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04/06/2024 | CADHP | N°051/2016

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 04 juin 2024, 051/2016


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AL AM
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 051/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS..
IV DEMANDES DES PARTIES...
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle .
B Sur les autres aspects de la compétence …

10
VI SUR LA RECEVABILITÉ 11
A Sur l’exception tirée du non-épuisement de...

AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AL AM
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 051/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS..
IV DEMANDES DES PARTIES...
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle .
B Sur les autres aspects de la compétence … 10
VI SUR LA RECEVABILITÉ 11
A Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 12
B Sur l’exception tirée de l’introduction de la Requête dans un délai non
raisonnable 14
C Sur les autres conditions de recevabilité 16
VII SUR LE FOND 17
A Violation alléguée du droit à un procès équitable 18
! Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
18
Il Violation alléguée du droit à la défense 24
iïi Violation alléguée du droit à la présomption d’innocence 32
Violation alléguée du droit à la vie 36
Violation alléguée du droit à la dignité 43
Sur l'interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants 44
Il Sur la détention du Requérant dans le couloir de la mort 45
iïi Sur les conditions de détention déplorables du Requérant 47
D Violation alléguée du droit au bénéfice de services consulaires 50
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS 53
A Sur les réparations pécuniaires 55
! Préjudice matériel 55
Il Préjudice moral 55
B Sur les réparations non pécuniaires 57 i. Sur la modification de la loi pour garantir les droits à la vie et à la dignité
ii. Sur la remise en liberté .…….….…...…....…..……...…...……ereenenençnnnnnnnnnnn 58
ii. — Sur le réexamen de l’affaire.……….….….….….….…..…...…rrerereneneanennntannnnnn 59
v. Sur la mise en œuvre et la soumission de rapport ……...…………..……..……….…….…. 61
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE ……….……….………………rrcericrrrerenecennrnren serres 62
DISPOSITIF La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour“ (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
AL AM
représenté par :
Maître William ERNEST,
Associé principal du cabinet Bill & Af Yn,
Arusha (Tanzanie)
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii Dr Yz Yy AO, By Xo, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Cg Cj AG, By Xo adjointe, Bureau du
Solicitor General ;
ii. Mme Ba C, Directrice adjointe aux droits de l'homme, Principal
State Yh, Cabinet de l’Yh Xo ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
iv. M. Zb Al, Ambassadeur, Chef de l’Unité juridique, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération internationale ;
v. Mme Bx Z, Yo State Yh, Cabinet de l’Yh Xo ;
vi. Mme Ak AH, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine ; et
vii. M. Ah AK, Fonctionnaire chargé des services extérieurs, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine ;
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur AL AM Yci-après dénommé «le Requérant ») est un
ressortissant burundais résidant en Tanzanie, qui, au moment de
l'introduction de la présente Requête, était incarcéré à la prison centrale de
Butimba à Bf YYqB, en attente de l’exécution de la peine de mort
prononcée à son encontre pour meurtre. En avril 2020, ladite peine a été
commuée en réclusion à perpétuité par grâce présidentielle. Le Requérant
allègue la violation de ses droits dans le cadre de la procédure devant les
juridictions nationales, malgré la commutation de sa peine comme indiquée
ci-dessus.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Yq Yci-après
dénommée «l’État défendeur»), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la
« Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34 (6)
du Protocole (ci-après désignée «la Déclaration »), par laquelle elle
accepte la compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant
d'individus et d’organisations non gouvernementales dotés du statut
d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée « la Commission »). Le 21 novembre 2019,
l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a décidé que
le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence sur les affaires
pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant la prise
d’effet du retrait un (1) an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le
22 novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que, le 8 juillet 2004, le Requérant a volontairement
commis un homicide sur la personne du dénommé Bi Ch. Dans
l’affaire pénale n° 20 de 2008, il a été reconnu coupable de meurtre par la
Haute Cour siégeant à Ax et condamné à mort par pendaison, le 25
juin 2012.
4. Par la suite, dans l’appel n 182 de 2013 devant la Cour d'appel, il a formé
un recours contre la déclaration de culpabilité et la peine prononcées à son
encontre, lequel a été rejeté dans son intégralité le 25 septembre 2013.
5. En avril 2020, la peine de mort prononcée à son encontre a été commuée
en réclusion à perpétuité.
B. Violations alléguées
6. Le Requérant allègue la violation, par l’État défendeur, de ses droits
suivants :
2 Xi Ae Cw c. République-Unie de Yq Yarrêt) (26 juin 2020), 4 RICA 219, 8 38.
i. le droit à un procès équitable, protégé par l’article 7 de la Charte, en
particulier, le droit à la défense et le droit à la présomption d’innocence,
jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
ii. le droit à la dignité, protégé par l’article 5 de la Charte, en le condamnant
à mort par pendaison ;
iii. le droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte, en prononçant à son
encontre la peine de mort obligatoire ;
iv. le droit à une assistance consulaire, protégé par l’article 36 de la
Convention de Vienne sur les relations consulaires (CVRC).
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. La Requête introductive d'instance a été déposée au Greffe le 1°"
septembre 2016 et communiquée à l’État défendeur le 16 novembre 2016.
L’État défendeur a déposé sa réponse le 17 mai 2017.
8. Le 16 mai 2018, la Cour a fait droit à la demande de la Xs Ye
Law Xz de fournir une assistance judiciaire gratuite au Requérant. La
Xs Ye Law Xz a déposé des conclusions modifiées qui ont
été communiquées à l’État défendeur aux fins de réponse. Malgré plusieurs
prorogations de délai, l’État défendeur n’y a pas donné suite.
9. Le 21 juillet 2023, la Cour a accordé à l’État défendeur un ultime délai de
trente (30) jours pour déposer sa réponse.
10. Les 15 et 21 août 2023 respectivement, l’État défendeur a déposé une
demande aux fins de communication de la copie du dossier, et a sollicité
un délai supplémentaire de quatorze (14) jours pour déposer sa réponse.
11. Le 22 août 2023, le Greffe a informé l’État défendeur que la Cour avait fait
droit à sa demande de prorogation de délai de quatorze (14) jours. À
l'expiration dudit délai, l’État défendeur n’a pas déposé sa réponse.
12. Le 5 septembre 2023, les débats ont été clôturés et les Parties en ont été
informées.
13. Le 13 septembre 2023, le Greffe a reçu la réponse de l’État défendeur aux
conclusions modifiées. Le 27 octobre 2023, le Greffe a informé les Parties
de la décision de la Cour de rouvrir les débats dans l’intérêt de la justice et
de prendre en compte les conclusions de l’État défendeur déposées hors
délai. Le 31 octobre 2023, ladite réponse a été également transmise au
Requérant aux fins de réplique dans les quatorze (14) jours.
14. Le 12 novembre 2023, le Greffe a reçu la demande du Requérant sollicitant
un délai supplémentaire de trois (3) mois pour déposer sa réplique. Le 16
novembre 2023, le Greffe a informé les Parties que la Cour avait décidé
d'accorder au Requérant un délai supplémentaire de 45 jours pour déposer
sa réplique à la réponse de l’État défendeur aux conclusions modifiées.
15. Le 29 décembre 2023, le Greffe a reçu la réplique du Requérant et l’a
transmise à l’État défendeur, le 4 janvier 2024, pour information.
16. Le 26 janvier 2024, les débats ont été clôturés et les Parties en ont été
informées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
17. Le Requérant sollicite de la Cour qu’elle se prononce comme suit :
i. Dire et juger que l’État défendeur a violé les droits du Requérant
protégés par les articles 4, 5 et 7 de la Charte et 36 de la CVRC ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de prendre les mesures appropriées pour
remédier aux violations des droits du Requérant protégés par la Charte ;
ii. Ordonner à l’État défendeur de procéder à sa remise en liberté ;
iv. Ordonner à l’État défendeur de lui verser un montant que la Cour jugera
approprié, à titre de réparation.
18. L'État défendeur demande quant à lui à la Cour de :
ii Dire et juger qu’elle n’est pas compétente pour connaître de la
Requête ;
ii. Dire et juger que la Requête ne remplit pas les conditions de recevabilité
énoncées à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour° ;
iii. Dire et juger que la requête ne remplit pas les conditions de recevabilité
énoncées à l’article 40(6) du Règlement intérieur de la Cour* ;
iv. Dire et juger que la Requête ne remplit pas les conditions de recevabilité
énoncées à l’article 56(3), (4), (6) et (7) de la Charte ;
v. Déclarer la Requête irrecevable ;
vi. Rejeter la Requête conformément à l’article 38 du Règlement intérieur
de la Cour” ;
vii. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente requête à la charge
du Requérant.
19. L'État défendeur demande, en outre, à la Cour de :
i. Dire et juger qu’il n’a pas violé l’article 2 de la Charte ;
ii. Dire et juger qu’il n’a pas violé l’article 3(1) de la Charte ;
iii. Dire et juger qu’il n’a pas violé l’article 3(2) de la Charte ;
iv. Dire et juger qu’il n’a pas violé les droits du Requérant protégés par les
articles 4, 5 et 7 de la Charte et par l’article 36 de la CVRC ;
v. Rejeter la requête pour défaut de fondement ;
vi. Rejeter les demandes du Requérant ;
vii. Mettre les frais de procédure relatifs à la présente Requête à la charge
du Requérant.
V. SUR LA COMPÉTENCE
20. La Cour observe que l’article 3 du Protocole dispose :
3 Règle 50(2)(e) du Règlement du 25 septembre 2020.
4 Règle 50(2)(f) du Règlement du 25 septembre 2020.
5 Règle 48 du Règlement du 25 septembre 2020.
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
21. La Cour observe, en outre, qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
elle «procède à un examen préliminaire de sa compétence [...]
conformément à la Charte, au Protocole et au [.…] Règlement ».6
22. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer,
le cas échéant, sur les exceptions soulevées.
23. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’incompétence
matérielle au moyen qu’il est demandé à la Cour de siéger en tant que
juridiction d’appel sur les décisions rendues par sa Cour d’appel. La Cour
statuera sur ladite exception avant de se prononcer, si nécessaire, sur les
autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
24. L'État défendeur soutient que la compétence de la Cour de céans est régie
par les articles 3(1) du Protocole et 26 du Règlement” qui ne confèrent pas
à la Cour la compétence de siéger en tant que juridiction d’appel après que
sa Cour d'appel a tranché définitivement une affaire.
25. L'État défendeur fait valoir qu’en soulevant des questions de preuve déjà
résolues par les juridictions nationales, le Requérant sollicite de la Cour
qu’elle exerce une compétence d'appel sur des affaires déjà vidées par sa
8 Article 39 (1) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
7 Règle 29 du Règlement de 2020.
Cour d’appel, qui est la plus haute juridiction nationale. L’État défendeur
soutient que la Cour n’est pas compétente pour analyser à nouveau les
preuves, annuler la déclaration de culpabilité ainsi que la condamnation et
ordonner la mise en liberté du Requérant.
26. Le Requérant conclut au rejet de l'exception en soutenant que la Cour est
compétente en vertu des articles 3(1) du Protocole et 26(1)(a) du
Règlement®, puisque la Requête porte sur des violations alléguées des
droits de l'homme protégés par la Charte. Dans sa réplique à la réponse de
l’État défendeur aux conclusions modifiées, le Requérant soutient, en
outre, que sa Requête entre dans le champ de compétence de la Cour,
étant donné qu’il fait simplement valoir que les actes et omissions dans la
procédure devant les juridictions nationales constituent une violation des
droits de l'homme.
27. Dans ladite réplique, le Requérant soutient également que la Cour est
compétente pour annuler la déclaration de culpabilité et la peine
prononcées à son encontre et ordonner sa remise en liberté sur le
fondement de sa jurisprudence pertinente et de son large pouvoir
d'appréciation que lui confère l’article 27(1) du Protocole.
28. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de toutes les affaires dont elle est saisie, pour
autant qu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés
par la Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme
ratifié par l’État défendeur.®
8 Règle 29(1)(a) du Règlement de 2020.
9 Xg Xh et Xt Yt AJ X de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°007/2016, Arrêt du 13 juin 2023 (fond et réparations), 8 24 ; Cr Ad Cp c. République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 052/2016, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 88 23 à 27 et Yl Aj c. Yq Yfond et réparations) (26 juin 2020), 4 RICA 266, 8 18.
29. Concernant l’affirmation selon laquelle la Cour exercerait une compétence
d'appel si elle venait à statuer sur certains griefs déjà examinés par les
juridictions nationales de l’État défendeur, la Cour réitère sa jurisprudence
selon laquelle elle n’exerce pas de compétence d’appel à l’égard des
juridictions nationales.!° La Cour conserve, toutefois, le pouvoir d'apprécier
la conformité des procédures nationales par rapport aux normes énoncées
dans la Charte ou dans tout autre instrument des droits de l'homme ratifié
par l’État concerné, ce qui n’en fait pas une Cour d'appel!! Cette
compétence juridictionnelle spécifique est fondée sur les engagements
internationaux de l’État défendeur.
30. En l’espèce, la Cour note que le Requérant allègue la violation des droits
protégés par les articles 4, 5 et 7 de la Charte et 36 de la CVRC,!?
instruments que la Cour peut interpréter et appliquer en vertu de l’article
3(1) du Protocole. La Cour rejette donc le moyen tiré de ce qu’elle est une
31. S’agissant de l’argument relatif à l’incompétence de la Cour pour annuler
la déclaration de culpabilité et la condamnation du Requérant et ordonner
sa remise en liberté, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article 27(1) du
Protocole, « [Iorsqu’elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme
ou des peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste compensation ou
l’octroi d’une réparation ». Il s’en infère que la Cour est compétente pour
accorder différents types de réparations, y compris ordonner la remise en
liberté, si les circonstances de l'affaire le requièrent. La Cour rejette donc
le moyen tiré de ce qu’elle ne peut annuler une condamnation prononcée
par une juridiction nationale.
19 Ernest Bz Cm c. République du Malawi (compétence) (15 mars 2013), 1 RICA 197, 8 14 ; 8 26 et Xb Bm Xb et Ce Bm Xb c. République-Unie de Yq Yfond) (7 décembre 2018), 2 RICA 539, 8 29.
11 Cw c. Yq Yarrêt), supra, 8 32 ; Xn Ci c. République-Unie de Yq Yfond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 493, 8 33 et Ay Yw c. République-Unie de Yq Yfond) (20 novembre 2015), 1 RICA 482, 8 130.
12 Voir Xu Xr c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 058/2016, Arrêt du 13 juin 2023, 88 80 à 88.
32. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception d’incompétence
matérielle soulevée par l’État défendeur et considère qu’elle a la
compétence matérielle en l’espèce.
B. Sur les autres aspects de la compétence
33. La Cour note qu'aucune exception n’a été soulevée par l’État défendeur
quant à sa compétence personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins,
conformément à la règle 49(1) du Règlement,!* elle doit s'assurer que les
conditions relatives à tous les aspects de sa compétence sont remplies
avant de poursuivre l’examen de la présente Requête.
