COMMUNITY COURT OF JUSTICE, ECOWAS
COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE, CEDEAO
TRIBUNAL DE JUSTICA DA COMMUNIDADE, CEDEAO COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTE
ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
SIEGEANT A AJ AU NIGERIA
EN L’AFFAIRE
MILES INVESTMENTS (S.L.) LTD ET UN AUTRE c. REPUBLIQUE DE Ap Ao
AFFAIRE No: ECW/CCJ/APP/10/19; Arrêt No. ECW/CCJ/JUD/28/22
ARRÊT
DU 13 JULLET 2022
Plot 1164 Ae At Ag, Gudu District, AJ AO.
www.courtecowas.org COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNITE
ECONOMIQUE DES ETATS DE L’AFRIQUE DE L’OUEST (CEDEAO)
SIEGEANT A AJ AU NIGERIA
MILES INVESTMENTS (S.L.) LTD.
2 JAMES JOHANNES SHARPE REQUERANTS
CONTRE
REPUBLIQUE DE Ap Ao ETAT
DEFENDEUR
COMPOSITION DE LA COUR :
Hon. Juge Edward Amoako ASANTE - Président/ Juge rapporteur
Hon. Juge Gberi-Be OUATTARA - Membre
Hon. Juge Dupe ATOKI - Membre
ASSISTES DE :
Dr. Athanase ATANNON - Greffier en chef adjoint
REPRESENTATION DES PARTIES
Me. Marshal ABUBAKAR avocat des requérants
Me. Osman I. KANU avocat de l’Etat défendeur I, La Cour siégeant virtuellement, en audience publique conformément à
l’article 8, al. 1 des instructions pratiques de 2020 relatives à la gestion
électronique et virtuelle des dossiers rend l’ARRÊT dont la teneur suit:
IL … DESCRIPTION DES PARTIES
2. La première requérante est une société à responsabilité limitée de droit sierra
léonais dont les directeurs ont une double nationalité dont celle de la CEDEAO et
celle des Etats —Unis d’Amérique. Ils sont citoyens de la Communauté.
3. Le 2ème requérant est un homme d'affaire et l’un des principaux fondateurs
et financiers de la société qui ont énormément investis dans l’entreprise de la
première requérante objet du litige en l’espèce.
4. L’Etat défendeur est la République de Ap Ao, un Etat membre de la
CEDEAO.
L'objet du litige
5. La requête des requérants porte sur la jouissance et la réparation pour
violation de leur droit de propriété, violation du principe de l’égalité de tous
devant la loi, du droit à un procès équitable et manquement de l’Etat à ses
obligations en vertu du traité résultant du refus d’honorer ses engagements et
déni aux requérants du droit de jouir de leur propriété immobilière à travers
le contrat de bail auprès du 1° défendeur d’une durée de 21 ans.
6. Les requérants soutiennent que les droits cités ci-haut sont garantis par les
dispositions des articles 1, 2, 3, 4, 5, 7, 15, 16 et 19 de la Charte africaine des
droits de l'homme et des peuples. Ils invoquent en sus la discrimination basée sur le statut, le droit à un recours effectif par les institutions judiciaires
nationales compétentes pour les actes violant leurs droits fondamentaux tels
que garantis par les dispositions des articles 2, 8 et 23 de la Déclaration
universelle des droits de l'homme.
II. PROCEDURE DEVANT LA COUR
1. La requête introductive d’instance date du 17 février 2019, déposée au greffe
de la Cour le 26 février 2019 et notifiée à l’Etat défendeur le 7 mars 2019.
8. Le 2 mai 2019, l’Ftat défendeur a soulevé une exception préliminaire
communiquée aux requérants le lendemain 3 mai 2019.
9. Les requérants ont réagi à l’exception préliminaire le 10 juin 2019.
10. La première audience de la Cour s'est tenue le 3 mars 2020. Les requérants
étaient représentés devant la Cour par un avocat, mais l’Etat défendeur était
absent et n'était pas représenté. Le conseil du défendeur a adressé une
correspondance à la Cour pour demander un renvoi. L'affaire fût renvoyée
pour permettre aux requérants de constituer avocat. L'affaire a été renvoyée
au 3 avril 2020 pour audition des parties.
11. La deuxième audience de la Cour s'est déroulée virtuellement en présence
des agents des requérants. Les parties étaient représentées devant la Cour par
des avocats. L'avocat des requérants a informé la Cour de leur intention de
déposer une requête modifiée ayant à nouveau reçu plus de renseignements
il a demandé un renvoi pour lui permettre d'agir en conséquence. L’Etat
défendeur a perdu sa connexion lors de l'audience virtueile et a essayé en
vain de se reconnecter. D’où le renvoi à nouveau de l’affaire.
12. Les requérants ont déposé une demande aux fins de modification de leur
requête introductive d'instance ainsi que la requête introductive d'instance
modifiée le 5 octobre 2020 et celles-ci ont été communiquées à l’Etat
défendeur le 6 octobre 2020.
13. Une audience en ligne de la Cour s'est tenue le 7 octobre 2020 à laquelle les
deux parties étaient représentées. L'avocat des requérants a informé la Cour du dépôt des pièces 4 et 5. L'avocat de l’Etat défendeur a indiqué qu'il n'a
reçu lesdites pièces que la veille de l’audience et qu'il s'y oppose. L'affaire a
été renvoyée pour permettre au défendeur de produire un mémoire en défense
à la demande. L'affaire fut renvoyée au 9 novembre 2020.
14. L'exception préliminaire de l’Etat défendeur datée du 4 novembre 2020 a été
communiquée aux requérants le 6 novembre 2020.
15. Les requérants ont déposé une requête aux fins de prorogation de délai pour
réagir à l'exception préliminaire et la réponse elle-même le 22 mars 2021 et
elles ont toutes été communiquées le 22 mars 2021.
16. Lors de la dernière audience virtuelle de la Cour ténue le 28 avril 2021, les
requérants étaient absents et non représentés. L’Etat défendeur, représenté
par un conseil, a plaidé et adopté son exception préliminaire et l'a exposée.
L'affaire a ensuite été mise en délibéré pour le 16 juin 2021.
17. Le 8 juillet 2021, une audience virtuelle de la Cour s'est tenue au cours de
laquelle les requérants étaient représentés par un avocat. L’Etat défendeur
était absent et non représenté. La Cour a rendu sa décision sur l'exception
préliminaire soulevée par l’Etat défendeur, qui a été rejetée et la Cour s’est
déclarée compétente pour connaître de l'affaire. La Cour a ordonné à l’Etat
défendeur de produire son mémoire en défense dans un délai de quatorze
jours à compter de la date du prononcé de l’ADD.
18. Le 3 septembre 2021, les requérants ont déposé une demande aux fins d’un
jugement par défaut du fait du manquement de l’Etat défendeur à produire
son mémoire en défense comme ordonné par la Cour et la même demande a
été notifiée à l’Etat défendeur le même jour.
19. Le 17 septembre 2021, l’Etat défendeur a déposé une demande aux fins de
prorogation de délai pour déposer son mémoire en défense ainsi que ses
moyens de défense au fond qui ont tous été notifiés aux requérants le même
jour.
20. Lors d'une audience virtuelle de la Cour tenue le 21 septembre 2021, les deux
parties étaient représentées devant la Cour par des avocats. Dans l'intérêt de
la bonne administration de la justice, les requérants ont retiré leur demande
aux fins d’un jugement par défaut et celle-ci a été rejetée par la Cour. L'Etat défendeur a plaidé sa demande aux fins de prorogation de délai pour lui
permettre de déposer son mémoire en défense hors délai. La Cour a accédé
à la demande et le mémoire en défense adopté. Les requérants ont demandé
un délai pour déposer leur réplique au mémoire en défense.
21. Le 31 janvier 2022, la réplique des requérants au mémoire en défense de
l’Etat défendeur a été déposée et notifié électroniquement le même jour.
22. Une audience virtuelle de la Cour s'est tenue le 1“ février 2022, au cours de
laquelle les deux parties étaient représentées devant la Cour par des avocats.
En raison du bref délai dans la signification de la réponse des requérants à la
défense du défendeur, l'affaire a été renvyée.
23. L'Etat défendeur a déposé une duplique à la réplique des requérants le 9 mars
2022.
