LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ ÉCONOMIQUE DES
ÉTATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
Dans l’affaire
ADMINISTRATEURS DU CENTRE POUR LA PAIX ET LA GESTION
DES CONFLITS EN AFRIQUE ET LA FONDATION AH Ak &
3 AUTRES contre L’ÉTAT FÉDÉRAL DU NIGERIA
Requête N°: ECW/CCJ/APP/16/21; Arrêt N°: ECW/CCI/JUD/20/22
ARRÊT
AJ
29 mars 2022 ADMINISTRATEURS DU CENTRE POUR LA PAIX ET
REQUÉRANTS LA GESTION DES CONFLITS EN AFRIQUE ET LA
FONDATION AH Ak & 3 AUTRES
L’ÉTAT FÉDÉRAL DU NIGERIA - DÉFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR :
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA - Président
Hon. Juge Dupe ATOKI - Membre/Juge Rapporteur
Hon. Juge Januaria T. Silva Moreira COSTA - Membre
ASSISTÉS DE :
Me Tony ANENE-MAIDOH - Greffier en Chef
REPRÉSENTATION DES PARTIES:
Am Z Esdq. - Avocat des requérants
Mme Me. I. Ab Aj Ac Aa X } Avocats du défendeur IL _ ARRÊT
1. Le présent arrêt est celui rendu par la Cour de justice de la Communauté,
CEDEAO (ci-après dénommée « la Cour »), en audience publique virtuelle,
conformément à l’article 8(1) des Instructions pratiques sur la gestion
électronique des affaires et les audiences virtuelles, de 2020.
II. DÉSIGNATION DES PARTIES
2. Les requérants sont les suivants :
i. Le premier requérant est une organisation non gouvernementale nigériane
enregistrée sous les numéros 41552 et 114864 respectivement, dont le seul
but est d’aider les moins privilégiés.
iii Le deuxième requérant est Ae Al Ai, un Nigérian
actuellement détenu dans le couloir de la mort de la prison maximale
d’Enuguy, dans l’État d’Enugu, gérée par le gouvernement de la République
fédérale du Nigeria.
ii. Le troisième requérant est Raphael Ude, un Nigérian actuellement détenu
dans le couloir de la mort de la prison maximale d’Enugu, dans l’État
d’Enugu, à l’est du Nigeria, gérée par le gouvernement de la République
fédérale du Nigeria.
iv. Le quatrième requérant est Ao Af, un Nigérian actuellement
incarcéré dans le couloir de la mort de la prison maximale d’Enugu, dans
l’État d’Enugu, à l’est du Nigeria, gérée par le gouvernement de la République
fédérale du Nigeria.
3. La présente requête est motivée par la violation présumée des droits des
requérants à une procédure régulière, à un procès équitable, à
l’indépendance judiciaire, au droit d’appel et à un recours effectif, ainsi que
par la menace d’exécution secrète par le défendeur, garantis par les articles
5 et 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples.
IV. PROCÉDURE DEVANT LA COUR
4. La requête introductive d’instance a été déposée le 7 avril 2021 et signifiée
au défendeur le 8 avril 2021.
5. Le défendeur a déposé une requête en prolongation de délai pour déposer
un mémoire en défense, le 1er juin 2021, qui a été signifié aux requérants
le 1er juin 2021.
6. Le défendeur a déposé son contre-affidavit en opposition à la déclaration
écrite sous serment des requérants et son mémoire en défense le 1er juin
2021 et les deux ont été signifiés aux requérants le 1er juin 2021.
7. Lors de l’audience du 27 octobre 2021, les deux parties étaient représentées
devant la Cour et celle-ci a entendu leurs arguments sur le fond, après quoi
l’affaire a été ajournée pour jugement.
