AFRICAN UNION © UNION AFRICAINE sÉS) SAS UNIAO AFRICANA
AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AH Yo
ET
Xx Z
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 050/2016
13 FÉVRIER 2024 SAN SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV. DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle
B Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ 10
A Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 11
B Sur les autres conditions de recevabilité 14
VII SUR LE FOND 16
A Violation alléguée du droit à un procès équitable 17
l Allégation de violation relative au défaut d’examen des preuves à
décharge 17
Il Allégation de violation tirée de l’admission de la preuve relative à
il. Sur l'incapacité de l'accusation de prouver la culpabilité des
Requérants 22
iv. Allégations relatives à l'admission du rapport d’autopsie 23
Violation alléguée du droit à la vie 24
Violation alléguée du droit à la dignité 27
Violation alléguée du droit à la non-discrimination 29
Violation alléguée du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection
de la loi 30
VII. SUR LES RÉPARATIONS 31
A Réparations pécuniaires 33
l Préjudice matériel 33
ii. Préjudice moral 34 ii Révision de la loi………………
iv. Mise en œuvre et soumission de rapports
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJE| — Juges, et
de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme et
des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après désigné « le Règlement »),} la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’Affaire
AH Yo et Xx Z
représentés par :
M. Xv X, Directeur exécutif, East Xd Bc Xf, conseil pro bono
désigné dans le cadre du programme d'assistance judiciaire de la Cour.
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Cj Yn AN, Bp Xb, Bureau du Solicitor
General ;
i. Mme Bi Bx A, Directrice de la Division des affaires
constitutionnelles et des droits de l'homme, Bureau du Solicitor General ;
ii. M. Yq AJ, Ambassadeur, Chef de l’Unité juridique, Bureau du
Solicitor General ;
1 Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
iv. Mme Ay AL, Directrice adjointe, Droits de l’homme, Principal
Cl Xy, Bureau du Solicitor General ;
v. M. Ct C, Principal Cl Xy, Bureau du Solicitor General ;
et
vi. Mme Cg AG, Juriste, ministère des Affaires étrangères, de la
Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt.
I. LES PARTIES
1. Les sieurs AH Yo et Xx Z Yci-après dénommés
« les Requérants ») sont des ressortissants tanzaniens qui ont été déclarés
coupables et condamnés à mort pour meurtre. Au moment du dépôt de la
présente Requête, ils étaient détenus à la prison centrale de Butimba
(Mwanza). Les Requérants allèguent la violation de leurs droits dans le
cadre des procédures judiciaires nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la «
Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6)
du Protocole (ci-après désignée la « Déclaration »), par laquelle elle
accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant
d'individus et d’organisations non gouvernementales (ONG) ayant le statut
d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et
des peuples (ci-après désignée « la Commission »). Le 21 novembre 2019,
l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
ce retrait n’a aucune incidence, ni sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant sa prise d’effet un an après
le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le 22 novembre 2020.?
I. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le 3 avril 2009, les Requérants, ainsi que quatre
(4) autres personnes qui ne sont pas parties à la présente affaire, se sont
introduits de force au domicile de la famille Xh et ont infligé des
blessures à certains membres de ladite famille à l’aide de machettes. Ils ont
grièvement blessé un enfant de sept (7) ans, Aq Xh, qui est décédé
le 5 avril 2009 à l’hôpital régional de Bn.
4. Le 20 février 2010, les Requérants ont été arrêtés et mis en accusation pour
meurtre devant la Haute Cour siégeant à Bn. Le 3 juillet 2014, la Haute
Cour a déclaré les Requérants coupables de meurtre et les a condamnés à
la mort par pendaison tandis que les quatre (4) des co-accusés ont été
acquittés.
5. Se sentant lésés par la décision de la Haute Cour, les Requérants ont formé
un recours devant la Cour d’appel siégeant à Bn, qui les a déboutés le
20 février 2015.
B. Violations alléguées
6. Les Requérants allèguent que l’État défendeur a violé leurs droits à la non-
discrimination, à une totale égalité devant la loi et à une égale protection de
la loi, à la vie, à la dignité et à un procès équitable, protégés respectivement
par les articles 2, 3, 4, 5 et 7 de la Charte. Ils allèguent précisément que ces
violations découlent du fait que :
? Cv Ab Ap c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 88 37 à 39.
ii Les juridictions nationales n’ont pas pris en compte les éléments de
preuve produits par les Requérants et n’ont pas motivé leur décision ;
ii. Les juridictions nationales ont enfreint l’article 240 de la Loi portant code
de procédure pénale (ci-après « CPP ») en versant, à tort, le rapport
d’autopsie du défunt au dossier ;
iii. Les juridictions nationales ont commis une erreur en condamnant les
Requérants sur la base de témoignages incohérents et contradictoires
fournis par des témoins peu crédibles.
iv. Les preuves du ministère public n’ont pas permis d’asseoir la culpabilité
des Requérants au-delà de tout doute raisonnable.
v. La peine de mort obligatoire, telle qu’elle est prévue par le Code pénal
de l’État défendeur, porte atteinte à leur droit à la dignité protégé par
l’article 5 de la Charte.
vi. La peine de mort obligatoire prononcée à leur encontre viole leur droit à
la vie, consacré par la Déclaration universelle des droits de l'homme et
par les articles 13(6)(d) et 14 de la Constitution de l’État défendeur.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête introductive d'instance a été reçue au Greffe le 1° septembre
2016 et communiquée à l’État défendeur le 15 novembre 2016.
8. Le 18 novembre 2016, la Cour a ordonné à l’État défendeur, à titre de
mesures provisoires, de surseoir à l'exécution de la peine de mort
prononcée à l’encontre des Requérants en attendant l'issue de la présente
procédure.
9. Le 24 mai 2017, l’État défendeur a déposé sa réponse, qui a été
communiquée au Requérant le même jour.
10. Après plusieurs prorogations de délai, les Parties ont déposé leurs
conclusions sur le fond et les réparations dans les délais fixés par la Cour.
11. Les débats ont été clôturés le 23 août 2017 et les Parties en ont dûment
reçu notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
12. Les Requérants demandent à la Cour de :
ii Se déclarer compétente en l’espèce ;
ii. Déclarer la Requête recevable ;
iii. Leur accorder une assistance judiciaire conformément à l’article 31 du
Règlement et à l’article 10(2) du Protocole de la Cour ;
iv. Ordonner leur remise en liberté ;
v. Ordonner à l’État défendeur de leur verser la somme de trente mille
(30 000) dollars EU à titre de réparation du préjudice moral subi ;
vi. Ordonner à l’État défendeur de leur verser la somme de dix mille
(10 000) dollars EU à titre de réparation pour la perte de revenus ;
vi. Ordonner à l’État défendeur de verser à chaque victime indirecte la
somme de huit mille (8 000) dollars EU à titre de réparation du préjudice
moral qu’elles ont subi ; et
viii. Ordonner à l’État défendeur de réviser ses lois de manière à prendre en
compte la protection du droit à la vie, garanti par l’article 4 de la Charte,
en supprimant la peine de mort obligatoire, prévue pour les cas de
meurtre.
13. Sur la compétence et la recevabilité, l’État défendeur demande à la Cour
de :
ii Se déclarer incompétente pour connaître de la présente Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas à la condition de recevabilité
prévue à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ;
iii. Dire et juger que la Requête ne satisfait pas à la condition de recevabilité
prévue à l’article 40(6) du Règlement intérieur de la Cour ; et
iv. Déclarer la Requête irrecevable et condamner les Requérants aux
dépens.
14. S’agissant du fond et des réparations, l’État défendeur demande à la Cour
de dire qu’il n’a pas violé les articles 2, 3 et 7(1)(d) de la Charte et de rejeter
la Requête pour défaut de fondement. Il demande, également, à la Cour de
rejeter toutes les demandes de réparations formulées par les Requérants.
Enfin, l’État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de procédure
à la charge des Requérants.
V. SUR LA COMPÉTENCE
15. La Cour relève que l’article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l'application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l'homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
16. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, elle « [p]rocède à un examen
préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au Protocole
et au [.…] Règlement ».°
17. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, à titre préliminaire,
procéder à un examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles
18. La Cour note qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. Elle va donc se prononcer sur ladite exception
avant d'examiner, si nécessaire, les autres aspects de sa compétence.
