COMMUNITY ECOWAS COURT OF JUSTICE, €
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMUNIDADE, CEDEAO No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE II, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, X
TEL: 09-6708210/5240781 Fax 09-5240780/5239425 Website: www. courtecowas.org LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST,
Siégeant à X/ République Fédérale du Nigeria, ce jour 20 octobre 2015 dans l’affaire :
La Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l’Homme
(RADDHO), ayant pour conseil Maitres Amadou Ad Ak et Af Ac : demanderesse
Contre
La République du Sénégal, représentée par Monsieur A A,
Agent Judiciaire de l’Etat : défenderesse
Rôle général N°ECW/CCJ/APP/03/12 Arrêt N°ECW/CCJ/JUD/20/15
Composition de la Cour :
Honorable Justice Jérôme TRAORE Président
Honorable Justice Ai Y Ceu Ae B Membre
Honorable Justice Ah Z Aj Membre
Honorable Justice Yaya BOIRO : Membre
Honorable Justice Alioune SALL Membre
Assistés de Maitre Aboubacar Djibo DIAKITE Greffier A
rendu l’arrêt dont la teneur suit :
I- PROCEDURE
Le 17 février 2012, la Rencontre Africaine pour les Droits de l’Homme (RADDHO), saisissait la Cour de Justice de la CEDEAO d’une requête en violation des droits de l'Homme contre la République du Sénégal.
Par acte séparé daté du même jour, elle introduisait une demande en procédure accélérée;
Le 22 février 2012, le Greffier en Chef signifiait les deux requêtes à la République du Sénégal;
Le 09 mars 2012, la République du Sénégal déposait son mémoire en défense ;
Le 12 mars 2012, la RADDHO déposait un mémoire en réplique et le 12 avril 2012, elle déposait encore des conclusions écrites ;
Le 04 mai 2012, la Cour a entendu les parties dans le cadre de la procédure accélérée et mis le dossier en délibéré pour le 11 juin 2012 ;
Par arrêt avant-dire droit en date du 06 juillet 2012, la Cour a délibéré sur les exceptions soulevées par la République du Sénégal en ces termes :
« - Déclare recevable la requête en violation des droits de
l’homme présentée par la RADDHO contre l'Etat du Sénégal,
- Renvoie cause et parties pour l’audience au fond,
- Réserve les dépens » ;
8 Le 19 février 2015, le dossier a été appelé pour l’audience des plaidoiries ; la RADDHO n’a pas comparu à cette audience et a 2 plutôt écrit pour demander le renvoi du dossier à une date ultérieure ;
La Cour, après avoir entendu le conseil de la République du
Sénégal a décidé de retenir le dossier ;
10. A l’issu des observations orales du conseil de l’Etat du Sénégal qui a demandé la radiation du dossier du rôle de la Cour et fait des offres de preuves, le dossier a été mis en délibéré ;
11. Par un écrit en date du 14 avril 2015, la RADDHO a demandé le rabat du délibéré et un ajournement de l’audience programmé pour le 23 avril 2015 ;
12. A cette date, la Cour a prorogé le délibéré au 18 mai 2015 ;
13. Le délibéré a été à nouveau prorogé au 30 juin 2015 puis au 20 octobre 2015 ;
II- FAITS - PRETENTIONS ET MOYENS DES
PARTIES
14. Par requête en date du 17 février 2012, la Rencontre Africaine pour les Droits de l’Homme (RADDHO), a attrait la République du Sénégal devant la Cour de Justice de la CEDEAO à l’effet de la voir :
- « dire et juger que la décision du Conseil constitutionnel d’entériner la candidature du Président Abdoulaye WADE est une violation des principes consacrés par le protocole de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne gouvernance, ainsi que des dispositions et de l’esprit de la Constitution du Sénégal, et qu’elle entrave la paix et la sécurité au Sénégal ;
- dire et juger que l’usage de balles réelles par la police contre les manifestants viole l’article 22 du Protocole de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne gouvernance, de même que l’article 4 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ;
- ordonner à la République du Sénégal de faire cesser l’usage de balles réelles pour disperser les manifestants, et de se désister de tout acte de violence pour faire disperser les manifestants ;
- ordonner à la République du Sénégal de suspendre l’élection présidentielle prévue le 26 février 2012 jusqu’à ce que le gouvernement du Sénégal apporte à la Cour, la preuve de son engagement à situer cette élection dans un environnement assurant des pourparlers inclusifs avec les partis d’opposition, les organisations pertinentes de la société civile, et à garantir une paix durable avant, pendant, et après la proclamation des résultats ;
- ordonner à la République du Sénégal d’ouvrir une enquête sur les cas de morts et de blessés parmi les manifestants, d’engager des poursuites envers les officiers de police impliqués dans l’usage de balles réelles, de dédommager les victimes des violations des droits de l’Homme suite aux manifestations organisées au Sénégal depuis l’annonce de la décision du Conseil Constitutionnel » ;