34. Ayant constaté qu’aucun élément dans le dossier n’indique qu’elle n’est pas
compétente, la Cour considère qu’elle a :
i. La compétence personnelle, dans la mesure où l’État défendeur est
partie à la Charte, au Protocole et a déposé la Déclaration. À cet
égard, la Cour réitère sa position selon laquelle le retrait de la
Déclaration n’a pas d'effet rétroactif ni aucune incidence sur les
affaires pendantes dont elle a été saisie avant le dépôt de
l'instrument y relatif, ou sur les nouvelles affaires dont elle a été
saisie avant le retrait ne prenne effet. La présente Requête était déjà
pendante devant les juridictions nationales avant ledit retrait, elle
n’en est donc pas affectée.!*
i. La compétence temporelle, dans la mesure où les violations
alléguées en l’espèce se sont produites après que l’État défendeur
est devenu partie à la Charte et au Protocole.
13 Article 39 (1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
14 Cw c. Yq Yarrêt) supra, 8 38. Voir également Yi Co Ym c. République du Rwanda (compétence) (3 juin 2016), 1 RICA 575, 8 67.
ii. La compétence territoriale, dans la mesure où les violations
alléguées en l’espèce se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur.
35. Au vu de tout ce qui précède, la Cour considère qu’elle est compétente en
l’espèce.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
36. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, « [l]a Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
37. Aux termes de la règle 50(1) du Règlement, «[I]a Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et
au [...] Règlement ».
38. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et
la Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de
l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue
par la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernées, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
39. La Cour note que l’État défendeur soulève des exceptions d’irrecevabilité
tirées du non-épuisement des recours internes et de l'introduction de la
Requête dans un délai non raisonnable. La Cour va statuer sur lesdites
exceptions avant de se prononcer, le cas échéant, sur les autres conditions
de recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
40. L'État défendeur soutient que la Requête ne satisfait pas à l'exigence
d’épuisement des recours internes, étant donné que le Requérant n’a pas
introduit de recours en constitutionnalité en vertu de l’article 30(3) de sa
Constitution pour faire valoir ses griefs concernant la violation alléguée de
ses droits devant la Cour d’appel.
41. Le Requérant conclut au débouté en soutenant que sa Requête est
recevable dans la mesure où il a épuisé tous les recours disponibles. Il fait
valoir, en effet, que les recours internes sont épuisés lorsque la plus haute
juridiction nationale est saisie et que, dans son cas, la Cour d’appel étant
la juridiction d'appel de dernier ressort de l’État défendeur, il ne pouvait
saisir aucune autre juridiction. Le Requérant soutient également que
l’affirmation de l’État défendeur selon laquelle il aurait pu introduire un
recours en inconstitutionnalité devant la Haute Cour en vertu de la loi sur les droits et devoirs fondamentaux est manifestement erronée, car la Cour
de céans a constamment considéré que les requérants ne sont tenus
d’épuiser que les recours judiciaires ordinaires, ce qui n’est pas le cas pour
le recours en constitutionnalité, qui est un recours extraordinaire qu’aucun
requérant n’est tenu d’épuiser.
42. Dans sa réplique, le Requérant réitère les arguments susmentionnés et
soutient en outre que le moyen soulevé par l’État défendeur selon lequel la
violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue aurait pu être
soulevée au cours de la procédure d'appel n’est pas pertinent puisqu'il s'est
vu refuser une représentation effective.
43. La Cour note que, conformément à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute
requête introduite devant elle doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement
des recours internes, à moins que ceux-ci ne soient indisponibles,
inefficaces ou que la procédure pour les exercer ne se prolonge de façon
anormale.!* La règle de l'épuisement des recours internes vise à donner
aux États la possibilité de traiter les violations des droits de l'homme
relevant de leur juridiction avant qu’un organe international de protection
des droits de l'homme ne soit saisi à cet égard. Conformément à la
jurisprudence constante de la Cour, les recours à épuiser doivent être des
recours judiciaires ordinaires.!°
44. La Cour note que le moyen de l’État défendeur porte sur le fait que le
Requérant n’a pas introduit une requête en constitutionnalité concernant la
violation alléguée de ses droits avant de la saisir. La Cour réitère sa
jurisprudence constante selon laquelle, tel qu’appliqué dans le système
15 Yw c. Yq Yfond), supra, 8 64 ; et Xb Bm Xb et Ce Bm Xb c. République-Unie de Yq Yfond) (7 décembre 2018) 2 RICA 539, 8 40.
16 Zd Av c. République du Rwanda, CAfDHP, Requête n° 023/2015, Arrêt du 2 décembre 2021 (compétence et recevabilité), S 74 ; et An Bb Ap et 9 autres c. République-Unie de Yq Yréparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 322, 8 95.
judiciaire de l’État défendeur, le recours en inconstitutionnalité est un
recours extraordinaire qu’aucun requérant n’est tenu d’épuiser.*”
45. La Cour note que l’appel du Requérant a été tranché par un arrêt rendu le
25 septembre 2013 par la Cour d’appel siégeant à Ax, la plus haute
juridiction de l’État défendeur. La requête en constitutionnalité n'étant pas
un recours que le Requérant était tenu d’exercer, la Cour considère que
tous les recours internes ont été épuisés. La Cour rejette donc l’exception
soulevée par l’État défendeur sur ce point.
B. Sur l’exception tirée de l’introduction de la Requête dans un délai non
raisonnable
46. L'État défendeur fait valoir que la présente Requête a été introduite après
une période de trois (3) ans suivant le rejet du recours du Requérant par la
Cour d'appel. L’État défendeur soutient qu’un tel délai n’est pas raisonnable
et que le fait que le Requérant soit en prison ne peut être considéré comme
un obstacle à la saisine de la Cour.
47. Le Requérant, pour sa part, réfute l’exception en invoquant notamment la
décision de la Cour dans l'affaire Ay Yw c. Tanzanie où elle a
considéré qu’une période de trois (3) ans et cinq (5) mois constitue un délai
raisonnable pour la saisir. Il fait valoir qu’il est profane en droit, indigent et
incarcéré et ayant un accès limité à l'information. À titre subsidiaire, le
Requérant soutient que la Cour devrait tenir compte de ce qu’il subit chaque
jour les effets des violations continues de ses droits par l’État défendeur du
fait de son incarcération.
48. Le Requérant fait valoir, à cet égard, que la Cour ne devrait pas considérer
le 25 septembre 2013 comme point de départ de la computation du délai
17 Bo Bv c. République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 8 61 ; Yx Xh Az c. République-Unie de Yq Yfond) (7 décembre 2018) 2 RICA 570, 8 46 ; et Bs Ys c. République-Unie de Yq Yfond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, 88 66 à 70.
raisonnable de sa saisine, mais n’importe quelle date tant qu'il reste
incarcéré. Dans sa réplique, le Requérant réitère les arguments
susmentionnés et affirme que son grief ne porte pas sur l’obstacle à la
saisine de la Cour de céans mais plutôt sur le fait que les circonstances ont
nécessité plus de temps pour préparer et déposer sa Requête.
49. La Cour a constamment considéré que « … le caractère raisonnable du
délai de sa saisine dépend des circonstances de chaque affaire et qu’elle
doit le déterminer au cas par cas ».!8 À cet égard, la Cour a estimé comme
étant pertinents, entre autres, les facteurs suivants : le fait qu’un requérant
soit incarcéré,!° qu’il soit profane en droit,?° qu’il soit indigent,”* et le temps
qui lui était nécessaire pour réfléchir à l’opportunité de la saisir.”? La Cour
a également considéré que, bien que les recours extraordinaires tels que
la procédure de révision ne soient pas des recours à épuiser, le temps
passé à tenter d’exercer ces recours devrait, selon les circonstances de
l’affaire, être pris en compte dans l’évaluation du caractère raisonnable
prévu par l'article 56(5) de la Charte.?*
50. Il ressort du dossier que le Requérant a épuisé les recours internes le 25
septembre 2013, date de l’arrêt de la Cour d’appel. Le Requérant a,
ensuite, introduit la présente Requête devant la Cour de céans le 1°"
septembre 2016, soit deux (2) ans, onze (11) mois et sept (7) jours après
18 Yf et autres c. Yv Bh (fond), supra, 8 92. Voir également Yw c. Yq Yfond), supra, 8 73.
19 Bg Af c. République-Unie de Yq Yfond) (21 septembre 2018) 2 RICA 439, 8 52 et Ay Yw c. Yq Yfond), ibid., 8 74.
20 Xj Bk c. République-Unie de Yq Yfond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 54 ; Xw As c. République-Unie de Yq Yfond) (11 mai 2018) 2 RICA 356, 8 83.
21 Xv Xx YBu BwB et Br Xv YYj ClB c. République-Unie de Yq Yfond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 61 et Xw As c. République-Unie de Yq Yfond), ibid., 8 83.
2 Yg Xp c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°020/2017, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 8 35 ; et Yf et autres c. Yv Bh (exceptions préliminaires), supra, 8 122.
23 Thobias Mang’ara Bc et un autre c. République-Unie de Yq Yfond) (11 mai 2018) 2 RICA 325, 8 55 et Cp c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 47.
ledit arrêt. La Cour doit donc déterminer si cette période constitue un délai
raisonnable, au sens de l’article 56(6) de la Charte.
51. Enl’espèce, la Cour note qu’au moment de l’introduction de sa Requête, le
Requérant était incarcéré et se trouvait dans le couloir de la mort. Il ressort
également du dossier qu’il est profane en droit et qu’il assurait lui-même sa
défense au moment de l’introduction de la présente Requête. En outre, le
Requérant avait, le 15 décembre 2014, introduit un recours en révision de
l’arrêt de la Cour d’appel qui était encore pendant lorsqu’il a saisi la Cour
de céans. Il avait donc besoin de temps pour se décider et préparer sa
requête devant la Cour de céans.
52. La Cour considère que les circonstances susmentionnées justifient
valablement le temps qu’il a fallu au Requérant pour introduire sa Requête.
53. Compte tenu de ce qui précède, la Cour rejette l'exception de l’État
défendeur et dit que le Requérant a introduit sa Requête dans un délai
raisonnable, au sens de l’article 56(6) de la Charte.
C. Sur les autres conditions de recevabilité
54. La Cour relève qu'aucune contestation n’a été soulevée concernant le
respect des conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c), (d), (e) et (g)
du Règlement. Toutefois, la Cour doit s'assurer que ces conditions sont
remplies.
55. À cet égard, la Cour note qu’il ressort du dossier que la condition prévue
par la règle 50(2)(a) du Règlement est remplie, le Requérant ayant
clairement indiqué son identité.
56. La Cour relève également que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger les droits garantis par la Charte. La Cour note, en outre,
que l’un des objectifs de l’Union africaine, tel qu’énoncé à l’article 3(h) de
son Acte constitutif (ci-après désigné « l’Acte constitutif »), est la promotion et la protection des droits de l’homme et des peuples. Par ailleurs, la
Requête ne contient aucun grief ni aucune demande incompatible avec
l’Acte constitutif ou la Charte. En conséquence, la Cour estime que la
Requête est compatible avec l’Acte constitutif ainsi que la Charte et qu’elle
satisfait aux exigences de la règle 50(2)(b) du Règlement.
57. La Cour souligne, en outre, que la Requête ne contient aucun terme
outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur, de ses institutions ou
de l’Union africaine, ce qui la rend conforme à l’exigence de la
règle 50(2)(c) du Règlement.
58. La Cour souligne que la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des
nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse, mais se
fonde sur des documents judiciaires émanant des juridictions nationales de
l’État défendeur, conformément à la règle 50(2)(d) du Règlement.
59. En outre, la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été réglée par
les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations Unies, de
l’Acte constitutif ou des dispositions de la Charte ou de tout instrument
juridique de l’Union africaine, conformément à la règle 50(2)(g) du
Règlement.
60. Au vu de ce qui précède, la Cour constate que la Requête remplit toutes
les conditions de recevabilité énoncées à l’article 56 de la Charte reprises,
en substance, par la règle 50(2) du Règlement. En conséquence, la Cour
déclare la Requête recevable.
61. Le Requérant allègue la violation du droit à un procès équitable, du droit à
la vie et du droit à la dignité, protégés respectivement par les articles 7, 4
et 5 de la Charte. Le Requérant allègue, en outre, la violation de son droit à l’assistance consulaire en vertu de l’article 36 de la CVRC. La Cour
examinera successivement ces allégations.
A. Violation alléguée du droit à un procès équitable
62. Le Requérant allègue la violation de son droit à un procès équitable,
protégé par l’article 7 de la Charte, en ce que l'État défendeur a violé son
droit d’être jugé dans un délai raisonnable, son droit à la défense et son
droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie
par une juridiction compétente.
i. Violation alléguée du droit d’être jugé dans un délai raisonnable
63. Le Requérant allègue que sa détention provisoire pendant huit (8) ans, à
savoir depuis son arrestation le 21 juillet 2004 jusqu’à l’ouverture de son
procès le 19 juin 2012, est anormalement longue et constitue une violation
de son droit à un procès équitable. Il fait valoir que cette durée n’est pas
raisonnable d’autant plus que son affaire n’était pas complexe et que ce
retard est imputable à l’État défendeur. Pour étayer ses allégations, le
Requérant soutient que le retard injustifié accusé par l’État défendeur pour
le traduire devant les juridictions internes lui a été préjudiciable, dans la
mesure où cela a remis en cause sa capacité à contester des témoignages
anachroniques et contradictoires et à se défendre contre les accusations
portées contre lui.
64. Le Requérant affirme également que les preuves produites par le ministère
public reposent presqu’exclusivement sur les propos de cinq (5) témoins à
charge auxquels il a été demandé de faire appel à leurs souvenirs et de
témoigner sur des faits qui se sont produits huit (8) ans auparavant, jetant
ainsi un doute sur la crédibilité des dépositions des témoins.
65. L'État défendeur réfute les allégations du Requérant et soutient qu’il a été
jugé dans un délai raisonnable compte tenu de la gravité de l’infraction, des
circonstances de sa commission et de la procédure y relative. L'État défendeur soutient que du fait de la gravité de l'accusation de meurtre qui
est passible de la peine de mort, les impératifs de la justice exigent des
preuves irréfutables permettant d’imputer la commission du crime à
l'accusé. L'État défendeur fait valoir qu’une telle exigence implique la
nécessité d’un examen minutieux des preuves disponibles, ce qui
nécessite du temps.
66. L’État défendeur soutient également que le retard est dû au renvoi du
procès à trois reprises aux fins d’audition des témoins clés. Il fait valoir que
la non-comparution de ces témoins ne peut lui être imputée. L'État
défendeur affirme, en outre, que le conseil du Requérant n’a soulevé aucun
grief relatif aux renvois, car les témoins absents étaient d’une importance
cruciale pour l’issue de l'affaire. Il soutient, enfin, que les procédures
initiées ont été menées dans les délais, puisque le procès n’a duré que
quatre (4) jours et que le jugement a été rendu deux (2) jours plus tard.
67. Dans sa réplique, le Requérant soutient que, contrairement à l'affirmation
de l’État défendeur selon laquelle les multiples renvois ne lui sont pas
imputables, les témoins qui n’ont pas comparu étaient des témoins à
charge. Le Requérant fait valoir qu’en dépit des deux années qui lui ont été
accordées pour retrouver ses propres témoins, l’État défendeur n’a pas pu
le faire et a été autorisé à poursuivre son réquisitoire en s’appuyant sur les
déclarations d’un témoin clé qui n’a pas comparu et n’a pas pu être soumis
à un contre-interrogatoire. Le Requérant soutient enfin que le fait qu’il ne
se soit pas opposé aux renvois, comme l’a fait valoir l’État défendeur, n’est
que symptomatique de l'incapacité de ce dernier à lui fournir une assistance
judiciaire effective.