24. Le 9mars 2022, la duplique de l’Etat défendeur à la réplique des requérants
a été déposée et notifiée par courrier électronique.
25. Lors de la dernière audience virtuelle de la Cour tenue le 10 mars 2022, les
parties étaient représentées devant la Cour par des avocats. La Cour a noté
que l’Etat défendeur a déposé tard hier, une pièce et a également noté que les
deux parties ont déposé des pièces portant sur les mêmes questions ; elle a
accordé aux parties dix minutes chacune pour plaider au fond de l’affaire et
l'affaire a été mise en délibéré.
IV. _ ARGUMENTS DES REQUERANTS
a. Exposé des faits
26. Les requérants soutiennent qu’à la suite de la publication au journal official de
l’Etat défendeur que la péninsule du village de Tokeh est déclarée d’utilité
publique, ils ont manifesté leur intérêt d’acquérir le terrain et ont obtenu un bail
de 21 ans pour compter du 1° mai 2008 jusqu’au 30 avril 2029 (Voir pièce
N°3), afin de produire de la glace et qui fait l’objet d’allégations de violation
du droit de propriété formulées par les requérants.
19. Les requérants soutiennent que l’Etat défendeur a légalement loué la plage de
2,8 hectares sise au village Tokey, dans la péninsule de Ap Ao,
conformément à la loi n° 19 sur le foncier de l’État de Ap Ao, pour une
période initiale de 21 ans avec une deuxième option de renouvellement afin de
produire de la glace pour soutenir les activités de pêche artisanale dans la
péninsule.
20. Aux dires des requérants, après l’implantation de l’usine avec des fonds
obtenus par le biais d'un prêt des Etats —Unis, dont le plan de remboursement
est celui rattachés aux bénéfices réalisés par l'entreprise, mais que la glace n'a
été produite et distribuée que durant 14 jours.
21. Les requérants affirment plus précisément que la glace n'a été produite et
distribuée que dans les 14 jours avant que An Ax et les ayants
cause de Ah Al Ax (propriétaires de la seule usine de production
de glace en Ap Ao avant 2008), leur concurrent direct, n'envahissent leur
site de production accompagné de voyous armés, d’agents en uniforme de
l’Etat défendeur brandissant des fusils, des machettes et d'autres armes
dangereuses et ont fait cesser toute activité sur la propriété louée sous prétexte
que la plage appartient aux ayants cause de Ah Al Ax.
22. Ils ajoutent que An Ax ayants cause de Ah Al Ax et les agents de l’Etat défendeur ont envahi leur propriété, insinuant qu'ils avaient obtenu de la Haute Cour de l'État défendeur une ordonnance d'expropriation pour prendre possession dudit terrain.
23. Ils décrient l’inégalité des armes car aucun avis d'audience n'a été notifié aux
requérants et que ces derniers n'étaient ni informés ni représentés dans une
quelconque instance les impliquant ou dans un quelconque intérêt en rapport
avec l'objet du litige.
24. Les requérants allèguent en outre qu'en tant que locataire du terrain, l'État
défendeur a délibérément refusé de se présenter devant la Cour pour défendre
le terrain qu'il leur a loué, ce qui a permis à An Ax et ses ayant
cause d'obtenir un accès illégal à l'usine le 20 juin 2011, de vandaliser l'usine
le 4 octobre 2011 et de transférer les systèmes de production de glace à leur société de pêche la Sierra Fishing Company à Af Az, où ils étaient
utilisés pour générer des profits pour leur propre compte. (Voir Pièce n° 12).
25. Par conséquent, les requérants exhortent la Cour à dire et juger que la cession
du droit de propriété contractuel de Miles Investments sur les terres de l'État de
Ap Ao qu'elle a louées au gouvernement de Ap Ao et sa fabrique
de glace à An Ax (concurrent dans le secteur de la glace en Ap
Ao) dans l'affaire n° CC281/08 par devant la Haute Cour de Ap Ao,
par le Président et le greffier de la Cour, sans aucune notification, sans aucune
audience de la Cour, sans aucun procès ou jugement rendu par la Cour,
constitue une violation des articles 1, 3, 7.1(c) et 14 de la Charte africaine.
(Voir les pièces 1 à 26).
26. Les requérants soutiennent que l'ingérence dans leur droit de propriété en
question ne s’est pas effectuée conformément à la loi, qu’elle n'est pas
proportionnée et ne sert aucun but légitime ; que l'État défendeur a toléré et
facilité les violations, en mettant les autorités légales à la disposition de
An Ax et les ayants cause de Ah Al Ax pour usurper
les droits de propriété contractuels des requérants sur les terres de l'État Ap
Ad louées à l'État défendeur à des fins d'investissements.
27. Ils soutiennent que la saisie forcée des parcelles de terrains des requérants sans
justification et sans indemnisation adéquate déterminée par un tribunal
impartial compétent est une violation d'une obligation positive que l'Etat
défendeur doit aux requérants, les actes ou omissions de l'Etat défendeur sont
constitutifs de violation du droit de propriété garanti par l'article 14 de la Charte
africaine
b. Moyens de fait et de droit invoqués
28. Les requérants invoquent les moyens de droit ci-après :
a. Articles 2, 3, 7, 14 et 19 de la Charte africaine des droits de l'homme
et des peoples (Charte africaine) ;
b. Articles 2, 8, 10, 17 et 23 de la Déclaration universelle des droits de
l’homme de1948, (DUDH) Articles 2 et 7 du Pacte international
relatif aux droits sociaux, économiques et culturels ;
c. Articles 20, 21, 22, 23, 27 et 28 de la Constitution de 1991 de Ap
Ao.
c Conclusions des requérants
29. Au regard de ce qui précède, les requérants formulent les prétentions ci-après
devant la Cour pour s’entendre :
a. DIRE ET JUGER que la confiscation par la force des biens des requérants par
les agents armés de l’Etat défendeur au Village de Tokey, Péninsule, Ap
Ao, est illégale car elle viole leur droit de propriété garanti par l'article 14
de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et l'article 17 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme.
b. DIRE ET JUGER que la confiscation forcée de l'usine et des biens des
requérants par des agents armés de l’Etat défendeur au Village de Tokey,
Péninsule, Ap Ao sur ordre ex parte est illégale car constitutive de
violation du droit humain des requérants à un procès équitable et à l'égalité de
tous les citoyens devant la loi respectivement garantis par les articles 7, 2, 3 et
19 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et par les articles
8, 10, 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
c. DIRE ET JUGER que l'acte de l’Etat défendeur est constitutif de violation
flagrante des droits du 2°"° requérant de travailler dans un environnement
équitable et favorable, tels que garantis par les dispositions des articles 6 (1), 7
(a) (i), (b) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et
culturels, article 15 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples.
d. DIRE ET JUGER que l'acte de l’Etat défendeur est constitutif de violation
flagrante des droits fondamentaux du deuxième requérant au travail et à la Protection contre le chômage, tels qu'ils sont expressément garantis par les
dispositions de l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
e. DIRE ET JUGER que le fait que l'Etat défendeur n'ait pas mené une enquête
sur les agents armés qui ont envahi l'usine des requérants et emporté leurs biens
et de ne les avoir pas poursuivis constitue un manquement à l'obligation légale
de l'Etat défendeur en vertu de l'article 1 de la Charte africaine des droits de
l'homme et des peuples et de l'article 1 de la Déclaration universelle des droits
de l'homme et des peuples.
f. ORDONNER à l'Etat défendeur de verser aux requérants la somme de 500 000
$ (Cinq cent mille dollars) à titre de dommages-intérêts aggravés et généraux
pour violation flagrante du droit des requérants par les agents armés de la
défenderesse au Village de Tokey, Ap Ao.
g. ORDONNER à l’Etat défendeur, à ses agents, organes, à ses ayants cause,
serviteurs ou de quelque nom ils répondent de verser aux requérants la somme
de 10.000.000$ (Dix Millions de Dollars) à titre de dommages-intérêts
généraux pour les tortures physiques, psychologiques et mentales subies par les
requérants pour différentes violations des droits de l'homme dont ils ont été
victimes de la part de l'Etat défendeur.
h. ENJOINDRE l'Etat défendeur, ses agents, organismes, agents et ayants cause
ou de quelque nom ils répondent à verser aux requérants la somme de 20 000
000$ (Vingt Millions de Dollars) à titre de dommages-intérêts aggravés et
punitifs qui serviront à dissuader l’Etat défendeur.
ii ORDONNER à l’Etat défendeur de verser aux requérants la somme de 500
000$ (cinq cent mille dollars) au titre d’honoraires d'avocat et autres frais
accessoires.
