COMMUNITY COURT OF JUSTICE, C5 =D ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMMUNIDADE, SrauA4 CEDEAO No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE II, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, Y
TEL/FAX:234-9-6708210/09-5240781 ARRET
DE LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L'OUEST (CEDEAO)
AFFAIRE N° ECW/CCJ/APP/30/15
ARRÊT N° ECW/CCJ/JUD/15/16
A, 17 Mai 2016
« Au nom de la Communauté »
La Cour de justice de la Communauté Economique des Etats de l'Afrique de l'Ouest, (CEDEAO) siégeant à Y XAk) le A 17 mai 2016 en formation ordinaire, composée de :
-Honorable Juge Jérôme TRAORE Président
-Honorable Juge Micah Wilkins Wright Membre
-Honorable Juge Yaya BOIRO Juge Rapporteur
Assistés de Maître Athanase ATANNON Greffier Entre
I- Les Parties
Monsieur AdBAe Aa agissant par l'organe de ses conseils, maitres Mariam
DIAWARA, avocate au barreau de Bamako, Mario Pierre STASI, Madou
Koné et Bernard DENEE, avocats au barreau de Paris.
Et
L'Etat de la Côte d'Ivoire pris en la personne du ministre de l'Economie et des
Finances représenté par l'agent judiciaire de l'Etat, sis à l'ex-immeuble de l’ex-
ambassade des Etats, BPV 98 Ah ayant pour conseils la SCPA
Bambaoulé-Doumbia et associés.
La Cour
Vu le Traité révisé instituant la Communauté Economique des Etats de
l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) du 24 juillet 1993 ;
Vu le Protocole du 06 juillet 1991 et le protocole additionnel du I9 janvier
2005 relatifs à la Cour de justice de la CEDEAO ;
Vu le Règlement de la Cour de justice de la CEDEAO en date du 03 juin
2002 ;
Vu la Déclaration universelle des droits de l’homme du IO décembre 1948 ;
Vu la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples du 27 juin 1981 ;
Vu la Requête du demandeur susnommé en date du 06 octobre 2015,
Vu les notes en cours de délibéré en date du 20 avril 2016 du défendeur ;
Vu les pièces du dossier ;
II- Faits et procédure I. Considérant qu’il résulte des pièces de la procédure que par requête reçue au
Greffe de la Cour de justice de la Communauté C le 13 octobre 2015,
le sieur AdBAe Aa, agissant par l'organe de ses conseils, maitres Mariam DIAWARA, avocate au barreau de Bamako, Mario Pierre STASI, Madou
Koné et Bernard DENEE, avocats au barreau de Paris, a saisi la juridiction de
céans afin de faire constater la violation de nombre de ses droits civiques dont,
entre autres :
- Le droit d’être élu à des fonctions électives sans aucune discrimination au
sens des articles 2 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques, de l’article 21 de la déclaration universelle des droits de
l'homme et des peuples.
- Le droit à un recours contre une décision juridictionnelle, consacré par
l’article 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et
par l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
2. Par requête en date du 06 octobre 2015 enregistrée au greffe de la Cour de
céans le 13 octobre 2015, le sieur AdBAe Aa sollicitait que l'affaire soit
examinée selon la procédure accélérée.
3. Par ordonnance N°ECW/CC]J/ORD/03/16 en date du IS février 2016,
le Président du panel rejetait ladite demande de procédure accélérée, faute
d'urgence tout en réservant les dépens.
4. Au soutien de sa requête initiale, le sieur AdBAe Aa déclarait avoir
déposé le 25 août 2015 à la Commission nationale électorale indépendante de
Côte d'Ivoire, un dossier de candidature aux élections présidentielles d'octobre
2015, qui fut transmis au Conseil constitutionnel pour statuer sur son
5. Par décision N° CI-2015 —EP-159/09/CC/SG en date du 09 septembre
2015, le Conseil constitutionnel ivoirien rejetait ladite candidature, motifs pris
de ce que celle-ci n’est pas conforme aux dispositions des articles 24, 54, 55 et
57 du Code électoral en ce que son dossier de candidature contient des pièces
ne remplissant pas les critères légaux. Il s'agit notamment des pièces ci-après :
- Un extrait de casier judiciaire et un certificat de résidence datant chacun
de trois ans et huit mois au lieu de trois mois comme exigé par la loi ;
- Une photocopie de la déclaration sur l'honneur de non renonciation à la
nationalité ivoirienne au lieu de l'original comme exigé par la loi ;
6. En plus, selon le requérant, le Conseil constitutionnel avait également noté
l'absence à son dossier, d’une attestation de régularité fiscale ainsi que le dépôt d’une caution de 20 millions de francs CFA.
