AFRICAN UNION UNION AFRICAINE AFRICAN COURT ON HUMAN AND PEOPLES” RIGHTS
COUR AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME ET DES PEUPLES
AFFAIRE
C X
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
REQUÊTE N° 021/2018
ARRÊT SOMMAIRE
SOMMAIRE
I LES PARTIES
Il OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
B. Violations alléguées
IN. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
IV DEMANDES DES PARTIES
SUR LA COMPÉTENCE
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
B. Sur les autres aspects de la compétence 10
VI SUR LA RECEVABILITÉ 10
A Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de l’incompatibilité de la Requête avec
l’Acte constitutif de l’Union africaine 12
Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours internes
13
! Sur la procédure de licenciement 16
ii. Sur la procédure dirigée contre les avocats du Requérant 17
iii. Sur la procédure dirigée contre le Commissaire central de Cotonou, le
Directeur général de la police et le ministre de l'Intérieur 18
iv. Sur la procédure relative à la tentative de meurtre sur la personne du père
du Requérant 20
C. Sur l'exception d’irrecevabilité tirée de l'introduction de la Requête dans un
délai non-raisonnable relativement à la procédure dirigée contre ses avocats
21
D. Sur les autres conditions de recevabilité relatives à la procédure dirigée
contre les avocats 23
DIR SUR LE FOND 24
DAIIR SUR LES RÉPARATIONS 27
IX SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE 28
DISPOSITIF 28 La Cour composée de : Modibo SACKO, Vice-président, Ben KIOKO, Rafaâ BEN
ACHOUR, Suzanne MENGUE, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise
TCHIKAYA, Stella |. ANUKAM, Dumisa B. NTSEBEZA, Dennis D. ADJEI — Juges, et
de Robert ENO, Greffier.
En l’affaire :
C X
assurant lui-même sa défense
Contre
RÉPUBLIQUE DU BÉNIN
représentée par
M. Ax Y, Agent Judiciaire du Trésor.
Après en avoir délibéré,
rend le présent Arrêt :
I. LES PARTIES
1. Le sieur C X (ci-après dénommé le « Requérant ») de
nationalité béninoise, était au moment de l’introduction de la présente
Requête, représentant du personnel au sein de la Bank of Africa (ci-après
« BOA », agence du Bénin. Il allègue que son droit à un procès équitable a
été violé dans le cadre des procédures devant les juridictions internes.
2. La Requête est dirigée contre la République du Bénin (ci-après
dénommée !’ « État défendeur ») devenue partie à la Charte africaine des
droits de l'Homme et des peuples (ci-après, désignée la « Charte ») le 21
octobre 1986 et au Protocole relatif à la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de
l’homme et des peuples (ci-après désigné le « Protocole ») le 22 août 2014.
L’État Défendeur a, en outre, déposé le 08 février 2016, la déclaration
prévue à l’article 34(6) dudit Protocole (ci-après désignée la
« Déclaration ») en vertu de laquelle il accepte la compétence de la Cour
pour recevoir les requêtes émanant des individus et des organisations non
gouvernementales ayant le statut d’observateur auprès de la Commission
africaine des droits de l’homme et des peuples. Le 25 mars 2020, l’État
défendeur a déposé auprès de la Commission de l’Union africaine (ci-après
dénommée la « Commission de l’UA ») l'instrument de retrait de ladite
Déclaration. La Cour a jugé que ce retrait n’a aucun effet sur les affaires
pendantes, ni sur les nouvelles affaires dont elle a été saisie avant l’entrée
en vigueur dudit retrait, soit le 26 mars 2021."
Il. OBJET DE LA REQUÊTE
A. Faits de la cause
3. 1lressort de la Requête introductive d’instance que suite à son licenciement,
le Requérant a saisi l'Inspection du travail de Cotonou qui, le 8 mai 2007, a
dressé un procès-verbal de non-conciliation. À la suite de cette procédure,
le Requérant a saisi le Tribunal de première instance de Cotonou (Tribunal
de Cotonou) qui l’a débouté par jugement du 29 juillet 2011. Le Requérant
ajoute qu’en mai 2013, il a interjeté appel dudit jugement devant la Cour
d’appel de Br qui n’a pas vidé sa saisine.
1 XYZ c. Bénin (mesures provisoires) (3 avril 2020) 4 RICA 51, 82.
4. Le Requérant déclare que les avocats AHOMENOU Michel et BALOGOUN
Christel qu’il a constitués et qui l’ont représenté dans ces différentes
procédures ayant manqué à leur devoir de probité, de loyauté et de
diligence. Il a saisi la Cour constitutionnelle à leur égard pour violation de
l’article 35 de la Constitution de l’État défendeur (la « Constitution ») et de
l’article 7 de la Charte. Il ajoute que par décision DCC 16-02 du 02
novembre 2016, la Cour constitutionnelle s’est déclarée incompétente.
5. En outre, le Requérant note que le 29 décembre 2015, il a déposé une
plainte au commissariat central de Cotonou contre son chauffeur le sieur
Af B A, pour la rétention abusive de son véhicule. Selon
le Requérant, malgré une tentative infructueuse de règlement amiable,
l’officier de police judiciaire n’a pas transmis la plainte au procureur de la
République de Cotonou. Il soutient, à cet égard, avoir sollicité, en vain,
l'intervention du ministre de l'Intérieur et de la Sécurité publique (ministre
6. Insatisfait du traitement de cette autre affaire, le Requérant fait valoir qu’il a
saisi la Cour constitutionnelle de deux requêtes dirigées, l’une contre le
Commissaire central de Cotonou et le Directeur général de la police et
l’autre, contre le ministre de l’Intérieur pour violation du droit à un recours.
Par décision DCC 16 — 121 du 04 août 2016,? la Cour constitutionnelle s'est
déclarée incompétente pour connaître de la première requête et a débouté
le Requérant de la seconde par décision DCC 17-092 du 04 mai 2017.
7. Le Requérant déclare, enfin, que dans le cadre d’une troisième procédure,
il a déposé au parquet près le Tribunal de Cotonou contre l’ancien président
de la République une plainte pour tentative d’assassinat de son père qui est
restée sans suite. Il ajoute que du fait de l’inertie du président de la
République en exercice dans ladite affaire, il a formé un recours contre
celui-ci devant la Cour constitutionnelle pour parjure et violation des articles
2 Cour constitutionnelle de la République du Bénin, DECISION DCC 16 — 121 du 04 août 2016, Requérant : C X, la Cour constitutionnelle, Décide, article 1°" : - La Cour est incompétente.
