AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
X Ac
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 030/2016
ARRÊT
13 FÉVRIER 2024 + ;) SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES...
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle .
B Sur les autres aspects de la compétence …
VI SUR LA RECEVABILITÉ
A Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
B Sur les autres conditions de recevabilité
DIR SUR LE FOND
A Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
B Violation alléguée du droit à la vie
C Violation alléguée du droit à la dignité
VIII SUR LES RÉPARATIONS
A Réparations pécuniaires
B Réparations non pécuniaires
! Sur la demande d’annulation de la condamnation
ii. Sur la demande de remise en liberté
iii. Garanties de non-répétition
IX SUR L12 14A16 18 19O20D21E21D22P23I23F 10
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23 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),! la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
X Ac
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Bu Cz AG, Be Cc, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bi Bk C, Be Cc adjointe, Bureau du
Solicitor General ;
ii. M. Bt Aw Ar, Directeur adjoint, Constitution, Droit de l'homme et
contentieux électoral, Bureau du Solicitor General ; et
iv. M. Ad Z, Premier secrétaire et juriste, ministère des Affaires étrangères
et de la Coopération Est-africaine, régionale et internationale.
après en avoir délibéré,
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur X Ac Bci-après dénommé « le Requérant ») est un
ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la présente Requête,
était incarcéré à la prison centrale de Butimba à Ae dans l’attente de
l'exécution de la peine de mort prononcée à son encontre pour meurtre. Il
allègue la violation de son droit à la non-discrimination, de son droit à la vie
et de son droit à la dignité, dans le cadre de la procédure devant les
juridictions internes.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la «
Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Il a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée la « Déclaration »), par laquelle elle
accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant
d'individus et d’organisations non gouvernementales. Le 21 novembre
2019 l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de
l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a
décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les
affaires pendantes, ni sur de nouvelles affaires introduites devant elle avant
sa prise d’effet un (1) an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le
22 novembre 2020.?
? Ca Ab Bv c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 88 37 à 39.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. | ressort du dossier que, le 9 juin 2012, le Requérant a agressé son beau-
père, lui infligeant des blessures mortelles à l’aide d’une machette, et s’est
enfui par après.
4. Le 11 juin 2012, le Requérant a été arrêté et mis en accusation pour
meurtre devant la Haute Cour siégeant à Bg. Le 26 juin 2015, il a été
déclaré coupable et condamné à la mort par pendaison. Le 29 juin 2015, le
Requérant a interjeté appel devant la Cour d’appel qui a rendu un arrêt
confirmatif, le 26 février 2016.
B. Violations alléguées
5. Le Requérant allègue la violation de ses droits ci-après :
i. Le droit à la non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte, en
ce qui concerne l’appréciation des éléments de preuve sur le fondement
desquelles il a été déclaré coupable ;
ii. Le droit à la vie et à la dignité, protégés, respectivement, par les articles
4 et 5 de la Charte, en raison de la peine de mort prononcée à son
encontre ;
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
6. La Requête a été déposée le 8 juin 2016, communiquée à l’État défendeur
le 26 juillet 2016 et notifiée aux autres entités prévues à la règle 42(4) du
Règlement le 8 septembre 2016. Le 15 mai 2017, le Greffe a reçu la
réponse de l'État défendeur qui a été communiquée au Requérant le 17
mai 2017.
7. Après plusieurs prorogations de délais, les Parties ont déposé leurs
conclusions sur le fond et sur les réparations.
8. Les débats ont été clôturés le 3 juillet 2023 et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
9. Le Requérant demande à la Cour de :
ii Ordonner l’annulation de la déclaration de culpabilité et de la peine
prononcée à son encontre ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de le remettre en liberté ;
iii. Lui accorder des réparations ; et
iv. Lui accorder toutes autres réparations que la Cour jugera appropriées
au regard des circonstances de l’espèce.
10. Sur la compétence et la recevabilité, l’État défendeur demande à la Cour
de :
ii Dire et juger qu’elle n’est pas compétente pour connaître de la
Requête ;
ii. Dire que la Requête ne satisfait pas à la condition de recevabilité prévue
à l’article 56(6) de la Charte, lu conjointement avec l’article 40(6) du
Règlement ;*
iii. Déclarer la Requête irrecevable ; et
iv. Mettre les frais de procédure à la charge du Requérant.
