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03/09/2024 | CADHP | N°015/2016

CADHP | CADHP, Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, 03 septembre 2024, 015/2016


Texte (pseudonymisé)
AFRICAN UNION (5 UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Y Xb ET AO AQ
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AT
REQUÊTE N° 015/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS..
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle
B Sur les autres aspects de la compétence

12
VI SUR LA RECEVABILITÉ 13
A Sur l’exception tirée du non-épuisement d...

AFRICAN UNION (5 UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
Y Xb ET AO AQ
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AT
REQUÊTE N° 015/2016
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS..
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A Sur l’exception d’incompétence matérielle
B Sur les autres aspects de la compétence 12
VI SUR LA RECEVABILITÉ 13
A Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes 14
B Sur les autres conditions de recevabilité 19
VII SUR LE FOND 21
A Violation alléguée du droit à un procès équitable 21
! Sur le défaut de bénéfice de services consulaires 22
Il Sur le défaut de services d’interprétation 24
iii Sur le défaut d'assistance judiciaire efficace 28
IV Sur la tenue du procès dans un délai non raisonnable 32
Sur la condamnation fondée sur des aveux extorqués 39
VI Sur le manquement, par le juge, d’ordonner une enquête sur les
traitements cruels, inhumains et dégradants 41
Sur la violation alléguée du droit de ne pas être soumis à la torture ou à des
traitements inhumains, cruels et dégradants 44
! Sur l’allégation relative à la brutalité policière 44
Il Sur l’allégation relative à l'exécution de la peine de mort par
pendaison 47
iii. Sur l’allégation relative à l'exposition au syndrome du couloir de la
mort 49
iv. Sur l’allégation relative aux mauvaises conditions de détention 51
Sur la violation alléguée du droit du second Requérant à la protection contre
toute discrimination 54 D. Sur la violation alléguée du droit à une égale protection de la loi
E. Sur la violation alléguée du droit à la vie
i. Sur l’allégation relative à l’application de la peine de mort obligatoire
ii. Sur l’allégation relative à l’application de la peine de mort à des
personnes souffrant de troubles mentaux 63
VIII. SUR LES RÉPARATIONS ……….…………………ccecerrerrrerenrenrrrrecerrenrnrrrnnerrerrn creer 65
B. Sur les réparations non pécuniaires .………….….…..…..….…...….…..…..…ercesenessenesnnss 70
i. Modification de la loi de manière à garantir le droit à la vie………… 70
ii. Tenue d’une nouvelle audience ……….…..….….….….…..….….….……rrererenenesenees 72
ii. Demande d’annulation de la condamnation et de remise en liberté
v. Mise en œuvre et soumission de rapports ….…...…….…...….….…..…..….….….….….…. 75
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE …….…….….………………crececierreenecnnnenreensnsrnrrnnns 76 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI — Juges,
et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l'homme
et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») et à la règle 9(2) du Règlement
intérieur de la Cour* (ci-après désigné « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
Présidente de la Cour et de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire :
Y Xb et AO AQ
représentés par des avocats désignés par la Cornell University Law School,
notamment :
Maître William Ernest Kivuyo,
C/O Bill and Williams Advocates (représentant Y Xb) et
Maître Mashaka MFALA (représentant AO AQ)
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE AT
représentée par :
ii Dr Ce Bf AW, Bu Ys, Bureau du Solicitor General ;
ii. Mme Bs Ago A, Bu Ys adjoint, Bureau du Solicitor
General ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
ii. M. Ajg AH, Ambassadeur, Chef de l’Unité juridique, ministère des
Affaires étrangères et de la Coopération Est-africaine, régionale et
internationale ;
iv. Mme Ay AU, directrice adjointe, Droits de l'homme, ministère de
la Justice et des affaires constitutionnelles, Principal Aq Xy, Cabinet de
l’Xy Ys ;
v. Mme Af C, Principal Aq Xy, ministère de la Justice et des
affaires constitutionnelles, Cabinet de l’Xy ; et
vi. Mme Cc AP, Juriste, ministère des Affaires étrangères, de la
Coopération Est-africaine, régionale et internationale.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Les sieurs Y Xb et AO AQ ANci-après
dénommés respectivement, «le premier Requérant» et «le second
Requérant » et conjointement « les Requérants » sont des ressortissants
burundais réfugiés en AT. Au moment du dépôt de la présente
Requête, ils étaient incarcérés à la prison centrale de Butimba, à Mwanza
(AT) dans l’attente de l’exécution de la peine de mort par pendaison
à laquelle la Haute Cour de AT siégeant à Zz les a condamnés
pour meurtre le 31 mai 2007. Ils allèguent la violation de leurs droits dans
le cadre de la procédure devant les juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de AT (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples (ci-après désignée la
« Charte ») le 21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a
également déposé, le 29 mars 2010, la Déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole, par laquelle elle accepte la compétence de la Cour pour
recevoir des requêtes émanant d’individus et d’organisations non
gouvernementales (ci-après désigné « la Déclaration »). Le 21 novembre
2019, l’État défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de
l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour a
décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence, ni sur les
affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant elle avant
sa prise d'effet, un (1) an après le dépôt de l'instrument y relatif, à savoir le
22 novembre 2020.?
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le 8 mai 1999, aux environs de 22 heures, les
Requérants ont abattu dame Ahd Aim, épouse d’un officier supérieur
de l’armée. Les Requérants, auraient été recrutés par une tanzanienne
dénommée Ap Cr pour commettre le meurtre sur la victime qu’elle
soupçonnait d’entretenir une liaison amoureuse avec son époux.
4. Le 31 mai 2007, la Haute Cour a déclaré les Requérants coupables de
meurtre et les a condamnés à la peine de mort par pendaison. Ils ont
interjeté appel de ladite décision devant la Cour d'appel. Le 2 mars 2012,
ladite Cour a rejeté leurs recours, confirmant ainsi la décision frappée
d’appel.
B. Violations alléguées
5. Les Requérants allèguent la violation des articles 2, 3, 4, 5 et 7(1)(c) de la
Charte, lus conjointement avec l’article 14(3)(d) du Pacte international relatif
2 Ahj Ae Cg c. République-Unie de AT (arrêt) (26 juin 2020), 4 RICA 219, 8 38.
aux droits civils et politiques (PIDCP) et l’article 36(1) de la Convention de
Vienne sur les relations consulaires (CVRC) comme suit :
i. Le droit de ne pas subir de discrimination fondée sur son origine et son
statut d’immigré, protégé par l’article 2 de la Charte ;
ii. Le droit à une égale protection de la loi, garanti par l’article 3(2) de la
Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP ;
iii. Le droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte ;
iv. Le droit de ne pas être torturé et de ne pas subir de traitements
dégradants, protégé par l’article 5 de la Charte ;
v. Le droit à un procès équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte,
lu conjointement avec l’article 14(1) du PIDCP ;
vi. Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, protégé par l’article 7 de
la Charte ;
vii. Le droit à des services consulaires, protégé par l’article 7(1)(c) de la
Charte lu conjointement avec l’article 36(1) de la CVRC.
6. En sus, le second Requérant allègue que l’État défendeur a violé ses droits
comme suit :
i. Le droit de ne pas subir de discrimination fondée sur son origine ;
ii. Le tribunal l’a condamné à mort alors que son état de santé mental le
rendait inéligible à une telle peine ;
iii. Le juge du tribunal de district n’a pas diligenté d’enquête bien qu’ayant
été informé des tortures qu’il a subies de la part des autorités policières.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
7. LaRequête a été reçue au Greffe le 8 mars 2016 puis communiquée à l’État
défendeur le 21 avril 2016.
8. Le 12 mai 2016, la Cour a communiqué la Requête à l’ambassade de la
République du Burundi en Éthiopie et l’a invitée à intervenir dans l'affaire,
si elle le souhaitait.
Le 3 juin 2016, la Cour a rendu, suo motu, une ordonnance de mesures
provisoires, enjoignant à l’État défendeur de surseoir à l’exécution de la
peine dans l’attente de sa décision sur le fond. Ladite ordonnance a été
signifiée aux Parties le 7 juin 2016 et, par la suite, à l'ambassade du Burundi
en Éthiopie. L'ambassade n’y a pas répondu. Après plusieurs courriers de
rappel adressés à l’État défendeur, celui-ci a déposé, le 12 avril 2017, ses
observations sur l’ordonnance de mesures provisoires et sa réponse à la
Requête introductive d'instance, lesquelles ont été communiquées aux
Requérants le 19 avril 2017.
10. Le 16 juin 2017, les Requérants ont déposé leur mémoire en réplique qui a
été communiqué à l’État défendeur le 22 juin 2017.
11. Les débats ont été clôturés le 22 janvier 2018 et les Parties en ont dûment
été informées.
12. Le 5 mars 2018, la Cornell University Law School a adressé un courrier à
la Cour demandant à être autorisée à représenter, à titre gracieux, les
requérants condamnés à mort en AT ayant saisi la Cour. La Cour a
fait droit à cette demande le 16 mai 2018 et leur a assigné neuf (9) affaires,
dont la présente Requête.
13. Le 14 novembre 2018, les Requérants, par l’intermédiaire de la Cornell
Zu Agb Agn Aie Aig Agj, ont introduit une
demande afin d’être autorisés à amender leur Requête, à déposer deux
Requêtes différentes dans l’intérêt de la justice, à déposer des preuves
supplémentaires, à obtenir la tenue d’une audience à la suite de la
réouverture des débats et à déposer des conclusions sur les réparations.
14. Le 31 janvier 2019, la Cour a rendu une ordonnance de rejet de la demande
de disjonction d’instances et a décidé de considérer la Requête comme
ayant été introduite conjointement. Elle a fait droit à la demande de
réouverture des débats aux fins de modification de la Requête et de dépôt de nouvelles preuves et d'observations sur les réparations. Elle a,
également, décidé d’examiner la demande d’audience publique après que
les Parties ont déposé leurs mémoires modifiés.
15. Le 22 mars 2019, les Requérants ont déposé, par le biais des avocats qui
ont été désignés par la Cornell University Law School et en collaboration
avec ladite Université, un mémoire sur la compétence et la recevabilité.
Toutefois, le même jour, les avocats des Requérants, en collaboration avec
la Professeure Zq Bx Cm de la Cornell Zu Agb
Agn Aie Aig Agj et directrice de la Cornell Centre on the Zv
Ajc Bi ont également déposé les écritures modifiées sur le fond
qui ont été communiquées à l’État défendeur le 27 mars 2019.
16. Les 17 et 20 novembre 2020, la professeure Sandra L. Cm a déposé
des mémoires supplémentaires concernant l’état de santé mentale du
second Requérant, lesquels ont été communiqués à l’État défendeur le 27
novembre 2020.
17. L'État défendeur n’a pas déposé de réponse aux mémoires modifiés, en
dépit de plusieurs rappels.*
18. Le 14 novembre 2022, la Cour a rejeté la demande d'audience publique
sollicitée et a ordonné la clôture des débats. Les Parties en ont été
informées, le 18 novembre 2022.
IV. DEMANDES DES PARTIES
19. Le premier Requérant demande à la Cour de :
i. Dire et juger que l’État défendeur a violé ses droits protégés par les
articles 3, 4, 5, 6 et 7 de la Charte africaine ;
3 Les 8 juin 2019, 10 novembre 2020 et 16 novembre 2022.
ii. Ordonner à l’État défendeur de prendre les mesures appropriées pour
remédier aux violations des droits du Requérant protégés par la Charte ;
iii. Annuler la peine de mort prononcée à l’encontre du Requérant et le
retirer du couloir de la mort ;
iv. Ordonner à l’État défendeur de modifier son code pénal et la législation
connexe relative à la peine de mort afin de le rendre conforme à l’article
4 de la Charte africaine ;
v. Ordonner la remise en liberté du Requérant ;
vi. Ordonner à l’État défendeur de lui verser des réparations comme il se
doit.
20. Le second Requérant demande, pour sa part, à la Cour de :
i. Ordonner sa mise en liberté ;
it. Lui accorder des réparations ;
iii. Ordonner à l’État défendeur d'entreprendre les réformes
constitutionnelles et législatives appropriées afin de remédier aux
facteurs systémiques qui ont conduit à la violation des droits du
Requérant.
21. L’État défendeur demande à la Cour de :
i. Se déclarer incompétente pour connaître de la présente Requête ;
it. Dire et juger que la Requête ne remplit pas les conditions de recevabilité
stipulées à l’article 40(5) du Règlement intérieur de la Cour ;
ii. Déclarer la Requête irrecevable et la rejeter en conséquence ;
iv. Dire et juger que la condamnation du second Requérant était fondée sur
des preuves établies au-delà de tout doute raisonnable ;
v. Rejeter la Requête pour défaut de fondement ;
vi. Rejeter les demandes de réparations formulées par les Requérants ;
vii. Mettre les frais de procédure de la présente Requête à la charge des
Requérants.
V. SUR LA COMPÉTENCE
22. L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et tous
les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation et
l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
23. La Cour relève également qu’aux termes de la règle 49(1) du Règlement,
elle «procède à un examen préliminaire de sa compétence [.….]
conformément à la Charte, au Protocole et au [.…] Règlement ».*
24. La Cour observe que l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle tirée du fait qu’il est demandé à la Cour de siéger
en tant que juridiction de première instance et en tant que juridiction d’appel
et d’annuler la condamnation des Requérants. La Cour va donc se
prononcer sur ladite exception avant d’examiner, si nécessaire, les autres
aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
25. L'État défendeur soutient que la Cour de céans n’est pas compétente pour
siéger en tant que juridiction de première instance ou agir en tant que
juridiction d’appel et qu’elle n’est, en conséquence, pas compétente pour
statuer sur la présente affaire.
26. || affirme également que la Cour n’est pas compétente pour annuler la
condamnation prononcée à l'encontre des Requérants, celle-ci ayant été
4 Article 39(1) du Règlement de la Cour du 2 juin 2010.
confirmée par la Cour d'appel, la plus haute juridiction du pays. L'État
défendeur soutient, enfin, que la Cour n’a pas le pouvoir d’ordonner la mise
en liberté des Requérants.
27. Les Requérants affirment que la Cour a compétence pour connaître de
toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant
l'interprétation et l’application de la Charte, du Protocole et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les Aha
AT, les Requérants soutiennent que la Cour exerce sa compétence
dès lors que la requête porte sur des allégations de violations de droits
protégés par la Charte ou tout autre instrument international relatif aux
droits de l’homme ratifié par l’État concerné.
28. Les Requérants soutiennent que les autres aspects de la compétence de la
Cour sont établis et qu’elle a la compétence personnelle, dans la mesure
où l’État défendeur est partie à la Charte africaine et au Protocole ; la
compétence temporelle, du moment que les violations alléguées ont un
caractère continu, leur condamnation à mort étant maintenue du fait de la
violation de leurs droits ; et la compétence territoriale, étant donné que les
violations alléguées des droits des Requérants se sont produites sur le
territoire de l’État défendeur, qui est partie à la Charte et au Protocole.
29. La Cour note que sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de « toutes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie, concernant l'interprétation et l’application de la Charte,
du [.…] Protocole et de tout autre instrument relatif aux droits de l’homme et
ratifié par les États concernés ».5
5 Voir par exemple, Cg c. AT, (arrêt), supra, 88 37 à 39 ; Ya Aj c. République- Unie de AT (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 266, 8 18 ; Zl Bm c. République-Unie de AT, CAfDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 88 38 à 40.
30. La Cour observe que l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence en trois branches, tirée de ce qu’il est demandé à la Cour
de céans de siéger en tant que juridiction de première instance ou en tant
que juridiction d’appel et d’annuler la condamnation des Requérants.
31. En ce qui concerne la première branche de l’exception, la Cour souligne
que les griefs“ formulés en l'espèce ont également été soulevés devant les
juridictions nationales et que les Requérants avaient contesté les
procédures ayant abouti à leur condamnation. L'État défendeur a donc eu
la possibilité de remédier aux violations alléguées dans le cadre de la
procédure interne. À cet égard, la Cour réitère sa jurisprudence selon
laquelle :
lorsqu’une violation alléguée des droits de l’homme se produit au cours
de la procédure judiciaire interne, les juridictions internes ont l’occasion
de se prononcer sur d’éventuelles violations des droits de l’homme. En
effet, les violations alléguées des droits de l’homme font partie du
faisceau de droits et de garanties qui étaient liés à la procédure devant
les juridictions internes ou qui en constituaient le fondement. Dans une
telle situation, il ne serait donc pas raisonnable d’exiger des requérants
qu’ils introduisent une nouvelle requête devant les juridictions internes
pour demander réparation de ces griefs.”
32. En l’espèce, la Cour estime que les questions qui, selon l’État défendeur,
seraient soulevées pour la première fois devant elle doivent être
considérées comme faisant partie du « faisceau de droits et de garanties »
relatif au droit à un procès équitable et qui constituaient le fondement de
l’appel des Requérants. Par ailleurs, les allégations formulées par les
8 La condamnation fondée sur des preuves circonstancielles ; la non-prise en compte de la défense d’alibi ; le fait de n'avoir pas été jugés dans un délai raisonnable ; la violation du droit aux services consulaires ; déclaration extorquée ; la violation du droit à l’égale protection de la loi ; et la condamnation d’une personne souffrant de maladie mentale.
7 Jibu Amir alias Yd et un autre c. République-Unie de AT, (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 654, $ 37 ; Yt Yl c. République-Unie de AT (fond) (20 novembre 2015) 1 RJCA 482, 88 60 à 65, Br Cq Cz et un autre c. République-Unie de AT (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 67, 8 54 ; Yv Ahg et 1744 autres c. République-Unie de AT, (Arrêt) (fond et réparations) (30 septembre 2021) 5 RICA 460, 8 57.
Requérants portent sur des droits protégés par la Charte et de ce fait, les
Requérants n'avaient pas besoin de saisir, à nouveau, la Haute Cour, dans
la mesure où l’État défendeur avait déjà eu l’opportunité de traiter les
éventuelles violations des droits de l'homme devant les juridictions
nationales. La Cour rejette donc la première branche de l'exception.
33. Ence qui concerne la deuxième branche de l’exception, la Cour rappelle sa
jurisprudence constante selon laquelle «elle n’est pas une juridiction
d'appel des décisions rendues par les juridictions nationales. Toutefois,
cela ne l'empêche pas d’examiner les procédures pertinentes devant les
juridictions nationales pour déterminer si elles sont en conformité avec les
normes prescrites dans la Charte ou dans tout autre instrument des droits
de l’homme ratifié par l’État concerné ».!° La Cour ne statuerait donc pas
comme une juridiction d’appel si elle devait examiner les allégations des
Requérants, au seul motif qu’elles sont relatives à l’appréciation des
éléments de preuve. La Cour rejette donc la deuxième branche de
l’exception.
