COMMUNITY COURT OF JUSTICE, € ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMUNIDADE,
CEDEAO No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE II, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, ABUJA
TEL: 09-6708210/5240781
Fax 09-5240780/5239425
Website:www. courtecowas.org COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNATE, CEDEAO
ABUJA —- NIGERIA
Rôle Général : n° ECW/CCJ /APP/16/13
Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/15/15 du 30 juin 2015
167 ex- agent de la Société Nigérienne des Produits Pétroliers
(SONIDEP) représentés par Ai A et Ah Aa : DEMANDEURS
Contre
L'Etat du Niger ;
La Société Nigérienne des Produits Pétroliers(SONIDEP) :
DEFENDEURS
COMPOSITION DE LA COUR
Hon. Juge Jérôme TRAORE, Président Hon. Juge Yaya BOIRO Membre Hon. Juge Hamèye F. MAHALMADANE Juge Rapporteur
Assisté Me Athannase ATANNON, Greffier LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
a rendu, dans l'affaire des « 167 ex-agents de la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP) >, représentés par Ai A et Ah Aa contre la République du Niger et la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP), en constatation d’une violation flagrante des Droits de l'Homme et d'indemnisation, la décision dont la teneur suit :
I- PARTIES
I1.1- DEMANDEURS : 167 ex-agents de la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP), représentés par Ai A et Ah Aa, assistés par leur Conseil Me. MAZET
PATRICK, avocat au Barreau du Niger, BP : 20 Niamey-Niger tel
: 96.70.3181/ 92.7031.8, Rue Kalley-Amirou ;
1.2- DEFENDEURS :
- La République du Niger, représentée par le Secrétaire Général du Gouvernement, ayant pour Conseil Maître Aissatou ZADA, avocat au barreau du Niger; BP: 10148 Ab, tel: 00227.20.74.05.58 ;
- La Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP), ayant pour conseil Maître Marc LE BIHAN, avocat au barreau du Niger, BP : 343 Niamey ;
II- FAITS ET PROCEDURE
II.1- Courant 1997, la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP), mettant en avant les difficultés de l’entreprise, a proposé un programme de départ négocié à ses employés. Elle a fini par conclure avec 167 employés un protocole d'accord dit de départ négocié en date du 03 avril 1998.
II.2- Plusieurs années après, ces employés, s'estimant floués par l’entreprise, ont voulu remettre en cause la convention ;
C'est dans ce cadre qu'ils ont décidé d'’attraire l'Etat du Niger et la SONIDEP devant la Cour de céans.
II.3- Ainsi, ils ont saisi la cour de céans d’une requête en date du 05 août 2013 aux fins de violation de leur droit à l'emploi contre l'Etat du Niger et la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP).
II.4- La requête introductive a été notifiée aux défendeurs le 19/09/2013 ;
II.5- Les mémoires en défense de l'Etat du Niger et la SONIDEP ont été respectivement reçus au greffe le 21 et le 24 Octobre 2013.