68. L'article 7(1)(d) de la Charte dispose :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend [.…] le droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
69. Dans l'affaire An Bb Ap et autres c. République-Unie de
Tanzanie, la Cour a considéré que le droit d’être jugé dans un délai
raisonnable constitue un aspect important du droit au procès équitable.?*
Elle a, en outre, considéré que le droit à un procès équitable suppose
également que les procédures judiciaires doivent être menées à terme
dans un délai raisonnable?
70. En l'espèce, la Cour doit déterminer si la durée de la détention provisoire
du Requérant, depuis son arrestation le 21 juillet 2004 jusqu’à l’ouverture
de son procès le 19 juin 2012, soit sept (7) ans, dix (10) mois et vingt-neuf
(29) jours, est raisonnable.
71. Pour statuer sur des allégations relatives au droit d’être jugé dans un délai
raisonnable, la Cour adopte une approche au cas par cas. À cet égard, elle
a pris en compte, entre autres facteurs, la complexité de l'affaire, le
comportement des Parties et celui des autorités judiciaires qui ont un devoir
de diligence dans des circonstances où des peines lourdes sont
72. Premièrement, s'agissant de la nature et de la complexité de l’affaire, la
Cour, dans ses précédents jugements, a adopté une approche au cas par
cas pour évaluer si une affaire est complexe. La Cour a pris en compte,
entre autres facteurs, le nombre de témoins qui ont déposé, la disponibilité
des preuves, la portée des enquêtes et la nécessité d’éléments de preuve
scientifiques tels que des échantillons d’ADN.??
24 Ap et autres c. Yq Yfond), supra, 8 127 et Yr Be Cb c. République-Unie de Yq Yfond et réparations) (26 septembre 2019), 3 RICA 504, 8 48.
25 Cw c. Yq Yarrêt), supra, 8 117.
26 Cp c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 83 ; Cw c. Yq Yarrêt), supra, 8 117 ; Cw c. Yq Yarrêt), supra, 8 117 ; Ai Xc c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°024/2016, Arrêt du 30 septembre 2021 (arrêt), 8 104 et Ci c. Yq Yfond et réparations), supra, 88 122 à 124.
27 Cw c. Tanzanie, ibid., 8 117 ; Ci, ibid., 8 112; Ap et autres c. Yq Yfond), 8 115.
73. La Cour observe qu’en l’espèce, l’enquête diligentée sur le meurtre a duré
quasiment quatre (4) ans. Par ailleurs, l’affaire portait sur des allégations
de meurtre mais aucune preuve, dont l'appréciation pourrait s'avérer
complexe, n’a été produite. En outre, l’État défendeur n’a présenté que des
témoignages et produit cinq (5) pièces à conviction quelques mois après
l’arrestation. L'affaire ne saurait donc être considérée comme étant
complexe au point de justifier une enquête d’une telle durée. Il en résulte
que le retard invoqué n’est pas dû à la nature, ni à la complexité de l'affaire.
74. Deuxièmement, s'agissant du comportement des Parties, la Cour observe
qu’après l’arrestation du Requérant et sa présentation aux autorités, rien
ne laisse penser que le Requérant a retardé la procédure. Il ne résulte du
dossier aucun élément indiquant que le Requérant a agi d’une quelconque
manière ou formulé une quelconque demande qui aurait contribué à ce
retard.
75. Troisièmement, en ce qui concerne l'exercice de la diligence raisonnable
par les autorités de l’État défendeur, la Cour observe que, conformément à
l’article 32(1) de la loi portant code de procédure pénale (le CPP) de l’État
défendeur, l’accusé doit être traduit devant un tribunal dans les 24 heures
après sa détention en garde à vue ou dès que possible, notamment lorsque
l'infraction est passible de la peine de mort.” De plus, les articles 244 et
245 du CPP prévoient que l’inculpation doit avoir lieu dans le délai prescrit
à l’article 32 du CPP, soit dans les 24 heures ou dès que possible.?° Enfin,
28 Article 32(1) — Lorsqu’en l’absence de mandat, une personne est placée en garde à vue pour une infraction autre que celle passible de la peine de mort, le commissaire de police où elle est conduite peut, le cas échéant, et doit, s’il ne semble pas possible de la traduire devant un tribunal compétent dans les vingt-quatre heures suivant sa détention en garde à vue, enquêter sur l'affaire et, à moins que l'infraction ne lui paraisse grave, libérer l'intéressé sous caution dont le montant est raisonnable ou sans caution, de manière à lui permettre de comparaître devant un tribunal à l’heure et au lieu qui seront précisés. Si, toutefois, elle est maintenue en détention, la personne placée en garde à vue doit être traduite devant un tribunal dès que possible.
Article 32(2) — Lorsqu’en l'absence de mandat, une personne a été placée en garde à vue pour une infraction passible de la peine de mort, elle doit être traduite devant un tribunal dès que possible.
Article 32(3) — Lorsqu’une personne est placée en garde à vue en vertu d'un mandat d’arrêt, elle doit être traduite devant un tribunal dès que possible.
29 Article 244 — Lorsqu'une personne est accusée d’une infraction qui ne peut pas être jugée par un tribunal inférieur ou pour laquelle le maître des poursuites indique au tribunal par écrit ou autrement qu’il n’est pas approprié de statuer sur cette infraction par un procès sommaire, la procédure au sens de l’article 248(1) du CPP, le renvoi de la procédure peut être
ordonné et l'accusé peut être détenu pendant une durée raisonnable,
n’excédant pas quinze (15) jours, à n'importe quelle étape de la
76. La Cour note également que la Haute Cour de l’État défendeur est habilitée,
en vertu des articles 260(1)** et 284(1)°? du CPP, à renvoyer le procès d’un
accusé à une prochaine échéance s’il existe des motifs suffisants tels que
la non-comparution de témoins, pour justifier le retard qui en découlerait.
Toutefois, les mêmes dispositions prévoient que la durée du retard doit être
« raisonnable ».
77. En l’espèce, la Cour observe qu’à la suite de son arrestation, le 21 juillet
2004, le Requérant a été inculpé le même jour de meurtre. Toutefois, la
procédure de mise en état n’a eu lieu que le 21 octobre 2009 et il ne ressort
des conclusions de l’État défendeur aucun élément justifiant la durée de
cinq ans et trois mois qui s’est écoulée depuis l’arrestation du Requérant.
À la suite de l’audience de mise en état, l’affaire a été renvoyée à la session
suivante dont la date devrait être fixée et notifiée par le greffier de district,
d’inculpation sera engagée, conformément aux dispositions ci-après, par un tribunal inférieur de juridiction compétente.
Article 245(1) — Après l'arrestation d’une personne ou après la fin de l’enquête et l'arrestation de toute personne pour la commission d’une infraction passible de jugement devant la Haute Cour, la personne arrêtée doit être traduite, dans le délai prescrit à l’article 32 de la présente loi, devant un tribunal inférieur de juridiction compétente sous la juridiction duquel l’arrestation a été effectuée, tout en indiquant les charges que l’on attend faire peser sur lui, afin qu’elle soit traitée conformément à la loi, sous réserve de dispositions de la présente loi.
30 Article 248(1) — Lorsque, pour un motif raisonnable à consigner dans les actes de procédure, le tribunal estime nécessaire ou souhaitable de reporter l’audience, il peut, de temps à autre, ordonner la détention de l’accusé pendant une durée raisonnable n’excédant pas quinze jours consécutifs, dans un établissement pénitentiaire ou tout autre lieu de sûreté.
Article 248(2) — Lorsque la durée de la détention provisoire n'excède pas trois jours, le tribunal peut, sur le siège, ordonner au fonctionnaire de police ou à la personne qui a l'accusé sous sa garde, ou à toute autre autorité ou personne pertinente, de maintenir l'accusé en détention et de l’amener à l'heure fixée pour l’ouverture ou la suite de l’enquête.
31 Article 260(1) — La Haute Cour peut, à la demande du procureur ou de l'accusé, si elle estime que le renvoi est justifié, reporter le procès de tout accusé à sa prochaine session tenue dans le district ou en tout autre lieu approprié, ou à une session ultérieure.
3 Article 284(1) — Lorsque, en raison de la non-comparution de témoins ou de tout autre motif raisonnable à consigner dans les actes de procédure, le tribunal estime nécessaire ou souhaitable de différer l’ouverture ou d'ajourner un procès, il peut, de temps à autre, différer ou reporter le procès aux conditions qu’il estime appropriées pour la durée qu'il juge raisonnable et peut, au moyen d’un mandat, placer l’accusé en détention provisoire dans un établissement pénitentiaire ou dans un autre lieu de sûreté.
le Requérant ayant été placé en détention provisoire. Lorsque l’affaire a été
inscrite au rôle afin d’être jugée le 28 juin 2010, elle a été, à nouveau,
renvoyée du fait de la non-comparution de deux témoins clés à charge. Le
procès s’est finalement ouvert le 19 juin 2012, soit sept (7) ans, dix (10)
mois et vingt-neuf (29) jours après l’arrestation du Requérant.
T8. Dans son appréciation du caractère raisonnable de la durée de la détention
provisoire du Requérant, la Cour note également qu’il résulte du dossier
que tous les éléments de preuve présentés dans le cadre de la procédure
initiale, à l'exception du rapport d’autopsie signé en 2005, semblent avoir
été recueillis en 2004 immédiatement après l’arrestation du Requérant.
T9. Relativement à l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle le retard dans
l'instruction de l’affaire était dû à la nécessité de faire comparaître des
témoins clés et au fait que le Requérant ne s’est pas opposé aux renvois,
la Cour estime que bien qu’il ait été nécessaire de faire comparaître les
témoins, le retard qui en a résulté et la durée totale de la détention
provisoire n’ont pas satisfait à l’obligation de diligence requise dans de tels
cas. Il convient de noter que la période de plus de cinq (5) ans qui s’est
écoulée entre l’arrestation du Requérant et son renvoi devant la Haute Cour
pour y être jugé ne peut être considérée comme raisonnable dans ces
circonstances et le fait que le Requérant n’ait pas soulevé de griefs
relativement aux renvois ne saurait valablement justifier ce retard. En effet,
l’État défendeur n’a pas pu retrouver tous les témoins qu’il comptait citer à
comparaître, même après deux ans.
80. En ce qui concerne l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle la justice
a été rendue au bout de quatre (4) jours et que le jugement a été prononcé
deux (2) jours plus tard, la Cour souligne que les demandes du Requérant
portent plutôt sur la durée des procédures qui se sont déroulées avant
l’ouverture et la fin de son procès.
81. Au regard de qui précède, la Cour estime que le comportement des
autorités de l’État défendeur est contraire à l’obligation de diligence requise
par l’article 7(1)(d) de la Charte.
82. En conséquence, la Cour déclare que l’État défendeur a violé le droit du
Requérant d’être jugé dans un délai raisonnable, protégé par l’article
7(1)(d) de la Charte du fait du délai anormalement long de sa détention
provisoire.
ii. Violation alléguée du droit à la défense
83. Le Requérant soutient que son droit à la défense a été violé, l’État
défendeur ne lui ayant pas garanti une assistance judiciaire effective. En
outre, le Requérant allègue que l’État défendeur a violé son droit à la
défense en ne lui fournissant pas d’interprète lors de son arrestation et de
son procès.
84. La Cour examinera successivement ces deux allégations.
85. La Cour relève que l’article 7(1)(c) de la Charte dispose :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend [.….] le droit à la défense, y compris celui de se faire
assister par un défenseur de son choix.
a. Sur le défaut d’assistance judiciaire effective
86. Le Requérant allègue qu’il n’a pas été en mesure de communiquer, comme
il se doit, avec son avocat, car il ne l’a jamais rencontré en dehors du procès
et n’a donc pas pu lui demander de recueillir des éléments de preuve essentiels pour son affaire. !| affirme que son avocat n’a pas pris des
dispositions pour lui permettre de bénéficier des services d’un interprète ou
d’un traducteur, ni n’ont plaidé pour qu’il s'exprime dans le cadre de sa
propre défense. Il soutient que son avocat n’a cité aucun témoin à décharge
alors qu’au moins trois (3) personnes pouvaient attester qu’il avait acheté
la bicyclette trouvée en sa possession et qui, selon l’État défendeur,
appartenait à la victime.
87. Le Requérant allègue également que son avocat n’a pas veillé à ce que
son droit d’être jugé sans retard excessif ne soit pas violé et n’a, non plus,
soulevé un quelconque grief relativement à la longue suspension de plus
de deux (2) ans. Il soutient également que son avocat n’a fait valoir aucun
argument pour faire échec aux éléments de preuve produits à son encontre
par l’État défendeur. Il conclut que l’assistance de ses différents avocats
s’est avérée inefficace et incohérente et qu’elle était loin de répondre aux
critères de compétence, d’aptitude et d’engagement, ce qui a violé son droit
à un procès équitable.
88. L’État défendeur soutient que le Requérant s’est vu accorder l’assistance
d’un avocat et que son appel a été examiné par la Cour d’appel sans
aucune contrainte de l’État défendeur. L'État défendeur affime que
l’allégation du Requérant selon laquelle sa défense a été gravement
compromise du fait que son avocat n’avait pas cité de témoins à décharge
est dénuée de fondement, du moment que le Requérant n’avait pas cité,
lui-même, d’autres témoins à décharge alors qu’il en avait la possibilité.
89. L’État défendeur soutient, en outre, qu’il ne résulte du dossier aucun
élément indiquant que le Requérant a fait valoir un quelconque moyen
devant les juridictions nationales sur la manière dont ses conseils s'étaient
acquittés de leurs fonctions en violation du droit à la défense du Requérant.
L’État défendeur soutient que, à supposer que les conseils du Requérant
se soient effectivement montrés inefficaces, celui-ci avait la possibilité de
les dessaisir devant le juge de première instance, ce qu’il n’a pas fait.
90. Dans sa réplique, le Requérant affirme que son grief ne porte pas sur le fait
d’avoir été privé d’un conseil de son choix, comme le soutient l’État
défendeur, mais plutôt sur le fait qu’il n’a pas du tout bénéficié d’une
assistance judiciaire pratique ou efficace.
91. La Cour rappelle, comme elle l’a souligné dans l'affaire Cr Ad
Cp c. République-Unie de Tanzanie, que le droit à la défense protégé
par l’article 7(1)(c) de la Charte devrait être compris dans le sens où
l’assistance d’un avocat devrait être effective même si elle est fournie par
l’État La Cour a également considéré qu’une représentation n’est
qualifiée d’efficace que si les personnes qui fournissent l’assistance
judiciaire disposent de suffisamment de temps et de moyens pour préparer
une défense adéquate et assurer une représentation efficiente, à tous les
stades de la procédure judiciaire, à partir de l'arrestation de la personne
poursuivie, sans aucune interférence.3* La Cour estime qu’il est du devoir
de l’État défendeur de fournir une représentation adéquate à toute
personne poursuivie et d'intervenir uniquement lorsque cette
représentation ne l’est pas.°° La question à trancher est celle de savoir si
l'avocat désigné par l’État défendeur a représenté efficacement le
Requérant.