V. ARGUMENTATION DES REQUÉRANTS
a) Résumé des faits
8. Les deuxième, troisième et quatrième requérants, âgés de 50, 54 et 56 ans,
auraient été condamnés séparément par la Haute Cour de l’État d’Abia du défendeur pour meurtre et auraient été condamnés à mort. Ils sont
actuellement dans le couloir de la mort de la prison d’Enugu, où ils
attendent l’exécution de leur sentence. Ils ont passé jusqu’à 15 (quinze) ans
dans le couloir de la mort.
9. Les requérants allèguent que leurs droits à un procès équitable ont été violés
par le défendeur car il n’a pas respecté les normes internationales en leur
refusant la possibilité de voir leur famille et leur avocat, ainsi que l’accès
aux installations médicales en prison.
10.1ls affirment qu’au cours des années passées dans le couloir de la mort, ils
ont subi des tortures et des conditions inhumaines dans les prisons et qu’ils
vivent dans la peur quotidienne de ne pas savoir quand ils seront exécutés.
Ils déclarent que les terribles conditions de détention et la peur de ne pas
savoir quand ils seront exécutés leur ont fait développer de graves
problèmes de santé, notamment de l’hypertension et de la dépression. Ces
conditions constituent des actes de torture, des châtiments et des traitements
inhumains et dégradants. Ils demandent donc à être libérés pour des raisons
médicales.
11.Les requérants affirment en outre qu’ils sont traumatisés et vivent
quotidiennement dans la crainte d’une exécution imminente, en particulier
avec les récentes déclarations du vice-président lors de la réunion du
Conseil économique national en février 2018 et du procureur général de la
Fédération, ministre de la Justice en avril 2018, exhortant les gouverneurs
des États à signer les arrêts de mort pour permettre une décongestion des
prisons nigérianes.
12.1ls déclarent que leur état est très critique et que leur sentiment d’humanité
est fortement diminué parce que les conditions de détention sont inférieures
aux normes. Selon eux, ces conditions sont aussi mauvaises que la peine de
mort elle-même et constituent une violation des lois internationales établies
en matière de droits de l’homme.
13.Ils sollicitent donc l’intervention de la Cour pour ordonner leur libération
de la prison.
14.Les arguments des requérants sont également étayés par une déclaration
sous serment de 22 paragraphes faite par M. Ah Ad Ag, un membre
du personnel du premier requérant.
b) Moyens de droit
15.Les requérants se fondent sur les lois suivantes :
i. Articles 2, 5 et 7 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ;
ii. Loi portant ratification et application de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples. 1\Cap A9, Vol 1 des lois de la Fédération du Nigeria,
2004.
iii. Article 4 du Traité révisé de la Communauté économique des États de l’ Afrique
de l’Ouest (CEDEAO).
c) Conclusions
16.Les réparations demandées par les requérants sont les suivantes :
ii Une déclaration selon laquelle les requérants ont été soumis à la torture
mentale et à des conditions inhumaines et dégradantes extrêmes après avoir été maintenus dans le couloir de la mort depuis plus de 15 ans sans accès à des
soins médicaux adéquats.
ii. Une déclaration selon laquelle les requérants, en raison de leur âge, de leur
long séjour dans le couloir de la mort et de leur pathologie chronique, ont le
droit d’être libérés immédiatement de prison.
iii. Une ordonnance pour la libération immédiate des requérants de prison.
iv. Une déclaration selon laquelle le déni constant et continu du droit à des soins
médicaux adéquats et des droits des requérants incarcérés dans des conditions
déshumanisantes et difficiles constitue une violation de la Constitution de la
République fédérale du Nigeria et des articles 1, 2, 3, 4, 5, 7 et 26 de la Charte
africaine des droits de l’homme et des peuples ;
Une ordonnance ordonnant au défendeur de payer une indemnisation
monétaire de 20.000.000 (vingt millions de naira) à chacun des requérants
pour les dommages subis en raison des longues années passées en prison dans
des conditions cruelles, dégradantes et inhumaines.
vi. Une ordonnance accordant des réparations, notamment pour la réhabilitation
physique, psychologique, sociale et économique des requérants suite aux
violations de leurs droits humains. Et le paiement des dépens de la présente
action, qui sont évalués à cinq millions (5 000 000) de nairas.
vii. Une ordonnance enjoignant au défendeur de mettre fidèlement et pleinement
en œuvre les obligations qui lui incombent en vertu de sa propre constitution et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, ainsi que les
résolutions sur le moratoire sur les exécutions adoptées récemment par la
Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et le troisième
comité de l’Assemblée générale des Nations unies.