II.6- La cause a été retenue et débattue à l'audience du 24 avril 2015 ;
Les parties y étaient représentées ;
II.7- L'affaire a été mise en délibéré pour la décision rendue à
Abuja, siège de la Cour, le 18 mai 2015 ;
A cette date, le délibéré a été prorogé au 30 juin 2015 ;
III- MOYENS ET PRETENTIONS
III.1- Les requérants ont exposé que courant 1997, la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP) pour, selon elle, faire face à des difficultés financières leur a présenté une situation alarmante de sa trésorerie ; qu'elle a soutenu que des solutions idoines devaient être prises pour non seulement redonner plus de vivacité à l’entreprise mais aussi éviter sa disparition ; que pour cela, elle a engagé une grande campagne de sensibilisation au niveau du personnel, avec l'appui des représentants du personnel, pour les convaincre de la nécessité de procéder à des réformes ;que dans ce cadre elle leur a proposé de négocier le départ de certains travailleurs ;
III.2- Ils ont indiqué qu'ils ont adhéré au principe ; que pour finaliser la mesure proposée, un protocole d'accord dit de départ négocié a été élaboré et signé entre la SONIDEP et les travailleurs concernés ;
III.3- Ils ont ajouté que c'est ainsi que 167 agents ont accepté de faire le sacrifice en négociant leur départ ; que cependant toutes les propositions annoncées qui les ont convaincu d'accepter les maigres indemnités contre la perte de leur travail n’ont jusqu'ici pas vu le jour ; que cela est d'autant plus surprenant que la Banque Ag avait octroyé à l’Etat du Niger le montant de trente milliards FCFA afin de couvrir l'opération;
III.4- Après leur départ, la SONIDEP s’est adonnée à un recrutement massif d’un nouveau personnel pour les remplacer ; que ce personnel nouveau est composé de parents, d'amis et d'anciens travailleurs de la SONIDEP ;
III.5- Ils se sont rendu compte que tout ce qui avait été annoncé n’était que pure mensonge ; que le tableau qui leur avait été présenté était faux ; que le sacrifice consenti par les agents a été exploité à d’autres fins ;
III.6- Les requérants ont estimé qu'il y a vice de consentement notamment le dol du fait des tromperies, des mensonges par lesquels la SONIDEP les avait amené à adhérer au plan proposé
IV-7- Ils ont soutenu avoir été licenciés par la SONIDEP ; que ce licenciement est entaché d'irrégularités ; qu'ils se sont adressés aux juridictions nationales mais le droit n’a pas été dit
III.8- Ils ont avancé avoir saisi le Tribunal du travail de Niamey d’une action en réparation contre leur ex-employeur pour se faire allouer des dommages et intérêts ; que par jugement n°85/2005 du 20 septembre 2005, cette juridiction s’est déclarée incompétente ; qu’ils ont interjeté appel contre cette décision et la Cour d'appel a, par arrêt n°130 du 05 juin 2006, confirmé le jugement attaqué ;que sur leur pourvoi la Cour Suprême a, par arrêt n°08-113 du/S du 08 mai 2008, cassé, annulé l'arrêt, puis renvoyer la cause et les parties devant la même juridiction autrement composée ; que la Cour d'Appel autrement composée les a débouté de toutes leurs demandes ; que sur le nouveau pourvoi la Cour Suprême les a déchus de leur recours;
III.9- Ils ont soutenu que la SONIDEP a usé de manœuvres dolosives pour leur faire perdre leur emploi ;
III.10- Ils ont estimé que ces faits sont constitutifs de violation flagrante de leurs droits à l'emploi, qu’ainsi la SONIDEP et l'Etat du Niger ont violé leur droit à l'emploi de 1998 à ce jour, que c'est ce qui a motivé leur saisine de la Cour de céans pour voir constater la violation de leur Droit de l'Homme ;
III.11- A l'appui de leurs prétentions, ils ont invoqué le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels de 1966, article 6, de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples, articles 04 et 07, le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques, le Traité révisé de la CEDEAO et les règlements, Conventions, Directives et protocole sur la Cour qui y sont annexés ;
III.12- Ils ont sollicité de la Cour de faire respecter la règle de droit, les principes d'équité et la protection des Droits de l'Homme et de :
- déclarer leur requête recevable en la forme ;
- statuer en se fondant sur sa compétence ;
- déclarer que leur licenciement entaché des manœuvres dolosives ;
- dire que le licenciement est une violation des droits à l'Emploi
- condamner la SONIDEP et l'Etat du Niger à leur verser une indemnité pour violation des droits à l'emploi, qui ne peut être évaluée à moins de cinq milliards de FCFA ;
