AFRICAN UNION UNIAO AFRICANA AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES’ RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L'HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
AM B AK
REPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
REQUÊTE N° 017/2018
ARRET SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il. OBJET DE LA REQUÊTE.
A Faits de la cause
B Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
Sur l’exception d’incompétence matérielle
Sur les autres aspects de la compétence
VI SUR LA RECEVABILITÉ
Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
Sur les autres conditions de recevabilité
VII SUR LE FOND
Violation alléguée du droit à la non-discrimination
Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi
Violation alléguée du droit à un procès équitable
! Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
ii. Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire
VIII SUR LES RÉPARATIONS
Réparations pécuniaires
! Préjudice matériel
ii. Préjudice moral
Réparations non-pécuniaires
IX 14U14L15 16A17 19 21O22D22E23D23P24I25F 10
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24 La Cour, composée de : Modibo SACKO, Vice-président ; Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA,
Blaise TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA et Dennis D. ADJEI —
Juges, et de Robert ENO, Greffier.
Conformément à l’article 22 du Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de l’homme
et des peuples (ci-après dénommé « le Protocole ») et à la règle 9(2)* du Règlement
intérieur de la Cour (ci-après dénommé « le Règlement »), la Juge Imani D. ABOUD,
membre de la Cour, de nationalité tanzanienne, s’est récusée.
En l’affaire
AM B AK
assurant lui-même sa défense
contre
RÉPUBLIQUE-UNIE DE TANZANIE
représentée par :
ii AL Xk AP, Bi Ci, Bureau du Solicitor General ;
ii. D" Bk AG, Bi Ci adjoint, Bureau du Solicitor General ;
iii. MM Bz Bb AO, Directrice par intérim de l’Unité chargée des
affaires juridiques, ministère des Affaires étrangères et de la Coopération Est-
africaine et internationale ;
iv. MM Bq Aq AJ, Directrice adjointe, Recours en inconstitutionnalité, Droit
de l’homme et Contentieux électoral, Principal Ca Cx ;
v. MM Cp Bj A, Ca Cx, Bureau du Solicitor
General ;
+ Article 8(2) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
vi. MM Ag AH, Juriste, ministère des Affaires étrangères et de la
Coopération Est-africaine.
après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur AM B AK Yci-après dénommé « le Requérant ») est
un ressortissant tanzanien qui, au moment du dépôt de la Requête, purgeait
une peine de trente (30) ans de réclusion à la prison centrale d’Uyui dans
la région de Bl (Tanzanie) pour vol à main armée. Le Requérant
allègue la violation de ses droits dans le cadre des procédures devant les
juridictions nationales.
2. La Requête est dirigée contre la République-Unie de Tanzanie (ci-après
dénommée « l’État défendeur »), qui est devenue partie à la Charte africaine
des droits de l'homme et des peuples (ci-après désignée la « Charte ») le
21 octobre 1986 et au Protocole le 10 février 2006. Elle a également
déposé, le 29 mars 2010, la déclaration prévue à l’article 34(6) du Protocole
(ci-après désignée la Déclaration »), par laquelle elle accepte la
compétence de la Cour pour recevoir des requêtes émanant d’individus et
d'organisations non gouvernementales ayant le statut d’observateur auprès
de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples. Le 21
novembre 2019 l’État défendeur a déposé auprès du Président de la
Commission de l’Union africaine un instrument de retrait de sa Déclaration.
La Cour a décidé que le retrait de la Déclaration n’avait aucune incidence
sur les affaires pendantes, ni sur les nouvelles affaires introduites devant
elle avant sa prise d’effet un (1) an après le dépôt de l’instrument y relatif, à
savoir le 22 novembre 2020.?
? Cg Ac Ai c. République-Unie de Tanzanie (arrêt) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 88 37 à 39.
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. Il ressort du dossier que le 31 mars 2007, dans le village de Ao,
district de Kasuli dans la région de Kigoma, le Requérant, en compagnie de
quatre (4) autres personnes qui ne sont pas parties à la présente procédure,
a commis un vol d'argent, de téléphone portable, de maïs et de bicyclette
au préjudice de la famille de Xb Cy. Au cours dudit vol,
Xb Cy et son épouse ont été battus et grièvement blessés. Il
ressort également du dossier que le Requérant, qui était armé d’un fusil, a
tiré des coups de feu en l’air pour éloigner les voisins qui venaient à la
rescousse des victimes.
4. Le Requérant a été arrêté le 13 décembre 2007 et mis en accusation pour
vol à main armée puni par les articles 285 et 286 du code pénal de l’État
défendeur. Il a ensuite été jugé et reconnu coupable de ce chef, le 18 février
2009, par le tribunal de district de Kasulu qui l’a condamné à trente (30) ans
de réclusion et à une amende de deux cent cinquante mille (250 000)
shillings tanzaniens.
5. Le Requérant a interjeté appel de ce jugement devant la Haute Cour de
Tanzanie siégeant à Bl. Le 6 mai 2013, son recours a été rejeté pour
défaut de fondement.
6. Il a, ensuite, saisi la Cour d’appel de Tanzanie siégeant à Bl qui, le
20 juin 2014, a rejeté son appel et a, donc, confirmé la déclaration de
culpabilité ainsi que la condamnation.
7. Le Requérant a alors formé un recours en révision de cette décision qui a
été rejeté pour défaut de fondement, le 25 août 2017.