3 Article 39(1) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
19. L'État défendeur fait valoir, premièrement, que la Cour n’est pas compétente
pour examiner les éléments de preuve produits devant les juridictions
internes. Selon l’État défendeur, le fait qu’il ait ratifié la Charte, le Protocole,
et fait la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole ne confère pas
compétence à la Cour pour examiner des allégations d’incohérences des
preuves produites dans le cadre des procédures judiciaires nationales.
20. L'État défendeur fait également valoir que le Requérant a interjeté appel du
jugement de la Haute Cour devant la Cour d'appel, qui a confirmé la
décision querellée. L'État défendeur estime, au vu de ce qui précède, qu’il
ne peut être demandé à la Cour de céans d'examiner, de nouveau, cette
affaire et de statuer comme une juridiction de première instance et d’appel
sur des questions qui relèvent de la compétence des juridictions nationales.
Il invoque, à l’appui de son argument, la décision de la Cour dans l'affaire
Ernest Bq Xk c. République du Malawi.
21. En ce qui concerne l’allégation de violation de l’article 13(1) de la
Constitution, l’État défendeur fait valoir que la Cour de céans n’est pas
compétente pour examiner ses actions ou omissions. || soutient que la
juridiction compétente en la matière est la Haute Cour de Tanzanie, comme
le prévoit l’article 30(3) de sa Constitution ainsi que les articles 4 et 9(1) de
la loi sur les droits et devoirs fondamentaux. L’État défendeur demande, par
conséquent, à la Cour de se déclarer incompétente.
22. La Cour note que sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de « [t]outes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie, concernant l'interprétation et l’application de la Charte,
du [.….] Protocole et de tout autre instrument relatif aux droits de l’homme et
ratifié par les États concernés ».4
23. La Cour relève que l’exception soulevée par l’État défendeur s'articule
autour de deux arguments : d’une part, que la Cour ne peut siéger en tant
que juridiction de première instance et, d’autre part, que la Cour ne peut
statuer en tant que juridiction d’appel. La Cour va examiner chacun de ces
arguments.
24. Ence qui concerne le premier argument, la Cour réitère que, conformément
à sa jurisprudence constante, elle n’est pas une juridiction de première
instance.° Toutefois, elle conserve le pouvoir d’examiner si les procédures
internes, notamment l’appréciation par les juridictions internes des moyens
de preuve, sont conformes aux normes prescrites dans la Charte et les
instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme ratifiés par l’État
concerné., La Cour ne statuerait donc pas, à cet égard, comme une
juridiction de première instance si elle devait examiner les allégations
formulées en l’espèce. Elle rejette donc le premier moyen de l'exception
soulevée par l’État défendeur.
25. En ce qui concerne l’argument selon lequel il est demandé à la Cour de se
prononcer comme une juridiction d'appel, la Cour rappelle sa jurisprudence
constante aux termes de laquelle « elle n’est pas une juridiction d’appel des
décisions rendues par les juridictions nationales ».” Toutefois, « [c]ela ne
l'empêche pas d'examiner les procédures judiciaires nationales pour
déterminer si elles sont en conformité avec les normes prescrites dans la
Charte ou dans tout autre instrument des droits de l'homme ratifié par l’État
4 Voir Bf Ak c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 266, $ 18 ; Cn Bm c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 056/2016, arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), S$ 38 à 40.
5 Ernest Bq Xk c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
8 Xa Be c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33; Cq Bh Cq et un autre c. République-Unie de Tanzanie (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 29 et Bu Yi c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 8130.
7 Xk c. Malawi (compétence), supra, 8 14.
concerné ». La Cour ne statuerait donc pas comme une juridiction d'appel
si elle devait examiner les allégations formulées par les Requérants. Elle
rejette, en conséquence, le deuxième moyen de l'exception soulevée par
26. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l'exception soulevée par l’État
défendeur et considère qu’elle a la compétence matérielle pour connaître
de la présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
27. La Cour note que l’État défendeur ne conteste pas sa compétence
personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins, conformément à la règle
49(1) du Règlement,® elle doit s'assurer que les conditions relatives à ces
aspects sont remplis avant de poursuivre l'examen de la Requête.
28. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie au
Protocole et a déposé la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole.
La Cour rappelle, en outre, que, le 21 novembre 2019, l’État défendeur a
déposé un instrument de retrait de la Déclaration. Conformément à la
jurisprudence de la Cour, le retrait de la Déclaration n’a point d'effet
rétroactif et ne prend effet que douze (12) mois après le dépôt de l’avis dudit
retrait, en l'occurrence le 22 novembre 2020.!° La présente Requête,
introduite avant cette date, n’en est donc pas affectée. En conséquence, la
Cour estime que sa compétence personnelle est établie en l'espèce.
29. En ce qui concerne sa compétence temporelle, la Cour observe que les
allégations de violations formulées par les Requérants découlent de leurs
procès qui ont connu leur aboutissement avec l’arrêt de la Cour d’appel
8 Ai Yt c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 26 ; Be c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 33 ; Xj Ce YBl BoB et Xi Xj YYb BzB c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
® Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
10 Ap c. Tanzanie, 88 35 à 39.
rendu le 20 février 2015. La Cour observe que l'arrêt de la Cour d’appel est
postérieur à la ratification de la Charte et du Protocole par l’État défendeur.
La Cour considère donc qu’elle a compétence personnelle pour connaître
de la présente Requête.
30. Quant à sa compétence territoriale, la Cour relève que les violations
alléguées par les Requérants se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur. La Cour estime donc que sa compétence territoriale est établie.
31. Au regard de tout ce qui précède, la Cour considère qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
32. L'article 6(2) du Protocole dispose : « [la Cour statue sur la recevabilité des
requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la
Charte. »
33. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, « [Na Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6(2) du Protocole, et au [.…]
34. La Cour relève que la règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance
les dispositions de l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les Requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
11 Article 40 du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
35. La Cour observe que l’État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité
tirée du non-épuisement des recours internes. La Cour va donc se
prononcer sur ladite exception avant d’examiner, si nécessaire, les autres
conditions de recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
36. L'État défendeur soutient que les Requérants n’ont pas satisfait à la
condition de recevabilité prévue à la règle 50(2)(e) du Règlement, dans la
mesure où ils n’ont pas épuisé les recours internes avant d’introduire leur
Requête.
37. Al’appui, il soutient que le fait pour le Requérant de n’avoir pas introduit un
recours en inconstitutionnalité devant la Haute Cour, en vertu de la loi sur
les droits et devoirs fondamentaux, est une preuve évidente qu’ils ne lui ont
pas donné l’occasion de répondre aux griefs soulevés dans le cadre du
système judiciaire national.
38. L’État défendeur soutient, en outre, que les Requérants n’ont soulevé aucun
des griefs invoqués devant la Cour de céans, comme moyen d’appel devant
la Cour d'appel.
39. Les Requérants concluent au rejet de l’exception en faisant valoir qu’ils ont
épuisé tous les recours internes, ayant saisi la Cour d’appel. Ils allèguent
également, sans en apporter la preuve, qu’ils ont introduit un recours en
révision de l'arrêt devant la Cour d’appel mais qu’aucune décision n’a été
rendue sur ledit recours.
40. La Cour note que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
introduite devant elle doit satisfaire à l’exigence de l'épuisement des recours
internes, à moins que ceux-ci ne soient indisponibles, inefficaces et
insuffisants ou que la procédure interne pour les exercer ne se prolonge de
façon anormale.!? La Cour a constamment considéré que la règle de
l'épuisement des recours internes vise à donner aux États la possibilité de
traiter les violations des droits de l'homme relevant de leur juridiction avant
qu’un organe international de protection des droits de l'homme ne soit saisi
pour déterminer la responsabilité de l’État à cet égard!
41. En l’espèce, la Cour relève que le recours des Requérants devant la Cour
d’appel, organe judiciaire suprême de l’État défendeur, a été tranché
lorsque celle-ci a rendu son arrêt le 20 février 2015. Bien que les
Requérants affirment avoir introduit une requête en révision de cette
décision, la procédure par laquelle la Cour d’appel a confirmé leur
condamnation et leur peine constitue le dernier recours judiciaire ordinaire
disponible. La Cour a constamment considéré que le recours en révision,
12 Ym Ch Av c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RICA 413, 88 142 à 144 ; Yp Bk Ao et autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 030/2017, arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), 8 43.
