un
préjudice matériel, un lien de causalité doit non seulement exister entre la
violation constatée et le préjudice subi, mais qu’il doit également préciser la
nature du préjudice et en apporter la preuve.“
129. En l’espèce, la Cour rappelle que les Requérants n’ont pas apporté de
preuve du préjudice matériel qu’ils prétendent avoir subi du fait de la
violation constatée par la Cour.
130. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette les demandes de réparation
formulées au titre du préjudice matériel.
6 Xm Ca Xr c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 20. Voir également Ai c. Tanzanie, ibid, 8 96.
#7 Cp c. Tanzanie, supra, 8 20.
ii. Préjudice moral
131. Les Requérants n’ont pas formulé de demandes spécifiques au titre du
préjudice moral. Toutefois, la Cour rappelle que le préjudice moral est
présumé en cas de violation des droits de l’homme et qu’il peut être réparé
par la Cour dans le cadre de l’exercice de sa compétence en toute équité.*
132. En l’espèce, la Cour a établi que l’État défendeur a violé les articles premier,
4 et5 de la Charte. Il y a donc lieu de présumer que les Requérants ont subi
un préjudice moral. En l'espèce, dans l’exercice de son pouvoir
d'appréciation en toute équité, la Cour alloue à chacun des Requérants la
somme de trois cent mille (300 000) shillings tanzaniens au titre du
préjudice moral.
B. Réparations non-pécuniaires
133. Les Requérants demandent à la Cour de réparer tous les torts qui leur ont
été causés par l’État défendeur.
134. L’État défendeur conclut, quant à lui, au « rejet de toutes les demandes
formulées par les Requérants ».
i. Garanties de non-répétition
135. La Cour rappelle, en ce qui concerne les violations qu’elle a constatées, que
dans des arrêts antérieurs relatifs à la peine de mort obligatoire et
concernant le même État défendeur, elle avait ordonné que les dispositions
du Code pénal prévoyant la peine de mort obligatoire et la pendaison
comme mode d’exécution, soient abrogées de manière à le rendre
conforme aux obligations internationales de l’État défendeur.‘ La Cour
% Xi et autres c. Xy Bs (réparations), supra, 8 55 ; Xr c. Rwanda (réparations), supra, 8 59 ; Bd AL Xu (réparations), supra, 8 23.
#9 Ba Bk c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 8 207 ; Ck AL Xu, supra, 8 170.
prend acte du fait que quatre (4) ans après le premier arrêt sur la même
question, l’État défendeur n’a, à ce jour, pas informé la Cour des mesures
qu’il a prises afin de se conformer auxdits arrêts.
136. Du fait de la réticence de l’État défendeur à mettre en œuvre les décisions
antérieures de la Cour, des personnes se trouvant dans une situation
similaire à celle des Requérants courent toujours le risque d’être jugées et
condamnées à la peine de mort obligatoire et de se voir également imposer
la pendaison comme mode d'exécution de cette peine.
137. Afin de garantir la non-répétition de la violation constatée en l’espèce, la
Cour ordonne à l’État défendeur de prendre immédiatement, et en tout état
de cause dans un délai de six (6) mois à compter de la signification du
présent Arrêt, toutes les mesures nécessaires pour abroger de son Code
pénal la disposition qui prévoit l’application obligatoire de la peine de mort
ainsi que la prescription de la pendaison comme méthode d’exécution de
ladite peine.
ii. Remise en liberté
138. Les Requérants demandent à la Cour d’« ordonner à l’État défendeur de
les remettre en liberté ».
139. L'État défendeur conclut au débouté.
140. En ce qui concerne la demande de mise en liberté des Requérants, la Cour
rappelle qu’elle ne peut rendre une telle mesure que dans des
circonstances impérieuses. La Cour note que dans la présente Requête,
ses conclusions ne portent que sur la détermination de la peine et ne
concernent pas la déclaration de culpabilité des Requérants. La Cour estime donc que la demande de mise en liberté des Requérants n’est pas
justifiée et la rejette en conséquence.
141. La Cour estime cependant que même si la demande de remise en liberté
n’est pas justifiée, les Requérants ont été condamnés à mort dans le cadre
d’un régime qui écartait le pouvoir d’appréciation des juridictions nationales
en ce qui concerne la peine prononcée à leur encontre. Ayant conclu que
le caractère obligatoire de la peine de mort était contraire à la Charte, la
Cour estime qu’il y a lieu qu’elle rende une ordonnance concernant ce
régime de peine.
142. Dans ces circonstances, la Cour ordonne à l’État défendeur de prendre
toutes les mesures nécessaires, dans un délai d’un (1) an à compter de la
signification du présent Arrêt, afin de juger à nouveau l'affaire en ce qui
concerne la peine des Requérants, dans le cadre d’une procédure qui ne
prévoit pas l’application obligatoire de la peine de mort et qui maintient le
pouvoir d’appréciation du juge.
iii. Mise en œuvre et soumission de rapports
143. La Cour note que l’État défendeur ne lui a fourni aucune information sur la
mise en œuvre de ses arrêts dans les affaires antérieures où l’abrogation
du caractère obligatoire de la peine de mort lui a été ordonnée. La Cour
estime donc que l’État défendeur est tenu de faire rapport sur les mesures
prises pour mettre en œuvre le présent Arrêt dans un délai de six (6) mois
à compter de sa date de notification.
iv. Publication
144. Aucune des parties n’a soumis d’observations concernant la publication du
présent Arrêt.
