La partie qui se prévaut d’une transaction intervenue entre elle et son cocontractant doit en rapporter la preuve. A défaut, son action ne saurait prospérer.
ARTICLE 9 AUPSRVE
Cour d’Appel du Littoral, arrêt n°026/C du 19 Février 2010, affaire les Ets GUY-NES & LES GALERIES Contre LA SOCIETE TOTAL CAMEROUN SA
La Cour, Vu la loi n°2006/15 du 29 Décembre 2006 portant organisation judiciaire de l’Etat ; Vu le jugement N°570 rendu le 08 Juillet 2009 par le Tribunal de Grande Instance du Wouri ; Vu la requête d’appel en date du 13 Août 2009 ; Vu les pièces du dossier de la procédure ; Ouï les parties en leurs conclusions respectives ; Ouï Monsieur le Président du siège en son rapport ; Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
EN LA FORME Considérant que suivant requête en date du 13 Août 2009 reçue au greffe de la Cour d’Appel de céans le 18 Août 2009 et enregistrée sous le 1516, les Etablissements Guy- Ness et Les Galeries, BP 7680 Yaoundé, représentés par leur promoteur sieur C A Ac demeurant à Yaoundé et faisant élection de domicile à la susdite adresse, ont interjeté appel du jugement n°570 rendu le 08 Juillet 2009 par le Tribunal de Grande Instance du Wouri dans l’affaire qui les opposait à la société Total Cameroun SA ; Considérant que cet appel est régulier pour avoir été interjeté dans les forme et délai prescrits par la loi ; Qu’il convient de le recevoir
AU FOND Considérant que les appelants exposent :
Que bénéficiaires d’une ordonnance n°171/08 rendue le 10 Décembre 2008 par Madame la Présidente du Tribunal de Grande Instance du Wouri qui enjoignait la société Total Cameroun SA à leur payer la somme totale de 184.846.267.880 (cent quatre vingt quatre milliards huit cent quarante six millions deux cent soixante sept mille huit cent quatre vint francs) FCFA, elle lui a fait signifier cette décision le 18 Février 2009 suivant exploit du ministère de Maître ATTEGNIA Ernestine, huissier de justice à Ad en lui indiquant qu’elle disposait d’un délai de quinze jours pour former opposition conformément à l’article 8 de l’Acte Uniforme OHADA n°6, voie de recours non exercée par cette société ; Que le 05 Mars 2009, leur promoteur susnommé était convoqué au Cabinet de Madame le Président de la juridiction sus évoquée pour s’entendre inviter à signer un acte de renonciation à cette ordonnance et à sa signification au profit d’une conciliation à mener sous la houlette de cette autorité judiciaire ; Que suite à l’échec de cette tentative de rapprochement, ils recevaient assignation suivant
exploit du ministère de Maître MBAPPOU EDOUKE, Huissier de justice à Ad en date du 24 Avril 2009, d’avoir à se trouver et comparaître le 06 Mai 2009 à l’audience et par devant le Tribunal de Grande Instance du Wouri pour : « S’entendre prendre acte de la renonciation à l’ordonnance d’injonction de payer n°171/08 sus indiquée et à sa signification ; « S’entendre procéder à la rétractation de cette décision devenue inutile et enfin s’entendre condamner aux dépens » ; Que vidant sa saisine, cette juridiction a rendue la décision querellée dont le dispositif est repris dans les qualités ; Qu’ils font grief à cette décision d’avoir fait une confusion malheureuse entre la renonciation et la transaction d’une part, et d’autre part, de n’avoir pas indiqué en quoi a consisté l’erreur matérielle commise par le juge des requêtes dans le dispositif de son ordonnance ; Que pour eux, la transaction est un contrat synallagmatique et l’écrit qui la consacre doit être rédigé par les deux parties en cause et signé par elles ; Que tel n’est pas le cas en l’espèce dès lors que l’acte de renonciation querellé n’a été signé que par une partie, leur promoteur, et l’autre ne saurait s’en prévaloir ; Qu’en évoquant l’article 2052 du code civil aux termes duquel « les transactions ont, entre les parties, l’autorité de chose jugée en dernier ressort » le collège des juges a fait fi de l’article 2053 du même code qui énonce que « néanmoins, une transaction peut être rescindée, lorsqu’il y a erreur dans la personne ou sur l’objet de la contestation » ; « elle peut l’être