34. En ce qui concerne la troisième branche de l’exception, la Cour rappelle
qu’en vertu de l’article 27(1) du Protocole, elle peut ordonner des mesures
de réparation appropriées, lorsqu’elle constate une violation des droits
garantis par la Charte ou par tout instrument ratifié par l’État défendeur. En
outre, la Cour peut ordonner la mise en liberté à titre de mesure de
restitution, lorsqu’elle estime que le requérant a démontré l’existence de
circonstances spécifiques et impérieuses justifiant une telle mesure.t* La
Cour estime donc que la prise d’une mesure de mise en liberté lorsque les
conditions sont remplies relève bien de sa compétence et rejette, en
conséquence, la troisième branche de l’exception.
8 Yl c. AT (fond), supra, 8 60.
9 Ernest Ajf Xj c. République du Malawi (compétence) (15 Mars 2013) 1 RICA 197, 8 14.
10 Xj c. Malawi, ibid. ; Br Yp c. République-Unie de AT (fonds et réparations) (28 mars 2019) 3 RICA 51, $ 26 ; Aho Zn c. République-Unie de AT (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, $ 33; Ahx Ca ANZy BnAL et Bj Ahx ANAip AgsAL c. République-Unie de AT (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
1 Voir Amir et Be Aix AT, supra, 8 97; Aj Aix AT, supra, 8 112 et Xv Ahl c. République-Unie de AT (fond) (21 septembre 2018) 2 RICA 415, 8 82.
35. À la lumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception et déclare qu’elle
a la compétence matérielle pour connaître de la présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
36. La Cour relève que l’État défendeur ne conteste pas sa compétence
personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins, conformément à la règle
49(1) du Règlement,** elle doit s'assurer que les exigences relatives à tous
les aspects de sa compétence sont remplies avant de poursuivre l'examen
de la Requête.
37. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie
au Protocole et a déposé la Déclaration. Le 21 novembre 2019, l’État
défendeur a déposé auprès du Président de la Commission de l’Union
africaine un instrument de retrait de sa Déclaration. La Cour rappelle sa
jurisprudence selon laquelle le retrait de la Déclaration n’a point d’effet
rétroactif et ne prend effet que douze (12) mois après le dépôt de l’avis dudit
retrait, en l’occurrence le 22 novembre 2020.!° La présente Requête,
introduite avant le dépôt, par l’État défendeur, de son instrument de retrait,
n’en est donc pas affectée. En conséquence, la Cour estime que sa
compétence personnelle est établie en l’espèce.
38. La Cour observe que sa compétence temporelle est établie dans la mesure
où les violations alléguées par les Requérants découlent des arrêts de la
Haute Cour et de la Cour d’appel rendus, respectivement le 31 mai 2007 et
le 2 mars 2012, soit après la ratification de la Charte et du Protocole par
l’État défendeur ainsi que le dépôt de la Déclaration. En outre, les violations
alléguées ont un caractère continu, la condamnation des Requérants étant
maintenue sur la base de ce qu’ils considèrent comme une procédure
inéquitable. En conséquence, la Cour estime qu’elle a la compétence
temporelle pour examiner la présente Requête.
12 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 2 juin 2010.
13 Cg c. AT (arrêt), supra, 88 35 à 39.
39. Quant à sa compétence territoriale, la Cour relève que les violations
alléguées par les Requérants se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur. La Cour estime donc que sa compétence territoriale est établie.
40. Au regard de tout ce qui précède, la Cour considère qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
41. En vertu de l’article 6(2) du Protocole, « [a Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
42. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « [Ja Cour procède à un
examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole, et au
[…] Règlement ».
43. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les
conditions ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants
à l’égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union
africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l’épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa
saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des
Nations Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des
dispositions de la Charte.
44. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité
tirée du dépôt de la Requête dans un délai non raisonnable, mais les
arguments invoqués à l’appui de cette exception, tout comme la réplique
des Requérants, se rapportent plutôt à l'épuisement des recours internes.
La Cour va donc examiner cette exception sous l'aspect de l’épuisement
des recours internes avant de se prononcer, si nécessaire, sur les autres
conditions de recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
45. Citant la jurisprudence de la Cour dans les affaires Zs Ao Aix
Bo et Ahv Cd Zi c. AT et la décision de la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples dans l'affaire
Article 19 c. Érythrée, l’État défendeur soutient que la Requête ne remplit
pas les conditions de recevabilité énoncées à l’article 40(5) du Règlement,
dans la mesure où, en violation de l’article 56(5) de la Charte, les
Requérants n’ont jamais tenté d’épuiser tous les recours internes avant
d'introduire la présente Requête.
46. L'État défendeur affirme, en particulier, que les Requérants n’ont pas
soulevé devant la Cour d’appel l’allégation selon laquelle leur condamnation
était fondée sur des preuves indirectes et qu’ils ne précisent non plus devant la Cour de céans les preuves qu’ils qualifient comme telles. L’État
défendeur soutient que les Requérants plaident pour la première fois la
défense d'’alibi, alors qu’ils ont eu l’occasion de le faire au cours de la
procédure devant la Haute Cour et la Cour d’appel. Il soutient, en outre, que
les Requérants avaient la possibilité de demander un réexamen,
conformément à la règle 66 du Règlement de la Cour d'appel, au motif que
la décision était fondée sur une erreur manifeste ayant entraîné un déni de
justice.
47. L'État défendeur soutient, enfin, que les Requérants auraient dû d’abord
introduire un recours en inconstitutionnalité pour contester la violation de
leurs droits, en vertu du chapitre 3 de la loi sur les droits et devoirs
fondamentaux. Il fait valoir que l’article 4 de ladite loi définit la procédure
relative à l’application des droits fondamentaux constitutionnels, des
devoirs et des questions connexes** et que le fait de n’avoir pas exercé ce
recours rend la Requête prématurée, donc irrecevable.
48. Les Requérants réfutent l’affirmation de l’État défendeur selon laquelle
certains de leurs moyens d’appel sont irrecevables, motif étant pris de ce
qu’ils auraient dû former un recours en inconstitutionnalité. Ils font observer
que cette affirmation a été rejetée par la Cour à plusieurs reprises. Citant
céans a indiqué que les requérants sont tenus de n’épuiser que les recours
judiciaires ordinaires et que le recours en inconstitutionnalité « est un
recours extraordinaire qu'aucun requérant n’est tenu d’épuiser avant de la
saisir ».
14 « Toute personne qui allègue qu’une quelconque des dispositions des articles 12 à 29 de la Constitution ont été, sont violées ou sont susceptibles de l'être à son égard, peut, sans préjudice de toute autre action concernant la même question susceptible d’être exercée légalement, demander réparation devant la Haute Cour ».
49. Les Requérants soutiennent également qu’il est de jurisprudence constante
que les recours internes sont épuisés dès lors qu’un requérant a suivi toutes
les étapes de la procédure pénale jusqu’à la Cour d'appel, qui est la plus
haute juridiction de l’État défendeur.
50. Ils soutiennent, en outre, que l’argument de l’État défendeur selon lequel ils
n’ont pas introduit un recours en révision de l’arrêt de la Cour d’appel est
manifestement mal fondé, puisqu’une copie de leur requête en révision
conformément à l’article 66(1)(a) du Règlement de la Cour d'appel de
AT (2009) a été déposée au greffe de ladite Cour à Zz, le 20
décembre 2012. En outre, une copie de la demande de révision a
également été jointe à la présente Requête et a été communiquée à l’État
défendeur.
51. Les Requérants en déduisent qu’ils ont épuisé les recours ordinaires avant
de saisir la Cour de céans et que leur Requête est recevable.
52. La Cour note que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises par la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
introduite devant elle doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des recours
internes, à moins que ceux-ci ne soient indisponibles, inefficaces et
insuffisants ou que la procédure interne ne se prolonge de façon
anormale.!* La règle de l’épuisement des recours internes vise à donner
aux États la possibilité de traiter les violations des droits de l’homme
relevant de leur juridiction avant qu’un organe international des droits de
l'homme ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à cet
égard. En outre, pour que les recours internes soient épuisées, le
15 Ahv Cd Zi c. République-Unie de AT (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RICA 413, 88 142 à 144 ; Ajb Bk Zj et autres c. République-Unie de AT, CAfDHP, Requête n° 030/2017, arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), 8 43.
16 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017), 2 RICA 9, 88 93 à 94.
requérant doit avoir porté devant les juridictions nationales, au moins en
substance, les griefs qu’il soulève devant la Cour de céans.
53. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle :
lorsqu’une violation alléguée des droits de l’homme se produit au cours
de la procédure judiciaire interne, les juridictions internes ont ainsi
l’occasion de se prononcer sur d’éventuelles violations des droits de
l’homme. En effet, les violations alléguées des droits de l'homme font
partie du faisceau de droits et de garanties qui étaient liés à la
procédure devant les juridictions internes ou qui en constituaient le
fondement. Dans une telle situation, il ne serait donc pas raisonnable
d'exiger des requérants qu'ils introduisent une nouvelle requête devant
les juridictions internes pour demander réparation de ces griefs!”
54. La Cour observe que les allégations formulées par les Requérants sont
relatives à des questions liées aux procédures devant les juridictions
nationales. Ils allèguent, notamment, qu’ils ont été condamnés sur la base
de preuves circonstancielles, que leur défense d’alibi a été ignorée, qu’ils
n’ont pas été jugés dans un délai raisonnable, qu’ils n’ont pas bénéficié de
services consulaires, que leur déclaration leur a été extorquée, qu’ils n’ont
pas bénéficié d’une égale protection de la loi et que l’État défendeur les a
condamnés alors qu’ils souffraient de déficience mentale.
55. La Cour observe, en outre, que la Haute Cour et la Cour d’appel, qui est la
plus haute juridiction de l’État défendeur, ont examiné et statué sur la
question des preuves indirectes, de la défense d’alibi, des aveux qui
auraient été extorqués et du délai raisonnable du procès. L'État défendeur
a donc eu la possibilité de traiter les allégations de violation des droits de
l'homme dans le cadre des procédures internes.!® La Cour note, toutefois,
que les questions relatives au bénéfice d’une assistance consulaire et à
17 Amir et un autre c. AT, supra, $ 37 ; Yt Yl c. République-Unie de AT (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 88 60 à 65, Br Cq Cz et un autre c. République-Unie de AT (fond) (28 septembre 2017), 2 RICA 67, 8 54 ; Ahg et autres c. AT, supra, 8 57. 18 Yl c. AT (fond), supra, 8 60.
l’application de la peine de mort obligatoire à une personne souffrant de
déficience mentale n’ont été expressément soulevées à aucun stade de la
procédure devant les juridictions internes.
56. Nonobstant ce qui précède, la Cour estime que les allégations relatives au
défaut d’assistance consulaire portent essentiellement sur les droits à un
procès équitable, à savoir le droit d’être assisté par un interprète, le droit de
communiquer avec les membres de sa famille et le droit de bénéficier du
soutien de son pays d’origine au cours de la détention et du procès.!° En
outre, la Cour a constamment considéré que l’état de santé mentale d’une
personne accusée de meurtre ne constitue en rien un facteur pertinent lors
de la fixation de la peine, au regard du droit pénal de l’État défendeur. En
effet, l'accusé ne peut contester sa condamnation à mort en invoquant son
état de santé mentale dans la mesure où le juge est totalement privé de son
pouvoir d’appréciation dans le processus de fixation de la peine en cas de
meurtre, étant tenu de prononcer la peine de mort.?°’ La Cour estime donc
que, en référence au système judiciaire de l'État défendeur, la question de
l’assistance consulaire et celle de l’état de santé mentale font partie du
faisceau de droits et de garanties.?* Il s'ensuit également qu’aucun recours
n’était disponible aux Requérants à cet égard étant donné qu’ils n’ont pas
eu la possibilité, lors de la procédure de fixation de la peine, d’invoquer leur
état de santé mentale comme circonstance atténuante. En conséquence, la
Cour considère qu’en l'espèce les recours internes ont été épuisées en ce
qui concerne ces deux questions.
19 Xc Xw c. République-Unie de AT, CAÏDHP, Requête n° 051/2016, arrêt du 4 juin 2024 (fond et réparations), S8 174 à 181 ; Xg Xb c. République-Unie de AT, CAfDHP, Requête n° 058/2016, arrêt du 13 juin 2023, 88 78 à 88 ; Aho Zn c. République-Unie de AT (fond et réparations) (2018) 2 RICA 493, 88 87 à 96.
2 Be Xf et autres c. République-Unie de AT (fond et réparations) (2019) 3 RICA 562, 88 107 à 112 ; /brahim Agk Cy Agp et autres, CADHP, Requête n° 036/2016, arrêt du 4 décembre 2023, 88 78 à 81 ; Ar Agt c. République-Unie de AT, CAfDHP, Requête n° 012/2019, arrêt du 1°' décembre 2022, 8 122 ; Agx Ahe c. République-Unie de AT (arrêt) (30 septembre 2021) 5 RICA 427, 88 124 à 131.
21 Yt Yl c. République-Unie de AT (fond) (2015) 1 RICA 465, 88 60 à 65 ; Co Aia Zk et autres c. République-Unie de AT (fond et réparations) (2019) 3 RICA 459, 8 56 ; Cz et Zh c. République-Unie de AT (fond) (2017) 2 RICA 67, 8 54.
57. En ce qui concerne le dépôt d’un recours en inconstitutionnalité devant la
Haute Cour, comme le prévoit l’article 13 de la Constitution, la Cour a
constamment considéré que, dans le système judiciaire tanzanien, ce
recours est un recours extraordinaire que le requérant n’est pas tenu
d’épuiser avant de saisir la Cour de céans.”
58. Au vu de ce qui précède, la Cour rejette l’exception et considère que les
Requérants ont épuisé les recours internes prévus à l’article 56(5) de la
Charte et à la règle 50(2)(e) du Règlement.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
59. La Cour relève qu’aucune contestation n’a été soulevée quant au respect
des conditions énoncées à la règle 50(2), (a), (b), (c), (d), (e) et (g) du
Règlement. Néanmoins, elle doit s'assurer que ces conditions sont
satisfaites.
60. La Cour observe que la condition énoncée à la règle 50(2)(a) du Règlement
a été remplie, les Requérants ayant clairement indiqué leur identité.
61. La Cour relève également que les demandes formulées par les Requérants
visent à protéger leurs droits garantis par la Charte. Elle note, en effet, que
l’un des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en
son article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et
des peuples. En outre, aucun élément du dossier n’indique que la Requête
est incompatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine. Elle remplit donc
les conditions énoncées à la règle 50(2)(b) du Règlement.
62. La Cour note, en outre, que la Requête ne contient pas de termes
outrageants ou insultants à l'égard de l’État défendeur ou de ses
22 Yl c. AT, ibid., S$ 60 à 62 ; Bk Aiw c. République-Unie de AT (fond) (3 juin 2016) 1 RICA 624, S$ 66 à 70; Ct Ahb c. République-Unie de AT (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 105, 8 44.
institutions. Elle satisfait donc à l’exigence de la règle 50(2)(c) du
Règlement.
63. La Cour observe que la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des
nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse, mais sur
des documents judiciaires, conformément à la règle 50(2)(d) du Règlement.
64. En ce qui concerne le dépôt de la Requête dans un délai raisonnable, la
Cour note que les Requérants l’ont saisie le 8 mars 2016, après que la Cour
d'appel a rejeté leur recours pour défaut de fondement le 2 mars 2012, soit
quatre (4) ans et six (6) jours après ledit rejet. La question à trancher, en
l'espèce, est celle de savoir si la période entre l’épuisement des recours
internes et l'introduction de la présente Requête constitue un délai
raisonnable au sens de la règle 50(2)(f) du Règlement. Conformément à sa
jurisprudence,?* la Cour considère que ce délai de saisine est raisonnable
au regard des circonstances de l’espèce et est donc conforme à la règle
50(2)(f) du Règlement.
65. Par ailleurs, la Requête ne se rapporte pas à une affaire qui a déjà été
réglée par les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte
ou de tout instrument juridique de l’Union africaine. Elle est donc conforme
à la règle 50(2)(g) du Règlement.
66. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que toutes les conditions
de recevabilité énoncées à la règle 50(2) du Règlement sont remplies et
déclare la Requête recevable.
23 Ahu Ahh c. République-Unie de AT, (arrêt) (30 septembre 2021) 5 RICA 335 ; Xp Ab alias Xp Zm c. République-Unie de AT (arrêt) (2 décembre 2021) 5 RICA 829, 88 59 à 60 ; Yd Yn c. République-Unie de AT (arrêt) (26 février 2021) 5 RICA 39, 8 44.
VII. SUR LE FOND
67. Les Requérants allèguent la violation de leurs droits suivants :
i. Le droit à un procès équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte
lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP et l’article 36(1) de la
CVRC ;
ii. Le droit d’être protégé contre toutes formes de tortures et les traitements
dégradants, inscrit à l’article 5 de la Charte ;
iii. Le droit de ne pas subir de discrimination fondée sur son origine et son
statut d’immigré, protégé par l’article 2 de la Charte ;
iv. Le droit à une égale protection de la loi, garanti par l’article 3(2) de la
Charte ;
v. Le droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte.
A. Violation alléguée du droit à un procès équitable
68. Les Requérants affirment que l’État défendeur a violé leur droit à un procès
équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte lu conjointement avec
l’article 14(3)(d) du PIDCP. La Cour observe que les griefs soulevés au titre
de cette allégation sont les suivants :
ii Le défaut de services consulaires, en violation de l’article 7(1)(c) de la
Charte, lu conjointement avec l’article 36(1) de la CVRC ;
ii. Le défaut de services d’interprétation, en violation de l’article 7(1)(c) de
la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP ;
iii. Le défaut d'assistance judiciaire efficace, en violation de l’article 7(1)(c)
de la Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP ;
iv. Le défaut de jugement des Requérants dans un délai raisonnable ;
v. La condamnation des Requérants à la peine de mort sur le fondement
d’aveux extorqués ;
vi. Le manquement, par les juges du tribunal de district, de diligenter une
enquête sur les traitements cruels, inhumains et dégradants que les
Requérants auraient subis.
i. Sur le défaut de bénéfice de services consulaires
69. Les Requérants allèguent que l’État défendeur a violé leurs droits protégés
par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 36(1) de la
CVRC en n’ayant pas informé l’ambassade de la République du Burundi en
AT de leur arrestation, pour leur permettre de bénéficier de services
consulaires.
70. Is affirment que l’ambassade de la République du Burundi en AT n’a
eu connaissance de leur affaire qu’en 2018, lorsqu’elle a été alertée par
l'avocat du premier Requérant. Par conséquent, l’État défendeur ne s’est
pas acquitté de son obligation de les informer qu’ils avaient le droit (a)
d'informer l’ambassade du Burundi de leur arrestation et (b) de
communiquer avec l'ambassade au sujet de leur affaire, en vertu de l’article
36(1)(b) de la CVRC et de l’article 34 des Lignes directrices sur les
conditions d'arrestation, de garde à vue et de détention provisoire
en Afrique adoptées par la Commission africaine. Les Requérants
affirment, en outre, que les personnes vulnérables ne devraient pas souffrir
de l’inexécution par l’État défendeur de ses obligations découlant du droit
international. Cela a été le cas en ce qui les concerne, puisqu’ils ont subi
de graves préjudices en raison de leur statut de réfugiés et d’étrangers.