VI. ARGUMENTATION DU DÉFENDEUR
a) Résumé des faits
17.Le défendeur nie chacune des allégations de faits contenues dans l’exposé
des faits des requérants, affirmant qu’il n’a pas violé les droits des
requérants à une audience équitable et qu’à aucun moment les requérants
n’ont été privés de leur droit de déposer un appel comme il est allégué.
18.Le défendeur affirme que les requérants ont tous été reconnus coupables et
condamnés à mort lors de leur procès et de leur condamnation pour meurtre
par un tribunal compétent de l’Etat d’Abia au Nigeria. La peine pour le délit
de meurtre, si les éléments constitutifs de cette infraction sont prouvés au-
delà de tout doute raisonnable par tout tribunal au Nigeria, est la peine de
mort.
19.La partie défenderesse nie que les deuxième, troisième et quatrième
requérants ou toute autre personne se trouvant dans le couloir de la mort
aient jamais été soumis à la torture ou à des conditions inhumaines, sauf
pour l’exécution de la sentence prononcée à leur encontre. Le défendeur n’a
recommandé l’amnistie pour aucun des requérants.
20.11 soutiennent que le tribunal de première instance qui a jugé et condamné
les requérants n’est pas une juridiction de dernier ressort, ce qui signifie
que les requérants ont le droit de faire appel de leur condamnation devant
la Cour d’appel et la Cour suprême s’ils ne sont pas satisfaits de la décision
du tribunal de première instance qui les a déclarés coupables et les a
condamnés à mort.
21.11 soutient également que la Cour n’est pas une juridiction d’appel pour les
tribunaux locaux des États membres, notamment du défendeur. Les
requérants demandent à la Cour de statuer en appel sur les décisions du
tribunal national de première instance qui les a jugés, déclarés coupables et
condamnés à mort.
22.Le défendeur n’a jamais soumis les requérants à la torture mentale ou
physique, à des conditions inhumaines extrêmes, à des conditions difficiles
ou à toute autre forme de mauvais traitement en prison. Aucun détenu, y
compris les requérants, n’a jamais été soumis à des conditions inférieures
aux normes.
23.Le défendeur soutient en outre qu’il n’a en aucun cas agi en violation de la
Charte africaine ou de toute autre loi internationale sur les droits de
l’homme et que les requérants n’ont pas révélé de faute commise par le
défendeur qui justifierait qu’il soit donné suite aux ordonnances qu’ils
demandent.
24.11 soutient également que les demandes de dommages-intérêts des
requérants ne sont pas étayées par des faits permettant d’évaluer le montant des indemnités en faveur des requérants contre le défendeur et met les
requérants dans l’obligation d’en apporter la preuve la plus stricte.
25.En conclusion, la partie défenderesse demande à la Cour de prendre en
compte son argument et de rejeter l’action des requérants au motif qu’elle
est sans fondement.
b) Moyens de droit
26.Le défendeur s’est fondé sur les lois suivantes:
i. Article 240 de la Constitution de la République fédérale du Nigéria ;
ii. Article 27 de la Charte africaine.
c) Conclusions
27.Le défendeur exhorte respectueusement la Cour à examiner son
argumentation en opposition à la demande des requérants et, par
conséquent, à rejeter cette action pour défaut de fondement.
