COMMUNITY ECOWAS COURT OF JUSTICE, €
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMUNIDADE, CEDEAO No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE II, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, ABUJA TEL: 09-6708210/5240781
Fax 09-5240780/5239425
Website: www. courtecowas.org COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNATE, CEDEAO ABUJA - NIGERIA
Rôle Général : ECW/CCJ/APP /15/14/ Arrêt n° ECEW/CCJ/JUD/08/15 du 24 avril 2015 GNASSINBE Ad, C Aa, X
Ai, ATTI Abi, B C, Y
Aj Ab et Ak Am Ak : DEMANDEURS
CONTRE
La République Togolaise : DEFENDERESSE
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Jérôme TRAORE ; Président
Hon. Juge Yaya BOIRO, Membre
Hon. Juge Hamèye F. MAHALMADANE, Juge Rapporteur
Assisté Me Athanase ATANNON, Greffier LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
a rendu, dans l'affaire Monsieur X Ad et 06 autres contre l'Etat du Bénin, en violation de
droit de l'Homme, la décision dont la teneur suit :
PARTIES
I.1- DEMANDEURS :
- Monsieur X Ad, (détenu à la prison civile de Lomé, Togo) ;
Monsieur C Aa, (détenu à la prison civile de Lomé, Togo) ;
Monsieur X Ai, (détenu à la prison civile de Tsévié, Togo) ;
Monsieur AH Ao, (détenu à la prison civile d’Atakpamé, Togo) ;
Monsieur B C, (détenu à la prison civile d’Atakpamé, Togo) ;
Monsieur Y Aj Ab, (détenu à la prison civile de Sokodé, Togo) ;
Monsieur Ak Am Ak, (détenu à la prison civile de Sokodé, Togo) ; Tous assistés de :
Maître Jil-Benoit Kossi AFANGBEDIJI, Avocat à la Cour, ayant son étude à 99, Rue de l'antenne non loin du Festival des Glaces (ancien restaurant la pirogue), BP : 12250, tel : 22 22 64 40, E-mail : cabinetafangbedji@yahoo.com;
Maître Daruis ATSOO, Avocat à la Cour, Kégué, rue Notre Dame de la miséricorde, 3 °"° à droite à 150 mètres, BP : 7722, tel : 22 20 01 01 / 90 13 64 66, E-mail : me darius@yahoo.fr;
Maître Ata Messan Zeus AJAVON, avocat à la Cour, ayant son étude à 1169, Avenue de calais, BP : 1202, Lomé-Togo, tel : 23 20 57 79 / 90 33 07 63, E-mail : atamzajavon@yahoo.fr;
I.2- DEFENDERESSE :
La An Ag, ayant son siège à Lomé, Palais de l’ancienne Primature, 596, Rue de l’Entente, BP : 121 Al Ah, représentée par le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, chargé des Relations avec les Institutions de la République, demeurant et domicilié à Lomé Rue de l’Entente assisté de Maître SANVEE Ohini, avocat à la Cour, ayant son cabinet à 32, Rue des Bergers, BP : 62091, tel : 22 26 56 82Email :
cabinetvallion@yahoo.fr, Lomé-Togo;
II- FAITS ET PROCEDURE
II.1- Ac X Ad, (détenu à la prison civile de Lomé, Togo), C Aa, (détenu à la prison civile de Lomé, Togo), X Ai, (détenu à la prison civile de Tsévié, Togo), ATTI Abi, (détenu à la prison civile d’Atakpamé, Togo), B C, (détenu à la prison civile d'Atakpamé, Togo), Y Aj Ab, (détenu à la prison civile de Sokodé, Togo) et Ak Am Ak, (détenu à la prison civile de Sokodé, Togo) ont saisi la Cour de Justice de la Communauté - CEDEAO d'une requête en date du 30 juillet 2014, enregistrée au greffe de la Cour de Céans le 04 septembre 2014, contre la République Togolaise pour avoir violé leur droit à un procès équitable ;
II.2- Ils ont, par une autre requête en date du 1“ aout 2014, enregistrée au greffe le 04 septembre 2014, sollicité de la cour de faire juger leur cause en procédure accélérée conformément à l’article 59 du Règlement de procédure de la Cour ;
II.3- Les deux requêtes ont été notifiées à l'Etat du Togo le 08 septembre 2014 ;
II.4- L'Etat du Togo a déposé son mémoire en défense et un mémoire exceptionnel respectivement tous en date du 30 octobre 2014, tous enregistrés au Greffe le même jour à savoir le 30 octobre 2014 ;
II.5- La cause a été retenue et débattue à l'audience du 24 février 2015 ;
Toutes les parties étaient représentées par leurs conseils ;
II.6- L'affaire a été mise en délibéré pour la décision être rendue le 24 avril 2015 ;
III. MOYENS ET PRETENTIONS
III.1- Ac X Ad, C Aa,
X Ai, ATTI Abi, B C, Y Aj Ab et Ak Am Ak ont attrait la République Togolaise devant la Cour de Justice de céans pour violation de leur droit à un procès équitable et précisément à l'exécution totale d’une décision de justice ;
III.2- Ils ont invoqué les dispositions de l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, celles de l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, et de l’article 14.1 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques et la Résolution n°60/47 de l'Assemblée Générale des Nations Unies du 16 décembre 2005 ;