III.13-A l'audience, le conseil des requérants a déclaré que l'indemnité sollicitée est revalorisée à dix milliards de FCFA ;
III.14-Les défendeurs ont exposé, dans le « mémoire en réponse » en date du 11 octobre 2013 enregistré au greffe le 21 octobre 2013 produit par l'Etude d’Avocats Marc LE BIHAN et Collaborateurs, que dans les années 1996 - 1997 les institutions financières internationales et notamment la Banque Ag avaient préconisé la privatisation de certaines entreprises d'Etat au nombre desquelles la SONIDEP ; que cette dernière avait adopté un plan de restructuration pour faire face aux difficultés financières qu’elle traverse ; que dans le but d'éviter des licenciements secs des négociations furent engagées avec les différents partenaires sociaux ; qu’un comité chargé d'organiser et de définir les modalités d’un contrat de plan social dit de « départ négocié » fut créé et Monsieur Ah Aa en était membre ; que les conclusions du comité prévoyaient que le départ négocié devait en priorité concerné les agents devant aller à la retraite, les agents en formation et agents en disponibilité ; que Monsieur Ai A qui était en disponibilité depuis 1996 devait naturellement être frappé par la mesure de restructuration et admis au départ négocié ; que d'autres employés aussi avaient sollicité le départ volontaire en adressant expressément des demandes dans ce sens; qu'’ainsi le 03 avril 1998 un protocole d'accord fut signé avec les partenaires sociaux ;
III.15-Ils ont ajouté tous les employés ayant demandé et obtenu leur départ volontaire furent indemnisés en même temps que ceux admis au départ négocié, qu'ils quittèrent la SONIDEP volontairement et libres de tout engagement ;
III.16-Ils ont expliqué que le recours au départ négocié comme moyen de rupture du contrat de travail est conforme à l'interprétation de l’article 1134 du code civil qui prévoit la révocation de toute convention par consentement mutuel des parties ; que partant de ce principe fondamental en droit des obligations le Tribunal social par jugement n° 85/2005 du 29 septembre 2005 s’est déclaré incompétent et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir ; que sur appel des requérants la Cour d’Appel de Niamey a confirmé le jugement attaqué dans toutes ses dispositions suivant arrêt n° 130 du 05/06/2006 ; que toujours sur recours des demandeurs la Cour Suprême du Niger a cassé et annulé l'arrêt et renvoyé la cause et les parties devant la Cour d'Appel autrement composée par arrêt n° 08113/S du 08 mai 2008 ; qu'après le renvoi la Cour d'Appel de Niamey a déclaré légitime le licenciement et a en conséquence débouté les sieurs Ai A, Ah Aa et autres de toutes leurs demandes, fins et conclusions ; que le pourvoi de Maître MAZET n'ayant pas été introduit dans les délais requis la Cour d'Etat a fait à bon droit application de la loi en déclarant purement et simplement les demandeurs déchus de leur pourvoi ;
III.17-Ils ont soutenu que les demandeurs ont bénéficié de toutes les garanties inhérentes à un procès équitable ; qu'ils ont fait recours aux services d’un avocat expérimenté ayant plus de dix ans de pratique professionnelle ; qu’ils n’ont donc pas pu être mis dans l'impossibilité de connaitre l’existence de la loi en vigueur ; qu'ils ont bénéficié d’un droit d'accès et effectif devant les juridictions nigériennes, que la déchéance du pourvoi résulte manifestement d’une négligence de leur part
III.18-Les défendeurs ont souligné que les requérants ont malicieusement invoqué plusieurs dispositions internationales parmi lesquels les articles 4 et 7 alinéa 1 de la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples et l’article 6 du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 ; que la rupture négociée de contrat entre la SONIDEP et ses ex-employés est intervenue librement et dans les conditions du droit civil ; que la Cour peut aisément vérifier qu'il ne s'agit pas d'un licenciement mais d’une rupture négociée du contrat de travail ;que les employés auraient pu valablement refusé de signer les contrats de départ négocié ; qu'il n'y avait aucune contrainte ni dol ;que les employés ont eu la possibilité de se faire assisté par les syndicats et les représentants du personnel, que des indemnités leur ont été versées et certains agent ont même créé des sociétés, que les ex-employés semblent reprocher à la SONIDEP leur impréparation à affronter le monde cruel des affaires ; que l'échec individuel de certains agents ne saurait aucunement être imputable à la SONIDEP ;