71. En outre, soutiennent-ils, si l’État défendeur avait informé l’ambassade du
Burundi en AT, le chef de mission diplomatique aurait pu, entre
autres, faire en sorte (a) qu’ils bénéficient de l'assistance d’un interprète,
(b) que soit facilité le contact avec les membres de leur famille et les témoins
à décharge potentiels afin qu’ils témoignent au procès ; et (c) qu’ils
bénéficient d’une assistance consulaire pendant leur détention. Ce
manquement a contribué de manière significative à la violation de leur droit
à un procès équitable.
72. Les Requérants font valoir qu’en tant que réfugiés, vivant loin de leurs
familles et indigents, ils n'étaient pas en mesure de payer les services d’un avocat. Ils ont, en outre, indiqué qu’ils n’ont été informés des charges
retenues contre eux qu’à peu près un an et demi après leur arrestation, soit
le jour où ils ont été traduits en justice et inculpés. Les Requérants affirment
que l’État défendeur ne leur ayant pas notifié leurs droits consulaires, ils
n’ont pas eu accès à un agent consulaire de leur ambassade qui aurait pu
leur expliquer la procédure judiciaire dans leur langue maternelle et informer
leur famille de leur détention.
73. L’État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
74. La Cour a constamment considéré que les droits découlant de l’article 36(1)
de la CVRC, sont protégés par l’article 7(1)(c) de la Charte.?* Dans l'affaire
Xg Xb c. République-Unie de AT, la Cour a jugé que
« le bénéfice de services consulaires est essentiel au respect du droit à un
procès équitable des ressortissants étrangers détenus. L'article 36(1) de la
CVRC exige explicitement des États parties qu’ils facilitent l'assistance des
services consulaires aux ressortissants étrangers détenus dans leur
juridiction ».2° Bien que l’article 7 de la Charte ne prévoie pas explicitement
le droit à l’assistance consulaire, la Cour note que ce droit est prévu par la
CVRC à laquelle l’État défendeur est partie. L'article 36(1) de la CVRC
protège les droits consulaires des personnes détenues ainsi que les devoirs
et obligations de l’État. Par conséquent, cette allégation sera examinée à la
lumière de l’article 36(1) dudit instrument.
75. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 36(1) de la CVRC, l’assistance
consulaire est facilitée de deux manières : soit l'État d’accueil informe
obligatoirement le requérant de ce droit, soit le requérant demande à
bénéficier de services consulaires au moment de son arrestation. Dans la
24 Zn Aix AT (fond et réparations), supra, 88 95 à 96.
25 Xb c. AT (arrêt), supra, 8 81.
26 Ratifiée par l’État défendeur le 18 mai 1977.
présente affaire, la Cour examinera le grief du second Requérant à la
lumière de ces deux options.
76. Sur la question de savoir si l’État défendeur a informé les Requérants de
leur droit au bénéfice de services consulaires, la Cour observe que les
Requérants n’ont pas été informés de ce droit bien que l’État défendeur ait
eu connaissance de leur statut de réfugiés. En effet, lors des audiences
préliminaires, le ministère public a informé le tribunal que les deux
Requérants « étaient des réfugiés de nationalité burundaise et qu’ils
vivaient au Camp de réfugiés de Lukole situé dans le district de Ngara ».?7
77. Sur la demande du bénéfice de services consulaires, il ne résulte du dossier
aucune information indiquant que les Requérants ont formulé une demande
en vue de bénéficier d’une assistance consulaire. À cet égard, la Cour
rappelle qu’il est de jurisprudence constante que le fait pour les Requérants
de n’avoir pas sollicité le bénéfice de l’assistance consulaire n’exempte pas
l’État défendeur de son obligation de les informer de leurs droits protégés
par l’article 36(1) de la CVRC.®
78. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur a
violé le droit des Requérants de bénéficier de services consulaires, protégé
par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu conjointement avec l’article 36(1) de la
CVRC, en ne les ayant pas informés de ce droit.
ii. Sur le défaut de services d’interprétation
79. Les Requérants soutiennent que le droit de bénéficier des services d’un
interprète est inhérent à l’article 7 de la Charte relatif au droit à ce que sa
cause soit entendue. Ce droit ne peut être exercé que par une personne qui
est en mesure de comprendre les interventions du ministère public, des
27 Compte rendu des audiences préliminaires, page 3.
28 Xg Xb c. République-Unie de AT, CAfDHP, Requête n° 058/2016, Arrêt du 13 juin 2023 (fond et réparations), 8 84.
témoins, des avocats, des assesseurs et du juge. Il constitue donc une
composante essentielle des procédures judiciaires.
80. Le premier Requérant affirme que l’assistance d’un interprète qu’il a
sollicitée par l’entremise de son avocat avant le début de la procédure, a
été rejetée par les juridictions de jugement au motif qu’elle créerait une
confusion. || affirme également que le tribunal a pris acte de sa demande
relative à l’assistance d’un interprète, mais n’a pas pris les dispositions
nécessaires à cet égard.?°
81. Le second Requérant soutient, pour sa part, que la terminologie utilisée lors
de son arrestation exigeait une connaissance approfondie du kiswahili, ce
qu’il n’avait pas, puisque qu’il n’en avait appris que les rudiments au camp
de réfugiés, et que, de ce fait, il a eu beaucoup de mal à saisir les questions
formulées par la police ainsi que la teneur des débats lors des procédures.
Il soutient également que lors de la procédure incidente, on lui a demandé
s’il parlait le kiswahili et qu’il a répondu par la négative, indiquant qu’il parlait
à peine ladite langue, étant un ressortissant burundais réfugié dans le pays.
Le second Requérant affirme qu’au moment où son affaire a été jugée, sept
ans après son arrestation, il avait appris à parler couramment le kiswahili
pendant son séjour en prison et qu’il n’a pas dissimulé sa capacité à
s’exprimer couramment dans ladite langue lors de son procès, ce qui
malheureusement a joué en sa défaveur. Il fait valoir que, dans l’affaire
Aho Zn, la Cour a également reconnu l'importance du droit à un
interprète pendant la phase d’interrogatoire. Il s’appuie sur différentes
jurisprudences pour étayer ses arguments.*°
*
29 Mémoire des Requérants soumis conformément à la règle 50 du Règlement intérieur de la Cour.
30 Aho Zn c. République-Unie de AT (fond et réparations) (7 décembre 2018), 8 78 ; Rapport sur le terrorisme et les droits de l'homme, Commission interaméricaine des droits de l’homme, OEA/Ser.L/V/11.116, doc. 5 rév. 1 corr. (2002), p. 400 ; Ac Air c. Royaume-Uni, CEDH, Requête n° 18731/91, (1996), 88 45, 47 à 58 ; Observations finales du CDH ; France, Doc. CCPR/C/FRA/CO/4 (2008) 8 14 ; N(6)(d)(ii) des Principes relatifs à un procès équitable en Afrique, article 55(2)(b) du Statut de la CPI, règle 42(A)(iii) du Règlement relatif au Rwanda, règle 42(A)(iii) du Règlement relatif à la Yougoslavie ; Manuel d'Amnesty International relatif à UN procès équitable, ed. 2, 83) ; Aih Aix Ahs Za, UN Doc, CCPR/C.81/D/1033/2001 (CDH 2004), 8 7.2 ; Le Procureur c. Bh Xd, ICC- 01/04-01/07, arrêt, 8 3 (27 mai 2008).
82. L'État défendeur conteste l’allégation des Requérants. Il affirme que le
procès s’est déroulé en anglais et en swahili afin de permettre aux
Requérants et aux assesseurs du tribunal de comprendre les débats, le
dénommé J. Am assurant l'interprétation dans les deux langues,
comme cela résulte du compte rendu des débats d’audience. L'État
défendeur demande donc à la Cour de rejeter cette allégation pour défaut
de fondement. Il n’a pas conclu sur les autres griefs soulevés par les
Requérants dans le cadre de cette allégation.
83. Dans sa jurisprudence sur l’assistance d’un interprète, la Cour a jugé que
« même si l’article 7(1)(c) de la Charte ne prévoit pas expressément le droit
d’être assisté d’un interprète, il peut être interprété à la lumière de l’article
14(3)(a) du PIDCP », qui dispose :
Toute personne accusée d’une infraction pénale a droit … a) à être informée,
dans le plus court délai, dans une langue qu’elle comprend et de façon
détaillée, de la nature et des motifs de l’accusation portée contre elle ; et (f)
à se faire assister gratuitement d’un interprète si elle ne comprend pas ou ne
parle pas la langue employée à l’audience.*!
84. || ressort de la lecture conjointe des deux dispositions que tout accusé a
droit à un interprète s’il ne comprend pas la langue dans laquelle se déroule
la procédure. La Cour a également jugé qu’« il est nécessaire, d’un point de
vue pratique, que le besoin de bénéficier de l’assistance d’un interprète soit
communiqué à la Cour, lorsqu'un accusé est représenté par un conseil ».°?
Un requérant qui ne s’oppose pas à la poursuite des débats dans une
langue autre que la sienne est réputé avoir compris et accepté le
déroulement des procédures.
31 Zn Aix AT, ibid.; Zl Bm c. République-Unie de AT, CATDHP, Requête n° 056/2016, Arrêt du 10 janvier 2022 (fond et réparations), 88 126 à 127 ; Agc By As c. République-Unie de AT (arrêt) (25 juin 2021) 5 RICA 254, 8 93.
32 Makame c. AT, ibid.
33 Zn Aix AT, supra, 8 77.
85. En l’espèce, la Cour note que le premier Requérant a déclaré lors de
l’audience préliminaire qu’il avait appris le swahili lorsqu’il a été incarcéré le
13 mai 1999. D'autre part, l'avocat du second Requérant s’est opposé,
lors de l’audience préliminaire, à ce que la déclaration faite par son client
après la notification de ses droits soit produite comme preuve, invoquant le
fait que celui-ci ne parlait pas le kiswahili au moment où ladite déclaration
avait été enregistrée et que son client avait été battu et contraint de la
signer. Le tribunal a ensuite ordonné la tenue d’une procédure incidente
afin de déterminer le caractère volontaire du témoignage enregistré. En
outre, le Requérant a fait part de cette préoccupation, au cours du procès.
86. La Cour observe que, bien que les assesseurs aient conclu que les
déclarations extrajudiciaires des Requérants avaient été enregistrées de
plein gré, le juge a estimé que les blessures que présentaient les deux
Requérants, en particulier sur les parties spécifiques de leur corps où ils
affirment avoir été frappés par la police, constituaient une preuve prima
facie de brutalité policière. Une telle observation corrobore les affirmations
des Requérants selon lesquelles ils ont été battus et contraints de signer
des déclarations enregistrées en kiswahili, qu’ils ne comprenaient pas, et
dont il ne leur a jamais été donné lecture.
87. La Cour observe qu'aux différentes stades de la procédure, les Requérants
ont informé les autorités policières, leurs avocats ainsi que le tribunal
d'instance qu’ils ne comprenaient pas bien le kiswahili, langue dans laquelle
leur interrogatoire et leur procès ont été menés, et que, de ce fait, ils
n’étaient pas en mesure de participer de manière significative auxdites
procédures. Néanmoins, les autorités policières les ont battus et contraints
à signer les déclarations.
88. La Cour considère donc que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la
Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(a) du PIDCP, pour n’avoir pas
34 Page 62/47.
35 Compte rendu des audiences, page 35/20.
assuré aux Requérants le bénéfice de services d’interprétation lors de leur
arrestation, des interrogatoires, de leur détention et de leur procès.
iii. Sur le défaut d’assistance judiciaire efficace
89. Les Requérants affirment qu’ils n’ont pas bénéficié d’une assistance
judiciaire efficace de la part de leur avocat pour diverses raisons. Ils
soutiennent que leurs avocats ne leur ont jamais rendu visite pendant leur
détention en prison avant le début du procès, afin de recevoir des
instructions de leur part, qu’ils n’ont pas discuté ensemble de leur stratégie
de défense et qu’ils n’ont pas identifié les témoins à décharge à citer
éventuellement pour corroborer les témoignages ou témoigner sur leur
personnalité, en particulier la nommée Ap Cr, qui les aurait engagés
pour commettre le meurtre.
90. Le premier Requérant affirme que son alibi n’a pas été pris en compte, son
avocat ayant refusé de le soulever au moyen que cela créerait de la
confusion. Il affirme également que ledit avocat a été confronté à un conflit
d'intérêt en représentant les premier et second Requérants, dans la mesure
où le second Requérant aurait avoué avoir commis le meurtre et clamé à la
fois son innocence. || affirme qu’en pareilles circonstances, il serait
impossible pour le même avocat de fournir une assistance judiciaire efficace
et d'agir au mieux des intérêts des deux Requérants. Invoquant une
multitude d’affaires traitées par différentes juridictions,*® le premier
36 Voir, par exemple, Xz c. Guyane (supra) 8 6.4 et Communication n° 775/1997, Cp c. Jamaïque, opinions adoptées le 11 mai 1999, 8 6.6 ; Voir les Communications du CDH n° 985/2001, Cf c. Tadjikistan, arrêt du 16 novembre 2005, 8 6.4 ; n° 964/2001, Xu c. Tadjikistan, arrêt du 20 août 2004, 8 6,8 ; n° 781/1997, Aliev. c. Ukraine, arrêt du 29 août 2003, 8 7.3 ; n° 554/1993, LaVende c. Trinidad et Ahn, arrêt du 14 janvier 1998, 8 58 ; voir par exemple, Cb c. Turquie (supra), 88 146 et 147 et 153 et 154) ; Ahk c. Jamaïque, Communication n° 537/1993, UN, Doc A/51/40, Vol. Il, 8 98 ; Agg et Au c. Ukraine, CEDH, arrêt du 21 avril 2011, requête n° 42310/04, 8 263. 42310/04, 8 263 ; Cv c. Turquie (CEDH, arrêt du 27 novembre 2008, requête n° 36391/01, 88 58-63) ; Agv c. Jamaïque, Communication n° 250/1987, UN Doc A/45/40, Vol. Il, 8 85 (CDH 1990), (Voir Aiz c. Italie, CEDH, arrêt du 13 mai 1980, requête n° 6694/74, 88 29 à 41) ; (Communication 319/06 — Interights & Zf c. République du Botswana, 8 69) ; Agf c. Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, 8 29 ; Sannino c. Italie ; Bv c. Portugal, CEDH, arrêt du 10 octobre 2002, requête n° 38830/97, 8 68 ; voir également Autriche, arrêt du 19 décembre 1989, 8 29 ; Sannino c. Italie; Bv c. Portugal, CEDH, arrêt du 10 octobre 2002, requête n° 38830/97, 8 68 ; Voir Bp dos Xe c. Portugal, CEDH, arrêt du 3 juillet 2012, requête n° 50002/08, 88 44 à 46), etc.
Requérant fait valoir que l’assistance judiciaire ne se limite pas à la
représentation judiciaire gratuite, mais qu’elle doit être efficace. Il ajoute
que, dans son affaire, le défaut de communication adéquate avec son
avocat a été exacerbé par le fait qu’il était représenté par plusieurs avocats
tout au long de la procédure engagée à son encontre.
91. Le second Requérant, pour sa part, soutient qu’au regard de la
jurisprudence de la Cour, bien que l’État défendeur « ne puisse être tenu
pour responsable de tout manquement de la part d’un avocat désigné pour
apporter une assistance judiciaire, il incombe aux autorités compétentes de
prendre des mesures propres à garantir que le requérant exerce
effectivement son droit [à un avocat] en toutes circonstances ».3” II affirme
que les avocats fournis par l’État en AT sont rémunérés à hauteur de
trente (30) dollars EU, ce qui ne suffit même pas à couvrir les frais de
déplacement jusqu’à la prison.
92. Le second Requérant soutient également que sa responsabilité était
moindre dans la mesure où des témoins ont observé qu’il n’était pas armé
et que les preuves contre lui étaient plus faibles. Un avocat entreprenant
aurait, selon lui, exploité les différences relatives de culpabilité et de solidité
des preuves retenues contre chacun des co-accusés pour obtenir un
acquittement, des charges moins lourdes ou une peine plus légère.
Toutefois, son avocat, qui a la même obligation éthique à l’égard du premier
Requérant, n’a pas été en mesure de présenter une défense vigoureuse. Il
affirme que, dans l'affaire Aiw c. AT, la Cour de céans a jugé
que la Charte est violée lorsque la juridiction nationale n’a pas diligenté une
enquête plus approfondie sur un conflit d’intérêts qui aurait pu affecter
l’impartialité du ministère public.
37 Ar Agt c. République-Unie de AT, CAfDHP, requête n° 012/2019, arrêt du 1°" décembre 2022 (arrêt), 88 122 et 123 ; Bm Aix AT (fond et réparations), supra, 8 106 et 109 et Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République de Libye (fond) (3 juin 2016) 1 RICA158, 8 93.
93. L'État défendeur, pour sa part, soutient que les Requérants ont bénéficié
d’une assistance judiciaire, comme en témoignent les comptes rendus de
la procédure, et qu’ils étaient représentés par deux avocats différents, un à
l’audience préliminaire et un autre au procès.
94. L'article 7(1)(c) de la Charte dispose :
1. « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend :
[..] c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par
un défenseur de son choix. »
95. La Cour rappelle qu’elle a jugé que l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP garantit à toute personne qui
encourt une lourde peine, le droit de se voir attribuer d'office, et sans frais,
un défenseur si elle n’a pas les moyens de rémunérer ses services, et ce,
chaque fois que l'intérêt de la justice l’exige.*
96. Dans l'affaire Commission africaine des droits de l'homme et des peuples
c. Libye, la Cour a jugé que « le droit de tout accusé d’être effectivement
défendu par un avocat figure parmi les éléments fondamentaux du procès
équitable ».°° La Cour rappelle également qu’elle a déjà examiné le grief
relatif à la représentation efficace dans l’affaire Bg Ahi c.
République-Unie de AT,‘° où elle a considéré que le droit à une
assistance judiciaire gratuite comprend le droit de se faire assister par un
avocat. La Cour souligne, toutefois, que le droit de se faire assister par un
défenseur de son choix n’est pas absolu, lorsqu'il est exercé dans le cadre
d’un système d’assistance judiciaire gratuite.** En pareille circonstance, il
38 Yt Yl c. République-Unie de AT (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 124.
39 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. Libye (fond) (2016), 1 RICA 158, 8 95. 40 Bg Ahi c. République Unie de AT, (arrêt) (26 février 2021) 5 RICA 7, 8 73.