III.3- = Ils ont exposé qu'ils avaient saisi la Cour de Justice de la Communauté CEDEAO pour violation de leurs Droits de l'Homme par l’Etat Togolais ; que suivant arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 en date du 03 juillet 2013, la Cour a, entre autres :
- dit que leur droit à un procès équitable a été violé en raison de l’utilisation au cours du procès de preuves obtenues sous les actes de torture ;
- dit que leur droit à la défense a été violé ;
- ordonné, en conséquence, à l'Etat togolais de prendre toutes les dispositions et mesures nécessaires et urgentes pour faire cesser la violation de leur droit au procès équitable ; - mis les dépens entiers à la charge de l'Etat Togolais ;
III.4- Ils ont soutenu que cet arrêt, bien que régulièrement notifié à l'Etat togolais, n'a point changé leur situation ; qu'hormis le paiement des dommages-intérêts en réparation des actes de torture, de traitements cruels inhumains ou dégradants, la République Togolaise n'a pas daigné se conformer aux autres dispositifs de l'arrêt ; que l'arrêt n’a pas été totalement exécuté par l'Etat Togolais ; qu'à ce jour, ils croupissent en détention en violation de leur droit à ce que leur cause soit entendue ;
III.5- Sur la recevabilité de leur requête, ils ont écrit qu'aux termes de l’article 9-4 du Protocole Additionnel A/SP.1/01/05 portant amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de Justice de la CEDEAO « la Cour est compétente pour connaitre des cas de violations des Droits de l'Homme dans tout Etat Membre » ; que l’article 10 du même protocole prévoit que peut saisir la Cour…, toute personne victime de violation des Droits de l'Homme, la demande ne sera pas anonyme ni avoir été portée devant une autre Cour internationale également compétente ; que d'ailleurs il est de jurisprudence constante de la Cour qu'elle retienne sa compétence et déclare la requête recevable chaque fois que les requérants allèguent une violation de Droits de l'Homme ; que dans l'affaire Madame Z Ae Af et autres contre l'Etat du Togo (Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/09/11) la Cour a noté que « de prime abord la simple référence aux instruments internationaux, qui constituent l'essentiel de l’ordre juridique communautaire en matière de droits de l'Homme, induit la compétence formelle de la Cour telle que déterminée par les articles 9.4 en ce qui concerne la matière ; que soulignant que sa jurisprudence étant constante à cet égard, la Cour se doit de retenir sa compétence et statuer sur le fond » ;
III.6- Ils ont continué en soutenant que leur droit à ce que leur cause soit entendue y compris le droit de voir l'Etat du Togo exécuter de bonne foi l’arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 du 03 juillet 2013 et ce en vertu de l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, ensemble avec l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et de l’article 14.1 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques ; qu'en conséquence ils doivent être déclarés recevables en la forme en leur action ;
III.7- Sur la violation de l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, ensemble avec l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et de l’article 14.1 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques ils ont déclaré que l'Etat du Togo a violé le droit à ce que leur cause soit entendue ; que ce droit est garanti aussi bien lors de la phase précédant le jugement que celle lui succédant ; que la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme est constante et abondante dans ce sens (cfAircy c/ Irland, 9 octobre 1979, série A, n 32 JDI, 1982, 187, chron. P Rollanes ; AFDI, 1980, 323, chron R Pelloux) ; qu’en application de l’article 6 de la Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales qui est l'équivalent de l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples précité la Cour Européenne des Droits de l'Homme a dit que cet article couvre également la procédure postérieure au procès telle que l'exécution d’un jugement ; qu’elle a ainsi considéré dans l'arrêt Hornby contre Grèce que « le droit à un procès équitable par l’article 6 serait illusoire si l’ordre juridique interne d’un Etat partie permettait qu’une décision de justice définitive et ayant l'autorité de la chose jugée demeurât