LE TRIBUNAL,
L’an deux mille dix et le sept du mois de janvier ;
Devant nous, Didier Adjisna, président du Tribunal de première instance de Dschang statuant en matière de contentieux de l’exécution sis au Palais de justice de ladite ville ;
Assisté de Maître Douanla Samuel, greffier tenant la plume ;
Ont comparu, les nommés Bh Az et Ad Ag, tous transporteur et chauffeur domiciliés à Ba, demandeurs, lesquels nous ont exposé que, suivant exploit du 16 octobre 2009 de Maître Vougmo Djua Magloire, huissier de justice à Ba non encore enregistré, mais qui le sera, ils ont fait délivrer assignation à sieur Aw An d’avoir à comparaître devant Monsieur le président du Tribunal de première instance de Dschang, statuant en matière d’urgence, le 29 octobre 2009, pour les motifs énoncés en exploit introductif d’instance versé au dossier, dont le dispositif suit :
PAR CES MOTIFS
Vu la loi n° 2007/001 du 19 avril 2007 instituant le juge du contentieux de l’exécution des décisions de justice ;
- Voir constater que le titre exécutoire prétendument exécuté n’emporte aucune obligation à l’égard des requérants relativement aux sommes allouées à sieur Aw An, le risque étant couvert par la Satellite Insurance Company SA ;
- Voir constater que c’est en violation du dispositif du jugement dont exécution que ces commandements leur ont été adressés ;
- Voir constater que ces poursuites sont irrégulières parce que mal dirigées ;
EN CONSEQUENCE,
- S’entendre prononcer la nullité des commandements de Maître Monique Dorette Podio, épouse Au, servis aux requérants en date du 1er octobre 2009 ;
- S’entendre ordonner l’arrêt immédiat des poursuites engagées à tort contre les requérants ;
- Dire l’ordonnance à intervenir exécutoire sur minute et avant enregistrement ;
- Condamner Aw An aux dépens ;
SOUS TOUTES RESERVES.
L’affaire en cet état régulièrement inscrite au rôle de l’audience prévue par l’exploit d’ajournement a été appelée puis renvoyée au 5 novembre 2009 pour communication des pièces au défendeur ;
Advenue cette autre, la cause fut renvoyée au 12 novembre 2009, aux mêmes fins et à cette audience, le défendeur a produit les conclusions dont le dispositif suit :
PAR CES MOTIFS
- Voir constater que les demandeurs tentent maladroitement de se soustraire de leur responsabilité du fait de l’absence de la garante, au grand préjudice de défendeur ;
- Voir constater que les poursuites sont bien dirigées ; en ordonner leur continuité ;
- S’entendre condamner les demandeurs aux dépens ; puis la cause est renvoyée jusqu’au 26 novembre 2009 et à cette date, les demandeurs ont produit les conclusions dont le dispositif suit :
PAR CES MOTIFS
- Voir constater que le jugement dont l’exécution est poursuivie n’a jamais condamné les demandeurs et l’assureur à payer solidairement ces dommages-intérêts ;
- Constater en effet que, seule la société Satellite Insurance Company SA a été déclarée garante du paiement des condamnations pécuniaires prononcées contre le prévenu ;
- Voir dire que la mise en liquidation de la Satellite Insurance Company SA ne saurait justifier une exécution en marge du dispositif même du jugement et en conséquence, en marge de la loi ;
- Voir constater que le recouvrement poursuivi sur les demandeurs viole allégrement les dispositions des articles 78 et 80 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif (applicable en matière de liquidationY ;
- Constater d’ailleurs que, le défendeur ne rapporte même pas les preuves d’une clôture de ladite liquidation ;
EN CONSEQUENCE,
- Voir constater que les poursuites en recouvrement engagées directement à l’encontre des sieurs Bh Az et Ad Ag, au mépris du dispositif du jugement prétendument exécuté, sont irrégulières parce que mal dirigées ;
- S’entendre donc prononcer la nullité des commandements du ministère de Maître Monique Dorette Podio, épouse Au, servis aux demandeurs, le 1er octobre 2009 ;
- Ordonner l’arrêt immédiat des poursuites engagées à tort contre les sieurs Bh Az et Ad Ag ;
- Dire l’ordonnance à intervenir, exécutoire sur minute et avant enregistrement ;
- Condamner les défendeurs aux dépens ;
SOUS TOUTES RESERVES.