#1 CEDH, Croissant c. Allemagne (1993), Requête n° 13611/89, 8 29 ; Agf c. Autriche (1989), Requête n° 9783/82, 8 65.
importe uniquement de savoir si l'accusé a bénéficié d’une assistance
judiciaire efficace et non s’il a pu se faire représenter par un défenseur de
97. La Cour considère que l’« assistance efficace d’un avocat » comporte deux
aspects.” Premièrement, l'avocat de la défense ne doit pas se limiter à
l'exercice de sa mission de représentation de son client. Deuxièmement,
l’avocat ne doit pas priver son client d’une assistance efficace en ne le
représentant pas de manière compétente et adéquate afin de lui garantir un
procès équitable ou, de manière plus générale, une issue juste.**
98. La Cour a également jugé que la responsabilité d’un État ne peut être
retenue du fait des lacunes d’un avocat désigné pour apporter une
assistance judiciaire. La qualité de la défense fournie relève essentiellement
de la relation entre le défendeur et son représentant. L’État ne devrait
intervenir qu’en cas de défaut manifeste de représentation effective porté à
99. La Cour souligne qu’en ce qui concerne la représentation juridique effective
par le biais d’un système d'assistance judiciaire gratuite, il ne suffit pas que
l’État se contente de mettre à disposition un avocat. Les États doivent
également veiller à ce que les personnes qui fournissent une assistance
judiciaire disposent du temps et des moyens nécessaires à la préparation
d’une défense adéquate, et pour assurer une représentation efficace à tous
les stades de la procédure judiciaire, depuis l’interpellation de l’individu à
qui cette représentation est fournie.
#2 CEDH, Aio c. Suède (2003), Requête n° 26891/95, 88 54 à 56.
#3 HRI/GEN/1/Rev.9 (Vol. 1) page 256, 88 333 à 335.
“4 CEDH, Bq c. Washington, 466 U.S. 668 336; 686 (1984), 336; Lafler v. Cooper, 566. n° 10- 209 slip. op. (2012) (conseil erroné lors d’une négociation de peine).
5 CEDH, Vamvakas c. Grèce (n° 2), 2870/11, 8 36 ; Bv c. Portugal, 88 65 et 71 ; Bv c. Portugal, Requête n° 38830/97, CEDH 2002-VIII).
100. En l’espèce, la Cour note que les Requérants ont été conjointement
représentés par un avocat lors de la mise en accusation et par un autre
avocat lors du procès. La Cour observe qu’il ne résulte d’aucun élément du
dossier que l’État défendeur a empêché les avocats d’avoir accès aux
Requérants en vue de les assister dans la préparation de leur défense, ni
que ceux-ci ne se sont pas vu accorder le temps et les facilités nécessaires
pour préparer la défense de leurs clients.
101.11 est de jurisprudence constante que les allégations relatives au
manquement, par l’avocat, de soulever des moyens relatifs à certaines
questions de preuve liées à la défense de son / ses client(s) ne devraient
pas être imputé à l’État défendeur.“ En l'espèce, il ne résulte pas du dossier
que les Requérants ont informé les juridictions internes d’éventuelles
lacunes dans la conduite de leur défense par leur avocat.
102. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur s’est
acquitté de son obligation de fournir aux Requérants une assistance
judiciaire efficace et gratuite, et n’a donc pas violé l’article 7(1)(c) de la
Charte, lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP.
iv. Sur la tenue du procès dans un délai non raisonnable
103. Les Requérants soutiennent que la période anormalement longue qui s’est
écoulée avant leur procès constitue une violation manifeste du code de
procédure pénale de l’État défendeur,*” et de leurs droits à un procès
équitable, protégés par les articles 14 du PIDCP et 7 de la Charte, en
particulier lorsque les conditions de détention sont exceptionnellement
difficiles. Ils soutiennent que la Cour s’est déjà prononcée sur le préjudice
irréparable qui résulte des délais entre l’arrestation et le procès, et a estimé
que certains délais peuvent justifier une peine plus clémente en raison du
tourment psychologique qui résulte du maintien d’un accusé dans un état
d'incertitude et d’anxiété quant à son avenir. L’attente, à elle seule, est
46 Bm Aix AT, supra, 8 113.
47 Parties II et VI de la Loi portant code de procédure pénale, n° 09 de 1985, (1985) (Tanz.) constitutive d’une punition lourde qui, conformément à la jurisprudence des
tribunaux nationaux, doit faire l’objet de réparation. Les Requérants
soutiennent, en outre, que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable a
été considéré par la Cour comme l’un des principes cardinaux du droit à un
procès équitable.
104. Ils font valoir que leur affaire n’est pas complexe. Il s’agit d’une allégation
de meurtre fondée sur des témoignages oculaires, des témoignages de
personnes non expertes, d’enquêteurs, et d’un expert en balistique ainsi
que des déclarations de co-accusés. Un rapport d’autopsie a également
été versé aux débats. Tous ces éléments, affirment-ils, étaient à la
disposition du ministère public dans les deux mois suivant l’arrestation et
ren n’indique que celui-ci attendait les résultats d’enquêtes
complémentaires.
105. Les Requérants affirment qu’ils n’ont pas saisi la juridiction d'instance de
requêtes multiples et que l’État défendeur n’a pas justifié les retards
observés entre les différentes étapes de la procédure. Du reste, il ne résulte
du dossier aucune information sur le motif pour lequel ils n’ont pas été
entendus en audience préliminaire près de deux ans après leur arrestation,
ce qui a entraîné un préjudice substantiel dans la mesure où la mémoire
des témoins s’estompe avec le temps, notamment leurs souvenirs de
l’apparence d’une personne, de la chronologie des événements et des
déclarations qui ont été faites.
106. Le premier Requérant précise que le ministère public a introduit une
demande d'examen de son aptitude à être jugé, à laquelle son avocat ne
s’est pas opposé. Cette procédure, soutient-il, peut être finalisée en
quelques semaines tout au plus, étant donné que le spécialiste chargé de
l’évaluation est un fonctionnaire.
107. En réponse à cette allégation, l’État défendeur se contente de soutenir … que le procès des Requérants s’est déroulé dans un délai raisonnable.
108. L'article 7(1)(d) de la Charte dispose :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit comprend … le droit d’être jugé dans un délai raisonnable
109. Dans l'affaire Yz Az Zc et autres c. République-Unie de
AT, la Cour a considéré que le droit d’être jugé dans un délai
raisonnable constitue un aspect important du procès équitable.‘® La Cour
a, en outre, considéré que le droit à un procès équitable comprend
également le principe selon lequel les procédures judiciaires doivent être
menées à leur terme dans un délai raisonnable.“ Dans son appréciation du
droit d’être jugé dans un délai raisonnable, la Cour a adopté une approche
au cas par cas en tenant compte, entre autres, de facteurs tels que la
complexité de l'affaire, le comportement des parties et celui des autorités
judiciaires qui ont un devoir de diligence dans des circonstances où le
requérant encourt des peines sévères.S°
110. Dans son appréciation de la complexité de l'affaire, la Cour a, entre autres,
pris en compte le nombre de témoins ayant déposé, la disponibilité des
moyens de preuve, le niveau de complexité des enquêtes, le comportement
des parties, l’existence ou non de preuves scientifiques telles que des
“ Zc et autres c. AT (fond), supra, 8 127 ; Aiv Bb Ye c. République-Unie de AT (fond et réparations) (26 septembre 2019) 3 RICA 504, 8 48.
#9 Cg c. AT (arrêt), supra, 8 117.
5° Zp c. AT (fond et réparations), supra, 8 83 ; Cg c. AT (arrêt), supra, 8 117 ; Agx Ahe c. République-Unie de AT (fond et réparations) (30 septembre 2021) 5 RICA 427, 8 104 et Zn Aix AT (fond et réparations), supra, 88 122 à 124.
51 Cg c. AT, ibid, 8 117 ; Zn, ibid, 8 112 ; Zc et autres c. AT ANfond), 8 115.
111. Bien que les Requérants se plaignent du « retard excessif accusé dans la
procédure engagée à leur encontre » la Cour observe que le fait en cause,
tel qu’il ressort de leurs écritures, a trait à la période de détention provisoire.
La Cour va donc déterminer si ladite période, à savoir les six (6) ans, dix
(10) mois et dix-neuf (19) jours qui se sont écoulés depuis leur arrestation,
le 8 mai 1999, jusqu’à l’ouverture de leur procès, le 27 mars 2006, est
raisonnable.
112. En ce qui concerne la nature et la complexité de l'affaire, la Cour observe
dans le dossier que le ministère public n’a cité que trois (3) témoins à
charge. S'agissant des enquêtes, il ressort du dossier que dame Ap
Cr, l’épouse du commandant, qui de l’avis des Requérants est l’acteur
principal du crime, a été interrogée mais n’a jamais été inculpée, ni citée à
comparaître. L'affaire ne saurait donc être considérée comme étant
complexe au point de justifier le retard accusé dans l’enquête.
113. En ce qui concerne le comportement des Parties, la Cour note que rien dans
le dossier n'indique que les Requérants ont entravé le déroulement de
l’enquête avant leur mise en accusation devant la Haute Cour. La question
du comportement des Parties se rapporte donc à celle de savoir si les
autorités judiciaires de l’État défendeur ont fait preuve de diligence
raisonnable dans le traitement des procédures engagées à l’encontre des
Requérants.
114. L’État défendeur ne justifie pas ce délai et se contente d’affirmer que
l’affaire des Requérants a été entendue dans un délai raisonnable.
115. En ce qui concerne le devoir de diligence des autorités judiciaires, la Cour
note qu’aux termes de l’article 32(2) de la loi portant Code de procédure
pénale (CPP), tout accusé doit être traduit devant un tribunal dès que
possible lorsque l'infraction pour laquelle il est poursuivi est passible de la peine de mort. En outre, l’article 244 de la même loi, lu conjointement avec
son article 245, prévoit que la procédure d’incarcération doit avoir lieu dès
que possible. Enfin, l’article 248(1) de la CPP prévoit que le procès peut
être reporté, de temps à autre, par mandat, et que l’accusé peut être placé
en détention provisoire pour une durée raisonnable, n’excédant pas quinze
(15) jours consécutifs.**
116. La Cour note également que la Haute Cour de l’État défendeur est habilitée,
en vertu des articles 260(1),5° et 284(1)°° du CPP, à reporter le procès de
tout accusé à une échéance ultérieure lorsqu’il existe une raison suffisante
pour justifier le retard qui en découlerait, notamment la non-comparution
des témoins. Toutefois, les mêmes dispositions prévoient que la durée du
retard doit être « raisonnable ».
52 Article 32(2) — Lorsqu’en l'absence de mandat, une personne a été placée en garde à vue pour une infraction passible de la peine de mort, elle doit être traduite devant un tribunal dès que possible.
53 Article 244 — Lorsqu'une personne est accusée d’une infraction qui ne peut pas être jugée par un tribunal inférieur ou pour laquelle le Director of Public Prosecutions indique au tribunal, par écrit ou de toute autre manière, qu’il n’est pas approprié de statuer sur cette infraction par un procès sommaire, la procédure de renvoi sera engagée, conformément aux dispositions ci-après, par une juridiction inférieure compétente.
Article 245(1) — Après l'arrestation d’une personne ou après l’achèvement des enquêtes et l'arrestation de toute personne pour la commission d’une infraction passible de jugement devant la Haute Cour, la personne arrêtée doit être traduite, dans le délai prescrit à l’article 32 de la présente loi, devant un tribunal inférieur compétent sous la juridiction duquel l’arrestation a été effectuée, tout en indiquant les charges que l’on attend faire peser sur elle, afin qu’elle soit traitée conformément à la loi, sous réserve de dispositions de la présente loi.
54 Article 248(1) — Lorsque, pour un motif raisonnable à consigner dans les actes de procédure, le tribunal estime nécessaire ou souhaitable de reporter l’audience, il peut, de temps à autre, au moyen d’un mandat, détenir l'accusé pendant une durée raisonnable n’excédant pas quinze jours consécutifs, dans un établissement pénitentiaire ou tout autre lieu de sûreté.
Article 248(2) — Lorsque la durée de la détention provisoire n'excède pas trois jours, le tribunal peut, de vive voix, ordonner au fonctionnaire de police ou à la personne qui a l’accusé sous sa garde, ou à toute autre autorité ou personne pertinente, de maintenir l’accusé en détention et de l’amener à l'heure fixée pour l’ouverture ou la suite de l'enquête.
55 Article 260(1) — La Haute Cour peut, à la demande du ministère public ou de l’accusé, si elle estime que le retard est justifié, reporter le procès de tout accusé à sa prochaine session tenue dans le district ou en tout autre lieu approprié, ou à une session ultérieure.
56 Article 284(1) — Lorsque, en raison de la non-comparution de témoins ou de tout autre motif raisonnable à consigner dans les actes de procédure, le tribunal estime nécessaire ou souhaitable de différer l'ouverture d’un procès ou de le reporter, il peut, de temps à autre, différer ou reporter le procès aux conditions qu’il estime appropriées pour la durée qu’il juge raisonnable et peut, au moyen d’un mandat, placer l’accusé en détention provisoire dans un établissement pénitentiaire ou dans un autre lieu de sûreté.
117. Il ressort du dossier que les Requérants ont été arrêtés pour meurtre le 8
mai 1999 et que l’audience préliminaire devant la Haute Cour s’est tenue le
24 septembre 2002, soit trois (3) ans, quatre (4) mois et seize (16) jours
plus tard. Le 21 avril 2004, soit un (1) an, six (6) mois et vingt-huit (28) jours
plus tard, les Parties ont comparu de nouveau devant la Haute Cour et lui
ont demandé de fixer une date pour le procès. La Haute Cour a donc
ordonné au tribunal de district de renvoyer les Requérants, mais aucune
mesure n’a été prise dans ce sens. Le 13 février 2006, soit un (1) an, neuf
(9) mois et vingt-trois (23) jours plus tard, les Parties ont, de nouveau,
comparu devant la Haute Cour, et le ministère public a fait observer que le
tribunal de district n'avait pas procédé au renvoi des Requérants devant la
juridiction de jugement. En réponse, la Haute Cour a, de nouveau, ordonné
que le tribunal de district procède au renvoi des Requérants. Le 2 mars
2006, soit deux (2) semaines et trois (3) jours plus tard, les Parties ont
comparu devant la Haute Cour après que les Requérants ont été renvoyés
devant la juridiction de jugement.
118. Le procès s’est ouvert le 27 mars 2006 devant la Haute Cour siégeant à
Zz, soit vingt-cinq (25) jours plus tard, dans le cadre de la session
pénale, affaire n° 34 de 2002, et s’est achevé le 31 mai 2007. Il s’est donc
écoulé huit (8) ans et vingt-trois (23) jours après la date de l’arrestation et
un (1) an, deux (2) mois et vingt-neuf (29) jours après la date de renvoi.
119. En ce qui concerne la procédure de renvoi des Requérants, la Cour observe
que le juge a tardé à engager ladite procédure dans les meilleurs délais,
comme le prévoit la loi. En effet, le tribunal de district n'ayant pas procédé
au renvoi la première fois, le juge de la Haute Cour a dû, à deux reprises,
rappeler le juge de ladite juridiction à l’ordre afin qu’il engage la procédure
de renvoi, ce qui a eu pour effet de prolonger le procès devant la Haute
Cour.
120. La Cour observe que les Requérants se sont prévalus d’un alibi au cours
du procès, mais que le juge de première instance a déclaré « avoir examiné
ce moyen de défense et en avoir pris connaissance, conformément aux
dispositions de l’article 194(6) du CPP, mais a estimé qu’au vu des preuves
solides produites par le ministère public, il n’accordait aucun poids à ce
moyen de défense ». La Cour note, en outre, que la Cour d'appel, se
référant à sa propre jurisprudence,” a abondé dans le même sens que le
juge de première instance.°8
121. La Cour observe que rien ne justifie qu'après leur arrestation, la procédure
de renvoi des Requérants ait été engagée trois (3) ans, quatre (4) mois et
seize (16) jours après l’audience préliminaire. Pis encore, ce sont les
Parties elles-mêmes qui ont dû, à deux reprises, rappeler à la Haute Cour
que la procédure de renvoi n’avait pas été menée à son terme et qu'aucune
date n’avait été fixée pour le procès. La Cour note également que rien dans
le dossier n'indique que les Requérants ont entravé l’enquête avant leur
comparution devant la Haute Cour, que l’affaire était complexe, ni que de
multiples requêtes ou demandes de report ont été déposées. Les
Requérants ont été renvoyés devant la juridiction de jugement le 2 mars
2006 et leur procès devant la Haute Cour s’est ouvert le 27 mars 2006. Au
regard de ce qui précède, la Cour estime que le délai de six (6) ans dix (10)
mois et dix-neuf (19) jours qui s’est écoulé, depuis la date d’arrestation
jusqu’à la date d’ouverture du procès, ne saurait être considéré comme
étant raisonnable.
122. Elle considère donc que l’État défendeur a violé le droit des Requérants
d’être jugés dans un délai raisonnable, protégé par l’article 7(1)(d) de la
Charte.
57 Agt Xi et un autre c. La République (inédit).
58 Arrêt de la Cour d'appel, page 4.
v. Sur la condamnation fondée sur des aveux extorqués
123. Le second Requérant soutient qu’en vertu du droit international, des aveux
obtenus sous la contrainte sont irrecevables lors d’un procès et ne peuvent
être versés au dossier. Par conséquent, la décision de la Haute Cour de
recevoir sa déclaration comme moyen de preuve et de le condamner sur le
fondement de cette preuve est constitutive d’une violation des articles 5 et
7 de la Charte et 7 du PIDCP. À titre d'illustration, il invoque la jurisprudence
du Comité des droits de l’homme et celle d’autres tribunaux®° ainsi que les
Principes et lignes directrices sur le droit à un procès équitable et à
l’assistance judiciaire en Afrique.
124. Le second Requérant affirme qu’au cours de « la procédure incidente »
devant le juge président, il a témoigné sur la torture qu’il a subie et que son
témoignage a été corroboré par l’officier de police judiciaire qui avait
enregistré sa déclaration extrajudiciaire. Il affirme qu’en dépit de la preuve
prima facie attestant que la déclaration n’avait pas été enregistrée de plein
gré, le juge l’a tout de même admise comme preuve. || estime que dans son
cas, il existe des preuves accablantes des agressions physiques et des
pressions psychologiques exercées pour lui extorquer une déclaration
incriminante. Il ne fait donc aucun doute, selon lui, que l’État défendeur a
violé les obligations qui lui incombent en vertu des articles 5 et 7 de la
Charte, et 6, 7 et 14 du PIDCP.
125. L’État défendeur soutient que les Requérants ont été condamnés sur la
base de preuves qui ont permis d’asseoir leur culpabilité au-delà de tout
doute raisonnable.
59 AJ et Cl Yk c. Mexique, exception préliminaire, fond, réparations et frais de procédure, arrêt, CIADH (ser. C) n° 220, 8 166 (26 nov. 2010)) ; Aih Aix Ahs Za, l'arrêt de la CEDH dans l'affaire Ab c. Turquie est instructif à cet égard. Les arrêts Ab et Aih soulignent le caractère peu fiable des aveux obtenus sous la contrainte, que ce soit par la torture ou par d’autres formes de manipulation ou d'exploitation.
126. Aux termes de l’article 7(1)(c) de la Charte, toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue et le droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce
que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente.
127. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l'affaire Ci Ahc c. République-
Unie de AT, selon laquelle les juridictions nationales jouissent d’une
large marge d’appréciation dans l’évaluation de la valeur probante des
éléments de preuve. En tant que juridiction internationale des droits de
l’homme, la Cour ne saurait se substituer aux juridictions nationales pour
examiner les détails et les particularités des preuves présentées dans les
128. Nonobstant ce qui précède, la Cour souligne qu’il est de jurisprudence
constante que, bien qu’elle n’ait pas le pouvoir d’examiner les questions de
preuve qui ont été tranchées par les juridictions internes, elle conserve
néanmoins le pouvoir de déterminer si l'examen des preuves par les
tribunaux nationaux est conforme aux dispositions pertinentes des
instruments internationaux des droits de l’'homme.8-
129. La Cour rappelle, en outre, que le droit à « un procès équitable requiert que
la condamnation d’une personne à une sanction pénale, et particulièrement,
à une lourde peine d’emprisonnement, soit fondée sur des preuves
solides ».8? La Cour a également jugé dans l'affaire Bd Cu c.
République-Unie de AT que le fait que la culpabilité doive être
« établie avec certitude » est un principe essentiel dans les cas où la peine
de mort est prononcée.Ss
60 Ci Ahc c. République-Unie de AT (fond) (21 mars 2018) 2 RICA 226, 8 65 et Ais Aii et autres et 4 autres c. République-Unie de AT (arrêt) (25 septembre 2020) 4 RICA 680,
81 Br Yp c. République-Unie de AT (fond) (28 mars 2019) 3 RICA 51, 8 61 ; Aj Aix AT (arrêt), supra, 8 66 et Ahb c. AT (fond), supra, 8 69.
8 Aiw c. AT (fond), supra, 8 174 ; Ahe c. AT (arrêt), supra, 8 70 et Ahc c. AT (fond), supra, 8 67.
83 Cu c. AT (fond), supra, 8 72.
130. En l’espèce, la Cour observe que le Requérant conteste l’utilisation par
l'État défendeur de la « déclaration qui lui a été extorquée » pour fonder sa
condamnation. Il ressort du dossier que le second Requérant a
constamment allégué, tout au long de la procédure, qu’il avait été contraint
de signer cette déclaration après avoir été sévèrement battu. Les
ecchymoses et les marques qu’il présentait ont également été observées
par le juge qui a enregistré la déclaration extrajudiciaire. Il s'agit là d’une
preuve prima farcie corroborant ses allégations selon lesquelles la
déclaration lui avait été extorquée.
131. Toutefois, la Cour note que la condamnation du Requérant était fondée sur
d’autres éléments de preuve, notamment les déclarations des témoins, la
procédure incidente, la séance d'identification, le fait qu’il ait indiqué aux
agents de police où trouver l’arme présumée du crime ainsi que le rapport
d'expertise balistique. Bien que la méthode utilisée pour obtenir les aveux
et enregistrer la déclaration constitue une irrégularité procédurale majeure,
il n’est pas établi que le second Requérant a été condamné uniquement sur
la base de la déclaration querellée.
132. La Cour considère donc que l’État défendeur n’a pas violé le droit du
Requérant à un procès équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte,
en ce qui concerne la condamnation du second Requérant sur l’unique
fondement de la déclaration contestée qui lui aurait été extorquée.
vi. Sur le manquement, par le juge, d’ordonner une enquête sur les
traitements cruels, innhumains et dégradants.
133. Bien que cette allégation ait été formulée uniquement par le second
Requérant, elle concerne également le premier Requérant, dans la mesure
où les deux Requérants ont été pris en main par le même officier de justice
et soumis à un traitement similaire. La Cour va donc prendre également en
compte le premier Requérant dans son appréciation de cette allégation.
134. Le second Requérant affirme que le juge du tribunal de district n’a pas
procédé à une évaluation médicale rapide afin de corroborer ses allégations
de torture. || affirme, en outre, que le juge n’a pas ordonné que ses
blessures soient photographiées, qu’il n’a pas interrogé les policiers qui ont
contribué à lui administrer les coups et qu’il n’a pas ordonné qu’une enquête
soit diligentée. En revanche, sept (7) ans plus tard, alors que les blessures
et les cicatrices sont devenues imperceptibles, la Haute Cour a préféré
mettre en balance son témoignage avec celui d’un officier de police qui était
l’un de ses tortionnaires.
135. Le second Requérant affirme que la Haute Cour a rejeté son témoignage et
admis ses aveux extorqués comme preuve au procès, le privant ainsi d’un
recours pour les tortures qu’il a subies et permettant aux autorités de tirer
profit de leurs abus. Il fait valoir que cet état de fait constitue une violation
supplémentaire de son droit à ne pas être soumis à la torture ou à des
peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et demande à la
Cour de se prononcer en sa faveur à cet égard.
136. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
137. Aux termes de l’article 7(1)(b) de la Charte, toute personne a droit à ce que
sa cause soit entendue et a droit à la présomption d’innocence jusqu’à ce
que sa culpabilité soit établie par une juridiction compétente.
138. La Cour note que cette allégation se rapporte au manquement du juge à
diligenter une enquête après que les Requérants lui ont fait part des
mauvais traitements qui leur ont été infligés par les agents de l’État.
139. À la lumière des observations des Requérants et en l’absence de
conclusions de l’État défendeur sur ce point, la Cour considère que la
détermination de l’allégation des Requérants a trait aux éléments de
preuve. À cet égard, la Cour réitère sa position dans l'affaire Br
Cq Cz et Aiy Ac Aib Zh c. République-Unie de
AT citée précédemment, à savoir que dans les cas où les requérants
sont incarcérés et dans l'incapacité de prouver leurs allégations parce que
les moyens de les vérifier sont susceptibles d’être sous le contrôle de l'État,
la charge de la preuve incombe à l’État défendeur dès lors que les
requérants produisent une preuve prima facie de violation.
140. Il ressort du dossier qu’au moment de l’enregistrement de la déclaration
extrajudiciaire du premier Requérant, le juge a relevé®” que celui-ci
« présentait de petites blessures au niveau des mains, du visage et des
genoux, et que ces blessures étaient en train de cicatriser. Elles résultent
des coups que les agents de police de Ahw ont administrés au
Requérant au moment de son arrestation ». La Cour observe, en ce qui
concerne le second Requérant, qu’il a fait part au juge du tribunal de district
des tortures qu’il a subies et que celui-ci a indiqué que le Requérant
« présentait de petites blessures dans le dos et sur les mains, et qu’il avait
été battu lors de son arrestation par la police ».
141. La Cour observe, en outre, que la seule mesure prise par le juge du tribunal
de district à l'égard de ses constatations ainsi que du signalement de
tortures a été d’enregistrer les observations des Requérants sur leur état
physique. Le juge n’a pas entrepris d’ordonner une enquête afin de
déterminer l’origine des blessures constatées ni d’ordonner que les
Requérants subissent un examen médical. Par ailleurs, dès lors que les
Requérants ont apporté une preuve prima facie de mauvais traitements ou
de torture, il incombait automatiquement à l’État défendeur de prouver le
contraire. La Cour estime que le juge du tribunal de district avait l’obligation
84 Voir Cz et Aiy Zh Aix AT, supra, 88 142 à 145.
65 Compte rendu des audiences, page 57/42.
de fournir aux Requérants une protection adéquate lorsqu’ils ont été arrêtés
en tant que criminels présumés, de mener une enquête sur la manière dont
ils ont essuyé les blessures et, enfin, de traduire les coupables en justice.
142. Étant donné que le juge du tribunal de district n’a pas ordonné d’enquête
sur les allégations de violences, la Cour considère que l’État défendeur a
failli à son obligation d’enquêter en cas d’allégations relatives à des
traitements cruels, innumains et dégradants, prévue par l’article 5 de la
Charte, du fait de l’inaction de son agent, à savoir le juge du tribunal de
district.
B. Sur la violation alléguée du droit de ne pas être soumis à la torture ou à
des traitements inhumains, cruels et dégradants
143. Au titre de cette allégation, les Requérants formulent quatre (4) griefs, qu’ils
assimilent à des traitements cruels, inhumains et dégradants :
i. La brutalité policière ;
ii. L’exécution de la peine de mort par pendaison ;
iii. L'exposition au « phénomène du couloir de la mort » ;
iv. La détention dans des conditions déplorables.
144. La Cour examinera ses griefs dans l’ordre indiqué ci-dessus.
i. Sur l’allégation relative à la brutalité policière
145. Les Requérants affirment que dès que la police a appris que l’épouse de
leur commandant avait été tuée, elle a fait une descente dans les camps de
réfugiés en vue de rechercher des suspects. °° Ils ont procédé à une rafle,
battu les personnes ainsi appréhendées et les ont forcées à monter dans
leurs véhicules. Certaines personnes ont réussi à s’enfuir tandis que
d’autres ont été arrêtées dont les deux co-accusés. Les Requérants
86 Voir p. 24 du compte rendu des audiences (témoignage de PW4) et p. 21 (témoignage de PW2).
affirment que leur témoignage est corroboré par des rapports indépendants
sur les brutalités policières et la détérioration de la situation en matière de
146. En outre, les Requérants soutiennent que pendant l’interrogatoire au poste
de police, ils ont été battus, les agents se servant de leurs « poings, de
rungu, de coups de pied, de crosses d'armes à feu » et ils ont été forcés de
signer des aveux contre leur gré, lesquels ont été enregistrés dans une
langue qu’ils ne comprenaient pas (le kiswahili). Le second Requérant
affirme également qu’à la suite d’un deuxième interrogatoire après la
séance d'identification, on lui a montré trois crânes en l’informant de
manière sarcastique qu’ils appartenaient à des personnes tuées par la
police, et qu’il subirait le même sort s’il refusait de signer la déclaration.
147. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
148. L'article 5 de la Charte est libellé comme suit :
Tout individu a droit au respect de la dignité inhérente à la personne
humaine et à la reconnaissance de sa personnalité juridique. Toutes
formes d'exploitation et d'’avillissement de l'homme notamment
l'esclavage, la traite des personnes, la torture physique ou morale, et
87 Turner, S. (2005). ‘Suspended Spaces: Contesting Sovereignties in a AR AM,’ in Sovereign Bodies; Citizens, Migrants and States in the AV AI, ed. T.B Hansen and F. Aic. Princeton Zu Xm, p. 318). En 1997, le Gouvernement tanzanien a procédé à une rafle massive de réfugiés burundais qui s'étaient installés dans les villages proches de la frontière, les séparant de leurs conjoints et les expulsant de leurs maisons (BURUNDIAN REFUGEES IN AT : The Agl Agy Z the Agw Ajd Yg, ICG Ys Xn Report n° 12, 30 novembre 1999) ; (Turner, S. (2005). ‘Suspended Spaces: Contesting Sovereignties in a AR AM,’ in Sovereign Bodies; Citizens, Migrants and States in the AV AI, ed. T.B Hansen and F. Aic. Princeton Zu Xm, p. 315). La loi de 1998 sur les réfugiés accorde de larges pouvoirs d’arrestation et autorise même le recours à la force contre les réfugiés (Aiu Xd, « The (AT) Refugees Act of 1998 : Some Legal and Cj Ym », in 18 Journal of AR Aja (2005), pp.110 à 113).
les … peines ou les traitements cruels inhumains ou dégradants sont interdites.
149. La Cour rappelle sa jurisprudence sur la définition de la torture dans l'affaire Yt Yl c. République-Unie de AT,®8 laquelle est énoncée à l’article premier de la Convention des Nations Unies contre la torture comme suit :
Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une personne aux fins notamment d’obtenir d’elle ou d’une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d’un acte qu’elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d’avoir commis, de l’intimider ou de faire pression sur elle ou d’intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu’elle soit, lorsqu’une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes
150. En outre, l’article 12 du même instrument dispose : « Tout État partie veille
à ce que les autorités compétentes procèdent immédiatement à une
enquête impartiale chaque fois qu’il y a des motifs raisonnables de croire
qu’un acte de torture a été commis sur tout territoire sous sa juridiction ».
151. La Cour prend note de la Résolution de la Commission africaine sur les
lignes directrices et mesures d'interdiction et la prévention de la torture et
des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en Afrique®° qui
88 Yt Yl c. République-Unie de AT (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 144.
89 La Commission africaine a adopté ces lignes directrices en 2008 ; elles sont communément appelées « Lignes directrices de Robben Island». Voir également la requête 288/04 Aje Ail c. Zimbabwe, arrêt du 2 mai 2012, 88 142 à 166.
indique que la torture peut prendre diverses formes et la constatation de la
violation d’un droit dépendra des circonstances de chaque cause.”°
152. La Cour rappelle, en outre, que conformément à sa jurisprudence,
l'interdiction des traitements cruels, innumains et dégradants énoncée à
l’article 5 de la Charte est absolue.”* Elle note que les allégations visées en
l'espèce portent sur les coups qui auraient été administrés par les autorités
policières pendant et après l'arrestation des Requérants à l’effet d’obtenir
des aveux de culpabilité, ainsi que sur les menaces de mort proférées par
les mêmes agents de l'État.
153. La Cour relève dans les comptes rendus des audiences que l’avocat du
premier Requérant a informé le tribunal que son client était un réfugié, qu’il
avait été battu et qu'il ne parlait pas le kiswahili.”? La Cour note, en outre,
que les Requérants ont fait part des brutalités policières qu’ils ont subies au
juge du tribunal de district qui les a examinés et a consigné les blessures et
les cicatrices corporelles qu’ils présentaient.
154. À la lumière de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur a
violé le droit des Requérants de ne pas être soumis à des traitements
inhumains, cruels et dégradants, protégé par l’article 5 de la Charte, en
raison des actes posés par les autorités policières qui sont des agents de
l’État.
ii. Sur l’allégation relative à l’exécution de la peine de mort par pendaison
155. La Cour note que, bien que ce grief ait été formulé par le premier Requérant,
elle concerne également le second Requérant, dans la mesure où il encourt
la même peine et le même mode d’exécution, ce que l’État défendeur ne
70 Aho Zn c. République-Unie de AT (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 493, 8 131.
7 Voir Huri-Laws c. Yu Communication 225/98 (2000) AHRLR 273 (CADHP 2000), 8 41 ; Aho Zn c. République-Unie de AT (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 131.
72 Compte rendu des audiences, page 31/16.
conteste pas. La Cour va donc examiner ce grief en prenant en compte les
deux Requérants.
156. Les Requérants affirment que la pendaison, choisi comme mode
d’exécution de la peine de mort, constitue un traitement cruel, innumain et
dégradant. Ils soutiennent que dans l’affaire Be Xf et autres c.
République-Unie de AT, la Cour a observé que de nombreuses
méthodes utilisées pour l’application de la peine de mort pourraient être
assimilables à la torture, ainsi qu’à des traitements cruels, innumains et
dégradants, compte tenu des souffrances qui leur sont inhérentes.
157. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
158. La Cour rappelle également sa jurisprudence dans l’affaire Agx Ahe c.
République-Unie de AT selon laquelle le mode d’exécution de la
peine de mort, à savoir la pendaison, porte atteinte à la dignité d’une
personne, eu égard à l’interdiction de la torture et des traitements cruels,
inhumains et dégradants.”*
159. La Cour réitère que dans la logique même de l’interdiction des méthodes
d’exécution assimilables à la torture ou à des traitements cruels, inhumains
et dégradants, il conviendrait de prescrire, dans les cas où la peine de mort
est permise, que les méthodes d'exécution excluent la souffrance ou
entraînent le moins de souffrance possible.” Ayant estimé que l’application
obligatoire de la peine capitale constitue une violation du droit à la vie
compte tenu de son caractère arbitraire, la Cour considère que le mode
d’exécution de cette peine, à savoir la pendaison, porte inévitablement
73 Ahe c. République de AT (arrêt),supra, 8 136.
74 Xf et autres c. AT (fond et réparations), supra, 8 118.
atteinte à la dignité d’une personne, eu égard à l’interdiction de la torture et
des traitements cruels, inhumains et dégradants.”°
160. La Cour considère donc que l’État défendeur a violé le droit des Requérants
à la dignité, protégé par l’article 5 de la Charte, en raison du mode
d’exécution de la peine prononcée à leur encontre, à savoir la pendaison.
iii. Sur l’allégation relative à l’exposition au syndrome du couloir de la mort
161. Les Requérants affirment qu’ils ont été soumis et exposés au phénomène
du couloir de la mort pendant leur détention prolongée de dix-neuf (19) ans
pour le premier Requérant et de dix-huit (18) ans pour le second Requérant,
dont onze (11) dans le couloir de la mort dans des conditions déplorables.
162. Les Requérants soutiennent que pendant cette période, ils ont été soumis
au tourment psychologique induit par la crainte constante d’une mort
imminente, connu sous le nom de « phénomène du couloir de la mort », un
terme que les tribunaux utilisent pour décrire l’anxiété, la crainte, la peur et
l’angoisse psychologique généralement induites par une incarcération
prolongée dans le couloir de la mort.”6 Ils affirment que, bien que le
phénomène du couloir de la mort ne soit pas en soi un diagnostic médical,
ses symptômes sous-jacents peuvent être détectés par le biais d’un
entretien clinique.
163. Les Requérants affirment, en outre, que lors des récentes audiences de
condamnation à la peine capitale, les Hautes Cours du Malawi ont renforcé
le principe selon lequel la détention prolongée dans le couloir de la mort est
constitutive d’une peine inhumaine cruelle et dégradante.”7 Ils estiment que
l’existence d’un moratoire de facto sur la peine de mort n’atténue pas le
risque de voir apparaître le syndrome du couloir de la mort car, pendant
75 Ibid., 88 119 et 120.
76 A cruel and unusual punishment, 57 Lowa L. Rev. 814, 814 (1972).
77 La République c. Agq Agz, audience de fixation de peine n° 29 de 2015 (non publiée).
cette période, l’État défendeur continue de les exposer au risque très réel
et toujours croissant de subir les effets dudit syndrome.
164. Les Requérants font observer qu’à la prison de Butimba où ils sont détenus,
la potence est située dans la première pièce du couloir où sont enfermés
les condamnés à mort. La torture psychologique associée à l’éventualité de
l'exécution d’une personne s'aggrave avec le temps et est souvent
exacerbée par les conditions de détention telles que l'isolement, l’exiguïté
des lieux, le harcèlement et les règles arbitraires ou sévères. Ils s’appuient
sur plusieurs cas de jurisprudence pour étayer leurs arguments. ”8
165. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
166. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’arrêt Ahf Yr Zp
c. République-Unie de AT”° selon laquelle le couloir de la mort est
intrnsèquement susceptible d’avoir un impact négatif sur l’état
psychologique d’un individu, du fait que la personne concernée peut être
exécutée à tout moment.® Dans l’arrêt Xf cité précédemment, la Cour
a également jugé que les requérants dans le couloir de la mort vivent
d'incertitude, conscients qu’à tout moment ils peuvent être exécutés. Cette
attente et sa durée ont non seulement prolongé, mais encore aggravé
l’anxiété des requérants.#!