11. Sur le fond de la Requête et les réparations, l’État défendeur demande à la
Cour de :
i. Dire et juger qu’il n’a pas violé les droits du Requérant tel qu’allégué ;
3 Règle 50(2)(f) du Règlement intérieur de 2020.
ii. Rejeter les demandes du Requérant ainsi que sa Requête pour défaut
de fondement ; et
iii. Rejeter les demandes de réparations formulées par le Requérant.
SUR LA COMPÉTENCE
12. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du [...] Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
13. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, elle « [p]rocède à un examen
préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au Protocole
et au [...] Règlement ».
14. La Cour observe qu’en l'espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. Elle va donc se prononcer sur ladite exception
avant d’examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
15. L'État défendeur soutient que l'examen des allégations de violations
formulées par le Requérant relativement aux questions de preuve requiert
que la Cour siège en tant que juridiction d’appel.
16. Citant, à cet égard, l’affaire Ernest Cj c. Malawi, l’État défendeur
soutient que la Cour n’a pas compétence pour siéger en tant que juridiction
d’appel et statuer sur des questions qui ont été tranchées de manière
définitive par la plus haute juridiction de l’État défendeur.
17. Le Requérant estime, pour sa part, que la Cour de céans est compétente
pour connaître de la présente Requête. || affirme que, contrairement à
l’assertion de l’État défendeur, il ne demande pas à la Cour d’exercer une
compétence d’appel, mais qu’elle remédie plutôt à la violation de ses droits.
18. La Cour rappelle, conformément à sa jurisprudence constante, qu’en vertu
de l’article 3(1) du Protocole, elle est compétente pour connaître de toutes
requêtes dont elle est saisie pour autant qu’elles portent sur des allégations
de violation de droits protégés par la Charte, le Protocole ou par tout autre
instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par l’État défendeur.“
19. En l’espèce, le Requérant allègue la violation du droit à la non-
discrimination et du droit à la vie, protégés par la Charte à laquelle est partie
l’État défendeur. La Cour estime qu’en examinant ces allégations, elle ne
fera qu’exercer son pouvoir d’interprétation et d'application de la Charte et
des autres instruments relatifs aux droits de l’homme ratifiées par l’État
défendeur.
20. En ce qui concerne l'affirmation selon laquelle la Cour exercerait une
compétence d'appel si elle venait à examiner certains griefs sur lesquels
les juridictions internes de l’État défendeur se sont déjà prononcées, la
Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle elle n’exerce pas de
compétence d’appel à l’égard de griefs déjà examinés par des juridictions
internes.” Toutefois, cela ne l'empêche pas d’examiner si les procédures
# Ao Cy c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 45 ; Bh Bj Cd et Cw Aj Bw An c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 88 34 à 36 ; Ay Bc alias Ct et Ag Au Bq c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 654, 8 18 ; Ck Co Bl c. République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 017/2017, Arrêt du 22 septembre 2022, 8 21. 5 Ernest Bf Cj c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14 ; Bh Xb c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 26 ; Ch Bs BBa BdA et Cg Ch BCr BnA c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
internes sont conformes à la Charte et aux instruments internationaux
relatifs aux droits de l'homme ratifiés par l’État concerné.S
21. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par
l’État défendeur et considère qu’elle a la compétence matérielle pour
connaître de la présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
22. La Cour relève qu’aucune exception n’a été soulevée quant à sa
compétence personnelle, temporelle ou territoriale. Néanmoins, elle doit
s'assurer que sa compétence sur tous ces aspects est établie.
23. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour relève, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie
au Protocole et que, le 29 mars 2010, il a déposé auprès de la Commission
de l’Union africaine la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole. Le
21 novembre 2019, il a déposé l’instrument de retrait de ladite Déclaration.
24. À cet égard, la Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le retrait d’une
Déclaration n’a pas d’effet rétroactif et ne prend effet qu’un (1) an après la
date de dépôt de l’instrument y relatif, en l’occurrence le 22 novembre
2020.” La présente Requête, introduite avant la prise d’effet de l’instrument
de retrait déposé par l’État défendeur, n’en est donc pas affectée. La Cour
considère, en conséquence, qu’elle a la compétence personnelle.
25. En ce qui concerne la compétence temporelle, la Cour observe que les
violations alléguées se sont produites entre 2012 et 2016. Elles se sont
donc postérieures à la ratification, par l’État défendeur, de la Charte le 21
octobre 1986, du Protocole le 10 février 2006 et au dépôt de la Déclaration,
8 Armand Cl c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33 ; Bx Ax Bx et Bp Ax Bx c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 29 et Cy c. Tanzanie (fond), supra, 8 130.