7. De ce qui précède, le requérant estimait avoir subi un préjudice certain et
considérable d'autant plus que les élections présidentielles étaient prévues pour
le 25 octobre 2015 et qu'en conséquence, il sollicite de ladite Cour
d'entreprendre les mesures suivantes :
- Ordonner à l'Etat ivoirien de prendre les mesures législatives et
administratives nécessaires pour faire cesser la violation de ses droits ;
- Condamner l'Etat ivoirien aux entiers dépens.
8. Considérant que l'Etat ivoirien objecte dans ses notes en cours de délibéré
du 20 avril 2016 en faisant valoir, par l'entremise de son conseil, que les moyens
présentés par le requérant, outre qu’ils manquent de pertinence, ne sont pas
prouvés.
9. Qu'en effet, il est vrai que la Côte d'Ivoire, à travers le préambule de sa
Constitution, a adhéré aux Instruments internationaux invoqués par le
requérant, notamment la Charte africaine des droits de l'homme. Cependant, la
Côte d'Ivoire, à l'instar de tous les Etats indépendants d'Afrique, dispose d’un
Code électoral qui détermine les conditions de validité des candidatures aux
élections, y compris les élections présidentielles, sans tenir compte de la fortune encore moins de la condition sociale des candidats.
IO. Selon le défendeur, le requérant a sciemment eu l'intention de défier les
lois et autorités de son pays en s'abstenant de verser la caution prévue à cet effet
ou de produire la totalité des pièces exigées par ledit Code électoral notamment
la fourniture d’une déclaration de régularité fiscale et qu’ainsi, c’est à juste raison
que le Conseil constitutionnel a rejeté sa candidature pour ces motifs.
II. Enfin, le défendeur fait observer que le requérant soutient à tort que
l'absence de toute possibilité de recours contre les décisions du Conseil constitutionnel ivoirien serait constitutif de violation des normes
internationales telles que l’article 7 de la Charte africaine des droits de l'homme
et des peuples. Il feint d'oublier que cette absence de recours contre lesdites
décisions tire sa source dans la Constitution ivoirienne et que cette mesure est
atténuée par le fait qu'il avait la possibilité de faire une réclamation ou des observations devant le Conseil constitutionnel s’il l’estimait nécessaire.
12. C’est pourq pourquoi, l’Etat ivoirien sollicite q que le Cour de céans décide comme suit :
- Dire q que les obligations g de fournir caution, de P présenter une déclaration
de régularité 8 fiscale, ou de P produire des documents administratifs valides,
imposés aux candidats aux élections présidentielles en République de
Côte d’Ivoire, ne violent aucun Instrument international g garantissant les
droits de l’homme, notamment le droit d’être élu à n'importe P q quelle fonction :
- Dire que l'absence de recours devant un second degré de juridiction
contre les décisions de Conseil constitutionnel, ne viole pas la Charte
africaine des droits de l'homme et des peuples et le Pacte international
relatif aux droits civils et politiques ;
- Dire en conséquence qu'il n’y a pas lieu d’ordonner à la défenderesse de
prendre des mesures législatives et administratives tendant à faire cesser
la violation des droits de l'homme invoquée par le requérant ;
- Condamner le requérant aux dépens.
I3. A l'audience foraine tenue à Ah J le I9 avril 2016, aucune des P parties
n’a comparu ni été représentée et l'affaire fut évoquée et mise en délibéré pour décision être rendue le 17 mai 2016.
IM- Analyse de la Cour
14. La Cour axera son analyse sur la recevabilité de la requête présentée et, éventuellement, sur le bien-fondé de celle-ci.
Sur la recevabilité de la requête
IS. Conformément à sa jurisprudence, la Cour considère que la requête
présentée par le sieur AdBAe Aa est recevable dès lors qu’elle remplit toutes
les conditions de forme exigées par l'article 33 du Règlement en date du 03
juin 2002 et par l’article 10 du Protocole additionnel en date du I9 janvier
2005, relatifs à ladite juridiction.
Au fond
I- Sur le bien-fondé des demandes du requérant
I6. Considérant que le requérant estime avoir été victime de multiples violations de ses droits civils et politiques notamment :
- Le droit d’être élu à des fonctions électives sans discrimination ou de
prendre part à la gestion des affaires publiques au sens des articles 2 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 21 de la déclaration universelle des droits de l’homme et de l’article 2 de
la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
- Le droit à un recours contre décision juridictionnelle, qui est consacré par l’article 7 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et par l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
17. Considérant qu’en règle générale, il appartient au demandeur de rapporter la preuve de ses allégations et qu’en application de ce principe, la Cour de céans retient, de manière constante, ( voir par exemple son arrêt en date du 07 octobre 2015 relatif à l'affaire opposant les sieurs Aj et consorts à l'Etat togolais), que tous les cas de violation des droits de l'homme qui sont invoqués devant elle, doivent être étayés de manière spécifique, par des preuves suffisamment
convaincantes et non équivoques.