78 Pratt & Bc c. The Xy Ys de Jamaïque, 43 WIR 340 (1993) ; Ze et autres c. Xy Ys, Recours en inconstitutionnalité n° 03 de2006, [2009] UGSC 6, 88 56 et 57 (21 janvier 2009) (Ouganda) ; Catholic Comm'n For Justice & Peace In Xk c. Xy Ys, (2001) AHRLR 248, 277 et 278 (ZwSC 1993) ; Cx c. Royaume-Uni (161 CEDH (Ser. a) (1989)) ; Ahp c. République, Recours en inconstitutionnalité n° 15 de 2007, [2009] MWHC 31 (Malawi)) ; La République c. Chiliko ; États-Unis c. Burns. [2001] 1 S.C.R 283 (Can. S.C.C.) ; Al Saadoon et Yh c. Royaume- Uni (voir 2010, CEDH ; U.S. Aq Zb, AT AS Agn Aie Report Yf Aif on Human Rights Practices For 2016, https://www.state.gov/documents/organization/265522.pdf
79 Zp c. AT (fond et réparations), supra, 8 112 et Agt c. AT (arrêt), supra, 8 87.
80 Ibid.
81 Xf et autres c. AT (fond et réparations), supra, 8 148.
167. En l’espèce, la Cour note que les Requérants ont été condamnés à la mort
par pendaison par la Haute Cour de AT à Zz le 31 mai 2007 et
qu’ils se trouvaient toujours dans le couloir de la mort le 8 mars 2016, date
à laquelle ils l’ont saisie de leur Requête. Ils ont donc passé huit (8) ans,
neuf (9) mois et huit (8) jours dans le couloir de la mort à la prison de
Butimba.
168. La Cour rappelle sa propre jurisprudence dans l’affaire Xf où elle a
considéré que huit (8) ans dans le couloir de la mort était constitutif d’une
peine ou d’un traitement cruel, innumain ou dégradant.8? La Cour prend
également note de la tendance établie par la jurisprudence internationale
selon laquelle un délai de plus de trois (3) ans entre la confirmation, en
appel, de la peine capitale prononcée à l’encontre d’un détenu et l’exécution
de ladite peine est constitutive d’une peine ou d’un traitement cruel,
inhumain ou dégradant.®S
169. À la lumière de ce qui précède, la Cour estime que l'État défendeur a violé
le droit des Requérants à la dignité, protégé par l’article 5 de la Charte dans
la mesure où il les a maintenus dans le couloir de la mort pendant une
période relativement longue de huit (8) ans, neuf (9) mois et huit (8) jours,
ce qui équivaut à une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant.
iv. Sur l’allégation relative aux mauvaises conditions de détention
170. Le second Requérant affirme que son séjour dans le couloir de la mort est
aggravé par les conditions carcérales déplorables à la prison de Butimba. Il
affirme que son droit à être traité avec humanité et dignité, protégé par
l’article 5 de la Charte et les Règles Aw Age,“ a ainsi été violé.
82 Ibid.
83 Xy Ys c. Zw Ze & 17 autres (Recours en inconstitutionnalité n° 3 de 2006) UGSC 6 (21 janvier 2009) (Cour suprême de l’AHAL et Catholic Commissioner for Justice and Peace in Zimbabwe c. Xy Ys du Zimbabwe et autres, Zimbabwe : Cour suprême, 24 juin 1993.
84 Règle 13 « [t]ous les locaux de détention et en particulier ceux où dorment les détenus doivent répondre à toutes les normes d'hygiène, compte dûment tenu du climat, notamment en ce qui concerne le volume d'air, la surface minimale au sol, l'éclairage, le chauffage et la ventilation ».
171. Le second Requérant rapporte que les détenus dans le couloir de la mort à
la prison de Butimba ne peuvent interagir qu’avec d’autres détenus logés à
la même enseigne et ne peuvent pas participer à des activités telles que le
sport, les cours, les conférences ou les formations, ni recevoir de journaux.
Il affiime également que les autorités pénitentiaires les excluent
intentionnellement des formations professionnelles et des possibilités
d’éducation, laissant entendre que de telles possibilités seraient gaspillées
si elles étaient offertes à des personnes condamnées à mort. Le second
Requérant ajoute que les prisonniers reçoivent un seul repas par jour, qui
contient rarement de la viande, et lorsqu'’il pleut, de l’eau ruisselle dans leurs
cellules. Il souligne également que peu de détenus reçoivent des visites
familiales du fait que leur famille est trop éloignée, et même lorsqu'elle peut
effectuer le voyage, elle doit au préalable obtenir l’autorisation du directeur
du district.
172. Le second Requérant soutient en outre qu’il est particulièrement sensible
au phénomène du couloir de la mort en raison de son état mental fragile,
étant déjà exposé à des traumatismes. Il étaye ses arguments en citant des
décisions judiciaires et des rapports provenant de diverses sources, et
estime que ses conditions de vie sont loin d’être conformes aux exigences
minimales. Le second Requérant réitère la description peu reluisante faite
par le premier Requérant des conditions dans lesquelles vivent les
prisonniers dans le couloir de la mort en AT, également illustrées
dans l'arrêt République c. Mbushuu alias Dominic Mnyaroge.8°
85 Agm Ahp c. La République, recours en inconstitutionnalité n° 15 de 2007, [2009] MWHC 31 (Malawi)) ; La République c. Chiliko, audience de fixation de peine dans l'affaire n° 25 de 2015, (non publiée) (Malawi) ; Achuthan c. Malawi, Communication n° 64/92-68/92-78/92-BAR, CADHP, 8 7. (22 mars 1995)) ; Article 13 des Règles Aw Age ; Rapport du Département d’État des États-Unis sur la AT de 2016, qui indique que les prisons de l’État défendeur connaissent une surpopulation extrême et témoignent d’un système carcéral « dur et menaçant pour la vie. Nourriture insuffisante, surpopulation, conditions d'hygiène déplorables et soins médicaux sommaires et très intrusifs ». Les potences sont situées dans la première pièce du couloir dans lequel les condamnés à mort sont continuellement enfermés ; voir également le rapport de la Fédération internationale des droits de l'homme, AT : La peine de mort institutionnalisée ? N° 414/2. at 37 (2005).
173. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
174. La Cour observe que, bien que cette allégation ait été formulée par le
second Requérant, elle concerne également le premier Requérant. En
conséquence, elle examinera ce grief en prenant en compte les deux
Requérants.
175. La Cour rappelle que dans l'affaire Leon Al c. République du
Rwanda, elle a jugé que l’article 5 de la Charte « peut être interprété comme
s’étendant à la protection la plus large possible contre les abus, qu’ils soient
physiques ou mentaux ».8° La Cour a également estimé que la cruauté ou
l'innumanité du traitement, qui doit être analysée au cas par cas, doit
impliquer un certain degré de souffrance physique ou mentale du détenu,
compte étant tenu de la durée du traitement, des effets physiques ou
psychologiques du traitement et de l’état de santé de la personne.’ La Cour
a considéré que les États parties à la Charte ont l’obligation « d’assurer
aux détenus les conditions nécessaires à une vie digne, notamment en
fournissant de la nourriture, de l’eau, une ventilation adéquate, un
environnement exempt de maladies et en fournissant des soins de santé
176. La Cour observe que les Requérants étayent leurs allégations par des
rapports publiés, tandis que l’État défendeur ne fournit aucune information
en réfutation. En l'absence d'informations contraires réfutant ces
allégations, la Cour considère que ces allégations sont fondées.
177. Au regard de ce qui précède, la Cour considère que l’État défendeur a violé
le droit des Requérants à la dignité, protégé par l’article 5 de la Charte, en
les soumettant à l’angoisse et à des conditions de détention déplorables.
86 Léon Al c. République du Rwanda (arrêt) (27 novembre 2020) 4 RICA 846, 8 80.
87 Ibid, 8 81.
88 Ibid, 8 103.
C. Sur la violation alléguée du droit du second Requérant à la protection
contre toute discrimination
178. Le second Requérant affirme que son droit à ne pas être discriminé sur la
base de l’origine nationale, protégé par l’article 2 de la Charte, a été violé
lorsque :
i. Des services d’interprétation ne lui ont pas été fournis ;
i. Il a été exposé à un environnement policier hostile en se faisant
interroger en kiswahili, une langue qu’il ne comprenait pas, afin de lui
extorquer des aveux ;
iii. La police a tiré des conclusions inappropriées et inexactes à son sujet,
en raison de son statut de réfugié.
179. Ces griefs ayant déjà été traités dans le cadre du droit au bénéfice de
services d'interprétation et à la protection contre la brutalité policière, la
Cour s'appesantira donc sur le troisième grief, à savoir que la police a tiré
des conclusions inexactes au sujet du Requérant, en raison de son statut
de réfugié.
180. Le second Requérant affirme que la police a tiré des conclusions inexactes
en raison de son statut de réfugié et de l'intolérance croissante à l’égard
des réfugiés contrairement à la « politique de la porte ouverte à l’égard des
réfugiés du Congo, du Rwanda et du Burundi ».
181. Il affiime, en outre, que le fait que l’État défendeur n’ait pas diligenté
d'enquête ni engagé de poursuites à l’encontre de la dame Ap Cr,
ressortissante tanzanienne et épouse d’un officier de police, qui aurait
commandité le meurtre, démontre le traitement préférentiel de l’autorité à
l’égard de cette dernière, fondé sur l’origine nationale. Il soutient qu’aux
termes de la théorie formulée par le ministère public, la dénommée Ap
Cr était sans doute la plus coupable de tous les acteurs et pourtant il
ne l’a jamais inculpée ni citée à la barre, ce qui contraste fortement avec la
manière dont les deux réfugiés burundais indigents ont été poursuivis et torturés. Selon lui, ce traitement préférentiel viole l’obligation de l’État
défendeur de garantir l’égalité de traitement devant la loi.
182. Le second Requérant soutient qu’en examinant les violations alléguées, la
Cour devrait prendre en compte les évolutions au niveau de la politique
tanzanienne en matière de réfugiés au moment de son arrestation. || affirme
qu’en 1998, la AT a mis fin à sa politique de la porte ouverte à l’égard
des réfugiés, en raison de l'hostilité croissante à l’égard des vagues de
réfugiés en provenance du Rwanda, de la République démocratique du
Congo et du Burundi.
183. Il affirme qu’en vertu de la loi de 1998 sur les réfugiés, des restrictions plus
importantes ont été imposées aux mouvements des réfugiés en Tanzanie.®°
Aussi, soutient-il, les réfugiés nouvellement arrivés se sont-ils vu interdits
de travailler en dehors des camps du HCR dans l’Ouest de la AT et
de se déplacer librement dans le pays, car ils étaient perçus comme une
menace à la sécurité nationale.” II soutient qu’une réponse plus agressive
en matière d’application de la loi a été mise en place à la fin de 1998,
lorsque l’armée tanzanienne a tenté de « débusquer » toute personne
vivant dans les villages le long de la frontière avec le Burundi et qui n’était
pas en possession d’un titre de séjour. Il en est résulté que des couples
tanzaniens-burundais ont été séparés ».°!
184. Le second Requérant en déduit que l’État défendeur a violé les articles 2 et
3 de la Charte en exploitant sa vulnérabilité en tant que réfugié faisant face
à un système juridique pénal étranger et en ne remédiant pas aux
circonstances défavorables auxquelles il était confronté en raison de son
incapacité à parler la langue ou à comprendre la loi.
89 Xd, K. (2009). Trying to understand the AT National AR Cj of 2003, Int’| refugee Law News, Vol. 2, Issue 2, p. 5
2% Landau, L.B., Challenge without transformations : Refugees, Aid and Trade in Agh AT, J. of modern Xn Aja, 42(1), pp. 31 à 59 (2004).
91 Turner, S. (2005), ‘Suspended spaces : Contesting sovereignties in a AR AM’, in Sovereign bodies : Citizens, migrants and states in the AV AI, T.B Hansen et F. Aic (ed.), Princeton Zu Xm, pp. 32 à 322.
185. L'État défendeur n’a pas conclu sur cette allégation.
186. La Cour relève que l’article 2 de la Charte dispose :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte sans discrimination aucune,
notamment, de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d’opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation.
187. La Cour note également que l’article 3(2) de la Charte dispose que
« [t]outes les personnes ont droit à une égale protection de la loi ».
188. La Cour prend note de l’allégation du second Requérant selon laquelle il a
fait l’objet de discrimination lors des poursuites et du procès en raison de
son origine nationale et de son statut de réfugié, alors que la dame Ap
Cr, ressortissante tanzanienne et principale responsable du meurtre,
n’a fait l’objet d'aucune enquête et n’a pas été mise aux arrêts.
189. Toutefois, il ressort du dossier de la procédure devant la Haute Cour et de
la procédure incidente que les deux Requérants auraient affirmé avoir été
engagés par dame Ap Cr pour commettre le meurtre.®? Il ressort
également du dossier que l'officier de police ASP G.B Zg, a indiqué
qu’on lui avait demandé de participer à l’enquête et de collaborer avec le
RCO-SSP Ba, l’OC Benaco, l’'ASP Triphone et d’autres, soit un total
d’environ huit officiers. Au cours de l’interrogatoire, l’agent ASP G.B
Zg a affirmé avoir rencontré la dénommée Ap Cr, qui faisait
22 Déclaration de PW5 ASP Bk Av, officier de police.
l’objet d’un autre interrogatoire auquel il n’a pas pris part et qu’il n’a donc
pas pu déterminer le mobile du meurtre.
190. De ce qui précède, la Cour observe que dame Ap Cr a été
appréhendée et a fait l’objet d’une enquête, bien que l’étendue et le résultat
de ladite enquête n'aient pas été précisés dans les comptes rendus. Hormis
les déclarations du premier Requérant selon lesquelles dame Ap Cr
les a engagés pour commettre le meurtre,°° et la thèse de la police
abondant dans le même sens, aucun lien n’a été établi entre les Requérants
et dame Ap Cr. La Cour estime donc que l’allégation du second
Requérant selon laquelle il a été discriminé en raison de sa nationalité et de
son statut de réfugié n’est pas fondée.
191. La Cour considère donc que l’État défendeur n’a pas violé le droit du second
Requérant de ne pas faire l’objet d’une discrimination fondée sur la
nationalité et le statut de réfugié, protégé par l’article 3(2) de la Charte relatif
à une égale protection de la loi.
D. Sur la violation alléguée du droit à une égale protection de la loi
192. Sous ce grief, les Requérants allèguent que leur droit à une égale protection
de la loi a été violé par l’État défendeur en ne leur assurant pas le bénéfice
de :
i. Services consulaires ;
ii. Services d’interprétation pendant le procès ;
ii. Une assistance judiciaire efficace, en violation de l’article 7(1)(c) de la
Charte lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP.
*
23 Aveux non signés de l’accusé devant un juge de paix, datés du 10 mai 1999. Le sieur Y a déclaré ce qui suit : « Abdulkarim m’a dit qu’il avait un contrat pour moi et il m’a demandé si je pouvais l’exécuter. Il m’a dit ouvertement que l’épouse de Mboya sollicitait mes services pour commettre un meurtre. J'ai voulu savoir la tribu dont il était originaire ainsi que le différend qui l’opposait à la personne visée. Il m’a répondu que Mboya était sur le point de le congédier du fait de sa liaison avec cette femme. Je lui ai alors demandé la somme qu'ils avaient convenu de payer, et il m’a répondu 400 000 shillings tanzaniens ».
193. L'État défendeur affirme, pour sa part, que les Requérants ont été traités
sur un pied d'égalité devant la loi et qu’ils ont bénéficié d’une égale
protection de la loi. Leur procès s’est déroulé dans un délai raisonnable et
ils ont bénéficié du droit à une assistance judiciaire, ayant été représentés
par un avocat lors de l’audience préliminaire et par un autre avocat lors du
procès, comme l’indique le compte rendu des audiences.
194. La Cour observe que les Requérants ont formulé des allégations similaires
au titre du droit à un procès équitable, qui ont déjà été abordées sous ce
chef. Elle estime donc qu’il est superfétatoire d'examiner à nouveau ces
griefs.
E. Sur la violation alléguée du droit à la vie
195. Les Requérants soulèvent les griefs suivants au titre de cette allégation :
ii Application de la peine de mort obligatoire sans tenir compte des
circonstances ;
ii. Application de la peine de mort à une personne souffrant de troubles
mentaux.
196. La Cour va examiner successivement ces griefs.
ii Sur l’allégation relative à l’application de la peine de mort obligatoire
197. Les Requérants soutiennent que l’application de la peine de mort obligatoire
a écarté le pouvoir d'appréciation du juge, le privant ainsi de la possibilité
de prendre en compte les normes d’équité. Ils affirment qu’il n’existe aucune
preuve de violence ou de cruauté extrême ni de motif d’assassinat. En
outre, l’on ne compte pas de victimes multiples ni l'existence de preuve que
la victime était vulnérable. Par ailleurs, soutiennent-ils, les preuves étaient si ténues qu’un tribunal n’estimerait pas qu’ils avaient commis un crime
susceptible d'entrer dans une catégorie aussi odieuse.
198. S'appuyant sur la jurisprudence de plusieurs tribunaux régionaux nationaux
et internationaux,®* les Requérants affirment que la peine de mort ne devrait
être appliquée que dans les cas de meurtre les plus exceptionnels et les
plus extrêmes. En outre, citant le rapporteur spécial des Nations Unies sur
les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ainsi que d’autres
jurisprudences, ils affirment que les procédures conduisant à l'imposition de
la peine capitale doivent respecter les normes les plus élevées
d'indépendance, de compétence, d’objectivité et d’impartialité de la part des
juges et des jurés, conformément aux instruments juridiques internationaux
pertinents.° Ils soutiennent que l’application d’une peine de mort à l'issue
d’un procès inéquitable, par exemple lorsque l’accusé a été privé d’une
assistance judiciaire adéquate, constitue une privation arbitraire de la vie.°©
En outre, l’application de la peine de mort à l'issue d’un procès inéquitable
viole l’article 6(2) du PIDCP. Ils en concluent que le tribunal qui a prononcé
la peine aurait dû disposer du pouvoir d'appréciation nécessaire pour
prendre en compte la personnalité du contrevenant ainsi que toute autre
circonstance pertinente.
4 Moise c. La Reine, (non publié), affaire pénale n° 8 de 2003, Cour d’appel des Caraïbes orientales, 8 17 ; Mitcham et autres c. DPP, affaire pénale n°8 10 à 12 de 2002 ; Agi c. R, Councilins c. Mawkanyane, affaire n° CCT/3/94, arrêt du 6 juin 1995, 8 46, Xa c. La Reine [2009] UKPC 25, 8 21, Communication n° 390/1990, Xo c. Zambie, avis adopté le 31 octobre 995, 8 7.2 ; Communication n° 1132/2002, Yy c. Zambie, avis adopté le 18 octobre 2005, 8 7.4 ; Communication n° 1421/2005, Bz c. Philippines, avis adopté le 24 juillet 2005, 8 7.4.2 ; Communication n° 1132/2002, Agd c. Philippines , avis adopté le 6 mai 2002, 8 8.3, Ad c. Barbade (arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l'homme du 20 novembre 2007, 88 50-53), Ze et autres c. Xy Ys, recours en inconstitutionnalité n° 03 de 2006 (21 janvier 2009), Ahz et autres c. Xy Ys, recours en inconstitutionnalité n° 12 de 2005 (non publié), La Republic c. Ahq Xr Ck, Audience de confirmation n° 404 de 2010 (non publié), Locket v. Ohio, 438 US 585 (1978), Mulla et un autre c. L'État de UP, affaire pénale n° 396 de 2008, 88 53 à 59.