dans tous les cas où il y a dol ou violence » ; Qu’ils estiment qu’il y a eu dol dans le présent cas, les manœuvres dolosives consistant aux appels téléphoniques émis par Madame la Présidente du Tribunal de Grande Instance du Wouri invitant leur promoteur, sieur C A à se présenter d’urgence à son cabinet sans toutefois lui reveler l’objet de ces appels, l’incitation à signer un document préalablement conçu et rédigé par elle et la promesse faite de mener personnellement la conciliation qui n’a pourtant jamais abouti et dont aucun procès verbal n’a été dressé ; Que si par extraordinaire l’hypothèse de la transaction était retenue, celle-ci serait rescindée par ce dol doublé de la violence morale ; Qu’ils sollicitent donc que la Cour d’Appel de céans infirme la décision entreprise et que statuant à nouveau, qu’elle déboute la Société Total SA de sa demande comme étant non fondée et qu’elle la condamne aux dépens ;
Considérant que venant aux débats, la société Total Cameroun SA, agissant par l’intermédiaire de son conseil Maître Henri Job, Avocat au Barreau du Cameroun, conclu à la confirmation de la décision entreprise ;
Qu’elle relève au préalable que l’ordonnance d’injonction de payer dont s’agit porte sur la mirobolante somme de 184.766.268.880 FCFA au principal outre les 80.000.000 FCFA d’intérêts et frais de procédure ; Que pour avoir droit à de telles commissions, cela suppose que les Etablissements Guy- Ness et Les Galeries lui ont apporté un chiffre d’affaires incalculable ; Qu’il y a donc eu manifestement une erreur matérielle dont Madame la Présidente, signataire de cette ordonnance, s’en est aperçue et a voulu faire entendre raison aux parties lors d’une réunion au cours de laquelle ils se sont mis tous d’accord sur l’inutilité d’un contentieux sur cette décision et que c’est elle (la Total) par l’entremise de son conseil, qui a exigé un écrit du représentant des intimés pour matérialiser cette renonciation ; Qu’elle précise qu’elle était encore dans les délais pour exercer les voies de recours idoines contre cette ordonnance d’injonction de payer au moment où Madame la Président
du Tribunal de Grande Instance a convoqué l’assise de conciliation sus indiquée et que sa demande formulée devant le premier juge n’était nullement basée sur l’erreur matérielle mais elle sollicitait plutôt que le Tribunal : 1) Donne acte aux Etablissements Guy- Ness de la renonciation à l’ordonnance gracieuse
ainsi qu’à sa signification subséquente et qu’il rétracte ladite ordonnance ; 2) Qu’il s’agissait pour le juge d’apprécier la portée d’un acte d’abandon de droit
considéré par la loi comme une transaction ou mieux un désistement, en estimant que l’instance en injonction de payer était liée, et non pas une forme de voie de recours contre l’ordonnance d’injonction de payer, comme tente de l’insinuer les appelants ;
Que l’Acte Uniforme n’ayant pas prévu des procédures de transaction, désistement ou d’abandon des droits, c’est à juste titre que le premier juge a fait appel aux dispositions du droit commun en la matière en invoquant les articles 2044 et 2052 du code civil qui traitent de la transaction et de ses effets entre les parties ; Que si l’on considère que l’instance en injonction de payer n’était pas liée, poursuit- elle, la renonciation des Etablissements Guy- Ness valait transaction et, entre eux, elle est couverte par l’autorité de la chose jugée en dernier ressort ; Que si par contre l’on considère que l’instance en injonction de payer était liée, il s’agirait d’un désistement pour lequel l’article 180 du code de procédure civile exige pour sa validité « « des simples actes signés des parties ou de leurs mandataires et déposés au greffe du Tribunal » ; Que cet article précise en outre que le « désistement, lorsqu’il aura été accepté, emportera de plein droit consentement que les choses soient remises de part et d’autre au même état qu’elles étaient avant la demande » ; Que cette remise des choses en l’état antérieur de part et d’autre s’opère de plein droit de telle sorte que dans le cas d’espèce, le premier juge n’avait plus besoin du consentement des Etablissements Guy- Ness et Galeries pour déclarer que les parties étaient revenues dans leur état antérieur à l’ordonnance d’injonction de payer sus évoquée ; Que l’appel susvisé montre tout simplement que les signataires de cette renonciation n’entendent pas exécuter de bonne foi l’acte qu’ils ont volontairement souscrit ; Que la Cour doit censurer une telle mauvaise foi en confirmant la décision entreprise ;