III.19-Ils ont conclu à l’irrecevabilité de la requête et ont fini par solliciter de la Cour de :
- constater que les demandeurs n’ont pas été licenciés par la
- constater que la rupture des contrats a été négociée en application de l’article 89 al 2 du code de travail;
- constater que la convention de départ négociée est conforme à l’ordonnancement juridique nigérien notamment les
dispositions de l’article 1134 du code civil ;
- constater que les demandeurs ont eu accès à un procès équitable, gage d'une bonne justice dans un pays démocratique ; - constater qu'il n'y a aucun cas de violation des droits humains ;
- en conséquence, rejeter purement et simplement le recours abusivement introduit par les demandeurs ;
- condamner les demandeurs des dépens ;
III.20- Les mêmes défendeurs sous la plume de leur conseil Maître Aïssatou ZADA dans son « mémoire en défense » du 17 octobre 2013 enregistré au greffe le 24
d’irrecevabilité tirée fait que les requérants n’ont pas établi une violation des droits humains ;
III.21- Ils ont exposé qu'après avoir saisi les juridictions nationales pour tenter de remettre en cause un protocole librement signé et exécuté par les parties les requérants se retournent vers la Cour de Justice de la CEDEAO pour essayer de rattraper une erreur grossière de procédure ; qu’en effet suite à sa saisine le tribunal de travail de Niamey s’est déclaré incompétent et sa décision avait été confirmée par la Cour d'Appel de Niamey suivant arrêt en date du 05 juin 2006 ; que suite à un pourvoi en cassation la Cour Suprême a cassé et renvoyé les parties et la cause devant la Cour d'Appel de Niamey qui jugera que le licenciement des requérants était légitime et les a débouté de toutes leurs demandes, fins et conclusions, que le pourvoi formé contre cette dernière décision connaitra une erreur grossière qui sera fatale pour les demandeurs ; qu'il en résulte qu'aucune violation des droits humains ne peut être constatée par la Cour ; que les requérants ne peuvent soutenir n'avoir pas eu accès à un procès équitable ; qu’ils ont cru devoir saisir les juridictions pour faire valoir leurs droits mais ont vu leur espoir s'envoler suite au manque de diligence de leur conseil ; que cela ne saurait être ni le fait de l'Etat du Niger, ni celui de la SONIDEP, encore moins des juridictions nigériennes ;
III.22- Sur le fond, ils ont indiqué que la restructuration de la SONIDEP avait conduit à la conclusion d’un protocole d'accord par tous les partenaires sociaux et les demandeurs qui ont été intégralement indemnisées ; que d'ailleurs certains d’entre eux ont pu investir dans le secteur privé, que le protocole a été totalement exécuté de bonne foi et toutes les primes et indemnités prévues ont été intégralement payées ; que comme l’a jugé la Cour d’Appel suivant l’arrêt n° 051 de juillet 2009 « les ex-agents sont mal fondés à soutenir que la lettre du protocole d'accord du 03 avril 1998 n'a pas été respectée par la SONIDEP ; qu’elle a versé à chaque agent ses indemnités de départ, que dès lors il y a lieu de dire que la rupture est légitime », qu’en plus ils ont épuisé toutes les voies de recours sur le plan national ;
III.23- Ils ont sollicité que la Cour :
1) en la forme déclare irrecevable l’action de Ai A et autres parce qu'il n'y a pas de violation des droits humains ;
2) au fond rejette le recours des demandeurs comme mal fondé et mette les dépens à leur charge ;
IV- MOTIVATION
Sur la demande d'irrecevabilité de la requête
formulée par les défendeurs
IV.1- Les défendeurs ont soulevé une exception relative à l’irrecevabilité de la requête introductive tirée du fait que les requérants ont déjà eu accès aux juridictions nationales ;
IV.2- Les avocats de la République du Niger et de la SONIDEP ont, dans leurs écritures, précisé que les requérants après avoir vainement tenté de remettre en cause le protocole d'accord devant les juridictions nationales se sont décidés à saisir la Cour de Justice de céans, qu'ils ont épuisé toutes les voies de recours contre les décisions rendues à leur encontre par les juridictions nationales ;
IV.3- Ils ont conclu à l’irrecevabilité de la requête introduite contre eux par les ex-agents de la SONIDEP aux motifs qu'il ne peut y avoir de violation de Droits de l'Homme ;
IV.4- La saisine des juridictions nationales est-elle source d’irrecevabilité d’une requête par la Cour de céans ?