B. Violations alléguées
8. Le Requérant allègue ce qui suit :
i. L'arrêt de la Cour d’appel a violé son droit protégé par l’article 2 de la
Charte en ce qu’il « a été rendu en violation des principes de droit et
de pratique régissant le système de justice pénale tanzanien » ;
ii. La Cour d’appel a violé son droit protégés à l’article 3(2) de la Charte
en méconnaissant ses moyens de recours supplémentaires ;
iii. Son droit à un procès équitable a été violé en ce qu’il n’a pas été
représenté par un avocat tout au long de la procédure interne ;
iv. Les jugements des tribunaux nationaux étaient tous disproportionnés
au regard de la force probante.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
9. La Requête a été reçue au Greffe le 20 juin 2018.
10. Le 2 août 2018, le Greffe en a accusé réception et demandé au Requérant
de déposer des copies des décisions rendues dans le cadre de la procédure
pénale interne dirigée contre lui.
11. Le 19 décembre 2018, l’État défendeur a déposé son mémoire en réponse
qui a été communiqué au Requérant le 21 décembre 2018. En dépit des
nombreux rappels qui lui ont été adressés, l’État défendeur n’a pas déposé
ses conclusions sur les réparations.
12. Les débats ont été clôturés le 1° février 2024 et les Parties en ont été
informées.
IV. DEMANDES DES PARTIES
13. Sur le fond, le Requérant demande à la Cour de :
ii Faire droit « à [sa] demande et de rétablir la justice en prenant les
mesures appropriées conformément aux articles 27(1) et (2) du
Protocole relatif à la charte » ;
ii. Rendre en sa faveur «toute(s) autre(s) mesure(s) qu’elle jugera
appropriée(s) dans les circonstances de l’espèce ».
14. Au titre des réparations, le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État
défendeur de lui verser la somme d’un million vingt-deux mille (1 022 000)
shillings tanzaniens pour chacune des onze (11) années de détention, à
titre de compensation pour la perte de ses revenus.
15. Sur la recevabilité, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger que la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples
n’est pas compétente pour connaître de la présente Requête ;
i. Dire et juger que la Requête ne remplit pas les conditions de
recevabilité énoncées à l’article 40(5) du Règlement ;
ii. Déclarer la Requête irrecevable.
iv. Rejeter la Requête.
16. S'agissant du fond de la Requête, l’État défendeur demande à la Cour de :
i. Dire et juger qu’[il] n’a pas violé le droit du Requérant prévus à l’article 2
de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
i. Dire et juger qu’[il] n’a pas violé le droit du Requérant protégé par l’article
3(2) de la Charte ;
iii. Dire et juger que le Requérant n’a droit à aucune réparation ;
iv. Mettre les frais de procédure à la charge du Requérant.
V. SUR LA COMPÉTENCE
17. L'article 3 du Protocole est libellé comme suit :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de tous les différends dont elle est saisie concernant l’interprétation
et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
18. Aux termes de la règle 49(1) du Règlement, « la Cour procède à un examen
préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte, au Protocole
et au [...] Règlement ».
19. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, à titre préliminaire,
procéder à un examen de sa compétence et statuer sur les éventuelles
exceptions d’incompétence.
20. La Cour observe qu’en l’espèce, l’État défendeur soulève une exception
d’incompétence matérielle. La Cour statuera sur ladite exception avant de
se prononcer, si nécessaire, sur les autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
21. L'État défendeur soulève une exception d’incompétence matérielle de la
Cour en soutenant que le Requérant demande à celle-ci de siéger en tant
que juridiction d'appel et de statuer sur des questions de preuve qui ont déjà
été tranchées par sa Cour d’appel. À l’appui de cet argument, l’État
défendeur cite l’arrêt de la Cour dans l’affaire Cw Ad Cr c.
République du Malawi. En outre, l’État défendeur fait valoir que la Cour est
incompétente pour ordonner la mise en liberté du Requérant sur le
fondement de l’article 27(1) du Protocole, car les demandes formulées par
le Requérant n’entrent pas dans le champ de compétence de la Cour.
22. Le Requérant n'a pas conclu sur ce point.
23. La Cour note, sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, qu’elle est
compétente pour examiner toutes les affaires dont elle est saisie
lorsqu’elles portent sur des allégations de violation de droits protégés par la
Charte ou par tout autre instrument relatif aux droits de l’homme ratifié par
24. La Cour réitère, en outre, que même si l’examen des questions de preuve
relève de la compétence des juridictions internes, comme l’a rappelé l’État
défendeur, elle a pour rôle d’examiner les procédures pertinentes devant
les instances nationales pour déterminer si celles-ci sont en conformité avec
les normes prescrites dans la Charte ou avec tout autre instrument ratifié
par l’État concerné.* Il en résulte que la Cour est habilitée à ordonner la
mise en liberté d’un requérant à titre de réparation, en vertu de l’article 27(1)
du Protocole, dès lors que la procédure ayant abouti à sa condamnation est
jugée contraire aux normes internationales prévues par la Charte.
25. En l’espèce, le Requérant allègue la violation du droit à une totale égalité
devant la loi, du droit à la non-discrimination et du droit à un procès
équitable qui sont tous protégés par la Charte à laquelle est partie l’État
défendeur. La Cour estime que sa compétence matérielle est établie, en
l’espèce.
26. À alumière de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par l’État
défendeur et déclare qu’elle a la compétence matérielle pour connaître de
la présente Requête.
B. Sur les autres aspects de la compétence
27. La Cour relève que l’État défendeur ne conteste pas sa compétence
3 Alex Xi c. République-Unie de Tanzanie (fond) (20 novembre 2015) 1 RICA 482, 8 45 ; Bm Bp Ct et Xf Ab Cb Ap c. République-Unie de Tanzanie (fond) (28 septembre 2017) 2 RICA 65, 88 34 à 36 ; Bc Bs alias Xa et Ck Bk As c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (28 novembre 2019) 3 RICA 654, 8 18.
