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28/04/2021 | CEDEAO | N°ECW/CCI/JUD/10/21

CEDEAO | CEDEAO, Cour de justice de la communauté des etats de l'afrique de l'ouest, 28 avril 2021, ECW/CCI/JUD/10/21


Texte (pseudonymisé)
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COMMUNITY COURT OF JUSTICE, DE N
COUR DE JUSTICE CEDEAO ECOWAS DE LA COMMUNATE, N
TRIBUNAL DE JUSTICA CEDEAO DA COMMUNIDADE, NS A2
LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST -
Dans l'affaire No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT OFF AMINU KANO CRESCENT
WUSE II, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, ABUJA
TEL: 234-9-78 22 801
Website; www.courtecowas. org
ÉCONOMIQUE DES ÉTATS
(CEDEAO) L'UNION SOCIALE LIBERALE (USL) contre l'ETAT DU SENEGAL
Requête N° : ECW/CCH/APP/59/18 Arrêt N°ECW/CCJ/JUD/10/21
ARRÊT

ABUJA
28 avril 2021
AFFAIRE N°: ECW/CCJ/APP/59/18
ARRÊT N° ECW/CCI/JUD/10/21 LIBERAL...

-
COMMUNITY COURT OF JUSTICE, DE N
COUR DE JUSTICE CEDEAO ECOWAS DE LA COMMUNATE, N
TRIBUNAL DE JUSTICA CEDEAO DA COMMUNIDADE, NS A2
LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ
DE L'AFRIQUE DE L'OUEST -
Dans l'affaire No. 10 DAR ES SALAAM CRESCENT OFF AMINU KANO CRESCENT
WUSE II, ABUJA-NIGERIA.
PMB 567 GARKI, ABUJA
TEL: 234-9-78 22 801
Website; www.courtecowas. org
ÉCONOMIQUE DES ÉTATS
(CEDEAO) L'UNION SOCIALE LIBERALE (USL) contre l'ETAT DU SENEGAL
Requête N° : ECW/CCH/APP/59/18 Arrêt N°ECW/CCJ/JUD/10/21
ARRÊT
ABUJA
28 avril 2021
AFFAIRE N°: ECW/CCJ/APP/59/18
ARRÊT N° ECW/CCI/JUD/10/21 LIBERALE (USL)
L’ETAT DU SENEGAL REQUÉRANTE
DÉFENDEUR COMPOSITION DE LA COUR :
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE Président
Hon. Juge Gbéri-Bè OUATTARA Juge Rapporteur / Membre
Hon. Juge Dupe ATOKI Membre
ASSISTES DE : Me. Athanase ATANNON - Greffier en Chef Adjoint
I. REPRÉSENTATION DES PARTIES :
Me. Abdoulaye TINE, Avocat au Barreau de Paris
Me. Adama FALL, Avocat au Barreau de Dakar Avocats de la requérante
L’AGENT JUDICIAIRE DE L’ETAT
Me. Yérim THIAM
Me. Papa Al Aa A
Me. Samba BITEYE,
Me. Bassirou NGOM
et Me. William Bourdon Avocats du défendeur I. ARRÊT DE LA COUR
La Cour a rendu l'arrêt dont la teneur suit :
INT. DÉSIGNATION DES PARTIES
1. La Requérante est L'UNION SOCIALE LIBERALE (USL), un parti politique
régulièrement constitué en vertu des lois de la République du Sénégal.
2. Le défendeur est l’Etat du SENEGAL, un État membre de la CEDEAO.
IV. INTRODUCTION : Objet de la procédure
3. Ce litige est né des allégations de la requérante selon lesquelles la législation électorale,
telle que modifiée par la loi numéro 2018-22 du 04 juillet 2018 portant révision du code
électoral, viole le droit à la libre participation aux élections. La requérante prie la Cour
d’ordonner à l'État défendeur de lever tous les obstacles à la libre participation aux
élections consécutifs à cette modification.
V. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
4, Le 11 décembre 2018, L'UNION SOCIALE LIBERALE (USL) a déposé au greffe de
la Cour de céans, une requête introductive d’instance contre l’Etat du Sénégal pour
violation des droits de l’homme. Ce même jour, elle a déposé au greffe de ladite Cour,
une requête par laquelle elle sollicite à la fois l’obtention de mesures provisoires et la
soumission de l’affaire à la procédure accélérée sur le fondement de l’article 59 du Règlement de procédure. Ces deux requêtes datées des 03 et 07 décembre 2018 ont été
notifiées à l'Etat du Sénégal le 12 décembre 2018. (Pièces n° 1 et 2)
5. Le 15 janvier 2019, l’Etat du Sénégal a déposé au greffe de la Cour, un mémoire par
lequel il a soulevé l’exception d’incompétence prima facie de la Cour, un autre mémoire
en réplique à la demande de procédure accélérée et enfin le mémoire en défense. Tous ces
mémoires ont été notifiés à la requérante le 16 janvier 2019.
6. L'affaire a été renvoyée au 04 mars 2020 pour audition des parties.
À cette audience, la Cour a constaté l’absence de l’USL qui, par ailleurs, n’était pas
représentée. La requérante a néanmoins transmis à la Cour, un courrier par lequel elle a
indiqué qu’elle s’en tient à ses déclarations contenues dans ses requêtes. L'Etat défendeur
était présent ainsi que ses conseils qui ont plaidé au fond. L'affaire a été mise en délibéré
pour arrêt être rendu le 11 juin 2020. Advenue cette date, le délibéré a été prorogé au 20
avril 2021.
VI. ARGUMENTATION DE LA REQUÉRANTE
a) Exposé des faits
7. Par requête en date du 03 décembre 2018, enregistrée au greffe de la Cour le 11
décembre 2018, l’Union Sociale Libérale (USL), parti politique sénégalais régulièrement
déclaré auprès du Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité Publique, suivant récépissé de
déclaration No 18134/MINTSP/DGAT/DLP en date du 21 septembre 2016, a attrait l’Etat
du Sénégal devant la Cour de céans pour violation des droits des partis politiques.
8. Au soutien de sa requête, l’USL expose que l’Assemblée Nationale du Sénégal a voté
la loi N° 2018-22 du 04 juillet 2018 portant révision du Code électoral ; cette loi a
généralisé le système de parrainage qui subordonne toute candidature à une élection au
parrainage par une liste d’électeurs ; les députés membres de l’opposition ont aussitôt saisi le Conseil Constitutionnel d’une requête en inconstitutionnalité de ladite loi ; le Conseil
Constitutionnel s’est déclaré incompétent pour apprécier sa conformité à la constitution ;
la loi a donc été promulguée par le Président de la République et publiée au Af
Ak devenant ainsi définitive.
9. La requérante affirme que cette loi porte en elle-même les germes d’une violation
imminente de ses droits fondamentaux, ainsi que ceux de tous les partis politiques et
organisations qui soutiennent son action et dont les noms figurent sur la requête.
