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17/05/2016 | CEDEAO | N°ECW/CCJ/JUD/13/16

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 17 mai 2016, ECW/CCJ/JUD/13/16


Texte (pseudonymisé)
COMMUNITY COURT OF JUSTICE, GED
ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMMUNIDADE,
CEDEAO
ARRET No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, ABUJA
TEL/FAX:234-9-6708210/09-5240781 DE LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
ECONOMIQUE DES ETATS DE L'’AFRIQUE DE L'OUEST
(CEDEAO)
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/24/14
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/13/16
Aa, 17 Mai 2016
« Au nom de la Communauté »
La Cour de justice d

e la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, (CEDEAO) siégeant à Bb XBe) le 17 Mai 2016...

COMMUNITY COURT OF JUSTICE, GED
ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE,
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMMUNIDADE,
CEDEAO
ARRET No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, ABUJA
TEL/FAX:234-9-6708210/09-5240781 DE LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
ECONOMIQUE DES ETATS DE L'’AFRIQUE DE L'OUEST
(CEDEAO)
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/24/14
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/13/16
Aa, 17 Mai 2016
« Au nom de la Communauté »
La Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, (CEDEAO) siégeant à Bb XBe) le 17 Mai 2016 en formation ordinaire, composée de :
- Honorable Juge Jérôme TRAORE Président
- Honorable Juge Yaya BOIRO Juge Rapporteur
- Honorable Juge Alioune SALL Membre
Assistés de Maître Athanase ATANNON Greffier
A rendu l'arrêt dont la teneur suit,
Entre
I- Les Parties
Les héritiers de feue Ba Aj et feu Ak Aw, Mme Aj Af
At, Mme Am Aw, Bd Ad Aw, M. As
Ab, M. Ap Aw, M. Ae dit Ax Aj et Ay
Aw, tous représentés par M. Bouréima Sidi Cissé, professeur d'enseignement
secondaire à la retraite, âgé de 82 ans, demeurant à Angoulène, Ségou, ayant
pour conseils :
- Maitre Moussa Maïga, avocat à la Cour, Cabinet Seye sis à Bf A
2000, 12, cité des 12 villas, BP 605, Bamako, Mali ;
- Maitre Magatte À. Seye, docteur en droit, avocat à la Cour, ancien Bâtonnier
de l’Ordre des avocats, demeurant au Mali;
- Maitre Balla Seye, avocat à la Cour, docteur en droit, enseignant-chercheur,
demeurant au Mali ;
Requérants, d’une part,
ET
La République du Mali, représentée par la Direction générale du contentieux
de l'Etat malien ayant son siège à Bamako, prise en la personne de M. Ibrahima
Tounkara Magistrat,
Défenderesse d'autre part ;
La Cour
Vu le Traité révisé instituant la Communauté Economique des Etats de
l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) du 24 juillet 1993 ;
Vu le Protocole du 06 juillet 1991 et le protocole additionnel du I9 janvier
2005 relatifs à la Cour de Justice de la CEDEAO ;
Vu le Règlement de la Cour de Justice de la CEDEAO en date du 03 juin
2002 ;
Vu la Déclaration universelle des droits de l'homme du I0 décembre 1948 ;
Vu la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples du 27 juin 1981 ;
Vu la requête principale des demandeurs susnommés en date du 06 juin 2014,
aux fins de constat de violation des droits de l'homme dont ils sont victimes de
Vu le mémoire en défense de l’Etat malien en date du O5 novembre 2014 ;
Vu les autres pièces du dossier notamment les écritures additives de chacune
des parties ;
II- Faits et procédure
I. Courant 1997, la République du Mali était confrontée à une grave crise
politique _ provoquant la naissance . de deux groupes politiques dont l’un, ;
dénommé « Mouvance présidentielle », favorable au renouvellement des
instances politiques de base et l'autre se réclamant de « l'Opposition », qui
estimait qu'aucune condition n’était réunie pour organiser des élections
municipales crédibles et démocratiques.
2. Le 28 juin 1998 lesdites élections eurent lieu en dépit de la résistance du
collectif des partis de l'opposition dénommé COPPO. Le lendemain, vers 03
heures 30 minutes du matin, une grenade à fragmentations explosait à Ségou
au quartier Angoulème, précisément dans la cour de M. Boureïma Sidi Cissé,
Vice-Président de la Commission régionale électorale indépendante. Cet
attentat faisait dix (10) victimes dont deux morts à savoir Ba Aj (fille
de Boureïma Sidi Cissé) et Hama Arabo Touré (ami de Boureïma Cissé), huit
(8) blessés graves dont, entres autres, Af At et As Ab
(respectivement épouse et petit-fils de Boureima Cissé), qui étaient évacués le
22 juin 1998 à l'hôpital Ag Aw de Bamako où il furent hospitalisés
pendant quatre (4) mois.