13 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 88 93 à 94.
ainsi que le recours en inconstitutionnalité, telles qu’ils s'appliquent dans
l’État défendeur, constituent des recours extraordinaires que les requérants
ne sont pas tenus d’épuiser avant de la saisir!“
42. En ce qui concerne l’argument selon lequel les Requérants soulèvent
certaines allégations pour la première fois, la Cour réitère sa jurisprudence
selon laquelle :
lorsqu’une violation alléguée des droits de l'homme se produit
au cours de la procédure judiciaire interne, les juridictions
nationales ont ainsi l’occasion de se prononcer sur
d’éventuelles violations des droits de l'homme. Le motif en est
que les violations alléguées des droits de l'homme font partie
de l’ensemble des droits et garanties qui étaient liés à la
procédure devant les tribunaux nationaux ou qui en
constituaient le fondement. Dans une telle situation, il ne serait
donc pas raisonnable d’exiger des Requérants qu’ils
introduisent une nouvelle Requête devant les juridictions
internes pour demander réparation de ces griefs.!*
43. La Cour observe, en l'espèce, que les allégations des Requérants sont
parties intégrantes du « faisceau de droits et de garanties » lié au droit à un
procès équitable sur le fondement duquel ils ont introduit leur recours en
appel. Il n’était donc pas nécessaire qu’ils retournent devant la Haute
Cour.! La Cour a constamment considéré que le « faisceau de droits et de
garanties » s'applique, entre autres, dans des circonstances où i) la
question qui relève du faisceau de droits et de garanties est intrnsèquement
liée à d’autres questions qui ont été expressément soulevées et tranchées
14 Yi AM Yh, supra, 88 60 à 62 ; Bk Yj c. République-Unie de Tanzanie (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 88 66 à 70 ; Cx Cm c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 44.
15 Jibu Amir alias Yf et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 654, 8 37 ; Yi AM Yh (fond), supra, 88 60 à 65, Ai Bt Xp et autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 54 ; Xx Cs, Yc An, Af Ba et 1744 autres c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 002/2017, arrêt du 30 septembre 2021 (fond et réparations), 8 57.
16 Yi AM Yh (fond), supra, 8 60.
au cours de la procédure interne*” ou ii) ladite question était ou est réputée
avoir été connue des autorités judiciaires internes.!®
44. En l’espèce, l’État défendeur a eu la possibilité de remédier aux éventuelles
violations des droits de l'homme soulevées par les Requérants lorsque
l'affaire a été portée devant les juridictions nationales. Les allégations
relatives à un procès équitable et aux preuves prétendument douteuses
sont autant de questions qui relèvent du faisceau de droits et garanties. Les
demandes des Requérants devant Cour de céans découlent naturellement
et implicitement de griefs qu’ils ont soulevés devant la Haute Cour et la Cour
45. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception de l’État défendeur et
considère que les Requérants ont épuisé les recours internes prévus à
l’article 56(5) de la Charte et à la règle 50(2)(e) du Règlement.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
46. La Cour constate que le respect des conditions énoncées aux alinéas (a),
(b), (c), (d) et (g) de la règle 50(2) du Règlement ne fait l’objet d’aucune
contestation. Néanmoins, elle est tenue de s'assurer que ces conditions
sont remplies.
47. La Cour note que les Requérants ont clairement indiqué leurs identités,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
48. La Cour relève également que les demandes formulées par les Requérants
visent à protéger leurs droits garantis par la Charte. En outre, l’un des
objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en son article
3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et des peuples.
17 Xp et Au c. République-Unie de Tanzanie (fond), supra, 8 54 ; Viking et Xj c. Tanzanie (fond), supra, 8 53 ; Yi Cz Az et Bb Xl Az c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 325, 8 46.
18 Yi AM Yh (fond), supra, 8 60 et Co Cd Xr c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°005/2016, Arrêt du 2 décembre 2021 (fond et réparations), 88 38 et 39.
En conséquence, la Cour considère que la Requête est compatible avec la
Charte et l’Acte constitutif de l’Union africaine et qu’elle satisfait à l'exigence
de la règle 50(2)(b) du Règlement.
49. La Cour note, en outre, que la Requête ne contient aucun terme outrageant
ou insultant à l’égard de l’État défendeur. Elle satisfait donc à l’exigence de
la règle 50(2)(c) du Règlement.
50. S'agissant de la condition énoncée à la règle 50(2)(d) du Règlement, la
Cour souligne que la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des
nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse, mais sur
des documents judiciaires. La Cour considère ainsi que le Requête est
conforme au texte susvisé.
51. En ce qui concerne l’exigence du dépôt de la Requête dans un délai
raisonnable prévue par la règle 50(2)(f), la Cour rappelle que ni la Charte ni
le Règlement ne précisent le délai dans lequel les requêtes doivent être
introduites, après épuisement des recours internes. Conformément à la
jurisprudence constante de la Cour, « … le caractère raisonnable du délai
de sa saisine dépend des circonstances particulières de chaque affaire et
devrait être apprécié au cas par cas ».!°
52.Plus précisément, la Cour observe que l’arrêt de la Cour d’appel a été rendu
le 20 février 2015 et que la présente Requête a été déposée le 1°
septembre 2016. La période visée en l'espèce est donc d’un (1) an, six (6)
mois et douze (12) jours. La question est de savoir si cette période constitue
un délai raisonnable. Dans sa jurisprudence, la Cour a pris en compte un
certain nombre de critères pour déterminer le délai raisonnable, notamment
l’incarcération, dont celle dans le couloir de la mort, qui entraîne une
19 Xu et autres c. Yl As (fond), supra, $ 92. Voir également Yi AM Yh (fond), supra,
restriction des mouvements et de l'accès à l'information,” ainsi que le fait
d'être profane en droit et de ne pas bénéficier d'une assistance judiciaire.?!
53. En l’espèce, compte tenu de la situation des Requérants qui sont profanes
en droit, incarcérés et qui ont saisi la Cour de céans sans l’assistance d’un
conseil, la Cour estime que le délai d’un (1) an, six (6) mois et douze (12)
jours est raisonnable, au sens de l’article 50(2)(f) du Règlement.??
54. La Cour note également que la Requête ne concerne pas une affaire qui a
déjà été réglée par les Parties conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de
la Charte ou de tout instrument juridique de l’Union africaine, ce qui la rend
conforme à la règle 50(2)(g) du Règlement.
55. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que toutes les conditions
de recevabilité sont remplies et déclare la présente Requête est recevable.
VII. SUR LE FOND
56. Les Requérants allèguent, comme indiqué au paragraphe six (6) du présent
Arrêt, que l’État défendeur a violé leurs droits à la non-discrimination, à une
totale égalité devant la loi et à une égale protection de la loi, au droit à la
vie, à la dignité et à un procès équitable, protégés respectivement par les
articles 2, 3, 4, 5 et 7 de la Charte. La Cour va examiner chacune des
allégations des Requérants.
20 At Xc c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 020/2017, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), S$ 37 à 38.
21 Yi AM Yh (fond), supra, $ 73 ; Cm AM Yh (fond), supra, $ 54 et Ca Xt c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 356, $ 83.
2? Cb Ck Cw c. République du Bénin, CATDHP, Requête n° 065/2019, arrêt du 29 mars 2021 (fond et réparations), 88 86 à 87.
A. Violation alléguée du droit à un procès équitable
57. En ce qui concerne cette allégation, les Requérants soutiennent que les
juridictions de l’État défendeur ont violé leurs droits en n’ayant pas pris en
compte leurs moyens de preuve ni motivé leurs conclusions. S'agissant de
leur identification, les Requérants affirment que les juridictions nationales
se sont fondées sur des preuves erronées et qu’en tout état de cause, les
preuves du ministère public n’ont pas permis d’établir leur culpabilité au-
delà de tout doute raisonnable. La Cour va examiner chacune des
allégations de violation du droit des Requérants à un procès équitable.
i. Allégation de violation relative au défaut d’examen des preuves à
décharge
58. Les Requérants affirment que la Haute Cour et la Cour d'appel n’ont pas
pris en compte leurs moyens de défense, les privant ainsi d’un procès
équitable. Ils affirment, en outre, que leur droit à un procès équitable a été
violé par l’État défendeur en ce que le tribunal de première instance n’a pas
motivé sa décision de ne pas prendre en compte leurs moyens de défense
et ni de les examiner.