dépourvue de caractère exécutoire, au détriment d’une partie » ; qu'elle l’a réaffirmé dans l'arrêt Burdov contre Russie qui concernait le défaut d'exécution d'Un jugement ordonnant le versement d'une indemnisation au requérant en réparation de son exposition à des émissions radioactives ; qu'il apparait donc que l'obligation pour l'Etat d'exécuter les décisions de justice est à la fois impérative et positive et que l'exécution d’un jugement ou d'un arrêt de quelque juridiction que ce soit fait partie intégrante du droit à un procès équitable ; qu’en l'espèce l'Etat du Togo n’a pas totalement exécuté l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 du 03 juillet 2013 ; qu'or, aux termes de l’article 62 du Règlement de la Cour de Justice de la Communauté CEDEAO « l'arrêt a force obligatoire à compter du jour de son prononcé » ;
III.8- Ils ont relevé qu’au point 103 de son arrêt, la Cour a décidé : « en ce qui concerne spécifiquement le droit au procès équitable, la Cour ordonne à l'Etat Togolais de prendre les dispositions nécessaires et urgentes pour faire cesser la violation de ce droit » ; qu’en matière de droit international des droits de l'Homme la violation du droit à un procès équitable rend nulles et de nul effet les condamnations prononcées au terme du procès incriminé ; que dans ces conditions il est du devoir de la Cour en tant qu'’organe juridictionnel de protection internationale des Droits de l'Homme d'indiquer à l'Etat partie défaillant la façon de procéder pour faire cesser la violation en cause ; que la Résolution n° 60/47 adoptée le 16 décembre 2005 par l'Assemblée Générale des Nations Unies portant principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à une réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des Droits de l'Homme a prévu la restitution pour rétablir la victime dans la situation originale qui existait avant que les violations flagrantes des Droits de l'Homme ne se soient produites ; 6 que la restitution comprend la restauration de la liberté, la jouissance des droits de l'Homme, de citoyenneté, le retour sur le lieu de résidence et la restitution de l'emploi et des biens ; qu’en l'espèce la cessation de la violation du droit au procès équitable telle qu’ordonnée par la Cour de Justice de la Communauté ne peut se faire que par la restauration de la liberté en application du principe de restitution suivant la Résolution des Nations Unies précitée ;
III.9- Ils ont enfin sollicité de la Cour de :
- constater que l'Etat du Togo n'a pas totalement exécuté l'arrêt ECW/CCI/JUD/06/13 en date du 03 juillet 2013 ;
- dire que l’Etat du Togo a violé les dispositions de l’article 7 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, ensemble celles de l’article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et l’article 14.1 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques ;
En conséquence,
- ordonner à l'Etat du Togo de les mettre immédiatement en liberté ;
- ordonner à l'Etat du Togo de payer à chacun d’entre eux la somme de quatre-vingt millions (80.000.000) francs CFA pour violation de leur droit à un procès équitable ;
- mettre les entiers dépens à la charge de l'Etat du Togo ;
III.10- Par une autre requête en date du 1° août 2014 mais enregistrée au greffe le 04 septembre 2014, les requérants ont sollicité de la Cour de constater l’urgence particulière de l'affaire, de dire et juger que leur requête sera soumise à la procédure accélérée prévue à l’article 59 du Règlement de procédure de la Cour ;
III.10- La République Togolaise a rétorqué que la Résolution 60/147 agitée par les requérants est une résolution prise le 16 décembre 2005 par l’Assemblée Générale des Nations Unies ; que l’Assemblée Générale entreprend de temps en temps des réflexions sur les droits de l'Homme et fait des Recommandations à l'attention des Etats ; que ces recommandations n’ont aucun effet contraignant sur les Etats contrairement aux résolutions du Conseil de Sécurité ; qu’il est incontestable qu’en droit international public ces recommandations ne peuvent devenir 7 obligatoires vis-à-vis d’un Etat qu'après une acceptation de sa part ; que mais tel n’est pas le cas en l'espèce ; que le caractère non contraignant de la Résolution 60/147 est d'autant plus parlant qu’à sa lecture on se rend compte qu'il ne s’agit que d’un rappel et de la réaffirmation des principes contenus dans les instruments de protection antérieurs qui ont déjà été évoqués par les requérants et appliqués par la Cour dans l'arrêt