3. Les enquêtes menées par la Brigade de gendarmerie de Ségou aboutissaient
à l'arrestation de seize (16) personnes qui étaient inculpés aussitôt d'atteinte
contre la sûreté intérieure de l’Etat, d'association de malfaiteurs, de détention
illégale d'armes et de munitions suivie d’assassinat, de tentative d’assassinat, de
coups et blessures aggravés et de complicité.
4. Par ordonnance N°OIS en date du I” août 2003, le juge d'instruction du
Tribunal de I*” instance (TPTI) de Ségou prononçait un non-lieu à suivre contre
les inculpés susnommés, conformément aux réquisitions du Procureur de la
République près ladite juridiction. Suite à un appel de M. Boureïma Cissé, la
chambre d'accusation de la Cour d'appel de Bamako annulait l'ordonnance de
non-lieu susvisée avant d’ordonner un complément d’information par arrêt N°
ITI du 05 juillet 2005.
5. Le 03 janvier 2011, le Procureur de la République près le tribunal de I
instance de Ségou prenait un réquisitoire définitif aux fins de transmission de
pièces au Procureur général près la Cour d'appel de Bamako. Par ordonnance
N°104 du 27 décembre 2011, le juge d'instruction du 2°”* Cabinet du TP I de Ségou rendait derechef une autre ordonnance de non-lieu en faveur desdits
inculpés.
6. Par arrêt N° ECW/CCJ/JUD/13 en date du 12 février 2014, sur requête
du sieur Boureima Sidi Cissé contre le Mali, la Cour de Justice de la CEDEAO
statuait en ces termes : « La Cour, statuant publiquement, contradictoirement,
en matière de droits de l'homme et en dernier ressort :
En la forme,
- déclare recevable la requête de Av At Aj, uniquement en ce qui
le concerne.
- dit que n'ayant pas de mandat pour représenter les autres Co-requérants,
la requête en ce qui les concerne n’est pas conforme aux dispositions
pertinentes des textes relatifs à la Cour ;
- en conséquence déclare irrecevable la requête au nom de ces autres
requérants.
Au fond :
- dit que le droit à la sécurité de Boureïma Sidi Cissé a été violé ;
- dit que l'Etat malien a violé le droit à la protection du requérant, ainsi
que son droit à la sécurité de sa personne et à la sûreté de ses biens ;
- dit également que son droit à la justice et à ce que sa cause soit entendue
dans un délai raisonnable a été violé ;
- en conséquence, ordonne la réparation de ces violations ;
- toutefois, dit que la Cour n'ayant pas d'éléments d'appréciation probants
pour évaluer l’ensemble des préjudices subis par le requérant, notamment
l'absence d’élément d'appréciation du préjudice matériel ;
- la Cour arbitrant sur le préjudice moral et psychologique subi par
l'intéressé depuis plus de IS ans, alloue à Sidi Boureïma Cissé la somme
de IS millions de FCFA toutes causes de préjudices confondues ;
- dit que cette somme est à payer par l'Etat du Mali du fait des violations
subies par le requérant.
- met les dépens à la charge du Mali ».
7. Suite de cette décision, les requérants susnommés ont introduit un
recours en date du 06 juin 2014 afin de voir la Cour de Justice de la
CEDEAO décider de ce qui suit :
- Constater la violation par l'Etat malien des instruments juridiques
internationaux susvisés protégeant les droits fondamentaux de la
personne humaine ;
- Condamner l'Etat du Mali à la réparation intégrale des préjudices par eux
subis par l'octroi des montants ci-dessous:
- Quarante millions de francs CFA (40 000 000 FCFA) aux héritiers de
feue Ba Aj ;
- Soixante millions de francs CFA (60 000 000 FCFA) aux héritiers de
feu Ak Aw ;
- Trente millions de francs CFA (30 000 000 FCFA) à Af Aw ;
- Vingt millions de francs CFA (20 000 000 FCFA) à Am Aw ;
- Vingt millions de francs CFA (20 000 000 FCFA) à Mme Al Bd
Ad Aw ;
- Vingt millions de francs CFA (20 000 000 FCFA) à As Ab ;
- Vingt millions de francs CFA (20 000 000 FCFA) à Ap
Aw ;
- Vingt millions de francs CFA (20 000 000 FCFA) à Ousmane dit
Ax Aj ;
- Vingt millions de franes CFA (20 000 000 FCFA) à Ay Aw ;
Soit au total 250 000 000 FCFA.