92. La Cour relève l’allégation du Requérant selon laquelle son conseil n’a cité
aucun témoin à décharge alors que des personnes étaient disponibles et
pouvaient participer à sa défense. La Cour observe également qu’il ne
résulte du dossier aucun élément démontrant que l’État défendeur a
empêché le conseil qu’il a commis d’office d’avoir accès au Requérant en
vue de l’assister dans la préparation de sa défense. Par ailleurs, aucun
3 Cp c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 91 ; et Xc c. Yq Yarrêt), supra, 8 84.
34 At Xh c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 012/2019, Arrêt du 1°" décembre 2022 (arrêt), 88 122 et 123 ; Bv c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 109 et Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République libyenne (fond) (3 juin 2016), 1 RICA 158, 8 93.
35 Bv c. Yq Yfond et réparations), ibid., 8 106.
élément du dossier ne démontre que le Requérant a invoqué, devant les
juridictions internes, d’éventuelles lacunes dans sa défense. La Cour
constate que le Requérant avait la latitude d’invoquer devant la Haute Cour
et la Cour d’appel son insatisfaction concernant la manière dont sa défense
avait été assurée. Ces allégations ne sont donc pas suffisamment étayées
et sont, par conséquent, rejetées.
93. En ce qui concerne l’allégation du Requérant selon laquelle il n’a pas pu
communiquer, comme il se devait, avec son avocat du fait qu’il ne l’a jamais
rencontré en dehors du procès et qu’en conséquence, il n’a pas pu lui
demander de recueillir des éléments de preuve essentiels pour son affaire,
la Cour précise que le Requérant n’a pas prouvé que les autorités de l’État
défendeur n’ont pas accordé à l'avocat le temps et les commodités
nécessaires pour communiquer avec lui. La Cour estime que cette question
relève d’une affaire entre le Requérant et son conseil et ne peut, dans ces
circonstances, être imputée à l’État défendeur. Par conséquent, la Cour
rejette ces allégations.
94. La Cour observe que le Requérant allègue que ses avocats n’ont pas pris
les dispositions nécessaires pour lui faire bénéficier des services d’un
interprète ou d’un traducteur et qu’ils n’ont pas, non plus, plaidé pour qu’il
puisse s'exprimer pour sa propre défense. Toutefois, la Cour relève que le
Requérant n’a pas apporté la preuve de telles allégations. En outre, la Cour
observe que le Requérant n’a pas informé les juridictions internes des
manquements allégués de son conseil à cet égard. La Cour souligne, du
reste, que le Requérant n’a pas indiqué les parties de la procédure où il
aurait expressément sollicité la présence d’un interprète. À la lumière de ce
qui précède, la Cour rejette cette allégation.
95. En ce qui concerne l’allégation du Requérant selon laquelle son avocat a
manqué de faire valoir son droit d’être jugé sans retard excessif, la Cour
estime que cette question aurait dû être abordée entre le Requérant et son
conseil. La Cour observe qu’il ne résulte d’aucun élément au dossier que
les autorités judiciaires de l’État défendeur ont empêché le conseil de saisir les juridictions internes de cette question. La Cour réitère sa conclusion
selon laquelle le Requérant avait la latitude d’informer les juridictions
internes de son insatisfaction quant à l'assistance judiciaire fournie par son
avocat. À la lumière de ces considérations, la Cour rejette cette allégation.
96. Enfin, en ce qui concerne l’allégation du Requérant selon laquelle son
avocat n’a soulevé aucun moyen de défense en relation avec les éléments
produits à son encontre par l’État défendeur, la Cour observe que cette
allégation porte sur le fait que l’avocat n’a soulevé aucun moyen
relativement à certaines questions de preuve en rapport avec la défense
du Requérant. La Cour observe qu’aucun élément du dossier n’indique que
l’État défendeur a empêché l’avocat du Requérant d’avoir accès à son
client pour la préparation de sa défense. La Cour considère qu’il
n’appartenait pas aux juridictions internes d’assurer la défense du
Requérant et que ces questions ne devraient donc pas être imputées à
l’État défendeur. La Cour estime que l’État ne devrait intervenir qu’en cas
de défaut manifeste de représentation effective porté à sa connaissance.
En conséquence, la Cour rejette cette allégation.
97. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que l’État défendeur s’est
acquitté de son obligation de garantir au Requérant une assistance
judiciaire gratuite effective. La Cour déclare, en conséquence, que l’État
défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte, en ce qui concerne le
respect du droit à la défense.
b. Sur le défaut d’assistance d’un interprète lors de l’arrestation et du
procès
98. Le Requérant allègue que l’État défendeur a violé son droit à la défense en
ne mettant pas à disposition un interprète lors de son arrestation et de son
procès. Il soutient que, malgré le fait que les fonctionnaires de police ne
parlaient pas le kirundi, sa langue maternelle, ils ont tenté de communiquer
avec lui en parlant une langue similaire, le kiha. Il affirme qu’aucun
interprète ne l’a assisté dans la préparation ou la révision de sa prétendue déclaration à la police pendant l’interrogatoire, celle-ci ayant été rédigée en
kiswahili, langue qu’il ne parlait, ni ne comprenait. Des suites de ces
manquements, le Requérant affirme avoir découvert que sa prétendue
déclaration ne correspondait pas à la déposition qu’il avait faite. Il soutient
également qu’il n'avait pas pleinement compris les chefs d'accusation
retenus à son encontre avant qu’un codétenu ne lui en donne la teneur lors
de sa détention en 2004.
99. Le Requérant explique, en outre, que si l’État défendeur affirme qu’un
interprète était présent à l’audience, celui-ci traduisait de l’anglais vers le
kiswahili et vice versa, deux langues qu’il ne comprenait pas à l’époque de
la procédure initiale. Il allègue également qu’il n’a pas bénéficié des
ressources lui permettant d’avoir une bonne compréhension des
procédures préalables à l’audience et de se défendre pendant le procès de
manière à faire entendre sa cause.
100. L'État défendeur conclut au débouté en soutenant qu’un interprète était
présent au tribunal pendant toute la durée de l’audience, comme en
témoigne les actes de la procédure. L'État défendeur fait valoir que le droit
de préparer une défense adéquate est toujours garanti par ses juridictions
avec diligence et sans parti pris, en tenant compte également des
contraintes linguistiques des personnes accusées.
101. Dans sa réplique, le Requérant soutient qu’il n’a pris connaissance du
contenu de sa déclaration à la police et des informations erronées qu’elle
contenait que lorsqu’il était en prison.
102. La Cour observe que même si l’article 7(1)(c) de la Charte ne prévoit pas
expressément le droit de se faire assister par un interprète, il peut être
compris à la lumière de l’article 14(3)(a) du Pacte international relatif aux
droits civils et politiques (ci-après désigné le « PIDCP ») qui prescrit que
«toute personne accusée d’une infraction pénale a le droit… a) d’être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de
façon détaillée, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre
elle… et f) de se faire assister gratuitement d’un interprète, si elle ne
comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience ».,°6
103. Dans l’affaire Xn Ci c. République-Unie de Tanzanie, la Cour a
considéré que tout accusé a droit à un interprète, ce qui constitue un aspect
du droit à un procès équitable consacré à l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(a) du PIDCP.°” La Cour a également jugé
qu’un accusé a droit à un interprète s’il ne comprend pas ou ne s'exprime
pas dans la langue utilisée par le tribunal. En outre, si l'accusé est
représenté par un avocat, la demande d’assistance d’un interprète doit être
adressée à la juridiction saisie.*
104. La Cour note que le CPP vise le même objectif en son article 211(1) qui
dispose : « chaque fois qu’une déposition est faite dans une langue que
l’accusé ne comprend pas et qu’il est présent en personne, elle doit lui être
interprétée dans une langue qu’il comprend ».
105. Il s'ensuit que le droit à un interprète tel qu’il découle de ces dispositions
n’implique pas nécessairement que l’accusé bénéficie d’une interprétation
dans sa propre langue, mais plutôt dans toute langue qu’il comprend. Telle
est le sens de la décision de la Cour dans l'affaire Ci c. Tanzanie, selon
laquelle l’objectif de veiller à ce que l’accusé comprenne la langue utilisée
par le tribunal [...] est de lui permettre de prendre la pleine mesure des
accusations portées contre lui et de participer à la procédure sans avoir
nécessairement une maîtrise totale de la langue employée.*°
36 Ratifié par l’État défendeur le 11 juin 1976.
37 Ci c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 73.
3 Bv c. Yq Yfond et réparations) supra, 8 128 et Ca Cn Aq c. République- Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 023/2016, Arrêt du 25 juin 2021 (fond et réparations), 8 93.
39 Ci c. Tanzanie, supra, 88 73 à 79. Voir également Bp c. Italie, CEDH, Requête 18913/03, Arrêt du 24 février 2005.
106. En l’espèce, il ressort du dossier qu’au moment de son arrestation en 2004,
le Requérant résidait en Tanzanie depuis dix (10) ans en tant que réfugié
originaire du Burundi. Il résulte également du dossier qu’après avoir été mis
aux arrêts, le Requérant a été placé en garde à vue au cours de laquelle il
a fait sa déposition, qui, selon lui, a été consignée en kiswahili par le
fonctionnaire de police.‘° En outre, une traduction a été faite de l’anglais
vers le kiswahili et vice versa à l'étape de la mise en accusation durant
laquelle les informations lui ont été lues et expliquées ainsi que durant le
procès. Le Requérant a, alors, plaidé non coupable.*! Au cours du procès,
le Requérant a seulement souligné, lorsqu’il présentait ses moyens de
défense, que la déposition ne lui avait pas été lue et que le fonctionnaire
de police avait peut-être écrit Phonex en lieu et place d’Avon, parlant de la
marque de la bicyclette, après qu’il a entendu le témoignage des parents
de la victime.
107. La participation du Requérant à la procédure, tel que relaté a de toute
évidence été faites dans une langue qu’il comprenait puisqu’il n’avait
invoqué aucun moyen quant au fait que les actes de la procédure ont été
traduits en kiswahili.%* Il convient de noter que le Requérant était représenté
par un avocat qui avait la maîtrise nécessaire des procédures et a pu
soulever des objections au nom de son client comme rappelé plus haut
dans le présent arrêt.
108. La Cour observe qu’il ne résulte du dossier aucun élément indiquant que le
Requérant avait sollicité des services d’interprétation en kirundi plutôt qu’en
kiswahili et que les tribunaux ont rejeté une telle demande. Le Requérant
n’a pas, non plus, indiqué l’étape de la procédure à laquelle il a soulevé un
moyen relatif aux services d'interprétation. La Cour estime donc que le
Requérant avait compris les procédures et accepté la manière dont elles
étaient menées, du moment qu’il n’a pas soulevé d’exception à cet égard.
4 L’État c. Bl A Xq, Affaire en matière pénale n° 61 de 2008, supra, page 47.
#1 Ibid, pages 2, 10, 13, 38 à 39, 64 et 94.
#2 Ibid., pages 47 et 48.
#3 Ibid., pages 45 à 51.
Il résulte de ce qui précède que le Requérant avait le niveau de
compréhension nécessaire pour décider si et comment il devait participer
à la procédure et, éventuellement, invoquer des moyens de défense.
109. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que le défaut de service
d'interprétation dans la langue maternelle du Requérant, à savoir, le kirundi,
au cours de la procédure concernée n’a pas affecté la capacité du
Requérant à défendre sa cause.
110. La Cour rejette donc cette allégation et considère que l’État défendeur n’a
pas violé l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article
14(3)(a) et (f) du PIDCP, garantissant les droits à la défense, en ce qui
concerne le droit d’être assisté d’un interprète.
iii. Violation alléguée du droit à la présomption d’innocence
111. Le Requérant allègue que la déclaration de culpabilité et la peine
prononcées à son encontre constituent une violation de son droit à un
procès équitable protégé par la Charte, étant donné qu’il a été condamné
à mort sans preuve adéquate de sa culpabilité. I! soutient que le seul
élément de preuve le reliant au crime est la déclaration de l’épouse de la
victime qui a affirmé que les lésions que présentaient le Requérant étaient
des blessures subies lors d’une altercation avec la victime. II affirme, en
outre, que l’existence de ces blessures n’a nullement été consignée et que
plusieurs témoins à charge n’ont pas comparu devant le tribunal.
112. Le Requérant soutient que, pour pallier l'absence manifeste de preuves
établissant un lien entre lui et le meurtre, le juge a retenu, à son encontre,
la doctrine de la possession récente en raison de la possession, au moment
de son arrivée au poste de police, d’une bicyclette censée ressembler à
celle que possédait la victime. Il affirme que cela s’est fait en dépit de son
explication claire selon laquelle il avait acheté la bicyclette plusieurs mois
avant l'incident. Le Requérant soutient que la Haute Cour et son avocat ont
manqué à leur obligation de protéger son droit à un procès équitable.
113. Dans sa réplique, le Requérant soutient également que son accusation a
été entièrement fondée sur des preuves par indices, à savoir le témoignage
écrit de l’épouse du défunt qui n’a jamais été interrogée au procès, alors
que d’autres preuves à décharge n’ont pas été prises en compte. || affirme,
en outre, que le recours à la doctrine de la possession récente était tout à
fait inapproprié étant donné qu'aucune démarche n’a été entreprise pour
obtenir d’autres preuves corroborant son explication quant à la raison pour
laquelle il a été trouvé en possession des biens volés.
114. En ce qui concerne les allégations du Requérant, l’État défendeur affirme
que sa condamnation a été confirmée sur la base de la doctrine de la
possession récente telle qu’illustrée par l’arrêt de la Cour d’appel. Selon
l’État défendeur, la Cour d’appel a confirmé la condamnation en estimant
que le tribunal d'instance avait correctement appliqué la doctrine. L'État
défendeur fait valoir qu’en l'espèce, comme le révèle l’arrêt de la Cour
d'appel, c’est le Requérant qui a conduit la police à l’endroit où se trouvaient
les objets volés et que leur propriétaire, PW1, les a correctement identifiés
alors qu’ils étaient en possession du Requérant. L'État défendeur conclut
qu’étant donné que les juridictions nationales ont tranché de manière
définitive les questions de preuve, ayant prouvé les faits reprochés au
Requérant au-delà de tout doute raisonnable, les allégations du Requérant
sont dénuées de fondement et doivent être rejetées.
115. Aux termes de l’article 7(1)(c) de la Charte, « [t]oute personne a droit à ce
que sa cause soit entendue… et le droit à la présomption d’innocence
jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente ».
116. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Cz Bj c. République-
Unie de Tanzanie selon laquelle les juridictions nationales jouissent d’une
large marge d'appréciation dans l’évaluation de la valeur probante des éléments produits devant elles. Étant une juridiction internationale des
droits de l'homme, la Cour ne peut pas se substituer aux juridictions
nationales pour examiner les détails et les particularités des preuves
présentées dans les procédures internes.**
117. Cela étant, la Cour rappelle également sa jurisprudence constante selon
laquelle elle n’a certes pas le pouvoir d’évaluer les questions de preuve qui
ont été examinées par les juridictions nationales, mais qu’elle garde le
pouvoir de déterminer si cet examen est conforme aux dispositions
pertinentes des instruments internationaux en matière de droits de
118. La Cour rappelle qu’un procès équitable « requiert que la condamnation
d’une personne à une sanction pénale, et particulièrement, à une lourde
peine d'emprisonnement, soit fondée sur des preuves solides ».*° Comme
la Cour l’a également affirmé dans l’affaire Bg Af c. République-
Unie de Tanzanie, le principe selon lequel la condamnation pénale doit être
« établie avec certitude » est un élément important dans les procédures où
la peine de mort est imposée.*”
119. En ce qui concerne l’allégation du Requérant selon laquelle le seul élément
de preuve le liant au crime était la déclaration de l’épouse de la victime qui
affirmait que les lacérations sur son corps résultaient des blessures qu’il
avait subies lors d’une altercation avec la victime, la Cour note, d’après le
dossier à sa disposition, que le ministère public s’est appuyé sur cinq (5)
témoins pour étayer sa thèse. La déclaration de culpabilité était fondée sur
des preuves par indices et sur la doctrine de la possession récente. La Cour
observe que les tribunaux nationaux ont estimé que les preuves examinées
44 Cz Bj AJ X de Yq Yfond) (21 mars 2018), 2 RICA 218, 8 65 et Yd et autres Cc Yd & 4 autres c. République-Unie de Yq Yarrêt) (25 septembre 2020), 4 RICA 673, 8 78.
#5 Cf Ar c. République-Unie de Tanzanie, Arrêt (fond) (28 mars 2019), 3 RICA 48, $ 61; Aj c. Yq Yarrêt), supra, 8 66 et Bk AJ Yq, Arrêt (fond), supra, 8 69.
46 Ys c. Tanzanie, Arrêt, (fond), supra, 8 174 ; Xc c. Yq Yarrêt), supra, 8 70 et Bj AJ Yq, Arrêt (fond), supra, 8 67.
47 Af c. Tanzanie, Arrêt (fond) supra, 8 72.
étaient suffisantes et substantielles pour que la déclaration de culpabilité
soit maintenue. Il ressort des décisions de la Haute Cour et de la Cour
d’appel que PW1 a donné la même description de la bicyclette à trois
reprises, la première fois, le 10 juillet 2004 et les deux autres fois, quatre
(4) jours plus tard, devant la juridiction de jugement. Les juridictions
nationales ont estimé que ces éléments prouvaient à suffisance que la
bicyclette en question appartenait à la victime.“
120. La Cour relève que les juridictions nationales se sont également appuyées
sur le témoignage de PW2 qui a déclaré devant la juridiction d'instance que
la description de la bicyclette en question leur avait été donnée par PW1
avant que celle-ci ne soit retrouvée. Il s’y ajoute que lorsqu’il a demandé à
l’accusé comment il avait obtenu la bicyclette en question, celui-ci ne lui a
rien expliqué et il ne savait pas de quel modèle de bicyclette il s’agissait.*°
En outre, selon la Haute Cour et la Cour d’appel, PW3 a fourni un autre
élément de preuve important. Il a été témoin de l’achat, par la victime, de
la bicyclette de marque Avon portant le numéro de série 0538 et a identifié
le contrat de vente qui a été produit devant le tribunal.*°
121. En ce qui concerne l’allégation du Requérant selon laquelle la doctrine de
la possession récente a été invoquée à tort, la Cour note que les juridictions
nationales ont confirmé que tous les éléments à l’appui de ladite doctrine
ont été prouvés, à savoir que l’objet a été retrouvé en la possession de
l’accusé, qu’il a été identifié avec certitude comme appartenant à la victime,
qu’il avait été récemment volé à la victime et qu’il correspondait à celui
décrit dans l’acte d'accusation.°! Comme souligné dans le présent Arrêt, la
Haute Cour et la Cour d’appel ont estimé que les témoignages de PW1 et
48 L'État c. AL A AM, Affaire en matière pénale n° 20 de 2008, Arrêt de la Haute Cour de Tanzanie siégeant à Ax, 25 juin 2012, pages 81 et 82 et AL A AM c. l’État, Appel en matière pénale n° 182 de 2013, Arrêt de la Cour d’appel de Tanzanie siégeant à Ax, 14 septembre 2013, pages 11 et 12.
4% L'État c. AL A AM, Affaire en matière pénale n°20 de 2008, ibid., pages 80 à 83 et AL A AM c. l’État, Appel en matière pénale n° 182 de 2013, ibid., pages 13 et 14.
so L'État c. AL A AM, Affaire en matière pénale n°20 de 2008, ibid, page 91 et AL A AM c. l’État, Appel en matière pénale n°182 de 2013, ibid, pages 12 et 13.
51 Aw Ct c. République Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 047/2016, Arrêt du 30 septembre 2022 (fond et réparations), 8 63.
PWS3 prouvaient que la bicyclette en question appartenait à la victime et
avait été récemment volée, et que le témoignage de PW2 établissait que la
bicyclette en question avait été trouvée entre les mains de l’accusé.
122. La Cour note également qu’en se fondant sur la doctrine de la possession
récente, les juridictions nationales ont pris acte de ce que la charge de la
preuve incombait au ministère public, qui était tenu de prouver sa thèse au-
delà de tout doute raisonnable. Elles ont également relevé que le
Requérant n'avait pas réussi à créer un doute raisonnable sur le fait que la
bicyclette appartenait à la victime. Les juridictions nationales ont ainsi
conclu que la doctrine de la possession récente avait été invoquée à juste
titre.5? La Cour considère donc qu'il ne résulte de l’appréciation des preuves
par les juridictions nationales aucune erreur manifeste ni aucun déni de
justice à l’égard du Requérant.
123. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette les allégations du Requérant
concernant la violation de son droit à la présomption d’innocence jusqu’à
ce que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente. Elle
considère, en conséquence, que l’État défendeur n’a pas violé
l’article 7(1)(b) de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à la vie
124. Le Requérant allègue que la violation de plusieurs aspects de son droit à
un procès équitable dans le cadre de la procédure qui a abouti à sa
condamnation, a rendu la peine de mort obligatoire attentatoire à son droit
à la vie.
125. Le Requérant affirme qu’à travers la peine de mort obligatoire, l’État
défendeur a violé son droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte
puisqu'il ne tient pas compte de sa situation personnelle et du caractère
52 L'État c. AL A AM, Affaire en matière pénale n° 20 de 2008, ibid, pages 91 à 93 et AL A AM c. l’État, Appel en matière pénale n° 182 de 2013, ibid., pages 22 et 23.
particulier de l’infraction, notamment des circonstances aggravantes ou
atténuantes spécifiques. Il soutient que l’État défendeur lui a appliqué la
peine de mort sur la seule base de son caractère obligatoire en droit
interne, alors que cette peine n’était pas justifiée, ni compatible avec son
droit à la vie en raison de sa bonne moralité et de l'absence de tout
antécédent criminel. Il fait également valoir que l’État défendeur n’a pas,
non plus, prouvé qu’il avait prononcé la peine de mort parce que les
infractions étaient très graves et que son affaire relevait des cas les plus
rares. Le Requérant estime que la commutation de sa peine montre que sa
condamnation n’a pas atteint le seuil de gravité requis.
126. Par ailleurs, le Requérant affirme que la commutation de sa peine par l’État
défendeur n’exonère pas ce dernier de son manquement initial, qui a
conduit à son incarcération, dans le couloir de la mort, pendant huit (8) ans.
127. L'État défendeur soutient que l'imposition de la peine de mort en cas de
meurtre est conforme à son Code pénal et à d’autres instruments régionaux
et internationaux de protection des droits de l’homme. L'État défendeur fait
valoir qu’en vertu de l’article 6(2) du PIDCP, la peine de mort peut être
imposée pour les crimes les plus graves et qu’en vertu de l’article 196 de
son Code pénal, les crimes passibles de la peine de mort sont de nature
grave, ce qui était le cas du Requérant.
128. L'État défendeur soutient, en outre, qu’alors que le Requérant se trouvait
dans le couloir de la mort, sa peine a été commuée en emprisonnement à
perpétuité par le Président de la République, ce qui a permis de remédier
à la violation alléguée en imposant une peine de substitution. L'État
défendeur estime que la demande de réduction de peine formulée par le
Requérant n’est pas fondée en droit national puisque l'infraction de meurtre
n’est passible que de la peine de mort ou d’une peine d’emprisonnement à
perpétuité.
129. L'article 4 de la Charte dispose :
La personne humaine est inviolable. Tout être humain a droit au
respect de sa vie et à l’intégrité physique et morale de sa personne :
Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit.
130. La Cour note que le Requérant a soulevé trois (3) moyens à l’appui de la
violation alléguée du droit à la vie du fait de la peine de mort obligatoire. Il
s’agit de la nature de l’infraction et de la situation de son auteur, de la
légalité de la peine et du respect des procédures régulières au cours du
procès. La Cour estime que ces moyens sont relatifs, d’une manière ou
d’une autre, à la question de savoir si la peine de mort obligatoire constitue
une privation arbitraire du droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte.
131. En ce qui concerne la privation arbitraire du droit à la vie protégé par l’article
4 de la Charte, la Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Cb Bd
et autres c. République-Unie de Tanzanie où elle a estimé que le caractère
obligatoire de la peine de mort était arbitraire et, par conséquent,
attentatoire au droit à la vie dès lors qu’ elle n’était pas prévue par la loi, ou
qu’elle n’était pas prononcée par un tribunal compétent et ne résultait pas
d’une procédure conforme au principe du procès équitable, notamment en
ce qu’elle a privé le juge du pouvoir d'appréciation des circonstances
propres à la commission de l'infraction et à l’auteur de celle-ci.*
132. La Cour note qu’en l’espèce, le Requérant ne conteste pas le pouvoir des
juridictions nationales de prononcer la peine de mort. Ses griefs portent sur
la légalité de la peine de mort obligatoire et sur la question de savoir si elle
est conforme au droit à un procès équitable, à savoir si le juge avait la
latitude de prendre en compte les circonstances propres à l'affaire. La Cour
examinera successivement ces deux questions.
53 Cb Bd et autres c. République-Unie de Yq Yfond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 539, 88 99 et 100.
133. S'agissant du critère relatif à la légalité, la Cour note que la peine de mort
est prévue par l’article 197 du Code pénal de l’État défendeur. L’exigence
de légalité de la peine est donc remplie. En l’espèce, s’il est vrai que le
Requérant conteste la conformité de la peine de mort obligatoire au droit
international, ses arguments, à cet égard, portent plutôt sur la gravité de
l'infraction et sur sa situation personnelle. La contestation ne porte donc
pas sur la légalité de la peine de mort obligatoire, mais plutôt sur l’exigence
d’équité, ce qui sera examiné ultérieurement.
134. En ce qui concerne le respect du droit à un procès équitable, l’argument du
Requérant comporte deux aspects, notamment : la question de savoir si le
caractère obligatoire a tenu compte de la nature de l'infraction, d’une part,
et si elle a dûment considéré la situation personnelle de l’auteur de
l'infraction, d’autre part.
135. S'agissant de la nature de l'infraction, la Cour note l’affirmation du
Requérant selon laquelle l’État défendeur n’a pas prouvé que la gravité de
l'infraction pour laquelle il a été condamné justifiait l’application obligatoire
de la peine de mort. Le Requérant fait valoir que l’exigence de « gravité »
n’était pas remplie puisque sa condamnation à mort a, par la suite, été
commuée en une peine d’emprisonnement à vie.
136. La Cour souligne que l’article 6(2) du PIDCP dispose : « [djans les pays où
la peine de mort n’a pas été abolie, une sentence de mort ne peut être
prononcée que pour les crimes les plus graves, conformément à la
législation en vigueur au moment où le crime a été commis et qui ne doit
pas être en contradiction avec les dispositions du présent Pacte, ni avec la
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide [.…] ».
137. Dans l'affaire At Xh c. République-Unie de Tanzanie, la Cour a
considéré que la peine de mort ne devrait « être réservée, à titre exceptionnel, qu’aux infractions les plus odieuses commises dans des
circonstances particulièrement aggravantes ».°*
138. La Cour relève également que la jurisprudence internationale en matière
de droits de l'homme prend en compte la gravité d’une infraction justifiant
l’application de la peine de mort obligatoire. À titre d'exemple, la Cour
interaméricaine des droits de l'homme a estimé que la privation
intentionnelle et illicite de la vie d’autrui peut et doit être reconnue et traitée
en fonction de divers facteurs qui correspondent à la gravité des faits
entourant l’affaire, en tenant compte des différentes facettes qui peuvent
entrer en jeu, tels qu’une relation spéciale entre le contrevenant et la
victime, les raisons du comportement, les circonstances et les moyens de
commission du crime. La Cour interaméricaine des droits de l'homme a
estimé que cette approche permettait d'évaluer progressivement la gravité
de l'infraction, pour qu’elle soit en rapport avec les différents niveaux de
lourdeur de la peine applicable.°*
139. Dans l'affaire S c. Makwanyane, la Cour constitutionnelle de l’Afrique du
Sud a indiqué ce qui suit : « [L] a peine de mort ne devrait être prononcée
que dans les cas exceptionnels où il n’existe aucune perspective
raisonnable de réforme et lorsqu’aucune autre peine ne permet d'atteindre
pleinement l'objectif de la punition ».°° En outre, dans l'affaire Mitcham et
autres c. Director of Public Prosecution, la Cour d’appel des Caraïbes
orientales a déclaré que «la charge de la preuve, lors de l’audience de
fixation de la peine, incombe au ministère public et que la norme reste la
preuve au-delà de tout doute raisonnable ».°7
140. La Cour note qu’en l’espèce, le caractère obligatoire de la peine de mort a
privé les juridictions d'instance du pouvoir de déterminer si l’affaire du
54 Xh c. Yq Yarrêt), supra, 8 66.
55 Boyce et al. v. Barbados, Preliminary Objection, Merits, Reparations, and Costs, Judgment of 20 November 2007. Series C No. 169, par. 46 à 63 et Hilaire, Constantine, and Benjamin et al. v. Trinidad and Xm, Merits, Reparations, and Costs, Judgment of June 21, 2002. Series C No. 94, par. 106. 56 S v. Makwanyane, Affaire n°. CCT/3/94, Arrêt du 6 juin 1995, par. 46.
57 Mitcham & Ors v. DPP, Crim. Appeal Nos 10-12 of 2002 Cu Ab Ck of Appeal, par 2.
Requérant relevait de la catégorie des cas exceptionnels pour lesquels la
peine de mort peut être légalement prononcée. En effet, en vertu de la
législation de l’État défendeur, la peine de mort est automatiquement
appliquée en cas de meurtre et le juge n’a pas la latitude de prendre en
compte les circonstances particulières de l’infraction. Au regard de ce qui
précède, la Cour considère que l’État défendeur a violé le droit à la vie du
Requérant, protégé par l’article 4 de la Charte, en n’ayant pas permis au
juge de prendre en compte la nature de l'infraction.