15. Au soutien de ses prétentions, la RADDHO expose que le 27 janvier 2012, le Conseil constitutionnel du Sénégal a rendu une décision validant la candidature du président sortant Abdoulaye WADE à l’élection présidentielle du 26 février 2012 ; que suite à cette décision, des manifestations d’envergure ont eu lieu et ont été réprimées par la police, soupçonnée d’avoir usé de balle réelles contre les manifestants ; que cette répression a provoqué des blessés et des morts parmi les manifestants ; qu’un manifestant aurait en effet été écrasé par un véhicule de la police et six (06) à dix (10) personnes auraient tuées ; que le nombre de blessés reste indéterminé ;
16. Que des journalistes ont également été victimes de la répression policière et certains d’entre eux ont reçu des menaces d’hommes politiques ; que parmi les journalistes blessés, on compte Aa Ag AG, correspondant de l’Agence France-Presse ;
17. Que l’Etat du Sénégal a également pris des mesures pour interdire les manifestations sur tout le territoire national ;
18. Par une requête séparée datée du 17 février 2012, la RADDHO demande à la Cour de soumettre sa requête à la procédure accélérée au motif qu’il y a lieu de statuer sur ses prétentions au fond avant la tenue du scrutin prévue pour le 26 février 2012 et qu’il y’a également lieu de mettre fin à la détérioration continue de la situation des droits de l’Homme au Sénégal ;
19. Comme fondement de ses prétentions, elle invoque :
- le Traité révisé de la CEDEAO en son article 4 (g) ;
- les articles 1(b), 1(c), 1(d), et 2(1) du protocole de la CEDEAO sur la Démocratie et la Bonne gouvernance ;
- les articles 4, 7, 10, 11 et 13 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples ;
- le Code de conduite des Nations Unies pour les agents de maintien de l’ordre ;
- la résolution 34/169 de l’Assemblée Générale du 17 décembre 1979 ;
- et la Constitution Sénégalaise ;
20. Elle soutient en effet que la validation de la candidature du Président WADE par le Conseil constitutionnel du Sénégal, pour briguer un troisième mandat, constitue une violation des obligations du Sénégal aux termes du Traité révisé de la CEDEAO de 1993 d’une part et, d’autre part du protocole sur la Démocratie et la Bonne gouvernance notamment en ses articles 1 (b), 2(1) ;
21. Que s’agissant de la violation des droits de l’homme, elle soutient que l’usage des balles réelles contre les manifestants viole les dispositions de l’article 22 du protocole sur la Démocratie et la Bonne gouvernance qui interdit l’usage d’armes pour disperser des rassemblements ou manifestations non violentes ; que ce protocole fait obligation aux agents de police de n’user que d’une force minimale et proportionnelle ; qu’en outre, de tels actes contreviennent aux normes internationales telles que le Code de conduite des Nations Unies pour les agents de maintien de l’ordre, la résolution 34/169 de l’Assemblée Générale du 17 décembre 1979, qui restreignent l’usage exagéré de la force par la police lors de la dispersion des manifestants ; que l’usage de balles réelles viole également les dispositions de l’article 4 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui garantit le droit à la vie et l’article 7 de la Constitution sénégalaise qui dispose que la personne humaine est sacrée et inviolable, et que l’Etat a l’obligation en tout temps de la respecter et de la protéger ;
22. Que l’Etat du Sénégal, en interdisant la tenue des manifestations populaires et des meetings de protestation, a violé aussi les articles
10 et 11 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui garantissent la liberté d’association et le droit de se réunir librement avec d’autres personnes ;
23. Dans son mémoire en défense déposé au greffe de la Cour le 09 mars 2012, la République du Sénégal demande à la Cour :
En la Forme ;
- de déclarer la requête de la RADDHO irrecevable ;
- de se déclarer incompétente ;
Au fond ;
- rejeter la requête comme mal fondée ;
24, L’Etat du Sénégal soutient que la question de la validité de la candidature de Monsieur Abdoulaye WADE n’est plus d’actualité dans la mesure où les élections ont eu lieu dans une transparence saluée par tous les observateurs ;
25. Que s’agissant de la violation des droits de l’Homme, la requérante n’apporte pas à la Cour la preuve de ses allégations alarmistes et mensongères en parlant d’un nombre de morts inconnu ; qu’elle ne cite pas nommément les victimes, et en réalité, est intéressée par l’invalidation de la candidature de WADE :
26. Que la Cour ne peut donner des injonctions de faire aux Etats membres de la CEDEAO au risque d’empiéter sur leur souveraineté ; qu’il conçoit mal que le Juge des Droits de l’Homme puisse adresser des injonctions au Gouvernement sénégalais de suspendre les élections ou d’engager des poursuites contre des personnes ; que la justice sénégalaise ne peut valablement recevoir des ordres de poursuites que de la part des autorités citées dans le code de procédure pénale et d’autres textes