10. Elle fait remarquer que même si aucune candidature n’est encore présentée, ni rejetée
par l'instance compétente, l’effet attendu du vote de la loi sur le parrainage est l’exclusion
de l’élection présidentielle du 24 février 2019 des deux tiers des partis politiques
légalement constitués.
11. Elle soutient en effet que le paysage politique sénégalais comportant plus de 300 partis
politiques, le nombre de signatures exigées est si élevé (53.000) qu’un simple calcul
consistant à rapporter le seuil de parrainage au nombre d’électeurs inscrits (6.500.000)
permet de savoir que seul le tiers des partis constitués (soit 122 partis environ) peut espérer
satisfaire aux nouvelles exigences de la loi.
12. En effet, par son caractère discriminatoire à l’égard de la majorité des formations
politiques, cette loi porte atteinte au statut des partis politiques et à leur libre participation
aux consultations électorales.
13. Par ailleurs, ni les signataires des parrainages, ni les partis politiques et les candidats
au bénéfice desquels les signatures sont recueillies n’ont la moindre maîtrise des modalités
et critères d'appréciation de la validité des signatures.
14, La requérante en conclut que l’adoption de pareils instruments est assimilable à
l’usage par l’Etat du Sénégal, d’une restriction à caractère général de l’accès à l’élection.
15. L’USL affirme que le Code électoral révisé contrevient non seulement au droit
international des droits de l’homme, mais aussi au droit d'intégration communautaire de
la CEDEAO.
16. À l’appui de ses allégations, la requérante invoque plusieurs instruments juridiques,
notamment l’article 1" (i) du Protocole de la CEDFAO sur la démocratie et la bonne
gouvernance, aux termes duquel : « … Les partis politiques se créent et exercent librement
leurs activités dans le cadre des lois en vigueur... Ils participent librement et sans
entrave ni discrimination à tout processus électoral. La liberté d'opposition est
garantie. ».
17. La requérante vise également l’article 3(11) de la Charte Africaine de la démocratie,
des élections et de la gouvernance qui dispose que « Les Etats parties s'engagent à mettre
en œuvre la présente Charte conformément aux principes énoncés ci-après : … le
renforcement du pluralisme politique, notamment par la reconnaissance du rôle, des
droits et des obligations des partis politiques légalement constitués, y compris les partis
politiques d'opposition qui doivent bénéficier d'un statut sous la loi nationale. » ;
18. En outre, la requérante se prévaut de la jurisprudence de la Cour pour soutenir que le
« risque d’une violation future confère à un requérant la qualité de victime » lorsque les
circonstances particulières de l'affaire révèlent l'existence d'indices « raisonnables et
convaincants de la probabilité de la réalisation d'actions attentatoires aux droits de
l’homme ». (Arrêt Ac Am c. Sénégal, paragraphe 53).
19. De même, dans l'affaire CDP et Autres c. Etat du Ag Ah (voir le paragraphe
17 de l’arrêt), la Cour a considéré que les conditions pour reconnaître la qualité de victime
au requérant sont réunies et a jugé que s’il arrive que dans certaines circonstances, l’accès
à des fonctions électives puisse parfois faire l’objet de restrictions justifiées, le droit pour
l’Etat «de restreindre l'accès à la compétition électorale (.…) ne doit pas être utilisé
comme un moyen de discrimination des minorités politiques » (voir le paragraphe 29 de
l’arrêt CDP du 13 juillet 2015): Or, estime la requérante, c’est à ce genre de
discrimination et d’exclusion que conduit inévitablement la législation sur le parrainage.
b) Moyens invoqués
20. La requérante allègue la violation du droit à une libre participation aux élections.
Elle invoque à l’appui de sa requête :
- l’article 1°“ (à) du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance :
- l’article 33,1° de la section VII du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la
bonne gouvernance ;
- l’article 3(11) de la Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la
gouvernance.
c) Conclusion
21. La requérante sollicite qu’il plaise à la Cour :
- déclarer sa requête recevable et bien fondée ;
- dire que la législation électorale, telle que modifiée viole le droit à la libre participation
aux élections ;
- ordonner en conséquence à l’Etat du Sénégal de lever tous les obstacles à une libre
participation aux élections consécutifs à cette modification ;
-condamner en outre l’Etat du Sénégal aux entiers dépens.
22. Par requête en date du 7 décembre 2018, l’Union Sociale Libérale (USL) sollicite que
des mesures conservatoires appropriées soient ordonnées par la Cour afin de préserver les
droits des partis politiques.
23. Au titre de ces mesures provisoires sollicitées, la requérante prie la Cour d’enjoindre
à l’Etat du Sénégal : de suspendre immédiatement les mesures prises pour organiser le
dépôt des signatures de parrainage, de produire tous les critères permettant l’authentification des signatures de parrainage et de tenir la Cour informée des mesures
prises pour faire cesser cette série d’illégalités.
24. Par la même requête séparée de la requête principale, l’'USL soumet à la Cour une
demande aux fins de procédure accélérée sur le fondement de l’article 59 du Règlement
de procédure de la Cour.
25. La requérante explique que la Cour est saisie dans l'urgence, compte tenu non
seulement de l’imminence de l’élection présidentielle prévue pour le 24 février 2019, mais
aussi du caractère irrémédiable du préjudice qui résulterait, pour elle, les autres partis
politiques et les organisations alliés, de l’application de la loi sur le parrainage.
Elle sollicite que l’affaire soit examinée et décidée suivant le régime de la procédure
accélérée prévue à l’article 59 du Règlement de procédure.
L’USL réitère qu’il plaise à la Cour, condamner l’Etat du Sénégal aux entiers dépens.
VII. ARGUMENTATION DE L'ETAT DÉFENDEUR :
a) Exposé des faits
26. Par mémoire en date du 10 janvier 2019 reçu au greffe de la Cour le 15 janvier
2019 (doc n°3), l’Etat du Sénégal expose que l’Assemblée Nationale du Sénégal a voté la
loi n°22-2018 du 04 juillet 2018 portant modification du code électoral et non la loi n°12-
2018 du 19 avril 2018 comme mentionné par la requérante.
27. ll soutient que ledit code ayant généralisé le système de parrainage jusqu’alors
limité aux candidatures indépendantes, les députés membres de l’opposition ont saisi le
Conseil Constitutionnel pour soulever l’inconstitutionnalité de la loi dont il s’agit.