141. En ce qui concerne la situation de l’auteur de l'infraction, la Cour rappelle,
comme elle l’a jugé dans l’arrêt Bd, que le caractère obligatoire de la
peine de mort, tel que prévu par l’article 197 du Code pénal de l’État
défendeur, ne répond pas aux exigences d’une procédure régulière, dans
la mesure où elle prive le juge de son pouvoir d’appréciation en fonction de
la situation individuelle de la personne déclarée coupable.°° Dans l'affaire
Cr Ad Cp c. République-Unie de Tanzanie, la Cour a
vérifié si le requérant avait souffert de troubles post-traumatiques avant la
commission de l’infraction et s'il souffrait d’aliénation mentale au moment
de la commission de l'infraction.’ La Cour rappelle sa jurisprudence
constante selon laquelle le caractère obligatoire de la peine de mort prive
l'individu de son droit le plus fondamental, le droit à la vie, sans considérer
si cette forme exceptionnelle de châtiment est appropriée dans les
circonstances particulières de son affaire.°
142. La Cour note, par ailleurs, que la jurisprudence internationale prend en
compte la situation de l’auteur de l’infraction lors du prononcé de la peine
de mort obligatoire. Dans l'affaire Dial et autres c. Trinité-et-Tobago, la Cour
interaméricaine des droits de l’homme a estimé que le fait que certaines
lois rendent obligatoire la peine de mort ne permet pas aux juridictions
d'instance de prendre en considération les circonstances particulières de
58 Bd et autres c. Tanzanie, Arrêt (fond et réparations) supra, 8 110.
59 Cp c. Yq Yarrêt) supra, 88 66 à 72.
80 Bd et autres c. Tanzanie, Arrêt (fond et réparations), ibid., 8 109 et Xc c. Yq Yarrêt) supra, 88 124 et 125.
l'accusé, y compris son casier judiciaire.“ Dans l’affaire Xf et
autres c. Yh Xo, la Haute Cour du Malawi a déclaré que, dans
une affaire où la peine capitale est encourue, le droit à un procès équitable
exige que les auteurs de l’infraction soient autorisés à présenter des
preuves de circonstances atténuantes en rapport avec la commission de
l'infraction en question ou leur situation particulière.S?
143. En l’espèce, la Cour note que le Requérant soutient que la peine de mort
obligatoire a été prononcée à son encontre, sans prise en compte de sa
bonne moralité et de son casier judiciaire vierge. La Cour estime qu’en tant
que principe général, et par souci de justice naturelle et d’équité, la
possibilité d’atténuation devrait toujours être prévue pour fixer une peine,
surtout lorsqu'il s’agit de la peine de mort. La Cour considère que la bonne
moralité et l'absence de passé pénal invoquées par le Requérant sont des
éléments pouvant être pris en compte pour atténuer une peine. Par
conséquent, l’absence de prise en considération de ces éléments durant la
procédure qui a conduit à l’application obligatoire de la peine de mort a
rendu ladite procédure non conforme au principe d’équité.
144. La Cour note l'affirmation de l’État défendeur selon laquelle la violation
alléguée a été remédiée par le Président de la République qui a tenu
compte du droit à la vie en commuant la peine de mort du Requérant en
une peine de réclusion à perpétuité. Toutefois, la grâce présidentielle qui a
permis la commutation en 2020 de la peine du Requérant, n’exonère pas
l’État défendeur de sa responsabilité dans la commission de la violation —
à savoir l’application obligatoire de la peine de mort — au moment où elle
s’est produite en 2012. En outre, le Requérant a effectivement passé
environ huit (8) années dans le couloir de la mort avant la commutation de
sa peine et la violation a eu des effets.
81 Dial et al. c. Trinidad et Xm, Arrêt du 21 novembre 2022 (fond et réparations), paragraphe 48.
82 Xf et autres c. Yh Xo, Recours en inconstitutionnalité n° 12 de 2005 (inédit). Voir aussi Yh Xo AJ Bp Xd et 417 autres, Recours en inconstitutionnalité n° 03 de 2006 (Cour suprême de l’AlB, $$ 63 et 64 et Ag c. l’État, Appel en matière pénale n° 17 de 2008, pages 8, 24 et 35 (30 juillet 2010) (Cour d'appel du Kenya).
145. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l’obligation de
prononcer la peine de mort, telle que prévue à l’article 197 du Code pénal
de l’État défendeur et appliquée automatiquement par la Haute Cour dans
le cas du Requérant, est arbitraire car elle ne satisfait pas à l’exigence
d’équité énoncée à l’article 4 de la Charte. En effet, l'imposition d’une telle
peine ne laisse pas au juge la latitude de tenir compte ni des circonstances
de la commission de l'infraction, ni de la situation personnelle de son
auteur, ce qui constitue une violation du droit à la vie.
146. La Cour dit, en conséquence, que l’État défendeur a violé le droit à la vie
du Requérant, protégé par l’article 4 de la Charte, en ne permettant pas au
juge de prendre en compte la nature de l'infraction et la situation individuelle
des auteurs au moment du prononcé de la peine de mort obligatoire, et ce,
malgré la commutation postérieure de la peine.
C. Violation alléguée du droit à la dignité
147. Le Requérant allègue la violation de son droit à la dignité, protégé par
l’article 5 de la Charte, du fait du caractère obligatoire de la peine de mort
qui équivaut à un traitement cruel et innumain. En outre, le Requérant
allègue une violation de son droit à la dignité fondée sur le syndrome du
couloir de la mort et sur des mauvaises conditions de détention.
148. La Cour relève que l’article 5 du Protocole dispose :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d'’avillissement de l’homme, notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont
interdites.
i. Sur l’interdiction des traitements cruels, inhumains et dégradants
149. Le Requérant soutient que l’État défendeur a violé son droit à la dignité en
le condamnant à la mort par pendaison, en violation de l’article 5 de la
Charte. Selon le Requérant, cette violation est établie malgré la
commutation de la peine de mort en peine d’emprisonnement à vie.
150. L'État défendeur affirme, quant à lui, que l'imposition de la peine de mort
pour meurtre est conforme à ses lois et aux instruments régionaux et
internationaux relatifs aux droits de l'homme. En effet, cette peine est
prononcée pour les « crimes les plus graves », comme le prévoient l’article
196 du Code pénal et l’article 6(2) du PIDCP.
151. En ce qui concerne l'interdiction des traitements cruels et innumains visée
à l’article 5 de la Charte, la Cour a estimé dans l’affaire Cb Bd et autres
c. République-Unie de Tanzanie, que de nombreuses méthodes
d’exécution de la peine de mort sont susceptibles d’être assimilées à la
torture, ainsi qu’aux traitements cruels, inhumains et dégradants, compte
tenu des souffrances qui y sont associées. La Cour a, spécifiquement,
estimé que l’exécution par pendaison d’une personne est l’une des
méthodes susvisées et qu’elle est donc dégradante par nature.°° La Cour
rappelle également sa jurisprudence dans l’affaire Ai Xc c.
République-Unie de Tanzanie, selon laquelle l’exécution de la peine de
mort par pendaison porte atteinte à la dignité de la personne au regard de
l'interdiction de la torture et des traitements cruels, innumains et
63 Bd et autres c. Tanzanie, Arrêt (fond et réparations) supra, 88 118 et 119.
84 Xc c. Yq Yarrêt) supra, 8 136.
152. La Cour réitère sa jurisprudence selon laquelle, conformément à la logique
même de l'interdiction des méthodes d’exécution qui s’apparentent à la
torture ou à des traitements cruels, innumains et dégradants, il faudrait
exiger que les méthodes d’exécution excluent toute souffrance ou causent
le moins de souffrance possible dans les cas où la peine de mort est
autorisée.” Ayant jugé que le caractère obligatoire de la peine capitale
constitue une violation du droit à la vie du fait de son caractère arbitraire, la
Cour considère que le mode d’exécution de cette peine, à savoir la
pendaison, porte inévitablement atteinte au droit à la dignité et à ne pas
être soumis à des peines ou traitements cruels, innumains ou dégradants.Sé
La Cour estime que cette jurisprudence vaut également pour le cas
d’espèce.
ii. Sur la détention du Requérant dans le couloir de la mort
153. Le Requérant soutient que son incarcération l’a exposé au syndrome du
couloir de la mort, terme utilisé pour décrire l’anxiété, la crainte, la peur et
l’angoisse psychologique qui peuvent accompagner une incarcération de
longue durée dans le couloir de la mort, ce qui constitue une peine ou un
traitement cruel, innumain ou dégradant. Il allègue que pendant son séjour
dans ce couloir, il a vécu le tourment psychologique de la peur constante
d’une mort imminente.
154. Le Requérant soutient également qu’il a été détenu dans le couloir de la
mort pendant huit (8) ans à la prison de Butimba, une période bien
supérieure à la durée considérée comme cruelle, inhumaine ou
dégradante. Il affirme que l’existence d’un moratoire de facto sur la peine
de mort n’a pas atténué le risque que celle-ci soit exécutée. De plus, il
estime, bien que n’étant plus dans ce couloir, qu’il a droit à une réparation
pour les effets psychologiques persistants résultant de son incarcération
prolongée aux mains de l’État défendeur.
5 Bd et autres c. Tanzanie, Arrêt (fond et réparations) supra, 8 118.
66 Ibid, 88 119 et 120.
155. L'État défendeur n’a pas explicitement conclu sur l’allégation de violation
du droit à la dignité du fait de la détention dans le couloir de la mort.
156. En ce qui concerne la question de savoir si la détention dans le couloir de
la mort constitue une violation du droit à la dignité, la Cour a conclu, dans
l’arrêt Cp précédemment cité, que la détention dans le couloir de la
mort est susceptible d’avoir un impact négatif sur l’état psychologique d’un
individu, du fait que la personne concernée peut être exécutée à tout
moment.’ Dans l’arrêt Bd mentionné plus haut, la Cour a également
estimé que pendant leur séjour dans le couloir de la mort, les requérants
vivent d’incertitude, conscients qu’à tout moment ils peuvent être exécutés.
Cette attente et sa durée ont non seulement prolongé, mais encore aggravé
l’anxiété des requérants.“
157. En l’espèce, la Cour note que la peine de mort obligatoire a été prononcée
à l'encontre du Requérant en 2012 et qu’à la suite de cette décision, il a été
détenu pendant huit (8) ans dans le couloir de la mort à la prison de Butimba
avant que sa peine ne soit commuée en peine de réclusion à perpétuité en
2020. La Cour observe, en outre, qu’il résulte de la jurisprudence
internationale qu’un délai de plus de trois (3) ans entre la confirmation, en
appel, de la condamnation à mort d’un prisonnier et son exécution constitue
un traitement ou une peine cruel, inhumain ou dégradant.®° La Cour
rappelle que dans l'affaire Bd, elle a jugé que le fait de passer huit (8)
années dans le couloir de la mort est constitutif d’un châtiment ou un
traitement cruel, innumain ou dégradant.” Enfin, la position de la Cour
résulte de ce que, comme elle l’a déjà jugé, l’application obligatoire de la
peine de mort ne satisfait pas aux exigences de la Charte et que, de ce fait,
87 Cp c. Yq Yfond et réparations) supra, 8 112 et Xh c. Yq Yarrêt) supra, 8 87.
8 Bd et autres c. Yq Yfond et réparations) supra, 8 148.
69 Attorney-General AJ Bp Xd & 17 autres (Recours en inconstitutionnalité n° 3 de 2006) UGSC 6 (21 janvier 2009) (Cour suprême de l'Ouganda) et Commission catholique pour la justice et la paix au Zimbabwe c. Yh Xo du Zimbabwe et autres, Zimbabwe : Cour suprême de l’Ouganda, 24 juin 1993.
70 Bd et autres c. Yq Yfond et réparations) supra, 8 148.
le Requérant n'aurait, en aucun cas, dû se retrouver dans le couloir de la
mort.
158. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le Requérant a enduré
pendant huit (8) ans les conditions inhérentes au syndrome du couloir de
la mort, ainsi que l’angoisse et la tension liées à la crainte permanente
d’être exécuté, constitue une peine ou un traitement cruel, inhumain ou
dégradant.
iii. Sur les conditions de détention déplorables du Requérant
159. Le Requérant allègue, qu’il a été incarcéré, dans le couloir de la mort,
pendant huit (8) ans, dans des conditions déplorables, notamment
l'isolement, l’exiguïté, le harcèlement et des règles arbitraires ou sévères.
Il soutient qu’au cours de son incarcération, il a souffert de problèmes de
santé pendant longtemps, principalement des problèmes d’estomac, et qu’il
n’a reçu aucun traitement. Il affirme souffrir de maux de tête et d’ulcères en
raison des conditions de sa détention. Il déclare que l’incarcération dans le
couloir de la mort constitue, en soi, un traitement cruel, innumain ou
dégradant en violation de l’article 5 de la Charte.
160. L'État défendeur soutient que les allégations du Requérant ne sont pas
prouvées et que les prisons tanzaniennes offrent de très bonnes conditions
d'accueil aux détenus pendant toute la durée de leur peine.
161. En ce qui concerne les conditions déplorables de détention, la Cour de
céans a estimé dans l’affaire Cx Am c. République du Rwanda,
que l’article 5 de la Charte « peut être interprété comme s’étendant à la
protection la plus large possible contre les abus, qu’ils soient physiques ou
mentaux ».”! La Cour a également estimé que le caractère cruel ou
71 Cx Am c. République du Rwanda (arrêt) (27 novembre 2020), 4 RICA 846, 8 80.
inhumain du traitement doit être déterminé au cas par cas et doit impliquer
un certain degré de souffrance physique ou mentale de la personne, ce qui
dépend de la durée du traitement, de ses effets physiques ou
psychologiques et de l’état de santé de la personne.”
162. La Cour rappelle, en outre, que dans l’arrêt Am précité, elle a
souligné que les États ont l’obligation d'assurer aux détenus «les
conditions nécessaires à une vie digne, notamment en fournissant de la
nourriture, de l’eau, une ventilation adéquate, un environnement exempt de
maladies et des soins de santé appropriés ».”*
163. La Cour note qu’en l’espèce, la question essentielle est celle de la charge
de la preuve qui, comme rappelé précédemment, incombe, en principe, au
Requérant qui formule l’allégation.”* La Cour note en outre que,
conformément à sa jurisprudence constante, elle a adopté une approche
relativement souple pour examiner les questions de preuve, en se fondant
principalement sur la règle selon laquelle, dès lors que le requérant formule
une allégation prima facie, il incombe à l’État défendeur de la réfuter.”5 En
tant que principe général en matière de preuve, cette charge ne se déplace
vers le requérant que si l’État défendeur a apporté des preuves suffisantes
pour démontrer le contraire.
164. La Cour note les allégations du Requérant relatives à la privation de
nourriture, aux mauvaises conditions d'hébergement, à la détention à
l'isolement et à l’absence de soins médicaux adéquats. La déposition du
Requérant décrit à suffisance ses conditions de détention : surpopulation
carcérale, nourriture inadéquate, mauvaises conditions d’hygiène et soins
médicaux insuffisants, trois détenus partageant la même pièce et dormant
7? Ibid, 8 81.
73 Ibid, 8 103.
7% Az Cq c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 033/2016, Arrêt du 7 novembre 2023 (fond et réparations), 8 172 ; Cs Xa Xe c. République-Unie de Yq Yfond) (11 mai 2018), 2 RICA 381, 8 51.
75 Cx Am c. République du Rwanda (arrêt) (27 novembre 2020), 4 RICA 846, 8 33 ;
Cf Xl Yb et Yu Ao Xy Cd c. République-Unie de Yq Yfond) (28
septembre 2017) 2 RICA 67, 8 142.
sur des matelas posés à même le sol, absence de moustiquaires, manque
d'occupation par le travail ou d’exercice pour garder son cerveau et son
corps en bonne santé, maux de tête et ulcères en raison des conditions de
détention.