7 Bv c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 88 37 à 39.
le 29 mars 2010. La compétence temporelle de la Cour est donc établie en
l’espèce.
26. La Cour souligne, enfin, qu’elle a la compétence territoriale dans la mesure
où les violations alléguées se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur.
27. Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
28. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « [Ja Cour statue sur la
recevabilité des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à
l’article 56 de la Charte ».
29. En vertu de la règle 50(1) du Règlement, « [I]Ja Cour procède à un examen
de la recevabilité des requêtes introduites devant elle conformément aux
articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au [...] Règlement ».
30. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, dispose comme suit :
Les Requêtes déposées devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et
la Charte ;
c. ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. être postérieures à l'épuisement des recours internes, s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge indûment ;
f. être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue
par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ; et
g. ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
31. L'État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité de la Requête tirée
du non-épuisement des recours internes. La Cour statuera sur ladite
exception avant de se prononcer, si nécessaire, sur les autres conditions
de recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
32. L'État défendeur soutient, sans aucun élément à l’appui, que la Requête
n’a pas satisfait à l’exigence de l’article 56(5) de la Charte puisque le
Requérant n’a pas épuisé les recours internes.
33. Le Requérant soutient qu’il a épuisé tous les recours internes et qu’en
conséquence, il s’est conformé à l’exigence prévue à l’article 56(5) de la
Charte.
34. La Cour note qu’aux termes de l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
dont elle est saisie doit satisfaire à la condition de l’_épuisement des recours
internes. La règle de l’épuisement des recours internes vise à donner aux
États la possibilité de remédier aux violations des droits de l’homme relevant de leur juridiction avant qu’un organe international des droits de
l'homme ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet
35. En l’espèce, la Cour relève que le Requérant a été déclaré coupable de
meurtre et condamné à mort le 26 juin 2015 par la Haute Cour de Tanzanie
siégeant à Bg. || a, ensuite, interjeté appel devant la Cour d’appel de
Tanzanie, la plus haute juridiction de l’État défendeur, qui le 26 février 2016,
a rendu un arrêt confirmatif. La Cour estime que le Requérant a épuisé les
recours internes.
36. Elle rejette, en conséquence, l’exception tirée du non-épuisement des
recours internes.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
37. La Cour observe qu’aucune exception d’irrecevabilité de la Requête n’a été
soulevée quant aux conditions énoncées à la règle 50(2)(a), (b), (c), (d), (f)
et (g) du Règlement. Toutefois, conformément à la règle 50(1) du
Règlement, elle doit s'assurer que toutes ces conditions sont remplies.
38. La Cour note que le Requérant a clairement indiqué son identité,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
39. La Cour relève, en outre, que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger ses droits garantis par la Charte. Par ailleurs, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son
article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des
peuples. Aucun élément n'indique que la Requête est incompatible avec
ledit Acte constitutif. La Cour considère donc que la Requête est compatible
avec l’Acte constitutif et la Charte et qu’elle satisfait à l'exigence de la règle
50(2)(b) du Règlement.
8 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 88 93 à 94.
40. Au surplus, les termes dans lesquels est rédigée la Requête ne sont ni
outrageants, ni insultants à l'égard de l’État défendeur, de ses institutions
ou de l'Union africaine, ce qui la rend conforme à la règle 50(2)(c) du
Règlement.
41. Du reste, la Cour souligne que la Requête n’est pas fondée exclusivement
sur des nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse,
dans la mesure où elle s'appuie sur les décisions judiciaires internes, ce
qui la rend donc conforme à l’article 50(2)(d) du Règlement.
42. Ence qui concerne la condition relative à l’introduction de la Requête dans
un délai raisonnable, la Cour relève que la Requête a été déposée le 8 juin
2016, soit trois (3) mois et onze (11) jours après que la Cour d’appel a rendu
son arrêt le 26 février 2016. Elle estime que le délai de trois (3) mois et
onze (11) jours observé après épuisement des recours internes avant sa
saisine est manifestement raisonnable. Elle considère, en conséquence,
que la Requête a été introduite dans un délai raisonnable au sens de la
règle 50(2)(f) du Règlement.
