AFRICAN UNION ( UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
X AG
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 043/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LE DÉFAUT DE L’ÉTAT DÉFENDEUR
VI SUR LA COMPÉTENCE
DIR SUR LA RECEVABILITÉ
VIII SUR LE FOND
IX SUR LES RÉPARATIONS
SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
XI DISPOSITIF 11
13
14 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9 (2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »)*, la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
X AG
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Cd Ca Z, Bq By, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bo Br B, Bq By adjointe, Bureau du
Solicitor General ; et
ii. Mme Av Y, Directrice chargée des Droits de l'homme, ministère
des Affaires constitutionnelles et juridiques.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
I. LES PARTIES
1. Le sieur X AG Cci-après dénommé «le Requérant») est un
ressortissant tanzanien, qui au moment du dépôt de la présente Requête,
était incarcéré à la prison centrale de Butimba après avoir été déclaré
coupable de vol à main armée et condamné à une peine de trente-cinq (35)
ans de réclusion, assortie d’une amende de deux cent mille (200 000)
shillings tanzaniens. Il allègue la violation de son droit à un procès équitable
dans le cadre de la procédure devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la « Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. L'État défendeur a
également déposé, le 29 mars 2010, la déclaration prévue à l’article 34 (6)
du Protocole (ci-après désignée la Déclaration »), par laquelle elle accepte
la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d’individus
et d'organisations non gouvernementales. Le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence sur les affaires
pendantes, ni sur de nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise
d’effet un (1) an après le dépôt de l’instrument y relatif, à savoir le 22
novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le 15 mai 2004, vers 22 heures, le Requérant et
son ami Ap Ai ont agressé des pêcheurs à l’aide d’une machette
? Aj Ab Aa c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 88 37 à 39.
à Ad Bu, sur le lac Victoria, pour ensuite s'emparer d’un bateau et
d’un moteur de bateau appartenant au nommé Am Af. Le 17 mai
2004, le Requérant et son ami ont été arrêtés.
4. Le 20 mai 2004, le Requérant et un ami n’étant pas partie à la présente
Requête ont été inculpés pour vol à main armée et déclarés coupables de
ce chef le 17 février 2005. Le 22 février 2005, ils ont été chacun condamnés
à une peine de trente-cinq (35) ans de réclusion et à payer une somme de
deux cent mille (200 000) shillings tanzaniens à titre de dommages-intérêts
pour les victimes.
5. Le 20 juin 2005, le Requérant a interjeté appel de cette décision devant la
Haute Cour de Tanzanie, siégeant à Bp, qui, le 30 mai 2007, a rejeté
son recours pour défaut de fondement. Il a, ensuite, saisi la Cour d’appel
d’un recours, qui a été rejeté le 20 février 2012.
6. Le 3 avril 2013, le Requérant a introduit un recours en révision de l’arrêt de
la Cour d'appel qui n’avait pas encore été tranché au moment du dépôt de
la présente Requête.
B. Violations alléguées
7. Le Requérant allègue la violation de son droit à un procès équitable en ce
qu’il a été condamné sur la base de preuves peu fiables.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
8. La Requête a été déposée le 25 juillet 2016 et communiquée à l'État
défendeur le 24 août 2016. Le 8 septembre 2016, le Greffe a transmis la
Requête aux entités citées dans la règle 42(4) du Règlement.®
3 Article 35(3) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
9. Le 28 juin 2018, le Requérant a été tenu de déposer ses conclusions sur
les réparations, ce qu’il a fait le 6 août 2018. Lesdites conclusions ont été
communiquées à l’État défendeur le 18 septembre 2018.
10. Les 19 novembre 2018, 4 février, 6 février et 15 avril 2019, le Greffe a
adressé un courrier de rappel à l’État défendeur aux fins de dépôt sa
réponse. L'État défendeur n’y a pas donné suite.
11. Les débats ont été clôturés le 28 mai 2021 et les Parties en ont dûment reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
12. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Annuler la décision de la Cour d’appel et ordonner sa remise en liberté ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de lui verser une indemnisation en
réparation des années passées en prison ; et
iii. Lui accorder toute autre réparation que la Cour jugera appropriée.
13. N'ayant pas pris part aux procédures dans la présente Requête, l’État
défendeur n’a pas conclu.