III.11- Sur l'exécution partielle de l’arrêt de la Cour, elle a précisé qu'elle a pris toutes les dispositions et mesures pour faire cesser la violation du droit à l'intégrité physique que constituent les actes de violence dénoncés ; qu’en lui ordonnant de faire cesser les actes de tortures, la Cour ne lui a pas ordonné de remettre en liberté les requérants ; qu'il ne pouvait d’ailleurs pas en être ainsi puisque dans le même arrêt il est clairement écrit au point 11 du dispositif « que la détention des requérants étant fondée sur une base légale et n'étant pas arbitraire, dit n’y avoir pas lieu à ordonner leur libération » ; que c’est donc à tort et par pure ruse que les requérants réclament leur libération ; que c'est également à tort et par pure avidité d'argent qu'ils réclament encore une somme de 80.000.000 FCFA pour violation de leur droit à un procès équitable ; qu'il échet de les débouter purement et simplement ;
III.10- Elle a sollicité de la Cour de :
- dire et juger que la résolution 60/147 de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 16 décembre 2005 n’est pas un instrument contraignant qui fixe des obligations légales vis-à- vis de l'Etat du Togo et qu'elle ne saurait recevoir application
- dire et juger que l'Etat du Togo a entièrement honoré ses obligations tirées de la convention des Nations Unies contre la torture du 10 décembre 1984 et entièrement exécuté l'arrêt
ECW/CCJ/JUD/06/13 du 03 juillet 2013 ;
Par conséquent :
- débouter les requérants de leurs demandes de libération immédiate et de condamnation à une somme de
80.000.000 FCFA à titre de réparation de la violation de leur droit à un procès équitable ;
- condamner les requérants aux dépens ;
III.11- Dans un « mémoire exceptionnel » en date du 30 octobre 2014 et enregistré au greffe à la même date, la République Togolaise a opposé à l’action des requérants une irrecevabilité tirée de l’autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 du 03 juillet 2013 ;
III.12- Elle a soutenu que conformément à l’article 19-2 du Protocole relatif à la cour de justice de la communauté les décisions de la Cour ne sont pas susceptibles d'appel ; que le Règlement a toutefois prévu des voies de recours ordinaire et extraordinaires ; que la voie de recours ordinaire est l'opposition en cas d'arrêt par défaut et les voies de recours extraordinaires sont la tierce opposition et la Révision ; qu'en outre le Règlement a prévu le recours en interprétation ; que l'autorité de l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 du 03 juillet 2013 ne peut être remise en cause que dans le cadre strict des recours prévus à savoir : l'opposition, la tierce opposition, la révision ou l'interprétation ; qu'or l’action des requérants ne s'inscrit dans aucun des cas d'ouverture de la remise en cause de l'autorité de l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 du 03 juillet 2013 puisqu'il s'agit d’une demande en libération immédiate et en condamnation à des dommages-intérêts ; que leur action est donc manifestement irrecevable ; que l’irrecevabilité de cette action est renforcée par la triple identité des parties, de l’objet et de la cause ;
III.13- Elle a demandé à la Cour de :
- déclarer irrecevable l’action en libération immédiate et en indemnisation des requérants pour autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 du 03 juillet 2013 ;
- condamner les requérants aux dépens ;
IV - MOTIVATION
- Sur la demande de procédure accélérée
IV.1- Ac X Ad, C Aa,
X Ai, ATTI Abi, B C, Y Aj Ab et Ak Am Ak, ont sollicité de la Cour de constater l'urgence et de dire et juger que leur 9 requête sera soumise à la procédure accélérée prévue par l’article 59 du Règlement de la procédure de la Cour ;
Ils ont motivé l'urgence par la nécessité de faire cesser leur maintien en détention ;
IV.2- L'Etat du Togo n'a formulé aucune observation portant sur la demande en procédure accélérée introduite par les requérants;
IV.3- L'article 59.1 du Règlement de la Cour de Justice de la Communauté - CEDEAO dispose que : « à la demande soit de la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le président peut exceptionnellement, sur la base des faits qui lui sont présentés, l’autre partie entendue, décider de soumettre une affaire à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions du présent règlement, lorsque l'urgence particulière de l'affaire exige que la Cour statue dans les plus brefs délais » ;