L’affaire en cet état, fut mise en délibérée au 3 décembre 2009 en laquelle, le défendeur a produit les conclusions dont le dispositif suit :
PAR CES MOTIFS
- Voir constater que les demandeurs tentent maladroitement de se soustraire de leurs responsabilités du fait de l’absence de la garante, au grand préjudice de défendeur ;
- Voir constater que les poursuites sont bien dirigées ; en ordonner leur continuité ;
- S’entendre condamner les demandeurs aux dépens ; puis le délibéré a été rabattu et renvoyé au 17 décembre 2009 pour réplique éventuelle des requérants ;
- Arrivée à cette audience, les susdits requérants ont produit les conclusions dont le dispositif suit :
PAR CES MOTIFS
Vu l’article 200 du Code CIMA et tous autres ;
Vu les articles 76, 78 et 80 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif ;
- Voir constater que la responsabilité civile invoquée par le défendeur à l’appui de l’exécution querellée a été définitivement couverte par la police d’assurance et même par le dispositif de jugement prétendument exécuté ;
- Voir constater que cette exécution viole la procédure de règlement organisée par l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif ;
- Constater en effet, qu’on ne peut valablement imaginer une exécution forcée dirigée sur l’assuré, alors que le risque a été couvert par la police d’assurance ;
- Voir dire qu’en situation de liquidation de la société garante du paiement, la procédure de recouvrement à suivre est non celle édictée par l’article 1382 du Code civil, mais celle organisée par l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif ;
EN CONSEQUENCE,
- Adjuger aux demandeurs le bénéfice du dispositif de leur conclusions antérieures ; puis l’affaire fut renvoyée au 24 décembre 2009 pour répliques défendeurs, pour être mise à nouveau en délibéré au 7 janvier 2010 ;
- A cette dernière audience, le président en vidant son délibéré a rendu la décision dont la teneur suit :
NOUS, Juge du contentieux de l’exécution,
Attendu que suivant exploit en date du 16 octobre 2009 non encore enregistré, mais qui le sera en temps utile, de Maître Magloire Vougmo Djua, huissier de justice de notre ressort, à la requête conjointe de Bh Az et Ad Ag ;
Opposition est faite contre les commandements de payer de Maître Monique Dorette Podio, épouse Au, en date du 1er octobre 2009, en exécution du jugement n° 93/COR rendu le 31 octobre 2006 par le Tribunal de première instance de Dschang ;
Et assignation a été donnée à Aw An et Maître Monique Dorette Podio, épouse Au, d’avoir à comparaître devant nous pour s’entendre :
Vu la loi n° 2007/001 du 19 avril 2007 instituant le juge du contentieux de l’exécution des décisions de justice ;
- Voir constater que le titre exécutoire prétendument exécuté n’emporte aucune obligation de paiement à l’égard des requérants relativement aux sommes allouées à sieur Aw An, le risque étant couvert par le Satellite Insurance Company SA ;
- Voir constater que c’est en violation du dispositif du jugement dont exécution, que ces commandements de payer leur ont été adressés ;
- Voir constater que ces poursuites sont irrégulières parce que mal dirigées ;
EN CONSEQUENCE,
- S’entendre prononcer la nullité des commandements de Maître Monique Dorette Podio, épouse Au, servis aux requérants en date 1er octobre 2009 ;
- S’entendre ordonner l’arrêt immédiat des poursuites engagées à tort contre les requérants ;
- Dire l’ordonnance à intervenir exécutoire sur minute et avant enregistrement ;
- Condamner Aw An aux dépens ;
Attendu que les requérants nous demandent d’ordonner la nullité des commandements et l’arrêt des poursuites engagées contre eux ; qu’ils fondent leur action sur la violation du dispositif du jugement dont exécution, en ce que ledit jugement n° 93/COR rendu le 31 octobre 2006 déclare la Satellite Insurance Company SA de Dschang, garante de la responsabilité des condamnations prononcées contre Bh Az ;
Attendu que le défendeur conclut au rejet de la demande des requérants ; que le requérant Bh Az a été condamné en qualité de civilement responsable à lui payer la somme de 423.252 francs à titre de dommages-intérêts ; que le commandement de payer servi en date du
12 mars 2008 à la société garante est resté infructueux, du fait de la liquidation de cette dernière intervenue depuis le 4 janvier 2007 ;
Que sur la base de l’article 1384 du Code civil qui dispose « qu’on est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore, de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre ... », le requérant Bh Az est ainsi civilement responsable des condamnations pécuniaires, du fait de son préposé ; qu’il n’y a pas lieu à substituer la garante au civilement responsable ;
Attendu que Bh Az, en sa qualité de civilement responsable, est le véritable débiteur pour avoir été, par jugement n° 93/COR, condamné à payer au défendeur la somme de
423.252 francs, du fait de son chauffeur Ad Ag ; que la société Satellite Insurance Company n’est qu’une garante, donc un tiers par rapport à la relation quasi contractuelle existant entre le civilement responsable (débiteurY et la victime Aw An XcréancierY ;
Qu’il y a lieu de débouter les requérants de leur action ;
Attendu que toutes les parties ont conclu ou plaidé que les requérants ayant perdu le procès, sont condamnés aux dépens ;
PAR CES MOTIFS
Vu l’article 49 l’AUPSRVE ;
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de toutes les parties en matière du contentieux de l’exécution et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
- Recevons les requérants en leur demande ;
- Les y disons non fondés ;
- Les en déboutons ;
- Les condamne aux dépens ;
- Disons notre ordonnance exécutoire sur minute et avant enregistrement nonobstant toutes voies de recours ;
- Dépens liquidés quant à la somme de ... francs ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en notre cabinet les mêmes jour, mois et an que dessus.
OBSERVATIONS
Au registre des décisions de justice qui inaugurent la loi n° 2007-001 du 19 avril 2007, instituant le juge du contentieux de l’exécution, figure l’ordonnance ci-dessus rapportée. En effet, à travers cette loi, de même que celle du 29 décembre 2006, portant organisation judiciaire, le législateur camerounais a complété l’architecture de la juridiction compétente en matière d’exécution forcée et de saisie conservatoire.1 Par le biais de cette ordonnance, dont les faits méritent d’être rappelés, le président du Tribunal de première instance de Dschang, statuant en matière de difficulté d’exécution d’une décision de justice, relative à un accident de la circulation, a pu admettre, du moins implicitement, que la responsabilité civile paraît encore suffisante pour assurer la fonction de réparation des dommages.
En fait, en date du 31 octobre 2006, dans une affaire qui opposait le sieur Ad Ag au sieur Aw An, le Tribunal de première instance de Dschang, statuant en matière correctionnelle, rendait le jugement n° 93/Cor, dont le dispositif est ainsi conçu :
« PAR CES MOTIFS,
Statuant en matière correctionnelle, publiquement, contradictoirement et en premier ressort ;
1 Cf. Nemedeur (R.Y, « Le juge camerounais du contentieux de l’exécution ou le clair-obscur entre l’esprit et la lettre de l’article 49 de l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution (AUPSRVEY », Juridis Périodique n° 83, juillet-aout-septembre 2010, pp. 91 et ss. Voir dans le même sens, Assontsa (R.Y, Le juge et les voies d’exécution depuis la réforme de l’OHADA, Thèse droit, Universités de Strasbourg et de Dschang, 2009.
- Déclare le prévenu coupable des faits d’homicide involontaire ;
EN CONSEQUENCE,
- Le condamne à 250.000 francs d’amende ;
- Le condamne aux dépens ;
- Reçoit Aw An en sa constitution de partie civile, y fait partiellement droit ;
- Condamne le prévenu à lui payer la somme globale de 423.252 francs à titre de dommages- intérêts ...
- Déclare Bh Az civilement responsable des condamnations pécuniaires prononcées et la Satellite Insurance Company de Dschang garante de ladite responsabilité ... ».2
C’est en exécution de la décision susdite que le sieur Aw An, en date du 1er octobre 2009, par exploit de Maître Monique Dorette Podio, épouse Au, huissier de justice à Ba, fait servir aux requérants Bh Az et Ad Ag, un commandement de payer les sommes à lui allouées, soit 470.229 francs en principal et frais.