Mettre en outre les dépens à la charge de l'Etat du Mali.
II- Moyens des parties
8. Les requérants considèrent qu’à l’occasion des élections municipales
organisées dans un climat de haute tension sociale, la République du Mali n’a
pris aucune disposition pour protéger les citoyens de Ségou ainsi que la famille
du nommé Boureïma Sidi Cissé qui était à l'époque Vice-président de la
Commission électorale régionale de Ségou.Par cette inertie, ils estiment que le
Mali a violé les instruments juridiques internationaux dûment ratifiés par lui
dont, entre autres, les articles 3, 4, 6 et 7 de la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples, l’article8 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme, et l’article 2.3 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques.
9. Les demandeurs estiment également que l'Etat malien a violé leur droit à un
recours effectif devant la justice, ainsi que le droit à ce que leur cause soit jugée
dans un délai raisonnable par un juge impartial et indépendant, en ce que :
- les commanditaires des actes de violence dont ils sont victimes, quoiqu'ayant
été nommément cités dans le rapport de synthèse du COPPO de Ségou en date
du 28 janvier 1998 faisant état de la nature et de la quantité d'armes saisies sur
les inculpés, n’ont été ni arrêtés, ni entendus, ni inquiétés ;
- Le juge d'instruction s’est contenté de n’entendre que trois(3) victimes
sur les huit (8) survivantes ;
- Les certificats médicaux ont disparu des dossiers des victimes évacuées à
l'hôpital Ag Aw;
- Le juge d'instruction a mis sous le boisseau la version authentique du
rapport du COPPO de Ségou ;
- Les inculpés Az An Au et Ao Al dit Bc
quoiqu'ils font l’objet de mandats d'arrêt non exécutés et n’ont jamais été
entendus, ont bénéficié d’une ordonnance de non-lieu en date du I‘ août
2003 du juge d'instruction de Ségou ;
- Le dossier de l'affaire est introuvable dans le circuit judiciaire, malgré les
nombreuses recherches effectuées à la Cour d'appel de Bamako et que la
procédure est pratiquement bloquée.
- Les requérants font valoir également que l'indifférence de l'Etat malien
et le disfonctionnement du service public de la justice est une autre preuve
de violation des instruments internationaux susvisés relatifs aux droits de
I0. Considérant que pour se défendre, l'Etat malien invoque quatre moyens
qui s’articulent autour de l'incompétence de la Cour de Justice de la CEDEAO
à apprécier les décisions rendues par les juridictions nationales, la non
immixtion de l'Exécutif dans le fonctionnement de la Justice, la non violation
du droit à un procès équitable et la non justification de l'indemnisation
sollicitée par les requérants.
II. Sur le premier point, le défendeur soutient que la Cour de justice de la
CEDEAO n’a pas vocation à apprécier les décisions rendues par les juridictions
nationales. Or en l'espèce, selon lui, plusieurs décisions sont intervenues au
niveau national dans le cadre du litige opposant les parties. Il s'agit notamment
de l’arrêt N°III du O5 J juillet 2005 par par lequel leq la Chambre d’accusation de la
Cour d'appel de Bamako a annulé l'ordonnance de non-lieu rendue le 1” août 2003 par le juge d'instruction de Ségou avant d’ordonner un complément
d'information et de l'ordonnance de non- lieu N°104 du 27 décembre 2011 (
rendue par ledit juge) faisant objet d'appel de la part des requérants devant la
chambre d'accusation de la Cour d'appel de Bamako où l'affaire est pendante.
I2. Pour étayer son argumentation, le Mali rappelle que dans l'arrêt
N°ECW/CC]JUG/02/10 rendu entre le Dr Ar Aq et lui, ladite Cour
de Justice avait statué en ces termes : « la Cour n’est pas une juridiction d'appel
des décisions rendues par les juridictions nationales des Etats membres de la
13. Sur le second moyen, le défendeur estime que la Justice malienne doit
assumer ses responsabilités en toute indépendance et que nul n’a le droit de
s’immiscer dans le fonctionnement de l'appareil judiciaire malien par respect du
principe de la séparation des pouvoirs, socle fondamental de la République.