59. L’État défendeur réfute les allégations des Requérants et affirme qu’après
avoir examiné les preuves produites par le ministère public, le tribunal de
première instance a rendu une décision conformément au CPP en estimant
que les preuves présentées étaient suffisantes, à charge pour les accusés
de présenter leurs moyens de défense. Tous les accusés (y compris les
Requérants) ont donc déposé et défendu leur cause. L'État défendeur
estime donc que la Haute Cour et la Cour d'appel ont examiné tous les
moyens de preuve pertinents qui leur ont été présentés avant de tirer leurs
conclusions.
60. L'État défendeur affirme, en outre, que la Haute Cour et la Cour d’appel ont
motivé le rejet des moyens de défense des Requérants. En particulier, l’État défendeur souligne que la Haute Cour a accordé au ministère public et à la
partie défenderesse la même possibilité de faire valoir leurs moyens et que
les Requérants ont été condamnés après que la Haute Cour a examiné
toutes les questions de preuve.
61. L'article 7(1) de la Charte dispose : « [t]oute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue ». La Cour rappelle que l’article 7 de la Charte prévoit
des garanties qui visent essentiellement à assurer la concrétisation du droit
à un procès équitable.
62. La Cour relève, cependant, que l’article 7 de la Charte ne prévoit pas
expressément le droit à une décision motivée. La Cour note, toutefois, que
les directives et principes sur le droit à un procès équitable de la
Commission prévoient « [Ia garantie que les droits et obligations des
parties ne soient affectés que par une décision rendue sans retard excessif,
notifiée à temps et motivée » comme une composante du droit à être
équitablement entendu.” La motivation des décisions judiciaires, découlant
du principe de la bonne administration de la justice, requiert que le juge
fonde, avec clarté, son raisonnement sur des arguments objectifs.
63. La Cour note également qu’en application des directives susmentionnées,
la Commission a estimé, dans l’affaire Ai Ya c. Botswana, que le
droit à une décision motivée découle du droit d’être jugé par une juridiction
nationale compétente, conformément à l’article 7(1)(a) de la Charte.?* La
Cour européenne des droits de l'homme“ et la Cour interaméricaine des
droits de l'homme” ont également conclu à une violation du droit à une
décision motivée en se fondant sur des dispositions correspondantes de
leurs conventions respectives, qu’elles ont le devoir d’interpréter.
23 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Directives et Principes sur le droit à un procès équitable et à l'assistance judiciaire en Afrique (2001), Principes A(2)(i).
24 Ai Ya c. Botswana, Communication 313/05 (2010), AHRLR, 43 (CADHP 2010), $$ 162, 175. Voir également A/bert Yg Ys c. République démocratique du Congo, Communication 433/12 (19° session extraordinaire, 16 au 25 février 2016), $$ 58 à 67.
25 Cf c. France, CEDH (2007) ; K.K. c. France, CEDH, 10/10/2013, Requête n° 18913/11, $ 52.
26 Xg Xz et autres c. Uruguay, 13/10/2011, $$ 183 à 185.
64. La Cour observe, en l'espèce, que les Requérants remettent en cause
l'appréciation, par les juridictions internes, notamment la Haute Cour, des
éléments à charge. À cet égard, la Cour rappelle, en ce qui concerne les
questions de preuve, qu’elle a constamment considéré que :
les juridictions nationales jouissent d’une large marge d’appréciation
dans l’évaluation de la valeur probante des éléments de preuve. En
tant que juridiction internationale des droits de l’homme, la Cour ne
peut pas se substituer aux juridictions nationales pour examiner les
détails et les particularités des preuves présentées dans les
65. Nonobstant ce qui précède, lorsqu’elle examine le déroulement de la
procédure interne, la Cour peut déterminer si cette procédure, y compris
l'appréciation des éléments de preuve, a été en conformité avec les normes
internationales en matière de droits de l'homme.
66. En l'espèce, la Cour relève que les Requérants n’indiquent pas
spécifiquement quels sont les preuves qui n’ont pas été prises en compte
par les juridictions nationales. En pareille circonstance, la Cour ne peut faire
droit à la demande des Requérants relative au défaut d’examen des
preuves par les juridictions nationales.
67. De même, bien que les Requérants aient allégué que les juridictions
nationales n’avaient pas motivé le rejet de leurs moyens de défense, il
ressort du dossier qu’ils ont principalement cherché à s'appuyer sur un alibi.
Il ressort également du dossier que la Haute Cour a examiné, de manière
exhaustive, les alibis des Requérants et les a rejetés après les avoir jugés
peu plausibles. Il convient également de noter que l’arrêt de la Cour d'appel
a confirmé en toutes ses dispositions l'arrêt de la Haute Cour. La Cour
estime que, dans son appréciation des alibis des Requérants, le tribunal de
première instance a tenu compte de la charge et du niveau de preuve requis
27 Cp Bd c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 mars 2018) 2 RICA 226, $ 65.
pour établir un alibi. Elle a également motivé sa décision de ne pas tenir
compte des alibis.
68. Par conséquent, la Cour estime que les Requérants n’ont pas démontré que
les juridictions internes ont écarté leurs moyens de preuve ou qu’elles n’ont
pas motivé leur décision de ne pas tenir compte des moyens de défense
présentés avant de les condamner.
69. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l'allégation de violation de l’article
7(1) de la Charte.
ii. Allégation de violation tirée de l’admission de la preuve relative à
l’identification
70. Les Requérants soutiennent que l'identification visuelle sur le fondement de
laquelle les juridictions nationales les ont condamnés était erronée. Ils
affirment que les victimes qui ont témoigné n’auraient pas pu les identifier
de manière concluante dans la mesure où le crime et l’agression présumés
se sont produits de nuit et qu’en conséquence, les conditions d’identification
n’étaient pas favorables.
71. L’État défendeur soutient que le tribunal de première instance n’ignorait pas
les aléas inhérents à l’utilisation des preuves liées à l’identification produites
par le ministère public et s’est prémuni de tels aléas, surtout que le crime
dont les Requérants sont accusés s’est produit de nuit. I! soutient que
l'appréciation des preuves liées à l'identification par les juridictions
nationales était conforme aux lois en vigueur. Plus précisément, l’État
défendeur soutient que le tribunal d'instance a tenu compte de la distance
du point d’observation, de l'heure et du fait que les victimes connaissaient
les Requérants et ont reconnu leurs voix. Il souligne également que le
tribunal d’instance a estimé que les témoins à charge étaient crédibles et
qu’outre les preuves relatives à l’identification, il existait également des
preuves concordantes impliquant les Requérants.
72. L’État défendeur soutient que les juridictions nationales ont condamné les
Requérants après un examen approfondi et approprié de tous les moyens
de preuve. L'État défendeur estime donc que la Cour devrait s’en remettre
aux décisions des juridictions nationales dans des circonstances où les
procédures dûment établies par la législation du pays ont été respectées.
73. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle les juridictions nationales
jouissent d’une large marge d'appréciation dans l’évaluation de la valeur
probante des éléments de preuve qui leur sont présentés. En tant que
juridiction internationale des droits de l'homme, la Cour ne peut se
substituer aux juridictions nationales.
74. La Cour a considéré dans ses arrêts antérieurs qu’« un procès équitable
requiert que la condamnation d’une personne à une sanction pénale, et
particulièrement, à une lourde peine d’emprisonnement, soit fondée sur des
preuves solides ».?° Elle a jugé, en ce qui concerne l'identification visuelle,
que lorsqu'un individu est condamné sur le fondement d’une telle preuve,
tout risque éventuel d’erreur doit être exclu et l'identité du suspect doit être
établie avec certitude. Ce principe est également consacré dans la
jurisprudence de l’État défendeur || en résulte que la preuve par
identification visuelle doit être corroborée par d’autres preuves par indice et
doit décrire le lieu du crime de manière cohérente et logique.*!
75. En l’espèce, il ressort du dossier que la Haute Cour a condamné les
Requérants, en partie, sur la base de l’identification visuelle de deux
témoins à charge, également victimes du crime. Ces témoins connaissaient
les Requérants avant la commission du crime, car ceux-ci travaillaient dans
la maison des victimes/témoins et étaient leurs voisins.
28 Yj c. Tanzanie (fond), supra, S$$ 26 et 173.
29 Yj c. Tanzanie, supra, $ 174.
30 Affaire Cr Xa c. l’État (1980), TLR 250.
31 [siaga c. Tanzanie (fond), supra, $ 68.