Estimant pour leur part que, cette exécution est faite en violation du dispositif de la décision ci-dessus évoquée, les demandeurs vont, par exploit daté du 16 octobre 2009, de Maître Magloire Vougmo Djua, huissier de justice à Ba, faire opposition au commandement susdit, assortie d’une assignation en contentieux de l’exécution, par devant Monsieur le président du Tribunal de première instance de Dschang, juge des difficultés d’exécution. En effet, les demandeurs estimaient qu’une telle exécution était faite en marge de la décision qui avait expressément déclaré la société Satellite Insurance Company garante desdites condamnations pécuniaires ; que le jugement prétendument exécuté ne les avait point condamnés solidairement au paiement desdits dommages, pour qu’en cas d’insolvabilité de l’un, que le défendeur décide délibérément de faire exécuter sur l’un, et/ou sur les deux autres.
Le défendeur pour sa part, fait par contre valoir que cette façon d’exécuter se justifie, d’une part, par le fait que son commandement de payer, servi par exploit de Maître Magloire Vougmo Djua en date du 12 mars 2008 à la garante, était resté infructueux par le fait de la liquidation, laquelle liquidation est intervenue en date du 4 janvier 2007, et d’autre part, qu’au sens du Code civil, aucun dommage ne saurait rester irréparé, que cette exécution est fondée sur les dispositions dudit Code, notamment en ses articles 1382 et 1384.
Ces prétentions et arguments du défendeur vont heureusement retenir l’attention du juge des difficultés de concrétisation de ses droits qui, pour débouter les demandeurs de leur action, va relever, entre autres, que Bh Az en sa qualité de civilement responsable, est le véritable débiteur, pour avoir été par le jugement n° 93/Cor, condamné ... du fait de son chauffeur Ad Ag ; que la Satellite Insurance Company ... n’est qu’une garante donc un tiers par rapport à la relation quasi contractuelle existant entre le civilement responsable (débiteurY et la victime Aw An XcréancierY ».
De tout ce qui précède, à titre principal, le problème était celui de savoir à qui incombe véritablement l’obligation de payer les indemnités en matière d’accident de la circulation routière ? Autrement dit, quel était le débiteur idoine du créancier Aw An ? Subsidiairement, se trouvait liée à cette interrogation, celle de la coresponsabilité, c’est-à-dire le prévenu, le civilement responsable et l’assureur étaient-ils tous tenus ?
2 Voir, TPI de Dschang, jugement n° 93/Cor du 31 octobre 2006, affaire Ad Ag c/ Aw An.
En décidant comme il l’a fait, le juge du contentieux de l’exécution, suivant la démarche de son homologue de la Cour d’appel, s’est démarqué d’une certaine jurisprudence.3 Il a procédé, bien que de manière discutable, à la détermination du débiteur idoine, en s’appuyant sur les règles du Code civil (IY. Ce faisant, il a admis implicitement en l’espèce, l’idée d’une coresponsabilité (IIY.
I - LE JUGE DES DIFFICULTES D’EXECUTION A DETERMINE DE MANIERE DISCUTABLE LE VERITABLE DEBITEUR DES INDEMNITES EN MATIERE D’ACCIDENT DE LA ROUTE
L’analyse de cette décision permet de noter que, le juge s’est démarqué en mettant en œuvre, d’une part, le mécanisme de la responsabilité du fait d’autrui et, d’autre part, en se prononçant sur la notion de garant (AY. Mais, cette démarche semble à plus d’un titre contestable (BY.
A - La mise en œuvre de la responsabilité du fait d’autrui et la précision relative à la notion de garant comme justificatifs à la solution apportée
L’examen du mécanisme de la responsabilité du fait d’autrui (1Y précédera celui de la précision apportée quant à la notion de garant (2Y.
1 - La mise en œuvre par le juge du mécanisme de la responsabilité du fait d’autrui
Appelé à résoudre la difficulté d’exécution, le juge a estimé que le véritable débiteur était le demandeur, Bh Az, qui, affirme-t-il, avait été condamné en qualité de civilement responsable, du fait de son employé, le nommé Ad Ag. On peut noter dans un tel raisonnement, la référence aux dispositions du Code civil, notamment en son article 1384, alinéas 1et 5.
En effet, l’alinéa 1 de cet article dispose qu’on est responsable non seu1ement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore, de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre. Et l’alinéa 5 d’ajouter que, les maîtres et les commettants sont responsables du dommage causé par leur domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils ont été employés.4
Les fondements d’abord, les conditions ensuite et enfin, les effets d’une telle responsabilité sont sans aucun doute les éléments qui ont motivé le juge de l’espèce.
D’abord, l’on évoque généralement plusieurs idées, notamment celles de faute, du risque, de la représentation et surtout, d’équité et de garantie, comme fondement d’une telle responsabilité.5 A notre sens, ce sont les idées d’équité, d’une part, c’est-à-dire, les nécessités d’ordre social, lesquelles exigent qu’un commettant réponde des dommages causés par son employé et, d’autre part, celle de garantie qui suppose que le commettant est responsable des dommages causés par son préposé, de la même façon que pour les dommages causés par les choses dont il se sert, qui ont amené le juge, à admettre en l’espèce que, le débiteur adéquat
3 Cf. PTPI d’Abong-Mbang, ordonnance n° 01/CIV du 11 janvier 2008. Affaire Compagnie Ap Ay Am c/ Ar Bf et autres. Obs., Bb Be (A.Y, Juridis Périodique n° 75, juillet- août-septembre 2008, pp. 23-29.
4 Voir dans ce sens, CS, arrêt n° 32 du 13 avril 1978 et arrêt n° 16 du 21 octobre 1969, Bulletin des Arrêts n° 39, p. 5853. CS, arrêt n° 60 du 15 décembre 1970, Bulletin des Arrêts n° 23, p. 2789.