28. L'Etat défendeur rapporte que le Conseil Constitutionnel, contrairement à ce
qu'’affirme la requérante, a rendu la décision n°2-C-2018 du 2 juillet 2018 dont le
dispositif est ainsi libellé : « ARTICLE PREMIER- Les dispositions des articles LO, 132 et LO. 138 de la loi adoptée par l’Assemblée Nationale en sa séance du 18 juin 2018 sous
le numéro 22/2018 sont conformes à la Constitution. »
« ARTICLE 2-Les autres dispositions de la loi adoptée sous le numéro 22/2018
susvisée ne sont pas contraires à la Constitution. »
29, Il précise qu’auparavant, les mêmes députés avaient saisi, le 25 avril 2018, le
Conseil Constitutionnel d’un recours tendant à faire déclarer :
« D'une part, contraires à la Constitution, certaines dispositions de forme
législative contenues dans la loi portant révision de la Constitution et adoptée le 19 avril
2018 sous le numéro 14/2018, »
« D'autre part, contraires aux dispositions de la loi organique portant Règlement
Intérieur de l'Assemblée Nationale, la résolution portant vote sans débat et l'adoption de
l’amendement introduit pour modifier le projet de loi constitutionnelle. »
30. Il allègue que le Conseil Constitutionnel a rendu le 9 mai 2018 la décision
n°1/C/18 dont la teneur est la suivante: « ARTICLE PREMIER- Le Conseil
Constitutionnel n'a pas compétence pour statuer sur la conformité à la Constitution de la
loi portant révision de la Constitution et adoptée par l'Assemblée Nationale le 19 avril
2018 sous le n° 14/2018. »
« ARTICLE 2- Le Conseil Constitutionnel n'a pas compétence pour statuer sur la
conformité au Règlement Intérieur de l’Assemblée Nationale, de la résolution portant vote
sans débat de la loi Constitutionnelle n°14/2018 et de l'adoption de l'amendement y
apporté. »
31. L’Etat du Sénégal en déduit que, comme à son habitude, l’'USL a fait une
confusion entre la décision n°2-C2018 du 2 juillet 2018 et celle rendue le 9 mai 2018 et
portant le n°1/C/18. Il réitère que dans sa décision rendue le 2 juillet 2018, le Conseil
Constitutionnel a déclaré que les autres dispositions de la loi n°22-2018 modifiant le code
électoral ne sont pas contraires à la Constitution mais par contre, il s’est déclaré incompétent pour statuer sur la conformité à la Constitution de la loi portant révision de
la Constitution (la loi n°14/2018 du 11 mai 2018).
32. L'Etat défendeur conclut qu’en d’autres termes, la requérante amène la Cour de
Justice à apprécier la décision du Conseil Constitutionnel du Sénégal qui a reçu les
dossiers de parrainage et a déjà statué sur leur validité.
b) Moyens invoqués
33. L'Etat du Sénégal soulève l’incompétence de la Cour et l’irrecevabilité de la requête.
Il soutient en effet que la Cour est incompétente pour connaître de la requête car elle vise
uniquement à remettre en cause les lois votées par l’Assemblée Nationale et les décisions
du Conseil Constitutionnel, d’une part, et à amener la Cour de céans à vouloir assurer la
police des élections présidentielles, d’autre part ;
34, L'Etat défendeur met en cause la qualité pour agir de la requérante et invoque des
irrégularités de nature à affecter la recevabilité de la requête ; ces irrégularités sont liées
notamment au fait qu’il n’y est mentionné ni le domicile de la requérante, ni les noms et
qualité de son représentant légal, ni même la décision du bureau politique du parti
autorisant la présente action en justice ;
c) Conclusion
35. L'Etat défendeur sollicite qu’il plaise à la Cour, mettre fin à cette procédure par voie
d’ordonnance motivée, conformément à l’article 88, alinéa 1 du Règlement.
Il sollicite en outre que la requête soit déclarée formellement irrecevable.
36. L’USL affirme que dès lors qu’une violation imminente des droits fondamentaux de
l’homme est en cause, la Cour de justice de la CEDEAO est compétente pour connaître
du litige.
Elle explique que c’est en 2015 que la Cour a adopté cette position en jugeant que le risque
d’une violation future peut donner la qualité de victime au requérant. Affaire CDP et
autres contre l’Etat du Ag Ah du 13 juillet 2015.
37. La requérante fait valoir qu’ainsi que l’exige la jurisprudence, il existe en l’espèce des
indices raisonnables et convaincants de la probabilité de la réalisation d’une violation des
droits des partis politiques.
38, Elle soutient que la recevabilité de toute candidature aux élections présidentielles au
Sénégal est désormais conditionnée par la nouvelle loi relative au parrainage et que même
si aucune candidature n’est encore présentée par un parti politique ni rejetée par l’instance
compétente, la loi relative au parrainage ayant déjà été votée depuis le 19 avril 2019, elle
exclut de l’élection présidentielle du 24 février 2019, les deux tiers des partis politiques
légalement constitués en raison du seuil très élevé de parrainage exigé par cette loi. Par
conséquent, la violation effective des droits de l’homme en cause interviendra
inévitablement.
39. Elle en conclut que la Cour de céans est compétente en vertu de l’article 9 -4° du
Protocole Additionnelle A/SP.1/01/05.
40. Par acte séparé, l'Etat du Sénégal soulève l’exception d’incompétence de la Cour de
céans.
Il fait valoir que la requérante ne démontre aucune violation des droits de l’homme mais
elle se contente d’alléguer des violations somme toute hypothétiques.
41. L’Etat défendeur affirme qu’il en est notamment ainsi des violations qui seraient
provoquées par le système généralisé de parrainage. Il estime que de telles prétentions ne
sont en fait qu’un subterfuge visant à camoufler la véritable intention de la requérante qui
est de soumettre les lois et décisions juridictionnelles de l’Etat du Sénégal à la censure de
la Cour de céans, sans aucun fondement.
Il en conclut que la Cour est manifestement incompétente pour connaître de la requête.
ANALYSE DE LA COUR.
42. La Cour note que sa compétence en matière de droit de l’homme est régie par les
dispositions de l’article 9-4 du Protocole additionnel A/SP.1/01/05 du 19 janvier 2005
portant amendement du Protocole A/P.1/7/91 relatif à la Cour de justice qui dispose que :
« La Cour est compétente pour connaître des cas de violation des droits de l’Homme dans
tout Etat membre ».
43. Elle rappelle que pour déterminer si elle est compétente ou non, il faut tenir compte
des textes qui régissent sa compétence et de la nature de la question qui lui est soumise
par le requérant sur la base des faits qu’il allègue. À cet égard, cette Cour a statué dans
l'affaire : Ad Ae et 28 Autres c. la République du Mali, Arrêt N°
ECW/CCI/JUD/03/11 du 17 mars 2011, comme il suit :
«La compétence de la Cour pour connaître d'une affaire déterminée dépend non
seulement des textes qui régissent la Cour, mais également de la substance de la requête
initiale. La Cour accorde toute attention aux prétentions des demandeurs, aux moyens
qu’ils invoquent, et dans le cas où des violations de droit de l'Homme sont alléguées, de
sa présentation par les parties ; la Cour recherche done si la constatation de la violation
des droits de l'Homme forme l'objet principal de la requête et si les moyens et les preuves
produits tendent essentiellement à établir de telles violations ».