76. || ressort du dossier que la Haute Cour a examiné les circonstances dans
lesquelles les témoins à charge auraient identifié les Requérants,
notamment l’éclairage sur le lieu du crime et le temps durant lequel les
témoins ont observé les Requérants. C’est à la suite de cette évaluation que
la Haute Cour a décidé d’écarter le témoignage de certains témoins à
charge et d’accueillir ceux fournis par d’autres témoins. Le jugement de la
Haute Cour démontre également que le juge de première instance était
pleinement conscient de l'importance pour la juridiction de disposer de
preuves liées à l’identification incontestables avant de s’y fier. La Cour
d'appel a donc confirmé le jugement de la Haute Cour en toutes ses
dispositions.
77. Dans ces circonstances, la Cour estime que les procédures suivies par les
juridictions nationales dans l’appréciation des preuves liées à l'identification
n’ont pas violé l’article 7(1) de la Charte en particulier, ni aucune norme
internationale en matière de droits de l'homme en général.
78. La Cour rejette donc l’allégation selon laquelle les juridictions internes se
sont fondées à tort sur des preuves liées à l'identification visuelle pour
déclarer les Requérants coupables.
iii. Sur l’incapacité de l’accusation de prouver la culpabilité des Requérants
79. Les Requérants allèguent que leurs droits ont été violés en ce que le
ministère public n’a pas prouvé les faits qui leur étaient reprochés au-delà
de tout doute raisonnable.
80. L’État défendeur fait valoir qu’en matière pénale, la norme de preuve est
celle qui est établie au-delà de tout doute raisonnable et que la charge de
la preuve incombe à au ministère public qui doit donc prouver la culpabilité
des prévenus au-delà de tout doute raisonnable, ce qu’elle a fait en
première instance. Il soutient, en outre, que c'est pour cette raison que la
Cour d’appel de Tanzanie a confirmé la décision de la juridiction inférieure.
81. La Cour observe que les Requérants se contentent d'affirmer que le
ministère public n’a pas prouvé leur culpabilité au-delà de tout doute
raisonnable, sans toutefois, en apporter la preuve. Ils n’ont en rien démontré
que le ministère public n’a pas prouvé leur culpabilité au-delà de tout doute
raisonnable. À l’inverse, il ressort du dossier que la Haute Cour a pris en
compte le fait que la charge de la preuve ne pèse pas sur les Requérants
et a, donc, appliqué les normes de preuve idoines pour les condamner.
82. La Cour rejette, en conséquence, l’allégation des Requérants et considère
que l’État défendeur n’a pas violé leurs droits garantis par l’article 7(1) de la
Charte.
iv. Allégations relatives à l’admission du rapport d’autopsie
83. Les Requérants allèguent que leurs droits ont été violés dans la mesure où
le rapport d’autopsie sur le fondement duquel ils ont été déclarés coupables
a été, à tort, versé au dossier, en violation de l’article 240(3) du CPP.
84. L’État défendeur fait valoir que l’argument des Requérants sur ce point est
erroné et pourrait être imputable à une « ignorance pure et simple du
droit ». Il souligne également qu’au cours de l’audience préliminaire, deux
(2) pièces à conviction, à savoir le croquis du lieu du crime et le rapport
d’autopsie, ont été versées au dossier sans que les Requérants ou leurs
avocats ne soulèvent de grief à cet égard. L'État défendeur fait valoir que le
rapport d’autopsie a été admis uniquement aux fins de confirmation du
décès de la victime et que la déclaration de culpabilité des Requérants était
fondée sur d’autres éléments de preuve fournis par le ministère public. Il
conclut donc au rejet des allégations formulées par les Requérants.
85. La Cour note que l’article 240(3) du CPP qui prévoit la procédure
d'admission des rapports du personnel médical dans les procès en matière
pénale.” La Cour relève que les Requérants, qui étaient représentés par
un avocat, n’ont jamais demandé à la Cour de citer l’auteur du rapport
d’autopsie à comparaître et de l’interroger. En outre, il ne résulte du dossier
aucune explication fournie par les Requérants afin de démontrer que
l'admission du rapport d’autopsie a entraîné une violation de leur droit à un
procès équitable. La Cour note, du reste, que le rapport d’autopsie n’a pas
été identifié comme étant le moyen sur le fondement duquel la Haute Cour
a déclaré les Requérants coupables.
86. La Cour estime donc que les allégations des Requérants relatives à
l'admission du rapport d’autopsie sont sans fondement. Elle les rejette en
conséquence et déclare que l’Etat défendeur n’a pas violé l’article 7(1) de
la Charte.
87. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l'ensemble des allégations des
Requérants relatives à la violation de leur droit à un procès équitable
protégé par l’article 7(1) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la vie
88. Les Requérants font valoir que du fait du caractère obligatoire de la peine
de mort, l’État défendeur a violé leur droit à la vie, consacré dans la
Déclaration universelle des droits de l'homme ainsi que les articles 13(6)(d)
et 14 de sa Constitution. Ils allèguent qu’en conséquence, l’État défendeur
a violé leur droit à la vie consacré à l’article 4 de la Charte.
32 Article 240(3) — « Lorsqu'un rapport visé au présent article est reçu comme preuve, le tribunal peut, s’il le juge opportun, et doit, si l'accusé ou son avocat le demande, convoquer et interroger l’auteur du rapport ou le mettre à disposition pour un contre-interrogatoire ; et le tribunal informe l'accusé de son droit de demander que l’auteur du rapport soit cité à comparaître conformément aux dispositions du présent alinéa ».
89. L’État défendeur fait valoir que la Haute Cour et la Cour d’appel n’ont en
rien violé les articles 13(6)(d) et 14 de sa Constitution, dans la mesure où
dans son organisation judicaire, la Cour d’appel est la plus haute la
juridiction, en vertu de l’article 107A(1) de la Constitution. Il fait, en outre,
valoir que la peine de mort est une peine légale en cas de meurtre,
conformément à l’article 197 de son Code pénal et que ladite peine a été
confirmée par sa Cour d’appel comme étant conforme à sa Constitution.
90. La Cour souligne que l’article 4 de la Charte dispose : « [Ia personne est
inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité
physique et morale de sa personne : Nul ne peut être privé arbitrairement
de ce droit ».
91. La Cour rappelle la jurisprudence internationale des droits de l'homme
relative aux critères d'appréciation du caractère arbitraire de la peine de
mort,S à savoir, l’existence ou non d’un fondement légal à la peine de mort,
le prononcé de ladite peine par un tribunal compétent et la régularité de la
procédure ayant abouti à la condamnation à la peine de mort.
92. S'agissant du premier critère, la Cour note que la peine de mort est prévue
par l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur.3% Cette condition est
donc remplie en l’espèce.
93. En ce qui concerne le deuxième critère, la Cour observe que les griefs
soulevés par les Requérants ne portent pas sur l’incompétence de l’État
défendeur pour engager les procédures qui ont abouti au prononcé de la
peine de mort à leur encontre. La Cour observe, en outre, que les
33 Voir International Pen et autres (au nom de AIB c. Ac, Communications n°° 137/94, 139/94, 154/96, 161/97 (2000) AHRLR 212 (CADHP 1998), 88 1 à 10 et 8 103 ; Aj of Conscience c. Ad Br, Communication n° 223/98 (2000) 293 (CADHP 2000), 8 20 ; voir article 6(2), PIDCP ; et Xs Yd c. St Vincent et les Grenadines, Communication n° 806/1998, U.N. n° 806/1998, U.N. Doc. CCPR/C7010/806/1998 (2000) (U.N.H.C.R.), 8.2 ; voir également Bv Al et autres c. République-Unie de Tanzanie, (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 562, 8 104.
34 « Toute personne reconnue coupable de meurtre sera condamnée à la peine de mort ».
Requérants soutiennent plutôt que la Haute Cour ne pouvait que prononcer
la peine de mort dans la mesure où celle-ci est prévue par la loi comme
peine obligatoire en cas de meurtre. En tout état de cause, la Cour note que
la Haute Cour de l’État défendeur est la juridiction compétente pour
connaître des infractions passibles de la peine de mort. La Haute Cour a,
en effet, aussi bien une compétence de première instance que d’appel en
matière civile et pénale, conformément à l’article 3(2)(a) du Code de
procédure pénale et à l’article 107(1)(a) de la Constitution de l’État
défendeur. Il s'ensuit que la peine a été prononcée par la juridiction
compétente et que ce deuxième critère est également rempli.