5 Lire dans le même sens, Foukeng (EY, La responsabilité civile du commettant en droit camerounais. Mémoire de DEA, Université de Yaoundé, 1985.
est le sieur Bh Az. Cette démarche ressort non seulement du dispositif de la décision même dont l’exécution est ainsi querellée, mais aussi est reprise en quelque sorte par le juge de l’espèce.
Ensuite, il faut noter que, dans cette affaire, les conditions d’une responsabilité du fait d’autrui semblaient bien réunies. A cet effet, il ne souffre d’aucune contestation qu’en qualité de chauffeur, il existait un lien de préposition, matérialisé par le fait que le sieur Ad Ag, préposé, agissait au moment de l’accident, pour le compte du requérant Bh Az, le commettant, lequel disposait sans aucun doute, à l’égard du premier, d’un pouvoir de direction et de contrôle,6 d’une part, et, d’autre part, que ce préposé avait commis une faute, laquelle faute était survenue dans le cadre de ses fonctions, justifiant ainsi l’existence du lien de connexité.
Enfin, la solution du juge met en exergue les effets même d’une telle responsabilité, notamment un droit à la réparation au profit du défendeur Aw An. Le défendeur en l’espèce, agissant en qualité de partie civile, poursuivait l’exécution à l’égard du demandeur Bh Az, le civilement responsable, sur la base notamment, de l’infraction commise par son préposé, dont la culpabilité avait été au préalable établie, laquelle culpabilité a précédé celle du civilement responsable.7 Le juge a donc fait recours au droit commun de la responsabilité civile pour résoudre ce différend. En fait, ce dernier a bien compris que le défendeur, buté à l’insolvabilité de la société garante, était ainsi victime d’une partie de « ping-pong », qui s’opérait entre les défendeurs et la garante, à laquelle ces derniers tentaient ainsi maladroitement de se livrer. Cette décision va en droite ligne de la jurisprudence fortement établie en cette matière. Afin d’illustrer ce propos, on peut se référer d’abord à la décision rendue en appel, et relative à l’ordonnance ci-dessus rapportée. En effet, par requête datée du 15 janvier 2010, le sieur Bh Az avait sollicité la défense à exécution provisoire de la présente ordonnance, assortie d’une demande de réexamen de cette décision, par la Cour d’appel de Bafoussam. Statuant sur la cause, le juge d’appel va déclarer sa requête non fondée, confirmant ainsi l’ordonnance susdite.8 Ensuite, par une autre décision rendue également en matière de contentieux de l’exécution par la même cour, le président de cette haute juridiction ne s’est point éloigné d’une telle construction jurisprudentielle. A titre d’exemple, dans une espèce qui opposait le sieur Bd Z, défendeur, au nommé Ai, le président de la Cour, statuant en matière de difficulté d’exécution, avait adopté la même position. En effet, le sieur Ai avait sollicité de Monsieur le président de ladite cour, la discontinuation des poursuites engagées contre lui, suivant l’arrêt n° 66/Cor, rendu en date du 12 octobre 2001, par la Cour d’appel de Bafoussam ; lequel arrêt l’avait déclaré civilement responsable des condamnations pécuniaires, prononcées contre son préposé, le nommé Tente Aa, à la suite d’un accident corporel survenu le 29 janvier 1992, à Bafoussam. A l’appui de son action, le requérant soutenait qu’aux termes de l’arrêt ainsi exécuté, il n’avait que la qualité de civilement responsable ; que, la compagnie d’assurance La Médiatrice en était la garante. Que, poursuit-il, le défendeur n’avait qu’à faire valoir sa créance auprès du liquidateur, conformément aux dispositions du Code CIMA, en son article 352-3paragraphe 2. Cette argumentation, comme dans l’espèce précédente, ne retiendra pas l’attention du président de ladite cour.9 Le juge a donc reconnu que l’annulation de cette exécution, telle que
6 Voir, Civ., 2e, 7 décembre 1983, JCP, 84, IV.55. 7 Voir dans le même sens, Crim, 17 décembre, 1970, JCP, 71.IV, 23. 8 Cf. Cour d’appel de l’Ouest à Bafoussam, arrêt n° 51/Civ., du 12 mai 2010, affaire Bh Az c/ Aw
An XContentieux de l’exécutionY. 9 Voir Cour d’appel de l’Ouest à Bafoussam, arrêt n° 30/Civ., du 26 mars 2008, affaire Ai c/ Bd Bc
At (Contentieux de l’exécutionY.
sollicitée par les demandeurs, visait tout simplement à priver une décision de justice de ses effets ; il s’insurge alors contre le règne d’une justice virtuelle, fantôme, trompeuse, ou mieux d’une parodie de justice. Le juge, par la suite, va apporter des clarifications relatives à la notion de garant.
2 - Le juge précise le contenu de la notion de garant
La notion de garant était particulièrement mise en relief par les demandeurs, au soutien de leurs prétentions. C’est ce qui a amené sans doute le juge à apporter une définition à ce concept.
Il ressort expressément de cette décision que, « la Satellite Insurance Company n’est que garante, donc un tiers par rapport à la relation quasi contractuelle », existant entre le civilement responsable et la victime. Le juge affirme donc, pour sa part, qu’en ce concerne l’obligation, c’est-à-dire ce droit personnel en vertu duquel le débiteur Bh Az, devait une prestation au créancier Aw An, autrement dit, que dans la double face ; passive, à savoir, la dette, et active, notamment la créance de l’obligation qui existait entre ces derniers, la Satellite Insurance Company, ne pouvait être considérée que comme une étrangère donc, en était exclue. Il a suivi ainsi, une conception admise par l’ensemble de la doctrine. En effet, on définit généralement le garant comme un moyen juridique, permettant de garantir un créancier contre le risque d’insolvabilité du débiteur.10 Suivant donc cette démarche, la personne appelée à répondre des conséquences civiles de l’infraction commise par le sieur Ad Ag n’était personne d’autre que le sieur Bh Az. La compagnie d’assurance quant à elle ne venait qu’à l’appui de cette responsabilité. Le juge du contentieux de l’exécution a ainsi, par simple clarification terminologique, apporté une solution à ce litige.