165. En l’espèce, le Requérant allègue prima facie qu’il a été soumis à des
conditions de détention déplorables, allégation qui a été consignée dans
une déposition sous serment. L'État défendeur, quant à lui, réfute cette
allégation qu’il qualifie de non fondée, sans toutefois rapporter la moindre
preuve du contraire. Dans ces circonstances, la charge de la preuve
n’incombe pas au Requérant, dans la mesure où sa déposition sous
serment a une valeur probante.
166. La Cour note également que, selon le rapport d’audit de performance 2022
publié par l'Office national d'audit de l’État défendeur, les conditions
carcérales révèlent des problèmes tels que l’insuffisance de la nourriture,
la surpopulation, les mauvaises conditions d'hygiène, l’insuffisance des
soins médicaux, ainsi que la vétusté du matériel de couchage.”# Dans son
rapport présenté dans le cadre de l’examen périodique universel de 2016
de l’État défendeur, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de
l’homme a souligné que « les conditions dans les prisons et les centres de
détention étaient très préoccupantes ».”” De même, dans ses observations
de 2021 pour le troisième examen périodique universel du pays, la
Commission des droits de l’homme et de la bonne gouvernance, qui est
l'institution nationale des droits de l’homme de l’État défendeur, a fait part
de ses préoccupations concernant la surpopulation et la ration
76 Bureau national de l’audit (République-Unie de Tanzanie), Rapport d’audit de performance sur l'administration pénitentiaire et le système de détention provisoire, et sur les infrastructures carcérales (mars 2022).
77 Conseil des droits de l'homme des Bn Bq, « Compilation préparée par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme conformément au paragraphe 15(b) de l’annexe à la résolution 5/1 du Conseil des droits de l'homme et au paragraphe 5 de l'annexe à la résolution 16/21 du Conseil — République-Unie de Tanzanie » (7 mars 2016).
78 Commission pour les droits de l’homme et la bonne gouvernance, « Rapport sur la Tanzanie au titre du troisième cycle de l'examen périodique universel » (août 2021) 1-2.
167. La Cour observe que l’État défendeur ne réfute pas l’allégation du
Requérant en fournissant des précisions sur les conditions de détention ou
en apportant la preuve de la conformité de ces conditions aux normes
internationales applicables. Compte tenu des conditions de détention
décrites ci-dessus, il ne peut être contesté que le Requérant a souffert de
mauvaises conditions de détention. La Cour considère en conséquence
que le Requérant a souffert des conditions de détention déplorables, qui
ont porté atteinte à son droit à la dignité.
168. Dans ces circonstances, la Cour estime que l’État défendeur a violé le droit
du Requérant à la dignité et à ne pas être soumis à des peines ou
traitements cruels, innumains ou dégradants, protégé par l’article 5 de la
Charte du fait de l’application de la peine de mort par pendaison, de sa
détention dans le couloir de la mort nonobstant la commutation de sa peine
et des conditions de détention déplorables.
D. Violation alléguée du droit au bénéfice de services consulaires
169. Le Requérant allègue que l’État défendeur n’a pas respecté les garanties
d’un procès équitable en ne l’informant pas de son droit à l’assistance
consulaire de l’ambassade du Burundi. Il fait valoir que l’État défendeur a
adhéré à la CVRC en 1977 et qu’il était donc tenu, en vertu de l’article 36
de cet instrument, de lui notifier ses droits à l’assistance consulaire au
moment de son arrestation et durant la suite de la procédure.
170. Le Requérant affirme qu’en plus d’être une garantie minimale d’un procès
équitable dans les affaires impliquant des ressortissants étrangers, le droit
à l’assistance consulaire est un droit de l'homme autonome qui, en
l'espèce, a été violé. Il affirme avoir déjà subi un grave préjudice de la part
de l’État défendeur en raison de son statut de réfugié et de ses conditions
de vie difficiles dans le camp de Xk, en Tanzanie. Selon le
Requérant, ces difficultés ont été aggravées par le fait que l’État défendeur
ne lui a pas garanti l’assistance consulaire, ce qui a rendu son procès
inéquitable et est donc constitutif d’une violation de ses droits de l’homme.
171. L'État défendeur fait valoir que le droit à l’assistance consulaire en vertu de
l’article 36 (1)(b) de la CVRC est accordé à condition que l’accusé en fasse
la demande. L'État défendeur fait valoir qu’au cours de la procédure devant
les juridictions internes, le Requérant n’a pas soulevé la question d’une
demande de communication avec son État d’origine.
172. L'État défendeur soutient qu’il n’y a pas eu de violation de la CVRC car le
Gouvernement tanzanien n’est pas tenu par la loi d’informer l’État d’origine
du Requérant, mais que le Requérant aurait pu exercer ce droit s’il en avait
fait la demande. Selon l’État défendeur, établir une telle communication
sans que le Requérant ne l’ait requise aurait constitué une violation du
principe de non-refoulement.
173. Dans sa réplique, le Requérant soutient que l’article 25 de la loi de 1998
sur les réfugiés, invoqué par l’État défendeur, ne peut restreindre le droit à
l’assistance consulaire prévu à l’article 36 de la Convention de Vienne sur
les droits des personnes handicapées. Le Requérant fait valoir que l’article
36 de la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs
migrants et des membres de leur famille impose à l’État l’obligation absolue
d'informer sans délai les détenus étrangers de leur droit de notifier leur
arrestation à l’État d’origine. Il affirme enfin que, contrairement à ce que
soutient l’État défendeur, faciliter le contact entre un réfugié et le consulat
de son État d’origine n’équivaut pas à une expulsion qui serait contraire au
principe de non-refoulement.
174. Conformément à sa jurisprudence constante, la Cour relève que les droits
prévus par l’article 36(1) de la CVRC sont également protégés par l’article
7(1)(c) de la Charte.” La Cour rappelle que dans l’affaire Xu
Xr c. République-Unie de Tanzanie, elle à jugé que « le bénéfice de
services consulaires est essentiel au respect du droit à un procès équitable
des ressortissants étrangers détenus ». L'article 36(1) de la CVRC exige,
79 Ci c. Yq Yfond et réparations) supra, 88 95 et 96.
de manière explicite, des États parties qu’ils facilitent l’assistance des
services consulaires aux ressortissants étrangers détenus dans leur
175. La Cour observe que bien que l’article 7 de la Charte ne couvre pas
expressément la question du bénéfice de services consulaires, la CVRC, à
laquelle l’État défendeur est partie, traite de cette question. L'article 36(1)
de la CVRC prévoit les droits consulaires des personnes détenues ainsi
que des obligations qui incombent aux États. L'examen de cette allégation
se fera donc à la lumière de l’article 36(1) de la CVRC.
176. La Cour note qu'aux termes de l’article 36(1) de la CVRC, l’assistance
consulaire est mise en œuvre lorsque l’État d’accueil informe le Requérant
de ce droit ou lorsque le Requérant formule une demande de services
consulaires. En l’espèce, la Cour statuera sur le grief formulé par le
Requérant en se fondant sur ces considérations.
177. S'agissant de la question de la demande d'assistance consulaire formulée
par le Requérant, la Cour note qu’il ne résulte d’aucun élément du dossier
que celui-ci a présenté une demande d'assistance consulaire. Toutefois, la
Cour estime que ce fait ne dispense pas l’État défendeur de son obligation
d'informer le Requérant de son droit, comme le prescrit l’article 36(1) de la
CVRC.
178. Sur la question de savoir si l’État défendeur a informé le Requérant de son
droit à l’assistance consulaire, la Cour note qu’au sens de l’article 36(1) de
la CVRC, le détenu doit être informé de son droit à l’assistance consulaire
au moment de son arrestation, avant qu’il ne fasse une déclaration ou des
aveux, ou bien avant le début de la procédure judiciaire.
80 Xr c. Yq Yarrêt) supra, 8 81.
81 Ratifié par l'Etat défendeur le 18 mai 1977.
179. La Cour note, en outre, qu’il ne résulte d’aucun élément du dossier que le
Requérant a été informé de son droit à l’assistance consulaire. La Cour
observe qu’il ressort des comptes-rendus d’audiences que les autorités
judiciaires nationales ont fait mention de la nationalité du Requérant, à
savoir qu’il était burundais, ce qui indique que l’État défendeur n’ignorait
pas que le détenu était un ressortissant étranger accusé d’un délit passible
d’une lourde peine. La Cour note l’affirmation de l’État défendeur selon
laquelle l’absence de communication avec l’État d’accueil visait à respecter
le principe de non-refoulement, puisque le Requérant était un réfugié.
Toutefois, la Cour considère que, comme exposé précédemment dans le
présent Arrêt, la communication à l’État d’accueil telle qu’envisagée à
l’article 36 de la CVRC n’est pas incompatible avec le principe de non-
refoulement en vertu duquel un réfugié ne doit pas être expulsé vers son
pays d’origine ou tout autre pays où sa vie risque d’être menacée. Par
conséquent, l’affimation de l’État défendeur à cet égard est sans
fondement.
180. À la lumière de ce qui précède, la Cour constate que l’État défendeur n’a
pas notifié au Requérant son droit à l’assistance consulaire alors qu’il savait
qu’il était un détenu étranger. !| s'ensuit que le Requérant a été privé de
l’opportunité de recourir à l’assistance consulaire en vue de faciliter sa
défense.
181. La Cour considère, en conséquence, que l’État défendeur a violé le droit
du Requérant de bénéficier d’une assistance consulaire en ne l’informant
pas de ses droits, en violation de l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 36(1)(d) de la CVRC.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
182. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de :
i. Procéder à sa remise en liberté ;
ii. Tenir une nouvelle audience de fixation de peine ; et,
ii. À titre subsidiaire, lui verser un montant que la Cour jugera approprié,
à titre de réparation. Le Requérant fait valoir qu’il a subi de graves
préjudices en raison de la violation de ses droits en vertu de la Charte
et des quatorze (14) années d’emprisonnement qui ont suivi, dont huit
(8) dans le couloir de la mort, ce qui a eu de graves répercussions sur
sa vie de famille.
183. En ce qui concerne les observations du Requérant sur les réparations,
l’État défendeur soutient qu’il n’y a pas eu de violation des droits du
Requérant qui justifierait des réparations. L'État défendeur affirme que le
Requérant est tenu de prouver le préjudice justifiant les réparations
demandées pour qu’elles soient accordées.
184. La Cour rappelle que l’article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
185. La Cour estime, conformément à sa jurisprudence constante, que les
réparations ne sont accordées que si, premièrement, l’État défendeur est
responsable du fait internationalement illicite et si, deuxièmement, un lien
de causalité est établi entre l’acte répréhensible et le préjudice allégué.®
Par ailleurs, lorsqu’elle est accordée, la réparation doit couvrir l’intégralité
du préjudice subi. Enfin, il incombe au requérant de justifier les demandes
de réparation formulées.®*
82 AN c. République du Benin (arrêt) (27 novembre 2020), 4 RICA 51, 8 158 et Ac Yp Aa c. République du Benin (réparations) (28 novembre 2019), 3 RICA 205, 8 17.
88 Xc c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 141 ; Bo Yf et autres c. Yv Bh (réparations) (5 juin 2015), 1 RICA 265, 88 20 à 31 et Yk Xj Ya Zc c. République- Unie de Yq Yréparations) (13 juin 2014), 1 RICA 74, 88 27 à 29.
A. Sur les réparations pécuniaires
i. Préjudice matériel
186. La Cour rappelle que lorsqu’un requérant demande la réparation d’un
préjudice matériel, il doit apporter la preuve du lien de causalité entre la
violation constatée et le préjudice subi. Le requérant doit également
préciser la nature du préjudice et en apporter la preuve.“ Comme indiqué
précédemment, il incombe à tout requérant d'apporter la preuve de ses
allégations relativement au préjudice matériel.S
187. En l’espèce, le Requérant demande à la Cour de lui octroyer des
réparations à concurrence d’un montant qu’elle jugera approprié. Il n’a pas
indiqué la nature, ni apporté la preuve du préjudice matériel subi. Il n’a pas
prouvé, non plus, la réalité du lien de causalité avec la violation de ses
droits protégés par les articles 4, 5 et 7 de la Charte et de l’article 36(1) de
la CVRC. En tout état de cause, le Requérant n’a pas produit de preuve du
préjudice subi.
188. En pareille occurrence, la Cour ne saurait accorder de réparation du
préjudice matériel au Requérant.
ii. Préjudice moral
189. La Cour souligne que bien qu’il n’ait pas spécifiquement fait référence au
préjudice moral, le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État
défendeur de lui accorder, à titre de réparations, un montant que la Cour
jugera approprié pour les graves préjudices subis du fait de la violation de
ses droits protégés par la Charte. Le Requérant soutient également qu’il a
subi de graves préjudices en raison des quatorze (14) ans
84 Xv Xx YBu BwB et un autre c. République-Unie de Yq Yréparations) (8 mai 2020), 4 RJCA 3, 8 15 et Cz Bj AJ X de Tanzanie, CAÏDHP, Requête n° 011/2015, Arrêt du 25 juin 2021 (réparations), 8 20.
85 Cp c. Rwanda (fond), supra, 8 122 ; Aj c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 97 et Ci c. Yq Yfond et réparations) supra, 8 15.
d'emprisonnement, dont huit (8) dans le couloir de la mort, ce qui a eu de
graves répercussions sur sa vie familiale.
190. La Cour rappelle que le préjudice moral s'entend du préjudice consécutif à
la souffrance, à l’angoisse et aux changements de conditions de vie de la
victime et de sa famille.“ En l’espèce, la Cour a déjà jugé que la durée de
la détention provisoire du Requérant n’était pas raisonnable et qu’il a été
placé dans le couloir de la mort à l'issue d’une procédure contraire au
principe d’équité. Ces violations, aggravées par des conditions, somme
toute, inhumaines et dégradantes, supposent intrinsèquement un préjudice
moral. La Cour observe, en outre, que, s’il est vrai que la peine de mort a
été, par la suite, commuée en réclusion à perpétuité, il n’en demeure pas
moins que le Requérant a incontestablement subi un préjudice du fait des
violations établies causées par le caractère obligatoire de la peine de mort
et le temps passé dans le couloir de la mort.
191. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que le Requérant a droit à
une réparation du préjudice moral présumé. La Cour a estimé que
l’évaluation du quantum en cas de préjudice moral doit être faite en toute
équité et en tenant compte des circonstances de l’affaire.”” Dans de tels
cas, la Cour a adopté la pratique consistant à octroyer un montant forfaitaire
au titre du préjudice moral.
192. La Cour a également établi qu’un arrêt constatant une violation de droits
garantis par la Charte constitue une forme de réparation.° En l'espèce, la
Cour considère que l'État défendeur a violé les articles 4, 5 et 7(1) de la
Charte, et prend acte de ce que le Requérant avait déjà été retiré du couloir
86 Zc c. Yq Yréparations) supra, 8 34 ; Cw c. Yq Yarrêt), supra, 8 150 et Viking et un autre c. Yq Yréparations) supra, 8 38.
87 Xc c. Yq Yarrêt) supra, 8 144 ; Viking et un autre c. Yq Yréparations), supra, 8 41 et Ym c. Rwanda (réparations) supra, 8 59.