94. Quant au troisième critère, la Cour rappelle sa conclusion dans l'affaire A//y
Al et autres c. République-Unie de Tanzanie selon laquelle la peine de
mort ne peut être imposée qu’à l'issue d’une procédure qui s’est conformée
aux normes d’un procès équitable.35 À cet égard, elle a jugé que « toute
sanction doit être prononcée par une juridiction indépendante en ce sens
qu’elle conserve toute discrétion pour statuer sur les questions de fait et de
droit ».°° La Cour estime que le fait de priver un juge du pouvoir
discrétionnaire de prononcer une peine en appliquant le principe de la
proportionnalité et en tenant compte de la situation particulière d’une
personne reconnue coupable, rend la peine de mort obligatoire non
conforme aux exigences d’une procédure pénale régulière.°”
95. En l'espèce, la Cour constate que la condamnation à la peine de mort
obligatoire en vertu de l’article 197 du code pénal de l’État défendeur et son
application automatique par la Haute Cour dans le cas des Requérants n’est
pas conforme au principe d'équité et de régularité de la procédure. Elle est
donc constitutive d’une privation arbitraire du droit à la vie.
35 Al et autres c. Tanzanie, ibid, $ 98.
96. La Cour a jugé dans ses arrêts précédents* que la peine de mort obligatoire
constitue une violation du droit à la vie et qu’elle devrait, en conséquence,
être abrogée du code pénal de l’État défendeur.
97. En ce qui concerne la peine de mort obligatoire et son application, la Cour
relève que le juge de première instance a pris en compte les limites que lui
imposait l’article 197 du code pénal de l’État défendeur et s’est prononcé
comme suit :
la seule peine prévue en cas de meurtre est la peine de mort. Ce type de
peine a été critiqué par de nombreuses personnes, notamment des avocats,
des groupes de défense des droits de l'homme, etc. Il n’est pas besoin que
je m’étende sur le sujet, mais étant donné que le pays est en passe de se
doter d’une nouvelle Constitution, je pense qu’il est grand temps que l’on
réfléchisse à une peine alternative à imposer aux personnes qui commettent
des infractions passibles de la peine de mort.
98. La Cour précise, du reste, que la motivation du juge de première instance
renvoie aux mêmes problèmes fondamentaux qu’elle a relevés concernant
le caractère obligatoire de la peine de mort dans l’État défendeur.
99. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur a violé
l’article 4 de la Charte du caractère obligatoire de la peine de mort
prononcée à l’encontre des Requérants.
C. Violation alléguée du droit à la dignité
100. Les Requérants allèguent que l’État défendeur a violé leur droit à la dignité
en raison de la peine de mort obligatoire prononcée à leur encontre et du
mode d’exécution de ladite peine prescrit dans l’État défendeur, à savoir la
pendaison.
3 Ibid, 88 104 à 114. Voir également Ax Bs c. République-Unie de Tanzanie, CAÏDHP, Requête n° 024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021, 88 120 à 131 et Bm AM Yh, supra, 8 160.
3° Ar Cu c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations), CAfDHP, Requête n° 012/2019, Arrêt du 1°" décembre 2022, $ 65.
101. L'État défendeur conclut au rejet de l’allégation des Requérants pour défaut
de fondement. Il soutient également que les Requérant n’apportent
« aucune preuve ni n’allèguent que leur dignité a été violée au cours de
l'enquête, de leur détention ou de l’exécution de leur peine ».
102. La Cour souligne que l’article 5 de la Charte dispose :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la
personne humaine et à la reconnaissance de sa
personnalité juridique. Toutes formes d'exploitation et
d’avilissement de l'homme notamment l’esclavage, la traite
des personnes, la torture physique ou morale, et les peines
ou les traitements cruels innumains ou dégradants sont
interdites.
103. La Cour rappelle que la question de l’exécution de la peine de mort par
pendaison dans l’État défendeur a déjà été examinée.“ Étant donné qu’il
n’existe aucune information laissant entrevoir un quelconque changement
de la situation juridique dans l’État défendeur, la Cour réitère sa
jurisprudence selon laquelle l’application de la peine de mort par pendaison
est « dégradante par nature » et « porte atteinte à la dignité eu égard à
l'interdiction […] des traitements cruels, innumains et dégradants ».#
104. La Cour considère donc que l’exécution de la peine de mort par pendaison,
constitue une violation du droit à la dignité, protégé par l’article 5 de la
Charte.
105. Dans ces circonstances, la Cour considère donc que l’État défendeur a violé
l’article 5 de la Charte.
# Al et autres c. Tanzanie, ibid., $$ 119 et 120 ; Bm AM Yh, ibid., $$ 169 et 170 et Bs AM Yh, ibid., S$ 135 à 136.
*! Al c. Tanzanie (fond et réparations), supra, SS 119 et 120.
D. Violation alléguée du droit à la non-discrimination
106. Les Requérants allèguent que le déroulement de la procédure pénale
interne ouverte contre eux a donné lieu à une grave violation de leurs droits
fondamentaux protégés par l’article 2 de la Charte.
107. L'État défendeur soutient que la Haute Cour et la Cour d’appel ont examiné
en toute équité tous les moyens de preuve produits à l’encontre des
Requérants avant de conclure à leur culpabilité. Il soutient que les
Requérants ont été déclarés coupables dès lors que les témoins à charge
ont été jugés crédibles et que la Haute Cour a, en conséquence, reçu leur
témoignage. L'État défendeur demande donc à la Cour de rejeter les
allégations des Requérants comme mal fondées.
108. L'article 2 de la Charte est libellé comme suit :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte sans distinction aucune,
notamment de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation.
109. Dans l’affaire Commission africaine des droits de l'homme et des peuples
c. République du Kenya,*? la Cour a jugé que :
L'article 2 de la Charte est péremptoire en ce qui concerne la
jouissance de tous les autres droits et libertés protégés par la Charte.
# Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond), $8 137 à 138.
Cette … disposition interdit strictement toute distinction, toute exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la religion, l’opinion politique, l’origine nationale ou sociale, qui a pour effet d'annuler ou de compromettre l’égalité de chances ou de traitement.
La notion de droit à la non-discrimination va au-delà du droit à
l’égalité de traitement devant la loi et revêt également des dimensions
pratiques en ce sens que les individus doivent, concrètement, pouvoir
jouir des droits consacrés par la Charte sans distinction d'aucune sorte
liée à leur race, leur couleur, leur sexe, leur religion, leurs opinions
politiques, leur origine nationale ou sociale, ou toute autre situation.
110. En ce qui concerne la preuve de la violation de l’article 2 de la Charte, la
Cour rappelle sa conclusion dans l’affaire Ci Bg Bw c.
République-Unie de Tanzanie selon laquelle « des affirmations d’ordre
général selon lesquelles [un] droit a été violé ne sont pas suffisantes. Des
preuves plus concrètes sont requises ».*° Toute allégation de violation de
l’article 2 de la Charte doit être étayée par d’éléments prouvant à suffisance
111. La Cour observe, en l'espèce, que les Requérants font des affirmations
d’ordre général sans fournir la moindre preuve pour étayer leurs allégations.
La Cour rejette donc leurs allégations relatives à la violation du droit à la
non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte.
E. Violation alléguée du droit à l’égalité devant la loi et à une égale protection
de la loi
112. Dans leur réplique à la réponse de l'Etat défendeur, les Requérants
demandent à la Cour de conclure que l'Etat défendeur « a violé les droits
des requérants prévus à l'article 3 de la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples ». En dehors de cette allégation générale, les
requérants n'apportent toutefois aucune preuve quant à la manière dont le
% (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 381, $ 51.
#4 Xw Cy c. République-Unie de Tanzanie (fond) (21 septembre 2018) 1 RJCA 415, $ 75.
comportement de l'État défendeur a violé leurs droits protégés à l'article 3
de la Charte.
113. L'Etat défendeur ne conclut pas sur l’allégation de violation de l’article 3 de
la Charte.
114. L'article 3 de la Charte dispose : « 1. Toutes les personnes bénéficient d’une
totale égalité devant la loi. 2. Toutes les personnes ont droit à une égale
protection de la loi. »
115. Dans sa jurisprudence, la Cour a constamment rappelé qu'il incombe au
requérant alléguant une violation de l'article 3 de démontrer en quoi le
comportement de l'État défendeur a porté atteinte aux garanties d'égalité et
d'égale protection de la loi, de sorte à justifier qu’il soit conclu à une violation
de cette disposition.**
116. En l'espèce, les Requérants pas montré en quoi l'Etat défendeur a violé
l'article 3 de la Charte, mais se sont plutôt contentés d'une allégation
générale. Comme la Cour l'a constamment rappelé, des allégations de
violation générales ne suffisent pas à conclure à une violation.*é
117. En conséquence, la Cour considère que l’Etat défendeur n'a pas violé
l’article 3 de la Charte.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
118. La Cour relève qu'aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « [IJorsqu’elle
estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour
45 Yi AM Yh (fond), supra, $ 140.
46 Ap c. Tanzanie (arrêt), supra, $ 129.
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y
compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d’une
réparation ».