43. Enfin, en ce qui concerne la condition prévue par la règle 50(2)(g) du
Règlement, la Cour constate que la Requête ne se rapporte pas à une
affaire qui a déjà été réglée par les Parties conformément aux principes de
la Charte des Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte ou de tout instrument juridique de l’Union
africaine. Elle est donc conforme à la règle susvisée.
44. La Cour en conclut que toutes les conditions de recevabilité sont remplies
et déclare la Requête recevable.
VII. SUR LE FOND
45. Le Requérant allègue la violation, par l’État défendeur, de ses droits ci-
après :
i. Le droit à la non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte, du
fait de l’examen discriminatoire des éléments de preuve ayant conduit
à la déclaration de sa culpabilité ;
ii. Le droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte, du fait de la peine
de mort prononcée à son encontre ; et
iii. Le droit à la dignité, protégé par l’article 5 de la Charte, du fait de la
peine de mort prononcée à son encontre.
A. Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
46. Le Requérant allègue que les éléments produits par les témoins à charge
au cours de son procès ne prouvent pas qu’il avait l'intention de tuer la
victime. Il affirme que les dépositions des témoins comportaient des
contradictions que la Haute Cour et la Cour d’appel auraient dû relever et
qui auraient alors donné lieu à son acquittement.
47. Le Requérant affirme également que les éléments de preuve produits pour
sa défense devant la Haute Cour ont été rejetés sans motif. Il affirme, en
outre, que la pièce à conviction produite par le témoin à charge n°3 (PW 3),
sur le fondement de laquelle il a été déclaré coupable, aurait dû être jugée
irrecevable dans la mesure où elle n'avait pas été présentée comme
preuve. Le Requérant affirme donc qu’il a fait l’objet de discrimination
devant les juridictions internes.
48. L'État défendeur soutient que la Cour d’appel a confirmé que le Requérant
a intentionnellement donné la mort à la victime en l’ayant attaquée avec
une machette et visé une partie vitale de son corps, à savoir la tête.
49. L'État défendeur affirme que le Requérant a bénéficié d’une assistance
judiciaire gratuite lors de son procès et qu’il n’a donc pas subi de
discrimination. En outre, il soutient que les témoins à charge et à décharge
ont eu la possibilité de présenter leurs témoignages et que la Haute Cour,
ainsi que les assesseurs, ont examiné tous les éléments de preuve.
50. La Cour constate que bien que le Requérant ait invoqué l’article 2 de la
Charte pour étayer son allégation, le grief soulevé est relatif au droit à ce
que sa cause soit entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte.
51. L'article 7(1) de la Charte dispose : « [t]oute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue [.…] ».
52. La Cour a constamment considéré, « … qu’un procès équitable requiert
que la condamnation d’une personne à une sanction pénale et
particulièrement à une lourde peine d’emprisonnement, soit fondée sur des
preuves solides. C’est tout le sens du droit à la présomption d’innocence
également consacré par l'article 7 de la Charte ».°
53. En l’espèce, la Cour note que la question à trancher est celle de savoir si
l'examen des preuves par les juridictions internes a été conforme aux
exigences d’un procès équitable. À cet égard, la Cour observe que le
Requérant était représenté par maître Nathan Alex, et qu’il a eu la
possibilité de présenter ses arguments au même titre que le ministère
public. À l’issue de la présentation des moyens de la défense, le juge a
estimé que le ministère public avait prouvé la culpabilité du Requérant
grâce aux témoignages de quatre (4) témoins oculaires qui le connaissaient
bien. En outre, le juge a rejeté l’alibi du Requérant selon lequel il se trouvait
à la ferme le jour fatidique où il a, « en état de légitime défense, frappé à
l’aide d’une machette, un objet en mouvement ».
54. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que rien dans le déroulement
de la procédure interne ne révèle une erreur manifeste ou un déni de justice
à l’égard du Requérant.
9 Az Cv c. Tanzanie (fond) 8 174 ; At Ac c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 439 8 72. Majid Goa c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (2019) 3 RICA 520 8 72.
55. En conséquence, la Cour rejette cette allégation et considère que l’État
défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à ce que la cause soit
entendue, protégé par l’article 7(1) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la vie
56. Le Requérant allègue que la peine de mort prononcée à son encontre viole
son droit à la vie.
57. L’État défendeur soutient que, bien que la peine de mort ait fait l’objet de
nombreux débats nationaux, elle reste légale en Tanzanie. Citant l’affaire
Cu Bm c. la République, l’État défendeur fait également valoir
que la peine de mort n’est prononcée qu’à l’issue d’une procédure
régulière.