28.La présente requête est fondée sur la violation alléguée du droit de ne pas
être soumis à la torture, à des traitements cruels, inhumains et dégradants
et du droit à un procès équitable garantis respectivement par les articles 5
et 7 de la Charte africaine. Conformément à l’article 9(4) du Protocole
A/P1/7/91 relatif à la Cour de Justice de la Communauté (Protocole), qui
dispose que, « la Cour est compétente pour connaître des cas de violation
des droits de l’homme dans tout État membre » la Cour estime que, la
requête étant fondée sur la violation alléguée des droits de l’homme, elle
est compétente pour statuer sur celle-ci.
VIII. RECEVABILITÉ
29.La recevabilité des requêtes soumises à la Cour est régie par l’article 10 (d)
(i) et (ii) du Protocole additionnel de 2005 : « Peuvent saisir la Cour. d)
toute personne victime de violations des droits de l’homme ; la demande
soumise à cet effet : i) ne sera pas anonyme ; ii) ne sera pas portée devant
la Cour de Justice de la Communauté lorsqu'elle a été déjà portée devant
une autre Cour internationale compétente. »
30.La Cour estime que la requête est conforme à l’article 10 (d) (i) et (ii) du
Protocole, étant donné qu’elle n’est ni anonyme ni présentée alors que la
même affaire a été portée devant une autre Cour intemationale pour être
jugée.
31.1] est impératif de préciser à ce stade que, si les alinéas i) et ii) de l’article
10(d) sont des dispositions statutaires consacrées par le Protocole pour la
détermination de la recevabilité d’une demande, ils ne sont pas exhaustifs
car certains faits de la requête peuvent nécessiter un examen plus approfondi
de sa recevabilité en dehors de la disposition consacrée. L’une de ces
conditions concerne l’autorisation ou le mandat d’agir dans une action
représentative dont l’absence rend la requête irrecevable.
32.Ainsi, bien que la requête ait été déclarée conforme aux dispositions de
l’article 10(d) (i) et (ii) du Protocole additionnel, il est toujours nécessaire de
déterminer sa recevabilité en ce qui concerne l’autorisation ou le mandat
d’agir.
33.La règle cardinale en matière d’accès à la Cour est que seules les victimes
directes de violations des droits de l’homme peuvent la saisir pour obtenir
réparation de la violation de leurs droits. Voir l’article 10(d) (i) et (ii) du
Protocole additionnel 2005 : « Peuvent saisir la Cour…d) toute personne
victime de violations des droits de l’homme... » En substance, les victimes
directes alléguant une violation de leurs droits et ayant un intérêt direct,
personnel et certain sont les seules parties qui, par nature, ont qualité pour
demander réparation d’une telle violation qui, d’ordinaire, ne peut être
transférée à une autre personne ou organisation. ODAFE OSERADA c.
CONSEIL DES MINISTRES DE LA CEDEAO, PARLEMENT DE LA CEDEAO ET
COMMISSION DE LA CEDEAO, ECW/CCI/JUD/ 01/08 @ 27.
34.11 découle de ce qui précède que, puisque la victime directe est celle qui est
personnellement touchée, l’exigence d’un mandat pour agir n’est
manifestement pas essentielle dans une demande dans cette circonstance.
35. Si la victime directe est la partie intrinsèquement qualifiée pour intenter une
action pour la violation de ses droits de l’homme, la porte n’est cependant
pas fermée aux victimes qui ne sont pas en mesure, pour des raisons
reconnues, d’agir pour elles-mêmes, car une action par représentation est
admissible.
36.Cette dérogation est fondée sur le fait que la Cour reconnaît que les droits de
l’Homme sont centrés sur l’homme, et que la recevabilité d’une requête est
liée entre autres critères au statut de la victime. Cette condition implique
nécessairement que le requérant agisse à titre personnel, en raison d’un
intérêt lésé juridiquement protégé, ou en qualité de représentant. NOSA FHANIRE OSAGHAE & 3 AUTRES c. ÉTAT DU NIGERIA ECW/CCJ/JUD/03/17 @
page 18.