* Bm Xm c. République-Unie de Tanzanie (fond) (mars 2019) 3 RICA 51, 8 26 ; Xe Bv c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (7 décembre 2018) 2 RICA 493, 8 33 ; Cq Bu YBf BhC et Cn Cq YCz BrC c. République-Unie de Tanzanie (fond) (23 mars 2018) 2 RICA 297, 8 35.
personnelle, temporelle et territoriale. Néanmoins, conformément à la règle
49(1) du Règlement, elle doit s'assurer que tous les aspects de sa
compétence sont remplis avant de poursuivre l’examen de la Requête.
28. En ce qui concerne sa compétence personnelle, la Cour rappelle, comme
indiqué au paragraphe 2 du présent Arrêt, que l’État défendeur est partie
au Protocole et a déposé la Déclaration. La Cour rappelle, en outre, que, le
21 novembre 2019, l'État défendeur a déposé un instrument de retrait de
ladite Déclaration. Conformément à la jurisprudence de la Cour, le retrait de
la Déclaration n’a point d’effet rétroactif et ne prend effet que douze (12)
mois après le dépôt de l'instrument dudit retrait, en l’occurrence le
22 novembre 2020.° La présente Requête, introduite le 24 janvier 2018, soit
avant la prise d’effet du retrait, n’en est donc pas affectée. En conséquence,
la Cour estime que sa compétence personnelle est établie, en l’espèce.
29. En ce qui concerne sa compétence temporelle, la Cour observe que les
violations alléguées en l’espèce découlent du procès du Requérant à l’issue
duquel la Cour d'appel de l’État défendeur a rendu un arrêt, le 20 juin 2015.
La Cour observe que la décision de la Cour d’appel est postérieure à la
ratification du Protocole par l’État défendeur. La Cour considère donc
qu’elle a compétence personnelle pour connaître de la présente Requête.
30. Quant à sa compétence territoriale, la Cour relève que les violations
alléguées par le Requérant se sont produites sur le territoire de l’État
défendeur. La Cour estime donc que sa compétence territoriale est établie.
31. Au regard de tout ce qui précède, la Cour conclut qu’elle est compétente
pour connaître de la présente Requête.
5 Ai c. Tanzanie, supra, 88 35 à 39.
8 Ligue Ivoirienne des Droits de l'Homme (LIDHO) et autres c. République de Côte d'Ivoire, CAfDHP, Requête n° 041/2016, Arrêt du 5 septembre 2023 (fond et réparations), 8 58.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
32. L'article 6(2) du Protocole dispose : « la Cour statue sur la recevabilité des
requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de la
Charte ». En vertu de la règle 50(1) du Règlement,” « [a Cour procède à
un examen de la recevabilité des requêtes introduites devant elle
conformément aux articles 56 de la Charte et 6, alinéa 2 du Protocole et au
[..] Règlement ».
33. La règle 50(2) du Règlement, qui reprend en substance les dispositions de
l’article 56 de la Charte, est libellée comme suit :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir les conditions
ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur même si celui-ci demande à la
Cour de garder l’anonymat ;
b. Être compatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine et la
Charte ;
c. Ne pas contenir de termes outrageants ou insultants
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s'ils
existent, à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la
procédure de ces recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduite dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par
la Cour comme faisant courir commencer à courir le délai de sa
propre saisine ;
g. Ne pas concerner des cas qui ont été réglés conformément aux
principes soit de la Charte des Nations Unies, soit de l’Acte
constitutif de l’Union africaine, soit des dispositions de la Charte
ou de tout instrument juridique de l’Union africaine ;
7 Article 39(1) du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
8 Article 40 du Règlement intérieur du 2 juin 2010.
34. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’irrecevabilité
tirée du non-épuisement des recours internes. La Cour va, dans un premier
temps, se prononcer sur ladite exception avant d’examiner, si nécessaire,
les autres conditions de recevabilité.
A. Sur l’exception tirée du non-épuisement des recours internes
35. L'État défendeur soutient que le Requérant n’a pas satisfait aux conditions
de recevabilité prévues à la règle 50(2)(e) du Règlement, dans la mesure
où il n’a pas épuisé les recours internes avant d’introduire sa Requête. Il
rappelle que l’épuisement des recours internes est un principe fondamental
du droit international, comme le confirment les arrêts de la Cour dans les
affaires Ba Cj c. République du Malawi et Xj Bx
Ar c. République-Unie de Tanzanie.
36. L'État défendeur fait valoir, à cet effet, que le « Requérant n’a jamais tenté
d’épuiser les recours disponibles, ni de donner au défendeur l’occasion de
traiter les griefs allégués ». L’État défendeur souligne également qu’« un
autre recours était disponible au Requérant qui pouvait, ainsi, soulever les
allégations de violation de ses droits fondamentaux qu’il a portées devant
l'honorable Cour de céans ». Il soutient que le Requérant aurait pu
introduire un recours en inconstitutionnalité devant sa Haute Cour, en vertu
de la loi sur les droits et devoirs fondamentaux. L'État défendeur fait donc
valoir que le fait que le Requérant n’ait pas introduit de recours en
inconstitutionnalité implique qu’il n’a pas satisfait aux conditions de
recevabilité prévues par la Charte et le Règlement.