44. Dans le même sens, l'arrêt susmentionné N° ECW/CCI/JUD/10/13 du 6 novembre
2013 a décidé que « Æn règle générale, la compétence découle de la demande des requérants et, pour décider si cette Cour est compétente ou non pour connaître du présent
recours, il faut se fonder sur les faits tels que présentés par le requérant ».
45. En l’espèce, l’Etat du Sénégal soutient que la Cour est incompétente pour connaître
du litige en raison du caractère non effectif des violations prétendues.
À ce sujet, la Cour a toujours considéré que si, en principe, elle ne devait sanctionner que
des violences effectives des droits de l’homme, des violences réelles, avérées et non des
violations possibles, potentielles ou éventuelles, elle peut valablement se préoccuper de
violations non encore réalisées, mais très imminentes.
46. La Cour en a ainsi décidé dans l’affaire CDP et autres contre l’Etat du Ag Ah
du 13 juillet 2015 où elle a affirmé que « si elle devait attendre que des dossiers de
candidature soient éventuellement rejetés pour agir, si elle devait attendre l'épuisement
des effets d’une transgression pour dire le droit, sa juridiction dans un contexte d'urgence
n'aurait aucun sens, les victimes présumées de telles violations se retrouvant alors
inexorablement lésées dans la compétition électorale. »
47. En l’espèce, la recevabilité de toute candidature aux élections présidentielles étant
désormais conditionnée par la nouvelle loi sur le parrainage, les deux tiers des partis
politiques au Sénégal seront exclus de l’élection présidentielle prévue le 24 février 2019.
Il en résulte que la violation effective des droits de l’homme alléguée est imminente.
Par conséquent, contrairement à la position de l’Etat du Sénégal, la Cour de céans doit
se déclarer compétente pour connaître de la requête.
IX. RECEVABILITÉ
13 d EC 48. L'Etat du Sénégal soulève une série de griefs tendant à faire admettre l’irrecevabilité
de la requête.
Il met en cause la qualité pour agir de la requérante et invoque des irrégularités de nature
à affecter la recevabilité de la requête. Ces irrégularités de la requête sont liées notamment
au fait qu’il n’y est mentionné ni le domicile de la requérante, ni les noms et qualité de
son représentant légal, ni même la décision du bureau politique du parti autorisant la
présente action en justice.
En conséquence, il sollicite que la requête soit déclarée formellement irrecevable.
49. L'USL soutient qu’elle à la qualité pour agir en justice du moment qu’il ressort de la
jurisprudence de la Cour que le risque d’une violation future confère à un requérant la
qualité de victime, chaque fois que les circonstances particulières de l’affaire permettent
d'établir un faisceau d’indices concordants en faveur de la réalisation de la violation que
la saisine de la Cour a justement pour objet de prévenir. La violation effective des droits
de l’homme par la nouvelle loi étant imminente, elle estime que cela lui confère la qualité
pour agir.
ANALYSE DE LA COUR
50. En ce qui concerne la Cour de céans, la recevabilité d’une action relevant du
contentieux des droits de l’homme est régie par les dispositions de l’article 10-d du
Protocole additionnel de 2005.
51. Peutainsi saisir la Cour, toute personne victime de violations des droits de l’homme,
dès lors que la demande soumise à cet effet n’est ni anonyme, ni pendante devant une
autre juridiction internationale compétente.
52. S’agissant de la qualité pour agir, la Cour relève qu’en l’espèce, la requérante a
indiqué, dans sa requête, qu’en vertu de la jurisprudence de la Cour, le risque d’une violation future confère à un requérant la qualité de victime, chaque fois que les
circonstances particulières de l’affaire permettent d’établir un faisceau d’indices
concordants en faveur de la réalisation de la violation que la saisine de la Cour a justement
pour objet de prévenir ;
53. Dans la présente affaire, l’action de la requérante vise à prévenir une violation dont
elle craint la réalisation. Les parties s’accordent, en effet, sur le fait qu’au moment de la
saisine de la Cour, la loi sur le parrainage électoral n’avait pas été appliquée et aucune
candidature n’avait été présentée ni rejetée en application de cette nouvelle loi.
54, 11 s’ensuit que la requérante n’a pas agi pour faire cesser une violation dont elle serait
victime ; néanmoins, elle peut se prévaloir des dispositions de l’article 10 (d) du Protocole
relatif à la Cour tel qu’amendé, qui ouvre l’accès au prétoire de la Cour à « toute personne
victime de violation des droits de l’homme » en raison du fait que la violation des droits
de l'homme alléguée est imminente et inévitable.
55. Par ailleurs, s'agissant des irrégularités constatées sur la requête par le défendeur à
savoir le fait qu’il n’est pas mentionné dans la requête ni le domicile de la requérante, ni
les noms et qualité de son représentant légal, ni même la décision du bureau politique du
parti autorisant la présente action en justice , la Cour note qu'il ressort des dispositions de
l’article 33.6 du règlement de la Cour que si la requête n’est pas conforme aux conditions
énumérées aux paragraphes | à 4 du présent article, le Greffier en Chef fixe au requérant
un délai qui ne saurait excéder trente jours, aux fins de régularisation de la requête. À
défaut de cette régularisation la Cour décide, le Juge rapporteur entendu, si l’inobservation
de ces conditions entraîne l’irrecevabilité formelle de la requête.
56. Il en résulte que la vérification de l’accomplissement des formalités requises relève du
greffe. C’est ce qui ressort de l’arrêt rendu par la Cour de céans dans l’affaire N’Ab
An c. Etat du Sénégal (ECW/CCJIAPP/32/16). La Cour a jugé qu’il résulte de
l’économie de ces textes que la vérification de l’accomplissement des formalités dont
s’agit relève du greffe.
57. La Cour observe qu’en l’espèce, aucune demande de régularisation n’a été adressée à
la requérante par le Greffier en Chef de la Cour ; l'affaire a été entendue sans que ne soit
excipée l’irrecevabilité de la requête pour cause d’inobservation des conditions fixées par
les dispositions de l’article 33 du Règlement de la Cour.
58. Ni le greffe ni la Cour n’ayant relevé d’anomalie, la requête doit être déclarée
recevable surtout qu’il ne ressort pas des pièces de la procédure que la demande est
anonyme ou pendante devant une autre juridiction internationale compétente.
X. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
59, Le 11 décembre 2018, l'USL a déposé au greffe de la Cour, une requête par laquelle
elle sollicite à la fois l’obtention de mesures provisoires et la soumission de l’affaire à la
procédure accélérée sur le fondement de l’article 59 du Règlement de procédure ;
MESURES PROVISOIRES
60. Au soutien de sa demande de mesures provisoires, la requérante expose que le 18 juin
2018, l’Assemblée Nationale du Sénégal a adopté le projet de loi portant modification du
code électoral ; cette loi ayant pour objet de soumettre tout candidat aux élections
présidentielles à l’obtention du parrainage par une liste d’électeurs, les députés membres
de l’opposition ont aussitôt saisi le Conseil Constitutionnel d’une requête en
inconstitutionnalité de ladite loi ; le Conseil Constitutionnel sénégalais s’est déclaré
incompétent pour apprécier sa conformité à la constitution ; la loi a donc été promulguée
par le Président de la République et publiée au Af Ak, devenant ainsi définitive ;
compte tenu de l’existence des indices concordants de violation des droits de l’homme,
elle demande à la Cour d’ordonner les mesures provisoires sollicitées dans sa requête ;
61. L'Etat du Sénégal fait valoir en ce qui concerne la demande de mesures provisoires que si le
risque de préjudice iréparable potentiel peut justifier la soumission de l'affaire à la prise de mesures
provisoires, ce raisonnement ne tient plus dès lors que le risque allégué n'est plus potentiel.
Ce risque était lié à la période de dépôt des candidatures qu'elle a attendu pour déposer son
mémoire. Cette période étant close et les dossiers ayant d'ailleurs été validés par le Conseil
constitutionnel, la Cour ne pourra que constater que la demande présentée par l'USL sur le
fondement de l’article 79 est devenue sans objet.
ANALYSE DE LA COUR
62. La Cour constate effectivement que l'élection présidentielle s'est tenue le 24 février 2019 de
sorte que cette demande de mesures provisoires est désormais sans objet dans la mesure où, à
supposer même que la Cour ordonne leur prise, elles ne peuvent pas rétroagir pour couvrir la
période de dépôt des candidatures déjà écoulée.
PROCEDURE ACCELEREE
63. Concernant la demande tendant à soumettre l’affaire à la procédure accélérée, la Cour
rappelle qu’aux termes de l’article 59 de son Règlement, à la demande soit de la partie
requérante, soit de la partie défenderesse, le Président peut exceptionnellement, sur la base
des faits qui lui sont présentés, l’autre partie entendue, décider de soumettre une affaire à
une procédure accélérée dérogeant aux dispositions du présent Règlement, lorsque
l’urgence particulière de l’affaire exige que la Cour statue dans les plus brefs délais.
64. Contrairement à la requérante qui sollicite que la Cour déclare sa requête aux fins de procédure
accélérée recevable, l'Etat du Sénégal estime qu’en l'espèce, il n'y a aucune urgence particulière
sauf celle créée par l'USL elle-même en déposant sa requête tardivement.
65. || fait remarquer que les dossiers de candidatures devaient être déposés entre le 11 décembre
et le 26 décembre 2018. Cependant, la requérante a attendu jusqu'au jour de l'ouverture du dépôt
des dossiers de candidature fixé au 11 décembre 2018 pour saisir la Cour de justice de griefs tirés
d'une loi adoptée plus de 6 mois auparavant.
ANALYSE DE LA COUR
66. La Cour note qu’en l’espèce, les risques de violations graves et irréversibles des droits
de l’homme invoqués par l’USL pour solliciter l'admission de la présente affaire à la
procédure accélérée n'existent plus du fait que les élections présidentielles déjà ont eu
lieu. Elle constate en conséquence que la demande est sans objet.
XI. AU FOND
SUR LA VIOLATION DES DROITS DES PARTIS POLITIQUES
67.11 ressort du dossier de la procédure qu’il est fait grief à la loi n°2018-22 du 04 juillet
2018 portant révision du code électoral de violer le statut des partis politiques (1), d’avoir
un caractère discriminatoire (2) et de constituer une entrave à la libre participation des
partis politiques aux élections (3).
Il y a lieu en conséquence d'analyser successivement toutes ces violations alléguées.
1) SUR LA VIOLATION DU STATUT DE PARTIS POLITIQUE
68. L’USL articule que par le fait d’instituer le principe du parrainage intégral doublé du
parallélisme absolu des conditions de recevabilité des candidatures aussi bien
d’indépendants que de partis politiques, la loi n°2018-22 du 04 juillet 2018 portant
révision du code électoral vide le statut des partis politiques de sa substance malgré
l’existence dans la constitution sénégalaise de dispositions prévoyant formellement un
statut pour les partis politiques. Ce qui constitue, selon elle, une violation des articles 1°
i du Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, 33 i° dudit
Protocole et 3, 11 de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne
gouvernance.
69. L'Etat du Sénégal soutient que la requérante ne fait aucune démonstration au soutien
de cette affirmation péremptoire tendant à dire que la loi portant révision du code électoral
viole le statut des partis politiques et leur ôte leur raison d’être.
Il observe qu’il ne ressort pas de l’ensemble des dispositions de la loi attaquée qu’elle a
pour but ou pour effet de priver les partis politiques de leur statut.
ANALYSE DE LA COUR
70. La Cour note qu’il résulte des dispositions de la loi n° 2018-22 du 04 juillet 2018
portant révision du code électoral, notamment de ses articles LO.115 et LO.116 que :
Article L.115 « La candidature à la présidence de la République doit comporter :
1) les prénoms, nom, date, lieu de naissance et filiation du candidat ;
2) la mention que le candidat est de nationalité sénégalaise et qu'il jouit de ses droits
civils et de ses droits politiques, conformément aux dispositions du titre premier du
code électoral ;
3) le numéro de la carte d'électeur ;
4) la mention que le candidat a reçu l'investiture d’un parti politique légalement
constitué ou d'une coalition de partis politiques légalement constitués, ou d'une
entité regroupant des personnes indépendantes ;
5) la photo et la couleur choisies pour l'impression des bulletins de vote et
éventuellement le symbole et le sigle qui doivent y figurer ;
6) la signature du candidat ;
Pour être recevable, toute candidature doit être accompagnée de la signature d'électeurs
représentant au minimum 0,8% et, au maximum 1% du fichier électoral général.
Ces électeurs doivent être domiciliés dans au moins sept régions à raison de deux mille
au moins par région.
Un électeur ne peut parrainer qu’un (1) candidat ».
71. Article L. 116 : « La déclaration de candidature doit être accompagnée des pièces
suivantes :
*un certificat de nationalité ;
*une photocopie légalisée de la carte d'identité biométrique CEDEAO faisant office de
carte d'électeur ;
*un extrait d'acte de naissance datant de moins de six (06) mois ;
*un bulletin n°3 du casier judiciaire datant de moins de (03) mois ;
*une attestation par laquelle un parti politique légalement constitué, une coalition de
partis politiques légalement constitués ou une entité regroupant des personnes
indépendantes a investi l’intéressé en qualité de candidat.
*la liste des électeurs ayant parrainé le candidat, présentée sur un fichier électronique et
en support papier, conformément au modèle prévu à l'article L.57 du présent code.
Cette liste doit comprendre des électeurs représentant un pour cent du fichier général.