14. Il souligne également que le grief qu'on lui fait selon lequel le juge
d'instruction n’a pas entendu ni arrêté ou inquiété les soi-disant commanditaires
des actes de violence perpétrés contre la famille de Boureïma Sidi Cissé, n’est
pas justifié étant donné que la plupart de ceux-là ont été interpellés, mis sous
mandats de dépôt ou font l’objet de mandats d'arrêt.
I5. Le défendeur rappelle également qu’il a fait de son mieux quant à la
protection des requérants pendant les élections même s’il lui était impossible de
protéger chaque domicile privé comme celui des requérants. La présence des
policiers et gendarmes dans les bureaux de vote de Ségou en est, selon lui, une
parfaite illustration.
I6. Sur le troisième moyen, le Mali soutient que contrairement à leurs
déclarations, les requérants ont bénéficié d’un procès équitable comme en
témoignent les décisions susvisées du juge d'instruction de Ségou et celle de la Chambre d'accusation de la Cour d'appel de Bamako. Il ajoute que la durée de
la procédure (depuis juin 1998) s'explique par la complexité de l'infraction et
l'arrêt d’infirmation susvisé de la chambre d'accusation de Bamako.
17. Ainsi, conformément à l'arrêt de ladite chambre, le juge d'instruction a fait
un complément d'information, notamment des interrogatoires supplémentaires,
des perquisitions et transports sur les lieux du crime, des saisies et même des
commissions rogatoires pour la manifestation de la vérité. Selon lui, tous ces
actes sont de nature à prolonger le temps et la procédure. Il note que les
requérants ont bénéficié d’une assistance constante de la part de leurs avocats
susnommés durant toute la procédure.
I8. Sur le dernier moyen, le Mali affirme que l'indemnisation réclamée par les
requérants, soit au total 250 000 000 FCFA, ne se justifie pas dès lors que
ceux-ci ne rapportent pas la preuve des griefs qu’ils invoquent notamment le
défaut d'évolution de leur dossier devant les juridictions maliennes et l’inertie
de la République du Mali.
19. Qu'en tout état de cause, aucun instrument international ne prévoit l'octroi
de montants aussi faramineux ceux réclamés par les requérants au cas où la
responsabilité de l'Etat malien est retenue.
20. Selon le Mali, pour éviter les condamnations astronomiques, il y a lieu de
rappeler que «le législateur communautaire a entendu empêcher de telles
situations en légiférant en matière d'indemnisation à travers la Conférence
interafricaine des Marchés d’Assurances (CIMA) suivant le traité signé le 10
juillet 1992 à Yaoundé ».
21. En conséquence, le défendeur sollicite qu’il soit déclaré que :
- l'Etat du Mali n’a commis aucune violation des droits de l’homme au
préjudice des requérants ;
- il n’y a pas lieu de statuer sur les autres demandes.
TV- Analyse de la Cour
L'analyse de la Cour porte sur la forme et le fond.
En la forme
22. Considérant qu’en ce qui concerne l'incompétence de la Cour de justice de
céans, il y a lieu de rappeler que cette juridiction n’est pas juge de la légalité
nationale au sens large, ni juge d'appel ou de cassation. Cependant, il ressort
des dispositions combinées des articles 9 et 10 du Protocole additionnel en
date du 19 janvier 2005, que la Cour de Justice est compétente pour apprécier
toute requête d’une personne victime de violations de droits de l'homme dans
un Etat membre de la CEDEAO.
23. Que la Cour de la CEDEAO a réaffirmé sa jurisprudence dans ce sens à
l’occasion de nombreuses affaires telles que celle opposant Ad Ah
c/ l'Etat du Niger, ou celle concernant Ai Ac et autres c/ l’Etat
togolais. Dans ces affaires, elle a clairement déclaré que « la simple invocation
de violations de droits de l’homme commise dans un Etat membre de la
Communauté, suffit à asseoir la compétence de la Cour ».
24. Qu'il s'ensuit que la requête présentée doit être déclarée recevable.
Au fond
25. La Cour estime que le fond porte sur l'examen du bien-fondé des
prétentions des requérants quant à la violation de leurs droits et
éventuellement, sur la réparation des préjudices éprouvés.