58. L'État défendeur affirme, ainsi, que la peine de mort est « légale, conforme
aux procédures et à la Constitution ». Il précise également qu’un moratoire
sur la peine de mort est en vigueur depuis vingt (20) ans.
59. La Cour observe que le Requérant allègue la violation de son droit à la vie
protégé par l’article 4 de la Charte, du fait de la peine de mort prononcée à
son encontre.
60. La Cour rappelle que l’article 4 de la Charte dispose: « [Ia personne
humaine est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à
l'intégrité physique et morale de sa personne : Nul ne peut être privé
arbitrairement de ce droit ».
61. En ce qui concerne la privation arbitraire du droit à la vie, protégé par
l’article 4 de la Charte, la Cour rappelle sa jurisprudence constante dans
l'affaire Au Cf et autres c. République-Unie de Tanzanie"° et dans ses
arrêts ultérieurs, ou elle a considéré que l’application obligatoire de la peine
de mort serait arbitraire et donc constitutive d’une violation du droit à la vie
lorsque : i) elle n’est pas prévue par la loi ; it) elle n’est pas prononcée par
une juridiction compétente ; ou iii) elle ne résulte pas d’une procédure
régulière*!. La Cour note que le Requérant, conteste la peine qui a été
prononcée à son encontre.
62. S’agissant de la question de savoir si la peine de mort est prévue par la loi,
la Cour note qu’au sens de l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur
(1981), la seule peine applicable à une personne condamnée pour meurtre
est la peine de mort et qu’en conséquence, la condition relative à
l’existence d’une disposition légale est remplie.
63. Sur la question de savoir si la peine a été prononcée par une juridiction
compétente, la Cour note que la Haute Cour est habilitée à connaître des
affaires concernant des personnes inculpées pour meurtre.” En l'espèce,
le Requérant a été mis en accusation pour meurtre devant la Haute Cour
qui l’a condamné à mort. La peine a donc été prononcée par une juridiction
compétente.
64. S’agissant enfin de la question de savoir si la condamnation à mort résulte
d’une procédure régulière, la Cour observe que les juridictions nationales
ont prononcé la peine de mort à l’encontre du Requérant après l'avoir
déclaré coupable de meurtre. En outre, la Cour n’a pas constaté
d’irrégularités dans la procédure ayant abouti à la condamnation du
Requérant. Cependant, la Cour estime que le caractère obligatoire de la
peine de mort, tel que prévu à l’article 197 du code pénal de l’État
défendeur, ne laisse aux juridictions nationales d’autre choix que de
19 Au Cf et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3
11 Cf et autres c. Tanzanie, ibid., 88 99 à 100.
12 Article 108(1) de la Constitution tanzanienne — elle a une compétence de première instance en matière civile et pénale.
prononcer la peine capitale à l'encontre d’un condamné, ce qui entraîne
une privation arbitraire du droit à la vie. En écartant le pouvoir
d'appréciation du juge qui lui aurait permis de prononcer une peine fondée
sur la proportionnalité et la personnalisation, le caractère obligatoire de la
peine de mort n’est pas conforme aux exigences d’une procédure régulière.
65. Dans ces circonstances, la Cour estime que la peine de mort obligatoire,
telle que prescrite par l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur, ne
satisfait pas au troisième critère d'appréciation de la peine. Elle considère
donc, conformément à sa jurisprudence, que la peine de mort obligatoire
constitue une privation arbitraire du droit à la vie, protégé par l’article 4 de
la Charte.
C. Violation alléguée du droit à la dignité
66. Le Requérant allègue que la condamnation à mort prononcée à son
encontre constitue un traitement cruel, innumain et dégradant qui est
contraire à la Charte.
67. L'État défendeur soutient, pour sa part, que la peine de mort est « légale,
conforme aux procédures et à la Constitution ». Il affirme qu’elle a été
prononcée conformément à la loi.
68. La Cour relève que l’article 5 de la Charte dispose :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d'’avillissement de l'homme notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
les peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont
interdites.