25 Bj c. Jamaïque n° 588/1994, Commission des droits de l'homme {1999}, 8 8.9 ; Agv c. Jamaïque [supra], 8 11.5 ; {Voir Exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires : Rapport du Rapporteur spécial, Document des Nations Unies E/CN. 4/2001/9 {11 janvier 2001}, 88 81 et 86}.
26 Observation générale n° 36 (2018) relative à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, sur le droit à la vie, U.N. Doc. CCPR/C/G/36, 8 36 (CDH. 30 oct. 2018).
199. Le premier Requérant affirme, en particulier, qu’il a subi de graves
épreuves, ayant notamment vécu et grandi dans une extrême pauvreté,
sans recevoir une éducation de base, ayant été témoin des violences de la
guerre civile burundaise et contraint de fuir son domicile parce qu’il craignait
pour sa vie, et ayant passé six ans à Lukole, un camp de réfugiés situé en
AT. || estime que ces facteurs sociaux atténuants auraient dû être
pris en considération lors de la condamnation.
200. L'État défendeur soutient que les Requérants ont été jugés dans le cadre
d’une procédure régulière et qu’ils ont été condamnés conformément aux
lois du pays.
201. La Cour note que l’article 4 de la Charte dispose : « [I]a personne humaine
est inviolable. Tout être humain a droit au respect de sa vie et à l’intégrité
physique et morale de sa personne : Nul ne peut être privé arbitrairement
de ce droit ».
202. La Cour relève la tendance mondiale en faveur de l’abolition de la peine de
mort, illustrée, en partie, par l’adoption du deuxième Protocole facultatif se
rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(Deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDCP).?” La Cour note,
toutefois, que la peine de mort figure toujours dans les textes de loi de
certains États et qu'aucun traité, sur l’abolition de la peine de mort, n’a fait
l’objet d’une ratification universelle. Elle relève, en outre, qu’à la date du
28 juin 2023, le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au PIDCP a été
97 Ahe c. AT, CAfDHP, supra, 8 122 ; Xf et autres c. AT, supra, 8 96. Il est à noter que l’État défendeur n’est pas partie au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
28 Pour des informations plus exhaustives sur les développements relatifs à la peine de mort, voir, Assemblée générale des Nations Unies, Moratoire sur l’application de la peine de mort — A/77/247 : Rapport du Secrétaire général sur le moratoire sur l’application de la peine de mort, publié le 8 août 2022. Voir https://www.ohchr.org/en/node/103842.
ratifié par quatre-vingt-dix (90) États parties sur les cent soixante-treize
(173) États parties au PIDCP.°
203. La Cour réitère le constat selon lequel, malgré une tendance mondiale à
l’abolition de la peine de mort, concrétisée par l’adoption du deuxième
protocole facultatif se rapportant au PIDCP, l’interdiction de la peine de mort
en droit international n’est toujours pas absolue." Elle rappelle la
jurisprudence internationale bien établie en matière de droits de l’homme
sur les critères à appliquer pour évaluer le caractère arbitraire d’une
condamnation à mort.!°! Il s’agit de savoir i) si la condamnation à mort est
prévue par la loi, ii) si la condamnation a été prononcée par un tribunal
compétent, et iii) si la procédure ayant abouti à cette sentence a été
conforme aux garanties d’une procédure régulière. La Cour procèdera donc
à une évaluation sur la base de ces critères.
204. S'agissant du premier critère, aux termes duquel la peine de mort doit avoir
un fondement légal, la Cour note que ladite peine est prévue par l’article
197 du Code pénal de l’État défendeur (CAP 16. RE. 2002), en tant que
peine obligatoire en cas de meurtre.!°? Cette condition est donc remplie.
205. S'agissant du deuxième critère consistant à établir que la condamnation a
été prononcée par une juridiction compétente, la Cour observe que la Haute
Cour est la juridiction de l’État défendeur compétente pour connaître des
infractions passibles de la peine de mort. La Haute Cour a une compétence
de première instance et d’appel en matière civile et pénale, conformément
à l’article 3(2)(a) de la loi portant Code de procédure pénale et à l’article
107(1)(a) de la Constitution. La peine a donc été prononcée par une
29 https://indicators.ohchr.org/
100 Xf et autres c. AT, supra, 8 96.
101 Voir International Pen et autres (au nom de XAL c. Yu, Communications n°8 137/94, 139/94, 154/96, 161/97 (2000) AHRLR 212 (CADHP 1998), 88 1 à 10 et 8 103 ; AK of Conscience c. Ag Yi, Communication n° 223/98 (2000) 293 (CADHP 2000), 8 20 ; voir article 6(2), PIDCP et Aik Yb c. St Vincent et Grenadines, Communication n° 806/1998, U.N. Doc. CCPR/C7010/806/1998 (2000) (HCR), 8 8.2 ; voir également Be Xf et autres c. AT, supra,
102 « Toute personne reconnue coupable de meurtre sera condamnée à la peine de mort ».
juridiction compétente. Il s'ensuit donc que le deuxième critère est
également rempli.
206. En ce qui concerne le troisième critère relatif à la régularité de la procédure
ayant abouti à la condamnation à la peine de mort, la Cour relève que les
Requérants n’étaient pas présumés coupables avant le procès, qu’ils
étaient représentés par le même avocat, quoiqu’ayant soulevé un grief
concernant ladite représentation qui selon eux aurait écarté tout conflit
d'intérêt si elle avait été assurée par deux avocats différents. I| ressort,
toutefois, du dossier et de la décision de la Cour relative à la violation
alléguée du droit à un procès équitable, que les circonstances spécifiques
des Requérants n’ont pas été prises en compte lors de la fixation de la
peine.
207. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Xf et autres c.
République-Unie de AT selon laquelle la peine de mort telle
qu’imposée par les juridictions de l’État défendeur dans les cas de meurtre,
comme en l’espèce, n’est pas conforme aux règles du procès équitable en
ce qu’elle ne permet pas au juge de prendre en considération des peines
208. La Cour considère donc que l’État défendeur a violé le droit à la vie des
Requérants, protégé par l’article 4 de la Charte,!°* en raison de l'application
de la peine de mort obligatoire, qui limite le pouvoir d’appréciation du juge.
193 Xf et autres c. AT, supra, 8 110.
194 Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a déclaré que « la condamnation obligatoire et automatique à la peine de mort constitue une privation arbitraire de la vie, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du [PIDCP], dans des circonstances où la peine capitale est prononcée sans qu'il soit possible de prendre en considération la situation personnelle de l'accusé ou les circonstances ayant entouré le crime en question ». La rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires a déclaré qu’« en aucun cas la loi ne devrait rendre la peine capitale obligatoire, quels que soient les faits reprochés » et le rapporteur spécial que « l’application de la peine de mort obligatoire, qui exclut la possibilité de prononcer une peine plus légère quelles que soient les circonstances, est incompatible avec l'interdiction des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants ». Dans sa résolution 2005/59, adoptée le 20 avril 2005, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies demande instamment aux États qui continuent d'appliquer la peine capitale de « veiller à ce que [.…] la peine de mort ne soit pas imposée [.…] à titre de peine obligatoire ».
ii Sur l’allégation relative à l’application de la peine de mort à des
personnes souffrant de troubles mentaux
209. Les Requérants soutiennent devant la Cour de céans qu’ils souffrent d’un
syndrome de stress post-traumatique (SSPT), une maladie mentale grave,
qui les rend inéligibles à la peine de mort. Contrairement au premier
Requérant, le second Requérant a déposé un rapport médical à l’appui de
cette allégation. Il fait, en effet, valoir qu'il souffre d’une maladie mentale*°5
que les juridictions internes n’ont pas identifiée, n’ayant pris aucune
mesure, telle qu’une évaluation psychiatrique, afin de vérifier s’il était
mentalement apte à être jugé avant de le condamner à la peine capitale. Il
affirme, en outre, que les examens médicaux effectués par les
psychologues qualifiés (Dr Lema et Zw YqAL engagés par son conseil
à l’effet d’évaluer son aptitude à ester devant la Cour de céans, ont confirmé
ce diagnostic.
210. S'appuyant sur diverses jurisprudences, les Requérants soutiennent que
les personnes souffrant d’un handicap mental grave, d’un retard mental ou
de capacités mentales extrêmement limitées, que ce soit au stade de la
fixation de la peine ou de son exécution, sont exemptées de la peine de
mort.106
105 Le premier rapport médical du Dr Ai Agr, psychologue clinicien et maître de conférences à l’Zu Xx, Faculté des sciences médicales et connexes (MUHAS) (AT), conclut que M. Ch Ba, le second Requérant, souffre d’un syndrome de stress post-traumatique (SSPT). Le deuxième rapport médical du Dr Zw Aix Yq, psychologue clinicienne spécialisée en psychologie légale, certifiée en psychologie légale par l'American Board of Professional Psychology (ABPP), spécialisée dans les évaluations psychologiques criminelles et civiles, y compris l’évaluation de l'aptitude à témoigner en justice, de la responsabilité pénale et de l’état mental, confirme les conclusions du rapport du Dr Lema.
1% La troisième des garanties de l'ONU ; Cu At Ahm, Agb Ah on Execution of the Insane and the Bw Xs (Normes internationales relatives à l'exécution des personnes atteintes d'aliénation mentale et des pensionnaires des établissements psychiatriques), 4 CRIM. L. AK 95, 113 (1993) ; Conseil économique et social des Nations Unies Res. 1989/64, $ 1(d), mise en œuvre des garanties pour la protection des droits des personnes passibles de la peine de mort (24 mai 1989) ; Ajf c. Jamaïque (Communication n° 606/1994, Doc. CCPR/C/G/36, 8 36 (CDE 3 août 1995) ; Xh c. Trinité-et-Tobago (Communication n° 684/1996, UN Doc. CCPR/C/74/D/684/1996, 8 7.2 (HRC 15 avril 2002)) ; Commission des droits de l'homme des Zt Ahy, Res. 1999/61, questions relatives à la peine de mort (28 Arp. 1999) (disponible à l’adresse
http://www.refworld.org/docid/3b00f3e40.html) ; Commission des droits de l’homme des Nations Unies res. 2005/65, question de la peine de mort (27 avril 2000) (soulignement ajouté) disponible à l'adresse suivante https://www.refoworld.org/publisher, UNCHR,RESOLUTION,3b00f29a13,0.html) ; voir Asma Jahangir (Rapporteuse spéciale sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires), Rapport 211. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
212. La Cour observe que la question à trancher est celle de savoir si
l’application de la peine de mort obligatoire à des personnes souffrant de
déficience mentale ou de troubles mentaux constitue une violation de son
droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte.
213. La Cour rappelle que l’application de la peine de mort obligatoire prévue par
le code pénal de l'État défendeur constitue à elle seule une violation de
l’article 4 de la Charte dans la mesure où le juge est privé de son pouvoir
discrétionnaire et ne peut donc tenir compte des circonstances particulières
du prévenu ou de la commission de l’infraction.!°” Il importe donc peu que
l’accusé ait soulevé la question de son état de santé mentale au cours de
la procédure de fixation de la peine, puisque le juge n’a pas la latitude de
prononcer une autre condamnation. Il s’ensuit qu’en l'espèce, même si les
Requérants avaient soulevé la question de leur état de santé mentale au
stade de la fixation de la peine, leur sort n’en aurait pas été changé pour
autant.
214. La Cour considère que le fait d’avoir été privées de leur pouvoir
discrétionnaire en matière de fixation de peine n’a pas permis aux
juridictions internes d’examiner la possibilité même que les Requérants en
l'espèce souffraient de déficiences mentales au cours de la procédure
interne. De ce fait, la condamnation des Requérants en l’espèce à la peine
de mort obligatoire est constitutive d’une violation du droit à la vie protégé
par l’article 4 de la Charte pour les mêmes motifs constamment relevés par
sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, 8 97, UN Doc. E/CN.4/2000/3, (2000) ; B Cs Bt ; Gen. Observation n° 3 sur la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples : Le droit à la vie (art. 4) ; CADHP , 8 25 (nov. 2015), etc.
107 Xf et autres c. AT, supra, 88 99 à 111 ; Bonge et autres c. AT, supra, 8 80 ; Xw Aix AT, supra, 8 140 ; Aga c. AT, supra, 88 128 à 132.
la Cour de céans dans toutes les autres affaires similaires. En effet, le droit
pénal de l’État défendeur n’a pas permis aux Requérants dans cette affaire
de soulever la question de leur état de santé mentale qui, en tout état de
cause, n’aurait pas été pris en compte par le juge.
215. Dans ces circonstances, la Cour considère que l’État défendeur a violé le
droit des Requérants à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte, du fait que
le juge a été privé de son pouvoir d’appréciation pour prendre en compte
leur état de santé mentale avant de prononcer la peine de mort.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
216. Les Requérants demandent à la Cour de :
ii Ordonner à l’État défendeur de les remettre en liberté :
ii. Annuler la condamnation et la peine de mort prononcée à leur encontre
et, en conséquence, les retirer du couloir de la mort ; toutefois, le second
Requérant, à titre subsidiaire, demande expressément que la peine de
mort obligatoire soit commuée ;
iii. Modifier la loi de manière à abroger ses dispositions relatives à la peine
de mort ;
iv. Ordonner à l’État défendeur de leur verser des dédommagements pour
la perte de leurs revenus ;
v. Ordonner à l’État défendeur de leur verser des réparations pour toutes
les souffrances qu’ils ont endurées et le préjudice qui a été causé.
217. L'État défendeur conclut au rejet de toutes les demandes formulées par les
Requérants, les jugeant mal fondées dans la mesure où la Cour n’a pas
compétence pour annuler la condamnation prononcée à leur encontre.
218. La Cour relève qu'aux termes de l’article 27(1) du Protocole, « [Norsqu’elle
estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des peuples, la Cour
ordonne toutes les mesures appropriées afin de remédier à la situation, y
compris le paiement d’une juste compensation ou l’octroi d'une
réparation ».
219. La Cour a constamment considéré que lorsque des réparations sont
accordées, l’État reconnu auteur d’un fait internationalement illicite a
l’obligation de réparer intégralement les conséquences de manière à couvrir
l'ensemble des dommages subis par la victime.‘ Deuxièmement, le lien
de causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. Par
ailleurs, lorsqu'elle est accordée, la réparation doit couvrir l’intégralité du
préjudice subi. Il est également clair qu’il incombe au requérant de justifier
les demandes formulées.1°°
220. La Cour rappelle également que les mesures qu’un État peut prendre pour
réparer une violation des droits de l’homme peuvent inclure la restitution,
l'indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures propres à
garantir la non-répétition des violations, compte tenu des circonstances de
221. La Cour rappelle qu’il incombe au requérant de fournir des éléments de
preuve pour justifier ses demandes.!!! En ce qui concerne le préjudice
moral, la Cour estime que l'exigence de preuve n’est pas rigide!!? dans la
108 Zo Yx Aij c. République-Unie de AT, CAfDHP, Requête n° 005/2016, Arrêt du 2 décembre 2021, 8 88 ; Yz Az Zc et 9 autres c. République-Unie de AT (réparations) (4 juillet 2019) 3 RICA 322, 8 13 ; Ain Agu Yc c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 19 et Ait c. République du Malawi, supra, 8 108. 109 Zl Xt et Autres c. Aid Yj (réparations) (5 juin 2015) 1 RICA 265, 88 20 à 31 ; An Zx Ahr Aix Aid Yj (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 88 52 à 59 et Aiq Ct Ak Yo c. République-Unie de AT (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 88 27 à 29.
110 Ain Agu Yc c. République du Rwanda (réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 209, 8 20. Voir également Aj Aix AT, supra, 8 96.
1141 Br Xl et autres c. République du Rwanda, (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RJCA 680, 8 139 ; Voir également Yo c. AT (réparations), supra, 8 40 ; Ahr Aix Aid Yj, supra, 8 15(d) et Aj Aix AT, supra, 8 97.
112 Xt et autres c. Aid Yj (réparations), supra, 8 55. Voir également Aj Aix AT, supra, 8 97.
mesure où l’existence d’un préjudice est présumée dès lors que des
violations sont établies.!!5
222. La Cour a également jugé précédemment qu’un arrêt constatant la violation
des droits protégés par la Charte constitue en soi une forme de
223. En l’espèce, la Cour a établi que l’État défendeur a violé les droits des
Requérants en :
i. ne leur facilitant pas le bénéfice de services consulaires, contrairement
à l’article 7(1)(c) de la Charte lu conjointement avec l’article 36(1) de la
CVRC ;
i. ne leur facilitant pas le bénéfice de services d’interprétation,
contrairement à l’article 7(1)(c) de la Charte lu conjointement avec
l’article 14(3)(d) du PIDCP ;
iii. ne les jugeant pas dans un délai raisonnable, contrairement à l’article
7(1)(d) de la Charte ;
iv. ne les traitant pas avec dignité et en les soumettant à des traitements
inhumains, cruels et dégradants, contrairement à l’article 5 de la
Charte ;
v. appliquant la peine de mort obligatoire, contrairement aux dispositions
de l’article 4 de la Charte.
113 Xf et autres c. AT, supra, 8 136 ; Zn Aix AT, supra, 8 55 ; Zd Aa Xq c. République-Unie de AT (28 mars 2019) (fond et réparations) 3 RICA 13, 8 119 ; Xt et autres c. Aid Yj (réparations), 8 55 et Aj Aix AT, supra, 8 97.
114 Ahj Ae Cg c. République-Unie de AT (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 173 ; Aho Zn c. République-Unie de AT (fond et réparations) (7 décembre 2018), 2 RICA 493, 8 194 ; Aiq Ct Yo c. République-Unie de AT (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 8 45.
A. Réparations pécuniaires
i. Préjudice matériel
224. Les Requérants sollicitent des réparations équitables pour perte de
revenus.
225. L'État défendeur conclut au rejet des demandes de réparations.
226. La Cour rappelle que pour qu’il soit accordé des réparations au titre du
préjudice matériel, le requérant doit démontrer l’existence d’un lien de
causalité entre la violation établie et le préjudice subi. Il doit également
prouver ledit préjudice.*!* Le requérant doit, en outre, justifier les montants
réclamés!!® et apporter des preuves acceptables des dépenses encourues,
telles les reçus des paiements effectués.!!7
227. La Cour observe qu’en l’espèce les Requérants n’ont pas précisé le
montant des réparations pécuniaires sollicitées à titre de juste
compensation ni établi de lien de causalité entre les violations constatées
et les pertes subies. La Cour rejette cette demande comme mal fondée.
ii. Préjudice moral
228. Les Requérants affirment qu’ils ont éprouvé des souffrances et enduré de
graves épreuves dès leur arrestation et tout au long de leur détention. Ils
affirment avoir notamment essuyé des coups, enduré le manque de
nourriture adéquate, de médicaments, vécu dans l’isolement, n’ont pas
115 Voir Zn Aix AT, supra, 8 181 ; Xt et autres c. Aid Yj (réparations), 8 62 et Bm Aix AT, supra, 8 180.
116 Xt et autres c. Aid Yj, ibid., 8 81 ; Yo c. AT (réparations), supra, 8 40.
147 Ct Ahb c. République-Unie de AT (réparations) (25 septembre 2020) 4 RICA 550, 8 20 ; Zn Aix AT, supra, 8 18.
bénéficié de visites de la part de leurs proches, enduré la torture
psychologique et mentale du fait de leur détention dans le couloir de la mort,
et du retard prolongé de leur procès, etc.