V. SUR LE DÉFAUT DE L’ÉTAT DÉFENDEUR
14. La règle 63(1) du Règlement dispose :
Lorsqu’une partie ne se présente pas ou s’'abstient de faire valoir ses
moyens dans les délais fixés, la Cour peut, à la demande de l’autre
partie ou d'office, rendre une décision par défaut après s’être assurée
que la partie défaillante a été dûment notifiée de la requête et de toutes
les autres pièces pertinentes de la procédure.
15. La Cour note que la règle 63(1) susmentionnée énonce trois conditions pour
rendre un arrêt par défaut, à savoir : i) la communication, à l’État défendeur,
de la requête et des pièces de la procédure ; ii) le fait que l’État défendeur
n’ait pas été représenté ou qu’il se soit abstenu des faire valoir ses moyens
et iii) une demande formulée par l’autre partie ou la décision de la Cour de
rendre d’office un arrêt par défaut.
16. En ce qui concerne la première condition,, la Cour note que, le 24 août
2016, l’État défendeur a reçu du Greffe communication de la Requête
introductive d'instance et de toutes les pièces de procédure déposées par
le Requérant. À cet égard, la Cour observe que le dossier devant elle
comporte des preuves attestant que les communications adressées aux
deux Parties ont été reçues et considère, en conséquence, que toutes les
pièces du dossier ont été dûment communiquées à l’État défendeur.
17. S'agissant de la deuxième condition, la Cour note qu’en communiquant la
Requête, le Greffe a informé l’État défendeur qu’un délai de soixante (60)
jours lui avait été fixé pour le dépôt de sa réponse. Cependant, il ne l’a pas
fait dans le délai imparti. La Cour a, en outre, adressé quatre (4) courriers
de rappel à l’État défendeur, notamment les 19 novembre 2018, 4 février, 6
février et 15 avril 2019. En dépit de ces rappels, l’État défendeur n’a pas
déposé de mémoire en réponse. La Cour considère donc que l’État
défendeur n’a pas fait valoir ses moyens dans les délais fixés.
18. En ce qui concerne la dernière condition, la Cour note que le Règlement lui
confère le pouvoir de rendre un arrêt par défaut soit d’office, soit à la
demande de l’autre Partie. Le Requérant n’ayant pas sollicité d’arrêt par
défaut, la Cour décide d’office, aux fins d’une bonne administration de la
justice, de se prononcer par défaut à l’égard de l’État défendeur.
19. Les conditions requises ayant ainsi été remplies, la Cour rend le présent
Arrêt par défaut.*
Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 158, 88 38 à 42.
VI. SUR LA COMPÉTENCE
20. L'article 3 du Protocole est libellé comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
21. Aux termes de la règle 49 (1) du Règlement, la Cour « procède à un examen
préliminaire de sa compétence [...] conformément à la Charte, au Protocole
et au [...] Règlement ».
22. La Cour estime que même si aucune exception d’incompétence n’a été
soulevée et qu’aucun élément du dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétente, elle est tenue de s'assurer que tous les aspects de sa
compétence sont remplis.
23. S’agissant de sa compétence personnelle, la Cour relève que, comme
indiqué ci-dessus, l’État défendeur est devenu partie au Protocole le 10
février 2006 et que, le 29 mars 2010, il a fait la Déclaration. Il à par la suite
déposé, le 21 novembre 2019, l'instrument de retrait de sa Déclaration. La
Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait de la Déclaration n’a
pas d’effet rétroactif et ne prend effet qu’un (1) an après le dépôt de l’avis
dudit retrait, en l’occurrence le 22 novembre 20205 À la lumière de ce qui
précède, la Cour considère qu’elle a la compétence personnelle dans la
mesure où le retrait n’affecte pas la présente Requête qui a été introduite le
25 juillet 2016.
5 Aa c. Tanzanie (arrêt), supra, 88 37 à -39.
24, S'agissant de sa compétence matérielle, la Cour note que le Requérant
allègue la violation de l’article 7(1) de la Charte à laquelle l’État défendeur
est partie et qu’en conséquence, sa compétence matérielle est établie.