*
37. La Cour note que, conformément à l’article 56(5) de la Charte, dont les
dispositions sont reprises à la règle 50(2)(e) du Règlement, toute requête
introduite devant elle doit satisfaire à l’exigence de l’épuisement des recours
internes, à moins que ceux-ci ne soient indisponibles, inefficaces et insuffisants ou que la procédure interne ne se prolonge de façon anormale.
La Cour réitère que la règle de l’épuisement des recours internes vise à
donner aux États la possibilité de traiter les violations des droits de l'homme
relevant de leur juridiction avant qu’un organe international de défense des
droits de l’homme ne soit saisi pour déterminer la responsabilité de l’État à
38. En l'espèce, la Cour observe qu’après avoir été condamné par le tribunal
de district siégeant à Kasulu, le Requérant a interjeté appel devant la Haute
Cour siégeant à Bl, qui a rejeté son recours le 19 avril 2013. Il a, par
la suite, saisi la Cour d’appel siégeant à Bg d’un autre recours en
appel, qui a également été rejeté le 20 juin 2014. De même, son recours en
révision de la décision de la Cour d’appel a été rejeté le 25 août 2017. La
Cour d’appel étant l’organe judiciaire suprême de l’État défendeur, la Cour
considère donc que le Requérant a épuisé les recours internes.
39. Quant à l’argument de l’État défendeur relatif au fait que le Requérant n’a
pas introduit de recours en inconstitutionnalité, la Cour rappelle qu’elle a
constamment considéré que ce recours, tel qu’il s'applique dans le système
judiciaire de l’État défendeur, est un recours extraordinaire qu’aucun
requérant n’est tenu d'épuiser.**
40. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’exception soulevée par l’État
défendeur et considère que le Requérant a épuisé les recours internes.
B. Sur les autres conditions de recevabilité
41. La Cour constate que le respect des conditions énoncées à l’article 50(2)(a),
(b), (c), (d) et (g) du Règlement ne fait l’objet d’aucune contestation.
9 Xj Bx Ar c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RICA 413, 88 142 à 144 ; Xl Be At et autres c. République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 030/2017, arrêt du 24 mars 2022 (fond et réparations), 8 43.
19 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples c. République du Kenya (fond) (26 mai 2017) 2 RICA 9, 88 93 à 94.
11 Ce Cd et Cl Ak AN X de Tanzanie, CAfDHP, Instances jointes : Requêtes n°8 015/2017 et 011/2018, Arrêt du 5 septembre 2023 (fond et réparations), 8 45.
Néanmoins, elle est tenue de s’assurer que ces conditions sont remplies.
42. 1|ressort du dossier que le Requérant a été clairement identifié par son nom,
conformément à la règle 50(2)(a) du Règlement.
43. La Cour relève également que les demandes formulées par le Requérant
visent à protéger ses droits garantis par la Charte. Elle note, en effet, que
l’un des objectifs de l’Acte constitutif de l’Union africaine, tel qu’énoncé en
son article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l’homme et
des peuples. Par ailleurs, il ne résulte du dossier aucun élément qui soit
incompatible avec l’Acte constitutif de l’Union africaine. La Cour considère
donc que la Requête satisfait à l’exigence de la règle 50(2)(b) du
Règlement.
44. La Cour note que la Requête ne contient pas de termes outrageants ou
insultants à l’égard de l’État défendeur. Elle satisfait donc à l’exigence de la
règle 50(2)(c) du Règlement.
45. Elle note, en outre, que la Requête n’est pas fondée exclusivement sur des
nouvelles diffusées par des moyens de communication de masse, mais sur
des documents judiciaires, conformément à la règle 50(2)(d) du Règlement.
46. En ce qui concerne l’exigence relative au délai raisonnable de dépôt des
requêtes, énoncée à la règle 50(2)(f) du Règlement, la Cour rappelle que ni
la Charte, ni le Règlement ne précisent de délai exact dans lequel les
requêtes doivent être introduites, après épuisement des recours internes.
Conformément à la jurisprudence de la Cour, « […] le caractère raisonnable
du délai de saisine [de la Cour] dépend des circonstances particulières de
chaque affaire et devrait être apprécié au cas par cas ».!?
47. Plus précisément, la Cour note que la décision de la Cour d'appel rejetant
l’appel du Requérant a été rendue le 20 juin 2014, alors que la présente
12? Cv et autres c. Xh Ax (fond), supra, 8 92. Voir également Xi c. Tanzanie (fond), supra, 8 73.
Requête a été introduite le 20 juin 2018 — une période de quatre (4) ans
s’est donc écoulée entre les deux actes. La Cour observe également que le
Requérant a formé un recours en révision de la décision de la Cour d’appel
et que ledit recours a été rejeté le 25 août 2017. La période qui s’est écoulée
entre le rejet de la requête en révision introduite par le Requérant et la
saisine de la Cour est donc de neuf (9) mois et vingt-six (26) jours.