Le point 2 de l’article exige que la demande tendant à soumettre une affaire à une procédure accélérée soit présentée par acte séparé lors du dépôt de la requête ou du mémoire en défense ;
IV.4- La demande de procédure accélérée des requérants a été déposée au greffe de la Cour le 04 septembre 2014, en même temps que la requête introductive d'instance ;
Il apparait donc que la demande a été formulée dans les forme et délai exigés par le Règlement ;
Elle est alors recevable et la Cour aurait dû l’apprécier ;
En effet, s'agissant de détention et d'état de santé, il y a toujours urgence de se prononcer sur la mesure sollicitée ;
Une demande de procédure accélérée tend à faire juger la cause dans des délais relativement courts ;
En l'espèce, la cause, ayant été directement enrôlée sur le fond, a été débattue et mise en délibéré ;
Il s'ensuit alors que la demande de procédure accélérée est devenue sans objet ;
- Sur l'irrecevabilité de la requête
IV.5- La République Togolaise, dans un « mémoire exceptionnel», en date du 30 octobre 2014, déposé en même temps que le mémoire en défense, a opposé une fin de nonrecevoir à la requête de Ac X Ad, C Aa, X Ai,ATTI
Abi,B C, Y Aj Ab et Ak
Am Ak ;
Elle a précisé que cette irrecevabilité est tirée de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 rendu le 03 juillet 2013;
IV.6- Elle a expliqué que l’arrêt sus-indiqué a été rendu par la Cour de céans sur la base d’une requête des requérants datant d'août 2011 ; que l’article 19.2 du Protocole (AP1/7/91) relatif à la Cour de Justice de la CEDEAO prévoit que les décisions de la Cour ne sont pas susceptibles d'appel ; que le Règlement a admis des voies de recours que sont l'opposition, la tierce opposition, la révision et l'interprétation ; que l'arrêt du 03 juillet 2013 ne peut donc être remis en cause que par le truchement de l'exercice d’une de ces voies de recours ; que les requérants ne se trouvent dans aucun de ces cas ; que leur action est relative à leur mise en liberté et à l’octroi des dommages et intérêts ; qu'or sur ces chefs de demande l’arrêt du 03 juillet 2013 s’est prononcé ;
IV.7- Elle a indiqué que les auteurs de la présente requête ont figuré parmi les requérants ayant obtenu l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 du 03 juillet 2013 rendu contre elle ; que les parties sont les mêmes ; que la précédente procédure a porté sur le même objet et la même cause que la présente ; qu’en application du principe de l'autorité de la chose jugée, la même demande entre les mêmes parties agissant en les mêmes qualités, portant sur le même objet, soutenue par la même cause ne peut être à nouveau portée devant une juridiction ; que ce principe interdit aux parties de renouveler un différend qui a été déjà jugé ;
IV.8- Elle a soutenu que les sollicitations des requérants dans cette nouvelle procédure ne sont donc pas nouvelles pour la Cour ; qu'elles demeurent identiques à celles que la Cour a déjà appréciées en 2011 pour rendre l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 du 03 juillet 2013 ;
IV.9- Les requérants n’ont pas réagi aux moyens de la défenderesse relatifs à la fin de non-recevoir ;
IV.10- L'analyse des débats et des pièces versées au dossier fait apparaitre que courant 2011, des requérants, au nombre desquels les six présents, avaient attrait la République Togolaise devant la Cour de Céans pour entendre statuer sur la violation de leurs droits fondamentaux ;
Dans ladite procédure la Cour a eu à rendre l'arrêt n°ECW/CCJ/JUD/06/13 en date du 03 juillet 2013 ;
IV.11- Le dispositif dudit arrêt est ainsi conçu :
« Statuant publiquement, contradictoirement et en matière des droits de l'Homme et en dernier ressort, En la forme :
Déclare recevable l’action des Requérants ;
Au fond :
1- En ce qui concerne l’immunité parlementaire de Monsieur Ad X, la Cour juge qu'il n'y a pas de violation du fait que c'est la procédure de flagrant délit qui a été utilisée par la Juridiction Nationale en vertu des dispositions constitutionnelles de l'Etat Défendeur ;
Sur la violation des droits :
2- Dit que l'Etat Togolais de par le fait de ses Agents a commis des actes de tortures sur les Requérants et ainsi violé leurs droits à l'intégrité physique et morale ;