69. La Cour observe que la notion de dignité humaine est un droit individuel
fondamental. Il constitue la pierre angulaire sur laquelle repose l’édifice des
droits de l’homme. Le droit à la dignité exprime l’essence même de la valeur
inhérente à chaque individu, indépendamment de sa situation, de ses
antécédents ou de ses choix. Il incarne et consacre le principe du respect
du caractère humain intrinsèque de chaque personne. C’est en ce sens
que l’article 5 interdit strictement toute forme de traitement portant atteinte
à la dignité inhérente à la personne.!*
70. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle la période d'attente d’une
exécution est de nature à provoquer une angoisse chez les personnes
condamnées à mort, en particulier lorsque l’attente se prolonge. !* La Cour
souligne que la détention dans le couloir de la mort est dégradante par
nature et porte atteinte à la dignité humaine.!* La Cour considère que
l’angoisse liée à la détention dans le couloir de la mort découle de la crainte
naturelle de la mort et de l'incertitude avec lesquelles un condamné doit
vivre.!6 Dans un tel cas, il est souhaitable que les États tels que le
défendeur prévoient pour des personnes initialement condamnées à mort
des peines appropriées qui écartent définitivement toute possibilité
constante de faire appliquer la peine de mort.
71. La Cour note, en l’espèce, que la situation est exacerbée par le fait que le
Requérant a été condamné à la peine de mort sans tenir compte de
circonstances atténuantes pouvant donner lieu à une peine alternative
dans la mesure où la loi écarte le pouvoir d'appréciation des juridictions
nationales, en violation de la Charte. Dans ces circonstances, il est
incontestable que le Requérant a souffert d’une détresse psychologique et
émotionnelle et, qu’en conséquence, son droit à la dignité a été violé.
13 Ap Am c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 033/2016, Arrêt du 7 novembre 2023, 8 165.
14 Al Bo c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 012/2019, Arrêt du 1°" décembre
16 Am c. Tanzanie (arrêt), supra, 8 16.
72. La Cour en conclut que le droit à la dignité du Requérant, protégé par
l’article 5 de la Charte, a été violé.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
73. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations du fait
des violations qu’il a subies, d'annuler la déclaration de culpabilité et la
peine prononcées à son encontre et d’ordonner sa remise en liberté.
74. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter la demande de réparations
formulée par le Requérant.
75. L'article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
76. La Cour souligne qu'il est de jurisprudence constante que « pour examiner
les demandes en réparation des préjudices résultant des violations des
droits de l’homme, elle tient compte du principe selon lequel l’État reconnu
auteur d’un fait internationalement illicite a l’obligation de réparer
intégralement les conséquences de manière à couvrir l’ensemble des
dommages subis par la victime.!”
77. La Cour rappelle également que les réparations doivent « … autant que
possible, effacer toutes les conséquences de l’acte illicite et rétablir l’état
qui aurait vraisemblablement existé si ledit acte n’avait pas été commis ».18
17 Cv c. Tanzanie (fond), supra, 8 242 (ix) et Cq Br Cs c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 19.
18 Az Cv c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 349, 8 21 ; Ao Cy c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 299, 8 12 ; 18 78. Les mesures qu’un État peut prendre pour réparer une violation des droits
de l’homme peuvent inclure la restitution, l'indemnisation, la réadaptation
de la victime et des mesures propres à garantir la non-répétition des
violations, compte tenu des circonstances de chaque affaire.!°
79. La Cour rappelle que la règle générale en matière de préjudice matériel est
qu’il doit exister un lien de causalité entre la violation établie et le préjudice
subi par le requérant et qu’il incombe à ce dernier de fournir des éléments
de preuve pour justifier ses demandes.” En ce qui concerne le préjudice
moral, la Cour exerce son pouvoir d’appréciation en toute équité.
80. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’État défendeur a violé le
droit du Requérant à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte, et à la
dignité, protégé par l’article 5 de la Charte, en raison de l'application
obligatoire de la peine de mort. Elle considère donc que la responsabilité
de l’État défendeur a été établie. La Cour examinera donc les demandes
de réparation formulées par le Requérant.
A. Réparations pécuniaires
81. Le Requérant demande à la Cour de lui accorder des réparations et de
rendre toutes autres mesures qu’elle jugera appropriées.
82. L'État défendeur demande à la Cour de rejeter les demandes de
réparations formulées par le Requérant.
83. La Cour souligne que les réparations pécuniaires couvrent le préjudice
matériel et moral. Le Requérant n’a pas formulé de demande spécifique au
Ai Aq Ak et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 322, 8 16.