I8. Qu'en l'espèce, la Cour relève sur la base des pièces de la procédure, que le requérant ne rapporte aucune preuve tangible d’une violation quelconque de son droit d'être candidat à des fonctions électives sans discrimination, ainsi que de son droit de prendre part à la gestion des affaires publiques (de sa communauté) au sens des articles susvisés du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la déclaration universelle de droits de l'homme. 19. La Cour observe également que la candidature du requérant a été rejetée à juste raison par décision N°CI-2015-EP-159/09/CC/SC en date du 09 septembre 2015 du Conseil constitutionnel ivoirien pour n’avoir pas rempli certaines conditions exigées par le Code électoral à l'égard de tous les candidats aux élections présidentielles, (sans considération de fortune ou de condition sociale), notamment le défaut de paiement de la caution de 20 millions de francs CFA, la non production d’un casier judiciaire et d’un certificat de résidence datant de moins de trois mois, ainsi que l'original de la déclaration sur l'honneur de la non-renonciation à la nationalité ivoirienne.
20. S'agissant de l'absence de toutes possibilités de recours contre les décisions rendues par le Conseil constitutionnel, la Cour relève qu'il s’agit là d’une disposition prévue à la fois par le Code électoral ivoirien et par l’article 98 de la Constitution ivoirienne qui, du reste, ne violent en rien la Charte africaine des droits de l’homme ni le Pacte international relatif aux droits civils et
politiques comme le prétend le requérant.
21. Que dès lors, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d'ordonner à l'Etat ivoirien de prendre des mesures législatives ou administratives afin de faire cesser les violations des droits de l’homme telles qu'invoquées par le requérant.
22. Au demeurant, il apparaît que les griefs dits violations des droits de l'homme ci-dessus invoqués sont utilisés par le requérant pour critiquer, sinon tenter de remettre en cause le fond même de la décision de rejet du Conseil constitutionnel ivoirien. Pour preuve, il suffit de se référer à une seule argumentation du requérant par laquelle il soutient « qu en définitive, le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 09 septembre 2015 a fondé ses motivations d'irrecevabilité de la candidature du requérant sur des visas législatifs contraires aux engagements internationaux de la Côte d'Ivoire »,
23. Il est donc établi que le requérant, par les griefs qu'il invoque, vise à amener la Cour à s'ingérer dans les procédures judiciaires internes, à s'instituer en quelque sorte, juge d'appel ou de cassation en se donnant le pouvoir d'apprécier, sinon de critiquer le bien-fondé des décisions rendues par les juridictions nationales comme le Conseil Constitutionnel ivoirien.
24. Or, la Cour rappelle que son rôle n’est pas de se prononcer sur l'interprétation de la législation interne, en l'espèce du Code électoral ivoirien, mais de rechercher si la manière dont cette législation a été appliquée a enfreint les droits du requérant garantis par les instruments internationaux invoqués.
25. De même, la Cour, conformément à sa jurisprudence, a toujours décidé qu’il n'entre pas dans sa fonction de protection des droits de l'homme, de substituer sa propre appréciation des faits à elle soumis à celle des juridictions nationales.
26. Ainsi, dans l'arrêt Ai Ag Ac contre République fédérale du Ak et autres, la Cour a estimé que « apprécier le bien-fondé de cette requête reviendrait à ‘ s'’immiscer dans la compétence des tribunaux nigérians…sans justification ».
27. De même, dans son arrê« N°ECW/CC]/JUD/03/05 du 7 octobre 2005
($32) relatif à l'affaire Af Ab contre Ak, la Cour a énoncé que : « les recours contre les décisions des juridictions nationales des Etats Membres ne font pas partie des compétences de la Cour.… »
28. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que les demandes formulées par le requérant ne sont pas justifiées et qu'elles doivent être rejetées.
2- Sur les dépens
29. Considérant que le requérant a succombé et qu'il y a lieu de le condamner
aux dépens en application des dispositions de l’article 66 du Règlement relatif
à la Cour.
Par ces motifs,
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violation des droits
de l'homme, en premier et dernier ressort ;
En la forme
Reçoit le sieur Ae Aa en sa requête ;
Au fond
Dit que le requérant n’est pas fondé en ses demandes ;
Le Déboute en conséquence de toutes prétentions ;
Met les dépens à sa charge.
Ainsi fait, jugé et prononcé en audience publique à Y les jour, mois et an
Ont signé :
-Honorable Juge Jérôme TRAORE Président
-Honorable Juge Micah Wilkins Wright Membre
-Honorable Juge Yaya BOIRO Juge Rapporteur
Assistés de maitre Athanase ATANNON Greffier