COMMUNITY COURT OF JUSTICE,
ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTIÇA DA COMUNIDADE, CEDEAO € No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT,
OFF AMINU KANO CRESCENT,
WUSE Il, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, AB
TEL: 09-6708210/5240781 Fax 09-5240780/5239425 Website: www. courtecowas.org COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE ECONOMIQUE
DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST, siégeant à Af/
République Fédérale du Nigeria, ce jour 17 Mai 2018.
Affaire X
Y Ad, ancien technicien à Ag Ab, demeurant à Lomé, représenté par le Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo (CACIT)
Assisté de Maitre Ferdinand Ekouévi AMAZOHOUN, Avocat au barreau du Togo, 05, Rue Am, … ……… des Hydrocarbures, à côté de la station Al C, 14 BP : 64, Lomé 14 ; tel : 00228 22 43 38 38, email : ferdinandzohoun@gmail.com
Et Maitre Claude Kokou AMEGAN, Avocat au barreau de Lomé, 1147 Rue LITIME, Bretelle Rue de l’Océan, face Ministère de la Justice, Von Station TOTAL, tél : 22 21 04 00, mobile : 91913565 Lomé-Togo, email : claude.amegan@yahoo.fr
Contre
La République du Togo, ayant son siège à Lomé, au palais de la Présidence sur le boulevard du Mono 2 Avenue du Général de Gaulle, agissant poursuite et diligence de son représentant légal, Monsieur le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, chargé des Relations avec les Institutions de la République, demeurant et domicilié en ses bureaux ;
Assisté de Maitre SANVEE Ohini, Avocat à la Cour Composition de la Cour :
Honorable Juge Jérôme TRAORE/ Juge Rapporteur : Président
Honorable Juge Yaya BOIRO : Membre
Honorable Juge Alioune SALL : Membre
Assistés de Maitre Athanase ATTANON : Greffier
A rendu l’arrêt dont la teneur suit :
I- PROCEDURE
Le 11 janvier 2017, Monsieur Y Ad, assisté par le Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo, saisissait par le biais de ses conseils, le Président de la Cour d’une requête pour violation des droits de l’homme ;
Par requête séparée et datée du même jour, il lui demandait de soumettre son affaire à une procédure accélérée ;
Le greffe notifiait les deux requêtes à la République du Togo ;
Le 15 février 2017, Maitre SANVEE Ohini, conseil de la République du Togo, saisissait le Président de la Cour d’une demande de prorogation de délai ;
Le 16 février 2017, le Président de la Cour, suivant Ordonnance N°ECW/CCJ/ORD/13/17 a fait droit à la demande de prorogation en accordant un délai d’un (01) mois à la République du Togo pour le dépôt de son mémoire en défense.
6. Le même jour, suivant Ordonnance N°ECW/CCJ/ORD/04/17, il rejetait la demande tendant à soumettre l’affaire à la procédure accélérée, du requérant ;
7. Le 20 mars 2017, la République du Togo déposait au greffe de la Cour un mémoire exceptionnel et un mémoire en défense ;
8. Le dossier a été appelé pour audition des parties le 31 janvier 2018, puis renvoyé au 5 février 2018 pour aviser les parties ;
9. À la date du 5 février 2018, toutes les parties ont comparu. À l’issue des débats, le dossier a été mis en délibéré pour arrêt être rendu le 17 mai 2018.