25. S’agissant de sa compétence temporelle, la Cour relève que les violations
alléguées sont intervenues après que l’État défendeur est devenu partie à
la Charte et au Protocole et qu’il a déposé la Déclaration prévue à
l’article 34(6) dudit Protocole. En conséquence, la Cour estime qu’elle a la
compétence temporelle pour examiner la Requête.°
26. La Cour note, enfin, qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure où
les faits de la cause se sont produits sur le territoire de l’État défendeur.
27. Auvude tout ce qui précède, la Cour considère qu’elle est compétente pour
connaître de la présente Requête.
VII. SUR LA RECEVABILITÉ
28. L'article 6(2) du Protocole dispose «la Cour statue sur la recevabilité des
requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la
Charte ». En vertu de la règle 50(1) du Règlement,” « [I] a Cour procède à
un examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au
[…] Règlement ».
29. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellé comme suit :
8 Ayants droit de feu Be Bi, Bw Ba alias Ablasse, Bm Bi, Bb Ak et Mouvement burkinabé des droits de l'homme et des peuples c. Aq Az (exceptions préliminaires) (21 juin 2013) 1 RICA 204, 88 71 à 77. La LIDHO, Le MIDH, La FIDH & autres c. République de Côte d'Ivoire, CAfDHP, Requête n° 041/2016, Arrêt du 5 septembre 2023 88 58
7 Article 39 (1) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
8 Article 40 du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir les conditions
ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduite dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant courir commencer à courir le délai de sa
propre saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées,
conformément aux principes de la Charte des Nations Unies,
de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la
Charte ou de tout instrument juridique de l’Union africaine.
30. La Cour note que les conditions de recevabilité énoncées à la règle 50(2)
du Règlement ne sont pas contestées, l’État défendeur n'étant partie à la
présente procédure. Toutefois, conformément à la règle 50(1) du
Règlement, la Cour doit s'assurer que la Requête remplit les conditions de
recevabilité énoncées à la règle 50(2).
31. La Cour observe que la condition énoncée à l’article 50(2)(a) du Règlement
est remplie, le Requérant ayant clairement indiqué son identité.
32. La Cour note que les demandes formulées par le Requérant visent à
protéger ses droits garantis par la Charte. Elle note également que l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son
article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l’homme et des
peuples. La Cour en conclut que la Requête est compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la Charte et considère qu’elle satisfait à
l'exigence de la règle 50(2)(b) du Règlement.
33. La Cour observe, en outre, que la Requête ne contient aucun terme
outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur, de ses institutions et
de l’Union africaine, ce qui la rend conforme à l’exigence de la règle 50(2)(c)
du Règlement.
34. S’agissant de la condition énoncée à la règle 50(2)(d) du Règlement, la
Cour souligne que la Requête ne repose pas exclusivement sur des
nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse mais
essentiellement sur des documents relatifs aux procédures devant les
juridictions nationales. Elle est donc conforme à la règle 50(2)(d) du
Règlement.
35. Ence qui concerne l’exigence de la règle 50(2)(e) du Règlement, relative à
l'épuisement des recours internes, la Cour réitère sa jurisprudence
constante selon laquelle «les recours internes que les requérants sont
tenus d’épuiser doivent être des recours judiciaires ordinaires »,° à moins
que ces recours ne soient indisponibles, inefficaces, insuffisants ou que la
procédure de ces recours se soit prolongée de façon anormale.!°
36. En l'espèce, la Cour relève qu’à la suite de sa condamnation par le tribunal
de district de Bp, le Requérant a interjeté appel devant la Haute Cour
qui, le 30 mai 2007, a confirmé la décision contestée. Il a, ensuite, formé un
recours devant la Cour d’appel de Tanzanie, la juridiction suprême de l’État
défendeur, qui le 20 février 2012, a, également, confirmé la décision de la
Haute Cour. Il s’ensuit que le Requérant a épuisé tous les recours internes
£ Bg Bv c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 8 64. Voir également Alex Ap c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RJCA 482, $; et Ag Aw Ar et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (18 mars 2016) 1 RICA 526, 8 95.
10 Ah Bf At c. Aq Az (fond) (5 décembre 2014) 1 RICA 324 8 77. Voir également Bz Ae As c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RICA 413, 8 40.
disponibles et que la Requête satisfait à l’exigence de la règle 50(2)(e) du
Règlement.