88 Yf et autres c. Yv Bh (réparations), supra, 88 61 et 62 et Ci c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 177.
89 Xi Ae Cw c. République Unie de Yq Yarrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 173 ; Xn Ci c. République Unie de Yq Yfond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 194 ; Yk Xj Zc c. République Unie de Yq Yréparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 45.
de la mort suite à la grâce présidentielle ayant permis la commutation de
sa peine de mort en réclusion criminelle à perpétuité. La Cour estime, par
conséquent que, dans les circonstances particulières de la cause, ces
constatations de violation constituent une réparation substantielle étant
donné qu’elles règlent de manière appropriée la violation principale
alléguée par le Requérant.
193. La Cour estime, conformément au principe d’équité, que l’évaluation du
préjudice moral doit tenir compte de la période de huit (8) ans que le
Requérant a passée dans le couloir de la mort avant la commutation de sa
peine.
194. Au regard de ces considérations et dans l’exercice de son pouvoir
d'appréciation, la Cour alloue au Requérant la somme de trois cent mille
(300 000) shillings tanzaniens à titre de réparation du préjudice moral.
B. Sur les réparations non pécuniaires
195. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de le
remettre en liberté ou, à titre subsidiaire, de juger à nouveau son affaire.
196. Bien qu'aucune des Parties n’ait formulé de telles demandes, la Cour
estime que ses conclusions relatives à la peine de mort obligatoire et à la
« pendaison » comme mode d'exécution de ladite peine requièrent un
examen des mesures qui pourraient être nécessaires pour remédier à la
situation. Cet examen est préalable à celui des demandes de réparation
non pécuniaire formulées par le Requérant.
ii Sur la modification de la loi pour garantir les droits à la vie et à la dignité
197. La Cour rappelle sa position dans des arrêts antérieurs traitant de la peine
de mort obligatoire, dans lesquels elle a ordonné à l’État défendeur de
prendre toutes les mesures nécessaires pour supprimer de son Code pénal la disposition prévoyant l’application obligatoire de la peine de mort. La
Cour note qu’à ce jour, elle a ordonné plusieurs mesures identiques visant
à supprimer la peine de mort obligatoire, en 2019, 2021, 2022 et 2023, et
qu’à la date du présent Arrêt, elle n’a reçu aucune information confirmant
que l’État défendeur a mise en œuvre lesdites mesures.
198. La Cour note que dans le présent Arrêt, elle a conclu que la peine de mort
obligatoire viole le droit à la vie garanti par l’article 4 de la Charte et estime,
par conséquent, que ladite peine devrait être retirée de l’ordonnancement
juridique de l’État défendeur.
199. Dans ses arrêts précédents,°! la Cour a, par ailleurs, estimé qu’une
violation du droit à la dignité du fait du recours à la pendaison comme mode
d’exécution de la peine de mort justifiait d’ordonner que celle-ci soit retirée
du dispositif juridique de l’État défendeur. Eu égard à ses conclusions dans
le présent arrêt, la Cour ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les
mesures nécessaires pour supprimer de sa législation la pendaison comme
mode d’exécution de la peine de mort, dans un délai de six (6) mois à
compter de la signification du présent Arrêt.
ii. Sur la remise en liberté
200. La Cour note que le Requérant lui demande d’ordonner à l’État défendeur
de le remettre en liberté.
201. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Bo Bv c.
République-Unie de Tanzanie selon laquelle :
La Cour ne peut ordonner une telle mesure que si un requérant
démontre à suffisance ou si la Cour elle-même établit, à partir de ses
% Xh c. Yq Yarrêt), supra, 8 166 ; Cp c. Yq Yfond et réparations), ibid., 8 128 ; Bv c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 207 ; et Xc c. Yq Yarrêt), supra, 8 170.
91 Yc Bt Au c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 017/2016, Arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), S8 111, 112, 118 ; Cv Af c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n°030/2016, Arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), 8 94.
constatations, que l’arrestation ou la condamnation du requérant
repose entièrement sur des considérations arbitraires et que son
maintien en détention serait constitutif d’un déni de justice ».°?
202. La Cour rappelle qu’en l’espèce, elle a jugé que la peine de mort obligatoire
viole le droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte. La Cour précise,
toutefois, que les violations établies n’ont aucun effet sur la condamnation
du Requérant, mais uniquement sur le caractère obligatoire de la peine
fixée. La Cour estime ainsi que la procédure devant elle ne remet pas en
question les décisions des juridictions internes sur la commission du crime.
203. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que la demande de remise
en liberté formulée par le Requérant n’est pas fondée et la rejette en
conséquence.
iii. Sur le réexamen de l’affaire
204. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner, à titre subsidiaire, une
nouvelle audience de fixation de peine. Il soutient que nonobstant la
commutation du fait de la grâce, l'imposition de la peine de mort est le
résultat d’une « procédure extrajudiciaire », qui n’a pas tenu compte des
peines subsidiaires. Il soutient qu’il a toujours droit, en vertu de la Charte,
à une nouvelle audience contradictoire de détermination de la peine devant
un juge impartial, où la défense pourra présenter des éléments de preuve
atténuants et où le juge aura le pouvoir d'appréciation quant aux peines
alternatives, y compris une peine d’emprisonnement de plusieurs années.
205. La Cour précise, de prime abord, que le fait que l’État défendeur n’a pas
envisagé de peines alternatives ne confère pas nécessairement un
caractère extrajudiciaire aux procédures en question, comme l’affirme le
Requérant. En l’espèce, la procédure qui a abouti à la condamnation du
92 Bv c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 202 ; Yx Xh Az c. République-Unie de Yq Yfond) (7 décembre 2018), 2 RICA 570, 8 84 ; Minani Evarist c. République-Unie de Yq Yfond et réparations) (21 septembre 2018), 2 RICA 415, 8 82 et Xc c. Yq Yarrêt), supra, 8 165.
Requérant était d’ordre judiciaire en ce sens qu’elle a été menée par des
juridictions compétentes en application des lois pertinentes de l’État
défendeur.
206. En ce qui concerne la demande du Requérant, la Cour rappelle que même
si elle n’est pas une juridiction d'appel des décisions rendues par les
tribunaux internes, elle a le pouvoir d’ordonner toute mesure appropriée si
elle estime que la procédure interne n’a pas été menée conformément aux
normes internationales. La Cour note, comme elle l’a déjà jugé, que le
caractère obligatoire de la peine de mort porte atteinte au pouvoir
d'appréciation du juge ; une réparation suffisante relative à celle-ci requiert
donc que l'affaire soit à nouveau inscrite au rôle pour une audience de
fixation d’une peine différente.°“*
207. La Cour observe que, bien que l’État défendeur ait commué la peine de
mort en réclusion à perpétuité, la violation du droit du Requérant à une
peine alternative se poursuit, le juge ayant été privé de son pouvoir
d'appréciation contrairement aux dispositions de l’article 4 de la Charte.
Étant donné que la commutation résulte d’un acte réglementaire, un
réexamen de l’affaire relativement à la fixation de la peine dans le cadre
d’une procédure qui prévoit le pouvoir d'appréciation du juge conformément
à la Charte est nécessaire. La Cour fait donc droit à la demande de
réexamen formulée par le Requérant.
iv. Sur la publication de l’Arrêt
208. Bien que le Requérant n’ait pas sollicité la publication du présent Arrêt, sur
le fondement de l’article 27 du Protocole et son pouvoir discrétionnaire, la
Cour examinera l’opportunité d’ordonner une telle mesure. Dans ses arrêts
93 Bd et autres c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 155.
24 Ibid, 8 158 et Cp c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 131.
précédents, la Cour a ordonné suo motu la publication de ses arrêts,
compte tenu des circonstances de l’affaire.°°
209. La Cour observe qu’en l’espèce, la violation du droit à la vie par la
disposition relative à la peine de mort obligatoire va au-delà de la situation
du Requérant. La Cour relève que les menaces à la vie liées à l’application
obligatoire de la peine de mort demeurent prégnantes dans l’État
défendeur, où rien n'indique que des mesures sont prises afin de réviser la
loi. Au regard de ce qui précède, la Cour ordonne à l’État défendeur de
procéder à la publication du présent Arrêt.
v. Sur la mise en œuvre et la soumission de rapport
210. Les Parties n’ont pas formulé de demandes spécifiques en ce qui concerne
la mise en œuvre de l’arrêt et la soumission d’un rapport d’exécution.
211. Les conclusions précédentes de la Cour relativement à la publication de
l’Arrêt, en dépit de l’absence de demandes expresses des Parties, sont
également applicables à la mise en œuvre et à la soumission de rapports.
En ce qui concerne plus particulièrement la mise en œuvre, la Cour note
que, dans ses arrêts précédents ordonnant l’abrogation de la disposition
relative à la peine de mort obligatoire, elle avait ordonné à l’État défendeur
de mettre en œuvre les mesures dans un délai d’un (1) an à compter de
212. La Cour observe qu’en l’espèce, la violation du droit à la vie à travers
l’application de la disposition relative à l’imposition obligatoire de la peine
de mort va au-delà du cas individuel des Requérants et revêt un caractère
°5 Xh c. Yq Yarrêt), ibid, 88 175 à 176 ; Bd et autres c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 165 et Bv c. Yq Yfond et réparations), supra, 88 208 à 210.
96 Cy Za et un autre c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête no. 050/2016, Arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), 88 142-146 ; Bd c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 171 and Bv c. Yq Yfond et réparations), supra, 8 203.
systémique. Il en est de même pour la violation relative à l’exécution de la
peine de mort par pendaison. La Cour note, en outre, que sa décision dans
le présent Arrêt porte sur un droit suprême de la Charte, à savoir le droit à
la vie.
213. En conséquence, la Cour juge nécessaire d’ordonner à l’État défendeur de
lui soumettre périodiquement un rapport sur la mise en œuvre du présent
Arrêt, conformément à l’article 30 du Protocole. Ce rapport devra détailler
les mesures prises par l’État défendeur afin de retirer de son code pénal,
la disposition déclarée contraire à ses obligations internationales.
214. La Cour note que l'État défendeur n’a fourni aucune information sur la mise
en œuvre de ses arrêts dans les affaires antérieures où il lui a été ordonné
d’abroger la peine de mort obligatoire, et que les délais fixés par la Cour
ont expiré depuis lors. La Cour considère dès lors qu’il est justifié
d’ordonner les mêmes mesures à la fois en tant que mesure conservatoire
individuelle et à titre de rappel général de l’obligation qui incombe à l’État
défendeur et de l’urgence qui requiert l’abolition de la peine de mort
obligatoire et la prévision de peines alternatives. En conséquence, l’État
défendeur est tenu de soumettre un rapport sur les mesures prises pour
exécuter le présent Arrêt dans un délai de six (6) mois à compter de la date
de sa signification.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
215. Le Requérant n’a pas conclu sur les frais de procédure.
216. L'État défendeur demande, pour sa part, que les frais de procédure soient
mis à la charge du Requérant.
217. La Cour rappelle qu’aux termes de la règle 32 (2) de son Règlement, « à
moins que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses
frais de procédure ».
218. La Cour souligne qu’en l’espèce, rien ne justifie qu’elle s’écarte du principe
posé par ce texte. La Cour, en conséquence, décide que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
DISPOSITIF
219. Par ces motifs,
LA COUR,
Sur la compétence
i. Rejette l'exception d’incompétence matérielle ;
i. Se déclare compétente.
Sur la recevabilité
ii. — Rejette l'exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
À la majorité de neuf (9) voix pour et une (1) voix contre, la Juge Chafika
BENSAOULA ayant émis une déclaration,
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la défense du
Requérant protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(a) et (f) du PIDCP, en ce qui
concerne la fourniture d’un interprète ;
À l’unanimité,
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à la défense du
Requérant protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte en ce qui
concerne la fourniture d’une représentation juridique effective ;
vii. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable, protégé par l’article 7 (1)(b) de la Charte en ce
qui concerne la présomption d’innocence, jusqu’à ce que sa
culpabilité soit établie par une juridiction compétente ;
vii. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à une
assistance consulaire, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 36(1) de la CVRC, en ne lui facilitant
pas le bénéfice de l’assistance de services consulaires ;
ix. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à un procès
équitable protégé par l’article 7(1)(d) de la Charte en ce qui
concerne le droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
À la majorité de huit (8) voix pour et deux (2) voix contre, les Juges Blaise
TCHIKAYA et Dumbisa B. NTSEBEZA ayant émis chacun une déclaration,
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit à la vie du Requérant,
protégé par l’article4 de la Charte, en ce qui concerne
l’application obligatoire de la peine de mort, en ne permettant pas
au juge de prendre en compte la nature de l’infraction et la
situation de l’auteur de l’infraction ;
xi. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à la dignité,
à ne pas être soumis à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants, protégé par l’article 5 de la Charte, en
raison de l’imposition de la peine de mort par pendaison.
À l’unanimité,
xii. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à la dignité
et à ne pas être soumis à des traitements inhumains et
dégradants, protégé par l’article 5 de la Charte en ce qui concerne
sa détention dans le couloir de la mort et les conditions carcérales
déplorables.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
xiii. Rejette les demandes de réparation du préjudice matériel ;
xiv. Alloue au Requérant la somme de trois cent mille (300 000)
shillings tanzaniens à titre de réparation du préjudice moral ;
xv. Ordonne à l’État défendeur de payer le montant indiqué au point
(xiv) ci-dessus, en franchise d’impôt, dans un délai de six (6) mois
à compter de la date de signification du présent Arrêt, à défaut il
sera tenu de payer des intérêts moratoires calculés sur la base du
taux en vigueur de la Banque de Tanzanie pendant toute la
période de retard jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
Sur les réparations non pécuniaires
xvi. Rejette la demande de remise en liberté du Requérant ;
xvii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai d’un (1) an à compter de la
signification du présent Arrêt, pour assurer le réexamen de
l’affaire relativement à la peine infligée au Requérant, par le biais
d’une procédure qui ne permette pas l'imposition obligatoire de la
peine de mort et qui respecte le pouvoir discrétionnaire du juge ;
xvii. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la signification du présent Arrêt pour abroger les dispositions
relatives au caractère obligatoire de la peine de mort ;
xix. Ordonne à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la
signification du présent Arrêt, afin de retirer de son dispositif
juridique la pendaison comme mode d’exécution de la peine de
mort ;
xx. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dans un
délai de trois (3) mois à compter de la date de sa signification, sur
le site Internet du pouvoir judiciaire et du ministère des Affaires
constitutionnelles et juridiques ; et de veiller à ce qu’il y reste
accessible pendant au moins un (1) an après la date de sa
publication.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapport
xxi. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de signification du présent Arrêt, un
rapport sur la mise en œuvre des mesures qui y sont énoncées
et, par la suite, tous les six (6) mois jusqu’à ce que la Cour estime
qu’elles ont été intégralement mises en œuvre.
Sur les frais de procédure
xxii. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fr fausse
Ben KIOKO, Juge ; RSS
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge : HG pleek Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ge
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am ;
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ; Æ
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(3) du Règlement, les déclarations de la Juge Chafika BENSAOULA, du Juge Blaise TCHIKAYA et du Juge Dumisa B. NTSEBEZA sont jointes au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce quatrième jour du mois de juin de l’année deux mille vingt-quatre,
en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 051/2016
Date de la décision : 04/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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