Deux remarques méritent d’être faites, à la lumière de cette appréhension de la notion de garant. Il y a, d’une part, celle que l’on peut extirper du dispositif même de cette ordonnance, notamment au troisième attendu, dans lequel le juge, reprenant les conclusions du défendeur, affirmait « qu’il n’y a pas lieu à substituer la garante au civilement responsable ; ... ». Cette assertion, faite en prélude à la définition apportée à la notion de garant, apparaît comme une conséquence certaine et directe de cette conception. Il apparaît donc clair que, pour le juge, la désignation d’un garant, dans cette relation qu’il qualifie de « quasi contractuelle », ne saurait être assimilée à un remplacement du civilement responsable par ce dernier. C’est un tel raisonnement qui lui a permis indubitablement de valider les poursuites querellées.
Il y a, d’autre part, une autre remarque résultant de l’analyse. C’est qu’en effet, celui-ci considère que le principe de l’obligation d’assurance des véhicules terrestres à moteur posé par le législateur ne pourrait être perçu comme « le passe-droit de ne pas payer ses dettes ». A ce niveau, il faut souligner que, la position du juge de l’espèce est contraire (traduisant ainsi sa démarcationY à celle du juge des référés d’Abong-Mbang précité qui, statuant à tort ou à raison comme juge des difficultés d’exécution dans une cause similaire, affirmait que la SNAC (l’assureur de responsabilitéY était débitrice principale.11 Faisant ainsi du garant le débiteur principal, la conséquence ne pouvait être autre que la discontinuation des poursuites intentées contre le civilement responsable, comme il l’a fait. Toutefois, la tâche de l’observateur averti ne se limitant pas à tresser les couronnes de lauriers, ou de jouer au
10 Voir dans ce sens, Ao As (Y.-R.Y, Droit des garanties Ohada, Cours, cycle de DEA, Université de Dschang, 2007(inéditY. Guillien (R.Y et Vincent (J.Y, (sous la direction deY, Lexique de termes juridiques, Dalloz, 14e éd., 2003, p. 288.
11 Voir PTPI d’Abong-Mbang, obs., précité, p. 24.
thuriféraire, mais d’exiger encore plus, d’interroger toujours la réalité,12 on peut ainsi se demander si, le juge n’a pas remis en cause bon nombre de dispositions, rendant de ce fait sa solution passablement justifiée.
B - Une détermination passablement justifiée du véritable débiteur
Le fait pour le juge de l’espèce, de relever essentiellement que la garante n’était que tiers dans cette relation, suscite bien des interrogations. En effet, suivant les prétentions et arguments des protagonistes à cette cause, il semble que le juge a été non seulement indifférent face à l’attitude de négligence du défendeur (1Y, mais aussi silencieux quant à la couverture de la responsabilité civile dont bénéficiait le sieur Bh Az (2Y.
1 - L’indifférence du juge face à l’attitude de négligence du défendeur
A l’appui de ses prétentions, le sieur Aw An arguait qu’il exécutait sur les défendeurs, en raison de ce que son commandement de payer servi à la société garante, était resté infructueux par le fait de la liquidation. Cette argumentation interpelle indubitablement les dispositions de l’Acte uniforme sur les procédures collectives. L’article 72 en effet de ce texte, traite de la masse en élargissant celle-ci à toutes les créances, même antérieures à la décision d’ouverture. En effet, le défendeur semblait, pour justifier son exécution à l’égard des demandeurs, faire valoir qu’avant la date du 19 octobre 2007, date à laquelle sa créance était devenue certaine et exigible,13 il ne pouvait valablement se prévaloir de la qualité de créancier. Ce qui est très discutable car, suivant la définition de l’article 72, la masse est constituée par tous les créanciers, dont la créance est antérieure à la décision d’ouverture, même si l’exigibilité de la créance était fixée à une date postérieure à cette décision. Sans aucune exagération, même une créance éventuelle pourrait être valablement signalée auprès du syndic. Il revenait à ce créancier dans la masse, auquel s’appliquait la discipline collective, d’accomplir son obligation, c’est-à-dire produire sa créance auprès du liquidateur.14 C’est ce qui ressort d’ailleurs de l’article 78 de ce même texte, qui dispose qu’à partir de la décision d’ouverture, notamment de la liquidation, tous les créanciers doivent produire leurs créances auprès du syndic ; cette même obligation pèse sur les créanciers qui, munis d’un titre exécutoire, introduisent avant la décision d’ouverture une procédure en condamnation en vertu d’un titre ou, à défaut, d’un titre, dans l’optique de faire reconnaître leur droit.15
Ces dispositions paraissaient donc bien applicables à la présente cause et entraîneraient un certain nombre de conséquences, si le juge avait pris un peu de recul. En vertu de la maxime «nemo auditur propriam turpitudinem allegans», la loi ne protégeant pas les négligents, l’attitude de négligence du défendeur ne pouvait être imputée aux demandeurs, surtout au civilement responsable, car le sieur Aw An n’avait pas fait valoir son droit auprès du syndic en temps opportun ; qu’en plus, il y a lieu de noter que l’Acte uniforme susvisé a prévu des cas de relevé de forclusion que ce dernier n’a peut-être pas jugé opportun d’exploiter. Il est une évidence : en situation de liquidation, comme c’est le cas pour la société garante en l’espèce, la loi applicable reste l’Acte uniforme précité, et non les dispositions du Code civil. De ce point de vue donc, il revenait au juge de constater la négligence du défendeur et ne
12 Voir dans ce sens, Ah Ac (M.Y, « La réception des règles du procès équitable dans le contentieux du droit public », Juridis Périodique n° 63, juillet-août-septembre 2005, pp. 19-33.
13 Semblerait-il qu’avant cette date, la décision dont l’exécution était querellée n’était pas encore définitive. 14 Lire dans ce sens, Ae (F.-M.Y, Commentaire relatif à l’Acte uniforme sur les procédures collectives,
OHADA, Traité et Actes uniformes commentés et annotés, Juriscope, 2002, pp. 877 à 878. 15 L’alinéa 2 de l’article 80 va plus loin, en disposant à son tour que le créancier doit évaluer sa créance, si elle
n’est pas liquide, mentionner la juridiction saisie, si la créance fait l’objet d’un litige.
point l’entendre, puisqu’il alléguait en quelque sorte, sa propre turpitude. Il nous semble alors que, le juge de l’espèce a neutralisé ces dispositions communautaires, comme il peut être loisible de le constater en ce qui concerne la couverture de la responsabilité du demandeur.
