COMMUNITY ECOWAS COURT OF JUSTICE, € No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT, OFF AMINU KANO CRESCENT, COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
WUSE II, ABUJA-NIGERIA.
CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA CEDEAO DA COMUNIDADE, NU TEL: 09-6708210/5240781 PMB 567 GARKI, Fax 09-5240780/5239425 A
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ARRET
LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE DES ETATS
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
RÔLE GENERAL : N° ECW/CCJ/APP/17/13 ARRÊT N°
Mercredi 07 octobre 2015
La Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l’ouest,
(CEDEAO) siégeant à A au Nigeria le mercredi 07 octobre 2015 en formation
ordinaire composée de :
-Honorable Juge Jérôme TRAORE Président,
-Honorable Juge Alioune SALL Membre,
-Honorable Juge Yaya BOIRO Membre,
Assistés de Maître Athanase ATANNON Greffier
A rendu l'arrêt dont la teneur suit :
Entre
I- LES PARTIES
Messieurs Bh Av, Am Ac Al, Bc Ag, Aw Aa,
Bd Aj, Ah Ba, Yao Az Bg, Bk Bb, et les ayants
droits de feu At Bl,
Tous anciens membres des forces armées togolaises, domiciliés à Be, Ap ;
Ayant pour avocat, Maître Ajavon Ata Messan Zeus, avocat à la Cour d'Appel de Lomé,
1169, Avenue Calais, Be Ap ;
Requérants, d’une part,
Et
La Bf Ao, ayant son siège à Lomé, au Palais de la présidence, 2, Avenue du
Général de Gaulle, Lomé-Togo, prise en la personne de son représentant légal, Monsieur
le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, chargé des relations avec les institutions de la
République, demeurant à Lomé, Rue de l'entente, Togo, élisant domicile … cabinet de son
conseil, Maître Tchitchao Tchalim, avocat au Barreau de
Lomé, demeurant au 77, rue de N'koyiyi à Lomé, 08 BP : 80928 Lomé ;
Défenderesse d'autre part ;
Vu le Traité révisé instituant la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l’Ouest (CEDEAO) du 24 juillet 1993 ;
Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ;
Vu la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples du 27 juin 1981 ;
Vu la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 ;
Vu le Protocole du 06 juillet 1991 et le protocole additionnel du 19 janvier 2005 relatifs à la Cour de justice de la CEDEAO ;
Vu le Règlement de la Cour de justice de la CEDEAO en date du 03 juin 2002 ;
Vu la Requête en date du 19 septembre 2014 des demandeurs susnommés ;
Vu le mémoire en défense en date du I6 février 2015 de l'Etat du Togo ;
Vu les pièces du dossier ;
Oui les parties par l'organe de leurs conseils respectifs ;
Après en avoir délibéré conformément à la loi ;
II- PRESENTATION DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
I- Les sieurs Bh Av, Am Ac Al, Bc Ag, Aw Aa, Bd Aj, Ah Ba, Yao Az Bg, Bk Bb, et feu At Bl déclaraient avoir été arrêtés au cours des années 2000, pour atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat togolais et détenus pendant plusieurs mois dans divers locaux de la gendarmerie nationale de Ak, du camp du régiment para commando de Ak, du camp de la gendarmerie nationale de Lomé, de l'Agence nationale de renseignements de Lomé et de la prison de Lomé, où ils estiment avoir subi des actes de torture et de traitements inhumains et dégradants, avant d’être libérés le 04 août 2006 par le Procureur de la République près le Tribunal de I“ instance de Lomé . Selon eux cette libération est confirmée par l'attestation N°3975 en date du 04 août 2006 dans laquelle ledit Procureur précisait que « le nommé Ar Am Bj Al poursuivi pour attentat contre la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat a été mis en liberté par grâce présidentielle le 12 juillet 2005 ».
2-Le 17 février 2014, les susnommés et les ayants droit de feu At Bl formulaient
en vain, par l'intermédiaire de leur conseil, Maitre Ajavon Ata Messan Zeus, un recours
gracieux en date du 10 novembre 2013, aux fins d'obtenir réparation des préjudices par
eux subis et régulariser leur situation administrative, notamment réintégrer les rangs des
forces armées togolaises.