V. ARGUMENTS DE L’ETAT DEFENDEUR Exposé des faits
29. L’Etat défendeur nie toute violation du droit des requérants à un procès
équitable dans l'affaire examinée par les juridictions nationales et, comme
moyen de défense, il a déclaré qu'en garantissant ledit droit à ses citoyens,
l’Etat défendeur a veillé à ce qu'un système juridique solide soit en place
conformément à sa Constitution de 1991 (loi n° 6), en particulier son chapitre
3, qui est conforme à tous les traités fondamentaux relatifs aux droits de
l'homme. Selon l’Etat défendeur, ce système garantit que chaque demande
(tant civile que pénale) est entendue par un tribunal compétent conformément
aux règles de procédure dûment promulguées.
30. L’Etat défendeur soutient que l'allégation des requérants tirée du fait qu’ils
n'étaient ni informés ni représentés dans une quelconque procédure intentée
contre eux ou l'un de leurs intérêts relatifs à l'objet du présent litige est une
tromperie et une supercherie du plus haut degré visant à faire croire à la Cour
que le droit des requérants d'être entendus a été violé. Il ajoute que les
requérants ont effectivement fait recours aux services d’un avocat pour les
représenter et qu'ils ont participé pleinement à la procédure jusqu'à ce que la
Haute Cour de Ap Ao rende son arrêt à leur encontre.
31. L’Etat défendeur a joint en annexe l'assignation de la Haute Cour déposée
contre les requérants, la défense produite en leur nom, et la décision dans
ladite affaire portant mention CC281/08 2008 M.N016 comme pièces à
l'appui de son argumentaire.
32. L’Etat défendeur a en outre déclaré que les requérants n'avaient pris aucune
nouvelle mesure pour interjeter appel ou demander l’annulation de l’arrêt
régulièrement obtenu et rendu contre eux devant les juridictions nationales
de l’Etat défendeur. Pourtant, ils ont saisi la Cour de céans formulant des
prétentions pour que la Cour se prononce sur qui ne relève pas de sa
compétence.
33. L'Etat défendeur soutient que les faits en cause en l’espèce montrent que les
requérants ont un différend relatif au titre foncier de la parcelle de terrains,
bien que louée par l’Etat défendeur. En affirmant qu'il n'a en aucune façon
converti la propriété sans se conformer à la procédure régulière, l’Etat
défendeur soutient que le bail auquel se réfèrent les requérants n'a pas été
produit comme preuve permettant de déterminer leur intérêt pour agir.
34. L’Etat défendeur soutient qu’il n’a pas d'objection quant à la compétence de
la Cour en soi, mais il affirme qu'une déclaration de titre et l'annulation de
l’arrêt ou de la décision de la juridiction nationale ne relèvent certainement
pas de la compétence de la Cour de céans, celle-ci ayant affirmé dans de
nombreux arrêts qu'elle n'est pas une juridiction d'appel des décisions des
juridictions nationales des Etats membres.
35. Aux dires de l’Etat défendeur, les requérants, s'étant soumis à la compétence
des juridictions sierra léonaises, n'ont pas interjeté appel de la décision de la
Cour d'appel de la Ap Ao, comme le prévoit l’article 129 de sa
Constitution de 1991, mais ont choisi de déposer la présente requête en
invoquant une violation de l'article 14, relatif au droit de propriété.
35. L’Etat défendeur a de nouveau déclaré que les requérants n'avaient produit
aucune preuve pour démontrer que le droit de propriété leur était d'abord et
avant tout dévolu. Deuxièmement, il soutient qu'une affaire civile ayant
respecté le règlement de procédure du tribunal et pour laquelle un jugement
a été rendu doit être exécutée à moins qu'une autre décision ne l'annule.
b. Moyens de fait et de droit invoqués
36. L'Etat défendeur a invoqué les textes de loi ci-après :
a. Les articles 3, 7 et 14 de la Charte africaine des droits de
l’homme et des peuples (Charte africaine) ; et
b. l’article 129 de la Constitution de 1991.
c. Conclusions de l’Etat défendeur 37. L’Etat défendeur demande à la Cour de : « prendre une ordonnance rejetant
la demande des requérants pour n'avoir pas réussi à établir une quelconque
violation de leurs droits tels qu'allégués dans ladite requête, ainsi qu'une
déformation flagrante des faits, ce qui est un acte gravissime.
38. Ayant rendu son arrêt avant dire droit sur l'exception préliminaire
d’incompétence de la Cour soulevée par l’Etat défendeur le 8 juillet 2021, la
Cour se déclare compétente pour connaître de la requête et elle en juge ainsi.
39. La recevabilité de la requête a également été contestée dans l’exception préliminaire soulevée par l’Etat défendeur, et la Cour a jugé le 8 juillet 2021 que la Requête est recevable conformément à l’article 10 (d) (i) et (ii) du Protocole additionnel, qui dispose: “la saisine de la Cour est ouverte à … toute personne victime de violations des droits de l’homme ; la demande soumise à cet effet : )ne sera pas anonyme ; ii) ne sera pas portée devant la Cour de Justice de la Communauté lorsqu'elle a déjà été portée devant une autre Cour internationale compétente ».
VII. AU FOND
40. Après un examen critique des conclusions des deux parties et des preuves
documentaires produites, les questions que la Cour doit maintenant trancher
sont au nombre de trois, à savoir : la violation alléguée du droit de propriété
des requérants par l’Etat défendeur garanti par l'article 14, la violation
alléguée du droit des requérants à un procès équitable par l’Etat défendeur
garanti par les articles 3 et 7 et le non-respect allégué de l'obligation de l’Etat
défendeur de protéger les droits des requérants garantis par l'article 1, tous
en vertu de la Charte africaine.
41. La Cour va à présent aborder les questions telles qu'elles ont été formulées
en examinant les fondements factuels et juridiques des demandes des requérants par rapport aux arguments de l’Etat défendeur contenus dans ses
moyens de défense par rapport aux arguments de fait et de droit.
a Allégation de violation du droit à la propriété des requérants-Article
14
42. Dans leur requête initiale, les requérants allèguent que l’Etat défendeur a
violé leur droit de propriété. Le fondement de leur allégation est que, à toutes
les étapes importantes de la présente instance, ils avaient en leur possession,
un contrat de bail dûment signé pour vingt (21) ans avec l’Etat défendeur sur
2,8 hectares de parcelle de terrains de plage dans le village de Tokeh, situé
dans la péninsule de la Ap Ao conformément à la loi sur le foncier de
l'État de la Ap Ao No. 19, avec une seconde option de renouvellement
pour vingt et un ans pour produire de la glace et soutenir les activités de pêche
artisanale dans la péninsule de la Ap Ao. Une copie du bail est jointe
en annexe à leur requête modifiée en tant que "Pièce jointe - 3".
43. L’Etat défendeur soutient que les requérants n'ont produit aucune preuve
pour démontrer que le droit à la propriété leur était d'abord et avant tout
dévolu, en faisant valoir qu'il n'a en aucune façon converti la propriété sans
égard à la procédure régulière et que le bail auquel les requérants font
allusion n'a pas été versé au dossier pour permettre de déterminer leur intérêt
à agir.
Analyse de la Cour
43. La Cour trouve les arguments de l’Etat défendeur sur l'existence d'un contrat
de bail entre les parties absurdes puisqu'ils sont d'accord sur le fait que « le 6
janvier 2006, l’État défendeur a publié au Journal officiel que les terrains de
la plage en cause n’appartenaient pas aux défendeurs An Ax et
aux ayants cause de Ah Al Ax ; plus de deux ans avant que l'État
défendeur ne loue légalement aux requérants ", bail qui a été présenté comme
preuve par les requérants. ÿ Ys- 14 L’Etat défendeur, dans un aveu tacite de l'existence du contrat de bail entre
les parties en l'espèce, dans son exception préliminaire dans la déclaration
écrite sous serment de son conseil, Am Aj Ak Esq. au paragraphe
2, a affirmé :
« Les requérants, une personne morale a signé un contrat de bail pour
l’octroi d’un terrain, Pièce 8 jointe à leur requête avec le gouvernement
sierra léonais. Ledit terrain est devenu source de litige porté devant la Haute
Cour de Ap Ao ».