229. L'État défendeur conclut au rejet des demandes de réparations formulées
par les Requérants.
230. La Cour rappelle sa jurisprudence dans l’affaire Aho Zn c.
République-Unie de AT où elle a jugé, relativement au retard accusé
avant l’ouverture du procès du requérant, que « dans les circonstances de
l'espèce, où le requérant était accusé de meurtre et risquait la peine
capitale, ce retard pouvait lui causer des souffrances morales. Le préjudice
qui en a résulté justifie l’octroi d’une indemnisation dont l’évaluation sur la
base de l’équité relève de la discrétion de la Cour ».!18
231. La Cour rappelle en outre sa jurisprudence dans l’affaire Be Xf et
autres c. République-Unie de AT!" où elle a estimé que :
[L]a longue détention préventive dans l’attente de l’exécution faisait
subir aux personnes condamnées une anxiété mentale grave
s’ajoutant à d’autres circonstances, notamment : … la manière dont la
peine avait été infligée ; défaut de considération des caractéristiques
personnelles de l’accusé ; la disproportionnalité entre le châtiment et
le crime commis ; [.…] le fait que le juge ne tienne pas compte de l’âge
ou de l’état mental du condamné ; ainsi qu’une anticipation continue
sur les manières possibles de les exécuter.
118 Zn Aix AT, supra, 8 181.
119 Xf et autres c. AT, supra, 88 149 et 150.
232. En ce qui concerne l’allégation des Requérants selon laquelle les années
d’incarcération leur ont causé une détresse et une angoisse graves et ont
affecté de manière significative leur bien-être physique et mental, la Cour
observe que la période visée par ladite allégation est celle de leur détention
provisoire pendant six (6) ans, dix (10) mois et dix-neuf (19) jours. La Cour
estime que, si les Requérants avaient été jugés plus rapidement, compte
tenu de leur statut de réfugiés encourant la peine de mort, la détresse
mentale et l’angoisse qu’ils ont éprouvées auraient pu être atténuées.
L’angoisse et les tourments qui en ont résulté justifient l’octroi d’une
indemnisation dont l’évaluation sur la base de l’équité relève du pouvoir
d'appréciation de la Cour.
233. Toutefois, compte tenu des circonstances de l'espèce, et à la lumière de sa
jurisprudence selon laquelle un jugement en faveur d’une victime constitue
en soi une forme de satisfaction et de réparation du préjudice moral,!? la
Cour, en l’absence d’indication quant au montant qui constituerait une juste
compensation et exerçant son pouvoir d’appréciation, alloue à chacun des
Requérants la somme de cinq cents mille (500 000) shillings tanzaniens à
titre de réparation du préjudice moral qu’ils ont subi.
B. Sur les réparations non pécuniaires
ii Modification de la loi de manière à garantir le droit à la vie
234. Les Requérants demandent à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de
modifier son code pénal de manière à garantir le droit à la vie, protégé par
l’article 4 de la Charte, en abrogeant la peine de mort obligatoire en cas de
meurtre.
120 Yo c. AT (réparations), supra, 8 45.
235. L’État défendeur conclut au débouté.
236. La Cour rappelle sa décision dans les arrêts antérieurs relatifs à l’application
de la peine de mort obligatoire, ordonnant à l’État défendeur de prendre
toutes les mesures nécessaires afin de supprimer de son code pénal la
disposition prévoyant l'application de la peine de mort obligatoire.!?* La
Cour note qu’à ce jour, elle a rendu plusieurs arrêts identiques, notamment
en 2019, 2021, 2022, 2023 et 2024, ordonnant l’abrogation de la peine de
mort obligatoire, mais qu’à la date du présent Arrêt, elle ne dispose
d'aucune information indiquant que l’État défendeur a mis en œuvre lesdits
arrêts.
237. La Cour note qu’elle a jugé, en l’espèce, que l'application de la peine de
mort obligatoire constitue une violation du droit à la vie, protégé par l’article
4 de la Charte, et que ladite peine doit être supprimée du code pénal de
l’État défendeur dans un délai de six (6) mois à compter de la signification
du présent Arrêt.
238. De même, dans sa jurisprudence constante,!?? la Cour de céans a estimé
qu’une violation du droit à la dignité en raison du recours à la pendaison
comme mode d’exécution de la peine de mort justifiait qu’elle ordonne à
l’État défendeur d’abroger ce mode d'exécution de son code pénal. La Cour
ordonne donc à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la signification du
présent Arrêt, afin de supprimer de son code pénal la pendaison comme
mode d’exécution de la peine de mort.
124 Agt c. AT (arrêt), supra, 8 166 ; Zp c. AT (fond et réparations), supra, 8 128 ; Bm Aix AT (fond et réparations), supra, 8 207 et Ahe c. AT (arrêt), supra, 8 170.
122 Ajh Bl Cw c. République-Unie de AT, CAfDHP, Requête n° 017/2016, arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), 88 111, 112 et 118 ; Yw Cu c. République-Unie de AT, CAfDHP, Requête n° 030/2016, arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), 8 94.
ii. Tenue d’une nouvelle audience
239. Les Requérants n’ont pas formulé de demande relativement à la tenue
d’une nouvelle audience.
240. Toutefois, la Cour estime qu’il est de bonne justice d’ordonner la tenue
d’une nouvelle audience afin de donner effet à la mesure corrélative visant
la suppression de la disposition interne relative à la peine de mort
obligatoire. La Cour réitère sa position antérieure selon laquelle les
violations commises dans l'affaire des Requérants n’avaient aucune
incidence sur leur culpabilité et leur condamnation, et que la condamnation
n’est affectée qu’en ce qui concerne le caractère obligatoire de la peine
prononcée à leur encontre. La Cour estime donc qu’il convient d’ordonner
des réparations à cet égard.
241. La Cour ordonne donc à l’État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires afin de tenir une audience de fixation de la peine des
Requérants dans le cadre d’une procédure qui ne prévoie pas la peine de
mort obligatoire et qui maintienne le pouvoir d’appréciation du juge.
ii. Demande d’annulation de la condamnation et de remise en liberté des
Requérants
242. Les Requérants demandent à la Cour d’annuler la peine de mort prononcée
à leur encontre et d’ordonner leur remise en liberté. Ils font valoir que leur
remise en liberté est le moyen le plus réaliste d’obtenir une réparation
adéquate, compte tenu de leurs conditions de détention pénibles.
243. L'État défendeur demande qu’aucune réparation ne soit accordée aux
Requérants.
244. S'agissant de la demande tendant à l’annulation de la peine prononcée à
l'encontre des Requérants, la Cour rappelle qu’elle a jugé que les mesures
d'annulation de la peine de mort ne peuvent être ordonnées que si les
circonstances l’exigent. Ces circonstances doivent être appréciées au cas
par cas, en tenant dûment compte principalement de la proportionnalité
entre la mesure demandée et l'étendue de la violation constatée.!2°
245. En l'espèce, la Cour a jugé que la disposition du code pénal de l’État
défendeur, relative à l’application de la peine de mort obligatoire, viole le
droit à la vie, protégé par l’article 4 de la Charte. La Cour ordonne donc à
l’État défendeur d’annuler la peine de mort prononcée à l’encontre des
Requérants et de les retirer du couloir de la mort en attendant l’audience de
fixation de peine qu’elle a ordonnée précédemment.
246. S'agissant de la demande de remise en liberté, la Cour rappelle sa
jurisprudence dans l’affaire Zl Bm c. République-Unie de
AT selon laquelle :
La Cour ne peut ordonner la remise en liberté que si le requérant
démontre à suffisance ou si la Cour elle-même établit, à partir de ses
constatations, que l’arrestation ou la condamnation du requérant
repose, entièrement, sur des considérations arbitraires et que son
incarcération continue, résulterait en un déni de justice.“
123 Xf et autres c. AT (fond et réparations), supra, 8 156.
124 Bm v. AT (fond et réparations), supra, 8 202 ; Cn Agt Ax c. République-Unie de AT (fond) (7 décembre 2018) 2 RICA 570, 8 84 ; Xv Ahl c. République-Unie de AT (fond et réparations) (21 septembre 2018) 2 RICA 415, 8 82 et Ahe c. AT (arrêt), supra, 8 165. Voir également, Zr Aga c. République-Unie de AT, CAfDHP, Requête n° 048/2016, arrêt du 4 juin 2024 (fond et réparations), 88 163 à 166.
247. La Cour note que les violations constatées en l’espèce n’ont aucune
incidence sur la culpabilité et la condamnation des Requérants et que ladite
condamnation n’est affectée qu’en ce qui concerne le caractère obligatoire
de la peine prononcée. La décision des juridictions internes relative à la
commission du crime n’est nullement remise en cause dans le cadre de la
procédure devant la Cour de céans. En outre, il s’infère de la mesure
ordonnée plus haut relativement à la tenue d’une nouvelle audience de
fixation de peine que la détention des Requérants reste maintenue en
attendant ladite audience. La Cour rejette, en conséquence, la demande de
remise en liberté formulée en l’espèce.
iv. Publication de l’Arrêt
248. Bien que les Requérants n'aient pas sollicité une ordonnance de publication
du présent Arrêt, conformément à l’article 27 du Protocole et aux pouvoirs
inhérents de la Cour, elle examinera cette mesure.
249. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle « un arrêt constitue en soi
une forme suffisante de réparation du préjudice moral subi ».1?5 Néanmoins,
dans ses arrêts précédents, la Cour a d’office ordonné la publication de ses
arrêts lorsque les circonstances l’exigeaient.!?é
250. La Cour observe, en l’espèce, que la violation du droit à la vie par la
disposition relative à l’application obligatoire de la peine de mort va au-delà
du cas individuel des Requérants et également que la violation du droit aux
services consulaires semble présenter un caractère systémique.
251. À la lumière de ce qui précède, la Cour ordonne à l’État défendeur de publier
le présent Arrêt sur les sites Internet du pouvoir judiciaire et du ministère de
la Justice et des Affaires constitutionnelles dans un délai de trois mois à
compter de la date de sa signification.
125 Voir Yo c. AT (réparations), supra, 8 45.
126 Zn Aix AT, supra, 8 194 ; Yo c. AT (réparations), supra, 8 45 et 46(5) et Xt et autres c. Aid Yj (réparations), 8 98.
v. Mise en œuvre et soumission de rapports
252. Aucune des Parties n’a formulé de demande relativement à la mise en
œuvre et à la soumission de rapports.
253. Les motifs évoqués plus haut relativement à la décision de la Cour
d’ordonner la publication du présent Arrêt, nonobstant l’absence de
demande expresse de la part des Parties, s'appliquent également en ce qui
concerne la mise en œuvre et la soumission de rapports. S'agissant
précisément de la mise en œuvre, la Cour relève que dans ses arrêts
antérieurs ordonnant l’abrogation de la disposition relative à la peine de
mort obligatoire, elle a enjoint à l’État défendeur de mettre en œuvre les
décisions dans un délai d’un (1) an à compter de la signification de l’arrêt.1?7
Dans ses arrêts ultérieurs, la Cour a accordé un délai de six (6) mois à l’État
défendeur pour mettre en œuvre la même décision.!28
254. La Cour observe en l’espèce que la violation du droit à la vie en raison de
la disposition relative à l’application de la peine de mort obligatoire
transcende le seul cas des Requérants et revêt un caractère systémique. Il
en est de même pour la violation induite par le mode d’exécution de ladite
peine, à savoir la pendaison.
255. Au regard de ce qui précède, la Cour ordonne à l’État défendeur de lui
soumettre des rapports périodiques sur la mise en œuvre du présent Arrêt,
conformément à l’article 30 du Protocole. Ces rapports doivent décrire en
détail les mesures prises par l’État défendeur en vue de l’abrogation de la
disposition contestée de son code pénal.
127 Aht Aje et un autre c. République-Unie de AT, CAfDHP, Requête n° 050/2016, arrêt du 13 février 2024 (fond et réparations), 88 142 à 146 ; Xf c. AT (fond et réparations), supra, 8 171 et Bm Aix AT (fond et réparations), supra, 8 203.
128 Aga c. AT, supra ; Xw Aix AT, supra ; Aht Aje c. AT, ibid. ; Cu c. AT, supra ; Cw c. AT, supra.
256. La Cour observe que l’État défendeur n’a fourni aucune information sur la
mise en œuvre des arrêts qu’elle a rendus dans des affaires précédentes,
ordonnant l’abrogation de la peine de mort obligatoire, et que les délais
qu’elle a fixés se sont depuis écoulés. Au regard de ce qui précède, la Cour
considère que les mesures ordonnées se justifient, celles-ci étant des
mesures de protection individuelle et un rappel général de l’obligation et de
la nécessité urgente pour l’État défendeur d’abolir la peine de mort
obligatoire et de prévoir des alternatives à cette peine. La Cour considère
donc que l’État défendeur est tenu de lui soumettre, dans un délai de six (6)
mois à compter de la date de signification du présent Arrêt, des rapports sur
les mesures prises en vue de la mise en œuvre des mesures qui y sont
ordonnées.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
257. Les Requérants demandent à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge de l’État défendeur.
258. L'État défendeur demande à la Cour de mettre les frais de procédure à la
charge des Requérants.
259. La Cour relève qu’aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à moins
que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de
procédure ».
260. La Cour note que rien, dans les circonstances de l’espèce, ne justifie qu’elle
déroge à cette règle. La Cour ordonne donc que chaque Partie supporte
ses frais de procédure.
261. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence :
i. Rejette l’exception d’incompétence matérielle ;
il. Dit qu’elle est compétente.
Sur la recevabilité :
iii. Rejette l’exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
À l’unanimité,
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du second
Requérant de ne pas subir de discrimination fondée sur la
nationalité et le statut de réfugié, protégé par l’article 3(2) de la
Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1)(c) de la
Charte lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du Pacte
International relatif aux Droits Civils et Politiques, en ce qui
concerne le défaut d'assistance judiciaire gratuite et efficace ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du second
Requérant à un procès équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de
la Charte, en ce qui concerne sa condamnation sur le fondement de la déclaration contestée en ce qu’elle aurait été
extorquée ;
viii. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants à des
services consulaires, et a par là même violé l’article 7(1)(c) de
la Charte, lu conjointement avec l’article 36(1) de la Convention
de Vienne sur les Relations Consulaires ;
ix. Dit que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(a) du PIDCP, en ce qui
concerne le défaut de service d'interprétation lors du procès
des Requérants ;
x. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants d’être
jugés dans un délai raisonnable, protégé par l’article 7(1)(d) de
la Charte ;
xi. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants de ne
pas être soumis à des traitements cruels, inhumains et
dégradants, protégé par l’article 5 de la Charte, en raison des
actions des autorités policières et du manquement du juge à
ordonner une enquête sur les blessures que présentaient les
Requérants lors du procès ;
xi. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants à la
dignité, protégé par l’article 5 de la Charte, en raison de la durée
excessive de leur détention dans le couloir de la mort ;
xiii. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants à la
dignité, protégé par l’article 5 de la Charte, en les soumettant à
des conditions de détention déplorables.
À la majorité de huit (8) voix pour et deux (2) voix contre,
xiv. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants à la vie,
protégé par l’article 4 de la Charte du fait de l’application de la
peine de mort obligatoire, en ce qu’elle écarte le pouvoir
d'appréciation du juge qui ne peut prendre en compte la nature
du crime et les circonstances particulières du contrevenant ;
xv. Dit que l’État défendeur a violé le droit des Requérants à la
dignité, protégé par l’article 5 de la Charte, en raison du mode
d'exécution de la peine prononcée à leur encontre, à savoir, la
pendaison.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
xvi. Rejette les demandes de réparations formulées au titre du
préjudice matériel ;
xvii. Alloue à chacun des Requérants la somme de cinq cent mille
(500 000) shillings tanzaniens à titre de réparation du préjudice
moral ;
xvii. Ordonne à l’État défendeur de payer le montant indiqué ci-
dessus, en franchise d’impôt, dans un délai de six (6) mois à
compter de la date de signification du présent Arrêt. À défaut, il
sera tenu de payer des intérêts moratoires calculés sur la base
du taux en vigueur de la Banque de AT pendant toute la
période de retard jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
Réparations non-pécuniaires
xix. Rejette la demande de remise en liberté formulée par les
Requérants ;
xx. Ordonne à l’État défendeur d'annuler la peine de mort
prononcée à l’encontre des Requérants et de les retirer du
couloir de la mort ;
xxi. Ordonne à l'État défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la
signification du présent Arrêt, afin d’abroger l'application
obligatoire de la peine de mort ;
xxii. Ordonne à l’État défendeur de pendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai de six (6) mois à compter de la
signification du présent Arrêt, afin de supprimer la pendaison
comme mode d'exécution de la peine de mort ;
xxiii. Ordonne à l’État défendeur de pendre toutes les mesures
nécessaires, dans un délai d’un (1) an à compter de la
signification du présent Arrêt, afin de tenir une nouvelle
audience de fixation de peine dans le cadre d’une procédure
qui ne prévoie pas la peine de mort obligatoire et qui maintienne
le pouvoir d’appréciation du juge ;
xxiv. Ordonne à l’État défendeur de publier le présent Arrêt, dans un
délai de trois (3) mois à compter de la date de sa signification,
sur le site Internet du ministère de la Justice et des Affaires
constitutionnelles et juridiques ; et de veiller à ce qu’il y reste
accessible pendant au moins un (1) an après la date de sa
publication.
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapports
xxv. Ordonne à l’État défendeur de lui soumettre, dans un délai de
six (6) mois à compter de la date de signification du présent
Arrêt, un rapport sur la mise en œuvre des décisions qui y sont
contenues et, par la suite, tous les six (6) mois, jusqu’à ce que
la Cour considère que toutes les mesures qu’elle a ordonnées
ont été entièrement exécutées.
Sur les frais de procédure
xxvi. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; Jrdte fausse - Ben KIOKO, Juge ; MES
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; Hs A yhee), ,
Suzanne MENGUE, Juge ; Ps 5
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Lai Oiponila
Chafika BENSAOULA, Juge ; GE 07
Blaise TCHIKAYA, Juge : ges
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge ; Jp Æ œ.
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 28(7) du Protocole et à la règle 70(2) et (3) du Règlement, l’opinion individuelle du Juge Ben KIOKO et les Déclarations des Juges Rafaâ Ben ACHOUR, Blaise TCHIKAYA et Dumisa B. NTSEBEZA sont jointes au présent Arrêt.
Fait à Arusha, ce troisième jour du mois de septembre de l’année deux-mille vingt- quatre, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.


Synthèse
Numéro d'arrêt : 015/2016
Date de la décision : 03/09/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2024
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