IV.5- Le Protocole Additionnel (A/SP.1/01/05) du 19 février 2005 portant amendement du Protocole (A/P1 /7/91) relatif à la Cour de justice de la Communauté n'a prévu à son article 10.d que deux (02) obstacles à la saisine régulière de la Cour de justice de la Communauté : il s'agit de l'anonymat de la requête et la saisine préalable d’une juridiction internationale également compétente ;
IV.6- L'accès préalable à une juridiction nationale ne peut donc constituer un motif d'irrecevabilité devant la Cour de Justice de la Communauté du moins tant qu’il s'agira d’un domaine de compétence de la juridiction communautaire ;
IV.7- Au demeurant, la Cour a toujours reçu les requêtes et retenu sa compétence même en cas de saisine préalable d’une juridiction nationale ;
Il en a été ainsi dans la procédure EL Hadj Mame Ad Ae contre la République du Sénégal (Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/01/12 du 26 janvier 2012) ;
La Cour y a noté que « la saisine d’une juridiction d’un état membre n’a aucune influence sur sa compétence en matière des droits de l’homme et rappelle que la seule limite à cette compétence est précisée par l’article 10 d) ii) du Protocole Additionnel relatif à la Cour qui lui interdit de connaitre une affaire déjà portée devant une autre Cour Internationale compétente > ;
IV.8- Dans ces conditions l'exception d'irrecevabilité tirée du motif de l'accès des requérants aux juridictions nationales ne peut prospérer ;
Il convient de la déclarer mal fondée et de la rejeter ;
Sur l'examen d'office de la recevabilité de la
requête
IV.9- L'article 10 du Protocole Additionnel (A/SP.1/01/05) du 19 janvier 2005 portant amendement du Protocole (A/P1/7/91) relatif à la Cour de Justice de la Communauté prévoit que :
« Peuvent saisir la Cour :
d) toute personne victime de violations des droits de l'Homme ; la demande soumise à cet effet :
i) ne sera pas anonyme ;
ii)ne sera pas portée devant la Cour de justice de la communauté lorsqu'elle a déjà été portée devant une autre internationale compétente > ;
IV.10- La Cour, tel que cela résulte des dispositions combinées des articles 9 (4) et 10(d) du Protocole Additionnel (A/SP.1/7/05) portant amendement du protocole (A/P1/7/91) relatif à la Cour de Justice de la Communauté, a donc compétence pour se prononcer sur des cas de violation des droits de l'homme dans tout Etat membre de la Communauté à condition que la demande ne soit pas anonyme et que l'affaire n'ait pas été déjà portée devant une autre juridiction internationale compétente;
IV.11- La Cour souligne que la requête introductive d'instance a été présentée au nom de « 167 ex-employés de la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP), représentés par Ai A, Ah Aa... » ;
IV.12- Les 167 ex-agents de la SONIDEP ayant saisi la Cour n’ont pas été formellement identifiés dans la requête
La liste intitulée « liste des agents bénéficiaires du départ volontaire SONIDEP » jointe en annexe ne comporte que quarante-cinq (45) noms sans autre précision ;
Une autre liste intitulée « Opérations départ négocié/SONIDERP : coût » également jointe en annexe fait état de cent quarante un (141) noms dont les 45 cités dans la liste précédente ;
En outre, à ce jour, aucune pièce du dossier n’a permis d'identifier individuellement les requérants ;
En effet, ni la requête, ni aucune autre pièce, n’ont fourni leur identité personnelle et leur adresse sur le territoire de la République Niger ;
Il n'est mentionné nulle part les renseignements les concernant