2 - Le regrettable silence du juge vis-à-vis de la couverture de la responsabilité civile du demandeur
Il n’est point contesté que, le jugement dont l’exécution est querellée était lié à un accident de la circulation dont le régime relève du Code CIMA.16 C’est sans doute pourquoi, le requérant Bh Az s’inscrivait en faux contre cette exécution, parce qu’il avait régulièrement souscrit un contrat d’assurance, conformément à la législation CIMA.
L’intervention du Code CIMA avait été en effet perçue par la doctrine comme une réforme profonde du domaine de la garantie de l’assureur, non seulement en ce qui concerne les personnes, au rang desquelles l’assuré et les tiers, mais aussi les dommages.17 Cet instrument est venu répondre au souci de concilier les exigences de l’indemnisation avec celles d’une gestion saine et rationnelle du portefeuille automobile des compagnies d’assurance, c’est-à- dire prendre en compte les intérêts des victimes et ceux des assureurs, pour une assurance plus compatible avec le développement,18 car, semblerait-il, ce double objectif était difficilement atteint à travers les règles de la responsabilité civile. La responsabilité civile ici est celle au sens du Code civil qui, avant l’avènement du Code CIMA, reposait sur la faute et la réparation intégrale ; elle est distincte de la responsabilité dite automatique mise en place par le Code CIMA, laquelle se caractérise par la suppression de la cause étrangère, la faute de la victime et surtout, l’instauration des barèmes et des plafonds.19 Le Code CIMA va instituer l’obligation d’assurance en son article 200, laquelle obligation repose sur toute personne, qu’elle soit physique ou morale, dont la responsabilité civile peut être engagée à raison des dommages causés aux tiers par la circulation d’un véhicule terrestre à moteur.
L’accomplissement d’une telle obligation20 a pour conséquence, la couverture de la responsabilité civile, c’est-à-dire l’exonération de l’assuré, en ce qui concerne la réparation du dommage causé, laquelle est désormais à la charge de l’assureur. C’est ce qui ressort de l’article 200, alinéa 3, dudit Code en ces termes : « Les contrats doivent couvrir en plus de la responsabilité civile des personnes mentionnées au premier alinéa du présent article, celle du souscripteur du contrat et du propriétaire du véhicule. » En l’espèce, le demandeur Bh Az disposait d’une police d’assurance, par conséquent, le risque était couvert au moment du sinistre. Dans cette optique, il revenait tout simplement au juge de donner droit à la requête de ce dernier, car en effet, la responsabilité invoquée par le défendeur à l’appui de l’exécution avait été définitivement couverte. C’est ce qui pourrait une fois de plus, justifier la position du juge des référés d’Abong-Mbang suscité, pour qui la garante, au regard de l’obligation d’assurance, devenait le véritable débiteur. Il en ressort donc que, le juge de l’espèce a omis de faire appel à ces dispositions.
16 En effet, le 10 juillet 1992 à Yaoundé, l’on assistait à la signature du traité instituant une organisation intégrée de l’industrie des assurances au sein des Etats membres de la zone franc, dénommée conférence interafricaine des marchés d’assurance (CIMAY ; lequel institue l’assurance obligatoire des véhicules terrestres à moteur.
17 Cf. Anoukaha (EY, « La réforme de l’assurance obligatoire des véhicules terrestres à moteur dans les Etats membres de la CIMA », Juridis Périodique n° 30, avril-mai-juin 1997, pp. 78 et ss.
18 Cf. Anoukaha (EY, article précité, p. 78. 19 Cf. Assi-Esso (A.-M.Y, Issa-Sayegh (J.Y et Lohoues-Oble (J.Y, CIMA. Droit des assurances, Bruylant,
Bruxelles, Juriscope, 2002, p. 383. 20 Voir article 200 du Code CIMA, tel que modifié par la décision du Conseil des ministres du 20 avril l995.
Cette omission peut être davantage soutenue, lorsqu’on admet que, le régime de l’indemnisation du Code CIMA, comme le souligne le Professeur Av, est fondé sur la responsabilité civile, non pas au sens du Code civil car, rappelle-t-il, les causes d’exonération retenues ici sont différentes de celles en vigueur là-bas. L’auteur poursuit en justifiant qu’entre la victime et l’assureur désigné, il ne sera point discuté de la responsabilité civile.21 Ce code en fait est venu pallier l’inadaptabilité de la responsabilité civile à la réparation des dommages résultants des accidents de la circulation. On pourrait d’ailleurs, à cet égard, affirmer que c’est la raison pour laquelle le législateur africain, à la suite de la doctrine française, et même du législateur français,22 a remplacé la responsabilité civile par une responsabilité dite automatique, du moins en ce qui concerne les accidents de la circulation.