37. La Cour observe que la règle 50(2)(f) du Règlement prévoit que les
requêtes doivent être introduites « dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la Cour
comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ».
38. En l’espèce, la Cour observe que l’arrêt de la Cour d’appel a été rendu le
20 février 2012 et que la présente Requête a été déposée le 25 juillet 2016.
La Cour note qu’une période de quatre (4) ans, cinq (5) mois et (5) jours
s’est écoulée entre la date de l’arrêt de la Cour d'appel et la saisine de la
Cour de céans. La Cour doit donc déterminer si le délai qui s’est écoulée
avant sa saisine est raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte.
39. La Cour a constamment considéré que « [.….] le caractère raisonnable du
délai de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque
affaire et qu’elle doit le déterminer au cas par cas ».*! Au nombre des
circonstances que la Cour a prises en considération figurent : le fait d’être
incarcéré, d'être indigent et d’être analphabète.!? La Cour a également pris
en compte le temps mis pour exercer le recours en révision de la décision
de la Cour d’appel.!*
40. En l’espèce, le Requérant est incarcéré, restreint dans ses mouvements et
n’a qu’un accès limité à l'information. Il a également introduit, le 30 avril
2013, un recours en révision de l’arrêt de la Cour d’appel qui était pendant
au moment du dépôt de la présente Requête. Dans ces circonstances, la
Cour estime que la période de quatre (4) ans, cinq (5) mois et cinq (5) jours
constitue un délai raisonnable.
14 Bk Au Bk c. République-Unie de Tanzanie (fond) (22 mars 2018) 2 RICA 257, 8 57.
12 Cc An c. République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 020/2017, Arrêt du 1° décembre 2022, 8 35; Ap c. Tanzanie (fond), supra, 8 73; Al Bl c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 54; Amir Bh c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 356, 8 83.
13 Voir affaire Bn Bc Bn et Bx Bc Bn c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA AfCLR 539, 8 49.
41. S'agissant enfin de la condition énoncée à la règle 50(2)(g) du Règlement,
la Cour constate que la présente Requête ne concerne pas une affaire déjà
réglée par les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte
ou de tout instrument juridique de l’Union africaine. Elle est donc conforme
à la règle 50(2)(g) du Règlement.
42. Au regard de ce qui précède, la Cour déclare la Requête recevable.
VIII. SUR LE FOND
43. Le Requérant allègue qu’il a été déclaré coupable en vertu de la doctrine
de la possession récente d’objets prétendument volés, alors que le
propriétaire des objets n’a jamais été identifié au cours de la procédure
devant les juridictions nationales.
44. En outre, selon le Requérant, le moteur de bateau qui aurait été volé n’a
jamais été produit devant le tribunal comme pièce à conviction afin que le
présumé propriétaire Am Af puisse confirmer qu’il s'agissait bien du
moteur volé. Il fait donc valoir que le ministère public n’a pas prouvé sa
culpabilité au-delà de tout doute raisonnable et que, par conséquent, la
déclaration de culpabilité prononcée à son encontre a constitué une
violation de son droit à un procès équitable.
45. L'article 7(1) de la Charte dispose : « [t]oute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue ».
46. La Cour a constamment considéré « qu’un procès équitable requiert que la
condamnation d’une personne à une sanction pénale et particulièrement à
une lourde peine d’emprisonnement, soit fondée sur des preuves solides.
C’est tout le sens du droit à la présomption d’innocence également
consacré par l’article 7 de la Charte ».!*
47. En l’espèce, le Requérant allègue que la procédure devant le tribunal de
district a été irrégulière en ce qui concerne l’examen des preuves. Il en
résulte, selon lui, que la déclaration de culpabilité prononcée à son encontre
est un déni de justice.