37. S’il est établi qu’une action peut être intentée en qualité de représentant par
une partie qui n’est pas une victime directe, une autorisation ou un mandat
d’agir est obligatoire. Dans ce sens, la Cour a jugé que dans une action
représentative au nom d’un groupe, « la preuve de l'autorisation dans le cas
de personnes physiques agissant au nom d’un groupe ne peut être
supprimée…… pour que les plaignants puissent accéder au tribunal au nom
et pour le compte du peuple du delta du Niger, ils ont besoin du mandat en
vertu duquel ils agissent et, lorsqu'ils sont interrogés, ils doivent établir le
consentement du peuple ou une justification pour agir sans ce
consentement ». NOSA EHANIRE & 3 AUTRES c/ ÉTAT FÉDÉRAL DU NIGERIA,
(2017) CCJELR.
38.Si la question du mandat ne peut être écartée dans le cadre de la
représentation, une exception est faite lorsqu’en raison d’une incapacité
irréversible ou d’un décès consécutif à la violation, les membres les plus
proches de la famille peuvent le faire, tout en assumant le statut de victimes
indirectes. En d’autres termes, « Lorsqu'il devient impossible pour celui dont
le droit est violé d’insister sur ce droit ou de demander réparation, soit parce
qu’il est décédé ou empêché d’une manière ou d’une autre de le faire, il est
parfaitement normal que le droit de porter son affaire devant les palais de
justice devraient tomber sur d’autres personnes proches de lui… » An
AG Y & 20 AUTRES c. ÉTAT FÉDÉRAL DU NIGERIA (2015)
CCJELR, PAGE 463. Voir également VELASQUEZ RODRIGUEZ C. AK,
arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme du 29 juillet 1988.
FT LES ADMINISTRATEURS DU PROJET POUR LES DROITS SOCIO-
ÉCONOMIQUES ET LA TRANSPARENCE (A) C. ÉTAT FÉDÉRAL DU
NIGERIA, ECW/CCJ/APP/09/11 & ECW/CCJ/RUL/03/14.
39.1] est évident qu’un mandat relatif à une action représentative découlant du
décès de la victime directe est non seulement impraticable mais impossible.
Cette autorisation est donc supprimée, mais les membres de la famille proche
qui représentent la victime doivent établir le lien présumé.
40.En dehors des situations occasionnées par le décès, la Cour reconnaît
également la possibilité d’une action représentative dans un litige d’intérêt
public qui émane du principe de l’actio popularis. Cette doctrine a été
développée dans le droit romain afin de permettre à tout citoyen de contester
une violation d’un droit public devant les tribunaux. Elle a également été
formulée pour faire en sorte que l’approche restrictive de la question de la
qualité pour agir n’empêche pas les individus dévoués à l’intérêt public de
contester la violation d’un droit du public devant les tribunaux. Voir l’affaire
A c. FRN (2010) CCJELR, PG. 196, PARAGRAPHES 32 ET 34.
41.Dans cette situation, la Cour autorisera les ONG, les bénévoles comme les
avocats, les pétitionnaires citoyens à engager des actions au nom d’un groupe
de victimes provenant généralement d’une communauté ou d’une classe de
personnes, sur la base d’un intérêt public commun, afin de dénoncer la
violation de leurs droits fondamentaux. Ceci se base sur le fait que ce groupe
peut ne pas avoir les connaissances et la capacité financière pour maintenir
une action en justice d’une telle ampleur qui affecte l’intérêt public général.
42.Si les ONG et d’autres personnes animées par le sens civique peuvent
légitimement agir au nom des victimes directes, l’exigence d’un mandat pour
agir a également été levée en leur faveur. En parlant de l’exigence du mandat
dans les litiges d’intérêt public, la Cour a statué ce qui suit : « Cependant,
des exceptions à cette règle existent. Il s’agit notamment, mais pas
exclusivement, des affaires d'intérêt collectif (généralement appelées procès
d'intérêt public) et des affaires dans lesquelles des non-victimes reçoivent
l'autorisation d'agir au nom des victimes ou de leurs proches. »
INCORPORATED TRUSTEES OF FISCAL AND CIVIC RIGHTS
ENLIGHTENMENT FOUNDATION c. FRN (2016) ECW/CCI/JUD/18/16 & 2
AUTRES.