Par ailleurs, le traité instituant le Code CIMA fait obligation aux juridictions nationales, de faire application des dispositions dudit traité, et même des actes pris par les organes de la conférence, en dépit de toutes dispositions nationales contraires antérieures ou postérieures à ces textes.23 A l’analyse, l’on est en droit d’admettre que, même si, d’une part, cette obligation de se référer à ces dispositions communautaires incombe au premier chef, aux juges du fond24 et, d’autre part, que la doctrine ait admis qu’en cas d’insuffisance dudit code l’on pourra très plausiblement se référer au droit commun,25 le juge de l’espèce était tenu, pour une meilleure appréciation des faits, de faire appel à cet instrument. Pourtant, au regard de la loi n° 2006 relative à 1’Organisation judicaire au Cameroun, de même que celle de 2007 précitée, on note le souci d’efficacité et d’unité du procès qui ont habité le législateur. En effet, en créant un « lien ombilical » entre la juridiction du jugement et la compétence du juge du contentieux de l’exécution, le législateur camerounais a été convaincu que seul le président de la juridiction qui a rendu la décision serait à même de mieux comprendre les difficultés d’exécution de ladite décision.26
A l’analyse profonde de cette ordonnance, on en vient à se demander finalement, qu’est-ce que le juge reproche au propriétaire d’un véhicule, titulaire d’une attestation d’assurance ? Doit-on conclure par là que, le propriétaire d’un véhicule est astreint à une double obligation, à savoir : souscrire à un contrat d’assurance et réparer éventuellement les dommages pouvant survenir en cas de défaillance du garant ? Cette décision de ce point de vue n’emporte pas l’adhésion, car elle sacrifie l’assuré. Il aurait été judicieux à notre avis, sur la base de l’équité, laquelle est subjective et intuitive souvent, mise en œuvre in concreto par les juges, pour assouplir, adapter voire écarter la règle de droit,27 de débouter non pas le civilement responsable qui s’est acquitté de son obligation, mais plutôt le sieur Ad Ag, car ce dernier, sans aucun doute, a été l’auteur du dommage, lequel a été déclaré d’ailleurs coupable
21 Cf. Anoukaha (EY, article précité, pp. 88 et 89. 22 Cf. Wiederkefir (G.Y, « De la loi du 5 juillet 1985 et son caractère autonome », D., 1986, chron., pp. 225 et ss. 23 Voir article 47 du Traité. 24 Il en fut d’ailleurs ainsi en ce qui concerne la décision dont l’exécution est querellée ici. 25 Voir dans ce sens, Ak Ax (EY, L’indemnisation des victimes d’accident de la circulation dans la
législation unique des Etats membres de la CIMA, Thèse doctorat 3e cycle, Université de Yaoundé II-Soa, 1997, p. 19.
26 Toutefois, le Professeur Aq, bien que soutenant cette idée, la relativise en soulignant, d’une part, qu’il n’y a aucune garantie que le président de la juridiction qui a rendu une décision serait le mieux placé pour connaître des difficultés liées à l’exécution de celle-ci, car la nature des questions qui se posent lors de l’exécution diffère de celle qui se seraient posées pendant le jugement, et, d’autre part, qu’il y a lieu de douter de l’objectivité du président de la juridiction qui aurait rendu la décision, puisque celui-ci pourrait avoir déjà siégé comme juge dans le contentieux du fond. Voir l’auteur, article precité, p. 99.
27 Voir dans ce sens, Bg Af (E.Y et Fandjip (O.Y, La Cour de justice de la CEMAC et les règles du procès équitable. Penant n° 872, juillet-septembre 2010, pp. 329-356.
du délit d’homicide involontaire. A cet effet, le juge aurait pu, sans s’éloigner du dispositif de la décision exécutée, reprendre la formule du juge du fond en affirmant plutôt que, le sieur Ad Ag est le véritable débiteur, pour avoir été par le jugement n° 93/Cor, condamné à payer à la partie civile Aw An, la somme de 423.252 francs à titre de dommages- intérêts.28 Même si on peut remettre en cause cette solution, en admettant que le civilement responsable peut bénéficier d’une action récursoire envers son préposé, il faut noter à notre avis, qu’une telle action constitue en pareille circonstance, une autre source de frustration pour le civilement responsable ; laquelle frustration serait contournée, si le juge ordonnait l’exécution directement à l’égard du sieur Ad Ag. A contrario donc, cette décision prêterait moins à discussion, si le civilement responsable n’était pas assuré. On peut donc affirmer que, le juge de l’espèce, victime sans doute de l’impératif de réparer le dommage, même au mépris des règles de droit et d’équité, a usé tout simplement d’un moyen habile et détourné pour se tirer d’embarras. On peut à présent s’interroger sur l’admission par celui-ci, d’une coresponsabilité en l’espèce.
II - LE JUGE DES DIFFICULTES D’EXECUTION A ADMIS IMPLICITEMENT L’IDEE D’UNE CORESPONSABILITE EN L’ESPECE
En validant un tel exploit, le juge a admis l’idée de coresponsabilité29 dans cet accident de la circulation, notamment une obligation in solidum (AY. Mais a contrario, l’annulation des poursuites aurait permis au juge de rappeler à l’huissier instrumentaire, ses obligations en matière d’exécution (BY.
A - Une obligation in solidum
Les demandeurs dans cette affaire critiquaient le commandement de payer à eux servi, déniant ainsi la qualité de débiteur que leur attribuait le défendeur. La position adoptée par le juge revenait aussi à dire que, le jugement dont l’exécution était critiquée n’était en aucun cas exclusif en ce qui concerne l’orientation des poursuites notamment, envers la société garante. D’origine jurisprudentielle, l’obligation in solidum diffère de l’obligation solidaire qui a, pour sa part, une source légale et aussi du point de vue des conséquences appliquées à chacune de ces institutions.30 Le président du tribunal dans cette espèce a donc reconnu, de façon implicite que, contrairement à ce que pensaient les demandeurs, les condamnations prononcées dans le cadre des accidents de la circulation sont automatiquement et obligatoirement solidaires en cas de dommages réparables ; qu’il est question d’une obligation in solidum du prévenu Ad Ag, du civilement responsable Bh Az et de l’assureur de responsabilité, lesquels sont tous codébiteurs de la réparation du dommage subi par le défendeur Aw An. En effet, suivant la définition du Dictionnaire de droit privé,31 deux ou plusieurs personnes sont tenues in solidum du moment où elles ont contracté
28 Cette formule que nous suggérons ressort du dispositif du jugement dont l’exécution est querellée en ces termes : « Par ces motifs ... Reçoit Aw An en sa constitution de partie civile, y fait partiellement droit ; Condamne le prévenu (Ad AgY à lui payer la somme globale de 423.252 francs à titre de dommages-intérêts ... ».
29 L’idée de coresponsabilité regroupe ici les notions d’obligation solidaire, obligation in solidum, obligation conjointe et d’obligation indivisible, lesquels ne se confondent pas et se rapprochent à certains égards. Voir les articles 1200, 1203, 1217, 1218, 1222 du Code civil.
30 Lire dans ce sens, Rahmeh (P.Y, L’obligation in solidum en matière de délits civils, Mémoire de DEA, Ab B de la Sagesse, 2006, mémoire online ; fr source : 21-10-2010.