35 et 59 de la Constitution. Le Requérant déclare que par décision DCC 18-
090 du 12 avril 2018, la Cour constitutionnelle l’a débouté dudit recours.®
B. Violations alléguées
8. Le Requérant allègue, que dans le cadre du traitement de toutes les affaires
rappelées plus haut devant les juridictions internes, son droit à un procès
équitable protégé à l’article 7(1)(a) de la Charte et son droit à la propriété
garanti à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques (PIDCP) ont été violés.
Il. RÉSUMÉ DE LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CÉANS
9. Le 4 septembre 2018, le Greffe a reçu la Requête introductive d’instance
qui a été communiquée à l’État défendeur aux fins de dépôt de sa réponse
dans un délai de soixante (60) jours ensuite prorogé de quarante-cinq (45)
jours.
10. Toutes les écritures et pièces de procédure ont été déposées dans les
délais impartis par la Cour.
11. Les débats ont été clôturés le 15 octobre 2019 et les Parties en ont reçu
notification.
IV. DEMANDES DES PARTIES
12. Le Requérant demande à la Cour de :
3 Cour constitutionnelle de la République du Bénin, DECISION DCC 18-090 DU 12 AVRIL 2018, Requérant : C X, la Cour constitutionnelle, Décide, article 1°" : - Il n’y a pas violation de la Constitution.
ii Constater que dans la première affaire relative au licenciement, le
recours déposé le 26 janvier 2016 devant la Cour constitutionnelle ayant
révélé son inutilité et son inefficacité pour réparer le préjudice subi, l’État
béninois n’a pas respecté son engagement sous l’article 2(3) de garantir
que ses citoyens, dont les droits et libertés reconnus au PIDCP, c'’est-à-
dire le droit à un procès équitable et le droit à la réparation ont été violés,
disposent d’un recours utile tendant à réparer le préjudice subi et qu’une
autorité compétente puisse en être saisie afin d’y statuer ;
ii. Constater que la durée de la procédure initiée depuis 2001 pour
recouvrer des droits, à la suite d’un conflit de travail est excessivement
longue et dépasse les délais raisonnables, et qu’il est, de ce fait, difficile
d’obtenir un jugement définitif dans cette affaire en 2018 et de même, il
est peu probable qu’un jugement définitif intervienne en 2019 ;
ii. Dire et juger que l’État béninois a violé l’article 14(1) du PIDCP ;
iv. Dire et juger qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 2 du PIDCP, l’État
défendeur est tenu d'assurer en cas de violation des dispositions du
Pacte, un recours utile et exécutoire et donc, que l’État défendeur a
l’obligation d’accorder, de ce fait, une réparation intégrale et une
indemnisation adéquate correspondant au préjudice subi pour la
violation des articles 2(3) et 14(1) du PIDCP ;
v. Constater que dans la deuxième affaire relative à la plainte pour
rétention de son véhicule, il y a eu une foison de recours qui n’ont pas
été effectifs et constituent une violation de l’article 8 de la DUDH et qu’en
refusant d’instruire son recours contre le Directeur général de la police
nationale, la Cour constitutionnelle du Bénin a également violé l’article 8
de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH) ;
vi. Dire et juger qu’en refusant de transmettre la plainte au procureur de la
République dans la deuxième affaire, la police du commissariat central
de Cotonou a violé l’article 10 de la DUDH et l’article 7 de la Charte ;
vii. Dire et juger que le véhicule sous crédit-bail étant sa propriété et l’option
d'achat n’ayant jamais été levée par le chauffeur, il en a été
arbitrairement privé et la responsabilité en incombe à l’État qui a reçu
ses plaintes, mais ne lui a pas offert de recours effectif ;
viii. Dire et juger que l’État défendeur a violé, dans son affaire de véhicule
commercial, l’article 17 de la DUDH et l’article 14 Charte ;
ix. Constater que dans la troisième affaire relative à la tentative de meurtre
sur son père, il a saisi le procureur de la République en juin 2006 suite à l’agression à main armée dont son père a été victime en 2004 et
affirme avoir envoyé copie de ladite plainte au président de la
République qui était en fonction en juin 2006 au Bénin ;
x. Dire et juger que le procès n’ayant jamais eu lieu, la justice et la
présidence de la République ne lui ayant pas écrit à ce jour pour
l'’informer de la conduite à tenir et aucune action tangible n'ayant été
posée dans cette affaire, que son recours devant le procureur n’a pas
été effectif et que sa cause n’a pas été entendue ;
xi. Dire et juger que dans cette troisième affaire, la justice béninoise a violé
les articles 8 et 10 de la DUDH et l’article 7 de la Charte ;
xii. Constater que les faits internationalement illicites et qui engagent la
responsabilité internationale de l’État béninois sont nombreux ;
xiii. Dire et juger que l’État béninois est tenu de réparer intégralement le
préjudice causé, chacune des violations donnant droit à réparation ;
xiv. Condamner l’État béninois à lui allouer la somme d’un million de francs
CFA (1.000.000 FCFA) au titre du préjudice matériel ;
xv. Condamner l’État béninois à lui ‘allouer la somme de cinq milliards de
francs CFA (5.000.000.000 FCFA) au titre du préjudice moral ;
xvi. Ordonner à l’État du Bénin de payer tous les montants indiqués dans
l’arrêt qui sera rendu dans un délai de six (6) mois à compter du jour où
l'arrêt aura été rendu, faute de quoi l’État béninois aura également à
payer un intérêt moratoire calculé sur la base du taux applicable par la
Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) durant toute la
période de retard et jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
13. L'État défendeur demande à la Cour de :
|. Constater que la cause porte sur un différend de droit privé entre
particuliers ;
il. Constater que la demande ne vise pas à contrôler la violation de droits
garantis par la Charte et autres instruments juridiques internationaux ;
ii. Constater que la demande n’est pas postérieure à l’épuisement des
recours internes ;
iv. Constater que la demande n’est pas introduite dans un délai
raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ;
v. Constater que le demandeur allègue que ses différents avocats lui ont
fait perdre du temps ;
vi. Constater que l’État défendeur n’a en rien entravé le droit à un procès
équitable du demandeur ;
vil. Constater que l’État défendeur n’est pas intervenu dans la gestion du
contentieux social entre le demandeur et ses avocats ;
vi. Constater que l’État défendeur n’a causé aucun préjudice au
demandeur ;
ix. Constater que la demande ne tend pas, en réalité, au contrôle
d’obligations de l’État défendeur en vertu des instruments juridiques
internationaux relatifs aux droits de l'homme ;
x. Constater que la demande ne vise aucun manquement de l’État
défendeur à ses obligations en vertu des instruments juridiques
internationaux relatifs aux droits de l'homme ;
xi. Constater que la demande n’est pas postérieure à l'épuisement des
recours internes ;
xi. Constater que la demande n’est pas introduite dans un délai
raisonnable courant depuis l’épuisement des recours internes ;
xiii. Constater que le demandeur a l’opportunité de saisir les juridictions
pénales en cas de désaccord avec les autorités de police sur le
caractère civil ou non de sa demande ;
xiv. Constater que le demandeur n’a engagé aucune action tendant à citer
ses contradicteurs devant le juge judiciaire ;
xv. Constater que la Cour constitutionnelle saisie par le demandeur s’est
prononcée à deux (02) reprises ;
xvi. Constater que les agents de police ont restitué au demandeur les
sommes qu’ils détenaient pour le compte de ce dernier ;
xvii. Constater que l’État défendeur est tiers au contrat entre le demandeur
et son chauffeur ;
xviii. Constater que l’État défendeur n’a commis aucune faute pouvant
engager sa responsabilité ;
xix. Constater que l’État défendeur n’est pas responsable des choix
procéduraux contentieux du demandeur ;
xx. Constater que l'affaire n’a aucun rapport avec le demandeur ;
xxi. Constater que le demandeur affirme qu'il n’est pas victime directe ;
xxii. Dès lors, déclarer la demande irrecevable pour défaut d’intérêt ;
xxiii. Constater que le demandeur affirme que le préjudice n’est pas
évident ;
xxiv. Constater que l’État défendeur n’a commis aucune faute.