43.La Cour a également cité la décision susmentionnée en rendant une
conclusion dans une exception préliminaire soulevée pour défaut de mandat
dans l’affaire ci-dessous citée, et a conclu que le premier requérant étant une
ONG et agissant dans l’intérêt public, n’a pas besoin d’autorisation et
possède la qualité pour agir pour saisir la Cour à titre représentatif. REV FR
SOLOMON MFA & AUTRES c. NIGERIA ARRÊT N°: ECW/CCJ/JUD/06/19
PARAGRAPHE 60.
44.11 faut souligner que les principes fondamentaux de la dispense du mandat
d’agir dans une action représentative par une ONG sont fondés sur le fait que
celle-ci est instituée pour l’intérêt public. En d’autres termes, l’intérêt
supérieur de l’ONG doit être le bien-être du grand public qu’elle cherche à
protéger. La recherche d’un gain personnel par la partie qui agit en tant que
représentant annule donc toute action de ce type.
45.En conséquence, si les ONG peuvent engager des poursuites en qualité de
représentants pour violation des droits de l’homme d’autrui, elles ne peuvent
pas intenter une action en tant que victime d’une violation des droits de
l’homme. La Cour a réitéré qu '« il existe une distinction claire entre ces deux
catégories d’affaires, l’une dans laquelle la personne morale poursuit en
tant que victime et l’autre dans laquelle elle poursuit au nom de la victime,
la victime étant ici identifiée comme un être humain. Dans la première
situation, la personne morale n’a ni locus ni capacité d’ester en justice, mais
dans la seconde, elle est en mesure de le faire. » LES ADMINISTRATEURS DE
L’ASSOCIATION SOCIO-CULTURELLE MIYETTI ALLAH KAUTAL HORE C.
ÉTAT FÉDÉRAL DU NIGERIA (2011) ECW/CCJ/RUL/11/12 (2012) CCJELR, PAGE
182, PARAGRAPHE 28.
46.Le résumé de l’analyse précédente est qu’une victime directe qui a subi un
préjudice personnel et direct peut intenter une action pour la violation de ses
droits de l’homme évidemment sans mandat. En revanche, une victime
indirecte qui n’a pas souffert directement est également reconnue pour
intenter une action à titre représentatif au nom de la victime directe. La
dispense de mandat est accordée lorsque, comme dans le cas du décès de la
victime directe, il est impossible ou impraticable d’obtenir un mandat mais
qu’une preuve de l’affiliation à la victime doit être établie. De même, une
organisation légalement reconnue telle qu’une ONG qui intente une action
en qualité de représentant au nom de victimes directes pour l’intérêt public
n’a pas besoin de mandat pour agir.
47.Considérant que le mandat d’agir est essentiel pour qu’une requête soit
recevable dans cette circonstance, il est maintenant approprié de situer la présente requête dans ces paramètres pour déterminer si elle est recevable en
ce qui concerne l’exigence du mandat d’agir. La présente requête a été
déposée par les administrateurs du Centre pour la paix et la gestion des
conflits en Afrique et de la Fondation AH Ak au nom de trois
condamnés à mort qui auraient été reconnus coupables de meurtre par la
Haute Cour de l’État d’Abia au Nigeria et condamnés à mort par la suite. Ils
seraient en outre âgés de 50, 54 et 56 ans et se trouvent dans le couloir de la
mort depuis au moins 15 ans.
48.La présente requête, bien qu’elle ait été introduite par une ONG en qualité
de représentant de trois personnes, et non au nom de victimes décédées ou
en vertu d’un intérêt public, requiert un mandat pour agir. La Cour ne dispose
toutefois d’aucune trace d’une quelconque autorisation accordée par ces
détenus présumés à ladite ONG.