48. Dans sa jurisprudence, la Cour a considéré que les requérants qui
introduisent des recours contre les décisions de l’organe judiciaire suprême
doivent le faire dans le cadre légal applicable et ne devraient pas être
pénalisés pour avoir exercé un recours disponible dans le système
judiciaire.!® Il ressort du dossier que la requête en révision introduite par le
Requérant porte un numéro d’enregistrement datant de 2014, ce qui indique
qu’elle a été déposée dans l’année qui a suivi le rejet de son recours par la
49. La Cour note également que le Requérant a assuré sa propre défense à
toutes les étapes de la procédure devant les juridictions internes et qu’il en
est de même dans la présente procédure.!* La Cour estime qu’en l’espèce,
le décompte du délai raisonnable de dépôt doit être effectué à partir de la
date à laquelle la Cour d’appel a rejeté la requête en révision introduite par
le Requérant. La Cour considère donc que la période de neuf (9) mois et
vingt-six (26) jours qui s’est écoulée avant sa saisine constitue un délai
raisonnable au sens de la règle 50(2)(f) du Règlement.!*
50. La Cour note que la Requête ne concerne pas une affaire qui a déjà été
réglée par les Parties conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine, des dispositions de la Charte
ou de tout instrument juridique de l’Union africaine, ce qui la rend conforme
13 Leonard Moses c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 033/2017, Arrêt du 5 septembre 2023, 8 55.
14 Xi c. Tanzanie (fond), supra, 8 73 ; Az c. Tanzanie (fond), supra, 8 54 ; Amir Am c. République-Unie de Tanzanie (fond) (11 mai 2018) 2 RICA 356, 8 83.
15 Bt Bn Cf c. République du Bénin, CAfDHP, Requête n° 065/2019, Arrêt du 29 mars 2021 (fond et réparations), 88 86 et 87.
à la règle 50(2)(g) du Règlement.
51. Au regard de ce qui précède, la Cour déclare la Requête recevable.
VII. SUR LE FOND
52. Le Requérant affirme que l’arrêt de la Cour d’appel de l’État défendeur a
violé ses droits protégés par l’article 2 de la Charte ainsi que son droit à une
égale protection de la loi prévu à l’article 3(2) de la Charte et son droit à un
procès équitable. La Cour va donc examiner chacune des allégations
soulevées par le Requérant.
A. Violation alléguée du droit à la non-discrimination
53. Le Requérant allègue que « l’examen des faits de la cause par la Cour
d'appel viole les principes fondamentaux des droits de l'homme et des
peuples protégés par l’article 2 de la Charte ».
54. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
55. L'article 2 de la Charte est libellé comme suit :
Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus
et garantis dans la présente Charte sans discrimination aucune,
notamment, de race, d’ethnie, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion, d’origine
nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre
situation.
56. La Cour rappelle que la charge de la preuve incombe à celui qui allègue
une violation des droits de l'homme. En l’espèce, la Cour observe que le
Requérant ne formule pas d’observations spécifiques et n'apporte pas la
preuve d’une quelconque discrimination, en violation de l’article 2 de la
Charte.!6
57. En pareilles circonstances, la Cour estime que l’allégation de violation n’est
pas fondée et considère donc que l’État défendeur n’a pas violé le droit du
Requérant à la non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte.
B. Violation alléguée du droit à une égale protection de la loi
58. Le Requérant soutient que son droits protégé par l’article 3(2) de la Charte
a été violé du fait du refus de la Cour d'appel de prendre en compte ses
moyens d’appel supplémentaires « au seul motif qu’ils ne figuraient pas
dans le dossier d'appel déposé auprès de la cour ».
59. L'État défendeur conclut au débouté et demande que le Requérant rapporte
la preuve de ses allégations. Il soutient que lors de la procédure devant sa
Cour d'appel le Requérant a soulevé des moyens supplémentaires sans se
conformer au règlement de ladite Cour. Plus précisément, l’État défendeur
souligne qu’aux termes de l’article 81(1) du règlement 2009 de la Cour
d'appel, tout appelant qui souhaite faire valoir un moyen qui ne figure pas
dans son mémoire d’appel doit d’abord en demander l’autorisation à la
Cour. L'État défendeur soutient donc qu’en l’absence d’une telle demande,
le Requérant ne peut établir la violation de son droit protégé par l’article 3(2)
de la Charte.
60. Aux termes de l’article 3(2) de la Charte, « [t]oute personne a droit à une
égale protection de la loi ».
16 Aj Ar Co c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 035/2017, Arrêt du 22 septembre 2022, 8 82. By Cs Xg c. République-Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête N° 018/2017, Arrêt du 5 septembre 2023 (fond et réparations), 8 124.
61. Comme indiqué précédemment, la charge de la preuve d’une allégation de
violation d’un droit incombe à la partie qui la formule. En l’espèce, il incombe
donc au Requérant de prouver que le comportement de l’État défendeur, à
travers sa Cour d’appel, a violé son droit à une égale protection de la loi,
protégé par l’article 3(2) de la Charte. La Cour rappelle, en effet, que le grief
soulevé par le Requérant découle de la non-prise en compte par la Cour
d’appel de ses moyens de recours supplémentaires, ce qui aurait violé ses
droits.
62. La Cour observe qu’en principe, la procédure devant la Cour d’appel de
l’État défendeur est régie par le règlement de ladite juridiction. Ce règlement
exige que tout appelant demande l’autorisation préalable de ladite Cour
pour faire valoir tout moyen qui ne figure pas dans son mémoire d’appel. Il
ne résulte du dossier aucun élément attestant que le Requérant a demandé
l’autorisation de faire valoir ses moyens de recours supplémentaires. En
pareilles circonstances, la seule affirmation du Requérant selon laquelle son
droit a été violés du fait du refus de la Cour d’appel de lui permettre de faire
valoir des moyens d’appel supplémentaires sans préalablement en
demander l’autorisation n’est pas fondée.
63. La Cour considère donc que le Requérant n’a pas prouvé la violation de son
droit protégé par l’article 3(2) de la Charte. Elle rejette donc les allégations
formulées sur ce point.