Il. FAITS-PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
10. Par requête reçue au greffe de la Cour de Justice de la Communauté B le 11 janvier 2017, Monsieur Y Ad, représenté par le Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo (CACIT), saisissait ladite Cour à l’effet de la voir :
Dire et juger que :
- l’Etat togolais, par les agissements de ses agents, qui l’ont arrêté, battu, menotté, pour avoir des informations sur l’implication du vol du matériel téléphonique, a violé les dispositions de l’article 21 alinéas 1 et 2 de la Constitution togolaise, des articles 4 et 5 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP), de l’article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), des articles 7 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ;
- les agissements de ses agents qui ont arrêté illégalement, détenu arbitrairement le requérant au CTR, et à la prison civile de Lomé pendant quinze (15) mois et quelques jours sans fondement, ont violé, de façon flagrante et manifeste les dispositions de l’article 52 du Code de Procédure Pénale du Togo, des articles 15 et 19 de la Constitution togolaise, des articles 3, 6, 7.1d) de la CADHP, 9/1, 10/1 ET 14/3c du PIDCP, 4 de la Déclaration sur les Principes Fondamentaux de Justice relatifs aux Victimes de la Criminalité et Victimes d’abus de pouvoirs et 10 de la DUDH ;
- le droit au travail du requérant n’a pas été respecté en violation des dispositions pertinentes de l’article 11 de la Constitution togolaise, 6 alinéa 1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et 23 alinéa 1 de la DUDH ;
En conséquence de tout ce qui précède :
- Ordonner à la République togolaise de procéder à une enquête pour arrêter les coupables des agissements incriminés, conformément aux stipulations de l’article 12 de la Convention contre la torture du 10 décembre 1984 et en prenant en compte leur gravité aux termes de l’article 4 de la même convention ;
- Ordonner à la République togolaise de procéder à la réparation du préjudice subi, en tenant compte des dispositions pertinentes de la Convention contre la torture, notamment en son article 14, ainsi que des Principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à une réparation des victimes de violation flagrante du droit international des droits de l’Homme et de violation graves du droit international humanitaire adoptés par l’Assemblée générale des Ah Ai, le 16 décembre 2005, dans sa résolution 60/147 notamment sous les formes de restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et garanties de non-répétition ;
- Condamner la République togolaise à payer au requérant, une somme de cent millions (100.000.000) FCFA à titre de dommages et intérêts, conformément aux stipulations de l’article 14 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984, de l’article 9/5 du PIDCP et du Principe 35 de l’Ensemble des principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement du 19 décembre 1988 ;
11. Au soutien de ses prétentions, Monsieur Y Ad expose que le 16 décembre 2005, il a reçu un appel téléphonique d’un inconnu lui demandant de venir au Centre de Traitement des Renseignements (CTR) pour une affaire le concernant ;
12. Y étant, il a été reçu par le Ae Z et deux de ses éléments, lesquels lui ont immédiatement retiré son téléphone portable et son porte-monnaie et l’ont taxé de voleur, d’arriviste et d’ennemi de la Nation ;
13. Conduit dans un bureau au sous-sol de l’immeuble abritant le CTR, il a été soumis à des interrogatoires musclés suivis de menaces verbales et d’intimidations ;
14. Qu’il lui a été reproché durant les interrogatoires qu’il a subis, d’être impliqué dans le vol de matériel de travail ;
15. Que sa famille ignorait totalement l’endroit où il était détenu et ses conditions de détention étaient insupportables ;
16. Qu’en outre, il a subi des traitements inhumains et dégradants ;
17. Poursuivant son récit, il ajoute avoir été inculpé le 17 janvier 2006 pour des faits d’abus de confiance, placé sous mandat de dépôt le même jour et détenu à la prison civile de Lomé pendant quatorze (14) mois et neuf (09) jours dans des conditions inhumaines et dégradantes.
18. Condamné à vingt (24) mois d’emprisonnement dont dix (10) assortis de sursis, il a été licencié pour faute lourde par son employeur, la société Togo-Telecom.
19. Il ajoute qu’il souffre de tension artérielle, de maux d’yeux et de fistule anale du fait des agissements de l’Etat togolais, et produit à cet effet le rapport médical en date du 02 septembre 2016, établi par le Professeur A Aj Ak, Chirurgien au C.H.U Ac Aa de Lomé ; ;
20. Il conclut qu’il a été victime d’actes de torture, de détention arbitraire et de violation de son droit au travail et se fonde entre autres sur la Constitution togolaise, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, la Convention contre la torture, le Pacte International relatif aux droits civils et politiques et le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
21. La République du Togo dans un mémoire exceptionnel en défense soulevait une fin de recevoir tirée du défaut de qualité du Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo (CACIT) qui représente Monsieur Y Ad ;
22. Elle soutient en effet que le Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo n’a produit aucun mandat justifiant de sa qualité de représentant de Monsieur Y Ad ;
23. Dans son mémoire en défense au fond, elle demande à la Cour de :
- Donner acte à la République du Togo de ce qu’elle a ouvert une enquête sur les actes de torture dont se plaint le requérant et ce, conformément à l’article 12 de la Convention contre la torture ;
- Dire et juger que le certificat médical établi onze (11) ans après les faits et ne recueillant que les déclarations du requérant, ne saurait être accepté par la Cour comme prouvant les faits allégués ;
- Dire et juger que c’est suite à un vol aggravé et de complicité de vol aggravé de matériel de travail, constitutif d’une faute lourde que le requérant a été licencié par son employeur ;
En conséquence :
- Débouter le requérant de ses demandes de constatation de violation de ses droits et de la condamnation à lui payer la somme de cent millions (100.000.000) FCFA à titre de dommages-intérêts ;
24. Elle expose que courant année 2005, la société Togo- Telecom a constaté la disparition de son matériel et outillage réseau dans certains de ses magasins à Lomé. Suite à ces faits, elle a porté plainte et les investigations ont conduit à l’interpellation de plusieurs agents de ladite société dont le requérant.