45. Le défendeur a en outre déclaré au paragraphe 19 de sa défense déposée le
17 septembre 2021 que « Les faits montrent que les requérants ont un
différend relatif au titre de propriété d'une parcelle de terrains qu'ils ont
pourtant louée auprès de l’Etat défendeur ».
46. La Cour note que les arguments des deux parties corroborent les preuves des
requérants quant à l’existence du contrat de bail qui a été signé par les deux
parties en 2008 pour une période de vingt et un (21) ans à compter du ler
mai 2008 jusqu'au 30 avril 2029.
47. L'article 14 de la Charte africaine confère le droit à la propriété, et il dispose:
« Le droit de propriété est garanti. Il ne peut y être porté atteinte que par
nécessité publique ou dans l'intérêt général de la collectivité, ce,
conformément aux dispositions des lois appropriées ».
48. La question évidente qui se pose est de savoir si un contrat de bail en cours
entre dans la définition de la propriété d'un bien, car ce qui confère le droit à
la propriété est la preuve de la propriété. La Cour considère qu'il importe
d'examiner certaines définitions de la propriété et du bail pour faciliter son
travail, ce qui peut en fin de compte permettre d'arriver à une décision claire,
impartiale et bien motivée.
49. Le dictionnaire Black's Law Ar, dixième édition, édité par Aq Aw
Aa, définit la propriété comme suit :
«Il est courant de décrire la propriété comme un "ensemble de
droits". Ces droits comprennent le droit de posséder et d'utiliser, le
droit d'exclure et le droit de transférer. - Également appelé "faisceau
de droits”. 2. Toute chose extérieure sur laquelle s'exercent les droits
de possession, d'usage et de jouissance ».
50. Il découle de la définition ci-dessus que les droits de propriété sont cessibles
par un transfert et une possession légale sur lesquels le propriétaire légal peut
exercer le droit d'usage et de jouissance à volonté.
51. Un bail tel que défini par la dixième édition du dictionnanire Black's Law
Ar confère un droit de propriété au locataire pour une certaine
période en vertu d'un accord spécifique, comme indiqué :
« Un contrat par lequel le possesseur légitime d'un bien immobilier
cède le droit d'utiliser et d'occuper ce bien en échange d'une
contrepartie, généralement le loyer. La durée du bail peut être à vie,
pour une période fixe ou pour une période résiliable à volonté ».
51. La propriété peut être définie comme un bien que l'on peut revendiquer en
fournissant un titre légal, une preuve de propriété ou tout document conférant
le droit de propriété. Dans l’affaire CENTRO EUROPA 7 S.R.L. ET AN
As c. ITALIE (Requête no. 38433/09) ARRÊT STRASBOURG 7 juin
2012, la Cour européenne des droits de l’homme CEDH a jugé :
« La notion de « bien » évoquée au premier alinéa de l’article 1 du
Protocole n° 1 a une portée autonome qui ne se limite pas à la
propriété de biens corporels et qui est indépendante par rapport aux
qualifications formelles du droit interne : certains autres droits et
intérêts constituant des actifs peuvent aussi passer pour des « droits
patrimoniaux » et donc des « biens » aux fins de cette disposition.
Dans chaque affaire, il importe d'examiner si les circonstances,
considérées dans leur ensemble, ont rendu le requérant titulaire d’un
intérêt substantiel protégé par l’article 1 du Protocole n° 1.
52. La Cour européenne en examinant les dispositions de l'article 1 du Protocole
n° 1 de la Cour européenne des droits de l'homme (qui est similaire à l'article
14 de la Charte africaine), a ajouté que :
« La notion de propriété ou de bien est interprétée de manière très
large. _ Elle couvre un ensemble d'intérêts économiques, qui
comprennent : les biens meubles ou immeubles, les intérêts tangibles
ou _intangibles, tels que les actions, les brevets, une sentence
arbitrale, le droit à une pension, le droit d'exercer une profession, le
droit au loyer d'un propriétaire, les intérêts économiques liés à
l'exploitation d'une entreprise ».
53. La Cour, se fondant sur l'ensemble des définitions analysées ci-dessus,
conclut qu'un contrat de bail transfère et confère un droit de propriété au
locataire pour la durée convenue dans le contrat, moyennant une contrepartie.
Il s'agit d'un principe général du droit des biens qu'une fois qu'un bail est
exécuté, l'accord est scellé, et le droit de propriété du bien est transféré et
conféré au locataire pour la période convenue.
54, C'est fort de ce principe général du droit de la propriété ci-dessus que la Cour
conclut opportunément que l'affaire dont elle est saisie n'est plus une
violation d'un accord contractuel mais une violation alléguée de droits de
propriété comme le suggère l'objet de la requête introductive d’instance. Là
encore, les requérants ont affirmé, sans que l’Etat défendeur ne le conteste,
que leurs machines et autres biens se trouvant sur la parcelle de terrains ont
également été enlevés par la force.
55. En conséquence, la Cour estime qu'en plus de leurs biens qui auraient été
saisis sur la parcelle de terrain, les requérants ont également des droits de propriété conférés par le contrat de bail, qui méritent d'être protégés en vertu
de l'obligation de l’Etat défendeur en matière de droits de l'homme, telle que
consacrée par les instruments internationaux et régionaux pertinents en
matière de droits de l'homme qui le lient, en particulier la Charte africaine.
55. C'est en abordant dans ce sens que la Cour a jugé dans l'affaire BENSON
OLUA OKOMBA c. REPUBLIQUE DU BENIN ECW/CCJ/JUD/05/17, page
« Le droit de propriété signifie en général que le propriétaire a droit
à la non-ingérence dans la jouissance dudit bien, particulièrement de
la part du gouvernement ».
56. Pour que les requérants obtiennent gain de cause, l'article 14 de la Charte
africaine leur impose de prouver que, premièrement, ils ont un intérêt ou un droit de
propriété sur le bien loué et les autres actifs en question, et deuxièmement, qu'il y a
eu une ingérence dans leur bien par l’Etat défendeur et que l'ingérence n'était pas
conforme à la législation en vigueur dans l'État membre. Il est clair que la question
que la Cour de céans doit à présent déterminer c’est de savoir si l'ingérence alléguée
sur le bien et la jouissance paisible par les requérants du bien loué, c'est-à-dire 2,8
hectares de parcelle de terrains de plage dans le village de Tokeh, situé dans la
péninsule de la Ap Ao, était illégale et attribuable à l’Etat défendeur.
57. L'objet de la saisine de la Cour par les requérants sous ce chef de demande
est bien articulé au paragraphe 4 (4) de la requête introductive d'instance où
ils ont plaidé en termes ci-après :
En l'espèce, les requérants cherchent à déterminer si la cession du
droit de propriété contractuel de Miles Investments à la Ap Ao
des terres domaniales louées par le gouvernement sierra-léonais,
ainsi que son usine de fabrication de glace à An Ax
(concurrent du secteur de la glace en Ap Ao) dans l’affaire
devant la Haute Cour de Ap Ao, n ° CC281 / 08, le Président
et le greffier de ladite juridiction, sans aucune notification de pièce
de procédure judiciaire, aucune audience, procès ou jugement rendu par le tribunal constitue entre autres, une violation de l’article 14 de
la Charte africaine ».
58. Les requérants allèguent que, sous couvert d'un bref de mise en possession
en vertu d'un jugement de la Haute Cour, ils ont été éjectés des terres louées
et leurs biens ont été pris de force par des individus avec l'aide d'agents du
gouvernement au profit d'intérêts privés. Ils contestent la régularité des
procédures avant, pendant et après ledit jugement et soutiennent qu'ils n'ont
pas été informés de l'existence du procès et du jugement qui s'en est suivi.
Ils affirment que le bref de mise en possession n'était pas un jugement valide,
car il n'a pas été délivré par un juge à la suite d’une audience publique, et
qu'il a été délivré par un greffier.