119. Conformément à la jurisprudence de la Cour, pour que des réparations
soient accordées, la responsabilité de l’État défendeur doit être établie au
regard du fait illicite. Deuxièmement, le lien de causalité doit être établi entre
l’acte illicite et le préjudice allégué. Enfin, lorsqu’elle est accordée, la
réparation doit couvrir l'intégralité du préjudice subi.
120. La Cour rappelle, par ailleurs, qu’il incombe au requérant de fournir des
éléments de preuve pour justifier ses demandes.*’ En ce qui concerne le
préjudice moral, la Cour a décidé que la règle de la preuve n’est pas aussi
rigide, car le préjudice moral est présumé en cas de violation.“®
121. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l'homme peuvent inclure : la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
122. En l’espèce, la Cour a jugé que l’État défendeur a violé les droits des
Requérants à la vie et à la dignité protégés respectivement par les articles
4 et 5 de la Charte. La Cour considère donc que la responsabilité de l’État
défendeur a été établie et que les Requérants ont droit à des réparations.
#7 Ai Aw et autres c. Rwanda (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 680, 8 139 ; Voir également Xm Cx Bj Yr c. Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 40 ; Aa Xq Xe c. Yl As (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 8 15(d) et Ak c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 97.
# Al et autres c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 136 ; Be c. Tanzanie (fond et réparations), 8 55 ; Lucien lkili Xn République-unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 13, 8 119 ; Xu et autres c. Yl As (réparations), supra, 8 55.
#9 Am Cc Ye c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 20. Voir également Ak c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 96.
A. Réparations pécuniaires
123. Les Requérants sollicitent des réparations pécuniaires et non pécuniaires
en tant que victimes de violations des droits de l'homme.
i. Préjudice matériel
124. Les Requérants soutiennent qu’ils étaient engagés dans des activités
commerciales et disposaient d’autres sources de revenus qui ont été mises
à mal par leur condamnation et incarcération. Ils allèguent en particulier
qu’ils entreprenaient des activités agricoles et que chacun d’entre eux en
tirait au moins trois cent cinquante mille (350.000) shillings tanzaniens par
mois. Ils affirment que la somme réclamée en l’occurrence est destinée à
les dédommager de la perte de leurs activités consécutive à leur
incarcération.
125. Subsidiairement, les Requérants réclament, sans toutefois fournir
d'éléments justificatifs, la somme de dix mille (10 000) dollars EU, au titre
de la perte de revenus.
126. L’État défendeur conclut au débouté.
127. La Cour rappelle qu’en matière de préjudice matériel, les Requérants
doivent prouver non seulement la perte subie, mais également le lien de
causalité entre les violations alléguées et la perte invoquée.” En l'espèce,
la Cour observe que les Requérants n’ont pas prouvé le quantum de leurs
revenus, ni établi le lien entre les violations constatées et le préjudice
allégué. Aucun élément de preuve des revenus mensuels allégués n’a, non
plus, été fourni à la Cour pour étayer leurs affirmations.
(réparations), $ 20.
128. La Cour rejette donc les demandes formulées par les Requérants au titre
du préjudice matériel.
ii. Préjudice moral
129. En ce qui concerne le préjudice moral, les Requérants affirment avoir subi
«un tort, éprouvé des douleurs et des souffrances, notamment une
angoisse mentale, une humiliaton et un sentiment d’injustice » et
demandent donc réparation. Plus précisément, ils soulignent qu’ils ont
enduré dix-huit (18) années d’emprisonnement et que leur projet de vie a
été totalement perturbé du fait de leur incarcération. Les Requérants
réclament, en outre, la somme de trente mille (30.000) dollars EU pour eux-
mêmes et huit mille (8 000) dollars EU pour chacune des victimes indirectes
en réparation du préjudice moral subi.
130. L’État défendeur conclut au débouté.
131. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle le préjudice moral est
présumé en cas de violation des droits de l'homme, et l'évaluation du
montant de la réparation y relative devrait se faire sur la base de l’équité,
en tenant compte des circonstances particulières de chaque affaire.5! À cet
égard, la Cour a constamment alloué une somme forfaitaire.°?
132. La Cour souligne qu’elle a jugé que l’État défendeur a violé le droit à la vie
et le droit à la dignité des Requérants. Elle estime donc que les Requérants
5! Xu et autres c. Yl As (réparations), supra, $ 55 ; Ye c. Rwanda (réparations), supra, $ 59 et Cm AM Yh, supra, $ 23.
52 Xn c. Tanzanie (fond et réparations), supra, $ 119 ; Evarist c. Tanzanie (fond), supra, S$$ 84 à 85 et Be c. Tanzanie (fond et réparations), supra, S$ 177.
ont subi un préjudice moral et qu’ils ont, en conséquence, droit à des
réparations à ce titre.
133. La Cour note également que la perturbation du projet de vie des Requérants
est consécutive à leur incarcération. Toutefois, n'ayant pas établi l’ilégalité
de leur condamnation, la Cour ne saurait, par conséquent, leur accorder de
réparation pour les préjudices subis du fait de l’incarcération elle-même.
134. Dans le même ordre d’idée, la Cour note que les Requérants n’ont pas
prouvé leur lien de parenté ou d'alliance avec les présumées victimes
indirectes. La Cour rejette en conséquence la demande de réparation des
Requérants au titre du préjudice moral subi par les victimes indirectes.
135. Au regard de tout ce qui précède, et conformément à sa jurisprudence
constante, la Cour octroie à chacun des Requérants la somme de trois cent
mille (300 000) de shillings tanzaniens, à titre de réparation du préjudice
moral subi.
B. Réparations non pécuniaires
136. Les Requérants demandent à la Cour d'annuler la peine de mort prononcée
à leur encontre et de les retirer du couloir de la mort. Ils demandent
également à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de les remettre en liberté
et de modifier sa législation afin de garantir le respect du droit à la vie.
i. Révision de la loi
137. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de
modifier ses lois afin de garantir la protection du droit à la vie, inscrit à
l’article 4 de la Charte, en abrogeant le caractère obligatoire de la peine de
mort, prévue pour les cas de meurtre.
138. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
139. La Cour rappelle que, dans des affaires qui requièrent de telles mesures,
elle a ordonné aux États parties de réviser leur législation pour la rendre
conforme à la Charte. À titre d’exemple, elle a ordonné à l’État défendeur
de « prendre toutes les mesures constitutionnelles, législatives et autres
dispositions utiles, dans un délai raisonnable, afin de mettre fin aux
violations constatées et de rendre compte à la Cour des mesures prises à
cet égard ».°° Dans une autre affaire, la Cour a ordonné au Yl As
de « modifier sa législation sur la diffamation afin de la rendre conforme
avec l’article 9 de la Charte, l’article 19 du Pacte et avec l’article 66(2)(c) du
Traité révisé de la CEDEAO ».°* Elle a adopté une approche similaire dans
les affaires Association pour la Protection des Droits des Femmes (APDF)
et Institute for Yk Xo and Development in Xd YAKB c.
République du Mal#* et Ah Bw c. République Unie de Tanzanie.°©
140. Ayant constaté que les dispositions relatives à l’application obligatoire de la
peine de mort et à son mode d'exécution, à savoir la pendaison, violent la
Charte, la Cour ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
constitutionnelles et législatives nécessaires, dans un délai de six (6) mois
à compte de la date de signification du présent Arrêt, afin de modifier les
dispositions de son Code pénal et de les rendre conformes à la Charte, de
manière à mettre fin aux violations qui ont été constatées en l'espèce.
141. Les Requérants soutiennent qu’ « ils ne pourront retrouver la situation qui
était la leur avant leur incarcération mais une mesure de remise en liberté
53 Ag Bc Xf et autres c. Tanzanie (fond), supra, $ 126.
54 Xe c. Yl As (fond), supra, $ 176.
55 APDF et AK c. République du Mali (fond et réparations) (11 mai 2018) 2 RICA 393, $ 130.
56 Bw c. Tanzanie, supra, S$ 118.
leur serait bénéfique tout comme la prise en compte du temps qui s’est
écoulé depuis la perpétration de l'infraction alléguée serait une deuxième
meilleure mesure ».
142. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
143. La Cour rappelle, s'agissant de la demande de remise en liberté, qu’elle ne
peut ordonner une telle mesure que s’il existe des circonstances
impérieuses. La Cour observe que son arrêt ne porte que sur la peine
prononcée à l'encontre des Requérants, ce qui n’affectent nullement la
déclaration de leur culpabilité. La demande de remise en liberté n’est donc
pas justifiée. La Cour la rejette, en conséquence.
144. La Cour considère cependant que, même si la demande de remise en
liberté des Requérants n’est pas justifiée, ceux-ci ont été condamnés à mort
en vertu d’une loi qui écarte le pouvoir d'appréciation des juridictions
internes en ce qui concerne ladite peine. Étant donné que la Cour a estimé
que le caractère obligatoire de la peine de mort est contraire à la Charte, il
est nécessaire que la Cour ordonne une mesure à cet égard.
145. Par conséquent, la Cour ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les
mesures nécessaires pour juger à nouveau l’affaire en ce qui concerne la
condamnation des Requérants par le biais d’une procédure qui ne prévoit
pas l'imposition obligatoire de la peine de mort et qui maintient le pouvoir
d'appréciation du juge.
iii. Publication
146. Les Parties n’ont pas conclu sur ce point.
147. La Cour estime toutefois que, conformément à sa jurisprudence constante,
et compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, la publication
du présent Arrêt se justifie. Dans la législation actuelle de l’État défendeur,
des menaces à la vie inhérentes au caractère obligatoire de la peine de
mort subsistent. La Cour note que rien n'indique que les mesures
nécessaires ont été prises pour réviser la loi et la rendre conforme aux
obligations internationales de l’État défendeur. La Cour estime donc qu’il y
a lieu d’ordonner la publication du présent Arrêt dans un délai de trois (3)
mois à compter de la date de sa signification.
iv. Mise en œuvre et soumission de rapports
148. À l’exception d’une demande tendant à ce que la Cour ordonne toutes
autres mesures qu’elle juge appropriées à titre de réparation, les Parties
n’ont pas formulé de demandes spécifiques concernant la mise en œuvre
et la soumission de rapports.
149. La mesure de publication de l’arrêt, ordonnée d'office par la Cour, s'applique
également à la mise en œuvre et à la soumission de rapports. S'agissant
particulièrement de la mise en œuvre, la Cour relève que, dans ses
précédents arrêts ordonnant l’abrogation de la disposition relative au
caractère obligatoire de la peine de mort, elle a enjoint à l’État défendeur
de mettre en œuvre les décisions dans un délai d’un (1) an à compter de
150. La Cour observe, en l’espèce, que la violation du droit à la vie, du fait du
caractère obligatoire de la peine de mort ne s'applique pas uniquement aux
Requérants et revêt un caractère systémique. || en va de même pour la
violation découlant de l’exécution de ladite peine par pendaison. La Cour
relève, en outre, que sa conclusion dans le présent Arrêt porte sur un droit
suprême protégé par la Charte, à savoir le droit à la vie.
57 Al c. Tanzanie (fond), supra, S 171 et Bm AM Yh (fond), supra, $ 203.
151. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il convient d’ordonner à l’État
défendeur de lui soumettre périodiquement un rapport sur la mise en œuvre
du présent Arrêt, conformément à l’article 30 du Protocole, en y indiquant
les mesures prises pour abroger la disposition contestée de son code pénal.
152. La Cour constate que l’État défendeur ne lui a communiqué aucune
information sur la mise en œuvre des arrêts dans lesquels elle lui a ordonné
d’abroger le caractère obligatoire de la peine de mort. Du reste, les délais
de mise en œuvre sont arrivés à expiration. Compte tenu de ce fait, la Cour
considère toujours que les mesures se justifient du moment qu’elles
constituent des mesures de protection individuelle et une réaffirmation
générale de l’obligation et de l’urgence pour l’État défendeur d’abroger le
caractère obligatoire de la peine de mort et de prévoir des mesures de
substitution. La Cour ordonne donc à l'État défendeur de lui soumettre un
rapport sur les mesures prises en vue de mettre en œuvre le présent Arrêt
dans un délai de six (6) mois à compter de la date de sa signification.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
153. Chaque Partie demande à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge de l’autre. Les Requérants demandent, en outre, à la Cour
d’ordonner le remboursement des frais de transport et de papeterie, à
hauteur de cing-cents (500) dollars EU, encourus dans le cadre de la
procédure devant elle.
154. Conformément à la règle 32(2) du Règlement, « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
155. En ce qui concerne la demande des Requérants, la Cour relève qu’ils sont
représentés devant elle par la East Xd Bc Xf (EALS) dans le cadre
de son programme d'assistance judiciaire gratuite. La Cour précise, du reste, que le programme d'assistance judiciaire couvre les frais et dépenses
encourus par la EALS dans le cadre de la représentation des Requérants.
156. La Cour estime qu’il n’existe aucune raison de déroger au principe posé par
ce texte et ordonne, en conséquence, que chaque Partie supporte ses frais
de procédure.
X. DISPOSITIF
157. Par ces motifs,
LA COUR,
À l'unanimité :
Sur la compétence
Sur la recevabilité
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’Etat défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à la
non-discrimination garanti par l’article 2 de la Charte ;
vi. Dit que l’Etat défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à
l’égalité devant la loi et à une égale protection de la loi protégé à
l’article 3 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit des Requérants à un
procès équitable protégé à l’article 7(1) de la Charte ;
À la majorité de huit (8) voix pour et deux (2) voix contre,
viii. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la vie des Requérants,
protégé par l’article 4 de la Charte en raison de la peine de mort
obligatoire prononcée à l’encontre des Requérants ;
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la dignité des Requérants,
protégé par l’article 5 de la Charte en imposant la pendaison
comme mode d'exécution de la peine de mort.
À l’unanimité,
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
x. Rejette les demandes de réparations formulées par les Requérants
au titre du préjudice matériel ;
xi. Rejette la demande de réparations formulées pour le compte des
victimes indirectes ;
xii. Ordonne à l’État défendeur de verser à chacun des Requérants la
somme de trois cent mille (300 000) de shillings tanzaniens à titre
de réparation du préjudice moral qu’ils ont subi ;
xiii. Ordonne à l’État défendeur de payer le montant indiqué au point
(ix) en franchise d’impôt dans un délai de six (6) mois, à compter de
la signification du présent Arrêt. À défaut, il sera tenu au paiement
d'intérêts moratoires calculés sur la base du taux applicable de la
Banque centrale de Tanzanie pendant toute la période de retard de
paiement et jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
Réparations non-pécuniaires
xiv. Rejette la demande de remise en liberté des Requérants ;
xv. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
constitutionnelles et législatives nécessaires, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de signification du présent Arrêt, afin
de réviser les dispositions de son Code pénal et de les rendre
conformes à la Charte, de manière à mettre fin aux violations qui
été constatées en l’espèce ;
xvi. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai d’un (1) an à compter de la signification
du présent Arrêt, afin de juger à nouveau l'affaire impliquant les
Requérants, dans le cadre d’une procédure qui ne prévoit pas
l’application obligatoire de la peine de mort et qui maintient le
pouvoir d’appréciation du juge ;
xvii. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dans un délai
de six (6) mois à compter de la date de sa signification, sur le site
Internet de la magistrature et du Ministry for Constitutional and
By Ae, et de veiller à ce qu’il y reste accessible pendant au
moins un (1) an après la date de sa publication.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xviii. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre un premier rapport
sur la mise en œuvre du présent Arrêt, dans un délai de six (6) mois,
à compter de sa signification, puis des rapports tous les six (6) mois,
jusqu’à ce que la Cour considère le présent Arrêt entièrement mis
en œuvre.
Sur les frais de procédure
xix. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fait fruse
Ben KIOKO, Juge ; VS
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Lys Grp lan
Chafika BENSAOULA, Juge ; GE
Blaise TCHIKAYA, Juge ES
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eur am |
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge Sa Æ @.
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la Règle 70(3) du Règlement, les déclarations des Juges Blaise TCHIKAYA et Dumisa B. NTSEBEZA sont jointes au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce treizième jour du mois de février de l’année deux-mille vingt-quatre, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.