C. Violation alléguée du droit à un procès équitable
64. Le Requérant allègue la violation de son droit à un procès équitable au
moyen que d’une part, les décisions des tribunaux nationaux ne sont
fondées sur aucun élément sérieux puisque sa condamnation a été
prononcée compte non tenu des éléments à décharge ; et d'autre part, il n’a
pas bénéficié d’une assistance judiciaire au cours de la procédure interne.
La Cour examinera chacun de ces moyens sous les aspects respectifs de
la violation du droit à ce que sa cause soit entendue et du droit à l’assistance
judiciaire.
Violation alléguée du droit à ce que sa cause soit entendue
65. Le Requérant allègue que les trois juridictions internes qui ont examiné son
affaire « ont fait fi de l’argument relatif à [son] innocence en dépit des
preuves accablantes que son arrestation n'avait rien à voir avec l’infraction
pour laquelle il a été condamné … ». Il fait valoir que sa condamnation
résulte donc du non-examen, par les juridictions nationales, des preuves à
décharge.
66. L'État défendeur conclut au débouté et demande que le Requérant rapporte
la preuve de ses allégations. Plus précisément, l’État défendeur soutient
que le Requérant a été condamné sur la base de preuves d’identification
que la juridiction d'instance a jugées satisfaisantes. Il souligne également
que ces preuves ont été examinées à la fois par la Haute Cour et par la
Cour d'appel, ces deux juridictions ayant estimé que les motivations de la
juridiction inférieure étaient fondées. L'État défendeur soutient donc que
cette allégation n’est pas fondée et qu’elle devrait être rejetée, en
conséquence.
67. L'article 7(1) de la Charte dispose : « [toute personne a droit à ce que sa
cause soit entendue ».
68. La Cour rappelle que dans l’affaire Cc Aw AN X de
Tanzanie, elle a jugé que :
les juridictions nationales jouissent d’une large marge d’appréciation
dans l’évaluation de la valeur probante des éléments de preuve. En
tant que juridiction internationale des droits de l'homme, la Cour ne
peut pas se substituer aux juridictions nationales pour examiner les
détails et les particularités des preuves présentées dans les 69. Nonobstant ce qui précède, la Cour peut examiner la manière dont la
procédure interne a été menée et déterminer si cette procédure, y compris
l’appréciation des preuves, a été en conformité avec les normes
internationales en matière de droits de l'homme.!8
70. La Cour observe que le tribunal de district a examiné de manière exhaustive
les preuves produites contre le Requérant, y compris la crédibilité des
témoins, en particulier la victime du vol et son épouse, dont le témoignage
a permis de fonder la condamnation du Requérant. Le tribunal de district a
estimé que les témoins étaient dignes de confiance, crédibles et honnêtes.
Il a relevé, en particulier, que l’accusé n’était pas inconnu de la victime et
de son épouse, et que le clair de lune ainsi que la lampe-tempête allumée
avaient facilité son identification. Le tribunal de district s’est dit convaincu
« au-delà de tout doute que l’accusé était le cambrioleur de la nuit en
question » et que le ministère public avait prouvé sa cause au-delà de tout
doute raisonnable.
71. En appel, la Haute Cour a également estimé que relativement à la preuve
d'identification, les témoignages sur lesquelles est fondée la condamnation
étaient crédibles. Elle a également estimé que le Requérant avait été
correctement identifié et que l’affaire avait été prouvée conformément aux
normes requises, indiquant que « les témoins n’ont pas pu se tromper dans
leur identification du Requérant puisqu'ils le connaissaient bien et que ce
dernier n’a pas contesté ce fait ». La Cour d’appel a également réexaminé
les preuves d’identification et a estimé que le Requérant ne lui avait fourni
aucun élément qui justifierait l’infirmation de la décision de la Haute Cour.
72. La Cour observe que les juridictions nationales ont examiné les
circonstances dans lesquelles le crime a été commis ainsi que les
arguments exposés par le ministère public et par le Requérant, afin
d’éliminer les éventuelles erreurs concernant l’identité de l’auteur du
cambriolage. Comme cela résulte du dossier, les tribunaux nationaux se
18 Ibid, 8 66.
sont montrés particulièrement méticuleux en ce qui concerne les dangers
liés à une condamnation fondée sur des preuves d’identification imprécises.
73. La Cour considère donc que la manière dont les juridictions nationales ont
évalué les preuves sur le fondement desquelles elles ont condamné le
Requérant ne révèle aucune erreur manifeste et n’est pas constitutive d’un
déni de justice à l’égard du Requérant. La Cour estime donc qu’il n’y avait
pas lieu de remettre en cause les motivations des juridictions inférieures.
74. Au regard de ce qui précède, la Cour rejette l’argument du Requérant et
considère que l’État défendeur n’a pas violé l’article 7(1) de la Charte.
ii. Violation alléguée du droit à une assistance judiciaire
75. Le Requérant allègue que dans la mesure où il n’était pas représenté par
un avocat, la Cour d’appel avait l’obligation de veiller à ce que ses droits
soient respectés lors de l'examen de son recours. Il allègue, en outre, que
son droit à un procès équitable a été violé du fait qu’il n’a pas bénéficié des
services d’un avocat pour l’assister durant la procédure d’appel.
76. L'État défendeur n’a pas conclu sur ce point.
77. Aux termes de l’article 7(1)(c) de la Charte, le droit à ce que sa cause soit
entendue comprend « le droit à la défense, y compris celui de se faire
assister par un défenseur de son choix ».