I- Sur le bien-fondé des violations alléguées par les requérants 26. Considérant que les requérants invoquent essentiellement comme moyens
la violation de leurs droits à la vie, à l'intégrité physique, à l’égale protection de
la loi, à un recours effectif devant les juridictions ainsi que la violation de leur
droit à un procès équitable. Pour soutenir ces moyens, ils se réfèrent aux textes
ci-après :
- les articles 3, 4, 6 et 7 de la Charte africaine des droits de l'homme qui
disposent respectivement que «Toutes les personnes bénéficient d’une
totale égalité devant la loi. Toutes les personnes ont droit à une égale
protection de la loi» ; « la personne humaine est inviolable et tout être
humain a droit au respect de sa vie et à l'intégrité physique et morale de
sa personne et nul ne peut être arbitrairement privé de ce droit. » ; «Tout
individu a droit à la sûreté de sa personne. » ; «Toute personne a droit à
ce que sa cause soit entendue équitablement. »
- l’article 8 de la Déclaration universelle des droits de l'homme aux termes
duquel : «Toute personne a droit à un recours effectif devant les
juridictions nationales compétentes contre les actes violant les droits
fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi. »
- l'article 2.3 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques
qui prévoit que : «Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à :
a) Garantir que toute personne dont les droits et libertés reconnus dans
le présent Pacte auront été violés, dispose d’un recours utile, alors
même que la violation aurait été commise par des personnes agissant
dans l'exercice de leurs fonctions ;
b) garantir que l'autorité compétente judiciaire, administrative ou
législative, ou toute autre autorité compétente selon la législation de
l'Etat, statuera sur les droits de la personne qui forme le recours et
développera les possibilités de recours juridictionnel ;
c) garantir la bonne suite donnée par les autorités compétentes à tout
recours qui aura été justifié.»
27. Considérant qu’en l'espèce, la Cour observe que des débats et des pièces du
dossier, il ressort qu’en organisant des élections municipales dans un climat de
haute tension sociale sans aucune garantie de protection de l’ordre public, des
populations et surtout de Boureïma Sidi Cissé (et sa famille) en tant que Vice-
président de la Commission électorale régionale de Ségou, l'Etat malien a
manqué à ses obligations de protection, de sûreté et de sécurité sociales
découlant des textes susvisés.
28. Que cette négligence, outre qu’elle suffit pour engager la responsabilité de
l'Etat malien, a favorisé les actes de violence subis par les requérants,
notamment l'explosion d’une grenade à fragmentations au domicile de
Boureïma Sidi Cissé, faisant dix (10) victimes à savoir deux morts (Ba
Aj, fille de Boureïma Sidi Cissé et Hama Arabo Touré, ami de ce dernier),
huit (8) blessés graves dont, entres autres, Af At et As Ab
(respectivement épouse et petit-fils de Boureima Cissé), qui étaient évacués le
22 juin 1998 à l'hôpital Ag Aw de Bamako où il furent hospitalisés
pendant quatre (4)mois.
29. Qu'il est également acquis aux débats que les services judiciaires maliens
ont connu un dysfonctionnement dans la gestion du dossier des requérants en
privant ces derniers de leur droit à un recours effectif et utile ainsi qu’à un
procès équitable au sens des normes internationales susvisées.
30. Qu’au demeurant, il est incontesté que les services judiciaires maliens ont
été saisis de l'affaire en cause depuis 1998 et qu’à ce jour la procédure y est
toujours pendante à la Cour d'appel de Bamako, privant ainsi les requérants du droit à ce que leur cause soit entendue équitablement et dans un délai
raisonnable.
31. Que la Cour relève également que les inculpés Az An Au et
Ao Al dit Bc, quoiqu’ils font l'objet de mandats d'arrêt, ont
bénéficié de l'ordonnance de non-lieu du I” août 2003 du juge d'instruction
de Ségou, alors même qu'ils n'ont jamais été arrêtés ni entendus.
32. Que depuis l'annulation de ladite ordonnance par arrêt N°111 du05 juillet
2005 de la chambre d'accusation de la Cour d'appel de Bamako, un
complément d’information fut ordonné et l'affaire est toujours pendante à
ladite Cour.
33. Que ce dysfonctionnement de l'appareil judiciaire engage l'Etat malien et
que celui-ci ne saurait se prévaloir de son argument selon lequel la Justice
malienne doit assumer ses responsabilités et fonctionner en toute indépendance
au nom du principe de la séparation des pouvoirs.