19 Cs c. Rwanda (réparations), supra, 8 20.
20 Cb Xa c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 40 ; Aa Cm Ce c. Cx Av (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 8 15.
titre des réparations pécuniaires. La Cour relève que la réparation du
préjudice matériel requiert que la preuve de la perte subie soit établie, ce
que le Requérant n’a pas fait. Il convient donc de rejeter sa demande de
réparation, à cet égard.
84. La Cour relève, toutefois, que le préjudice moral englobe les souffrances et
l’angoisse causées à la victime et à ses proches ainsi que la modification
de leurs conditions de vie.?} Comme jugé dans le présent Arrêt, les droits
du Requérant ont été violés du fait du caractère obligatoire de la peine de
mort prononcée à son encontre, ce qui lui a causé une détresse
psychologique et émotionnelle. Sa demande de réparation du préjudice
moral est donc fondée, en son principe.
85. La Cour a estimé que la fixation d’un montant à titre de réparation du
préjudice moral doit être effectuée en toute équité, en tenant compte des
circonstances particulières de chaque affaire.?? La Cour a adopté la
pratique consistant à allouer des montants forfaitaires à titre de réparation
du préjudice moral subi.
86. Au regard de ce qui précède, la Cour alloue au Requérant la somme de
trois cent mille (300 000) shillings tanzaniens, à titre de réparation du
préjudice moral subi.
B. Réparations non pécuniaires
87. Le Requérant demande à la Cour d’annuler sa condamnation et d’ordonner
sa remise en liberté.
21 Xa c. Tanzanie (réparations), supra, 8 34 ; Bv c. Tanzanie (arrêt), supra, 8 150 et Viking et un autre c. Tanzanie (réparations), supra, 8 38.
2 By c. Tanzanie (arrêt), supra, 8 144 ; Viking et un autre c. Tanzanie (réparations), supra, 8 41 et Cs c. Rwanda (réparations), supra, 8 59.
23 Cn et autres c. Cx Av (réparations), supra, 88 61 à 62 et Cl c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 177.
88. L'État défendeur affirme que la Cour est incompétente pour ordonner la
remise en liberté du Requérant. Il demande donc à la Cour de rejeter cette
demande.
i. Sur la demande d’annulation de la condamnation
89. S'agissant de cette demande, la Cour rappelle qu’en l'espèce, elle n’a pas
jugé que la condamnation du Requérant était ou non fondée. En outre, elle
a conclu que rien, dans le déroulement de la procédure interne n’indique
que les juridictions nationales ont commis une erreur manifeste ou un déni
de justice.?* En conséquence, la Cour rejette de cette demande.
ii. Sur la demande de remise en liberté
90. En ce qui concerne la demande de remise en liberté, la Cour a déclaré
qu’une telle mesure ne peut être ordonnée que dans des circonstances
spécifiques et impérieuses. C’est le cas « si un Requérant démontre à
suffisance ou si la Cour elle-même établit, à partir de ses constatations,
que l'arrestation du Requérant ou la déclaration de sa culpabilité repose
entièrement sur des considérations arbitraires et que son emprisonnement
continu donnerait lieu à un déni de justice ».?5
91. En l'espèce, la Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que l’État défendeur a violé
le droit du Requérant à la dignité du fait du caractère obligatoire de la peine
de mort prononcée à son encontre. Sans en minimiser la gravité, la Cour
estime que la nature de la violation en l’espèce ne révèle aucune
circonstance de nature à faire de la condamnation du Requérant un déni
de justice ou une décision arbitraire. Le Requérant n’a pas, non plus,
24 Ci Aj Ah c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 013/2016, Arrêt du 24 mars 2022, 8 88.
25 Bz c. Tanzanie (fond), ibid. 8 82.
démontré l'existence d’autres circonstances exceptionnelles et
impérieuses pouvant justifier la mesure de remise en liberté.é
92. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette la demande de remise en
liberté formulée par le Requérant.
iii. Garanties de non-répétition
93. Ayant constaté que les dispositions relatives à l’application obligatoire de
la peine de mort sont contraires à la Charte, la Cour ordonne à l’État
défendeur de prendre toutes les mesures constitutionnelles et législatives
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la signification du
présent Arrêt, afin de modifier cette disposition de son Code pénal et de la
rendre conforme à la Charte, de manière à mettre fin aux violations qui ont
été constatées en l’espèce. La Cour ordonne, en outre, à l’État défendeur
d'annuler, dans un délai d’un (1) an à compter de la signification du présent
Arrêt, la peine prononcée à l’encontre du Requérant, de le retirer du couloir
de la mort et de tenir une nouvelle audience de fixation de peine au cours
de laquelle le juge dispose d’un pouvoir d'appréciation.