3- Donne acte à l'Etat Togolais de ce qu'il offre de réparer les dommages subis par les victimes de ces actes de tortures ; 4- Dit également que le droit des Requérants au procès équitable a été violé en raison de l’utilisation au cours du procès des preuves obtenues sous les actes de torture ; 5- Dit que le droit à la Défense des Requérants a été violé ;
6-En conséquence, ordonne à l'Etat Togolais de prendre toutes les dispositions et mesures nécessaires et urgentes pour faire cesser la violation de ce droit au procès équitable. 1 Sur les autres droits par contre :
7- Déclare non établies l'arrestation et la détention arbitraires alléguées par les Requérants ;
8- Déclare que l'Etat Togolais n'a pas violé le droit à la liberté des Requérants ;
9-Que la violation du droit à la santé alléguée par les requérants n’est pas prouvée ;
10- Que la violation du droit des Requérants à être jugés dans un délai raisonnable n’est pas violé ;
11- Que la détention des Requérants étant fondée sur une base légale et n'étant pas arbitraire, dit n'y avoir pas lieu à ordonner leur libération ;
12- Dit que l'Etat Togolais n'a pas violé le droit à la visite des Requérants ;
Sur les réparations :
13- Ordonne à l’Etat Togolais de payer aux Requérants en réparation des dommages respectifs subis et en dommages et intérêts toutes causes confondues :
- La somme de 20 millions FCFA à chacun des Requérants victimes des actes de tortures telles que listées au Rapport de la Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH) et reconnues par l'Etat Togolais ; - Et celle de 3 millions de FCFA aux autres Requérants n'ayant pas subis d'actes de tortures.
14- Mets les dépens entiers à la charge de l'Etat Togolais ».
IV.12- La règle de droit relative à l'autorité de la chose jugée suppose que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties et formée par elles et contre elles en la même qualité ;
IV.13- Il apparait, de l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 en date du 03 juillet 2013, que les sept (07) requérants dans la présente procédure figurent au nombre de ceux qui, courant 2011,
avaient attrait la République Togolaise devant la Cour de Céans pour entendre statuer sur la violation de leurs droits fondamentaux ;
Il y ressort également que les chefs de demande formulés par les requérants figurent parmi ceux qui ont déjà été appréciés par la Cour et qui ont abouti à l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 en date du 03 juillet 2013 ;
En effet, la Cour a examiné les chefs de demande relatifs à la détention et aux réparations et s’y est prononcée, d’une part, en disant n’y avoir pas lieu à ordonner la libération des requérants et d'autre part, en leur allouant des dommages et intérêts respectivement aux points 11 et 13 du dispositif;
Il est enfin établi que les faits invoqués sont ceux résultant des évènements d'avril 2009 et des suites qui leur ont été réservées; IV .14-IIl s'ensuit alors que la Cour a, déjà, connu entre les mêmes parties, dans les mêmes qualités, la cause et l’objet que vise la requête en date du 30 juillet 2014 de Messieurs
Ai, ATTI Abi, B C, Y Aj
Ab et Ak Am Ak ;
Elle a répondu à la démarche des requérants par l’arrêt n°
ECW/CCJ/JUD/06/13 en date du 03 juillet 2013 ;
IV.15- D'ailleurs, les requérants ne l’ont jamais contesté mais ont essayé d'expliquer que c'est l'inexécution partielle de l’arrêt qui a motivé leur action ; que leur requête ne tend pas à faire rejuger l'affaire ;
IV.16- Mais à l'évidence, les questions soulevées par la requête ne sont pas relatives simplement à l'exécution de l’arrêt du 03 juillet 2013 ;
La requête a soutenu des demandes tendant à remettre en cause ledit arrêt ;
En effet, elle a formulé une mise en liberté immédiate des requérants ;
Or, l'arrêt du 03 juillet 2013 dans le dispositif énonce clairement au point 11 « Que la détention des Requérants étant fondée sur une base légale et n'étant pas arbitraire, dit n'y avoir pas lieu à ordonner leur libération ;
IV.17- En tout état de cause, il apparait que les parties, pour celles qui sont présentes, n’ont pas varié en leurs qualités ;
Il en est de même en ce qui concerne l’objet et la cause ;
Dans ces conditions il est légitime de s'interroger sur le sort à réserver à l'exception tirée de l’autorité de la chose jugée formulée par la défenderesse ;
IV.18- Aussi, la Cour doit-elle se poser la question qui suit et de tirer les conséquences de droit s'attachant à la réponse : peut-
contradictoirement entre les mêmes parties ?