31 Lire dans ce sens, Braudo (S.Y, et Baumann (A.Y, Dictionnaire de droit privé, Paris, 1990.
une obligation au tout, et ceci sans que se produisent les autres effets de la solidarité.32 Les relations entre un assureur et l’assuré peuvent être admises comme exemple de ce type d’obligation. Dans cette hypothèse, en cas d’accident de la circulation, la partie civile, ou mieux la victime, peut s’adresser soit à l’assuré, soit à l’assureur ou aux deux à la fois, pour exiger la réparation du dommage subi.33 Sans aucun doute, c’est ce qui a amené le juge à en débouter les demandeurs. En réalité, ces trois codébiteurs étaient tenus de l’intégralité pour diverses causes. Tout d’abord, le commettant qui est tenu en même temps que le préposé ; et à cet effet, le créancier Aw An disposait d’une action in solidum contre eux car, il n’est pas douteux que le préposé n’engage pas sa responsabilité en tant que gardien.34 Parallèlement, l’action contre le commettant, comme précédemment présentée, est fondée sur l’article 1384, alinéas l et 5, puisque le commettant est aussi gardien de la chose qui a causé le préjudice. Ensuite, l’assureur quant lui est tenu en même temps que l’assuré, hypothèse qui s’appliquait bien en l’espèce.35
En définitive, le juge de l’espèce, en validant les poursuites querellées, faisait donc valoir une obligation in solidum, laissant de ce fait libre cours au jugement n° 93/Cor susvisé, dont l’exécution n’avait que trop attendu.
B - L’annulation des poursuites aurait permis au juge de rappeler à l’huissier instrumentaire ses obligations en matière d’exécution
L’on a souvent appris que l’huissier de justice est « un agent d’un processus de rééquilibrage des droits et des obligations déterminés par le jugement qu’il exécute ».36
Une telle affirmation peut constituer une porte ouverte à des dérapages dans l’accomplissement de leur lourde et délicate mission.
Se fondant sans doute sur la jurisprudence, l’huissier instrumentaire en l’espèce, s’est-il, faut le dire, éloigné du dispositif du jugement qu’il exécutait. Pourtant, l’exécution d’une décision de justice doit se faire dans le strict respect des termes de son dispositif, c’est-à-dire que, l’huissier ou l’agent d’exécution ne doit jamais délibérément s’écarter de la décision qu’il exécute, sous prétexte qu’il rencontre une difficulté ; laquelle est d’ailleurs réglementée par la loi. L’obligation in solidum admise ici suppose que, plusieurs personnes sont coauteurs d’un délit par leur faute respective.37 Suivant le dispositif du jugement, on ne peut à proprement parler d’une obligation in solidum. Suivant l’analyse, cela demeure autant difficile. En effet, si l’on admet par exemple que, le prévenu et le civilement responsable sont coauteurs en ce que le premier a commis un délit et le second a manqué à son obligation de contrôle et de direction vis-à vis de son preposé, que dira-t-on alors de l’assureur ? D’ailleurs, ce dernier autant que l’assuré n’est impliqué dans la réparation du dommage qu’à titre de garantie offerte
32 Voir aussi, Raynaud (P.Y, Droit civil approfondi : l’obligation in solidum, Paris, Les Cours de droit, 1970- 1971.
33 Voir aussi, Bus (J.-P.Y, Les voies de recours entre coobligés in solidum, Paris, 1991 ; Sauphanor (N.Y et Bore (L.Y, Le recours entre coobligés in solidum, Paris, 1991.
34 Toutefois, s’il a réellement commis une faute, la victime peut lui réclamer une indemnité en se fondant sur l’article 1382 du Code civil.
35 Lire à ce sujet, Aj (B.Y, Droit Civil, obligations, 3e éd., Litec, 1988, pp. 406 et 407. Toutefois, l’auteur rappelle qu’il ne saurait y avoir cumul de deux indemnités pour le même dommage.
36 Voir dans ce sens, Guinot (T.Y, L’huissier de justice : normes et valeurs, éthique, déontologie, discipline et normes professionnelles, éd. juridiques et techniques, Paris, 2004, p. 389.
37 Voir, Bb Be (A.Y, Obs., précitées, p. 28.
à la victime. C’est dire que, s’il fallait poursuivre l’exécution telle que faite, on devait sans abuser, nécessairement se référer de nouveau au juge compétent pour faire reformer entièrement cette décision. Dans ce sens, le juge a permis à l’huissier d’ajouter au titre exécutoire, en lui donnant les effets d’une obligation in solidum. Il s’est donc abstenu de sanctionner la violation des principes de probité, de désintéressement et surtout, de pondération sur lesquels repose la profession d’huissier de justice.38
Au-delà de toutes considérations, on imagine bien que, suivant la démarche du juge, ce dernier pouvait, très logiquement, donner gain de cause aux demandeurs, du moins au sieur Bh Az. Il s’agit ici, de ce qu’on peut qualifier d’une hypothèse d’absence d’assurance, hypothèse que le législateur africain avait bien manifesté son intention de solutionner, en instituant un fonds de garantie automobile, en vue de dédommager les victimes.39 Toutefois, ledit fonds étant encore attendu, du moins à notre connaissance, c’est peut-être pourquoi le juge pour sa part, et ce pour des besoins de réparation, sacrifie l’assuré. Une telle situation, il faut le dire, interpelle et de manière urgente le législateur. Le législateur est ainsi appelé, d’une part, à mettre en place de manière effective le fonds de garantie et, d’autre part, dans le souci d’éviter tout amalgame, de prescrire aux juges du fond, la condamnation in solidum des parties, en cas de dommages résultant des accidents de la circulation.40
__________
38 Voir décret n° 79-448 du 5 novembre 1979, modifié par le décret n° 85-238 du 22 février 1985, organisant la profession d’huissier de justice au Cameroun.
39 Le fonds de garantie a été institué par décision du Conseil des Ministres du 15 décembre 1999 à Al, au chapitre I du livre VI.
40 Dans le même sens, Monsieur Bb préconise que, les juges doivent se garder des formules des dispositifs qui prêtent à équivoque. Qu’au lieu de déclarer le jugement commun à l’assureur, le tribunal aurait été plus clair en le déclarant garant du paiement des condamnations pécuniaires. Voir obs., précitées, ibid.