49.À ce stade, la Cour doit réaffirmer, comme indiqué précédemment, que les
droits de l’homme sont centrés sur la victime - NOSA EHANIRE OSAGHAE &
3 AUTRES c. ÉTAT DU NIGERIA- Supra. Par conséquent, les victimes de
violations des droits de l’homme sont l’objet principal de la protection de la
Cour de justice de la CEDEAO ainsi que d’autres Cours internationales des
droits de l’homme similaires. Pour ce faire, il faut que les États membres
soient tenus de respecter les obligations découlant des traités qu’ils ont
signés et que les victimes des violations qu’ils ont commises obtiennent
réparation.
50. Par conséquent, en protégeant ces recours et en veillant à ce que leur
vulnérabilité ne soit pas exploitée, une garantie est mise en place pour s’assurer que les personnes ou les organisations qui les représentent le font
dans le meilleur intérêt desdites victimes. Par conséquent, dans une requête
à caractère représentatif, il est impératif que la Cour soit convaincue que les
victimes ont volontairement et sciemment délégué à ces individus ou
organisations leurs droits inhérents à demander réparation par elles-mêmes.
C’est là que réside l’importance de l’exigence d’un mandat d’agir et du mal
qu’elle cherche à réparer.
51.Comme indiqué précédemment, la Cour ne dispose d’aucune trace d’un
quelconque mandat émanant desdits détenus, dont l’importance, comme
souligné plus haut, est non seulement impérative mais également obligatoire.
L’absence d’un tel mandat dans le cas présent est donc grave car elle rend la
requête irrecevable. Cette conséquence a été affirmée dans une pléthore de
décisions de la Cour, comme dans l’affaire ci-dessous, où, confirmant que le
mandat est un document juridique qui donne le plein pouvoir d’agir, elle a
statué ainsi : « …. En l’absence d’un tel mandat, le Collectif des Associations
contre l’impunité au Togo qui prétend représenter M. AI dans
la présente procédure ne peut valablement intervenir dans l'affaire en cette
qualité. En conséquence, il y a lieu de déclarer la requête irrecevable ».
COLLECTIF DES ASSOCIATIONS CONTRE L’IMPUNITE AU TOGO CONTRE
TOGO ECW/CCJ/JUD/12/18 PARAGRAPHES 12 & 13. Voir également MME
AZIABLEVI YOVO & 31 AUTRES C. B C & REPUBLIQUE
TOGOLAISE ECW/CCJ/JUD/04/12, PARAGRAPHE 38.
52.Compte tenu de l’analyse ci-dessus, la demande déposée par les
administrateurs du Centre pour la paix et la gestion des conflits en Afrique
et de la Fondation AH Ak au nom des trois détenus concernés sans mandat de leur part est déclarée irrecevable. En effet, le fondement de toute
la requête s’est effondré et elle ne tient pas la route. La Cour conclut donc à
l’irrecevabilité de la requête et la rejette par conséquent dans son intégralité.
IX. DES DÉPENS
53.L’article 66(1) du Règlement de la Cour dispose, «II est statué sur les
dépens dans l'arrêt ou l’ordonnance qui met fin à l'instance."
54.Conformément à l’article 66(4) du Règlement, qui prévoit que « La Cour
peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres
dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs,
ou pour des motifs exceptionnels. », la Cour estime que chaque partie
supporte ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour siégeant en audience publique et ayant entendu les deux
parties:
Sur la compétence:
i. Déclare avoir compétence pour connaître de la requête ;
Sur la recevabilité:
ii. Déclare la requête irrecevable ;
ii. …— Rejette la requête dans son intégralité ;
Sur les dépens
iv. Condamne chacune des parties à supporter ses propres dépens.
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA - Président
Hon. Juge Dupe ATOKI — Juge Rapporteur
Hon. Juge Januaria T. Silva Moreira COSTA- Membre
Me. Tony ANENE- MAIDOH - Greffier en Chef
Fait à AJ, le 29 mars 2021 en anglais et traduit en français et en portugais.