59. En réponse, l’Etat défendeur nie toute irrégularité de la part des tribunaux et
fait valoir que "Ja Haute Cour de Ap Ao a respecté la procédure
définie dans son Règlement de 1977" qui a donné lieu au jugement et au bref
de possession et que si les requérants n'étaient pas satisfaits du jugement du
tribunal de première instance, ils auraient dû explorer le mécanisme d'appel
mis à leur disposition par l'État plutôt que de saisir la Cour.
60. Il convient de réaffirmer d'emblée que toute ingérence dans les biens des
requérants en vertu d'une décision de justice valide rendue par les tribunaux
nationaux de l’Etat défendeur ne peut être qualifiée d'ingérence illégale.
61. Les requérants ont produit à titre de preuve " la pièce S.L.2" qui est le
règlement de la Haute Cour de l’Etat défendeur et la partie pertinente au cas
d’espèce, c'est-à-dire l'article 2(2) de l'ordonnance 46, prévoit ce qui suit :
"Un bref de mise en possession pour exécuter un jugement ou une
ordonnance de mise en possession d'un terrain ne peut être délivré sans
l'autorisation du tribunal, sauf si le jugement ou l'ordonnance a été rendu
dans une action hypothécaire. Cette autorisation n'est accordée que s'il est
démontré-
que toute personne en possession effective en totalité ou en partie du terrain
a reçu une notification de la procédure qui semble satisfaire lg tribunal pour lui permettre d’ester devant ledit tribunal pour toute réparation à laquelle
elle peut avoir droit”.
62. L'un des principes fondamentaux tiré de l'ordonnance 46, article 2(2) du
règlement de la Haute Cour de l’Etat défendeur est la notification à toute
personne en possession effective de toute parcelle de terrain pour laquelle un
bref de possession doit être délivré. Il a été établi que les requérants étaient
en possession effective de la parcelle de terrains louée et que leurs actifs
fonctionnaient comme une entreprise en activité lorsqu'ils ont été éjectés par
la force et leurs actifs confisqués par l’administration et des privées sous
l'autorité présumée de l'ordonnance de mise en possession délivrée par la
Haute Cour de l’Etat défendeur.
63. Dans une tentative de prouver la participation des requérants aux procédures
qui ont conduit à leur éviction de la propriété louée et à la confiscation de
leurs biens, l’Etat défendeur, au paragraphe 9 de son mémoire en défense
déposé le 17 Septembre 2021, a présenté des preuves de « l'assignation
devant la Haute Cour déposée, le mémoire en défense déposée au nom des
requérants en l’espèce, la décision dans ladite affaire jointe et portant
mention respectivement pièce MOJSL-1, 2, & 3 ». L'Etat défendeur a ajouté
que "Ceci a pour but d’aider la Cour avec la preuve des enregistrements de
la Cour que les requérants ont informé un avocat pour les représenter et ont
participé pleinement jusqu'à ce que le jugement ait été rendu contre eux par
la Haute Cour de la Ap Ao".
64. La Cour, après examen des arguments du conseil de l’Etat défendeur et
examiné minutieusement les pièces 1, 2 et 3, cherchant à convaincre la Cour
que les requérants ont dûment participé à toutes les procédures qui ont
conduit à leur éviction et à la confiscation de leurs biens, les traite à la légère.
65. Il est constant que lorsqu'une partie citée dans une action en justice allègue
la non-participation résultant d'un manquement à l'obligation de l'informer
de l'existence de l'action, la charge de la preuve à s’acquitter est la « preuve de la notification », que cette notification soit à main propre ou par personne
interposée, et non des pièces censées avoir été déposés par d'autres personnes
en son nom. En effet, les preuves abondent surtout en matière civile où des
procédures judiciaires fictives (pièces) sont prétendument déposées au nom
de parties ignorant l'état d'avancement du procès, trompant le tribunal pour
qu'il se prononce contre elles.
66. C'est pour éviter les manigances entourant la notification et la participation
d'une partie à une procédure initiée contre elle que le Règlement de la Cour
comporte de nombreuses dispositions sur la « preuve de la notification » qui
est très importante pour prouver qu’une affaire en instance existe et de la
participation à un procès. Il n'est donc pas suffisant d'apporter la preuve de
la participation d'une partie à un procès en produisant des pièces de procédure
ou des pièces censées avoir été déposées sur instructions de la partie
concernée, comme l'a fait l’Etat défendeur en l’espèce.
67. Sur la base de l'analyse ci-haut, la Cour n'est pas en mesure de recevoir les
pièces 1, 2 et 3 de l’Etat défendeur comme des preuves suffisantes pour
prouver que, contrairement à leur affirmation, les requérants ont dûment
participé à la procédure qui a conduit au jugement sous l'égide duquel le bref
de possession a été délivré pour les évincer de leur propriété louée et d'autres
propriétés confisquées et la Cour en juge ainsi.
68. Sur la base de l'analyse précédente des preuves disponibles, la Cour conclut
qu’en effet, les requérants avaient un intérêt ou un droit de propriété sur le
foncier loué et les autres biens en question, et qu'il y a eu une ingérence dans
leurs biens par l’Etat défendeur ; que ladite ingérence n'était pas conforme
aux lois en vigueur de l’Etat défendeur.
69. Etant jugé que les requérants, en tant que personnes en possession effective
de la parcelle de terrain, n'ont pas reçu un préavis suffisant pour participer
librement à la procédure pour demander à la Cour toute réparation à laquelle
ils peuvent avoir droit, il est inutile de s'interroger sur le bien-fondé ou non
du bref de possession lui-même s’agissant de l'allégation tirée du fait que c’est le greffier de la Cour qui l'a délivré sans décision de justice valide et
non un juge suite à une audience publique et la Cour en juge ainsi.
70. Dans l’affaire AG AK c. REPUBLIQUE DU MALI (2021) NON
PUBLIEE, ARRÊT NO. ECW/CCJ/TUD/05/21, la Cour a jugé: « Lorsque la
Cour établit que l’ingérence dans un droit de propriété est incompatible à la
loi, elle n'a pas besoin de se pencher sur la question de la légitimité de
l’objectif poursuivi par l’Etat ou celle de la proportionnalité. En pareil cas,
en effet, il y a automatiquement une violation de l’article 14 de la Charte de
sorte qu’il est inutile pour la Cour d’examiner si cette ingérence illégale vise
un but légitime ».
71. La Cour note que c'est à la suite des procédures erronées engagées contre les
requérants devant la juridiction de l’Etat défendeur que ses agents publics,
c'est-à-dire la police et les fonctionnaires de la juridiction ont aidé des
particuliers à éjecter les requérants de leur propriété légalement acquise et à
retirer de force leurs biens de la parcelle de terrain.
72. Par conséquent, la Cour estime que les requérants ont réussi à prouver une
violation de leur droit de propriété garanti par l'article 14 de la Charte
africaine.
b. Violation alléguée du droit des requérants à un procès équitable par
l’Etat défendeur au titre des articles 3 et 7 de la Charte.
73. Les requérants ont formulé une allégation tirée du défaut de procès
inéquitable contre l’Etat défendeur en raison de prétendues irrégularités
procédurales qui auraient eu lieu devant la Haute Cour de Ap Ao et de
la prétendue inégalité des armes entre les parties contrairement aux articles
3 et 7 de la Charte africaine.
74. Il importe de situer l'allégation des requérants dans une perspective
appropriée en citant textuellement les paragraphes 19 et 22 de leur requête
introductive d'instance comme suit :
De la violation des articles 3 et 7. 1. C
19) Les requérants allèguent que l'affaire devant la Haute Cour de Ap Ao n ° CC281 /08 a commencé et s'est terminée par un parti pris de la Cour en faveur de An Ax et de l’ayant droit de Ah Al Ax. Le caractère biaisé de cette décision tourne autour des points suivants :
a) Elle a admis de fausses déclarations sous serment déposées par An Ax et autres devant la Haute Cour de Ap Ao avec déclaration sous serment de l'huissier général Gerald JW. Perry.
b) Emprisonnement injustifié de quatre (4) heures pour intimider les défendeurs dans le procès civil devant la haute Cour de Ap Ao, affaire n © CC281 / 08.
c) La Haute Cour de Ap Ao lors d'une audience très privée basée sur une déclaration sous serment déposée par An Ax et l’avocat de l’ayant droit de Ah Ay Ax, James M. AI, a transféré le terrain appartenant à la Ap Ao sur lequel l'usine Miles Investments est implantée ; sans réaction officielle de la part de l'Etat défendeur.