78. Dans sa jurisprudence sur le droit à l’assistance judiciaire, la Cour a
interprété l’article 7(1)(c) de la Charte à la lumière de l’article 14(3)(d) du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)*° et estimé
que le droit à la défense comprend le droit de bénéficier d’une assistance
19 L’État défendeur est devenu partie au PIDCP le 11 juin 1976.
79. 1l est constant comme résultant du dossier que le Requérant a assuré sa
propre défense à toutes les étapes de la procédure interne, et ce, en dépit
du fait qu’il était accusé de vol à main armée, une infraction grave passible
d’une peine minimale de trente (30) ans de réclusion. Nonobstant ce fait, le
Requérant a porté son affaire devant toutes les juridictions nationales.
80. La Cour a constamment jugé que toute personne indigente poursuivies pour
une infraction passible d’une lourde peine, doit, de plein droit, bénéficier
81. De plus, la Cour a jugé que l’obligation de fournir une assistance judiciaire
gratuite aux personnes indigentes poursuivies pour des infractions
passibles d’une peine lourde s'applique tant en première instance qu’en
appel.2 Les États devraient donc, d'office, accorder l’assistance judiciaire
aussi longtemps que l'intérêt de la justice l’exige.
82. En l'espèce, la Cour estime que, compte tenu de la gravité de l’infraction
dont le Requérant était accusé, l’intérêt de la justice commandait qu’il
bénéficiât d’une assistance judiciaire à toutes les étapes de la procédure
interne.
83. La Cour considère donc que l’État défendeur a violé l’article 7(1)(c) de la
Charte lu conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP pour n’avoir pas
fourni une assistance judiciaire gratuite au Requérant.
20 Xi c. Tanzanie (fond), supra, 8 114 ; Aw AN Xd (fond), supra, 8 72 ; Ct et un autre c. Tanzanie (fond), supra, 8 104.
2! Xi c. Tanzanie (fond), supra, 8 123 ; Aw AN Xd, ibid, 8 78 ; Bm Bp Ct et Ap AN Xd, ibid., 88 104 et 106.
2 Xi c. Tanzanie (fond), $ 124; Ah Au Av et 9 autres c. République-Unie de Tanzanie (fond) (18 mars 2016) 1 RICA 526, 8 183.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
84. Le Requérant demande à la Cour de faire droit « à [sa] demande et de
rétablir la justice en prenant des mesures appropriées conformément aux
articles 27(1) et (2) du Protocole à la charte ».
85. Pour sa part, l’État défendeur demande que « la Cour rejette toutes les
demandes de réparation formulées par le Requérant ».
86. La Cour rappelle que l’article 27(1) du Protocole dispose :
Lorsqu'elle estime qu’il y a eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation.
87. La Cour estime, conformément à sa jurisprudence constante, que pour que
des réparations soient accordées, la responsabilité internationale de l’État
défendeur doit être établie au regard du fait illicite. Deuxièmement, le lien
de causalité doit être établi entre l’acte illicite et le préjudice allégué. Par
ailleurs, lorsqu'elle est accordée, la réparation doit couvrir l'intégralité du
préjudice subi. Enfin, il incombe au Requérant de justifier les demandes de
réparation formulées.” La Cour a également jugé que le but des réparations
est de rétablir la victime dans la situation qui aurait prévalu si la violation
n’était pas intervenue.“
23 Voir Bv c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 157. Voir également Bo Cv et autres c. Xh Ax (réparations) (5 juin 2015) 1 RICA 265, 88 20 à 31 ; Ae Cu Bw AN Xh Ax (réparations) (3 juin 2016) 1 RICA 358, 88 52 à 59 et An Ch Bd Xc c. République- Unie de Tanzanie (réparations) (13 juin 2014) 1 RICA 74, 88 27 à 29.
24 Al Aa Cs c. République-Unie de Tanzanie (28 mars 2019) 3 RICA 13, 8 118 et Cv et autres c. Xh Ax (réparations), supra, 8 60.
A. Réparations pécuniaires
88. Le Requérant demande à la Cour d’ordonner à l’État défendeur de lui
allouer la somme d’un million vingt mille (1 020 000) shillings tanzaniens
pour chacune des onze (11) années qu’il a passées en détention. Le
Requérant fait valoir que la somme susmentionnée représente les revenus
qu’il aurait pu tirer de la vente des récoltes, s’il n'avait pas été incarcéré.
89. L’État défendeur conclut au débouté.
90. La Cour rappelle que lorsqu'un Requérant demande la réparation d’un
préjudice matériel, un lien de causalité doit non seulement exister entre la
violation constatée et le préjudice subi, mais il doit également préciser la
nature du préjudice et en apporter la preuve. La Cour a également indiqué
qu’il incombe à tout requérant d’apporter la preuve de ses allégations.
91. Ence qui concerne le préjudice matériel, la Cour rappelle qu’il incombe au
Requérant de fournir des preuves à l’appui de ses demandes pour toute
allégation relative à un tel préjudice.
92. En l’espèce, la Cour observe que le Requérant s’est contenté de formuler
des réclamations et n’a donc pas apporté la preuve de ses allégations. Au
vu de ce qui précède, la Cour rejette la demande de paiement de la somme
d’un million et vingt mille (1 020 000) shillings tanzaniens à titre de
réparation du préjudice matériel.
25 Cq Bu YBf BhC et autres c. République-Unie de Tanzanie (réparations) (8 mai 2020) 4 RJCA 3, 8 15 et Cc Aw AN X de Tanzanie, CAfDHP, Requête n° 011/2015, Arrêt du 25 juin 2021 (réparations), 8 20.
26 Ay c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 122 ; Af c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 97 et Bv c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 15.