xxv. Se déclarer incompétente et par conséquent rejeter la demande
V. SUR LA COMPÉTENCE
14. L'article 3 du Protocole dispose :
1. La Cour a compétence pour connaître de toutes les affaires et de
tous les différends dont elle est saisie concernant l'interprétation
et l’application de la Charte, du présent Protocole, et de tout autre
instrument pertinent relatif aux droits de l’homme et ratifié par les
États concernés.
2. En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est
compétente, la Cour décide.
15. Par ailleurs, aux termes de la règle 49(1) du Règlement,* « la Cour procède
à un examen préliminaire de sa compétence [.…] conformément à la Charte,
au Protocole et au présent Règlement ».
16. Sur le fondement des dispositions précitées, la Cour doit, dans chaque
requête, procéder à un examen préliminaire de sa compétence et statuer
sur les éventuelles exceptions d’incompétence.
17. La Cour note que l’État défendeur soulève une exception d’incompétence
matérielle sur laquelle elle va statuer avant d’examiner, si nécessaire, les
autres aspects de sa compétence.
A. Sur l’exception d’incompétence matérielle
18. L'État défendeur soulève l’incompétence de la Cour en soutenant que la
Requête ne vise pas à faire constater la violation de droits garantis par la
4 Article 39(1) du Règlement intérieur de la Cour du 02 juin 2010.
Charte et d’autres instruments juridiques internationaux, ni le respect par
l’État défendeur de ses obligations au titre desdits instruments.
19. Le Requérant conclut au rejet de l’exception en soutenant que sa Requête
est relative aux violations de droits de l'homme tels que protégés par des
instruments ratifiés par l’État, à savoir la Charte, le PIDCP et la DUDH.
20. La Cour note que sur le fondement de l’article 3(1) du Protocole, elle est
compétente pour connaître de « toutes les affaires et de tous les différends
dont elle est saisie concernant l’interprétation et l’application de la Charte,
du [...] Protocole et de tout autre instrument pertinent relatif aux droits de
l'homme et ratifié par les États concernés ».
21. La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante, sa compétence
matérielle repose sur l’allégation, par le Requérant, de violations de droits
de l’homme protégés par la Charte ou par tout autre instrument des droits
de l’homme ratifié par l’État défendeur.
22. La Cour relève, qu’en l’espèce, le Requérant allègue la violation du droit à
un procès équitable, protégé par les articles 7 de la Charte et 2(3) du
PIDCP, et du droit à la propriété, protégé par les articles 14 de la Charte,
14(1) du PIDCP et 17 de la DUDH.
23. En conséquence, la Cour rejette l’exception d’incompétence matérielle et
se déclare compétente sur cet aspect.
5 Bd Ac Am et autres c. République-Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RICA 371, 8 74 ; By As c. République Unie de Tanzanie (recevabilité) (28 mars 2014) 1 RICA 413, 8 118.
B. Sur les autres aspects de la compétence
24. La Cour observe qu'aucune exception n’a été soulevée quant à sa
compétence personnelle, temporelle ou territoriale. Néanmoins, elle doit
s'assurer que sa compétence est établie quant à ces aspects. À cet effet,
la Cour note qu’elle a :
ii La compétence personnelle, puisque, comme indiqué au paragraphe
2 du présent Arrêt, le 25 mars 2020, l’État défendeur a fait la
Déclaration. Sur ce point, la Cour réitère sa jurisprudence selon
laquelle le retrait par l’État défendeur de la Déclaration n’a pas d'effet
rétroactif et n’a aucune incidence, ni sur les affaires pendantes au
moment dudit retrait, ni sur les nouvelles affaires dont elle à été saisie
avant que ledit retrait ne prenne effet, douze (12) mois après le dépôt
de l'instrument y relatif, soit le 26 mars 2021. La Requête ayant été
introduite, le 4 septembre 2018, donc avant le retrait de la
Déclaration, n’en est donc pas affectée.
i. La compétence temporelle, étant donné que toutes les violations
alléguées se sont produites après que l’État défendeur est devenu
partie à la Charte et au Protocole comme mentionné au paragraphe
2 du présent Arrêt.
ii. La compétence territoriale, dès lors que les violations alléguées par
le Requérant sont survenues sur le territoire de l’État défendeur.
25. En conséquence, la Cour considère qu’elle est compétente pour connaître
de la présente Requête.
VI. SUR LA RECEVABILITÉ
26. Aux termes de l’article 6(2) du Protocole, « la Cour statue sur la recevabilité
des requêtes en tenant compte des dispositions énoncées à l’article 56 de
la Charte ».
27. Conformément à la règle 50(1) du Règlement, « la Cour procède à un
examen de la recevabilité de la requête conformément à l’article 56 de la
Charte, au Protocole et au présent Règlement ».°
28. La règle 50(2) du Règlement qui reprend en substance l’article 56 de la
Charte, dispose :
Les requêtes introduites devant la Cour doivent remplir toutes les conditions
ci-après :
a. Indiquer l'identité de leur auteur, même si celui-ci demande à la Cour
de garder l’anonymat ;
b. Être compatibles avec l’Acte constitutif de l’Union africaine (ci-après
désigné « Acte constitutif ») et la Charte ;
c. Ne pas être rédigées dans des termes outrageants ou insultants à
l'égard de l’État concerné et ses institutions ou de l’Union africaine ;
d. Ne pas se limiter à rassembler exclusivement des nouvelles
diffusées par les moyens de communication de masse ;
e. Être postérieures à l'épuisement des recours internes s’ils existent,
à moins qu’il ne soit manifeste à la Cour que la procédure de ces
recours se prolonge de façon anormale ;
f. Être introduites dans un délai raisonnable courant depuis
l'épuisement des recours internes ou depuis la date retenue par la
Cour comme faisant commencer à courir le délai de sa saisine ;
g. Ne pas concerner des affaires qui ont été réglées par les États
concernés, conformément aux principes de la Charte des Nations
Unies, de l’Acte constitutif de l’Union africaine ou des dispositions
de la Charte.