Une partie de ces électeurs doit obligatoirement provenir de sept régions à raison de deux
mille au moins par région. Le reste est réparti, sans précision de quota, dans toutes les
circonscriptions administratives ou juridictions diplomatiques ou consulaires ;
*une déclaration sur l'honneur par laquelle le candidat atteste que sa candidature est
conforme aux dispositions de l'article 4 et 28 de la constitution, qu’il a exclusivement la
nationalité sénégalaise et qu'il sait écrire, lire et parler couramment la langue officielle ;
*me déclaration sur l'honneur par laquelle le candidat atteste être en règle avec la
législation fiscale du Sénégal ;
*une quittance confirmée par une attestation signée par le Directeur général de la Caisse
des Dépôts et Consignations (CDC) attestant du dépôt du cautionnement prévu à l'article
L.117 du présent code.
Tout dossier incomplet à l'expiration des délais de dépôt fixés par l’article 29 de la
Constitution, entraine l'irrecevabilité de la candidature.
En cas d’irrecevabilité d'une candidature, le cautionnement est remboursé quinze (15)
jours après la publication définitive de la liste des candidats. »
72. La cour constate qu’il n’existe pas dans la loi n°2018-22 du 4 juillet 2018 incriminée,
des dispositions de nature à priver les partis politiques de leur statut. Bien au contraire, la
Constitution de l’Etat du Sénégal prévoit en ses articles 4 et 58 que :
Article 4 « Les partis politiques et coalitions de partis politiques concourent à
l’expression du suffrage. Is sont tenus de respecter la Constitution ainsi que les principes
de la souveraineté nationale et de la démocratie. Il leur est interdit de s'identifier à une
race, à une ethnie, à un sexe, à une religion, à une secte, à une langue ou à une région.
Les conditions dans lesquelles les partis politiques et les coalitions de partis politiques
sont formés, exercent et cessent leurs activités, sont déterminées par la loi »
73. Article 58 : « La Constitution garantit aux partis politiques qui s'opposent à la
politique du Gouvernement le droit de s'opposer.
La loi définit leur statut et fixe leurs droits et devoirs.
L'opposition parlementaire est celle qui est représentée à l'Assemblée Nationale par ses
députés. »
74, La Cour en déduit que c’est véritablement à tort que la requérante affirme que la loi
querellée viole le statut des partis politiques. Elle estime que ces affirmations non
démontrées de la requérante doivent être rejetées comme étant dénuées de tout fondement.
. fe 2) SUR LE CARACTERE DISCRRIMINATOIRE DE LA LOI
75. L’USL rapporte que de manière générale, la Cour affirme que le « droit de restreindre
l'accès à la compétition électorale ne doit pas être utilisé comme un moyen de
discrimination des minorités politiques ».
76. Elle observe qu’en l’espèce, le nombre de partis politiques légalement constitués étant
supérieur au nombre maximal des candidatures possibles, le parrainage instaure une
discrimination systématique du nombre de participants en privant les deux tiers des partis
politiques sénégalais de leurs droits et de leur rôle dans l’expression du suffrage sans que
cela soit fondé sur un critère objectif déterminable.
77. La requérante fait valoir qu’outre le Protocole de la CEDEAO, l’utilisation d’un critère
de cette nature a été sanctionnée par la Cour, s'agissant d’une loi électorale burkinabée
(CIC CEDEAO, 13 juillet 2015, CDP et autres contre l'Etat du Burkina).
78, Elle invite la Cour à constater la violation par l’Etat sénégalais des traités
internationaux qu’il a pourtant ratifiés et d’en tirer les conséquences.
79. L'Etat du Sénégal objecte que la loi sur le parrainage s'applique à tous les candidats,
qu’ils soient de la majorité ou de l'opposition et ne revêt aucun caractère discriminatoire.
80. Il relève que l’USL ne saurait soutenir qu’il s’agit d’un processus obéissant à une
rationalité non-maîtrisable puisque le nombre d’électeurs inscrits au fichier général et le
nombre de régions que compte le Sénégal sont des données connues.
81. Le défendeur fait remarquer que les critères définis par la loi attaquée sont objectifs et
raisonnables comme le requiert le Comité des Droits de l’Homme des Ai Aj, à la
différence de ceux en cause dans l’affaire ayant donné lieu à la décision
ECW/CCI/JUD/16/15 dans laquelle la Cour de céans a rappelé qu’« une telle restriction
ne doit pas être infamante, ni porter atteinte de façon importante au choix offert au corps
électoral » 82. Il en conclut que dès lors, la Cour de céans ne pourra que constater que la loi querellée
est parfaitement conforme à ses obligations internationales et rejeter le moyen tenant au
caractère discriminatoire de la loi sur le parrainage soulevé par la requérante.
ANALYSE DE LA COUR
83. La Cour note qu’il y a discrimination lorsque des personnes placées dans une situation
comparable sont, sans justification objective et raisonnable, traitées de manière différente.
Néanmoins, une distinction de traitement n’est potentiellement discriminatoire que
lorsqu’elle consiste en un traitement moins favorable de certaines personnes comparées à
d’autres individus placés dans une situation analogue. Analogue ne signific pas en tout
point identique. Il faut que, eu égard à la nature de ses griefs, le requérant soit dans une
situation comparable ou similaire à celle des personnes mieux traitées que lui.
84. En l’espèce, ainsi que le relève l’Etat du Sénégal, la loi sur le parrainage ne fait aucune
distinction entre les partis politiques, fussent-ils de l’opposition ou de la majorité.
Il en résulte que cette loi n’a pas un caractère discriminatoire et qu’il y a lieu de rejeter le
moyen tiré de son caractère discriminatoire comme non fondé.
3) SUR L’ENTRAVE A LA LIBRE PARTICIPATION DES PARTIS POLITIQUES
AUX ELECTIONS
85. L'USL estime que la loi sur le parrainage pose des règles qui entravent la participation
des partis politiques sénégalais au processus démocratique telle qu’elle est garantie par
les textes internationaux.
86. Elle relève en effet qu’alors que selon l’article 1° du Protocole de la CEDEAO sur la
démocratie et la bonne gouvernance, « Les principes ci-après sont déclarés principes
constitutionnels communs à tous les Etats membres de la CEDEAO./.../ b) Toute
accession au pouvoir doit se faire à travers des élections libres, honnêtes et transparentes.
/…f» et que l’article 1" i ajoute : « Les partis politiques se créent et exercent librement
leurs activités dans le cadre des lois en vigueur. /…/ Is participent librement et sans entrave ni discrimination à tout processus électoral, La liberté d'opposition est
garantie », la loi sur le parrainage prévoit un nombre élevé de parrainage requis alors qu’il
est impossible à un électeur de parrainer plus d’une candidature.