Considérant que dans leurs écritures à l’audience du 18 Décembre 2009, les appelants relèvent que c’est la somme jugée faramineuse de leurs commissions par la Total Cameroun SA que celle- ci considère comme une erreur matérielle du juge ayant signé l’ordonnance d’injonction de payer ;
Qu’ils attendaient que l’intimée fasse opposition afin qu’ils produisent les pièces justificatives ayant sous tendu l’ordonnance sus évoquée mais celle- ci use de la fraude pour empêcher l’exécution de cette décision de justice devenue définitive ; Que pour eux, l’acte de dénonciation obtenu par le dol par Madame la Présidente du Tribunal de Grande Instance du Wouri doit être écarté des débats ; Que contrairement à la position des premiers juges, l’acte de renonciation est un acte unilatéral de volonté de leur représentant et non une transaction qui est un accord de volonté entre une ou plusieurs personnes au sens des articles 2044 et 2052 du Code civil ; Que même le désistement ne s’accommode pas à la renonciation qui, dans le cas d’espèce a été faite sous la condition expresse que la conciliation aboutisse ; Que la tentative de rapprochement initiée par Madame la Présidente du Tribunal de Grande Instance du Wouri n’ayant pas abouti à un protocole d’accord, la renonciation ne saurait avoir un quelconque effet juridique sur l’ordonnance d’injonction de payer ;
Considérant que la Total Cameroun SA maintient que la signature de l’ordonnance d’injonction de payer sus évoquée a été une erreur et les appelants le confortent
lorsqu’ils affirment que les pièces justifiant leur créance qui leur ont permis d’obtenir cette décision restent « secrets » ; Considérant que toutes les parties ont conclu ;
Qu’il convient de statuer contradictoirement à leur égard ; Considérant que pour faire droit à la demande de la Total Cameroun SA, les premiers juges énoncent : « Attendu que la contestation ainsi exprimée par les parties prenantes au regard des pièces du dossier de la procédure s’entend de la portée de l’acte de « renonciation à une signification commerciale » souscrit par le bénéficiaire même de l’ordonnance d’injonction de payer au lendemain de la signification au débiteur supposé valoir s’il y a lieu, opposition au sens des articles 9 et suivants de l’Acte Uniforme OHADA portant recouvrement simplifié et voies d’exécution » ;
« Attendu qu’il transparaît de « l’acte » susvisé que sieur C A Ac, CNI n°103516713 délivrée le 07 Février 2003 à Yaoundé, né le … … … à …, agent commercial, fils de ATANGANA Pascal et de feue B Aa, renonce par les présente tant à l’ordonnance n°171/08/PTPTGI/W/DLA rendue le 10 Décembre 2008 dans le différend opposant les Ets Guy- Ness et Galeries dont il est le représentant légal et Total Cameroun SA qu’à l’exploit de signification fait le 18 Février 2009 par le Ministère de Maître ATTEGNIA Ernestine, Huissier de justice à Ad » ; « Attendu que ce désistement librement consenti du droit des Etablissements requis au contenu, aux effets et partant à l’exécution de l’ordonnance susvisée emporte inexistence légale de celle-ci, les bénéficiaires ne pouvant dès lors s’en prévaloir sous quelque prétexte que se soit au même titre que le débiteur de l’injonction de payer en l’occurrence Total Ab relativement à l’exercice éventuel des voies de recours à ladite ordonnance » ; « Attendu dans ce contexte que toutes les considérations formelles relatives à cette ordonnance, acte juridique désormais inexistant, se substituent à l’option des requis de « mettre un terme à une contestation née ou préviennent une contestation à naître » au sens de la transaction légale des articles 2044 et suivants du code civil » ; « Attendu davantage que l’article 2152 du même code prescrit que les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort » ;