25. La procédure a été confiée à un juge d’instruction qui a renvoyé les inculpés devant la Chambre correctionnelle.
26. Suivant jugement en date du 28 mars 2007, le requérant et les autres mis en cause ont été reconnus coupables du délit de vol qualifié, de complicité de vol qualifié et condamnés à vingt- quatre (24) d’emprisonnement dont dix (10) avec sursis et au paiement de la somme de 1.187.121.147 FCFA ;
27. Suite à un appel interjeté par le requérant et les autres condamnés, la Cour d’Appel de Lomé a infirmé partiellement le jugement attaqué sur l’action civile et les prévenus ont été condamnés in solidium à payer la somme de 89.649.147 FCFA représentant les préjudices subis et les dommages-intérêts ;
28. L'arrêt de la Cour d’Appel n’a fait l’objet d’aucun pourvoi.
29. Suite à leur condamnation, la société Togo-Telecom a mis fin au contrat du requérant et des autres condamnés par une décision de licenciement ;
30. Pour la République du Togo, ces faits ne sont pas constitutifs d’actes de torture, de détention arbitraire et de violation du droit au travail du requérant ;
31. Que relativement aux actes de torture, c’est avec la requête du 08 décembre 2016 qu’elle a pris connaissance des présumés faits de torture ; Qu’elle a immédiatement enclenché une enquête, conformément à l’article 12 de la Convention contre la torture ; Qu’il ressort de cette enquête que les allégations de torture ne sont pas fondées, l’agent mis en cause les ayant niées ;
32. Qu’en outre, le requérant n’apporte aucune preuve des allégations de torture ; Que le certificat médical qu’il a produit date de 2016, soit onze (11) ans après les faits ; Que ce certificat ne peut servir de fondement aux actes de torture ;
33. Que s’agissant des allégations de détention arbitraire, il ressort des faits que le requérant a été détenu sur la base d’un mandat de dépôt pris par le juge d’instruction chargé de l’affaire ; Que c’est à tort qu’il déclare avoir été illégalement détenu ;
34. Qu’enfin, son droit au travail n’a pas été violé dans la mesure où son licenciement est fondé sur sa condamnation, confirmée par la Cour d’Appel de Lomé
I- MOTIFS DE LA DECISION
En la forme
1. Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité du Collectif des Associations contre l'Impunité au Togo
35. Attendu que l’article 12 du Protocole (A/P1/7/91) du 06 juillet 1991 relatif à la Cour de Justice de la Communauté dispose que : « Chaque partie à un différend est représentée devant la Cour par un ou plusieurs agents qu’elle désigne à cette fin. Ces agents peuvent, en cas de besoin, requérir l’assistance d’un ou de plusieurs Avocats ou Conseils auxquels les lois et règlements des Etats Membres reconnaissent le droit de plaider devant leurs juridictions » ;
36. Attendu que dans le cas d’espèce, Monsieur Y Ad est représenté par le Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo ; Qu’il ne s’est pas personnellement présenté devant la Cour ;
37. Attendu cependant qu’il ne figure au dossier aucun mandat donné audit Collectif par Monsieur Y Ad, pour le représenter devant la Cour ;
38. Qu’en effet, la représentation devant la Cour devant être matérialisée par un acte juridique, à savoir le mandat, acte par lequel le requérant donne pouvoir à une association pour agir en qualité d’agent en son nom et pour son compte ;
39. Qu’à défaut d’un tel mandat, le Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo qui prétend représenter Monsieur Y dans la procédure ne saurait valablement intervenir dans la cause en cette qualité ;
Qu’il y a lieu par conséquent de déclarer la requête irrecevable ;
2. Sur les dépens
40. Attendu qu’aux termes de l’art 66.4 du Règlement de la Cour de Justice de la Communauté CEDEAO : « La Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, ou pour des motifs exceptionnels » ;
41. Qu’en l’espèce, il y a lieu de faire supporter à
chaque partie ses dépens ;
Par ces motifs ;
Statuant publiquement, contradictoirement, en matière de violation des droits de l’homme, en premier et dernier ressort ;
- Constate que le Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo, représentant Monsieur Y Ad, ne dispose d’aucun mandat de représentation ;
- Déclare par conséquent la requête du Collectif des Associations contre l’Impunité au Togo, introduite au nom de Monsieur Y Ad pour violation de ses droits, irrecevable pour défaut de qualité ;
- Dit que chaque partie supportera ses propres dépens ;
Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement en audience à Af en République Fédérale du Nigeria, par la Cour de Justice de la Communauté, CEDEAO, les jour, mois et an susdits ;
Ont signé :
Honorable Juge Jérôme TRAORE/ Juge Rapporteur : Président
Honorable Juge Yaya BOIRO : Membre
Honorable Juge Alioune SALL : Membre
Assistés de Maitre Athanase ATTANON : Greffier