34. Qu'au surplus, la Cour prend acte de ce qu’elle a déjà rendu la décision
susvisée en date du 12 février 2014 par laquelle elle a retenu la responsabilité
de l'Etat malien relativement à cette affaire d'explosion de la grenade à Ségou,
avant d'allouer des dommages-intérêts à Boureïma Sidi Cissé pour violation du
droit de celui-ci à la protection, à la sécurité, à la justice, ainsi qu’à la sûreté des
biens de ce dernier ;
2- Sur la réparation
35. Considérant que la République du Mali estime que le montant total de
250 000 000 FCFA réclamé par les requérants est injustifié et abusif et que,
pour éviter des condamnations astronomiques, le législateur communautaire a
légiféré en matière d'indemnisation, à travers la Conférence interafricaine des
Marchés d’Assurances (CIMA), par le traité signé le 10 juillet 1992 à Yaoundé.
36. Que la Cour relève qu’il est suffisamment démontré ci-haut que les griefs
des requérants à l'encontre du Mali sont fondés et que ceux-ci ont éprouvés des
préjudices considérables d'ordre psychologique, moral et corporel, suite à la
mort atroce de leurs proches susnommés et aux blessures graves subis par
nombre d’entre eux.
37. Que toutefois, si le montant réclamé est justifié en son principe, il est
exagéré quant à son quantum.
38. ue compte P tenu des faits de la cause, la Cour dispose P d’éléments
d'appréciation suffisants pour allouer forfaitairement des sommes d'argent aux
requérants.
39. Cependant, contrairement aux demandes des requérants, la réparation des
préjudices par eux subis ne sauraient avoir pour base légales les dispositions du
Code CIMA, signé à Yaoundé le 10 juillet 1992 par d’autres Etats africains ne
relevant pas de la CEDEAO.
40, Ainsi, la Cour fixe ces montants comme suit :
- Vingt millions de francs CFA (20 000 000 FCFA) aux héritiers de feue
Ba Aj ;
- Vingt millions de francs CFA (20 000 000 FCFA) aux héritiers de feu
Ak Aw ;
- Quinze millions de francs CFA (15 000 000 FCFA) à Af Aw
- Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à Am Aw ;
- Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à Mme Al Bd
Ad Aw ;
- Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à As Ab ;
- Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à Ap Aw ;
- Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à Ousmane dit Ax
Aj et
- Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à Ay Aw.
41. Qu'il convient de débouter les requérants du surplus de leurs prétentions.
3- Sur les dépens
42. Considérant que l'Etat malien a succombé et qu’en application des
dispositions de l’article 66 du Règlement relatif à la Cour de céans, il y a lieu
de le condamner aux dépens.
Par ces motifs
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violations de droits
de l’homme, en premier et dernier ressort ;
En la forme
Rejette comme non fondée l'exception soulevée par la République du Mali tirée
de l'incompétence de la Cour pour connaitre de l'affaire ;
Reçoit les requérants en leurs demandes ;
Au fond
- Prend acte de ce que, dans le cadre de l'examen des faits ci-dessus, la Cour
de justice de la CEDEAO, a rendu l'arrêt susvisé en date du 12 février
2014 par lequel elle a retenu la responsabilité de l'Etat Malien et alloué
des dommages-intérêts à Boureïma Sidi Cissé ;
- Dit que l'Etat malien a violé les droits revendiqués par les requérants
notamment le droit à la protection, à la sécurité, à la justice ainsi que le
droit à un procès équitable dans un délai raisonnable ;
En conséquence, ordonne la réparation de ces violations en allouant les
montants ci-après :
Vingt millions de francs CFA (20 000 000 FCFA) aux héritiers de feue
Ba Aj ;
Vingt millions de francs CFA (20 000 000 FCFA) aux héritiers de feu
Ak Aw ;
Quinze millions de francs CFA (IS 000 000 FCFA) à Af Aw
Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à Am Aw ;
Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à Mme Al Bd
Ad Aw ;
Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à As Ab ;
Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à Ap Aw ;
Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à Ousmane dit Ax
Aj et
Dix millions de francs CFA (10.000 000 FCFA) à Ay Aw ;
Soit au total 115.000.000 FCFA ;
Dit que ces montants doivent être payés par l'Etat du Mali ;
Déboute les requérants du surplus de leurs demandes ;
Met les dépens à la charge du Mali ».
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique à Bb XBe) les jour,
mois et an que dessus.
Ont signé :
Honorable juge Jérôme Traoré Président
Honorable juge Yaya Boiro Membre Rapporteur
Honorable juge Alioune Sall Membre
Assistés de maitre Athanase ATANNON = Greffier


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCJ/JUD/13/16
Date de la décision : 17/05/2016

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2016-05-17;ecw.ccj.jud.13.16 ?
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