3- Face à l’inertie des pouvoirs publics, les demandeurs susnommés déposaient le 18
décembre 2014 au greffe de la Cour de céans, par l'entremise de leur conseil, la requête
susvisée par laquelle ils sollicitent ce qui suit :
- déclarer la Cour compétente et recevoir la requête présentée ;
- dire qu’ils ont été arrêtés et détenus pendant 2 à 4 années dans les locaux du camp de
la gendarmerie de Ak, du camp du régiment para commando de Ak, du camp de la
gendarmerie nationale de Lomé, de l'Agence nationale de renseignements de Lomé et
ceux de la prison de Lomé ;
- dire qu'ils ont subi des actes de tortures et autres traitements cruels, inhumains et
dégradants, pendant leur arrestation;
- dire que cette situation est, de toute évidence, d’une part, une violation des dispositions
des articles 1, IS et 21 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992, des articles
5 et 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, des articles 4, 5 et 6
de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, de l’article 9 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, ainsi que de l’article I“ de la Convention
contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
- ordonner la réparation des torts à eux causés en application des dispositions de l’article
9 alinéa 5 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;
En conséquence :
- Condamner la République togolaise à prendre toutes les mesures nécessaires et urgentes
pour leur réhabilitation, leur réintégration dans leurs différents corps et d’en tirer toutes
les conséquences financières qui en découlent ;
- Condamner la République togolaise à payer à chacun des requérants 20 000 000
FCFA, pour les faits d’arrestation et de détention arbitraires pendant 2 à 4 ans et
30 000 000 FCFA, pour les actes de torture et autres traitements inhumains, cruels
et dégradants à eux infligés ;
- Condamner la République togolaise aux dépens.
II- ANALYSE DE LA COUR
En la forme
4- Considérant que la requête susvisée est introduite dans les conditions exigées par les
articles 33 et suivants du Règlement de la Cour et qu’il convient de la déclarer recevable.
Au fond
Sur l'arrestation, la détention arbitraire et la torture
5- Considérant qu’au soutien de leurs demandes, les requérants exposent, par
l'entremise de leur conseil, qu'après des années de détention pour différentes
infractions (attentat contre la sûreté intérieure et extérieure de l'Etat togolais,
intelligence avec l'ennemi et défaut de compte rendu), ils ont, contre toute
attente, reçu individuellement du Procureur de la République près le tribunal
de I““ instance de Lomé, une attestation de relaxe au courant des mois’d’
août 2006 et avril 2008 libellée comme suit : « a été mis en liberté par
grâce présidentielle le 12 juillet 2005 .…».
6- Selon les requérants, cette attitude de la République togolaise constitue, sans
aucun doute, des cas types d’arrestation et de détention arbitraires, au regard
des dispositions des textes susvisés.
Ils ajoutent que pendant leur détention dans les locaux du camp de la gendarmerie nationale
de Ak, à environ 400 kilomètres de Lomé, ils ont subi des actes de torture et autres
traitements inhumains et dégradants ; pour preuve, ils gardent encore des séquelles visibles
sur leur corps, comme l’attestent les certificats médicaux joints au dossier ; ils affirment en outre que les auteurs desdits actes de torture ne sont autres que les colonels Bm
Au, Ae Aq et Bika, les commandants As Ai et Badabon, le
lieutenant Pali, le chef Ad Ab, le caporal Ax et d’autres officiers des forces
7- Aussi, les requérants estiment-ils que les actes par eux subis de la part des
susnommés, outre qu’ils portent atteinte à leur intégrité physique, vont à
l'encontre des dispositions des normes nationales et internationales susvisées
; pire, la grâce à eux octroyée ne se justifie pas dès lors que cette mesure ne
peut s'appliquer qu’à des individus ayant fait l’objet d’une condamnation, ce
qui n’est pas le cas en l'espèce.
8- Considérant que l'Etat togolais estime pour sa part, par l'entremise de son
conseil, que les prétentions des requérants sont infondées, vagues et confuses
; qu’à titre d'exemple, ils se contentent de dire que par deux fois, entre 2000
et 2001, ils ont été soupçonnés d'atteinte à la sûreté de l'Etat, arrêtés et leurs
domiciles perquisitionnés, sans autres renseignements sur la date et le lieu
d’arrestation ou de détention.
9- S'agissant des allégations de détention, le défendeur affirme que le flou est
pire d'autant plus que les requérants citent plusieurs lieux de détention sans
préciser qui est victime de garde à vue et dans quel local. Ils indiquent aussi,
de manière invraisemblable, qu’ils ont été déférés à la prison civile de Lomé
sans passer devant un procureur ; en outre, ils ne prouvent pas avoir subi des
actes de torture ou d’autres traitements inhumains et se contentent de
produire, dix ans après leur libération prétendue, des certificats médicaux
qu’ils se sont fait établir à la clinique Ay Af de Lomé en décembre
2013 et J janvier 2014 ; aussi, les requérants q ajoutentils J à la confusion en
faisant allusion à une relaxe dont ils auraient bénéficié (ce qui relève de la
compétence exclusive du tribunal) et une grâce présidentielle, mesure relevant
de la seule compétence du Président de la République ; enfin, les requérants
déclarent avoir été inculpés d’attentat contre la sûreté intérieure et extérieure
de l'Etat, d'intelligence avec l'ennemi, et de défaut de compte rendu, alors
qu’ils ont affirmé plus haut n'avoir jamais rencontré un juge ; qu’en clair, la confusion et le flou sont parfaits et qu’il y a lieu de rejeter purement et
simplement p leurs demandes comme non fondées.