94. La Cour note en outre qu’il ressort du dossier que le Requérant a été
condamné à la peine de mort par pendaison. Eu égard à ses conclusions
sur la peine de mort obligatoire dans le présent arrêt, en dépit de ce que le
Requérant n’a pas expressément formulé une demande sur ce point, la
Cour estime que les mesures de réparation ordonnées dans ses arrêts
précédents sur cette question s'appliquent en l’espèce.?’ En conséquence,
la Cour ordonne à l’Etat défendeur d’abroger, dans un délai de six (6) mois
à compter de la signification du présent Arrêt, les dispositions du droit
interne relatives à l’exécution de la peine de mort obligatoire par pendaison.
26 Ct et Bq c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 97 ; Af c. Tanzanie (arrêt), supra, 8 112 et Bz c. Tanzanie (fond), ibid., 8 82.
27 Cf et autres c. Tanzanie, supra, 88 119-120 ; Cp By c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête No. 024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), S8 135-136 ; As Bb c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête No. 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 88 169-170.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
95. L'État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de procédure aux
dépens du Requérant. Le Requérant n’a formulé aucune demande relative
aux frais de procédure.
96. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses
frais de procédure ».
97. La Cour estime, en l’espèce, qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du
principe posé par cette disposition. Elle ordonne donc que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
DISPOSITIF
98. Par ces motifs,
LA COUR,
Sur la compétence
ii. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
iii. — Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
À l’unanimité,
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable garanti à l’article 7 de la Charte en ce qui
concerne l’appréciation des moyens de preuve ;
À la majorité de huit (8) voix pour et deux (2) voix contre,
vi. Dit que l’État défendeur a violé les droits du Requérant à la vie
et à la dignité protégés respectivement par les articles 4 et 5 de
la Charte en raison de l’application obligatoire de la peine de
mort.
À l’unanimité
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
vi. Fait droit à la demande de réparation formulée par le Requérant
au titre du préjudice moral subi et lui alloue la somme de trois
cent mille (300 000) shillings tanzaniens ;
vi. Ordonne à l’État défendeur de verser la somme indiquée à
l’alinéa (vii) ci-dessus, en franchise d’impôt, à titre de juste
compensation, dans un délai de six (6) mois à compter de la
signification du présent Arrêt. À défaut, il sera tenu de payer des
intérêts moratoires calculés sur la base du taux applicable de la
Banque centrale de Tanzanie pendant toute la période de retard
jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
Réparations non-pécuniaires
ix. Rejette la demande du Requérant tendant à l’annulation de sa
condamnation et à sa remise en liberté ;
x. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
constitutionnelles et législatives nécessaires afin d’abroger de
son Code pénal le caractère obligatoire de la peine de mort,
dans un délai de six (6) mois à compter de la signification du
présent Arrêt.
xi. Ordonne à l’État défendeur d’annuler la peine de mort
prononcée à l’encontre du Requérant, de le retirer du couloir de
la mort et de tenir une nouvelle audience de fixation de peine
dans le cadre d’une procédure qui garantit le pouvoir
d'appréciation du juge, dans un délai d’un (1) an à compter de la
signification du présent Arrêt.
xi. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la date
de signification du présent Arrêt, afin de supprimer de son Code
pénal, la pendaison comme mode d’exécution de la peine de
mort.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xii. Ordonne à l’État défendeur de soumettre à la Cour, dans un
délai de six (6) mois à compter de la signification du présent
Arrêt, un rapport sur la mise en œuvre des mesures ordonnées
aux points (x), (xi) et (xii) de ce dispositif et, ensuite, tous les six
(6) mois jusqu’à ce que la Cour estime toutes ses mesures
entièrement mises en œuvre.
Sur les frais de procédure
xiv. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président fraile fause
Ben KIOKO, Juge ; MES
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; Hs yhee),
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Lai Oiponila
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge : ge
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eur am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge se ;_ œ.
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(3) du Règlement, les
Déclarations des Juges Blaise TCHIKAYA et Dumisa NTSEBEZA sont jointes au présent arrêt.
Fait à Arusha, ce treizième jour du mois de février de l’année deux-mille vingt-quatre, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.