48. La Cour réitère sa jurisprudence dans l’affaire Bj Ac c. République-
Unie de Tanzanie selon laquelle :
les juridictions nationales jouissent d’une large marge d’appréciation
dans l’évaluation de la valeur probante des éléments de preuve. En
tant que juridiction internationale des droits de l'homme, la Cour ne
peut pas se substituer aux juridictions nationales pour examiner les
détails et les particularités des preuves présentées dans les
49. La Cour rappelle, en outre, sa jurisprudence constante selon laquelle :
S'agissant en particulier des preuves qui ont servi de base à la
condamnation du Requérant, la Cour estime qu’il ne lui revient pas, en
effet, de se prononcer sur leur valeur pour reconsidérer cette
condamnation. Toutefois, elle considère que rien ne l'empêche
d'examiner ces preuves, comme éléments du dossier qui lui est
soumis, afin de voir si de façon générale, la manière dont le juge
national les a appréciées a été conforme aux exigences d’un procès
équitable au sens notamment de l’article 7 de la Charte.!°
50. Nonobstant ce qui précède, la Cour est compétente pour examiner si la
manière dont les procédures internes ont été conduites, y compris
1% Bv c. Tanzanie (fond), supra, 8 174; Ay Bd c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018) 2 AfCLR 439, 8 72; Majid Goa alias Vedastus c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 septembre 2019) 3 AfCLR 520, 8 72.
16 Bv c. Tanzanie (fond), supra 88 26 et 173. Voir également Ap c. Tanzanie (fond) 8 66.
l’appréciation des éléments de preuves, est conforme aux normes
internationales relatives aux droits de l'homme.
51. Il ressort du dossier que le tribunal de district a examiné de manière
exhaustive tous les éléments de preuve produits dans le cadre du procès
du Requérant, notamment la crédibilité des témoins et les preuves relatives
aux objets volés. L'examen par le tribunal de district a été confirmé par la
Haute Cour et la Cour d’appel.!” La Cour note, en outre, que le Requérant
n’a pas démontré que l’appréciation des preuves par la Cour d’appel a été
entachée d'erreurs manifestes nécessitant l’intervention de la Cour de
céans.
52. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette cette allégation et considère
que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1) de la Charte.
IX. SUR LES RÉPARATIONS
53. Le Requérant demande à la Cour de :
i. Annuler la décision de la Cour d’appel et ordonner sa remise en liberté ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de lui verser une indemnisation en
réparation des années passées en prison ; et
iii. Lui accorder toute autre réparation que la Cour jugera appropriée.
54. Aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « [Norsqu’elle estime qu’il y a eu
violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour ordonne toutes les
mesures appropriées afin de remédier à la situation, y compris le paiement
d’une juste compensation ou l’octroi d’une réparation ».
P X AG et Ap Ai c. l’État, Jugement du Tribunal de District, pp 2-12.
55. Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour estime que, pour que
des réparations soient accordées, la responsabilité internationale de l’État
défendeur doit être établie au regard du fait illicite. Deuxièmement, le lien
de causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. En
outre, lorsqu’elle est accordée, la réparation doit couvrir le préjudice subi.
Par ailleurs, il incombe au requérant de justifier les demandes formulées.!ê
56. La Cour n’ayant, en l'espèce, établi aucune violation, la demande de
réparation n’est pas justifiée. La Cour rejette donc cette demande.
X. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
57. Le Requérant n’a pas conclu sur les frais de procédure.
58. La Cour relève qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais
de procédure ».
59. La Cour estime qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du principe posé par
cette disposition et décide que chaque Partie supporte ses frais de
procédure.
XI. DISPOSITIF
60. Par ces motifs,
18 Voir Bt Cb c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RJCA 493, 8 157. Voir également Be Bi et Autres c. Aq Az (réparations) (5 juin 2015), 1 RICA 265, $S 20 à 31 ; Ah Bf At c. Aq Az (réparations) (3 juin 2016), 1 RICA 358, 88 52 à 59; et Ao Al Ax Bs c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 AfCLR 74, 88 27 à 29.
LA COUR,
À l’unanimité et par défaut,
Sur la compétence
Sur la recevabilité
ii. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
ii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable, protégé par l’article 7(1) de la Charte.
Sur les réparations
iv. Rejette la demande de réparations formulée par le Requérant.
Sur les frais de procédure
v. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fr fause
Ben KIOKO, Juge; ESS
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; HG pleeh,
Suzanne MENGUE, Juge ; Ps +=
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ; ges
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge 9 ; Yes #—
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Alger, ce quatrième jour du mois de décembre de l’année deux mille vingt-trois, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.