29. La Cour note que l’État défendeur soulève trois exceptions d’irrecevabilité
de la Requête tirées respectivement de l’incompatibilité de la Requête avec
l’Acte constitutif de l’Union africaine («l’Acte constitutif »), du non-
épuisement des recours internes et du défaut de dépôt de la Requête dans
un délai raisonnable. La Cour va statuer sur lesdites exceptions avant
d'examiner, si nécessaire, les autres conditions de recevabilité.
8 Article 40 du Règlement du 02 juin 2010.
A. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de l’incompatibilité de la Requête
avec l’Acte constitutif de l’Union africaine
30. L'État défendeur fait valoir que pour être recevable, la Requête doit indiquer
les dispositions des instruments juridiques internationaux qui auraient été
violés par l’État défendeur. Il invoque, à cet égard, une décision dans
laquelle la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples a
déclaré une communication irrecevable au motif que les allégations de
violations de droits de l’homme étaient vagues.”
31. Il affirme que l’allégation de violation du droit à un procès équitable se
rapporte à un litige de droit privé entre le Requérant et son employeur ayant
fait l’objet d’une procédure qui serait anormalement longue dans laquelle
aucun grief n’a été soulevé contre lui.
32. 1l en déduit que la Requête est incompatible avec l’Acte constitutif de l’Union
africaine et demande, en conséquence, à la Cour, conformément à sa
jurisprudence, de déclarer la Requête irrecevable.
33. Le Requérant n’a pas répliqué sur ce point.
34. La Cour note que les demandes formulées par le Requérant visent à
protéger ses droits garantis par la Charte, précisément son droit à un procès
équitable. En outre, l’un des objectifs de l’Acte constitutif, tel qu’énoncé à
son article 3(h), est la promotion et la protection des droits de l'homme et
des peuples. Par ailleurs, la Requête ne contient aucune demande qui soit
incompatible avec une disposition dudit Acte.
7 Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Communication Bw Bu c. Libéria, requête n°1/88, 26 octobre 1988, 8 4.
35. En conséquence, la Cour rejette l’exception et considère que la Requête
est compatible avec l’Acte constitutif et satisfait, donc, à l’exigence de la
règle 50(2)(b) du Règlement.
B. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée du non-épuisement des recours
internes
36. L'État défendeur fait valoir que le Requérant ne prouve pas qu’il a utilement
saisi les juridictions nationales contre les personnes responsables des
griefs qu’il soulève. Selon l’État défendeur, le Requérant n’apporte pas non
plus la preuve que les recours internes sont inefficaces ou inutiles.
37. En outre, relativement à l’affirmation du Requérant selon laquelle la
Requête dont il a saisi la Cour constitutionnelle concernant ses avocats est
restée sans suite, l’État défendeur rappelle que cette haute juridiction est
compétente pour connaître des litiges opposant les citoyens à l’État et non
pour ceux de droit privé opposant un avocat à ses clients.
38. L'État défendeur en conclut que les recours internes n’ont pas été
épuisés et que la présente Requête doit être déclarée irrecevable.
39. Le Requérant conclut au rejet de l’exception. Il soutient, en effet, que la
règle de l’épuisement des recours internes ne peut, en l’espèce, lui être
opposée dans la mesure où les recours disponibles se prolongent de façon
anormale et sont par conséquent, inefficaces.
40. 1l soutient que la Cour constitutionnelle, garante du respect des droits de la
personne humaine, a rendu le 26 janvier 2016, dans l'affaire l’opposant à
ses deux avocats, une décision non conforme à l’article 2, paragraphe 3, du
PIDCP. Selon lui, ce recours n’est pas de nature à réparer les préjudices
subis en cas de violation des droits de l’homme et est, donc, inefficace.
41. Le Requérant allègue, en outre, que pour tenter de faire cesser la violation
de ses droits fondamentaux par la police béninoise, il a exercé plusieurs
recours devant les juridictions de droit commun et devant la Cour
constitutionnelle.
42. || rappelle ainsi d’une part, que suite à son licenciement, ayant saisi
l'Inspection du travail, le 6 novembre 2001, c’est seulement le 8 mai 2007,
soit six (6) ans plus tard, que ladite Inspection a dressé un procès-verbal de
non-conciliation.8
43. Le Requérant avance en outre que, le 31 juillet 2007, il a saisi le Tribunal
de Cotonou dans la même affaire mais a été débouté par jugement du 29
juillet 2011. Selon le Requérant, dans la procédure d'appel qu’il a interjeté
dudit jugement, la Cour d’appel de Cotonou n’a pu vider sa saisine pour
défaut de conclusions d’appel.
44. Le Requérant affirme, par ailleurs, qu’il a saisi la Cour constitutionnelle de
différentes requêtes aux dates suivantes : les 30 janvier 2016 et 4 août 2016
contre le Commissaire central de Cotonou et le Directeur général de la
police ; le 26 janvier 2016 contre Av Cb et Ah Bc,
tous avocats ; le 12 décembre 2016, contre le ministre de l'Intérieur et le 14
février 2017, contre le président de la République.
45. Le Requérant ajoute que la Cour constitutionnelle s’est déclarée
incompétente pour connaître aussi bien des requêtes dirigées contre
Av Cb et Ah Bc, tous avocats ; que celles dirigées
contre le Commissaire central de Cotonou et le Directeur général de la
8 Le différend porte sur les réclamations suivantes : indemnité compensatrice de congés payés d’un montant de quatre cent quatre-vingt-huit mille sept cent trente-huit mille francs CFA (488.738), indemnité au titre de licenciement du délégué du personnel d’un montant de dix millions francs CFA (10.000.000), des dommages et intérêts d’un montant de trois cents millions de francs CFA (300.000.000) ainsi que la délivrance d’un bulletin de paie et qu’un certificat de travail.
9 Cour constitutionnelle de la République du Bénin, décisions DCC 16 — 121 du 04 août 2016 et DCC 16-164 du 02 novembre 2016.
46. || en conclut que les recours internes ont été épuisés.
47. La Cour rappelle que conformément aux articles 56(5) de la Charte et
50(2)(e) du Règlement, les requêtes doivent être postérieures à
l'épuisement des recours internes s’ils existent, à moins qu’il ne soit
manifeste que la procédure de ces recours se prolonge de façon
48. La Cour relève, que l’exigence de l’épuisement des recours internes
préalablement à la saisine d’une juridiction internationale des droits de
l’homme est une règle internationalement reconnue et acceptée.!!