27. Qu’il conclut à ce que la requête de la RADDHO soit déclarée mal fondée ;
28. Au cours de l’audience du 19 février 2015, le conseil de la République du Sénégal a demandé à la Cour de procéder à la radiation pure et simple du dossier de son rôle ; qu’il justifie cette demande par le fait que la RADDHO, qui est l’initiatrice de la procédure depuis février 2012, ne s’est jamais présentée devant la Cour pour la soutenir ;
29. Il a également expliqué que la République du Sénégal n’a pas attendu la saisine de la Cour pour engager les procédures nécessaires pour situer les responsabilités s’agissant des cas de blessés et de morts enregistrés à la suite des manifestations pendant la période pré-électorale ; que pour preuve, des informations judiciaires ont été ouvertes contre des éléments des forces de l’ordre et d’autres cas font l’objet d’enquêtes préliminaires ; que certain dossiers ont même été jugés et des condamnations à des peines d’emprisonnement prononcées ;
30. Qu’au regard donc de l’évolution de la situation politique au Sénégal et des procédures judiciaires engagées par l’Etat du
Sénégal, les prétentions de la RADDHO n’ont plus aucun intérêt ;
31. Qu’il a produit à l’appui de ses observations un lot de documents composés entre autres d’un rapport sur les dossiers d’indemnisation des victimes des violences pré-électorales, de procès-verbaux d’enquête préliminaire, de réquisitoires introductifs d’instance et de procès-verbaux d’interrogatoire devant le juge d’instruction…
IIK- MOTIFS DE LA DECISION
32. Attendu qu’aux termes de l’article 88-2 du Règlement de la Cour de justice de la communauté, CEDEAO : « La Cour peut à tout moment, d’office, examiner les fins de non-recevoir d’ordre public, ou constater, les parties entendues, que le recours est devenu sans objet et qu’il n’y a plus lieu de statuer… » ;
33. Attendu que dans le cas d’espèce, la Cour constate d’une part, que la question de validité de la candidature de Monsieur Abdoulaye WADE et, d’autres part, celle de la demande de suspension de l’élection présidentielle prévue le 26 février 2012 ne sont plus d’actualité ;
34. Que l’élection présidentielle a eu lieu à la date prévue et un Président de la République en la personne de monsieur Ab
C a été démocratiquement élu ;
35. Que les prétentions de la requérante sur ces points ont donc perdu de leur objet ;
36. Attendu qu’en outre, la RADDHO demande à la Cour d’ordonner à l’Etat du Sénégal de faire cesser la répression des manifestations, d’ouvrir une enquête sur les cas supposés de morts ou de blessés parmi les manifestants et surtout de les dédommager ;
37. Qu’en l’espèce, la Cour constate qu’une information judiciaire a été ouverte suites aux manifestations qui a conduit à des inculpations de certains éléments des forces de l’ordre pour des présomptions graves de coups mortels, coups et blessures volontaires et meurtre ; que ces inculpations attestent du souci des autorités sénégalaises de faire toute la lumière sur les cas de décès et de blessés enregistrés lors des manifestations;
38. Qu’en plus, il résulte des documents produits, que l’Etat du Sénégal a mis en place un comité et a fait des propositions d’indemnisations aux victimes recensées, toute chose qui dénote aussi de sa volonté de réparer les préjudices subis par les victimes;
39. Que l’Etat du Sénégal a donc pris les mesures nécessaires pour non seulement faire des investigations sur les évènements survenus mais aussi réparer les préjudices subis par l’ensemble des victimes recensées ;
40. Qu'’ainsi, les actes posés par l’Etat du Sénégal sont en phase avec les mesures sollicitées par la requérante, les rendant de ce fait comme étant déjà mises en œuvre ;
41. Qu’au regard de tout ce qui précède, la Cour constate que l’action de la RADDHO est devenue sans objet et qu’en conséquence, il échet de dire qu’il n’y a plus lieu à statuer pour défaut d’objet en application de l’article 88-2 du Règlement précité ;
IV- Sur les dépens
42. Attendu qu’aux termes de l’article 66-12 du Règlement de la Cour
« En cas de non-lieu à statuer, la Cour règle librement les dépens » ; que dans le présent cas, la RADDHO a succombé à l’instance ; qu’il apparait judicieux de mettre les dépens à sa charge ;
Par ces motifs ;
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violation des droits de l’Homme, en premier et dernier ressort ;
- Dit n’y avoir lieu à statuer sur les prétentions de la RADDHO pour défaut d’objet ;
- Met les dépens à sa charge ;
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique à X, par la Cour de Justice de la Communauté, CEDEAO, les jour, mois et an susdits ; Et ont signé
Honorable Juge Jérôme TRAORE : Président
Honorable Justice Ai Y Ceu Ae B : Membre
Honorable Justice Ah Z Aj : Membre
Honorable. Juge Yaya BOIRO : Membre
Honorable Juge Alioune SALL : Membre
Maitre Aboubacar Djibo DIAKITE : Greffier