145. La Cour estime, sur la base de considérations désormais fermement
établies dans sa pratique, et au regard des circonstances particulières de
l'espèce, que la publication du présent Arrêt s'impose. La Cour note, en
outre, que rien n’indique que des mesures nécessaires ont été prises afin
de modifier la loi et la rendre conforme aux obligations internationales de
l’État défendeur en matière de droits de l'homme. La Cour estime donc qu’il
y a lieu d’ordonner la publication du présent Arrêt dans un délai de trois (3)
mois à compter de la date de sa notification.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
146. Les Requérants n’ont pas conclu sur les frais de procédure. L'État
défendeur demande, quant à lui, à la Cour de mettre les frais de procédure
à la charge des Requérants.
147. Conformément à la règle 32(2) du Règlement, « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
148. En l’espèce, la Cour estime qu’il n’y a aucune raison de déroger au principe
posé par ce texte. Elle ordonne donc que chaque Partie supporte ses frais
de procédure.
DISPOSITIF
149. Par ces motifs,
LA COUR
Sur la compétence i. Rejette l'exception d’incompétence soulevée par l’État défendeur ;
i. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
ii. — Rejette les exceptions d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à la
non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à
une totale égalité devant la loi et à une égale protection de la loi,
protégé par l’article 3 de la Charte ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à un
procès équitable, protégé par l’article 7 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à la
liberté d’expression et d’opinion, protégé par l’article 9 de la
Charte ;
À la majorité de huit (8) voix pour et deux (2) voix contre,
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droits des Requérants à la vie,
protégé par l’article 4 de la Charte, en raison de la disposition de
son Code pénal prévoyant la peine de mort obligatoire ;
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants à la dignité,
protégé par l’article 5 de la Charte, en raison de l'imposition de la
pendaison comme mode d’exécution de la peine de mort ;
xi. Dit que l’État défendeur a violé l’article premier de la Charte, en
ne prenant pas des mesures législatives et autres afin de
reconnaître et donner effet aux droits garantis dans la Charte.
À l'unanimité
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
xii. Rejette les demandes de réparation formulées par les Requérants
au titre du préjudice matériel ;
xiii. Alloue à chacun des Requérants la somme de trois cent mille (300
000) shillings tanzaniens au titre du préjudice moral ;
xiv. Ordonne à l’État défendeur de payer le montant indiqué au point
(xiii) ci-dessus, en franchise d’impôt dans un délai de six (6) mois
à compter de la date de notification du présent Arrêt, faute de quoi
il sera tenu de payer des intérêts moratoires calculés sur la base
du taux en vigueur de la Banque centrale de Tanzanie pendant
toute la période de retard jusqu’au paiement intégral des sommes
dues.
Sur les réparations non-pécuniaires
xv. Rejette la demande des Requérants tendant à leur remise en
liberté ;
xvi. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
constitutionnelles et législatives nécessaires, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de signification du présent Arrêt, afin
de modifier les dispositions de son Code de procédure pénal de
manière à le rendre conforme à la Charte et à mettre fin aux
violations constatées en l’espèce ;
xvii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai d’un (1) an à compter de la signification
du présent Arrêt, afin de juger à nouveau l’affaire des Requérants
en ce qui concerne la fixation de leur peine, dans le cadre d’une
procédure qui ne prévoit pas l’application obligatoire de la peine
de mort et qui maintient le pouvoir d’appréciation du juge.
xviii. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dans un
délai de trois (3) mois à compter de la date de sa signification, sur
les sites Internet du pouvoir judiciaire et du ministère des Affaires
constitutionnelles et juridiques, et de veiller à ce qu’il y reste
accessible pendant au moins un (1) an à compter de la date de sa
publication.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xix. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la signification du présent Arrêt, un rapport
sur l’état de la mise en œuvre des mesures qui y sont contenues
et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que la Cour estime
que celles-ci ont été pleinement mises en œuvre.
Sur les frais de procédure
xx. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fait. fau
Ben KIOKO, Juge ; VS
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; HG leo),
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Lys Orpea lan
Chafika { BENSAOULA, Juge ; CL - Blaise TCHIKAYA, Juge ge
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eux am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ; Jp Æ œ.
Dennis D. ADJEI, Juge ;
Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(3) du Règlement, les
Déclarations des Juges Blaise TCHIKAYA et Dumisa B. NTSEBEZA sont jointes au
présent Arrêt.
Fait à Alger, ce quatrième jour du mois de décembre de l’année deux-mille vingt-trois,
en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.