Mais considérant qu’il s’agit d’une motivation incompréhensible qui va d’une confusion inadmissible entre la renonciation à une décision judiciaire et le désistement pour parachuter à la transaction devant conduire à la rétractation de ladite décision ; Qu’en effet, la renonciation dans le cas d’espèce s’entend d’un acte volontaire et unilatéral d’une partie qui, bénéficiaire d’une décision de justice, déclare ne pas vouloir la mettre à exécution et de ne pas se prévaloir des effets de signification ; Que l’on est en présence d’un désistement à l’exécution d’une décision de justice qui, bien que portant atteinte à un droit substantif, n’édulcore en rien l’existence et la validité de la décision elle-même ; Que l’on ne saurait donc confondre cet abandon d’un droit avec la transaction qui est « un contrat par lequel les parties terminent ou préviennent une contestation en consentant des concessions réciproques » dès lors que dans le premier, aucun accord des volontés n’est intervenu, et on ne peut pas opposer un tel acte à celui qui renonce étant donné qu’il reste libre de se rétracter à tout moment ; Que seule la transaction, lorsqu’elle aboutit entre les parties, acquiert l’autorité de la chose jugée et s’imposent à elles ; Considérant qu’en tout état de cause, la volonté d’une ou des deux parties, si puissante soit-elle, si elle peut priver une décision de justice de sa force exécutoire (en rendant son exécution inutile), elle est inapte à l’anéantir dans son essence en dehors des
causes de nullité prévues par la loi et les principes généraux du droit ; Que c’est donc à tort que les premiers juges ont rétracté l’ordonnance d’injonction de payer n°171/08 rendue le 10 Décembre 2008 par Madame la Présidente du Tribunal de Grande Instance du Wouri en s’appuyant essentiellement sur l’acte de renonciation signé par les Etablissements Guy- Ness et Galeries à travers leur représentant et en dehors de toute procédure d’opposition prévue par la loi ; Considérant qu’aux termes de l’article 7 de la loi N°2006/015 du 29 Décembre 2006 portant organisation judiciaire, « toute décision de justice doit être motivée en fait et en droit ; l’inobservation de la présente disposition entraîne la nullité d’ordre public de la décision » ; Considérant que les motifs incohérents et contradictoires équivalents à une absence de motifs justifiant la nullité de la décision ; Qu’il convient par conséquent d’annuler la décision entreprise et, évoquant et statuant à nouveau ; Considérant que la société Total Cameroun n’explique pas en quoi a consisté l’erreur matérielle commise par Madame la Présidente du Tribunal de Grande Instance, signataire de l’ordonnance d’injonction de payer querellée ; Que son argumentaire aurait été plus décisif si elle démontrait que la méprise portait soit sur la différence des chiffres entre ceux inscrits sur la requête aux fins d’injonction de payer et ceux portés sur l’ordonnance, soit une différence entre le montant en lettre et celui en chiffres ; Que les allégations simplistes sur le caractère fabuleux du montant de la créance ne sauraient constituer une erreur matérielle ; Qu’il s’ensuit dès lors qu’une telle thèse ne saurait prospérer ; Considérant que les développements antérieurs sur les effets d’un acte unilatéral de volonté sur une décision de justice suffisent pour débouter la société Total Cameroun SA de son action tendant à la rétractation de l’ordonnance d’injonction de payer N°171/08 du 10 Décembre 2008 de Madame la Présidente du Tribunal de Grande Instance du Wouri ; Considérant que la partie qui succombe doit être condamnée aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement à l'égard de toutes les parties, en matière civile et commerciale, en appel et en dernier ressort, en formation collégiale et à l’unanimité des voix ;
EN LA FORME Reçoit l’appel ;
AU FOND Annule le jugement entrepris ; Evoquant et statuant à nouveau ; Dit la société Total Cameroun SA non fondée en sa demande ; L’en déboute ; (…).