49. La Cour rappelle en outre, conformément à sa jurisprudence constante, que
les recours internes à épuiser doivent être disponibles, efficaces et
satisfaisants. Par ailleurs, il ne suffit pas qu’un recours existe pour satisfaire
à la règle de l’épuisement des recours étant entendu qu’un Requérant n’est
tenu d’épuiser un recours qu’autant qu'il offre des perspectives de succès.!?
50. Tel qu’il ressort par ailleurs de la jurisprudence de la Cour, il est exigé du
Requérant qu’il ne se limite pas à arguer de l’épuisement, mais qu’il ait
effectivement entrepris les diligences prévues par les procédures internes
à cet égard.!*
51. La Cour note qu’en l’espèce, les recours internes exercés par le Requérant
sont en rapport avec quatre procédures notamment celles relatives : i) à
19 Ak Ab Aa c. République-Unie de Tanzanie (fond et réparations) (26 juin 2020) 4 RICA 219, 8 52.
1! Aq Bm c. République du Mali (recevabilité) (25 septembre 2020) 4 RICA 672, 839.
12 Ayants droit de feu Bo Bi, Be Ay dit Ablasse, Bj Bi et Az Al et Mouvement Burkinabè des droits de l'homme et des peuples c. Ar Bp, Arrêt (fond) (28 mars 2014), 1 RICA 226, 8 68 ; Ai Bf Au c. Ar Bp (fond) 1 RICA 324, 88 92 et 108 ; Bv Bn Cc An Aj c. République du Bénin (fond et réparations) (04 décembre 2020) 4 RICA 149, 8 99.
13 Bk Bt c. République du Mali, CAÏDHP, Requête n° 038/2019, Arrêt du 5 septembre 2023,
son licenciement ; ii) à la plainte contre les avocats ; iii) aux plaintes contre
le Commissaire central de Cotonou, le Directeur général de la police
nationale et le ministre de l'Intérieur ; et iv) à la plainte pour tentative de
meurtre sur son père. La Cour va examiner la conformité de la Requête à
la condition de l'épuisement des recours internes concernant ces
procédures.
ii Sur la procédure de licenciement
52. Concernant la procédure de licenciement du Requérant, la Cour note que
l’État défendeur avance que le Requérant n’a pas épuisé les recours
disponibles. La Cour note par ailleurs que le Requérant lui-même ne nie
pas avoir eu connaissance de ce qu’ayant fait appel du jugement du
Tribunal de Cotonou devant la Cour d’appel de Cotonou, il n’a pas déposé
ses conclusions d’appel, ce qui a empêché la Cour d’appel de vider sa
saisine.
53. La Cour note que l’article 817 du code!* de procédure civile, commerciale,
sociale, administrative et des comptes, de l’État défendeur dispose :
L’appel est porté devant la Cour d’appel. Il est jugé sur pièces.
54. De plus, la Cour relève que la pièce est un document écrit produit devant
les juridictions par les parties à l’appui de leurs prétentions*® et souligne que
les conclusions d’appel en constituent une pièce de procédure tel qu’il
ressort de l’article 896*° qui dispose que :
Les conclusions d’appel doivent formuler expressément les prétentions de la
partie et les moyens sur lesquels ces prétentions sont fondées.
14 Loi n° 2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale sociale, administrative et des comptes.
15 Bb Ae, Vocabulaire juridique, 12° édition mise à jour, Quadrige, PUF, janvier 2018, p. 1617. 16 Loi n°2008-07 du 28 février 2011 portant code de procédure civile, commerciale sociale, administrative et des comptes.
55. La Cour rappelle qu’il ressort du dossier de procédure introduit par le
Requérant devant elle que ce dernier n’a pas déposé les conclusions
d'appel, nécessaires pour l’instruction et le jugement de son dossier devant
la Cour d'appel de l’État défendeur.
56. En conséquence, la Cour conclu que le Requérant n’a pas épuisé les
recours internes par la faute du Requérant qui n’a pas entrepris les
diligences nécessaires à cet effet.
57. En conclusion, la Cour retient l'exception de l’État défendeur sur ce point et
déclare irrecevables les griefs du Requérant en lien avec son licenciement.
iii Sur la procédure dirigée contre les avocats du Requérant
58. La Cour note que le recours introduit par le Requérant devant la Cour
constitutionnelle de l’État défendeur tendait à reprocher aux deux avocats
d’avoir manqué au devoir de probité imposé par la Constitution ainsi qu’aux
exigences de leur profession en ne suivant pas ses instructions quant au
contenu de leurs conclusions et en refusant de lui restituer les honoraires
qui leur avait versé après que leurs relations se furent dégradées. Selon le
Requérant, ce comportement des avocats l’avait empêché d'’agir
efficacement devant les juridictions internes contre le jugement du 29 juillet
2011 rendu par le Tribunal de Cotonou entraînant ainsi une violation de son
droit au procès équitable protégé par l’article 7 de la Charte.
59. La Cour note que la Cour constitutionnelle de l’État défendeur est
compétente pour connaître des allégations de violations de droits de
l’homme.!” Conformément à sa jurisprudence, la Cour rappelle que le
recours devant la Cour constitutionnelle de l’État défendeur est un recours
disponible, efficace et satisfaisant.
17 Article 114 de la Constitution du 11 décembre 1990 libellé ainsi qu’il suit : « La Cour constitutionnelle (…) garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques. (…) ».
60. La Cour relève également que, conformément à l'article 124 alinéas 1 et 318
de la Constitution de l’État défendeur (ci-après désignée la
« Constitution »), les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont
susceptibles d’aucun recours et s'imposent à toutes les autorités civiles,
militaires et juridictionnelles.
61. La Cour note qu’en l’espèce, relativement à son litige contre ses avocats,
le Requérant a introduit un recours devant la Cour constitutionnel de l’État
défendeur pour violation de l’article 7 de la Charte. Cependant par décision
DCC 16-164 du 02 novembre 2016, ladite Cour s’est déclarée incompétente
au motif que « les demandes du Requérant tendent, en réalité, à faire
apprécier par la Cour, les conditions d'application des règles régissant la
profession d'avocat, notamment le règlement n°05/CM/UEMOA du 25
septembre 2014 relatif à l'harmonisation des règles régissant la profession
d'avocat dans l’espace UEMOA (...) qu’une telle appréciation relève du
contrôle de légalité (dont) la Cour constitutionnelle ne saurait connaître ».
62. La Cour de céans souligne que le motif d’incompétence est donc tiré de ce
que la Cour constitutionnelle a été saisie d’un contrôle de légalité d’un texte
communautaire pour lequel il n’existe pas de recours disponible au plan
national.