87. L’USL affirme par ailleurs qu’une candidature qui dépasse le plafond de 1% des
parrainages requis est irrecevable alors que les partis politiques n’ont aucune maîtrise sur
les modalités du contrôle de la validité des signatures auxquelles recourt l'autorité
compétente.
88. Elle en conclut que les partis politiques ne maitrisent pas leur sort sur des questions
de recevabilité censées être très claires et maîtrisables par chaque acteur. Pour elle, de
pareils instruments sont assimilables à l’usage par l’Etat du Sénégal, d’une restriction à
caractère vague et expéditif de l’accès à l’élection. Elle rappelle que l’utilisation d’un
critère de cette nature a été sanctionnée par la Cour, s'agissant d’une loi électorale
burkinabée (CI CEDEAO, 13 juillet 2015, CDP et autres contre l’Etat du Burkina).
89. L’Etat du Sénégal estime bien au contraire que les dispositions de la loi sur le
parrainage n'opèrent aucune restriction illégale.
Il affirme que par le système de parrainage ainsi défini, ces dispositions permettent
d’assurer une représentativité de l’ensemble des sénégalais sur l’ensemble du territoire et
de garantir que la candidature à l’élection présidentielle soit le reflet de la diversité du
pays et de ses régions avec leurs spécificités. Le parrainage est nécessaire pour assurer un
minimum d'unité nationale et de stabilité autour d’un candidat au poste de Président de la
République. Il est en effet indispensable et légitime, poursuit le défendeur, que le candidat
élu au niveau national soit celui de tout un pays et non pas celui de sa seule région
d’origine où il aurait eu de nombreux soutiens.
90. L'Etat défendeur rappelle que le système de parrainage existe dans de nombreux pays,
à l’instar de la France dont le découpage territorial entraine des conséquences encore plus
lourdes pour le candidat à l’élection présidentielle puisque celui-ci doit recueillir 500
signatures d’au moins 30 départements ou Territoires d'Outre-Mer sans que 50 signatures
puissent avoir été récoltées dans le même département.
91. Il soutient par ailleurs que le système de parrainage n’est pas nouveau au Sénégal et
que la loi attaquée ne fait qu’étendre à l’ensemble des candidats une modalité qui n’était
applicable qu’aux candidatures indépendantes et ce, dans un souci d’avancée
démocratique en mettant sur un pied d’égalité tous les candidats.
I] estime en conséquence que le moyen tiré de l’entrave à la libre participation aux
élections ne saurait prospérer.
ANALYSE DE LA COUR
92. La Cour note qu’à ce stade, le problème qui lui est soumis en l’espèce est celui de
savoir si la loi sénégalaise n°2018-22 du 04 février 2018 portant révision du code électoral
méconnait le droit de certains partis politiques à participer librement aux élections.
93, La Cour rappelle que le parrainage est prévu par les dispositions de la loi n° 2018-22
du 04 juillet 2018 portant révision du code électoral, notamment les articles LO.115 et
LO.116 qui disposent que :
Article L.115 « La candidature à la présidence de la République doit comporter :
7) les prénoms, nom, date, lieu de naissance et filiation du candidat ;
8) la mention que le candidat est de nationalité sénégalaise et qu'il jouit de ses droits
civils et de ses droits politiques, conformément aux dispositions du titre premier du
code électoral ;
9) le numéro de la carte d’électeur ;
10) la mention que le candidat a reçu l'investiture d’un parti politique légalement
constitué ou d’une coalition de partis politiques légalement constitués, ou d'une
entité regroupant des personnes indépendantes ;
11) la photo et la couleur choisies pour l'impression des bulletins de vote et
éventuellement le symbole et le sigle qui doivent y figurer ;
12) la signature du candidat ;
Pour être recevable, toute candidature doit être accompagnée de la signature d'électeurs
représentant au minimum 0,8% et, au maximum 1% du fichier électoral général.
Ces électeurs doivent être domiciliés dans au moins sept régions à raison de deux mille
au moins par région.
Un électeur ne peut parrainer qu'un (1) candidat ».
94, Article L. 116 : « La déclaration de candidature doit être accompagnée des pièces
suivantes :
*un certificat de nationalité ;
*une photocopie légalisée de la carte d’identité biométrique CEDEAO faisant office de
carte d'électeur ;
*un extrait d'acte de naissance datant de moins de six (06) mois ;
*un bulletin n°3 du casier judiciaire datant de moins de (03) mois ;
*une attestation par laquelle un parti politique légalement constitué, une coalition de
partis politiques légalement constitués ou une entité regroupant des personnes
indépendantes a investi l’intéressé en qualité de candidat.
*la liste des électeurs ayant parrainé le candidat, présentée sur un fichier électronique et
en support papier, conformément au modèle prévu à l'article L.57 du présent code.
Cette liste doit comprendre des électeurs représentant un pour cent du fichier général.
Une partie de ces électeurs doit obligatoirement provenir de sept régions à raison de deux
mille au moins par région. Le reste est réparti, sans précision de quota, dans toutes les
circonscriptions administratives ou juridictions diplomatiques ou consulaires ;
*une déclaration sur l'honneur par laquelle le candidat atteste que sa candidature est
conforme aux dispositions de l’article 4 et 28 de la constitution, qu’il a exclusivement la
nationalité sénégalaise et qu’il sait écrire, lire et parler couramment la langue officielle ;
*une déclaration sur l'honneur par laquelle le candidat atteste être en règle avec la
législation fiscale du Sénégal ;
*une quittance confirmée par une attestation signée par le Directeur général de la Caisse
des Dépôts et Consignations (CDC) attestant du dépôt du cautionnement prévu à l'article
L.117 du présent code.
Tout dossier incomplet à l'expiration des délais de dépôt fixés par l’article 29 de la
Constitution, entraine l’irrecevabilité de /a candidature.
En cas d’irrecevabilité d’une candidature, le cautionnement est remboursé quinze (15)
Jours après la publication définitive de la liste des candidats. »
95, La Cour relève qu’il ressort des pièces du dossier qu’à la date de publication du décret
fixant le calendrier électoral, le nombre d’électeurs inscrits au fichier électoral était de six
millions cinq cent mille (6 500 000).
96. Elle constate que dans ces conditions, exiger qu’un candidat aux élections
présidentielles obtienne 0,8% au minimum et 1% au maximum de parrains revient à lui
demander de recueillir au minimum 53 467 parrains et au maximum 66 820 parrains
répartis sur l’ensemble des sept (7) régions que compte le Sénégal à raison de deux milles
(2000) signatures par région.
97. Le nombre de partis politiques légalement constitués étant supérieur à trois cents
(300), l’application de la loi attaquée conduit à priver plusieurs partis politiques sénégalais
de leur droit de participer librement aux élections.