I10- Considérant qu'en règle générale, il appartient au demandeur de rapporter la
preuve de ses prétentions, et qu’en application de ce principe, la Cour de la
CEDEAO retient de manière constante (voir par exemple son arrêt en date
du 17 février 2010 relatif à l'affaire opposant An Bi à l'Etat du
Bénin), que tous les cas de violations des droits de l'homme invoqués devant
elle par un requérant, doivent être étayés de manière spécifique, par des
preuves suffisamment convaincantes et non équivoques.
II- En l'espèce, la Cour relève à l'issue des débats et sur la base des pièces de la
procédure, que les requérants ne rapportent aucun élément de preuve quant
à leur arrestation et leur détention par les autorités judiciaires togolaises. Au
demeurant, ils se bornent à affirmer qu’ils ont été victimes, au courant des
années 2000, de détention dans les locaux du camp de la gendarmerie
nationale de Ak, à environ 400 kilomètres de Lomé, où ils ont subi des
actes de torture et autres traitements inhumains et dégradants comme
l’attestent les séquelles visibles sur leur corps et les certificats médicaux joints
au dossier.
12- La Cour observe que les certificats médicaux joints au dossier, outre qu’ils
sont sérieusement contestés par l'Etat togolais, ne concernent que six
requérants (sur une liste de dix huit) et n’ont été établis et produits qu’en
décembre 2013 et janvier 2014, alors que les arrestations et actes de torture
allégués sont supposés avoir été commis entre 2000 et 2001.
13- S'agissant des preuves de leur libération, les requérants ne produisent qu’une
« attestation de relaxe » en date du 04 août 2006 concernant le nommé
Ar Am Bj Al, dans laquelle il est mentionné que ce
dernier « a été mis en liberté par grâce présidentielle le 12 juillet 2005 ».
Cette attestation enregistrée sous le N° 3975/PR/2006 est également
contestée par l'Etat togolais au motif qu’elle est invraisemblable étant donné
qu’un parquet ne peut délivrer un tel acte en 2006 pour faire produire effet
à une grâce présidentielle qui serait intervenue depuis le 12 juillet 2005. La Cour fait observer sur ce point, que les requérants n’ont pu produire à ce
jour, les autres attestations de relaxe les concernant même si leur conseil en
avait pris l'engagement à l'audience du 25 avril 2015 de la Cour de céans.
14- Au surplus, la Cour note que les requérants ne rapportent aucune preuve
pour justifier la transmission à qui de droit de leurs correspondances
(recours) relatives à leur réhabilitation et leur dédommagement, datées du 10
novembre 2008 et du 25 mai 2009, respectivement adressées au Président
de la République togolaise et au représentant de l'Union européenne.
I5- Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime, en l’état, que les requérants
ne rapportent pas suffisamment de preuves d’une violation quelconque de
leurs droits, notamment les droits à la liberté, à l'honneur et à l'intégrité
physique au sens des articles 5 et 9 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques, de l’article 9 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme, des articles Æ, 5 et 6 de la Charte africaine des droits de l’homme
et des peuples et de l’article I“ de la Convention internationale contre la
torture.
I6- La Cour relève par ailleurs, que les requérants invoquent, au soutien de leurs
demandes, un certain nombre de textes nationaux, notamment la
Constitution de la République du Togo. Elle doit cependant écarter
d'emblée de telles références conformément à sa jurisprudence selon laquelle
elle n’est pas juge de la constitutionnalité ou de la légalité d'actes ou d'actions
entreprises par les Etats. Elle ne se réfère qu'aux normes internationales qui
lient ces Etats, ce qui justifie que seuls ceux-ci puissent, dans le contentieux
de la violation des droits de l’homme, être défendeurs devant elle.
17- Qu'il s'ensuit que les requérants doivent être déboutés de leurs prétentions.
Sur les dépens
I8- Considérant que les requérants ont succombé et qu’en application des dispositions de l’article 66 du Règlement de le Cour de céans, il y a lieu de les condamner aux dépens, comme sollicité par l'Etat du Togo.
Par ces motifs,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violations des droits de l’homme, en premier et dernier ressort,
En la forme
Reçoit la requête présentée ;
Au fond
Dit que les preuves rapportées par les requérants sont insuffisantes ;
Les déboute en conséquence de leurs prétentions ; Met les dépens à
leur charge.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique à A ce jour 07 octobre 2015
Ont signé :
Honorable Juge Jérôme TRAORE Président
Honorable Juge Alioune SALL Membre
Honorable Juge Yaya BOIRO Membre
Maître Athanase ATANNON Greffier