63. La Cour note par conséquent que le Requérant a épuisé les recours
internes et rejette l’exception soulevée par l’État défendeur sur ce point.
iii. — Sur la procédure dirigée contre le Commissaire central de Cotonou, le
Directeur général de la police et le ministre de l’Intérieur
64. La Cour note que, tel qu’il ressort du dossier, le Requérant a déposé une
plainte contre son chauffeur pour rétention de son véhicule. Ayant estimé
que le Commissaire central de Cotonou n’avait pas transmis son dossier au
18 L'article 124(1) et (3) de la Constitution stipule : « Les décisions de la Cour constitutionnelle ne sont pas susceptibles de recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités civiles, militaires et juridictionnelles ».
procureur de la République de ladite ville, il a saisi le Directeur général de
la police et le ministre de l'Intérieur pour solliciter leur intervention aux fins
de transmission du dossier.
65. N’ayant pas eu la suite escomptée, il a saisi la Cour constitutionnelle contre
ces autorités au moyen qu’elles avaient violées, le devoir de conscience,
de compétence, de probité, de dévouement et de loyauté dans l’intérêt et le
respect du bien commun prescrit à l’article 35 de la Constitution et de son
droit au procès équitable garanti à l’article 7 de la Charte.
66. La Cour de céans note relativement auxdites procédures que dans ses
décisions DCC 16-121 du 4 août 2016 et DCC17-092 du 4 mai 2017, la
Cour constitutionnelle a constaté le défaut pour le Requérant de s’être
conformé à la procédure devant le Commissaire de police, ce qui a
empêché ce dernier de transmettre le dossier ; et que ni le Directeur général
de la police ni le ministre de l’Intérieur n'avait le pouvoir d’interférer dans
ces procédures judiciaires. La Cour constitutionnelle s’est déclarée
incompétente pour connaître de sa saisine, en ce qui concerne le
Commissaire central de Cotonou, pour violation de l’article 35 de la
Constitution et 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des
peuples ; et a débouté le Requérant concernant le recours introduit contre
le ministre de l'Intérieur au motif que la demande du Requérant tendait à
faire intervenir le ministre de l’Intérieur dans une procédure judiciaire encore
pendante.
67. La Cour souligne que la procédure pendante était celle relative à la plainte
déposée contre le chauffeur du Requérant devant le Commissaire central
de Cotonou. À cet égard, la Cour relève qu’en l’absence de transmission du
dossier par le commissaire de police au procureur de la République, le
Requérant avait la possibilité d’exercer trois recours. D'abord, il pouvait, en
vertu de l’article 38 du code de procédure pénale de l’État défendeur (CPP),'° saisir directement le procureur de la République d’une plainte
ayant le même objet. Ensuite, il pouvait déposer une plainte avec
constitution de partie civile, conformément à l’article 90 du CPP. Enfin, le
Requérant pouvait, sur le fondement de l'article 400 du CPP,? saisir le
tribunal de première instance par voie de citation directe.
68. La Cour a jugé que ces recours sont disponibles, efficaces et satisfaisants?
Or, le Requérant n’a pas démontré qu’il a exercé l’un quelconque de ces
recours. Dès lors, la Cour estime que le Requérant n’a pas épuisé les
recours internes relativement à la procédure dirigée contre le Commissaire
de la police centrale de Cotonou, le Directeur général de la police et le
ministre de l’Intérieur.
iv. Sur la procédure relative à la tentative de meurtre sur la personne du
père du Requérant
69. La Cour note que dans le cadre de cette procédure, le Requérant, face à
l’inaction de procureur de la République qu’il avait saisi, a transmis une
lettre au président de la République en exercice pour requérir son
intervention, sans succès, avant de saisir la Cour constitutionnelle. Le
recours introduit par le Requérant devant la Cour constitutionnelle contre le
président de la République tendait à faire dire à la haute juridiction que le
fait pour le président de la République de n’être pas intervenu pour faire agir
le procureur constitue une violation des articles 35° et 59“ de la
Constitution et par ricochet de son droit à un procès équitable garanti à
l’article 7 de la Charte.
19 L’article 38 du code de procédure pénale de l’État défendeur (CPP) dispose : « Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner. ».
20 L'article 90 du CPP dispose : « Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut adresser une plainte avec constitution de partie civile au président du tribunal qui en saisit le juge
2! L’article 400 du CPP dispose : « La partie civile qui cite directement un prévenu devant un tribunal de première instance fait, dans l’acte de citation, à peine de nullité, élection de domicile dans la localité où siège ce tribunal à moins qu’elle n’y soit domiciliée ».
22 Bs c. Tanzanie, supra, 8 37.
23 Ibid.
24 L'article 59 de la Constitution dispose : « Le Président de la République assure l’exécution des lois et garantit celle des décisions de justice ».
70. Dans la décision DCC18-090 du 12 avril 2018 qu’elle a rendu à cet égard,
la Cour constitutionnelle a débouté le Requérant au motif que la demande
de ce dernier tendait à faire intervenir le président de la République dans
une procédure judiciaire en cours. Selon la haute juridiction, une telle
intervention aurait violé la séparation des pouvoirs garanti à l’article 125 de
la Constitution.?* En tout état de cause, la Cour de céans note que dans
l’ordonnancement judiciaire de l’État défendeur, lorsque le procureur saisit
n’agit pas, les justiciables ont la possibilité de saisir le juge d'instruction par
voie d’action. Il en découle qu’en l'espèce, pour vaincre l’inaction du
procureur, le Requérant aurait pu user de cette voie de recours, ce qu’il n’a
pas fait.
71. En conséquence, la Cour conclut que les recours n’ont pas non plus été
épuisés concernant cette dernière procédure et retient donc l’exception
soulevée par l’État défendeur à cet égard.
72. Au vu de tout ce qui précède, la Cour considère que la présente Requête
ne satisfait pas à la condition de l’épuisement des recours internes énoncée
à l’article 56(5) de la Charte sur l’ensemble des chefs d’allégation à
l'exception de celui tiré du grief du Requérant contre ses avocats.
C. Sur l’exception d’irrecevabilité tirée de l’introduction de la Requête dans
un délai non-raisonnable relativement à la procédure dirigée contre ses
avocats
73. L'État défendeur fait valoir que le Requérant est responsable de la durée
de cette procédure, car il allègue dans son dossier de procédure que ce
manquement résulte du défaut de diligences de ses avocats.
25 L'article 125 dispose : « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ».
26 Goh Bz et Autres c. République de Côte d'Ivoire, CAfDHP, Jonction d’Instances Requêtes n° 017/2019, 018/2019 et 019/2019, Arrêt du 4 juin 2024, 8 39.