Une requête qui ne comporte pas les mentions essentielles exigées par l’article 33.1a) du Règlement de de justice de la Communauté -CEDEAO à savoir les noms et domicile du ou des requérants doit être considérée comme anonyme ;
Il s'ensuit alors que la requête des « 167 ex agents de la SONIDEP » doit le sort réservé aux requêtes anonymes ;
IV.13- Par ailleurs, la requête indiquent que les « 167 ex-agents de la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP)» sont représentés par Af A et Aa ;
IV.14- Sur ce point, la Cour relève que dans l'affaire Ac B et 28 autres contre la République du Mali (arrêt n° ECW/CCJ/JUD/03/11 du 17 mars 2011) elle a acté que « la recevabilité de la requête est liée, entre autres critères, à la qualité de victime. Cette condition induit nécessairement que le requérant, agissant à titre personnel en raison d’un intérêt lésé, juridiquement protégé, exerce le droit de saisir un juge pour l'examen de ses prétentions ou alors que le requérant, habilité à agir, en vertu d'un mandat pour le compte d'autrui ou pour le compte d'un collectif dont un intérêt juridiquement protégé a été lésé, exerce un pouvoir de représentation à l’action, en vue de faire triompher des réclamations pour le compte d'autrui ou pour le compte d'un collectif. L'exercice d’une action en justice est une faculté, et il revient au titulaire de cette prérogative soit de la mettre en œuvre par lui-même soit de mandater, dans le respect des lois nationales, un tiers à cet effet » ;
IV.15- En l'espèce, les mandataires n’ont pas prouvé leur mandat ;
En effet, la Cour n'a enregistré aucun mandat délivré à leur profit par leurs prétendus mandants ;
Ils n’ont justifié d'aucun titre les autorisant à représenter les requérants devant la Cour de Justice de la Communauté - CEDEAO ;
Il s'ensuit qu'ils n’ont pas qualité pour agir au nom des requérants ;
IV.16- Il apparait des développements qui précèdent que d’une part la requête des « 167 ex-agents de la Société Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP)» ne répond pas à une condition essentielle prescrite pour sa recevabilité par l’article 10 du Protocole Additionnel (A/SP.1/01/05) du 19 janvier 2005 à savoir le non anonymat de la demande, et d'autre part leurs supposés mandataires n’ont pas qualité à agir au nom et pour le compte des requérants ;
IV.17- Dans ces conditions, leur action ne peut être reçue ;
Il y a lieu de la déclarer irrecevable anonymat de la requête et défaut de qualité des mandataires ;
Sur les dépens
IV.18- L'article 66.2 du Règlement de la Cour de Justice de la Communauté - CEDEAO dispose que « toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu dans ce sens » ;
En l'espèce, l’action des requérants n'a pas été reçue ;
En outre, l'Etat du Niger a expressément sollicité leur condamnation aux dépens ;
Il y a lieu donc lieu de faire droit à cette demande ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violation des Droits de l'Homme et en premier et dernier ressort ; Reçoit l'exception d'irrecevabilité tirée de l’accès des requérants aux juridictions nationales présentée par les défendeurs ; La déclare mal fondée, la rejette ; Déclare l’action des « 167 ex-agents de la Société
Nigérienne des Produits Pétroliers (SONIDEP) »
irrecevable pour anonymat de leur requête et défaut de
qualité de ceux qui soutiennent les représenter ;
Met les dépens à leur charge ;
AINSI FAIT, JUGE ET PRONONCE EN AUDIENCE PUBLIQUE, AU SIEGE DE LA COUR, A ABUJA, CE JOUR 30 juin 2015 ; Y ONT PRIS PART :
- Honorable Juge Jérôme TRAORE, Président,
- Honorable Juge Yaya BOIRO, Membre ;
- Honorable Juge Hamèye Founé MAHALMADANE, Juge
Rapporteur,
- Assisté de Maître Athanase ATANNON, Greffier.