IV.19- La Cour a répondu, dans une précédente décision (Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/05/15 du 23 avril 2015 — Affaire Georges Constant A contre l'Etat du Bénin), en ces termes:
« IV.21- Dès lors, il est légitime de se poser la question suivante : la Cour peut-elle connaitre d'une affaire qu'elle a déjà jugée ?
Les règles générales de droit veulent que la réponse ne soit que négative, en dehors, dans le cas de la Cour de Justice de la Communauté - CEDEAO, des possibilités d'opposition, de tierce opposition et de révision prévus respectivement aux articles 90, 91 et 92 du Règlement;
Or, l’action du requérant ne peut s'inscrire dans aucune de ces voies de recours ;
IV.22- Incontestablement, en l'espèce il y a autorité de la chose jugée ; or, ce principe interdit aux parties de renouveler devant le juge le différend qui a été déjà tranché » ;
IV.20- En l’espèce aussi, l’action des requérants ne s'inscrit pas dans la perspective de l'exercice des voies de recours autorisées par le Règlement de la Cour de Justice de la Communauté - CEDEAO à savoir l’opposition, la tierce opposition et la révision ;
La Cour doit, alors, répondre par la négative à la question posée au point IV. 18 ci-dessus ;
Il s'ensuit donc que les requérants à la procédure ayant abouti à l'arrêt n° ECW/CCJ/JUD/06/13 en date du O3 juillet 2013 ne peuvent plus valablement attraire l'Etat du Togo devant la Cour dans la même cause et pour le même objet ;
IV.21- Dans ces conditions, la fin de non-recevoir opposée par la défenderesse à l’action des requérants est régulière et bien fondée ;
Il convient alors de la recevoir et d'y faire droit ;
- Sur les dépens
IV.22- L'article 66.2 du Règlement de la Cour de Justice de la Communauté - CEDEAO dispose que « toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu dans ce sens » ;
En l'espèce, l’action des requérants ne va pas être accueillie ;
En outre, l'Etat du Togo a expressément sollicité leur condamnation aux dépens ;
Il y a lieu donc de mettre les dépens à leur charge ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violation des Droits de l'Homme et en premier et dernier ressort ;
Dit que la demande de procédure accélérée est devenue sans objet ;
Reçoit l'exception d'irrecevabilité tirée de l'autorité de la chose jugée formulée par la République Togolaise ;
La déclare bien fondée ;
Déclare, en conséquence, irrecevable l'action des requérants ;
Met les dépens à leur charge ;
AINSI FAIT, JUGE ET PRONONCE EN AUDIENCE PUBLIQUE, AU
SIEGE DE LA COUR, A ABUJA, CE JOUR 24 AVRIL 2015 ; ET Y
ONT PRIS PART :
- Honorable Juge Jérôme TRAORE, Président,
- Honorable Juge Yaya BOIRO, Membre,
- Honorable Juge Hamèye Founé MAHALMADANE,
Juge Rapporteur ;
- Assisté de Maître Athanase ATANNON, Greffier.