20) Les requérants allèguent en outre que cette attitude de la Cour viole en conséquence les articles 7.1 et c l'article 3 de la Charte africaine. Par ailleurs, les requérants représentés par leur avocat, M. Elvis Kargbo, dans l'affaire S.L High Court n ° C281 / 08, n'avaient pas eu l'occasion de préparer adéquatement son dossier pour la défense, car les fonctionnaires de la cour n'avaient pas respecté le règlement de la cour ; juste pour répondre aux attentes de An Ax et de ses ayants cause; la production des preuves et les plaidoiries pour contrer les allégations et la preuve de la partie adverse ont été délibérément refusées. En raison d'empêchements illégaux créés par un fonctionnaire judiciaire tel que le greffier Perry qui a collaboré pour déposer de fausses déclarations sous la foi du serment comme preuve de signification d'un bref d'assignation que le juge n'a pas mis en cause, et l'émission d'un bref de possession par le président et le greffier de la Haute Cour de Ap Ao sans jugement. En revanche, le principe de l'égalité de tous devant la loi énoncé à l'article 3 de la Charte a été violé car seul l’argumentaire de la partie adverse, en l'occurrence, An Ax et ayant droit de Ah Al Ax, avait été pris en compte et même le ministère des ressources foncières, du cadastre et de l'environnement de Ap Ao n’a pas eu son mot à dire dans l'affaire n ° CC281 / 08 devant la Haute Cour de Ap Ao moins encore Miles Investments Ltd,ou James Sharpe.
21) Le 20 juin 2011, le président de la Haute Cour de la Ap Ao et le greffier n'ont AUCUNE compétence pour signer et émettre un "bref de mise en possession" à An Ax et à l’ayant droit de Ah Al Ax (Réf: Affaire de la Haute Cour de Ap Ao no. .CC: 281/08) visant à reprendre possession de terres appartenant à la Ap Ao sur lesquelles des actifs de Miles Investments, Ltd (un investissement étranger direct des États-Unis) sont implantés, sans qu'un jugement ne soit rendu conformément aux règles de procédure de la Haute Cour de Ap Ao, n ° 46. Dans l'affaire N ° CC281 / 08 de la Haute Cour de Ap Ao, aucun jugement n'a été rendu et enregistré, contrairement aux autres affaires traitées en 2011. Voir le lien
Violation alléguée des articles 3 et 7. 1.c : la Cour n°a pas été impartiale.
22) Les requérants arguent que les actes de procès clandestins et privés et / ou d’audiences fondées sur de fausses déclarations écrites sous serment comme preuve de signification de pièces retenus par la Haute Cour de Ap Ao dans l’affaire n ° CC281 / 08, interdisant Miles Investments et autres et le ministère des ressources foncières, de la planification territoriale et de l’environnement de présenter leurs moyens de défense, et la décision du juge Konoyima de la Haute Cour de Ap Ao de réfuter l’allégation de James Sharpe relative aux fausses déclarations sur la preuve de signification de l’assignation déposées dans le cadre de l'affaire devant la Haute cour de Ap Ao par les agents de la Cour étaient fausses et il fut emprisonné pendant quatre (4) heures dans une affaire civile pour «outrage à un magistrat» sans vérification supplémentaire, en violation du principe énoncé aux articles 3 et 7.1c de la Charte.
75. L’Etat défendeur, au cours de la dernière audience de la Cour en réaction à
l'allégation ci-dessus, plutôt que de réfuter ou de s’opposer à l'allégation tirée
de fraude et d'irrégularité procédurale formulée contre la procédure d'audience devant sa juridiction nationale en Ap Ao, a soutenu que le
requérant aurait dû utiliser les procédures d'appel dans le cadre du système
juridique de l’Etat défendeur s'il n'était pas satisfait du résultat et de la
décision de la Haute Cour de Ap Ao au lieu de saisir la Cour de la
CEDEAO pour lui demander de siéger en tant que juridiction d'appel de la
décision de la juridiction nationale de Ap Ao.
76. Le relevé de notes d’audience des plaidoiries de l’Etat défendeur le 28 avril
2021 se présente comme ci-dessous :
« Ce que nous disons ici, Mesdames et Messieurs les Juges,
c'est qu'une décision a été rendue contre les requérants par la
Haute Cour de Ap Ao, et qu'ils n'ont pas pu interjeter
appel de ladite décision lors qu’ils n’étaient pas satisfaits de la
décision au lieu de former la présente requête. Raison pour
laquelle, nous disons qu’elle n’est pas fondée, car cela signifie
que la Cour doit siéger en appel pour l’examen de ladite
requête ».
Analyse de la Cour
77. La Cour, après avoir écouté et soigneusement examiné les arguments des
parties, réitère sa jurisprudence établie tiré du fait que la Cour de Justice de
la Communauté, CEDEAO n'a pas pour mandat de siéger en tant que
juridiction d'appel des décisions des juridictions nationales des États
membres, sauf lorsque des questions de procédure lors des procès portant sur
les questions des droits de l’homme se posent devant lesdites juridictions
nationales. La Cour est plutôt investie de pouvoirs lui permettant de traiter
des questions relatives aux droits de l'homme dans tout État membre.
78. La Cour note que, sans préjudice du paragraphe précédent, l'objet de la
présente affaire, à des fins de clarification, est l'allégation de violation des
droits des requérants à la propriété et à un procès équitable, et de manquement de l'État à ses obligations en matière de droits de l'homme, ce
qui relève de la compétence de la Cour.
79. Les allégations des requérants tirées de la partialité, l'inégalité des armes et
l'absence de procès/audience équitable sont des questions très sérieuses que
l’Etat défendeur n'a pas contestées, mais a plutôt soutenu que les requérants
auraient dû aller loin dans leur affaire en interjetant appel auprès d'une
juridiction supérieure de l’Etat défendeur. Sans aucun doute, l'égalité des
armes est l'un des principes universellement essentiels pour déterminer
l'équité ou non d'un procès. Les tribunaux internationaux des droits de
l'homme du monde entier accordent une grande attention à la question du
procès équitable en général.
80. Les articles 3 et 7 de la Charte africaine disposent :
Article 3
1. Toutes les personnes bénéficient d’une totale égalité devant la loi.
2. Toutes personnes ont droit à une égale protection de la loi ».
. Article 7(1)(c) sur lequel se fonde spécifiquement l’argumentaire des
requérants dispose :
Article 7 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue.
Ce droit comprend :
c) le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par un défenseur de son choix.
81. Traitant du même objet du litige, la Cour de céans, dans l’affaire
Ax C A B c. L’ETAT SIERRA LEONAIS, ARRÊT NO
ECW/CCJ/JUD/11/15, pg. 11, à jugé :
Le principe du procès équitable tel qu'il est résumé à l'article 7 de la
Charte africaine des droits de l'homme et des peuples fepose sur la
© règle tirée du principe est qu'une personne ne doit pas être pénalisée
par des décisions affectant ses droits ou ses atteintes légitimes sans
avoir été notifiée de l'affaire, sans avoir eu opportunité de répondre
et ou l'opportunité d'apporter ses propres arguments. Ce qui justifie
le fait que lorsqu'une décision affecte les droits ou intérêts d'une
personne elle doit être soumise aux procédures requises dans le cadre
d’une justice naturelle.
Par ailleurs en donnant un sens à l'expression procès équitable, la Cour a jugé :
« Ceci signifie essentiellement que toutes les parties au procès ont le
droit de faire tous les commentaires qu'elles jugent pertinents pour
l'examen de l'affaire et que ces commentaires doivent être analysés de
manière appropriée par la Cour qui a le devoir d'examiner de
manière approfondie et diligente les demandes, les arguments et les
preuves présentés par les parties ; et que l'équité dans
l'administration de la justice, en plus d'être substantielle, doit être
apparente. (La justice ne doit pas seulement être rendue, elle doit
aussi être perçue comme telle) ».
Voir également l’affaire AH AM Ab Bc AP c.
REPUBLIQUE FEDERALE DU NIGERIA, ARRÊT NO ECW/CCJ/JUG/01/19, pg.
18.
82. Toujours dans le but de mieux clarifier l’importance d’un procès équitable et
la conséquence du refus d’une juridiction national à y adhérer audit principe,
la Cour a jugé dans l’affaire Au Ac AO Y c.