98. La Cour rappelle que le droit de participer librement aux élections est prévu par les
instruments juridiques internationaux suivants :
Article 2 alinéa leret 21 alinéas 1 et 2 de la Déclaration universelle des droits de l’homme
de 1948, qui disposent respectivement : « Chacun peut se prévaloir de tous les droits et
de toutes les libertés proclamés dans la présente Déclaration, sans distinction aucune,
notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique ou de
toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute 27 autre situation » ; « Toute personne a le droit de prendre part à la direction des affaires
publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants
librement choisis » ; « Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d'égalité,
aux fonctions publiques de son pays » ;
99. Article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, adopté
dans le cadre des Ai Aj : « Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont
droit sans discrimination à une égale protection de la loi. À cet égard, la loi doit interdire
toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace
contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de
religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de
fortune, de naissance ou de toute autre situation » ;
100. Articles 2 et 13 alinéas 1 et 2 de la Charte africaine des droits de l’homme et des
peuples : « Toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés reconnus et
garantis dans la présente Charte sans distinction aucune, notamment de race, d’ethnie,
de couleur, de sexe, de langue, -de religion, d'opinion politique ou de toute autre opinion,
d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation » ; «
Tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques
de leur pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis,
ce, conformément aux règles édictées par la loi»;« Tous les citoyens ont également le
droit d'accéder aux fonctions publiques de leur pays » ;
101. Articles 3.7, 3.11, 4.2, 8.1 et 10.3 de la Charte africaine de la démocratie, des
élections et de la gouvernance, qui disposent respectivement que les Etats parties
s'engagent à promouvoir « la participation effective des citoyens aux processus
démocratiques et de développement et à la gestion des affaires publiques » ; « le
renforcement du pluralisme politique, notamment par la reconnaissance du rôle, des
droits et des obligations des partis politiques légalement constitués,’ y compris les partis politiques d'opposition qui doivent bénéficier d'un statut sous la loi nationale » ; « Les
États parties considèrent la participation populaire par le biais du suffrage universel
comme un droit inaliénable des peuples » ; « Les Etats parties éliminent toutes les formes
de discrimination, en particulier celles basées sur l'opinion politique, le sexe, l ‘ethnie,
la religion et la race, ainsi que toutes autres formes d’intolérance » ; « Les Etats parties
protègent le droit à l'égalité devant la loi et à la protection égale par la loi comme
condition préalable fondamentale pour une société juste et démocratique » ;
102. Article ler i) du Protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance adopté en 2001
par la CEDEAO : « Les partis politiques se créent et exercent librement leurs activités
dans le cadre des lois en vigueur.
Leur formation et activités ne doivent avoir pour fondement aucune considération raciale,
ethnique, religieuse, ou régionale. Is participent librement et sans entrave ni
discrimination à tout processus électoral. La liberté d'opposition est garantie (..) »
103. Au regard de ces textes qui ont été ratifiés par l'Etat du Sénégal, la Cour estime que
la loi n°2018-22 du 04 février 2018 querellée comporte des dispositions qui constituent
de véritables entraves au droit de participer librement aux élections.
104. En effet, cette loi viole le secret du vote en obligeant les électeurs à déclarer à
l’avance à quel candidat ils ont l’intention d'accorder leur suffrage puisqu’un électeur ne
peut parrainer qu’une seule candidature.
En plus, elle comporte d'énormes risques pour les électeurs qui accordent leur parrainage
à un candidat dans la mesure où cet acte présume leur intention d'accorder leur suffrage à
ce candidat.
Par ailleurs, ils ressort des dispositions de l’article L 116 précité de ladite loi que « La
déclaration de candidature doit être accompagnée …de la liste des électeurs ayant
parrainé le candidat, présentée sur fichier électronique et en support papier. » L'utilisation de ce fichier électronique et en support papier peut engendrer de nombreux
abus et même des représailles contre certains électeurs par rapport à leur choix de
parrainage.
105. Pour toutes ces raisons, la Cour décide que les formations politiques et les citoyens
du Sénégal qui ne peuvent se présenter aux élections du fait de la modification de la loi
électorale par la loi n°2018-22 du 04 février 2018, doivent être rétablis dans leurs droits
par la suppression du système de parrainage qui constitue un véritable obstacle à la liberté
et au secret de l’exercice du droit de vote d’une part et une sérieuse atteinte au droit de
participer aux élections en tant que candidat d'autre part.
106. La Cour rappelle qu’elle en a déjà ainsi décidé dans l’affaire Congrès pour la
Démocratie et le Progrès (CDP) contre l’Etat du Ag Ah du 13 juillet 2015 où elle a
jugé que « /e Code électoral du Ag Ah, tel que modifié par la loi n°005-2015/CNT
du 07 avril 2015, est une violation du droit de libre participation aux élections ;
Ordonne en conséquence à l'Etat du Burkina de lever tous les obstacles à une
participation aux élections consécutifs à cette modification » ;
XII. DES DÉPENS
107. Aux termes de l’article 66 alinéa 2 du règlement de la Cour, toute partie qui
succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu dans ce sens ;
108. En l'espèce, l’UNION SOCIALE LIBERALE et l’Etat du Sénégal ont conclu en ce sens ;
L’USL et l’Etat du Sénégal succombent partiellement ;
La Cour doit donc dire que chacune des parties supporte ses propres dépens ;
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu les deux parties :
Dit que la demande de mesures provisoires est sans objet ;
Dit également sans objet la demande de procédure accélérée ;
Sur la compétence :
Se déclare compétente pour connaître du litige ;
Sur la recevabilité
Déclare la requête de l’USL recevable ;
Sur le fond de l'affaire :
Déclare l’USL partiellement bien fondée en ses prétentions ;
Dit que la loi n°2018-22 du 04 février 2018 n’a pas un caractère discriminatoire ;
Dit par ailleurs que cette loi ne viole pas le statut des partis politiques ;
Dit cependant que le code électoral sénégalais, tel que modifié par la loi n°2018-22 du 04
février 2018 viole le droit de libre participation aux élections ;
Ordonne en conséquence à l’Etat du Sénégal de lever tous les obstacles à une libre
participation aux élections consécutifs à cette modification par la suppression du système
du parrainage électoral ;
Lui impartit un délai de six (6) mois à compter de la notification qui lui en sera faite pour
soumettre à la Cour un rapport concernant l’exécution de la présente décision.
DES DÉPENS :
Dit que chaque partie supporte ses propres dépens ;
Ainsi fait et jugé les jour, mois et an que dessus.
Et ont signé :
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE - Président
Hon. Juge Gbéri-Bè OUATTARA - Juge Rapporteur/Me
Hon. Juge Dupe ATOKI - Membre one
ASSISTES DE : Me. Athanase ATANNON - Greffier en Chef Adjoint (5202 US y


Synthèse
Numéro d'arrêt : ECW/CCI/JUD/10/21
Date de la décision : 28/04/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;cedeao;cour.justice.communaute.etats.afrique.ouest;arret;2021-04-28;ecw.cci.jud.10.21 ?
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