93. La Cour observe que le préjudice moral s’entend de tout préjudice
consécutif à la souffrance, à l’angoisse et aux changements de conditions
de vie de la victime et de sa famille à la suite d’une violation des droits de
l'homme.?’” À cet égard, la Cour réaffiime, conformément à sa
jurisprudence, qu’en cas de violation des droits de l'homme, ce préjudice
est présumé et que l’appréciation du montant à allouer doit être effectuée
en toute équité, compte étant tenu des circonstances de l'espèce.”
94. Le lien de causalité entre le fait illicite et le préjudice moral « peut résulter
de la violation d’un droit de l’homme, comme une conséquence
automatique, sans qu’il soit besoin de l’établir autrement ».?° Dans de tels
cas, la Cour octroie un montant forfaitaire.
95. Ayant constaté que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à une
assistance judiciaire gratuite, contrairement aux dispositions de l’article
7(1)(c) de la Charte, la Cour estime que le Requérant a subi un préjudice
moral et qu’il a droit à des réparations.
96. Par conséquent, exerçant son pouvoir d'appréciation, la Cour alloue au
Requérant la somme de trois cent mille (300 000) shillings tanzaniens à titre
de réparation du préjudice moral subi du fait de la violation.S!
B. Réparations non-pécuniaires
97. Le Requérant n’a pas spécifiquement conclu sur les demandes de
réparations non pécuniaires. Néanmoins, il demande à la Cour de rendre
27 Xc c. Tanzanie (réparations), supra, 8 34 ; Ai c. Tanzanie (arrêt), supra, 8 150 et Viking et autres c. Tanzanie (réparations), supra, 8 38.
2 Bv c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 55 et Cs c. Tanzanie (fond et réparations), supra, 8 58.
2° Cv et autres c. Xh Ax (réparations), supra, 8 55 et Bw AN Xh Ax (réparations), supra, 8 58.
3 Cv et autres c. Xh Ax (réparations), supra, 88 61 et 62.
31 Evarist c. Tanzanie (fond), supra, 8 90 et Cm c. Tanzanie (fond), supra, 8 111.
en sa faveur « toute(s) autre(s) mesure(s) qu’elle jugera appropriée(s) dans
les circonstances de l’espèce ».
98. L'État défendeur, pour sa part, a conclu au débouté.
99. Le Requérant n’ayant pas précisé ses prétentions, ni apporté des éléments
de preuve à l’appui, la Cour estime qu’elle ne peut faire droit à sa demande
de réparations non pécuniaires. En conséquence, la Cour l’en déboute.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
100. Le Requérant n’a pas conclu sur les frais de procédure.
101. L'État défendeur, quant à lui, demande que les frais de la présente
procédure soient mis à la charge du Requérant.
102. La Cour relève qu'aux termes de la règle 32(2) de son Règlement, « à moins
que la Cour n’en décide autrement, chaque partie supporte ses frais de
procédure ».
103. La Cour estime, en l’espèce, qu’il n’y a aucune raison de s’écarter du
principe posé par ce texte et ordonne que chaque Partie supporte ses frais
de procédure.
104. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
Sur la compétence
i._ Rejette l’exception d’incompétence matérielle ;
Sur la recevabilité
ii. Rejette l’exception d’irrecevabilité de la Requête ;
iv. Déclare la Requête recevable.
Sur le fond
v. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à la
non-discrimination, protégé par l’article 2 de la Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à
une égale protection de la loi, protégé par l’article 3(2) de la
Charte ;
vi. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit du Requérant à un
procès équitable, protégé par l’article 7(1)(a) de la Charte ;
viï. Dit que l’État défendeur a violé le droit du Requérant à un procès
équitable, protégé par l’article 7(1)(c) de la Charte, lu
conjointement avec l’article 14(3)(d) du PIDCP, du fait du défaut
d'assistance judiciaire gratuite.
Sur les réparations
Réparations pécuniaires
ix. Rejette la demande de réparation du Requérant au titre du
préjudice matériel ;
x. Ordonne à l’État défendeur de verser au Requérant la somme de
trois cent mille (300 000) shillings tanzaniens à titre de réparation
du préjudice morale subi du fait de la violation de son droit à une
assistance judiciaire gratuite ;
xi. Ordonne à l’État défendeur de verser le montant indiqué à l’alinéa
(x) ci-dessus en franchise d’impôts, dans un délai de six (6) mois,
à partir de la date de signification du présent Arrêt, faute de quoi
il devra payer également des intérêts moratoires calculés sur la
base du taux applicable fixé par la Banque centrale de la
République-Unie de Tanzanie, pendant toute la période de retard
de paiement et jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
Réparations non pécuniaires
xi. Rejette la demande de réparations non pécuniaires
Sur la mise en œuvre et la soumission de rapport
xii. Ordonne à l'État défendeur de lui soumettre, dans un délai de six
(6) mois à compter de la date de signification du présent Arrêt,
un rapport sur les mesures prises en vue de la mise en œuvre
des mesures qui y sont ordonnées et, ce, tous les six (6) mois,
jusqu’à ce que la Cour considère que le présent arrêt a été
entièrement exécuté.
Sur les frais de procédure
xiv. Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fran fausse
Ben KIOKO, Juge ; MES
Rafaâ BEN ACHOUR, Juge ; He a sle) ,
Suzanne MENGUE, Juge ; Ps +=
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Lai Oiponila
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge ge
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge g ; 9 Æ c 1
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.
Fait à Arusha, ce troisième jour du mois de septembre de l’année deux-mille vingt- quatre, en anglais et en français, le texte anglais faisant foi.