REPUBLIQUE DU SENEGAL ECW/CCJ/APP/07/11, pg. 16 comme ci-
après :
Le droit à un procès équitable ne dépend pas des droits de
l’Homme et pour cette raison, une partie ne dit pas être
@ déboutée de sa demande sans être entendue. C’est là un motif
suffisant pour la Cour d'entendre d’abord les parties. En tant
qu'Etat membre de la Communauté, la défenderesse a le
devoir à l'égard de chaque citoyen de la CEDEAO ou à l’égard
de toute personne d'assurer un procès équitable sur son
territoire, faute de quoi la Cour aura le droit de connaître toute
requête formée à cet effet par une partie lésée, même si elle se
fonde sur la compétence propre de la Cour ».
83. Dans une l’aune des affaire récentes, la Cour a réitéré l’effet conséquentiel
d’adhérer au principe du droit à un procès équitable dans l’affaire SGT.
MIKAH RANGO & 243 AUTRES c. REPUBLIQUE FEDERALE DU
NIGERIA, ARRÊT NO ECW/CCJ/JUD/21/19, Pg. 14 comme suit :
« Violer le principe du droit à un procès équitable devant tout
Tribunal ou procédure ou décision aura pour conséquence de
rendre nulles et de nul effet les décisions qui peuvent émaner
de cette audition. Par conséquent, le non-respect du droit à un
procès équitable équivaut à une violation ».
84. Pour toutes les raisons susmentionnées et compte tenu du fait que l'allégation
des requérants n'a pas été contestée par l’Etat défendeur, la Cour conclut
inévitable que les requérants n'ont pas bénéficié d'un procès ou audition
équitable.
L'obligation de l’Etat défendeur de protéger le droit des requérants
85. Les requérants soutiennent également que l'obligation de respecter le droit à
la propriété exige que les États s'abstiennent d'intervenir arbitrairement dans
la jouissance de ce droit. L'obligation exige que les États prennent toutes les
mesures nécessaires, y compris législatives, administratives et judiciaires,
pour empêcher l'empiètement par des tiers. Le fait que l’Etat défendeur n'ait
pas protégé les requérants contre l'éviction forcée ou la destruction de leurs
biens constitue un manquement à son obligation de protection.
86. La Cour note que l'obligation de protéger les droits de l'homme des citoyens
incombe aux Etats, et qu'ils seront tenus pour responsables en cas de
manquement à cette obligation. L'article 1 de la Charte africaine qui définit
l'obligation d'un État envers tous les citoyens se trouvant sur son territoire
dispose de ce qui suit :
« Les Etats membres de l'Organisation de l'Unité Africaine, parties à
la présente Charte, reconnaissent les droits, devoirs et libertés
énoncés dans cette Charte et s'engagent à adopter des mesures
législatives ou autres pour les appliquer ».
87. De toute évidence, la disposition ci-dessus impose à tous les États parties une
obligation contraignante et non négociable d'adopter toutes les mesures afin
d’assurer la protection des droits inhérents à la Charte. Il s'agit d'un devoir
et d'une obligation positive à laquelle on ne peut déroger, tout État membre
contrevenant à cette disposition sera en violation directe et évidente de ses
obligations en vertu de la charte.
88. De l'ensemble des éléments de preuve produits en l'espèce, la Cour parvient
à la conclusion que l’Etat défendeur a manqué à son obligation en tant qu'Etat
de protéger le droit de propriété des requérants et juge donc qu’il a manqué
à son obligation de protéger le droit de propriété des requérants.
Violation alléguée du droit au travail du 2°" requérant
89. Les requérants soutiennent que la violation de leurs droits de propriété a
entraîné une violation conséquente du droit du 2“"° requérant de travailler
dans un environnement équitable et propice garanti par l'article 15 de Ja
Charte africaine qui dispose :
« Toute personne a le droit de travailler dans des conditions
équitables et satisfaisantes et de percevoir un salaire égal pour un
travail égal ».
© 90. La Cour note que le 2*"° requérant n'a produit aucune preuve pour établir
son statut de travailleur au sein de l’entreprise Bb Av, 1ère
requérante. En effet, en se présentant, le 2ème requérant a déclaré qu'il "est
un homme d'affaires et l'un des principaux promoteurs et financiers de la première requérante qui a investi
d'énormes ressources monétaires et matérielles dans l'entreprise
d'investissement de la 1° requérante ».
91. Étant donné que le 2*"° requérant n'a pas apporté la preuve de son statut de
travailleur, sa demande de violation de son droit au travail ne peut
prospérer et la Cour en juge ainsi.
IX. RÉPARATIONS
92. Les requérants ont formulé les prétentions ci-après en réparation de la
violation alléguée de leurs droits :
DIRE ET JUGER que la confiscation forcée des biens fonciers des
requérants par les agents armés de l'Etat défendeur dans le village de
Tokey, dans la péninsule de Ap Ao, est illégale car elle viole le droit
humain des requérants à la propriété dûment garanti par l'article 14 de la
Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et l'article 17 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme.
b. DIRE ET JUGER que la confiscation forcée de l'usine et des biens des
requérants par les agents armés de l’Etat défendeur au village de Tokey,
dans la péninsule de Ap Ao, sur ordonnance ex parte, est illégale car
elle viole le droit de l'homme des requérants à un procès équitable et à
l'égalité de tous devant la loi garantis respectivement par les articles 7, 2,
3 et 19 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples et les
articles &, la 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
1
93. En réponse, l'Etat défendeur a exhorté la Cour à rejeter la demande des
requérants car ils n’ont pas établi une violation de l'article invoqué dans leur
requête.
Analyse de la Cour
94. Il est constant en droit que lorsqu'un État a été reconnu responsable d'un
préjudice international, la réparation est la condition sine qua « pour réparer tout préjudice causé à la victime. La Cour a confirmé dans l'affaire
DAME X Ba AL c. RÉPUBLIQUE DU NIGERIA
(2014 CCJELR 229
«Le principe de réparation constitue l'un des principes
fondamentaux du droit en matière de responsabilité. Il suffit que le
préjudice faisant l'objet de réparation soit né, qu'il soit directement
lié à la victime, qu'il soit certain et susceptible d'être évalué ».
95. La Cour, ayant jugé l’Etat défendeur a violé les droits des requérants
contrairement aux articles 3, 7 et 14 de la Charte africaine, rend l’Etat
défendeur responsable de la réparation des préjudices causés aux requérants.
96. En plus des mesures déclaratoires sollicitées par les requérants, ils ont prié
la Cour d'ordonner le paiement de la « somme de 500 000 $ (Cinq Cent
Mille Dollars) à titre de dommages-intérêts punitifs et généraux » et « la
somme de 10 000 000$ (dix millions de dollars) à titre de dommages-
intérêts généraux pour les tortures physiques, psychologiques et mentales
subies par les requérants » en raison des diverses violations des droits de
l'homme que l’Etat défendeur leur a infligées. Ils ont en outre demandé une
ordonnance aux fins de paiement de « la somme de 20 000 000,00 8 (vingt
millions de dollars) à titre de dommages-intérêts aggraves et punitifs contre
l’Etat défendeur. Donc, cumulativement, les requérants sollicitent auprès
de la Cour un total de trente millions cinq cent mille dollars (30 500
000,00 $) à titre de dommages-intérêts généraux contre l’Etat défendeur.
97. La Cour estime que, dans des cas de violation des droits de propriété,
comme illustré en l'espèce, les requérants qui sont victimes de la violation ont
droit à une réparation restitutio in integrum lorsque des dommages-intérêts
spéciaux sont réclamés et que des éléments de preuve suffisants sont produits
pour établir la justification et le droit nécessaires. Les dommages-intérêts
spéciaux sont des pertes que la loi présume être la conséquence de l'acte du
défendeur, mais qui dépendent, au moins, des circonstances particulières de la
cause. » Ils doivent donc toujours être spécifiquement réclamés dans les actes
de procédure. Voir ODGERS sur LES PLAIDOIRIES ET LA PRATIQUE (18E
ED) À LA PAGE 177. La mesure standard des dommages spéciaux est donc la
valeur marchande du bien au moment et à la date de la violation, qu'il s'agisse
d'une saisie, d'une privation ou d'une destruction.