74. Il relève que la gestion hasardeuse, les mauvaises stratégies procédurales
et l’inconstance du demandeur se sont révélées contre-productrices. De ce
fait, le Requérant ne peut qu’assumer sa propre responsabilité.
75. Le Requérant soutient que suivant sa démarche procédurale, il n’y a pas,
d’une part lieu d'apprécier si la requête a été déposé dans un délai
raisonnable du fait de l’absence de l’épuisement de voies de recours
internes ; d’autre part, il souligne que la dernière décision a été rendue le
02 novembre 2016 et la Requête a été déposée le 04 septembre 2018
devant la Cour de céans.
76. Il en conclut que ce délai ne paraît pas tardif et la Requête devrait donc être
déclarée recevable par la Cour.
77. La Cour de céans note qu’entre la décision de la Cour constitutionnelle de
l’État défendeur relative à la procédure contre les avocats et l’introduction
de la présente Requête, il s’est écoulé un délai d’un (1) an et dix (10) mois.
Il revient à déterminer si un tel délai est raisonnable au sens de l’article
56(6) de la Charte.
78. La Cour a constamment considéré que « [I]e caractère raisonnable du délai
de sa saisine dépend des circonstances de chaque affaire et qu’elle doit le
déterminer au cas par cas ».27 À cet égard, la Cour a pris en compte, entre
autres facteurs, le temps qui était nécessaire au Requérant pour réfléchir à
l'opportunité de préparer et d'introduire sa Requête.” Par ailleurs, il ressort
de la jurisprudence de la Cour que dans les circonstances où le délai en
27 Bi et autres c. Ar Bp (fond), supra, 8 92. Voir également Bx c. Tanzanie (fond), supra, 8 73.
28 Ca Ao c. République-Unie de Tanzanie, CATDHP, Requête n° 020/2017, Arrêt du 1°" décembre 2022 (fond et réparations), 8 35 ; et Bi et autres c. Ar Bp (exceptions préliminaires), supra, 8 122.
cause est relativement court, il y a lieu de considérer qu’il est manifestement
79. Eu égard aux circonstances de l’espèce, la Cour estime que le délai d’un
(1) an et dix (10) mois observé par le Requérant pour la saisir est
manifestement raisonnable au sens de l’article 56(6) de la Charte.
80. En conséquence, la Cour rejette l’exception soulevée par l’État défendeur
sur ce point.
81. La Cour rappelle, par ailleurs que les conditions de recevabilité d’une
requête sont cumulatives de telle sorte que dès que l’une d’entre elles n’est
pas remplie, c’est l'entière Requête qui s’en trouve irrecevable.®°
82. La Cour considère qu’ayant estimé que les recours internes n’ont pas été
épuisés dans le cadre des procédures de licenciement, des procédures
contre le Commissaire central de la ville de Cotonou, le Directeur général
de la police nationale, le ministre de l’Intérieur ainsi que celle relative à la
tentative de meurtre sur son père, il n’y a pas lieu qu’elle se prononce sur
les autres conditions de recevabilité concernant lesdits recours, à
l'exception de celle dirigée contre les avocats.
D. Sur les autres conditions de recevabilité relatives à la procédure dirigée
contre les avocats
83. La Cour constate que la conformité de la Requête aux conditions prévues
aux alinéas (1), (2), (3), (4) et (7) de l’article 56 de la Charte telles que
29 Bg Ad c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête no 037/2016, Arrêt du 5 septembre 2023 (fond et réparations), 8 48 ; Aw Bh c. République Unie de Tanzanie, CAfDHP, Requête no 058/2016, Arrêt du 13 juin 2023 (fond et réparations), 88 56 à 58.
3 Bk Bt c. République du Mali, CAfDHP, Requête n° 038/2019, Arrêt du 5 septembre 2023 (compétence et recevabilité), 8 47 ; Aq Bm c. République du Mali, CAfDHP, Requête n° 002/2019, Arrêt du 22 septembre 2022 (compétence et recevabilité), 8 49 ; Bl Ba et Ag Ap c. République du Mali (compétence et recevabilité) (21 mars 2018) 2 RICA 246, 8 63 ; At Bq c. République du Rwanda (compétence et recevabilité) (11 mai 2018) 2 RICA 373, 8 48.
reprises par la règle 50(2)(a), (b), (c), (d) et (g) du Règlement, n’est pas
contestée par les Parties. Toutefois, la Cour doit s'assurer que la Requête
satisfait également à ces conditions.
84. La Cour relève qu’il ressort du dossier que la condition prévue à la règle
50(2)(a) du Règlement est remplie, le Requérant ayant clairement indiqué
son identité.
85. La Cour relève, en outre, que la Requête ne contient aucun terme
outrageant ou insultant à l’égard de l’État défendeur, ce qui la rend ainsi
conforme à l’exigence de la règle 50(2)(c) du Règlement.
86. S’agissant de la condition énoncée à la règle 50(2)(d) du Règlement, la
Cour souligne que la Requête ne repose pas exclusivement sur des
nouvelles diffusées par les moyens de communication de masse mais sur
des documents judiciaires. La Cour considère ainsi que la Requête est
conforme au texte susvisé.
87. Enfin, s'agissant de la condition énoncée à la règle 50(2)(g) du Règlement,
la Cour constate que la Requête ne concerne pas une affaire déjà réglée
conformément soit aux principes de la Charte des Nations Unies, soit de
l’Acte constitutif, soit des dispositions de la Charte.
88. Au regard de ce qui précède, la Cour estime que la Requête, en ce qui
concerne les griefs contre les avocats du Requérant devant la Cour
constitutionnelle, remplit toutes les conditions de recevabilité énoncées à
l’article 56 de la Charte telles que repris par la règle 50(2) du Règlement et
la déclare recevable, en conséquence.
VII. SUR LE FOND
89. La Cour examinera l’unique violation alléguée par le Requérant, pour
laquelle les recours internes ont été épuisés, notamment celle relative à la procédure dirigée contre ses avocats, à savoir son droit à un procès
équitable.
90. Le Requérant soutient que la Cour constitutionnelle de l’État défendeur
aurait examiné ses recours sans réunir l’ensemble des éléments soulevés
et en déduit que ladite Cour n’a pas suffisamment mis en œuvre les moyens
invoqués et dénonce les moyens d'actions utilisés par la Cour
constitutionnelle de l’État défendeur.
91. Il souligne que la Cour constitutionnelle a minimisé ses moyens d’enquêtes
avant de rendre sa décision motivée en ces termes :
Les demandes du requérant tendent, en réalité, à faire apprécier par la Cour,
les conditions d'application des règles régissant la profession d'avocat,
notamment le règlement n° 05/CM/UEMOA du 25 septembre 2014 relatif à
l'harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace
UEMOA et la loi n°65-6 du 20 avril 1965 instituant le barreau du Bénin ;
qu’une telle appréciation relève du contrôle de légalité ; que la Cour, juge de
la constitutionnalité et non de la légalité.