98. En l'espèce, pour évaluer la valeur de la destruction, il serait naturellement tenu
compte des dépenses engagées pour acquérir le terrain loué à l’Etat défendeur,
des investissements/modifications apportés au bien/à l'entreprise acquis avant et
après l'acquisition, en attendant les investissements, rentables ou non, ainsi que
des actifs physiques perdus dans le processus. Il ne fait l’ombre d’aucun doute
que les requérants sont conscients du montant qu'ils ont dépensé jusqu'à présent
pour l'investissement en question. Ils sont également en possession de
l'inventaire des biens qu'ils revendiquent et qu’ils allèguent confisqués et/ou
détruits par An Ax et les ayants droit de Ah Al Ax sous
l'égide des agents de sécurité de l’Etat défendeur.
99. Cependant, les requérants ont malheureusement omis et/ou refusé de préciser
dans leurs écritures leurs pertes résultant de la saisie forcée de leurs biens et les
dommages spéciaux subis. Ils ont plutôt choisi de réclamer des dommages-
intérêts généraux pour préjudice subis suite à la violation en réclamant une
somme totale de trente millions cinq cent mille dollars (30 500 000$) contre
100. Il est constant que la loi fasse clairement la distinction entre les dommages-
intérêts spéciaux et les dommages-intérêts généraux. Les dommages- intérêts généraux sont ceux que la loi présumerait être la conséquence naturelle
ou probable de l'acte de l’Etat défendeur. Elle découle de l'inférence de la loi et
n'a donc pas besoin d'être prouvée par des moyens de preuve. La loi implique
des dommages-intérêts généraux dans toute violation d'un droit absolu. Le
problème est que seuls des dommages-intérêts nominaux sont accordés lorsque
le requérant a subi une perte de propriété quantifiable et qu'il omet de plaider
spécifiquement sa perte et de le prouver strictement. S'il ne le fait pas, il n'a droit
à rien, sauf à des dommages-intérêts généraux.
101. Aucun élément de preuve n'a été produit par les requérants pour guider la Cour
dans l'évaluation de la valeur de chacune de leurs machines saisies ou perdues.
Ils croyaient probablement que « /a Pièce jointe - H », intitulée Avis de litige
imminent pour recouvrer la perte de Miles Investments à Tokeh Village,
présente les valeurs. Malheureusement, la loi exige plus, que de mentionner
simplement les prix sans justification de la manière dont on est arrivé à ces prix.
102. Dans les circonstances de l’espèce, la Cour est enjointe par la nature particulière
de la violation perpétrée par l’Etat défendeur d'accorder des dommages-intérêts
généraux pour les biens perdus ou détruits qui se trouvaient sur le terrain
lorsqu'ils ont été éjectés et pour le préjudice subi en raison de la violation de
leurs droits. Dommages-intérêts généraux, parce que la perte est démontrée,
mais les preuves nécessaires quant à son montant, en particulier en ce qui
concerne les biens perdus, ne sont pas prouvées. L'octroi de dommages-intérêts
généraux peut couvrir la perte de jouissance des biens confisqués.
103. Cependant, procédant ainsi et compte tenu du dynamisme du monde actuel,
associé à la particularité de la cause, la Cour doit se tourner vers l'avenir et
accorder une indemnisation réaliste et comparable aux préjudices semblables
afin de compenser adéquatement la perte inimaginable de tous les
investissements et autres opportunités commerciales subis par les requérants en
tant qu'investisseurs, ainsi que le préjudice physique et psychologique subi. La
Cour est d’avis que procéder ainsidonneraaux … requérants l'espoir que l'État défendeur et en effet l'ensemble de la sous-région ouest-africaine
prennent au sérieux leurs partenaires d'investissement qui investissent dans la
sous-région. Il servira également de dissuasion à d'autres États membres
partageant les mêmes idées sur les territoires desquels les investisseurs
étrangers font des affaires.
104. C'est précisément pour cette raison que la loi accorde des dommages-intérêts
exemplaires, punitifs ou aggravés dans des cas appropriés pour démontrer sa
désapprobation à l'égard d'un tel comportement scandaleux de la part de l’Etat
défendeur. À cet égard, les dommages doivent faire mal comme l'une des
mesures visant à lutter contre le taux élevé de découragement et d'ineptie dans
le traitement des investisseurs dans la sous-région, ce qui contribue à affecter
négativement la vie des citoyens de la Communauté.
105. La Cour ayant pris en compte raisonnablement tous les chefs de dommages et
intérêts dont se plaignent les requérants, à savoir : la perte de tous leurs
investissements, la saisie de leurs actifs, la douleur subie par le 2“ requérant
et les autres administrateurs ; l'effet de la perte d'opportunités commerciales ;
les dépenses accessoires liées aux tentatives de reprise de leur entreprise ; la
perte pécuniaire subie du fait de l'incapacité d'exploiter l'entreprise préfinancée
par des prêts ; le traumatisme moral et psychologique subi, évalue en ce
moment un montant global comme dommages et intérêts généraux pour toutes
les pertes subies.
106. La Cour juge donc opportun l'octroi de la somme d'un million de dollars
américains (1 000 000,00 $ ) à titre de dommages-intérêts généraux contre
l’Etat défendeur au profit des requérants.
XL DES DEPENS
107. Les requérants ont formulé auprès de la Cour une demande de dépens, exhortant
celle-ci à condamner l’Etat défendeur à verser au requérant la somme de 500
000,00 $ (cinq cent mille dollars américains), à titre d’honoraires d'avocat et Traduction : |. Ai
autres frais accessoires de la procédure. Le défendeur, de son côté, n'a pas
demandé de dépens.
108. L'article 66(1) du Règlement de la Cour dispose : « II est statué sur les dépens
dans l’arrêt ou l'ordonnance qui met fin à l’instance".
109. En outre, l'article 66(2) du Règlement de la Cour dispose : « La partie qui
succombe est condamnée aux dépens s'ils ont été demandés dans les écritures
de la partie qui succombe ».
110. À la lumière des dispositions du Règlement, la Cour estime que l’Etat
défendeur, en tant que partie qui succombe, supportera les dépens liés à la
procédure. Cependant, la somme de cinq cent mille (500 000) dollars
américains réclamée par le requérant est disproportionnée et n'est étayée par
aucune preuve documentaire. La demande de ce montant est donc rejetée, mais
il est ordonné au Greffier en chef d'évaluer les frais appropriés en conséquence.
DISPOSITIF DE L'ARRÊT
Par ces motifs, la Cour siégeant publiquement et contradictoirement à l’égard des
parties:
Sur la compétence
i. Dit qu'elle est compétente pour connaître de la requête;
Sur la recevabilité
ii. Déclare la requête recevable ;
Sur le fond
iii Dit que les droits de propriété des requérants ont été violés par l’Etat
défendeur contrairement à l'article 14 de la Charte africaine.
36 © iv. Dit que le droit des requérants à un procès équitable et à la protection de la
loi en vertu des articles 3 et 7 de la Charte africaine a été violé par l’Etat
défendeur ;
v. Dit que le droit au travail du 2ème requérant en vertu de l'article 15 de la
Charte africaine et de l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de
l'homme n'a pas été violé par l’Etat défendeur ;
vi Rejette toutes les autres rétentions formulées par le requérant ;
vi. Condamne l’Etat défendeur à payer la somme d'un million de dollars
américains (1 000 000$) aux requérants à titre de dommages-intérêts
généraux pour toutes les pertes subies en raison de la violation de leurs
droits, comme indiqué ci-dessus.
ix …— Condamne l’Etat défendeur aux entiers dépens et ordonne
au greffier en chef d’évaluer les dépens en conséquence.
Sur le respect des dispositions et la présentation de rapports
Ordonne à l'Etat défendeur de soumettre à la Cour, dans un délai de trois (3) mois à compter de la date de notification du présent arrêt, un rapport sur les mesures prises pour mettre en œuvre les ordonnances énoncées dans ledit arrêt.
Traduction : I. Ai
Et ont signé
Hon. Juge Edward Amoako AS
Hon. Juge Gberi-Be OUAFT
Hon. Juge Dupe ATOKI CAM.
ASSISTES DE
Dr. Athanase ATANNON, Greffier en chef adjoint
Fait à AJ, ce jour 13 juillet 2022 en anglais et traduit en français et en portugais.