92. En réplique, l’État défendeur soutient que les allégations de refus
d'instruction et de réception des recours du Requérant ne sont pas fondées.
93. Il fait valoir que la Cour constitutionnelle saisie par le Requérant s’est
prononcée et soutient dès lors que le droit à un procès équitable n’a pas été
violé.
94. La Cour note que l’article 7(1) (a) de la Charte dispose :
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue. Ce droit
comprend … le droit de saisir les juridictions nationales compétentes
de tout acte violant les droits fondamentaux qui lui sont reconnus et garantis par les conventions, les lois, règlements et coutumes en
vigueur.
95. La Cour souligne également que l’article 2(3) du PIDCP est ainsi libellé :
Les États parties au présent Pacte s'engagent à :
a. Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans
le présent Pacte auront été violés disposera d’un recours utile, alors
même que la violation aurait été commise par des personnes
agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ;
b. Garantir que l’autorité compétente, judiciaire, administrative ou
législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de
l’État, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et
développer les possibilités de recours juridictionnel ;
c. Garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout
recours qui aura été reconnu.
96. La Cour de céans souligne que dans le système judiciaire de l’État
défendeur, il est constaté que tout citoyen peut saisir la Cour
constitutionnelle lorsqu'il estime que ses droits fondamentaux ont été
violés.! La Cour note en outre que tout citoyen de l’État défendeur a la
faculté de saisir directement la Cour constitutionnelle garant des droits
fondamentaux de la personne humaine.
97. La Cour note enfin, qu’il ressort des écritures versées au dossier de
procédure par le Requérant que la Cour constitutionnelle a été saisie par ce
dernier, et les copies des décisions rendues par cette juridiction nationale
sont disponibles dans le dossier de procédure.
81 L'article 35 de la loi 2022-09 du 27 juin 2022 portant loi organique sur la Cour constitutionnelle de l’État défendeur dispose :
De même, la Cour constitutionnelle est saisie par le Président de la République, soit par tout citoyen, toute association ou organisations de défense des droits de l'Homme, des lois et actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne humaine et aux libertés publiques et en général, de la violation de la personne humaine.
98. La Cour conclut que le droit du Requérant à un procès équitable n’a pas été
violé.
99. De ce qui précède, la Cour rejette cette allégation et considère que l’État
défendeur n’a pas violé les articles 7(1)(a) de la Charte lu conjointement
avec l’article 14 du PIDCP.
VIII. SUR LES RÉPARATIONS
100. Le Requérant demande à la Cour de rétablir son droit à un procès équitable
et son droit à la propriété. Il sollicite, en outre, de la Cour d’ordonner à l’État
défendeur les réparations suivantes :
a. En guise de réparations pécuniaires :
i. Pour le préjudice matériel, la somme d’un million (1.000.000) FCFA.
ii. Pour le préjudice moral, la somme de cinq milliards (5.000.000.000)
FCFA.
b. En guise de réparations non-pécuniaires, d’ordonner à l’État défendeur
de payer tous les montants indiqués dans l’arrêt dans un délai de six (6)
mois à compter du prononcé de l’arrêt faute de quoi l’État défendeur
payera un intérêt moratoire sur la base du taux applicable par la Banque
centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), durant toute la
période de retard et jusqu’au paiement intégral des sommes dues.
101. L'État défendeur souligne qu’il n’a commis aucun préjudice au Requérant.
102. Il sollicite, en conséquence, le rejet de la demande d’indemnisation du
Requérant.
103. L'article 27(1) du Protocole dispose :
« [Norsqu’elle estime qu’il y à eu violation d’un droit de l'homme ou des
peuples, la Cour ordonne toutes les mesures appropriées afin de
remédier à la situation, y compris le paiement d’une juste
compensation ou l’octroi d’une réparation ».
104. La Cour rappelle qu’elle n’a constaté aucune violation du droit du Requérant
à un procès équitable. Dès lors, ses demandes de réparations ne sont pas
justifiées, et par conséquent, la Cour les rejette.
IX. SUR LES FRAIS DE PROCÉDURE
105. Aucune des Parties n’a conclu sur ce point.
106. Aux termes de la règle 32(2) du Règlement,*? « [à] moins que la Cour n’en
décide autrement, chaque partie supporte ses frais de procédure ».
107. La Cour note que rien, dans les circonstances de l’espèce, ne justifie qu’elle
déroge à cette règle. En conséquence, la Cour décide que chaque Partie
supporte ses frais de procédure.
X. DISPOSITIF
108. Par ces motifs,
LA COUR,
À l’unanimité,
32 Article 30(2) du Règlement du 02 juin 2010.
Sur la compétence
Sur la recevabilité
ii. Accueille l'exception tirée du non-épuisement des recours internes
en ce qui concerne la procédure relative au licenciement du
Requérant, la plainte dirigée contre le chauffeur du Requérant et
celle relative à la tentative de meurtre sur son père ;
iv. Dit que les recours internes n’ont pas été épuisés sur ce point ;
v. Rejette l’exception tirée de l’incompatibilité de la Requête avec l’Acte
constitutif de l’Union africaine et la Charte ;
vi. Rejette l'exception tirée du non-épuisement des recours internes en
ce qui concerne la procédure dirigée contre les avocats du
Requérant ;
vii. Dit que les recours internes ont été épuisés sur ce point ;
viii. Rejette l'exception d'irrecevabilité tirée de l’introduction de la
Requête dans un délai non raisonnable en ce qui concerne la
procédure dirigée contre les deux avocats ;
ix. Déclare la Requête recevable en ce qui concerne la demande dirigée
contre les avocats du Requérant.
Sur le fond
x. Dit que l’État défendeur n’a pas violé le droit à un procès équitable
du Requérant protégé par l’article 7(1)(a) de la Charte lu
conjointement avec l’article 14 du PIDCP concernant l’allégation
relative aux griefs contre les avocats du Requérant.
Sur les réparations
xi. Rejette les demandes de réparation.
Sur les frais de procédure
xi._ Ordonne que chaque Partie supporte ses frais de procédure.
Ont signé :
Modibo SACKO, Vice-président ; fran Gauss
Ben KIOKO, Juge ; MES
Suzanne MENGUE, Juge ; Ps +=
Tujilane R. CHIZUMILA, Juge ; Li Cyan lan
Chafika BENSAOULA, Juge GE ;
Blaise TCHIKAYA, Juge : js
Stella |. ANUKAM, Juge ; Eu am .
Dumisa B. NTSEBEZA, Juge 9 ; Æ
Dennis D. ADJEI, Juge ;
et Robert ENO, Greffier.